La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale auditionne M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur.
L'audition commence à seize heures trente.
Monsieur le ministre, mesdames et messieurs et chers collègues, à la demande du groupe UDI et Indépendants, il a été créé en février dernier, à l'Assemblée nationale, une commission d'enquête sur les forces de sécurité, leur situation, leurs missions et leurs moyens. La commission d'enquête a fait le point sur des problématiques importantes que nous souhaitons aborder avec vous.
Les questions posées par l'organisation, les moyens des forces de sécurité, leurs équipements, les locaux dans lesquels les policiers et les gendarmes vivent ou travaillent, les véhicules dans lesquels ils se déplacent, le recentrage des missions et la lourdeur de la procédure pénale pour le quotidien des forces de l'ordre, des officiers de police judiciaire (OPJ), des agents de police judiciaire (APJ) ne sont pas nouvelles. Elles sont d'ailleurs même bien connues, et cela ne les rend que plus importantes. Quand les constats se répètent depuis des décennies, c'est que les solutions n'ont pas été pleinement apportées.
Même si les derniers budgets font l'objet d'une hausse significative, celle-ci n'est pas suffisante pour combler le retard accumulé. Il y a des réussites tangibles dans la lutte contre le terrorisme et en matière de renseignement, en particulier, mais les défis que posent l'évolution de la délinquance, la nucléarisation des formes de manifestations, leur hyperviolence aussi, la radicalisation et bien d'autres sujets de sécurité sont énormes. Les attentes des Français sont considérables et elles sont légitimes, en même temps que l'image des forces de l'ordre, elle, s'est continuellement dégradée.
Monsieur le ministre, nous nous devons de procéder à une profonde réforme des forces de sécurité pour leur donner les moyens d'exercer efficacement leurs missions, au service de l'État et au service des citoyens. Des réorientations ont été lancées, des engagements ont été pris, avec la mise en place de la police de sécurité du quotidien (PSQ), et avec l'annonce par le Premier ministre, dans son discours de politique générale, d'une loi de programmation de la sécurité intérieure (LOPSI). Et c'est bien en soutien de cette réforme que vous portez, monsieur le ministre, que s'inscrivent, à mon sens, les travaux de cette commission. Nous avons tous intérêt à réussir cette transition.
Monsieur le ministre, tous nos collègues, représentants de la Nation, qui appartiennent à cette commission, tiennent à rendre solennellement hommage à nos policiers et gendarmes nationaux, ainsi qu'à nos policiers municipaux ; à adresser une pensée émue et respectueuse aux familles de ceux qui ont fait don de leur vie à la République. Nous pensons aussi aux blessés et à ceux, trop nombreux, qui, en grand tourment, ont quitté le chemin.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(M. Christophe Castaner prête serment)
Depuis cinq mois environ, c'est un peu plus d'une centaine d'heures d'audition que nous avons menée pour cette commission d'enquête et une demi-douzaine de déplacements. Nous avons voulu que cette commission soit au plus près des préoccupations de nos forces de sécurité, gendarmerie nationale, police nationale, police municipale, gardes champêtres mais aussi agents de l'administration pénitentiaire.
Nous vous avons demandé, il y a environ six mois, certains documents, notamment des rapports sur la formation de la police nationale, sur la formation continue en gendarmerie nationale, sur le maire et la sécurité intérieure, également l'étude immobilière réalisée sur un échantillon de 536 bâtiments en 2017. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous transmettre ces documents assez rapidement ?
S'agissant de la consultation à laquelle j'ai souhaité procéder, j'entends tout à fait les arguments que vous m'avez opposés. Néanmoins, je souhaiterais que nous trouvions une solution pour pouvoir demander directement leur avis aux policiers et aux gendarmes sur des questions qui ne sont pas conflictuelles – c'était l'esprit d'une démarche qui a pour but d'obtenir un échantillonnage clair servant de base à des propositions concrètes.
D'abord, sur la question de la méthode, nous avons fait un point, en fin de semaine dernière, sur la totalité des documents que vous nous avez demandés et qui sont en notre possession, et il conviendra évidemment que nous vous les remettions le plus rapidement possible. Cela sera fait dans les heures qui viennent.
Ensuite, concernant le questionnaire aux policiers et aux gendarmes, nous sommes bien au-delà du point 2 de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des commissions d'enquête. En effet, nous devons vous fournir la totalité des documents, mais pas forcément effectuer des sondages en interne. Nous avons sur e point consulté les juristes du Secrétariat général du Gouvernement. Il ne nous est pas possible aujourd'hui de diffuser aux 200 000 fonctionnaires concernés un document qui n'est pas placé sous l'autorité du ministère.
Je sais que vous avez pris contact avec les partenaires sociaux, qui l'ont relayé et cela me paraît une bonne méthode. Mais il s'agit d'une consultation ; elle n'est donc pas scientifique, contrairement à un sondage. La commission d'enquête pourrait avoir des moyens qui lui permettraient de faire réaliser un sondage, mais envoyer, sous le sceau du ministère, un questionnaire sur lequel le ministre n'a pas d'autorité, va bien au-delà du cadre formel qui organise les échanges avec les membres d'une commission d'enquête. N'y voyez surtout pas la volonté de cacher quoi que ce soit. Nous sommes dans une situation où nous devons fournir la totalité des documents en notre possession ; or nous ne disposons pas de telles consultations. En revanche, des études ont été effectuées, elles sont publiques, des analyses permettant, par exemple, de contredire le président Fauvergue qui vient d'indiquer que l'image des forces de l'ordre serait continuellement dégradée. Ce n'est pas le cas.
Les Français ont confiance dans la police et dans la gendarmerie ; 76 % d'entre eux se prononcent en faveur d'un soutien massif à nos forces de l'ordre, mais il s'agit d'un soutien exigeant, notamment en ce qui concerne l'ordre public ; c'est un sujet qui va nous préoccuper dans l'élaboration du schéma national, et sur lequel je reviendrai certainement.
La sécurité est le premier thème au cœur des préoccupations des Français. L'intérêt d'une commission d'enquête comme la vôtre est de réunir l'ensemble des parlementaires car s'il y a bien une chose contre laquelle, politiquement, je m'inscris en faux, c'est l'idée que la question de la sécurité appartiendrait à un camp politique ou un autre. Il s'agit du quotidien de tous les Français, et la sécurité, pour tout parlementaire ou ministre, est une priorité.
Il s'agit pour le Gouvernement d'une priorité absolue ; une priorité de la première minute, posée par le Président de la République. Les augmentations successives du budget du ministère de l'intérieur, que vous avez votées ces deux dernières années, atteignent le milliard d'euros, ce qui démontre l'importance donnée à la question sécuritaire.
Il suffit d'écouter le Premier ministre qui dans son discours de politique générale évoquait l'urgence qu'il y a à combattre les peurs – fondées – des Français en matière de sécurité. La feuille de route qui est la nôtre, avec Laurent Nuñez, est une feuille de route importante. D'ailleurs, je ne veux pas faire de différence entre l'insécurité et le sentiment d'insécurité. Quand les Français ont peur, la question n'est pas de savoir si les statistiques ont baissé ou pas. Ce sentiment d'insécurité doit être terrassé.
Cela signifie que nous devons combattre la menace terroriste, dont la propagande continue à respirer la mort ; nous l'avons vu récemment encore à Lyon, et s'il n'y a pas eu de morts, il y avait l'intention de tuer. Ce risque est permanent, le nombre de menaces qui ont été neutralisées par nos forces de sécurité le montre bien.
Assurer l'ordre républicain, c'est veiller à ce que la liberté de manifester, par exemple, puisse s'exprimer librement. Cela fait débat et le débat est parfaitement légitime, mais j'affirme comme une priorité la possibilité qu'elle s'exprime effectivement.
Assurer la sécurité du quotidien, c'est empêcher les violences gratuites, mais c'est aussi empêcher les vols et les cambriolages, combattre la drogue, les trafics, qui sont autant de plaies pour les familles, pour nos jeunes, pour nos quartiers, et qui déstructurent la société. La lutte contre le trafic de drogue est fondamentale pour l'équilibre de la société, car le risque est de perdre des quartiers entiers, des familles entières.
Tous ces enjeux impliquent d'importantes responsabilités. Il faut pour cela donner à nos forces les moyens d'agir et les accompagner dans leur travail.
La première responsabilité porte sur les moyens. Nous devons donner aux forces de l'ordre les moyens d'accomplir leur travail et de l'accomplir dignement. La deuxième responsabilité, est celle de la stratégie. Les moyens ne servent à rien si nous n'avons pas un cap et une stratégie clairs pour la sécurité des Français. Trop souvent, nous nous posons la question des moyens humains et pas forcément celle des moyens matériels qui doivent les accompagner. Trop souvent, nous empilons des structures sans forcément les moderniser. La stratégie est donc absolument essentielle.
Notre troisième responsabilité, c'est celle de l'humain. Le ministère de l'intérieur est d'abord et avant tout un ministère de femmes et d'hommes qui prennent des risques, qui acceptent de nombreuses contraintes pour nous venir en aide, nous défendre, nous protéger, nous sauver. La principale force de ce ministère n'est évidemment pas celle de l'incarnation par un ministre, mais celle de ces femmes et de ces hommes.
Ce sont ces trois responsabilités qui guident mon action et c'est autour d'elles que j'articulerai mon propos.
D'abord la question des moyens. Nous assistons, depuis le début de ce mandat à une montée en puissance importante des moyens du ministère. En 2019, elle a été de 575 millions d'euros, soit de 3,42 points. Celle de 2018 était forte aussi. Et si je prends la seule question de la sécurité, c'est une augmentation de 206 millions d'euros qui a eu lieu entre la loi de finances initiale (LFI) 2018 la LFI 2017, et une augmentation de 344 millions d'euros entre le budget voté en 2018 et le budget voté en 2019.
J'ajoute que cette croissance porte tant sur la police nationale, avec un budget de 7,3 milliards d'euros, que sur la gendarmerie, avec budget de 5,4 milliards d'euros. Il était nécessaire que nos forces puissent être régénérées.
Nous avons connu des choix politiques qui étaient ceux de la réduction forte des effectifs. À partir de 2015, il y a eu la volonté de reconstituer les forces. Quand nous avons pris nos fonctions, par rapport aux dix années de référence précédentes, nous étions à 3 682 postes en moins. Compte tenu de l'augmentation de la population, compte tenu de tendances que nous connaissons, nous voyons bien toute la difficulté que cela impliquait.
La première priorité de ce Gouvernement, sous l'autorité de mon prédécesseur, Gérard Collomb, a été d'engager un plan de recrutement de 10 000 nouveaux agents de police et gendarmes. C'est l'engagement de la mandature, un engagement que nous souhaitons tenir.
En 2018, 1 084 policiers ont été recrutés ainsi que 492 gendarmes ; 359 personnes ont été affectées au renseignement, et si nous ajoutons les 30 équivalents temps plein (ETP), créés dans les préfectures, et les 35 ETP dans la sécurité civile, ce sont bien 2 000 recrutements qui ont lieu en 2018. Je parle bien de recrutements supplémentaires, c'est-à-dire de créations nettes. En 2019, vous avez voté un budget qui permet le recrutement de 1 500 policiers et gendarmes ; ce recrutement est en cours.
Il faut évidemment aussi agir sur les équipements. En 2018, ce sont 230 millions d'euros qui ont été dévolus aux équipements de nos forces.
151 millions d'euros ont été consacrés à l'achat de 6 000 véhicules – 3 000 pour la police et 3 000 pour la gendarmerie. Ils ont été commandés. C'est le double, en nombre de véhicules, des moyens qui étaient prévus, par exemple, en 2012. Mais c'est aussi une trajectoire car si nous fonctionnons en one shot, c'est toute la dynamique du renouvellement des véhicules qui sont déjà trop anciens qui est cassée.
C'est aussi l'équipement numérique. Je pense, aux 9 400 caméras-piétons, qui assurent la protection, mais permettent aussi de faire de la prévention. Ce sont des outils quelquefois nécessaires à l'enquête mais aussi aux comportements de nos forces. Les 80 000 tablettes et smartphones Neo facilitent dans leur quotidien considérablement la tâche de nos collaborateurs, policiers et gendarmes.
L'immobilier est une attente extrêmement forte de la part de beaucoup de policiers et de gendarmes. Évidemment, nous voyons les choses les plus « pourries » qui existent, je n'ai pas peur du mot, mais il faut voir aussi les investissements qui ont été réalisés, au fil des années. Il demeure des attentes toujours très fortes. Ces attentes sont légitimes, je les comprends et je les partage.
J'étais, il y a deux jours, dans l'Aude, où nous sommes en train de réaliser un nouvel hôtel de police dans la préfecture ; 12 millions d'euros sont annoncés. J'ai visité le commissariat de Narbonne, c'est un million d'euros de travaux d'urgence qui seront réalisés dès le mois de septembre. C'était indispensable. Si ce que j'ai vu à Narbonne était encore acceptable, d'autres situations sont, elles, totalement inacceptables.
Nous avons lancé un programme d'investissement de 300 millions d'euros par an sur 2018 et 2019 ; c'est un chiffre qui n'a jamais été atteint, et qui est en cours de réalisation. Il n'y a pas de retard significatif, pas d'anomalies, en tout cas pas liées à de la régulation budgétaire ; il n'y a pas de volonté de jouer sur des retards pour gagner en trésorerie. Les projets immobiliers prennent simplement du temps.
Certains sont déjà sortis de terre, je pense à Annemasse, à Bourgoin-Jallieu à Saint-André de La Réunion, pour la police ; à Melun, Marseille, Chaumont, Dijon pour la gendarmerie. J'étais il y a deux jours à Vinassan, dans l'Aude, où j'ai inauguré une nouvelle gendarmerie réalisée grâce à ces montages sur lesquels les collectivités locales s'engagent fortement. Alors, est-ce que tout est réglé ? La réponse est non. Est-ce que 900 millions d'euros suffisent à répondre à la totalité des besoins ? La réponse est non.
Je ne suis pas en mesure de vous dire : voilà la dotation dont nous avons besoin – nous n'avons même pas de référence. Mais une chose est sûre, c'est qu'il nous faudra poursuivre en 2020, un plan d'investissement de haut niveau pour tenir cet objectif qui doit tous nous rassembler.
Ce sont des sujets très sensibles. Si les ministres sont engagés, les députés le sont aussi sur leur territoire, et quand vous constatez des dysfonctionnements, je sais que vous les faites remonter ; c'est une bonne chose.
Nous ne sommes pas dans un débat politique qui opposerait tel ou tel parti mais dans une réalité. La réalité, c'est que des choses avancent, que les moyens seront là, que nous pouvons régler dans l'urgence des situations totalement scandaleuses. Nous devons aussi lancer de nouveaux programmes mais nous faisons évoluer les choses. Les réparations structurantes avaient été abandonnées, d'où des dégradations importantes. Aujourd'hui, nous bâtissons du neuf mais nous les effectuons aussi.
La deuxième responsabilité qui est la mienne, c'est celle de fixer un cap.
D'abord, sur le terrorisme, le Gouvernement agit, personne ne peut dire le contraire. Il s'agit d'un sujet qui sera intégré dans le livre blanc. Il conviendra d'évaluer les outils en matière de renseignement, qui ont été votés notamment dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT).
La structuration doit monter en puissance en matière de moyens, humains et matériels. Cela est prévu dans notre plan de développement, d'ici à la fin du quinquennat : 1 900 fonctionnaires doivent être recrutés. Il n'y a pas de retard, mais une certaine difficulté à recruter au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les profils recherchés étant très particuliers. Nicolas Lerner pilote ce recrutement personnellement, et un travail est réalisé au niveau de la direction des ressources humaines (DRH) pour rendre attractif la DGSI.
S'agissant de l'ordre public, nous avons engagé une réflexion sur le schéma national d'ordre public. Nous vivons, depuis vingt ans, une évolution profonde. Nous nous souvenons tous du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), par exemple, à Strasbourg. Aux manifestations, se mêlent des individus violents, animés par le seul désir de semer le chaos, qui visent les forces de l'ordre, qui dégradent, qui incendient des bâtiments.
J'étais au péage de Narbonne, il y a deux jours, il est assez spectaculaire de voir 2 400 mètres carrés de locaux privés de Vinci ont été totalement détruits, ainsi qu'un bâtiment de gendarmerie, incendié et dont les grilles ont été arrachées. De véritables scènes de guerre.
Il s'agit de mouvements qui n'ont rien à voir avec ceux des Gilets jaunes ou avec les manifestations traditionnelles que nous connaissons. Il nous faut, après avoir géré la situation de ces derniers mois, réfléchir sur ce sujet. J'ai d'ailleurs proposé à la commission des lois de chacune des Assemblées de désigner un député pour siéger dans un groupe de réflexion. Les chefs de mon administration, à la gendarmerie, à la police et à la préfecture, ont présenté une contribution, mais j'ai souhaité que soit porté un regard extérieur qui associe le Parlement.
Nous avons voulu une évolution stratégique de court terme, que vous avez pu constater sur l'ordre public, avec des équipes plus mobiles, plus autonomes, plus réactives, avec l'urgence de stopper la violence, le plus vite possible.
Troisième point, la police de sécurité du quotidien, c'est-à-dire l'ambition de construire une police sur mesure, une police de terrain avec des moyens particuliers, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Quinze quartiers avaient été choisis, quinze autres devaient être lancés. J'ai souhaité porter l'effort à trente-deux pour l'année 2019. Cela se traduit systématiquement par des équipes de dix à trente policiers supplémentaires.
Je serai vendredi matin dans les quartiers de l'Ariane et des Moulins, à Nice, où sont affectés vingt policiers avec une organisation et des moyens spécifiques.
Il s'agit maintenant d'élaborer un livre blanc pour définir ce que doit être la sécurité du XXIe siècle. Il conviendra de répondre aux bonnes questions : quelles sont les menaces de demain et quels moyens devons-nous mettre en place pour les contrer ?
Ce ministère a une capacité de réaction face à l'urgence exceptionnelle. Les femmes et les hommes de ce ministère savent faire face avec courage, avec résilience, avec efficacité. Mais ce ministère a besoin aussi de se projeter. Les militaires ont cette capacité à se projeter dans le long terme et suivent une approche méthodologique assez différente. Le livre blanc doit nous permettre de nous projeter dans le moyen et le long terme. Je souhaite que nous puissions mener des consultations le plus largement possible, à commencer par celle des citoyens. C'est la raison pour laquelle seront organisées des réunions dans tous les commissariats et dans toutes les gendarmeries de France ; les parlementaires auront un rôle particulier à jouer dans cette animation de l'écoute. Je suis convaincu que votre rapport doit être une base de travail comme l'a été le rapport parlementaire sur le continuum de sécurité, la place des polices municipales et des sociétés de sécurité privées. Ce sont des outils indispensables pour avancer.
Ma troisième responsabilité, c'est celle de l'humain. Nous devons revoir les conditions de travail, et répondre enfin à des questions comme celle du temps de travail. Les négociations avec les partenaires sociaux ont eu lieu la semaine dernière, des validations ont été faites, qui doivent maintenant être approfondies avec le soutien ou des abstentions bienveillantes – je reprends le terme des partenaires sociaux.
La fidélisation des effectifs est un problème très important dans la police ; vous êtes des élus de terrain, vous le savez. Nous devons également aborder la question de l'attractivité de filières comme la police judiciaire (PJ). Cela fait partie des questionnements que j'ai mis dans la balance de l'accord salarial négocié le 19 décembre avec les partenaires sociaux pour les corps d'encadrement et d'application, avec une augmentation de salaire de 100 euros par mois au début de l'année prochaine. C'est une augmentation non négligeable, supérieure à celle proposée par les gouvernements précédents, mais qui implique que nous puissions travailler sur les questions de gestion des heures, de temps de travail et de fidélisation.
Les heures supplémentaires constituent une dette de l'État à ses collaborateurs. Il nous faut travailler avec eux pour apurer cette dette, mais aussi pour faire en sorte de ne pas en reconstituer le stock. Le cadre de dialogue que nous avons avec les partenaires sociaux sur ce sujet est plutôt de qualité.
Je ne reviendrai pas sur les procès faits à la police, ou au ministre au sujet des « violences policières ». Je nie l'un, je nie l'autre, et je nie aussi l'expression de « violences policières », qui donne le sentiment d'une violence organisée. J'assume le fait qu'il y ait eu des blessés lors des manifestations, manifestants, membres des forces de l'ordre, commerçants et même journalistes mais j'affirme que ce n'est pas un système organisé et que nos policiers et nos gendarmes méritent mieux que ce type de procès.
Cependant, quand il y a des fautes, elles doivent être sanctionnées après avoir été démontrées, et il n'appartient à personne d'autre qu'aux autorités judiciaires de se prononcer sur ce sujet. Ce n'est ni aux commentateurs, ni aux internautes et encore moins au ministre de décider ce qui relève du judiciaire.
Défendre nos policiers et nos gendarmes, c'est agir contre un mal profond, celui du suicide dans nos effectifs. C'est un métier extrêmement difficile, un métier de tension, où les horaires de travail sont extrêmement compliqués et pas toujours compatibles avec la vie privée. De fait, mille raisons peuvent pousser à cet acte insupportable.
Dès les premiers cas de suicide, un policier m'a dit, comme il est de tradition de répondre au ministre de l'intérieur : « Il s'est suicidé pour des problèmes personnels, cela n'avait rien à voir avec le service ». Je n'accepte pas cette réponse. Chacun sait qu'il faut un facteur déclenchant pour passer à l'acte, mais que les causes sont toujours multiples : le travail, les conditions de travail, les horaires de travail, les temps de repos, la pression, le fait qu'il s'agisse d'un univers d'hommes un peu macho, où on n'assume pas une faiblesse… Tout cela contribue au passage à l'acte. Le nombre de suicides est absolument insupportable ; j'ai donc posé ce sujet comme un combat qui doit tous nous mobiliser.
Un plan d'action a été mis en œuvre. Si des mesures ont été prises, c'est surtout une mobilisation générale que je souhaite, une mobilisation de tous les jours, avec une équipe dédiée, qui fera le tour de France pour y travailler.
Nos forces sont éprouvées, mais elles sont courageuses, professionnelles et déterminées et je veux saluer leur engagement. Personne au ministère n'économisera ses efforts pour elles, comme pour la sécurité de tous les Français. Nous sommes dans un dispositif où la faiblesse de nos forces, c'est la faiblesse de la République ; une République qui serait alors menacée.
Monsieur le ministre, dans le cadre du livre blanc et avant la loi de programmation pluriannuelle est-il envisagé une réforme des forces de sécurité intérieure ?
Avons-nous tiré un enseignement du rattachement de la gendarmerie nationale à votre ministère depuis 2009 et allons-nous transformer l'outil police-gendarmerie afin d'éviter les doublons, coûteux en effectifs, en budget et en énergie ? Allons-nous, par exemple, avant de programmer de nouveaux moyens, unifier le domaine très morcelé de la police technique et scientifique (PTS), comme le demande la Cour des comptes ? Allons-nous créer un commandement commun aux unités spécialisées d'intervention ? Allons-nous créer des directions métiers, rassemblant policiers et gendarmes dans des domaines de compétences identiques ? Je pense à l'investigation, au maintien de l'ordre (MO), et je rappelle que cela existe déjà dans certains domaines, notamment avec la direction centrale de la coopération internationale (DCCI). Il n'est bien évidemment pas question de parler de fusion.
Enfin, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la transformation des services de la préfecture de police (PP) dans les domaines judiciaire, du renseignement et de la lutte contre l'immigration illégale ?
Le livre blanc, c'est avant tout une méthode qui doit nous permettre de réfléchir aux enjeux de sécurité – et donc aux menaces. Je ne poserai pas d'affirmation avant la mise en œuvre de la consultation. Nous traduirons ensuite ce livre blanc de façon législative, réglementaire, opérationnelle. Il faudra certainement une loi de sécurité intérieure, mais d'autres initiatives seront peut-être nécessaires. L'enjeu, en effet, n'est pas d'adopter une grande loi, et encore moins une loi qui porterait mon nom. Le livre blanc doit être une méthode nous permettant d'associer tout le monde à une réflexion ambitieuse sur nos organisations, nos processus de travail, nos moyens et nos capacités d'anticipation et de gestion des crises complexes.
Concernant le rattachement, il y a dix ans, de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, je suis convaincu qu'il a permis une vision de la question de la sécurité à 360 degrés. S'il y a parfois des tensions, ce qui prévaut est la complémentarité et il ne me paraît pas nécessaire de fusionner les deux forces – ce n'était d'ailleurs pas votre question.
Sous l'autorité des préfets, il y a des services communs, des plans d'interaction et des interopérabilités qui se développent – je pense au maintien de l'ordre, aux renforts croisés, au schéma national d'intervention. Dans les arbitrages que j'ai rendus ces dernières semaines, deux sont particulièrement importants. Le premier concerne la mise en place d'une direction numérique du ministère. En effet, le ministère comptait douze structures différentes qui pilotaient douze programmes numériques, et pas toujours avec la meilleure efficience. Cette restructuration représente des centaines de millions d'euros pour certaines directions, et des centaines d'emplois. Le second arbitrage concerne la mise en place d'une direction centrale des achats.
Par ailleurs, je présenterai dans quelques jours, au Président de la République et au Premier ministre, une refonte en profondeur de la lutte contre les stupéfiants pour s'appuyer sur la totalité des forces du ministère de l'intérieur, mais également sur la direction générale des douanes et droits indirects et sur l'armée.
Concernant la police technique et scientifique, son importance n'échappe à personne, l'évolution des enquêtes judiciaires voulant qu'elles s'appuient de plus en plus sur la PTS. Nous devons faire face à l'augmentation des sollicitations, la PTS étant mobilisée sur toutes les enquêtes sensibles ; de ce fait, la demande d'actes ne peut que progresser. Par ailleurs, les outils utilisés par les délinquants appellent une meilleure technicisation de nos services.
Nous ne sommes pas en sous-capacité, nous subissons des désorganisations. La fusion du service central de la PTS et de l'Institut national de police scientifique a été réalisée, et une feuille de route ministérielle a été élaborée afin de rationaliser les plateaux, de coordonner et d'adopter des méthodes scientifiques communes, d'organiser des outils opérationnels et des convergences plus fortes. L'interopérabilité est indispensable. Le ministre doit peser systématiquement sur ce sujet. Cependant, je préfère l'interopérabilité plutôt que la fusion des forces d'intervention. Notre culture, nos méthodes impliquent de progresser, mais pas de rompre.
Vous avez cité l'exemple de la DCCI, mais il s'agit par nature d'une direction qui n'est pas territorialisée. Il est donc plus facile de placer sous une seule autorité des policiers et des gendarmes, car ils ne sont pas sur un territoire de compétence. Ils sont mobilisés au Sénégal ou au Sahel, par exemple, auprès des forces armées.
Enfin, vous m'avez posé une question sur la préfecture de police. Lorsque j'ai installé le nouveau préfet de police, je lui ai confié une feuille de route pour qu'il me présente un certain nombre de préconisations visant à réorganiser la préfecture de police de Paris et à la rapprocher d'autres services. Mon objectif n'est pas de chercher à casser la préfecture de police et sa spécificité qui est nécessaire. Cependant, des synergies peuvent être opérées. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au préfet de police de me présenter des propositions, à la mi-juillet, que nous intégrerons à la discussion sur le livre blanc et la préparation de la LOPSI.
Vous avez indiqué avoir visité des lieux « pourris » ; nous en avons également visités quelques-uns, mais aussi des bâtiments récents et en bon état. À une certaine période, les investissements nécessaires dans l'immobilier de la gendarmerie n'ont pas été effectués. Si, le budget immobilier de la gendarmerie 2017-2018 atteint 105 millions d'euros, il était de 400 millions d'euros en 2009 et de 35 millions d'euros en 2014. Le retard est donc très important.
Nous allons présenter des propositions visant à améliorer le quotidien des gendarmes et des policiers. Votre ministère pourra-t-il dégager des crédits supplémentaires pour investir ? Je pense en particulier à l'immobilier pour lequel 50 millions d'euros pour les policiers et 50 millions d'euros pour la gendarmerie seraient le minimum annuel supplémentaire nécessaire jusqu'en 2022.
La centralisation des achats permet de réaliser des économies à grande échelle. Il est néanmoins important de maintenir des budgets, et donc une certaine latitude, au niveau des territoires. Les forces de sécurité sont des acteurs économiques dans les départements. La centralisation du budget est pénalisante pour les commissariats, les délais d'attente sont importants et les acteurs économiques locaux ne travaillent plus avec eux.
Enfin, allez-vous vous engager à défendre le statut de militaire des gendarmes, dans la future réforme des retraites ? Ce statut est extrêmement important, nous avons pu le constater lors de ces derniers mois.
Oui, les gendarmes garderont leur statut de militaire, car il s'agit d'un métier particulier. Je m'engage à défendre la question de la durée de l'engagement et celle du cumul d'activités.
Concernant l'immobilier, il faut se méfier des comparaisons d'une année à l'autre. À la fin des années 2000, par exemple, la construction du siège de la gendarmerie a mobilisé des centaines de millions d'euros. Notre objectif est de poursuivre l'effort de 2018 jusqu'en 2020, et d'entrer en discussion pour préparer les trois années suivantes. Vous connaissez la difficulté de l'exercice budgétaire entre les ministres consommateurs et le ministre du budget qui doit veiller aux équilibres – équilibre demandé également par les parlementaires. Votre question semble donner une orientation que je partage. De nombreux retards ont été pris, mais 105 millions d'euros sont consacrés à la rénovation des logements jusqu'en 2022 ; en 2019, ce sont 4 000 logements rénovés.
La centrale d'achat, vous avez raison, peut avoir comme conséquence que tout soit décidé à Paris sans correspondre aux besoins territoriaux ; c'est une évidence. Il convient donc de déconcentrer des budgets et pour la première fois depuis 2018, 45 millions d'euros de crédits ont été alloués aux chefs locaux de la police. Nous avons un système assez proche pour la gendarmerie nationale, avec une déconcentration de moyens de maintenance. Refaire la peinture d'un commissariat, par exemple, change l'ambiance. Une adaptabilité sur les territoires est donc indispensable en même temps qu'une approche centralisée des commandes dans l'objectif de faire des économies en volumes d'achat et en moyens de personnel.
La gendarmerie nationale peut être le modèle, car elle est à la fois hypercentralisée et hyperdéconcentrée. En effet, une information essentielle remonte obligatoirement au directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). La plupart des gendarmes ont le numéro de téléphone du DGGN mais chaque brigade est responsable localement.
La PSQ a pour vocation de faire du sur-mesure. J'aime à dire qu'il manque, en bas de la circulaire, une note que je pourrais écrire comme suit : « voici les objectifs, démerdez-vous ». J'assume la provocation de ce mot. Beauvau doit définir les orientations, mais personne ne maîtrise mieux la mise en œuvre opérationnelle que celui qui est tous les soirs confronté à la réalité sur son territoire.
Monsieur le ministre, je partage votre analyse, les raisons d'un suicide sont complexes, et il convient de tenir compte également des conditions de travail des policiers. Une cellule psychologique de veille a été créée, pouvez-vous nous en présenter le bilan ?
Concernant la police de proximité, j'ai été intéressé par la proposition de votre prédécesseur visant à créer des brigades de sécurité au quotidien ; comptez-vous les renforcer – 90 % des Français y sont favorables, face au nombre d'incivilités et de délits ? Comptez-vous par ailleurs y associer davantage la police municipale, sous forme de convention ? Et peut-être en augmentant, pour les communes qui le souhaitent, le nombre de policiers municipaux.
Ma seconde question concerne la formation et les heures supplémentaires. Avec 21 millions d'heures supplémentaires, il est légitime de se demander si elles ne s'expliquent pas par un déficit de postes budgétaires dans les commissariats.
Enfin, les policiers se disent fiers de remplir leur mission – et nous savons qu'ils exercent un métier très exigeant – et il est tout à l'honneur de la République de bénéficier de policiers bien formés. Cependant, ne pouvons-nous pas renforcer la formation continue, non seulement aux exigences actuelles, mais également en vue de la création de la police du futur ?
Concernant les suicides, la cellule psychologique existait déjà et des gens formidables travaillent sur cette question.
Le dispositif que j'ai créé n'a pas vocation à répondre 24 heures sur 24 aux appels. Il a pour mission d'animer la réflexion partout, dans tous les services, les commissariats, les gendarmeries ; je souhaite que la discussion soit ouverte, que tous soient attentifs à de petits indices : un collègue qui ne vient plus aux festivités alors qu'il y venait tout le temps est un indice de mal-être. Un suicide est un drame pour la famille et les proches, mais également pour les collègues de travail.
J'ai demandé que soient mis en place de nouveaux outils : une ligne téléphonique disponible jour et nuit pour celui qui a besoin de parler ; un renforcement des campagnes de formation et de sensibilisation sur le terrain ; la libération des signalements en responsabilisant le commandement sur ce sujet. Je souhaite une mobilisation générale et, surtout, je voudrais dire et répéter aux agents, qu'il n'y a aucune honte à avoir un moment de faiblesse. Ce n'est jamais une faute. Un agent a le droit d'avoir peur et de se sentir fragile.
Concernant les renforts, je citerai quelques chiffres : 1 300 renforts dans la police nationale et 500 dans les zones de gendarmerie. Mais les renforts, ce ne sont pas uniquement des moyens humains, c'est également une méthode de travail. Les conventions que vous évoquées sont essentielles ; j'ai signé quatre conventions à Narbonne avant-hier. Une avec l'hôpital public et la principale clinique privée ; une avec l'éducation nationale ; une autre avec une commune, sur la mise en place de dispositifs d'accompagnement en lien avec la police municipale ; et une dernière sur la sécurité dans les transports, avec la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et la Surveillance générale (SUGE).
Il s'agit d'organiser un dialogue horizontal. Le choix des trente-deux quartiers de reconquête républicaine supplémentaires ne s'est pas fait en fonction des statistiques de la délinquance, mais en fonction de la capacité des acteurs locaux à se mobiliser – éducation nationale, action sociale, associations citoyennes, sportives, culturelles… De sorte, que je ne suis pas certain d'avoir choisi les trente-deux quartiers où la délinquance est la plus forte.
Enfin, la formation continue doit faire l'objet d'une réflexion permanente. En 2017 a été créé le centre national de formation de Dijon, au sein de la gendarmerie nationale qui est dédié à la formation continue des sous-officiers. La même année, nous avons créé une direction centrale de la formation dans la police nationale. L'une et l'autre ont pour fonction de présenter des offres de formation continue, pour compléter la formation initiale qui est plutôt de bon niveau – dans la police comme dans la gendarmerie.
Cependant, les premiers qui refusent de suivre une formation sont les agents eux-mêmes, au motif notamment qu'ils ont déjà effectué un grand nombre d'heures supplémentaires et qu'ils craignent de fragiliser le service en s'absentant. Quand nous serons capables de traiter la question du temps de travail parallèlement à la question des heures supplémentaires, nous serons plus performants sur la formation continue.
Concernant les moyens, quand ils sont bien choisis et répartis entre Paris et les territoires, ils permettent de faciliter la méthode et de travailler de manière transversale.
S'agissant de la doctrine, vous avez indiqué qu'il était nécessaire de travailler sur la manière d'intervenir – en opérant des comparaisons avec les autres pays européens. Vous aviez proposé de mettre en place un groupe de travail ouvert à l'opposition et nous souhaitons y contribuer. Avez-vous avancé sur le mode opérationnel d'intervention ? Serons-nous associés à ce groupe de travail ?
Enfin, concernant les moyens et la formation, l'expérience des CRS pourraient enrichir la formation des policiers des compagnies républicaines des autres corps de la police qui doivent aujourd'hui intervenir en maintien de l'ordre. Sachant que, par ailleurs, dans les CRS, il manque 1 000 postes. Au Mans, des policiers avaient des difficultés à faire face à des manifestants hyperviolents.
Je vous avais interrogé lors d'une question d'actualité sur la décision qui avait été prise de regrouper des commissariats de plein exercice dans le sud de la Seine-et-Marne en un seul commissariat d'agglomérations. Cette décision prise a-t-elle vocation à être élargie à l'ensemble du territoire, sachant qu'elle a créé beaucoup d'émotion sur place ? Dans quelle mesure cela vous semble compatible avec l'impératif que nous partageons tous de la PSQ ?
La garde des Sceaux a fait part de son intention de fixer la majorité pénale à 13 ans. La quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées nous ont expliqué l'aggravation de la violence des mineurs – plus tôt, plus jeunes, plus violents – et indiqué qu'il y avait besoin d'un renforcement de cette ordonnance. Si cette décision va jusqu'à son terme, quelles en seront les conséquences en termes de doctrine, de moyen et d'organisation de nos forces ?
M. Pueyo, si je suis capable de vous dire quelle est l'allocation moyenne des effectifs, je ne puis vous dire comment ils ont été calculés. C'est la raison pour laquelle, je souhaiterais profiter des discussions en cours pour clarifier la question des allocations des effectifs et pour prendre en compte les évolutions de populations. C'est une opération compliquée car si nous savons toujours faire « du plus », nous ne savons pas faire « du moins », or certains territoires évoluent aussi dans ce sens-là.
Madame Karamanli, je voudrais vous provoquer un peu. Certains moyens relèvent de l'intelligence artificielle. Ils peuvent permettre à nos forces de gagner du temps et de bénéficier de meilleures conditions de travail. Je pense aux personnes qui ont passé des heures et des heures à visionner des bandes vidéo à la suite de l'attentat à Lyon. Il existe des outils qui auraient peut-être permis de repérer l'auteur présumé, vingt minutes après l'attentat. Je lance ainsi le débat. Je me suis moi-même beaucoup interrogé sur ce sujet lorsque j'étais parlementaire. Nous ne pouvons pas négliger les moyens ouverts par l'intelligence artificielle, même si, bien entendu, nous devons fournir toutes les garanties de sécurité dans son exploitation.
Les caméras-piétons ont été développées au moment du débat sur le récépissé du contrôle d'identité ; il s'agissait d'une façon de contourner le débat. Or, aujourd'hui, chaque policier que je rencontre et qui en est équipé me dit que c'est formidable parce que cela crée du respect. Je rappelle que les policiers n'ont pas accès aux boîtiers, qui sont sécurisés. Il ne faut donc pas avoir peur de ces nouveaux outils.
S'agissant de la doctrine du maintien de l'ordre, nous avons organisé une journée de travail lundi, avec un certain nombre de personnalités, et j'ai demandé aux présidents de la commission des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat de désigner chacun un parlementaire pour participer à ce débat. Je vous propose, le moment venu, de venir présenter le dispositif devant la commission des lois.
Concernant le déficit de 1 000 CRS, sachez que parmi les 12 000 emplois supprimés dans la police, 2 000 concernaient les CRS. Nos forces de maintien de l'ordre, qui ont été diminuées en nombre ne peuvent plus forcément apporter la bonne réponse. Nous avons vu ces derniers mois que nous pouvions avoir à gérer l'ordre public sur un territoire très éclaté, avec beaucoup plus de mobilités. De fait, sont mises en avant, sur le terrain, des forces qui sont ni formés, ni équipés pour le maintien de l'ordre. L'équipement devra donc faire partie de notre réflexion – les policiers du Mans n'étaient pas, par exemple, équipés pour faire de l'ordre public. Nous avons tous vu des policiers qui ont été obligés d'aller acheter des casques de ski pour, courageusement, faire de l'ordre public. Ce n'est pas normal.
Monsieur Thiérot, non, il n'y a pas de fermeture de commissariat. Il peut y avoir des mutualisations d'emplois mais l'objectif n'est pas de fermer des commissariats, notamment sur le site que nous avons évoqué. Ces mutualisations doivent nous permettre de dégager des moyens pour aller sur le terrain. Dans les Yvelines, par exemple, nous venons de renforcer le commissariat d'Élancourt, mais nous n'allons pas fermer celui de Trappes. Je ne dis pas que certains ne devraient pas être fermés, mais ce ne sera pas le cas.
S'agissant de votre question relative à l'irresponsabilité pénale, elle concerne davantage la ministre de la justice. Attention, cependant : ce n'est pas ce qu'elle a indiqué ; elle a corrigé d'ailleurs les interprétations dans une interview publiée par le journal La Croix. Aujourd'hui, les magistrats agissent au cas par cas. S'ils jugent qu'un mineur a une capacité de discernement suffisante, il peut être déclaré coupable. S'il a moins de 13 ans, le juge ne peut prononcer que des mesures éducatives, le mineur est présumé irresponsable et il est pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).
La réforme envisagée par la garde des Sceaux – mais elle sera soumise à discussion et le Parlement aura à ratifier l'ordonnance – est la suivante : en dessous de 13 ans, même si le mineur est présumé immature, rien n'empêche le magistrat d'établir le discernement. Ce n'est pas une irresponsabilité des mineurs de moins de 13 ans. J'aurais eu la même inquiétude sur l'automaticité de la décision.
Tous les fonctionnaires que nous avons auditionnés ont un sentiment fort d'appartenance à leur corps ; ils ont une fierté, une abnégation. Ce sont des personnes très volontaires, touchées par les événements qui se déroulent tous les samedis, des personnes formidables, mais fatiguées et usées. Vous avez évoqué le malaise dans les forces de l'ordre et le taux de suicide, il est urgent que nous revenions à une situation normale.
Vous avez cité des chiffres – 300 millions d'euros supplémentaires par an d'investissements – et annoncé la restauration de commissariats ; je voudrais pour ma part revenir sur les petits équipements. Vous l'avez indiqué, certains sont allés acheter des casques de ski, d'autres n'avaient pas de gilet pare-balles. Lorsque j'étais maire d'une petite commune, j'ai dû fournir des gilets fluorescents aux policiers nationaux et fournir un chien pour que les policiers puissent lutter contre le trafic de stupéfiants dans ma petite commune, car il n'y avait qu'un chien pour tout le département de Vaucluse.
Ce sont des exemples concrets pour vous dire que s'il est important de rénover les commissariats, un plan est aussi important pour qu'ils possèdent les équipements de terrain indispensables. Nos policiers ont besoin d'équipements pour, outre les événements du samedi que nous vivons depuis des mois, travailler au quotidien.
Il n'est pas normal qu'un maire soit « obligé » de prévoir une équipe de police municipale le dimanche pour venir en appui à l'équipe du commissariat qui ne compte que trois personnes – une qui reste au commissariat et deux qui patrouillent en voiture. Si ces deux personnes rencontrent une difficulté, il n'y a plus de force de l'ordre dans la rue.
J'aimerais savoir, justement, comment ne pas faire en sorte que les forces de l'ordre soient une variable d'ajustement. Comment inscrire leurs besoins dans une continuité, car c'est bien de présence policière que les Français ont besoin pour leur sécurité ?
Le territoire français va bien au-delà de l'espace continental et les départements et régions d'outre-mer (DROM) ont également connu des moments particulièrement violents ; je pense à La Réunion et à Mayotte.
Dans le cadre du livre blanc, avez-vous imaginé la projection des forces de sécurité outre-mer, car souvent, elles n'interviennent que quelques jours après le moment le plus fort de la crise car elles doivent être aéroportées.
Par ailleurs, comment, dans votre ministère, qui est un peu à la traîne sur ce sujet, mieux appliquer ce qu'on appelle le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) pour que les fonctionnaires ultramarins puissent, à un moment de leur carrière, rejoindre leur territoire d'origine ? En effet, et la question des suicides est au cœur de ce sujet, de trop nombreux fonctionnaires ultramarins font la totalité de leur carrière hors de leur île.
Troisième question, la transformation des villes-police et des villes-gendarmerie n'est pas complète en outre-mer, puisque nous avons des villes de plus de 100 000 habitants, notamment à La Réunion, qui sont encore des villes-gendarmerie, avec des moyens de forces de police. Enfin, les îles possèdent des ports très importants, notamment celui de la Pointe des Galets à La Réunion, dont le trafic avec Madagascar et l'île Maurice est dense. En outre, des bateaux arrivent aujourd'hui, des Comores et du Sri-Lanka. Or, nous n'avons pas de police aux frontières dans les ports. À chaque fois qu'un bateau arrive, c'est la police de l'air qui est obligée de venir de l'aéroport. Le port n'est pas du tout étanche, créant évidemment beaucoup d'incidents. Je rappelle que le port de la Pointe des Galets est le quatrième port français de l'espace continental et outre-mer.
Quand je parle de sécurité, je parle évidemment de toute la France, l'outre-mer y compris, même si les dispositifs mis en place sont spécifiques. Dans le plan de recrutement de la gendarmerie, 355 postes sont prévus pour l'outre-mer.
Non seulement nous réfléchissons à la projection de forces de sécurité en outre-mer, mais nous agissons. Sur 109 escadrons de gendarmerie, 21 sont déployés en permanence dans les DROM – ramené à la population, il s'agit d'un engagement fort. Il est important que nous puissions maintenir cet effort et intégrer les spécificités réelles, notamment la question migratoire.
La question migratoire est traitée. Vous avez évoqué les deux bateaux srilankais qui sont arrivés à La Réunion ; un autre est arrivé récemment à Mayotte. Nous avons déclenché une polémique sur le prix que nous avons payé pour organiser le retour de ces personnes mais cela était indispensable. Les treize personnes qui sont arrivées à Mayotte ont demandé un statut de réfugié, or une seule d'entre elles l'a obtenu. Les autres ont été renvoyées au Sri Lanka, ce qui était absolument nécessaire pour ne pas qu'une filière s'organise. À La Réunion, un début de filière a commencé à s'organiser, sur laquelle les services travaillent actuellement.
S'agissant des CIMM pour 2019, nous travaillons actuellement sur le sujet. Cela dépend aussi des fonctions et des grades pour lesquels se présentent les candidats, mais bien entendu nous prenons en compte les CIMM. Votre question est un moyen de pression que je prends comme tel, et positivement.
En revanche, j'ai été interrogé, pendant les auditions du printemps de l'évaluation, sur l'absence de commissaire martiniquais, en Martinique, indiquant qu'il n'y avait que des commissaires africains. J'ai dénoncé ces propos, nous n'avons que des commissaires français.
Concernant les remarques de Jean-Claude Bouchet, je sais qu'elles correspondent à des réalités, même si ce n'est pas la règle. Nos policiers sont équipés, nos gendarmes sont équipés. L'achat des casques de ski est une situation exceptionnelle, due à la tenue de 50 000 manifestations ces derniers mois sur tout le territoire. C'était une situation inédite et c'est une priorité pour moi de prévoir, avec les recrutements, les petits équipements.
En 2015 et 2016, le budget lié aux équipements des policiers et des gendarmes n'a pas été prévu en parallèle des recrutements. En revanche, dans le budget 2019, que vous avez voté, ou pas, 26 millions d'euros sont prévus pour les équipements de base des policiers et des gendarmes, que nous avons recrutés – ce que nous appelons le sac à dos.
Vous avez indiqué, d'une façon un peu provocatrice, je le sais, que les forces de l'ordre étaient une variable d'ajustement pour les gouvernements. Ce n'est pas le cas, surtout quand le budget augmente d'un milliard d'euros sur deux ans. Mais il s'agit bien de l'enjeu de la loi d'orientation pour la sécurité intérieure (LOPSI), de la capacité à se projeter, en stratégie et en moyens. Je compte sur vous pour adopter des moyens raisonnables, nous sommes dans un contexte budgétaire contraint, mais ambitieux.
Vous avez raison d'évoquer la fierté d'appartenance des policiers et des gendarmes à leur corps. Nous le vivons en tant qu'élu de terrain, et je suis un élu d'une circonscription plus élevée globalement que le Vaucluse – la devise de Forcalquier, c'est « plus haut que les Alpes » !
Plus sérieusement, nous connaissons la fierté de ces femmes et de ces hommes, mais nous savons aussi que face à l'épuisement et l'incompréhension, ils peuvent être désabusés, se désengager avec pour conséquence une perte d'efficacité en matière de sécurité.
Vous avez en particulier mis l'accent sur l'efficience de l'interopérabilité entre la gendarmerie et la police, qui s'appuie sur une complémentarité institutionnelle, mais également territoriale. Ma question concerne l'élargissement de cette interopérabilité avec d'autres partenaires, en particulier en matière de mobilité. Je pense notamment au code de la sécurité intérieure et au code des transports qui permettent l'interconnexion des réseaux de vidéoprotection urbains avec ceux des gares SNCF, pour des opérations de surveillance purement ponctuelles ou en cas de risques imminents. Sachant, et vous l'avez rappelé, que cela fait l'objet de conventions particulières très encadrées.
Dans le prolongement des travaux de l'excellent rapport de notre collègue président Fauvergue et de la collègue Thourot sur un continuum de sécurité, pensez-vous envisageable d'autoriser un déport permanent de ces images issues de la vidéosurveillance sur les emprises des gares SNCF vers les centres urbains de supervision ? Cela donnerait une vision beaucoup plus globale permettant d'assurer ce continuum, indispensable en matière de surveillance du domaine public.
Monsieur le ministre, je commencerai par évoquer un point positif, il conviendra donc de le savourer pour ce qu'il est. Nous nous voyons le 24 juillet prochain, dans le cadre du rapport que j'ai rendu avec Jacques Maire, sur la lutte contre la délinquance financière. Parmi les missions des forces de sécurité, celui de la délinquance financière est un oublié récurrent, alors que des moyens devraient lui être alloués.
Je pendrai l'exemple de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), dont les effectifs sont à nouveau de 90 ETP comme lors de sa création en 2013, et ceux du parquet national financier (PNF). Il n'est pas satisfaisant de n'employer que 90 personnes, dont 43 à la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), pour aller chercher les 80 à 100 milliards d'euros de fraudes fiscales. Je sais que vous n'êtes pas d'accord sur ce montant qui est une estimation syndicale, mais même si nous coupons la poire en deux, 40 personnes pour 40 milliards d'euros, cela est nettement insuffisant. L'actualité récente en la matière montre que les délais d'enquête sont loin d'être satisfaisants.
Qu'avez-vous prévu de mettre en œuvre en matière de lutte contre la délinquance financière – en bas comme en haut du spectre ?
Je croyais que la plateforme pour traitement harmonisé des enquêtes et des signalements e-escroqueries (THESEE) était en cours d'expérimentation. Je ne la trouve pas sur internet ; quand sera-t-elle opérationnelle ?
Le service ministériel des achats (SMA) regroupera les fonctions du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) dans un plus gros « machin » du ministère de l'intérieur ; je dis « machin », car il existe déjà des fonctions supports. Rappelons que le ministère de l'intérieur, ce n'est pas que la police nationale, la gendarmerie nationale et la sécurité civile, mais aussi le réseau des préfectures – auparavant la direction générale des collectivités locales (DGCL).
L'objectif annoncé pour 2019-2021 est de réaliser 40 millions d'euros d'économies en trois ans, sur le programme 176 relatif aux dépenses de fonctionnement. Or, aujourd'hui il n'y a pas de certitude d'obtenir les 10 % des dernières dotations de ce programme – les dotations se faisant en trois phases, 25 %, 90 % et 100 %. Des discussions budgétaires sont en cours et si l'administration centrale libérait trop tard cet argent, l'exécution des crédits serait compliquée.
Cela ne saurait masquer qu'en 2018, pour une fois, il y a eu plus de reports de charges que d'habitude. Je pense que l'on a été plus sincère sur des factures 2018 qui n'ont pas été payées en début de l'année 2019 mais si les crédits de paiement ne sont pas mis en face, vous ne faites que reporter le problème. Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel est à peu près du même avis que moi.
Il serait peut-être opportun d'apporter des réponses sur les moyens concrets de payer nos factures au sein du ministère de l'intérieur et donc de pouvoir équiper nos forces de sécurité. Car si nous n'avons pas d'argent pour payer, nous pouvons discuter de tout ce que nous voulons ici, les bonnes volontés des uns et des autres se fracasseront sur les euros disponibles en caisse à la direction générale des finances publiques (DGFIP) et dans les directions régionales des finances publiques (DRFIP).
Il y a un problème, qui sera peut-être réglé par un prochain collectif budgétaire. Des opérations de fongibilité, asymétriques – mais cela, c'est la loi qui l'impose – sont actuellement en cours pour renforcer le titre 2, à la suite des annonces faites au milieu de la mobilisation des Gilets jaunes pour renforcer le régime indemnitaire d'un certain nombre de policiers. Or, j'ai l'impression que cela n'a pas été ajusté pour le budget 2019 et qu'il ne faudrait pas que cela dure.
S'agissant du maintien de l'ordre, vous organisez un séminaire ou un colloque. Je m'interroge sur l'ouverture dont vous faites preuve en demandant aux présidents de chacune des commissions des lois d'y nommer un parlementaire. Je crois que le président du Sénat a refusé et que le président de cette même commission d'enquête sera chargé de représenter l'Assemblée nationale. En termes de pluralisme, nous aurions pu espérer mieux. Nous mènerons nos réflexions de notre côté.
C'est vous qui avez abordé le sujet tout comme celui des violences policières, qui n'ont aucun lien avec les moyens des forces de l'ordre ; Mais cela vous regarde si vous pensez qu'elles n'ont pas eu lieu.
Concernant les moyens qui seront alloués à la lutte en matière de stupéfiants, un arbitrage est attendu sur la nomination d'un magistrat à la tête de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Je rappelle qu'un magistrat est à la tête du service national de douane judiciaire (SNDJ) ce qui a restauré la confiance envers l'autorité judiciaire. Quelle est votre position sur cette question, sachant qu'un parquet et un ministère public plus investis sur le sujet renforceraient la lutte en matière de stupéfiants ?
Où en sont les moyens du Lab'PSQ ? Nous n'en entendons plus parler.
Concernant les caméras-piétons et la vidéosurveillance, avez-vous lu l'excellent livre de Laurent Mucchielli, sociologue qui démontre, à bien des égards, que ce n'est pas la panacée ?
Enfin, pensez-vous, en termes de moyens, qu'il serait bon d'envoyer à nouveau les CRS surveiller nos plages ? Cette mission permettait aux CRS de se rapprocher de la population et de sortir du maintien de l'ordre – une mission conflictuelle ?
Je vous remercie, monsieur le député, pour cette revue de détails, dont certains n'entrent pas dans le champ de notre commission. Monsieur le ministre, vous êtes libre de ne répondre qu'aux questions qui nous intéressent aujourd'hui.
Je pourrais effectivement ne répondre qu'à certaines de vos questions, d'autant que je suis, non pas comptable, mais ministre de l'intérieur. En revanche, il y a un secrétaire général du ministère, qui a réuni, hier, les gendarmes et les policiers sur la question de la délégation de crédits aux services déconcentrés et aux responsables locaux. Aucune difficulté n'a été relevée sur cette question. Nous ferons un point d'ici au 14 juillet pour que les choses restent dans cet esprit.
Monsieur Bernalicis, la mise en cause permanente des forces de sécurité et les accusations de violences policières contribuent à une certaine démobilisation des membres des forces de l'ordre, alors qu'ils sont sollicités tous les samedis depuis des mois ; c'est la raison pour laquelle j'en ai parlé.
La plateforme THESEE est un outil qui monte en puissance. Il est dédié à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), c'est la raison pour laquelle vous n'y avez pas accès.
Concernant le SMA, l'objectif est de valoriser davantage le travail des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) qui ont un savoir-faire et sont proches du terrain. Il n'est pas question que le SMA annihile le travail des SGAMI.
S'agissant de la lutte contre la délinquance financière, nous aurons l'occasion d'en parler quand nous nous verrons pour débattre sur ce sujet. Je vous dirai simplement que nous venons de créer une sous-direction de la criminalité financière au sein de la DCPJ pour y consacrer plus de moyens. Un effort doit être fait en matière de recrutement d'enquêteurs financiers, y compris d'ailleurs dans les services territoriaux. Cela fait partie de la feuille de route que j'ai fixée au DCPJ.
Quant au Lab'PSQ, qui est un outil d'évaluation et d'échanges de bonnes pratiques, il a été installé il y a environ deux mois. Un travail a été réalisé avec l'université de Savoie, qui a été présenté lors de son installation. L'objectif est qu'il puisse s'appuyer sur des ressources les plus larges possibles.
J'ai déjà répondu à la question concernant le groupe de travail sur la gestion de l'ordre public. Il faut se rappeler qu'il y a un pouvoir exécutif, doté d'une légitimité politique qu'il tient d'une élection présidentielle et d'élections législatives. Il y a aussi un pouvoir législatif, une majorité et des oppositions. Si je suis favorable à la transparence, je ne suis pas pour inverser le résultat électoral qui fait qu'il y a aujourd'hui une majorité qui doit prendre ses responsabilités. J'assume donc parfaitement de mettre en place un groupe de travail avec des personnalités différentes. Vous auriez certainement composé ce groupe de travail de manière différente si vous étiez ministre de l'intérieur, mais chacun doit accepter cet état de fait.
Ce groupe de travail s'est réuni lundi. J'ai proposé aux présidents de la commission des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, s'ils le souhaitaient, de désigner un député de leur choix. La présidente de la commission des lois de l'Assemblée a proposé le président de cette commission d'enquête. Le président du Sénat, non pas par défiance, mais parce qu'il considère que son travail est non pas de coélaborer mais de contrôler l'exécution, n'a pas souhaité proposer de sénateur.
Pour ce qui est de la réflexion sur le livre blanc, j'ai annoncé qu'elle sera publique et, évidemment, tout le monde pourra y participer. Les groupes politiques pourraient parfaitement apporter leurs contributions, pour enrichir nos réflexions.
Monsieur Delatte, la jurisprudence du Conseil constitutionnel limite et encadre fortement les échanges de flux vidéo. Cependant, les possibilités techniques de renvoi existent. Elles nous ont servi, par exemple, dans l'enquête sur l'attentat de Marseille. Nous ne sommes cependant pas dans un système fluide, comme je sens que vous l'appelez de vos vœux et je suis d'accord avec vous.
Faut-il un flux continu ? Qui devra alors être le superviseur pour traiter ces images ? La police, les responsables de la sécurité de l'opérateur de transport ? Il conviendrait de mener un travail avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur ce sujet. Il conviendrait aussi de sécuriser les textes. Mais tout partage de l'information nous permet d'être plus efficaces dans l'alerte et dans l'enquête – en prévention et en intervention.
Monsieur le ministre, la commission d'enquête a permis de mettre en lumière un manque de moyens criant pour le parc immobilier, en moyens financiers et aussi en moyens humains. Il me semble que la première des protections que nous pouvons offrir aux fonctionnaires, c'est une formation initiale complète qui englobe toutes les facettes d'une profession exigeante, car elle nécessite de connaître, entre autres, des gestes métiers, des techniques d'interpellation, la matière judiciaire, mais aussi les modes d'accueil du public en commissariat, en gendarmerie ou même à l'extérieur.
Il s'agit d'un métier à multiples professions, si je puis le dire ainsi ; pour l'avoir pratiqué, je sais de quoi je parle. Or nous pouvons nous étonner que la durée de la formation initiale de ces fonctionnaires soit ramenée de douze à huit mois. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette réduction d'un quart du temps de formation et quels domaines seront impactés par cette coupe ? Je vous remercie.
Nous avons essayé, dans cette commission, de travailler de façon équilibrée sur la police nationale et la gendarmerie nationale, et nous avons préféré l'expression « politique de sécurité du quotidien » à celle de « police de sécurité du quotidien ».
Vous avez indiqué que le sujet de la sécurité devait réunir la majorité et les oppositions, j'espère que nous trouverons un consensus et travaillerons tous ensemble pour apporter des solutions concrètes à nos policiers et gendarmes.
Aujourd'hui, nous comptons 109 escadrons de gendarmerie mobile, or il est évident que nous avons besoin de plus de gendarmes mobiles, notamment pour assurer les missions de maintien de l'ordre. Vingt-deux escadrons disposent d'un cinquième peloton qui sera dissout et répartis sur l'ensemble des escadrons. 125 ou 130 gendarmes par escadron semblent nécessaires. Pensez-vous trouver les crédits pour permettre cette augmentation ?
Si vous souhaitez procéder à une expérimentation avant de prendre une décision, sachez que l'escadron mobile de Saint-Étienne, via Remiremont, dans les Vosges serait bien entendu volontaire.
Je suis ouvert à une réflexion avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), qui bénéficie d'une dotation de 2 500 gendarmes supplémentaires, sur une ventilation différente des gendarmes au sein des escadrons. Plus généralement, la ventilation des dix mille emplois prévus pourrait en effet être revue, compte tenu des évolutions de ces derniers mois. Elle devra d'ailleurs certainement l'être, en fonction des conclusions du livre blanc et de la LOPSI, sur laquelle nous travaillons.
Dix mille emplois n'est pas un chiffre gravé dans le marbre. Il s'agissait d'un engagement électoral, qui peut varier, et dont la répartition peut être différente. Le renseignement, et les 1 900 emplois prévus, par exemple, est un sujet qui n'est pas au même niveau que celui dont nous débattons aujourd'hui. D'autant que je sais que le DGGN a intégré la question d'augmenter le nombre d'hommes par escadron dans ses réflexions.
Le niveau de formation des forces de sécurité est bon. Il pourrait cependant être mieux équilibré, entre la formation initiale et la formation continue. Je ne suis par ailleurs pas sûr que nous ayons le même rapport à la formation continue dans la police et dans la gendarmerie. Nous pouvons donc nous interroger, car il n'y a pas de raison que les fonctionnaires soient plus opérationnels dans l'une des forces. De même, nous sommes en train de revoir le partage entre le temps passé à l'école et le temps passé en stage pratique. Bien encadré, le stage pratique est aussi très important. Des réflexions sont conduites sur ce sujet, les choses n'étant pas arrêtées.
Je conclurai de façon un peu plus politique. La création de cette commission d'enquête ne s'inscrivait pas dans le calendrier tel que nous le connaissons après le discours de politique générale du Premier Ministre. Aujourd'hui, j'ai un intérêt opérationnel. Votre travail, comme d'autres outils que j'évoquais tout à l'heure, devra nous servir de base pour les réflexions à conduire sur l'animation de la discussion citoyenne que je souhaite mener partout en France.
Monsieur le ministre, vous m'avez volé ma conclusion ! Je souhaite que ce rapport soit l'une des contributions majeures à ce livre blanc. Vous avez évoqué votre souhait que des discussions au sein des commissariats et des gendarmeries soient organisées. Les députés de cette commission sont tout désignés, s'ils le désirent, à y participer.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale
Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 16 h 30
Présents. - M. Ugo Bernalicis, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Claude Bouchet, M. Rémi Delatte, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Olivier Gaillard, Mme Marietta Karamanli, M. David Lorion, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Alice Thourot, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon
Excusés. - M. Xavier Batut, Mme Josy Poueyto
Assistait également à la réunion. - M. Pacôme Rupin