Mercredi 30 octobre 2019
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission, et de M. Jean Bizet, Président de la Commission des Affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à 16 h 42.
I. Réunion avec la commission des affaires européennes du Sénat et la délégation française du Parlement européen sur la politique agricole commune
Je suis heureuse de vous accueillir ici, à l'Assemblée nationale, pour une réunion d'une forme tout à fait innovante. Nous inaugurons en effet aujourd'hui la première conférence de consensus européenne qui a pour thème l'avenir de la politique agricole commune. Nous sommes particulièrement heureux d'y associer aujourd'hui nos collègues sénateurs et députés européens.
L'objectif est de nous mettre d'accord sur un texte commun sur l'avenir de la politique agricole commune (PAC). La Commission européenne a présenté ses orientations en juin dernier, et, depuis, les discussions sont bloquées au Conseil, notamment en raison d'une opposition des États sur le budget alloué à la PAC. La Commission propose en effet une réduction de 15 % du budget de la PAC en euros constants, mais également un nouveau modèle, basé sur des « plans stratégiques » nationaux qui font peser le risque d'une renationalisation de la PAC.
Pour discuter aujourd'hui, M. le Président Bizet et moi-même vous avons transmis un texte, qui synthétise les résolutions européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la PAC. Nous avons d'ores et déjà reçu des propositions de modifications, et c'est pourquoi nous vous soumettons une nouvelle version du texte, avec des modifications que nous avons jugées, mon collègue Jean Bizet et moi-même, susceptibles de faire consensus. C'est ce texte légèrement modifié que nous vous proposons d'examiner.
Je me réjouis que nous puissions porter une voix française dans le débat européen sur la politique agricole, tant ce sujet est primordial à nos yeux. Nous ne devons pas abaisser nos ambitions en la matière. Il faut rendre notre agriculture attractive pour les jeunes, performante sur le plan économique et écologique. C'est à cela que doit servir la PAC.
Je vous remercie, Mme la présidente, d'avoir pris cette initiative de rechercher un nouveau format à nos rencontres avec les élus français au Parlement européen, sur le sujet ô combien important de la prochaine réforme de la PAC.
Pour la première fois, en effet, nos deux institutions se sont attachées à réunir dans un document commun la synthèse des cinq résolutions européennes qu'elles ont, l'une et l'autre, adoptées sur la future PAC 20212027. Vous y trouverez les points clés qui nous tiennent tous à coeur.
S'agissant du Sénat, nous avons plus particulièrement défendu les orientations suivantes :
– premièrement, le refus du renoncement à l'ambition agricole de l'Union, alors que les autres grandes puissances mondiales investissent à l'inverse massivement dans ce domaine ;
– deuxièmement, le maintien des moyens budgétaires de la PAC, alors que le projet de réforme table a contrario sur une réduction drastique en termes réels, de 11 % des aides du premier pilier et de 28 % de celles du second. J'ajouterais que derrière cela, il y a une politique de convergence à laquelle nous sommes invités à souscrire mais qui va nous fragiliser par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale, ainsi qu'une augmentation des cofinancements nationaux au titre du deuxième pilier aux alentours de 10 % ;
– troisièmement, nos plus vives inquiétudes quant au nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC proposé par la Commission européenne. De fait, sa logique conduit mécaniquement et inexorablement à une « renationalisation », que je qualifierais de rampante, de la politique agricole commune. Elle ne se sera pas tellement visible au temps t, mais beaucoup plus au bout de sept ans. Ceci générera des distorsions de concurrence supplémentaires au détriment des producteurs français. On peut hélas redouter le passage à vingt-sept politiques agricoles nationales de moins en moins compatibles entre elles, déclinées en outre de 270 façons différentes dans chacune des régions européennes. Je rappelle que la politique agricole commune a été une des clés du fondement de la cohésion de l'Union européenne depuis le Traité de Rome ;
– quatrièmement, la demande de progrès supplémentaires en termes de gestion des crises ;
– cinquièmement, le refus du statu quo en matière de concurrence, que défend la Commission au motif, à nos yeux totalement infondé, que les avancées du règlement Omnibus du 13 décembre 2017 seraient suffisantes.
J'ai toujours rêvé que l'Europe se calque sur ce que les Américains ont fait au travers du Capper-Volstead Act de 1922, c'est-à-dire que le regroupement devienne la règle en agriculture, et non l'exception. Nous avons cent ans de retard.
Nous vous invitons donc à réagir à ce document de travail. D'une façon générale, nous souhaiterions aboutir à un document certes informel, mais faisant consensus entre députés, sénateurs et membres français du Parlement européen sur la future politique agricole commune. Tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, nous savons dépasser nos clivages politiques, lorsque l'enjeu le justifie et lorsque l'intérêt national l'exige. Tel est bien le cas pour ce dossier. Par là même, nous nous inspirerions utilement des exemples d'autres États membres, où les parlementaires nationaux et européens savent travailler de concert d'une façon efficace et pertinente.
Permettez-moi de conclure en soulignant que nous avons collectivement intérêt à agir ensemble et maintenant, car, pour la Commission européenne, manifestement les jeux sont faits : le projet de réforme de la PAC se fera quoi qu'il arrive, quelles que soient les objections formulées. Tel était le sentiment général, à l'issue de la réunion organisée avant-hier à Helsinki par la présidence finlandaise, à laquelle je participais pour le Sénat, en compagnie de ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, et de collègues députés. En résumé, nos échanges de vues ont fait apparaître un véritable « dialogue de sourd » entre la Commission européenne et les représentants des parlements nationaux. La situation a d'ailleurs été parfaitement résumée par notre collègue député Jean-Baptiste Moreau, au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale : « Malgré les oppositions continuellement exprimées, la Commission n'a pas modifié d'un iota son projet depuis juin 2018. »
Il y a sept ans, nous étions parvenus au Sénat, à la demande du président Larcher, à réunir le plus grand nombre possible de commissions des affaires européennes des États membres. J'ai tenté de renouveler cette année l'exercice avec mes collègues, pour aboutir finalement à un constat d'échec. Nous avions commencé à travailler avec les attachés agricoles des différentes ambassades ; nous nous sommes aperçus au bout de quelques mois que nous étions en totale divergence, notamment avec l'Allemagne, notre principal partenaire.
Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons, je me réjouis que nous soyons réunis aujourd'hui pour trouver un consensus.
Il est très important que nous apprenions à travailler ensemble et de manière transpartisane sur des sujets aussi importants que la PAC. Comme vous l'avez souligné, d'autres États membres le font. En Allemagne, particulièrement, nos collègues savent défendre conjointement leurs positions.
Sur le dossier de la PAC, nous ne sommes en effet pas d'accord avec notre principal partenaire. Nous avons eu lundi une réunion avec nos homologues de la commission des affaires européennes du Bundestag. Dans le cadre de nos discussions sur le cadre financier pluriannuel, nous avons bien vu que la politique agricole commune n'était pas la priorité de nos amis allemands, qui insistent davantage sur le numérique, la défense ou la sécurité. Nous avons beaucoup de travail à faire en commun.
Nous allons organiser nos débats en deux temps : d'abord une discussion générale sur l'avenir de la PAC et ensuite une discussion sur le texte modifié que nous vous avons soumis.
André Chassaigne et moi-même avons participé aux rencontres interparlementaires en Roumanie, puis en Finlande ; nous avons pu constater que le discours de la direction générale pour l'agriculture et le développement rural de la Commission européenne n'avait pas varié. Du point de vue budgétaire, la réduction envisagée va bien au-delà de celle qui découlerait du seul impact du Brexit, que l'on pourrait évaluer à 9 %. Elle devrait approcher 16 ou 17 % en euros constants. La France a réuni 22 pays sur 27 pour s'opposer à cette diminution.
Pour ce qui concerne les orientations de la PAC, les plans stratégiques peuvent aboutir, même s'il y a un socle commun prenant en compte, entre autres, les exigences environnementales, à des distorsions de concurrence avec certains États, en particulier de l'Est, dont les priorités vont plus à l'économie qu'à l'environnement.
Nous avons également une « divergence sur la convergence ». Les anciens pays de l'Est parlent sans arrêt de convergence, notamment de convergence à l'hectare. Nous pourrions envisager cette convergence à l'hectare, s'il y avait également convergence sur les normes fiscales, sociales et environnementales. Sinon, les aides ne viendront que renforcer les distorsions de concurrence déjà existantes.
Malgré le « barouf » qu'il y a eu autour des accords internationaux, il faut souligner que les réelles distorsions de concurrence, notamment pour ce qui concerne la viande bovine, ont lieu à l'intérieur de l'Union européenne.
Je partage les propos des intervenants précédents. Je soulignerai trois points.
Premièrement, depuis le rapport d'information que j'ai rédigé avec Alexandre Freschi sur une agriculture durable pour l'Union européenne, j'insiste pour que nous portions dans le débat européen une position partagée. D'ailleurs, la proposition de résolution que nous avions proposée avait été adoptée à l'unanimité. Il est extrêmement important que cette parole soit également partagée par les sénateurs et les députés européens pour créer un rapport de force.
Deuxièmement, Jean-Baptiste Moreau l'a souligné, les questions de convergence vont constituer un obstacle important. Il y a une demande très forte des pays d'Europe centrale d'un renforcement de la convergence entre les pays, mais il est également question de convergence à l'intérieur des pays. La question du plafonnement des aides est en effet soulevée par nos collègues d'autres parlements de l'Union européenne, notamment de Roumanie et de Pologne. Il ne faut pas céder.
Troisièmement, j'ai deux observations sur le texte, pour le cas où la discussion sur le budget de la défense en séance m'empêcherait de participer à la fin de notre discussion.
Au point 7, j'aurais préféré que l'on parle de garantir le revenu des agriculteurs, plutôt qu'assurer sa stabilité.
Au point 8, la formulation : « renforcer le poids des producteurs dans la chaîne de valeur alimentaire » me semble un peu jargonnante. J'aurais préféré écrire : « renforcer le poids des producteurs pour un meilleur partage de la valeur ajoutée à leur bénéfice ». J'ai tellement vécu la langue de bois que j'essaie de l'éviter !
La PAC est la première politique véritablement intégrée de l'Union européenne ; c'est autour d'elle que se sont construites les autres initiatives portées par l'Union européenne. Aujourd'hui, la baisse sans cesse annoncée du budget de la PAC compromet la stratégie européenne en matière agricole et alimentaire. Car au-delà de l'agriculture, la PAC est une question alimentaire, environnementale, et même une question de société.
Avec mon collègue André Chassaigne, nous avons porté deux rapports et propositions de résolutions européennes (PPRE) qui ont été adoptées – c'est assez rare pour être souligné – à l'unanimité par tous les groupes de l'Assemblée nationale. Nos travaux ont conclu qu'il s'agissait de trouver un équilibre entre les objectifs environnementaux, économiques et sociétaux de la PAC, sans négliger un autre enjeu essentiel : la souveraineté alimentaire. À cet égard, il est crucial de mener à son terme le projet européen de « plan protéines ». Il faut prendre conscience du risque d'une dépendance alimentaire croissante, surtout avec les difficultés que l'on connaît en matière de renouvellement générationnel des agriculteurs.
La Commission commet une erreur de principe en considérant que l'inclusion de nouvelles priorités européennes devrait systématiquement se traduire par l'abandon d'anciennes priorités. On a décidé de faire une politique agricole commune : elle n'est certes pas parfaite, mais nous n'avons aucune raison de la détricoter pour la remplacer par de nouvelles politiques. Le budget européen n'est pas une sorte de furet, un mistigri qui passerait d'une politique à l'autre en nous obligeant à abandonner une politique ancienne parce qu'elle est ancienne au profit d'une politique nouvelle.
Deuxièmement, il faut rappeler que la PAC n'est pas excessivement coûteuse. Elle représente en effet 40 % des dépenses européennes, mais ces dépenses ne représentent elles-mêmes que 2 % des dépenses publiques européennes. Si le numérateur – 40 % – apparaît élevé, c'est d'abord parce que le dénominateur est dérisoire. La PAC est une politique intégrée : ce qui signifie par définition que ce qui est dépensé au niveau européen ne l'est pas au niveau des États membres. Il s'agit donc d'une illustration du principe de subsidiarité que nous cherchons à défendre.
Ce tour de passe-passe intellectuel, qui n'est possible que parce que les agriculteurs ne représentent qu'une petite minorité des populations européennes, mérite donc d'être dénoncé. Le texte dont nous discutons en ce moment offre à cet égard une très bonne réponse, commune aux parlementaires des trois Assemblées, à un sophisme qui n'est pas acceptable ni politiquement ni intellectuellement.
Il faut en rester à une idée simple : la PAC a été créée en 1962, pour répondre à deux objectifs. Premièrement, garantir la souveraineté alimentaire des Européens ; deuxièmement, assurer un revenu décent pour les agriculteurs. Or la « renationalisation rampante » de la PAC, dénoncée par le président Bizet, risque de recréer une concurrence entre les pays européens, que la PAC avait précisément été conçue pour éviter. La « garantie des revenus » des agriculteurs est une faillite totale : les agriculteurs gagnent un revenu inférieur au SMIC pour 54 heures de travail hebdomadaires en moyenne. Bref, faute de consensus entre ses quatre principaux bénéficiaires – à savoir la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie –, la PAC échoue à remplir les objectifs pour lesquels elle a été créée.
Les agriculteurs ont d'abord besoin de stabilité. Il faudrait donc éviter une rupture entre la prochaine PAC et la PAC actuelle.
Il faut défendre la PAC au nom de la cohérence : l'Europe ne peut pas vouloir une politique commerciale, écologique et environnementale ambitieuse tout en proposant une politique agricole commune au rabais. Nous n'atteindrons pas nos objectifs environnementaux, écologiques et sociétaux si nous baissons le budget de la PAC.
La politique du renouvellement des générations doit aussi être un véritable pilier de la prochaine PAC : seuls 5 % des agriculteurs ont moins de 35 ans en Europe. Pour que l'agriculture soit un secteur attractif pour les jeunes, il faut aider financièrement les exploitations agricoles, ce qui suppose bien sûr de préciser la définition de l'actif agricole (à la base de la notion « d'aides à l'actif ») et le statut de l'agriculteur professionnel.
Nous devrons aussi trouver des dispositifs de gestion des risques, en s'inspirant pourquoi pas des politiques assurantielles américaines en la matière : depuis 30 ans, les Américains n'ont pas perdu d'actifs agricoles. N'ayons pas peur de proposer des politiques ambitieuses de gestion des risques !
Quand nous aurons réussi ça – et peut-être même en parallèle –, nous pourrons également avoir des ambitions écologiques de taille, et demander des efforts supplémentaires aux agriculteurs dans ce domaine. Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs.
Nous sommes ici entre Européens convaincus qui devons payer les conséquences d'un manque de courage. Nous n'avons pas voulu dire que l'Europe devait avoir un budget beaucoup plus ambitieux, avec des ressources propres et des contributions nationales bien identifiées, dans un souci de subsidiarité. Si l'on avait demandé aux communautés de communes, comme on le demande à l'Europe, de conduire des actions nouvelles, elles n'auraient jamais pu le faire. Il n'y a rien de pire que de vouloir rester à budget constant tout en voulant développer de nécessaires politiques nouvelles. Je n'oppose pas ces politiques mais les politiques traditionnelles ont fondé l'Europe et sont un enjeu national de première importance. C'est la quadrature du cercle : on ne veut pas réduire l'agriculture pour développer le numérique ou le tertiaire. Une bonne fois pour toutes, il faut décider de consacrer plus de moyens au budget européen. Sans cela, nous allons vers une désunion européenne. Nous pouvons détruire en un budget ce qui a été construit depuis des décennies.
J'ai exactement la même vision que monsieur le sénateur. Sur la dépense, nous sommes tous d'accord.
Il faut dire que le développement intrinsèque passera par le développement de la PAC, mais aussi par les autres développements. Pour ce faire, nous avons l'obligation de nous entendre pour demander une augmentation des ressources – pour ne pas dire recettes comme dans le budget français.
Très sincèrement, je pense que le maintien, voire le développement de la PAC passera uniquement par l'augmentation des ressources. À ce titre, j'ai une proposition qui est celle d'un prochain texte commun sur une augmentation du type de ressources mobilisables. Ce serait une bonne perspective pour le maintien de la PAC. Ayant travaillé sur le cadre financier pluriannuel, j'estime que c'est le moyen de ne pas opposer les politiques nouvelles et anciennes.
Étant assez nombreux aujourd'hui, nous pouvons réunir quelques éléments très concrets à proposer directement à nos gouvernements, aux parlementaires des autres pays, et bien sûr aux parlementaires et aux commissaires européens qui les porteront.
Beaucoup de choses ont déjà été dites. La PAC comporte un certain nombre d'axes parfaitement indispensables : l'installation des jeunes agriculteurs, les compensations des handicaps naturels, les fameuses aides directes qui compensent l'écart avec les prix internationaux, ce que le grand public ne sait pas toujours.
Je voudrais revenir sur un sujet dont on ne parle pas assez, et que j'appelle le « préventif ». On demande aux agriculteurs de faire de plus en plus d'efforts à titre préventif sans leur ouvrir de nouveaux pans d'activité. Mais a-t-on augmenté les fonds en matière de recherche ? Dans l'industrie, l'axe primordial est bien la recherche, et nous avons su nous associer sur beaucoup de sujets en Europe en matière de recherche.
Au moment où est évoquée la renationalisation de la PAC, nous pourrions lancer la grande cause européenne de la recherche pour assurer la transition attendue par les populations : la recherche sur les variétés, sur les méthodes génétiques. Le réchauffement climatique existe. Nous avons besoin, quelle que soit la production, de trouver des techniques de culture et des plantes nouvelles ; il faut accélérer cette recherche.
On parle souvent de formation. Ce dont souffrent le plus nos agriculteurs français, au-delà des distorsions de concurrence, c'est d'une absence de formation plus élaborée en matière de gestion d'entreprise. Je rencontre en ce moment des proviseurs de lycée agricoles pour en parler.
Nous avons besoin d'échanges plus importants entre pays. J'en ai moi-même bénéficié en 1969, à travers un stage organisé par la CEE de l'époque. J'y ai appris beaucoup. Avant d'essayer de traiter le mal, il faudrait essayer de le prévenir.
À mon tour de mettre l'accent sur le fait de ne pas opposer politiques anciennes et nouvelles. Je suis frappée, à ce titre, par le fait qu'un des objectifs nouveaux est le climat. Pourquoi oppose-t-on la PAC à cet objectif ?
Il est peut-être dangereux d'ajouter l'objectif « alimentation » à la PAC, toutefois il faudrait sans doute y ajouter au moins l'objectif climat et biodiversité, pour justifier que le budget alloué à la PAC soit maintenu.
Comme l'a dit M. Jerretie, il est important de parler de ressources. Nous ne souhaitons pas opposer les politiques les unes aux autres, y compris la politique de cohésion. En termes de méthode, le ministre des affaires européennes allemand est venu nous rencontrer au Bundestag à Berlin pour souligner qu'un soutien aux demandes françaises passerait par un respect des engagements en matière d'élargissement. Il ne faut pas opposer les légitimités des pays entre elles.
Je crois que la PAC n'a jamais été aussi jeune. Si l'on regarde ce qui se passe à travers le monde, l'Europe serait la seule à désarmer sa politique agricole, en termes de suffisance alimentaire et d'ambitions mondiales. C'est très choquant à un moment où les Européens se posent des questions, après les élections au Parlement européen et avec un Brexit difficile. Nous avons besoin de plus d'Europe et d'une Europe qui s'affirme et affiche sa stratégie, pour donner confiance aux Européens, aux Français, aux entreprises.
Je pense que le secteur agricole n'a jamais été aussi fragile qu'aujourd'hui. Il faut donner envie aux jeunes de s'installer. Pour cela, il faut de la visibilité sur la politique agricole européenne. S'installer signifie prendre des risques.
Je voudrais rappeler un autre aspect. Aujourd'hui, la sécurité alimentaire de l'Europe s'inscrit dans le temps long. L'agriculture n'est pas le temps court. Les choix de la stratégie agricole d'aujourd'hui emportent la sécurité alimentaire de l'Europe de demain, de nos enfants.
Il ne faut pas négliger un autre point, qui nécessite des accompagnements significatifs. La diversité territoriale est très importante en France et à ce titre, je me réjouis de la réunion de ce soir. Je souhaite que les assemblées fassent front uni avec le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l'agriculture. C'est à ce prix que la France retrouvera une légitimité.
Les défis qui sont devant nous en matière climatique nécessitent une grande ambition. L'agriculture apporte des réponses sociétales, sur l'indépendance alimentaire et énergétique par la captation des gaz à effet de serre. Chaque fois que l'Europe aura la capacité à produire sur son territoire, ce sera autant de clés de la réussite.
Je suis un optimiste permanent. En voyant cet été l'ensemble des pays européens s'émouvoir de la forêt amazonienne qui brûlait, je n'ai pas compris car il est aussi important de s'inquiéter de ce qui se passe sur notre propre territoire. N'oublions pas que les espaces forestiers d'Europe souffrent et sont en situation de grande fragilité. J'imagine et je rêve, au-delà d'un budget européen ambitieux, d'une politique forestière européenne ambitieuse.
Enfin, je confirme l'enjeu que représente, pour l'Union européenne, son indépendance en matière de protéines.
Je voudrais évoquer l'ambiance dans laquelle se déroulent les débats sur la PAC et la pêche au niveau européen avec les interlocuteurs qui sont les nôtres à Bruxelles. Il y a quelques années, j'ai participé à un débat sur le FEAMP – équivalent pour la pêche du FEADER – et conclu mon intervention par la nécessité de prendre en compte l'enjeu alimentaire, au même titre que l'enjeu environnemental et l'enjeu économique. Ce faisant, je ne faisais que rappeler de quelle manière la politique agricole est inscrite dans les traités européens. Or, quelle ne fut pas ma tristesse lorsque j'ai vu mes collègues rire, rire de ce discours qui fleurait bon, à leurs yeux, les années soixante-dix.
Dans une interview que j'ai donnée hier à Euractiv, j'ai rappelé à quel point, depuis des années, la Commission européenne avait négligé l'enjeu de la qualité et de la sécurité alimentaire. C'est largement lié à une culture qui est différente de la nôtre au sein des institutions européennes et dans les autres pays.
C'est pourquoi je considère comme essentiel que nous ayons une parole française, assumée en tant que telle, avec notre histoire, notre culture, notre agriculture et notre vision de l'alimentaire. Je le vois d'ailleurs dans notre hémicycle. Il nous faut convaincre à la fois les collègues d'autres pays au sein de nos propres groupes et la Commission européenne.
S'agissant du budget et, plus précisément, de la stratégie « farm to fork » annoncée par la présidente Ursula von der Leyen, il ne faut pas se leurrer. Avec un budget réduit tel que celui qu'on nous propose, cette stratégie au nom pompeux se réduira à un effet d'annonce. Le Parlement européen ne s'y est pas trompé. Il a insisté, dans ses résolutions, sur la nécessité de maintenir les politiques communes traditionnelles tout en finançant les nouvelles priorités européennes, ce qui implique une augmentation du montant du CFP.
Certes, le Parlement européen ne va probablement pas voter ou rejeter le CFP uniquement en considération des crédits de la PAC mais la Commission européenne et sa présidente – élue, je le rappelle, à seulement neuf voix de majorité – doivent avoir conscience que le Parlement européen nouvellement élu a déjà fait la preuve de sa réticence à valider ce qui lui était présenté.
Je voudrais pour ma part faire deux observations. La première est un souhait. Il me semble utile qu'une position transpartisane soit également définie en matière de politique de cohésion, même s'il est évident que nous ne pourrons pas gagner sur les deux terrains. La deuxième observation porte sur la proposition de texte, qui semble rédigée à l'attention de la Commission européenne. Or, ce n'est pas tant celle-ci qu'il faut convaincre que les autres États membres, leurs parlementaires nationaux, d'une part, et leurs représentants au Parlement européen, d'autre part. Il serait donc souhaitable que la proposition de texte soit réorientée et la liste de ses destinataires complétée.
Je me félicite à mon tour de cette initiative et de notre position commune sur une politique – la PAC – qui est au fondement de la construction européenne. Celle-ci est nécessaire afin de faire face aux divergences de vue entre les principaux pays européens dans les négociations actuelles.
Je suis par ailleurs très inquiet s'agissant du Brexit en tant que tel, mais aussi parce qu'il constitue une remise en cause sous-jacente de la construction européenne, à la fois de l'extérieur, bien sûr, mais également de l'intérieur. Il constitue à cet égard un véritable stress-test pour l'Union européenne et ses membres. C'est pourquoi j'attire votre attention sur le point 7 du projet de texte qui insiste sur les filets de sécurité. Il me semble nécessaire d'insister également sur la robustesse de la PAC pour une raison simple : on parle beaucoup de l'accord commercial avec le MERCOSUR qui porte sur des quotas d'importation de volailles d'environ 180 000 tonnes. Or, l'enjeu pour la viande de volailles dans le cadre du Brexit est de l'ordre d'un million de tonnes. D'autres secteurs comme le lait ou la viande bovine pourraient être totalement perturbés par le Brexit. La robustesse de la PAC, c'est-à-dire sa capacité de réagir à une crise majeure, est essentielle et doit être renforcée, afin d'éviter une situation de détresse dans nos campagnes.
Je m'interroge pour ma part sur la pertinence d'additionner, sur le plan budgétaire, l'alimentation et l'agriculture. Nous avons par ailleurs évoqué les distorsions de concurrence. Certes, il y a des normes européennes que nous devons tous respecter mais nous nous mettons en difficulté avec nos normes françaises. Au final, nous n'appliquerons pas tous les mêmes règles, mais c'est de notre propre fait. Enfin, un point qui n'apparaît pas dans la proposition de texte est la notion de production non-alimentaire. La production agricole est, naturellement, à finalité d'abord alimentaire, mais d'autres débouchés sont possibles, comme les énergies renouvelables, la chimie du végétal ou les produits de santé. Ces débouchés doivent être pris en compte dans la PAC et la proposition de texte peut y contribuer en les mentionnant.
On ne devrait pas, à mon sens, opposer la nécessaire amélioration du revenu de nos agriculteurs à l'indispensable transition écologique. Il faut aussi interroger notre relation à la nature et au vivant. La nature nous fait vivre, nous avons parfois tendance à l'oublier et les agriculteurs sont au coeur de celle-ci. Nous devons donc tous, au niveau européen, participer à la revalorisation des métiers de l'agriculture pour une alimentation saine et durable, mais aussi pour l'ensemble des services gratuits qu'ils nous offrent aujourd'hui comme le stockage du carbone, le maintien des paysages et la protection de la biodiversité. Il faut donc considérer l'agriculture comme un secteur à haut potentiel, plus que comme un secteur à protéger, et travailler à réduire le fossé entre agriculteurs et consommateurs.
J'ai découvert le monde de l'agriculture directement avec les agriculteurs, lorsque ceux-ci sont venus manifester devant ma permanence. Je me suis ensuite rendu dans leurs fermes pour mieux appréhender la réalité de leur métier. Lorsque je lis l'alinéa portant sur notre attachement à une concurrence loyale dans les échanges internationaux, je suis sûr que ces agriculteurs me diraient qu'au sein même de l'Union européenne, il y a des distorsions de concurrence et qu'il faut d'abord travailler à les supprimer, ce à quoi la PAC peut contribuer.
À l'issue de la discussion générale, les parlementaires ont examiné le texte établi par les Présidents des commissions des Affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Sur le point 1, nous avons été saisis d'une demande de modification de la délégation de la gauche sociale et écologique du Parlement européen qui souhaite ajouter après : « son budget doit être préservé », les mots : « en euros constants ». S'il n'y a pas d'opposition, ce texte est considéré comme approuvé.
Nous sommes saisis d'une demande de M. Brice Hortefeux.
M. Jean-Louis Bourlanges a rappelé l'évolution de la part des dépenses de la PAC dans le budget de l'Union européenne. Elle est assez spectaculaire : dans les années 1980, elle se situait encore à 65 ou 66 %, aujourd'hui elle est de 37,8 %. Nous allons avoir à faire face au défi du Brexit ; nous aurions intérêt, par précaution, à souligner que notre position est indépendante des conséquences du retrait du Royaume-Uni.
Si personne n'a de remarque sur cette suggestion, je vous propose de compléter le point 1 par les mots : « indépendamment des conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ».
Mme la présidente, comment procédons-nous ? Faites-vous approuver le texte paragraphe par paragraphe ?
Oui, en fonction des demandes de modification formulées. Lorsqu'il n'y a pas de telles demandes, nous pouvons considérer que le point fait l'objet d'un consensus.
Sur le point 3, nous sommes saisis d'une demande de M. Jean-Louis Bourlanges.
Je suis un peu gêné par la formulation : « fondé sur le recours à la subsidiarité poussée à un niveau inédit ». Elle nous met en porte-à-faux avec l'idée de subsidiarité, alors que nous sommes attachés à ce principe fondamental. Je propose de remplacer l'expression « la subsidiarité poussée à un niveau inédit » par les mots : « une conception abusive et détournée du principe de subsidiarité ».
Le point 4 évoque « le risque de déconstruction de la politique agricole commune à l'horizon 2027 ». Comme je pense que ce processus sera insidieux, je souhaiterais que l'on insère après les mots : « politique agricole commune » les mots : « , au fil du temps et ». Les effets ne seront pas visibles au bout d'une année, mais ils seront irréversibles au bout de sept années.
C'est malheureusement ce qui risque de se produire.
Pour tenir compte de l'intervention de M. Bothorel, après les mots : « concurrence loyale », nous pourrions ajouter : « , non seulement au sein de l'Union européenne, mais aussi ».
Cette proposition est approuvée. Au point 6, je vous propose d'intégrer la proposition de la délégation de la gauche sociale et écologique du Parlement européen, mentionnant le développement rural comme une composante essentielle de la PAC. Nous sommes par ailleurs saisis sur ce point d'une proposition de modification d'Alexandre Freschi.
Je souhaiterais éviter que le texte aboutisse à l'inverse de ce que nous souhaitons, qui est la préservation du modèle de l'exploitation familiale. La taille d'exploitation moyenne en France est en effet de 52 hectares, ce qui est l'une des moyennes les plus élevées de l'Union européenne. Craignant que la rédaction proposée ne soit contre-productive, je propose la suppression des mots : « en particulier aux petites et moyennes exploitations ».
Je regrette qu'on n'évoque pas le soutien aux exploitations familiales.
L'expression « exploitations créatrices d'emplois » est peut-être insuffisamment précise.
Le paragraphe fait à la fois référence aux notions de création d'emploi et de préservation de l'emploi. Il faudrait homogénéiser les rédactions.
Il est fait mention d'un « soutien appuyé aux exploitations familiales et aux zones défavorisées ». Il faudrait peut-être couper la phrase, il n'y a pas de lien entre les exploitations familiales et les zones défavorisées. Comme les zones de montagne ne sont pas incluses dans les zones défavorisées, il conviendrait de les ajouter.
Je n'ai pas de proposition de rédaction, mais je voudrais souligner que, si la ferme des milles vaches crée des emplois, ce ne sont pas les emplois ni le modèle économique que nous souhaitons. Peut-être faudrait-il faire référence aux exploitations où le nombre d'actifs est en adéquation avec l'outil économique ?
Il faudrait retenir le concept de densité en termes d'emplois, plutôt que la création d'emplois. Ce qui est important, ce sont les exploitations où il y a beaucoup d'emplois.
Je propose une rédaction de synthèse : « demander que le soutien aux exploitations, notamment familiales, devienne une priorité au sein du second pilier de la PAC relatif au développement rural, tout en insistant sur la nécessité de prise en compte de la diversité des territoires ».
On peut la réintégrer dans la proposition de M. Jerretie.
Je vous propose de réserver le point 6, le temps de prendre en compte les remarques formulées.
Sur le point 7, nous avons une proposition de modification de M. André Chassaigne, qui consiste à substituer aux mots : « assure la stabilité des » les mots : « garantisse les ».
Je propose de remplacer le mot : « simplifiés » par le mot : « efficaces ».
La délégation de la gauche sociale et écologique du Parlement européen, toujours au point 7, propose pour sa part d'insérer après les mots : « situations de force majeure », les mots : « et à toutes les crises de marché ».
On pourrait aussi mentionner l'accroissement de la compétitivité des importations en provenance de pays tiers, après les aléas climatiques.
On pourrait mentionner en plus des aléas climatiques, les aléas politiques et économiques.
Je reviens à la proposition du président Chassaigne. Je comprends son intention, mais je ne suis pas certain de la portée de la modification qu'il propose. Je ne suis pas sûr qu'elle représente un vrai progrès.
Je comprends l'intention d'André Chassaigne : on ne peut pas demander la stabilité des revenus agricoles compte tenu de la faiblesse des revenus agricoles actuels, qui se traduit par des dizaines de suicides d'agriculteurs. Garantir un revenu, c'est plus que le stabiliser, c'est évidemment garantir un revenu décent. La rédaction proposée par André Chassaigne est prudente.
Au vu de nos échanges, je vous propose la rédaction suivante pour le point 7 : « Plaider pour qu'un panel d'outils efficaces garantisse un revenu décent aux agriculteurs, qui doivent être en mesure de faire face à la volatilité des prix agricoles, aux aléas climatiques, politiques et économiques, aux situations de force majeure et à toutes les crises de marchés, le filet de sécurité offert par la PAC étant apparu insuffisant au regard de l'ampleur des difficultés traversées par les exploitants ; ».
Cette proposition est approuvée.
Je ne voudrais pas être pessimiste, mais la Commission européenne estime qu'au moins 20 % des agriculteurs perdent chaque année 30 % de leurs revenus par rapport à la moyenne des trois années précédentes. Il serait donc bienvenu d'inscrire noir sur blanc l'idée d'un revenu minimum qui garantisse une vie décente aux agriculteurs, mais je crains que ça reste un voeu pieux. Un des principes fondateurs de la PAC, c'est la solidarité financière. Or les États ne sont pas d'accord sur le budget de la PAC : les Allemands veulent une stabilisation, la Commission une légère augmentation, le Parlement européen une augmentation plus substantielle pour « verdir » la PAC. Je m'interroge : pensez-vous que nous aurons le soutien suffisant ? Y aura-t-il une coalition pour appuyer la position française au sein de l'Union européenne ?
Au point 8, la formulation « adapter le droit de la concurrence aux spécificités agricoles » ne me semble pas rigoureuse. Mieux vaudrait écrire « prendre en compte les spécificités du monde agricole ».
Je vous propose dans ce cas de formuler ainsi le début du point 8 : « Prendre en compte, dans le droit de la concurrence, les spécificités agricoles (…) ».
Je pense qu'il ne faut pas renoncer. Mieux vaut conserver un texte fort et dire que le droit de la concurrence doit « s'adapter », même si ce n'est pas ce vers quoi il tend naturellement. Ce serait un geste politique fort pour montrer que l'on veut protéger nos filières.
Au point 9 : à la formulation « affirmer l'importance des circuits courts, des circuits biologiques… », j'aurais souhaité apporter une légère modification : « affirmer l'importance, parmi les différents modèles, des circuits courts (…) », parce qu'il n'y a pas que les circuits courts ou biologiques.
Cette proposition est approuvée. Examinons à présent la demande qui émane de M. Alexandre Freschi sur le point 9.
Je proposais d'introduire, pour faire en sorte de n'exclure personne, « l'agriculture de conservation » aux côtés de « l'agriculture biologique ».
Je propose que l'on écrive « circuit local » plutôt que « circuit court », car rien n'empêche un produit en « circuit court » de provenir de très loin dès lors qu'il n'y a qu'un seul intermédiaire.
Cette remarque est pertinente, mais nous ne pouvons pas changer l'usage qui a désormais consacré la notion de « circuit court ». Je considère la proposition de M. Alexandre Freschi comme approuvée et vous propose de rédiger ainsi le point 9 : « Affirmer l'importance, parmi les différents modèles agricoles, des circuits courts, de l'agriculture biologique et de l'agriculture de conservation en termes de réduction de la pollution, de restauration des sols et de préservation de la biodiversité ; ».
Je constate que cette nouvelle rédaction est approuvée.
Je propose la rédaction suivante pour le point 6, précédemment réservé, en vue de synthétiser les différentes interventions : « Demander que le soutien à la création d'emplois dans les exploitations, notamment familiales, soit une priorité au sein du second pilier de la PAC relatif au développement rural, tout en insistant sur les enjeux de préservation de la diversité des territoires ; ».
Au point 12, il est proposé de renommer la PAC « politique alimentaire et agricole commune » ; j'inverserais plutôt pour écrire : « politique agricole et alimentaire commune », parce que c'est bien la politique agricole qui permet la production de produits alimentaires, tout en permettant aussi la production de produits non-alimentaires. Cet ordre serait donc plus logique. Par ailleurs je reviens sur le point 7, concernant le revenu des agriculteurs : il n'y aura pas d'agriculture sans agriculteurs ni d'agriculteurs sans revenus !
La proposition de M. Yves Daniel au point 12 est approuvée.
Je constate que nous avons atteint un consensus sur l'ensemble du texte ainsi modifié :
« Considérant que la politique agricole commune (PAC) doit assurer un niveau de vie équitable à la population agricole européenne, garantir la souveraineté alimentaire européenne, tant en quantité qu'en qualité et contribuer à la transition climatique, nous croyons nécessaire de :
Sur la nécessité de préserver une PAC véritablement commune
Réaffirmer que la PAC doit demeurer une politique-socle de l'Union européenne et une priorité stratégique et que, à ce titre, son budget doit être préservé en euros constants, indépendamment des conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ;
Mettre en garde, pour la future PAC 2021-2027, contre le risque d'une simplification en trompe-l'oeil du mode de mise en oeuvre de celle-ci au profit de la seule vision de la Commission européenne, qui prône la flexibilité ;
Rappeler que l'objectif de simplification et la méthode utilisée dans le cadre du « new delivery model » proposé par la Commission européenne, fondé sur le recours à une conception abusive et détournée du principe de subsidiarité, ne doivent pas conduire à une renationalisation rampante et à une dilution progressive de la PAC ainsi qu'un transfert de bureaucratie, sans bénéfice réel ni pour les agriculteurs européens, ni même in fine pour les consommateurs et les citoyens européens ;
Éviter à tout prix le risque de déconstruction de la politique agricole commune, au fil du temps et à l'horizon 2027, qu'introduit le projet de réforme développé par la Commission européenne à compter du 1er juin 2018 ;
Sur la nécessité de garantir une PAC plus efficace et protectrice des agriculteurs
Réitérer l'attachement au principe de réciprocité ainsi qu'à la nécessité d'une concurrence loyale, non seulement au sein de l'Union européenne, mais aussi dans les échanges internationaux, en matière de conditions sanitaires, environnementales et de production ;
Demander que le soutien à la création d'emploi dans les exploitations, notamment familiales, soit une priorité au sein du second pilier de la PAC relatif au développement rural, tout en insistant sur les enjeux de la préservation de la diversité des territoires ;
Plaider pour qu'un panel d'outils efficaces garantisse un revenu décent aux agriculteurs, qui doivent être en mesure de faire face à la volatilité des prix agricoles, aux aléas climatiques, politiques et économiques, aux situations de force majeure et à toutes les crises de marchés, le filet de sécurité offert par la PAC étant apparu insuffisant au regard de l'ampleur des difficultés traversées par les exploitants ;
Prendre en compte, dans le droit de la concurrence, les spécificités agricoles et renforcer effectivement la part de valeur ajoutée revenant aux producteurs, en allant au-delà des avancées du « règlement Omnibus » 20172393 du 13 décembre 2017 ;
Sur la nécessité de promouvoir une agriculture durable et la sécurité alimentaire européenne
Affirmer l'importance, parmi les différents modèles agricoles, des circuits courts, de l'agriculture biologique et de l'agriculture de conservation en termes de réduction de la pollution, de restauration des sols et de préservation de la biodiversité ;
Inviter la Commission européenne à rémunérer les exploitations à forte intensité agricole pour services environnementaux rendus dans la préservation de la biodiversité, pour la durabilité des sols, pour la capture du carbone et de l'azote ;
Considérer que la certification de haute valeur environnementale (HVE) mise en place en France devrait être étendue à l'Union européenne, afin de soutenir l'agro-écologie à grande échelle ;
Proposer, dans l'objectif de rétablir le lien entre alimentation, santé et production agricole, de renommer la PAC en « politique agricole et alimentaire commune » (PAAC). »
Je voudrais me réjouir du consensus que nous avons pu obtenir. Je me permets de souligner certains points clés qui ont émergé au cours des discussions.
On a fait remarquer que l'agriculture, c'est le temps long. L'agriculture est une activité hautement stratégique et je regrette que l'Union européenne n'en ait plus suffisamment conscience : alors que l'Inde, le Brésil, les États-Unis augmentent les concours publics à l'agriculture, nous les baissons de façon bientôt irréversible. La PAC est donc une politique à la fois ancienne et moderne.
Pour ce qui est de la recherche et développement, un motif de satisfaction : 10 milliards d'euros devraient être consacrés à la recherche en matière agricole. Il n'en faut pas moins être attentif, car si « les OGM c'est du passé », en revanche les « New Breeding Techniques » (NBT) co-inventées par une Française, Emmanuelle Charpentier, ont fait l'objet d'une décision défavorable de la part de la Cour de Justice de l'Union européenne. Cette nouvelle technologie a l'intérêt d'être rapide, peu onéreuse et indétectable. Vous imaginez bien que les États tiers ne vont pas s'en priver… si nous n'y avons pas recours nous aussi, c'est autant de distorsions de concurrence potentielles dont on aura du mal à se relever à l'avenir. Un autre enjeu technologique : la chimie végétale ; mais là encore nous manquons, singulièrement en France, de politiques publiques suffisamment proactives !
En ce qui concerne les convergences, il serait réducteur de ne parler que de celles qui ont trait aux aspects budgétaires. Il y a beaucoup d'autres facteurs sur lesquels nos amis des pays d'Europe centrale et orientale ont des avantages. S'en tenir aux convergences sur les droits à paiements de base fragiliserait la France.
En matière de concurrence, je reviens sur l'avantage que nous aurions à nous inspirer des pratiques américaines. Je relève aussi le sujet de la concurrence intra-européenne qui est un vieux serpent de mer.
Je pense enfin qu'il ne faut pas opposer agriculture et environnement. J'ai interpellé le représentant de l'OCDE qui a évoqué les émissions de méthane de l'élevage bovin. J'ai souligné, sans contredire les chiffres, qu'on ne parlait jamais des conséquences positives de la culture des céréales. De mémoire, ce sont 14 millions d'hectares en France qui, par le cycle du végétal, captent 250 millions de tonnes de CO2. Si l'on compare à la forêt, qui fait 16 millions d'hectares, elle ne capte que 135 millions de tonnes. Arrêtons de regarder les bovins et de ne pas regarder la culture. C'est ainsi qu'on alimente l'agri-bashing dont nous souffrons.
J'aimerais insister sur les propos de M. Christophe Jerretie : nous ne devons pas opposer les priorités et trouver une solution dans le prochain CFP. De plus, notre souveraineté passe aussi par une souveraineté agricole et alimentaire, comme tout le monde l'a bien souligné aujourd'hui.
Je vous remercie pour cette première réunion qui a abouti à un texte très constructif que nous pourrons tous porter.
La séance est levée à 18 h 20
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Éric Bothorel, M. Jean-Louis Bourlanges, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, Mme Typhanie Degois, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, M. Alexandre Freschi, M. Alexandre Holroyd, Mme Caroline Janvier, M. Christophe Jerretie, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Nicole Le Peih, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye ;
Excusés. – M. Patrice Anato, Mme Fannette Charvier, Mme Françoise Dumas, Mme Marietta Karamanli, M. Damien Pichereau, M. Joaquim Pueyo.
Assistaient également à la réunion :
- Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Pascale Boyer, M. Yves Daniel, M. Antoine Herth, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Sylvia Pinel, députés ;
- M. Jean Bizet, M. Philippe Bonnecarrère, M. Pierre Cuypers, Mme Nicole Duranton, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, M. Benoît Huré, M. Michel Raison, sénateurs ;
- M. Jérémy Decerle, M. Brice Hortefeux, M. Pierre Karleskind, Mme Irène Tolleret, membres du Parlement européen.