La séance est ouverte à dix heures cinq.
Je vous propose, ce matin, d'accueillir Monsieur Yves Blein, président d'AMARIS, l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs. Il s'agit d'une association reconnue. Elle fait référence en matière de risques industriels et fédère des collectivités confrontées à l'implantation de sites SEVESO ou d'autres sites dans le domaine industriel, notamment chimique mais aussi dans un certain nombre d'autres secteurs.
M. Yves Blein est par ailleurs député du Rhône et conseiller municipal à Feyzin. C'est un lieu qui parle à tous ceux qui ont eu à traiter de la question des risques industriels ou à travailler sur ce sujet. Récemment, sous l'égide d'Yves Blein, AMARIS a publié et rendu public un Livre blanc comportant un certain nombre de recommandations sur la question du suivi des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) et de la culture du risque. Ces recommandations peuvent inspirer les pouvoirs publics et notre travail dans le cadre d'un retour d'expérience sur cet accident majeur et afin de construire un certain nombre de propositions visant à l'amélioration de la gestion mais aussi de la communication de crise, puisque l'ensemble des acteurs a été confronté à ce que l'on peut aisément qualifier une « crise ».
Monsieur Yves Blein, pourriez-vous nous préciser la nature de ces recommandations ? Pourquoi arrivent-elles maintenant ? Cela est-il lié directement à l'évènement de Lubrizol ? Ou étaient-elles déjà en préparation par rapport au retour d'expérience que vous pouvez avoir à partir des collectivités ? Parmi vos recommandations, vous évoquez le fait d'avoir des bonnes pratiques - pour les collectivités - et une meilleure mobilisation de la part des acteurs. La préconisation de ces recommandations était-elle déjà en cours ? Ou sont-elles sorties uniquement du fait de l'événement Lubrizol ?
En septembre, le Bureau d'analyse des risques et des pollutions industrielles (BARPI), qui dépend du ministère de la transition écologique et solidaire, a publié un certain nombre de chiffres qui nous interrogent sur l'augmentation des accidents industriels et sur la question des inspections. Cela vous inspire-t-il des commentaires ? Cela correspond-il à une réalité vécue ? Avez-vous envie de commenter ces chiffres ?
Quoi qu'il en soit, nous sommes interpellés sur les questions touchant à la prévention comme à la gestion de ces risques et de ces pollutions industrielles. Il s'agit de ne pas « baisser la garde ». La mobilisation doit être permanente. Et ce discours est présent à travers l'ensemble des recommandations.
Dans plusieurs déclarations récentes, vous avez considéré que les entreprises et les équipements riverains d'un site classé SEVESO constituaient « des angles morts de la réglementation ».
L'incendie de l'usine Lubrizol vous donne raison, avec la continuité du sinistre dans un entrepôt mitoyen de ce site, à savoir celui de l'entreprise Normandie Logistique. Selon vous, quels principes ou dispositions faudrait-il inscrire dans les textes afin de combler ce vide juridique ?
Avec les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), dispose-t-on d'un dispositif législatif solide qui appellerait de simples compléments, voire aucune modification ? Ou faudrait-il réviser ces PPRT pour leur ajouter des éléments ?
Concernant les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), vous avez une connaissance assez fine du travail des inspecteurs des installations classées qui contrôlent les sites SEVESO. Quels sont les commentaires à leur sujet ?
Je voudrais aussi revenir sur l'augmentation des accidents industriels. Le BARPI a donné des chiffres qui montrent une augmentation des accidents dans les établissements SEVESO, hors centrales nucléaires : +25 % en 2018, +22 % en 2017 et +15 % en 2016, avec des impacts environnementaux de plus en plus fréquents. Quel commentaire pouvez-vous faire par rapport à cette augmentation constatée sur ces cinq dernières années ?
En outre, concernant les systèmes d'alerte de la population, quelles suggestions d'amélioration auriez-vous à nous proposer ?
J'aimerais aussi revenir sur les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM). Ils existent, mais cela ne veut pas dire pour autant que la population a connaissance de leur contenu. Dans la réglementation, nous ne sommes pas suffisamment clairs sur les obligations des communes pour diffuser ces DICRIM à destination de la population. Quel bilan faites-vous de ces DICRIM en tant qu'élu local et en tant que président de l'association AMARIS ?
Nous savons aussi que les comités de suivi de sites sont très hétérogènes entre les départements et les différents sites. Quelles sont vos suggestions à ce sujet, comme sur la culture du risque plus globalement ? Quelles seraient les bonnes pratiques que nous pourrions implémenter dans notre pays, qui pourraient s'inspirer de celles des pays étrangers ou des bonnes idées qui pourraient fleurir dans les « bonnes têtes » de notre pays ?
Au mois de novembre 2019, AMARIS a fait paraître le Livre blanc Mise en protection des activités riveraines des sites SEVESO seuil haut. Vous y avez étudié six territoires, dont deux en Normandie. Avez-vous prévu de réaliser une étude similaire dans la Métropole Rouen-Normandie, qui est adhérente à AMARIS ?
Dans ce Livre blanc, vous mettez en avant la communication et la synergie entre les différents acteurs, c'est-à-dire les services de l'État, les entreprises et les collectivités. Que pensez-vous de ces interactions au moment de l'incendie du 26 septembre ?
Vous préconisez également d'engager un travail d'évaluation de la mise en oeuvre des PPRT. Estimez-vous qu'à l'heure actuelle, le suivi de la mise en oeuvre des PPRT est insuffisant ?
Vos nombreuses questions sont au coeur des préoccupations d'AMARIS qui a été créée en 1990, après la directive SEVESO, par des élus locaux en partie de Normandie et de la vallée du Rhône. Certains sites de ces régions sont directement concernés par ce sujet. J'en ai été moi-même un des animateurs, en tant que maire de Feyzin, puis aujourd'hui en tant que conseiller municipal, parmi d'autres élus locaux.
Notre association a été créée pour accompagner la mise en oeuvre des directives SEVESO. Il y a eu trois grands accidents industriels dans l'histoire moderne :
- Feyzin, qui a été malheureusement le premier ;
- Bhopal ;
- et Seveso.
Ces trois accidents ont fait date, avant celui d'AZF, à cause des dégâts humains qu'ils ont causés. À la suite de la catastrophe d'AZF, la loi Bachelot a instauré les PPRT en 2003. Et lorsque se produit un accident comme celui de l'usine Lubrizol, les élus locaux ont plutôt tendance à dire : « Mon Dieu, pourvu qu'il n'y ait pas de nouvelles réglementations ».
Nous arrivons aujourd'hui à mettre en oeuvre la loi Bachelot, 16 ans après son adoption. Par exemple, les mesures d'urbanisation, et particulièrement celles qui contraignent ou incitent les riverains à faire des travaux de protection de leur logement, concernent 16 000 logements au terme de la mise en oeuvre des plans de prévention des risques technologiques. Et seulement 600 ont fait, aujourd'hui, l'objet de travaux. La marge de progrès est donc importante. Comme la loi donne sept ans aux riverains pour bénéficier d'aides parmi lesquelles les crédits d'impôt, etc., la mise en oeuvre définitive des recommandations ou des prescriptions contenues dans les PPRT viendra à échéance en 2026, puisque les derniers PPRT significatifs ont été signés en 2018.
Sur cet aspect, la loi Bachelot a complètement refondé la doctrine de la France sur la question de l'appréciation des risques. Nous sommes passés d'une méthode déterministe à une méthode probabiliste. Cela a conduit les industriels à devoir refaire toutes les études de danger, et à étudier tous les scénarios de danger. Par exemple, pour la raffinerie de Feyzin, plusieurs centaines d'études de danger ont été conduites afin de prendre en compte toutes les situations susceptibles de provoquer un accident. Elles sont étudiées une par une, pour connaître toutes les barrières aux risques possibles et imaginables. Et c'est seulement lorsque l'ensemble de ces scénarios et de ces barrières a été étudié que nous arrivons au dispositif final dans lequel nous considérons que le risque ne peut plus être maîtrisé. S'il existe des incidents à l'extérieur, nous prenons des mesures d'urbanisation, comme l'expropriation, le délaissement, les travaux ou les recommandations. Cette méthode est intéressante parce qu'elle est beaucoup plus nuancée. Mais elle a pris beaucoup de temps, parce que les études doivent être ensuite expertisées par les inspecteurs des installations classées et les DREAL.
Nous rentrons ensuite dans la mise en oeuvre des mesures d'urbanisme qui imposent une révision des programmes locaux d'urbanisme et de l'habitat (PLU-H). Tout cela prend énormément de temps, malgré le fait qu'en 2003, le législateur avait jugé bon d'accorder 15 % de crédit d'impôt pour financer les travaux chez les riverains. 15 %, ce n'est pas très incitatif, d'autant que lorsque vous êtes riverain d'une installation à risques, c'est rare que vous payiez l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou maintenant l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ! Ce dispositif ne permettait pas d'inciter les habitants à le faire. C'est seulement en 2012 que le crédit d'impôt a été stabilisé à 40 %, et que la loi a conduit les industriels et les collectivités locales à compléter ce concours pour atteindre 90 %. Ces mesures sont donc encore assez récentes. Elles rentrent progressivement dans les pratiques.
Au sujet de la question de la prévention des risques, les dispositifs sont suffisamment aboutis concernant les riverains. Le Livre blanc que nous avons produit concerne les activités économiques environnant les sites industriels. Vous pouvez avoir toutes sortes d'activités. Ces sites se trouvent souvent dans des zones industrielles où les activités n'ont pas forcément de rapport avec l'industriel à l'origine du risque lui-même. Et initialement dans la loi Bachelot, ces activités étaient soumises à la même obligation que les riverains, c'est-à-dire celle de faire des travaux de protection, sans aucune aide.
À terme, cela aurait amené beaucoup d'entreprises à cesser leur activité, parce qu'elles étaient dans l'obligation de faire des travaux pour se protéger. Souvent, des hangars industriels nécessitent des travaux lourds et ils ne font l'objet d'aucune aide. Les entreprises n'ont donc pas tellement d'autre choix que de partir ou de cesser leur activité.
En 2014, une ordonnance a permis de sortir de cette situation. Les activités économiques, comme les collectivités locales, ont aujourd'hui l'obligation par le code du travail ou par le droit public, d'assurer la sécurité de leurs salariés. Au terme des plans de prévention des risques technologiques, elles n'ont plus l'obligation de faire des travaux. Nous sommes dans une situation totalement distincte, parce que lue à partir du droit du travail : « Je suis chef d'entreprise, j'ai une menuiserie. J'ai des compagnons. Je suis à côté de Lubrizol et je dois prendre des mesures. J'en suis informé par le préfet. Ces mesures doivent faire que mes salariés bénéficient des protections nécessaires en cas d'accident. C'est ma responsabilité de chef d'entreprise. »
Le Livre blanc que nous avons produit a paru au moment de l'accident de Lubrizol. C'est tout à fait fortuit. Il attire l'attention des pouvoirs publics sur cet aspect, parce que très peu de chefs d'entreprise sont conscients de leur responsabilité. Ils reçoivent un courrier du préfet qui leur dit : « Je porte à votre connaissance le fait que vous êtes dans une situation ou dans une zone où vous êtes exposés à tel ou tel risque. Je vous rappelle vos obligations ». Mais un courrier du préfet n'est pas toujours suffisant.
Nous recommandons notamment que les industriels à l'origine du risque soient contributeurs et apportent des conseils à ces entreprises. Ce sont souvent des conseils de bon sens, comme la préconisation d'une pièce de confinement dans l'entreprise, ou le fait d'éliminer les parois en verre entre les bureaux à l'intérieur d'un bâtiment. Nous savons ce qui peut être source de dangers et de blessures. Sur le parking de l'entreprise, cela peut être de veiller à ce que les salariés se garent dans le sens du départ pour éviter les effets d'un embouteillage interne en cas d'évacuation. Cela peut être le balisage des itinéraires d'évacuation, ou la mise à disposition de masques à gaz si nous sommes exposés à un risque toxique. Ce sont des choses de bon sens qui montrent que le chef d'entreprise est conscient du risque et qu'il prend des initiatives. De plus, il n'encourt pas une recherche de responsabilité en cas d'accident causé par un tiers, puisque même s'il n'est pas le vecteur de l'accident, il est tenu d'assurer la sécurité de ses personnels.
C'est un sujet d'animation et de mise en valeur de cette responsabilité, pour lequel les Directions du travail pourraient être plus mises à contribution par les inspecteurs du travail. Les industriels à l'origine du risque, qui maîtrisent leurs produits et en connaissent les risques pour leur environnement, pourraient aussi intervenir en conseil auprès de ces entreprises pour leur dire : « Mon activité vous expose à ce risque. Je vous conseille une pièce de confinement ; ou, si vous refaites vos façades, je vous conseille d'enlever peut-être des planches ou autres qui peuvent produire des effets-missiles ; ou d'utiliser des peintures avec des effets ralentisseurs si ma source de problème est un incendie éventuel, parce qu'elles font partie des dispositions que nous utilisons pour protéger les logements ». Il faut un accompagnement des chefs d'entreprise de ces activités, afin de mieux les aider à assumer leur responsabilité.
Le même problème se pose pour les collectivités. Nous avons étudié des situations de collectivités qui ont des équipements publics dans les périmètres d'entreprises classées SEVESO. C'est un double problème : par nature, comme ce sont des établissements publics, ils ne peuvent pas être expropriés. J'ai en mémoire une aire de gens du voyage. Si la collectivité ne décide pas de la déplacer, elle peut rester puisque l'État ne peut pas l'interdire ou décider de son expropriation parce qu'il s'agit d'un bien public. Les collectivités ne sont pas non plus accompagnées sur ces questions.
La responsabilité des maires est pleine et entière, y compris dans sa dimension pénale, si un accident se produit et met en cause un groupe dans des équipements publics.
La Métropole de Rouen est adhérente à AMARIS. Il y a des services et il s'agit d'une grande collectivité. Ces sujets y sont traités et accompagnés. Mais en matière de risques majeurs, nous avons aussi des petites collectivités qui sont concernées. Par exemple, Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire) est une petite collectivité de 2 000 ou 3 000 habitants. Elle est installée sur quelques milliards de mètres cubes de gaz, puisque ce sont en partie les réserves stratégiques de stockage de la France. À l'évidence, le maire n'a pas les moyens matériels d'ingénierie pour assurer, dans de bonnes conditions, la question de traitement de sa responsabilité vis-à-vis des équipements publics et de la sûreté de ses concitoyens.
L'accompagnement des collectivités est un sujet important, sachant que le ministère de l'intérieur renvoie généralement les maires, sur cette question, aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et aux services de la Sécurité civile. Lorsque vous contactez le capitaine ou le commandant du SDIS, il vous dit : « Je n'ai pas le temps pour vous aider à expertiser votre plan communal de sauvegarde. J'ai d'autres chats à fouetter ! ». C'est donc un double sujet : celui des activités économiques et celui des collectivités locales, qui sont dans les périmètres des entreprises SEVESO. D'une certaine façon, ils sont un peu dans une impasse produite actuellement par la loi.
Concernant le registre de la prévention, depuis l'accident d'AZF, les plans de prévention des risques technologiques règlent ce point. La France est un des pays les plus exigeants sur ces questions, incluant celle de la réglementation de l'usage des produits et des dispositifs de prévention attenants.
L'accident de Lubrizol a mis en valeur un deuxième sujet : c'est la question de la désuétude des outils d'alerte en France. Sur les bandes vidéo de l'accident d'AZF, qui avait une autre dimension même si les choses ne sont jamais tout à fait comparables, les réactions des riverains sont les mêmes. La qualité et de la fiabilité de l'information ne sont pas adaptées. Les sirènes ne sont pas décodées ni comprises par la population. Depuis plusieurs années, nous savons qu'il existe d'autres méthodes d'information beaucoup plus modernes et pertinentes.
Pourquoi se pose la question de l'alerte ? L'accident de Lubrizol l'a parfaitement démontré. Si on est riverain d'un site industriel et qu'il se produit un accident, nous avons une perception qui n'est pas du tout la même que celle du préfet qui pilote la cellule de commandement des opérations. Pourquoi ? Parce que le préfet a des informations objectives qu'il est tenu de communiquer. Sa responsabilité peut être aussi engagée sur les recommandations qu'il donne. Il est bien normal qu'il doive se tenir à « une vérité exacte »…
Mais la perception des riverains n'est pas du tout la même. J'ai été témoin, durant mon mandat de maire, d'un feu de bac à la raffinerie de Feyzin. Ce n'est rien pour l'industriel. C'est une pellicule de produits pétroliers en surface d'un bac rempli d'eau qui s'enflamme parce qu'il y a eu un éclair. Il y a un mur de flammes de 15 mètres de haut qui dure dix minutes, et c'est tout à fait maîtrisé. Cela ne fait même pas l'objet d'une saisine de la cellule de la préfecture. Mais lorsque vous êtes devant 15 à 20 mètres de flammes, vous n'avez pas conscience que c'est un incident mineur.
Le cas de Lubrizol est exactement pareil. Du point de vue des dirigeants de l'entreprise qui connaissent le produit et qui savent en apprécier la réalité du danger, et du point de vue du préfet qui a pris, avec le commandant des sapeurs-pompiers, l'ensemble des mesures pour protéger les installations attenantes et pour mettre en place les barrières de risques, etc. : le sujet est maîtrisé. Au demeurant, il l'a bien été et en peu de temps, puisque deux ou trois heures après le début du sinistre, la situation était maîtrisée.
Ce n'est donc pas un sujet important. Mais du point de vue du riverain qui voit des flammes monumentales et un panache de fumée colossal, la perception n'est pas du tout la même. D'une certaine façon, ce décalage disqualifie la parole des autorités, parce qu'elle n'est pas en phase. Elle n'est pas crédible par rapport à ce que les personnes ont sous les yeux et constatent.
Par exemple, la parole des pompiers semble beaucoup plus crédible. Peut-être faut-il se poser la question de qui doit parler à la population ? Le préfet délivre une information scientifiquement juste. Ce n'est pas critiquable. Mais peut-être faut-il concevoir que d'autres personnes, auxquelles la population accorde plus de crédit, s'expriment pour expliquer ce qu'il se passe. Peut-être que les termes employés seront administrativement et juridiquement moins justes, mais pédagogiquement, ils auront plus d'effet sur l'opinion. Concernant cette méthode, il existe en Belgique une plateforme nationale qui décrypte ce qui se dit sur les réseaux sociaux et qui réunit des experts qui réagissent aux remarques ou aux sollicitations de la population.
Au sujet de la prévention, il existe déjà des systèmes sur les zones susceptibles d'être l'objet d'un tsunami ou de catastrophes naturelles, notamment le système de Cell broadcast qui a été inventé en France, à Sophia Antipolis, et dont la création remonte à 1997. Cela fait une vingtaine d'années que nous savons que cela peut se faire et que cela marche. Nous avons les technologies. Ce système permet, par contrainte des opérateurs de téléphonie et toute autre forme d'opérateurs intervenant sur les réseaux sociaux, de définir une zone dans laquelle on peut dire ceci ou cela. Cela fait partie des outils qui sont techniquement tout à fait possibles.
À un moment donné, le ministère de l'intérieur se posait la question d'une application qu'il aurait lui-même imaginée. Il en a finalement abandonné la réalisation, puisqu'il faut avant tout la télécharger. Lorsque vous résidez sur un site à risques, vous pouvez télécharger l'application. Mais il faut être familier de la méthode. Sont aussi concernées les personnes qui passent, et nous n'allons pas demander à un automobiliste, lorsqu'il traverse un site SEVESO, de s'arrêter pour télécharger l'application. Il y a un problème de méthode.
Les outils existent pour prévenir les populations dans nos départements et nos territoires d'outre-mer, lorsqu'il y a des risques de cyclones, de tsunamis, etc. Il suffirait de les appliquer en territoire métropolitain pour que ce problème soit réglé. Parce qu'actuellement, le travail sur la façon de prévenir intelligemment le grand public n'est pas à la hauteur de ce qu'il devrait être.
Je porte un regard un peu plus critique sur les questions relatives aux DICRIM et aux comités de suivi de site. J'étais hier soir à Rouen, à l'initiative du Conseil de développement de l'agglomération. Le directeur de cabinet du préfet disait : « Nous publions régulièrement un DICRIM. Nous ne demandons que cela. Des initiatives sont prises, mais il n'y a jamais personne. Vous pouvez contribuer. Saisissez-vous des plaquettes et des brochures ».
Mais ce n'est pas le problème. La contribution à la culture du risque industriel et sa connaissance par les riverains ne se satisfait pas de plaquettes, pas plus que de comités de suivi de site. Ce sont des réunions utiles, une fois par an, convoquées et présidées par le préfet, avec la Sécurité civile, la police, la gendarmerie, les élus locaux et les associations environnementales. Mais cela ne permet pas de partager la culture du risque avec des habitants. Ce n'est pas à ces niveaux que cela se fait. Ce n'est toutefois pas inutile. Cela permet au moins de se parler et c'est une bonne chose. « Je vis à côté d'une installation industrielle classée, qui présente un certain nombre de risques. Je la connais, c'est un sujet qui m'est familier. Je n'en ai donc pas forcément peur et je ne vais pas cultiver une angoisse à ce sujet ». C'est du moyen terme, voire du long terme. C'est un travail d'animation du sujet qui devrait être confié davantage aux élus locaux.
Je voudrais parler de mon expérience. Vous parlez de la « Conférence riveraine ». C'est un outil que j'ai mis en place à Feyzin. Lorsque j'ai été élu maire en 2001, la raffinerie était évoquée à chaque conseil de quartier.
Mais nous ne parlions que de la raffinerie. Il fallait donc sortir ce sujet des conseils de quartier pour que nous puissions parler de la vie des quartiers. Avec les élus du Conseil municipal et le directeur de la raffinerie, nous avons créé un outil spécial, dédié à la concertation sur ce sujet, en se disant : « C'est un sujet compliqué, il faut du temps. Les habitants vont y siéger pour trois ans. Il faut qu'ils soient suffisamment nombreux et représentatifs ». Le quartier qui borde la raffinerie comprend 3 000 habitants. Parmi les habitants de chaque îlot, quarante volontaires siègent à la conférence riveraine. Il faut que les gens aient en face d'eux des décideurs. Par son règlement intérieur, la conférence riveraine inclut le maire et le directeur de la raffinerie.
Il faut aussi des moyens. Notre budget est alimenté de moitié par la commune, et de l'autre par l'industriel. Il est de l'ordre de 50 000 euros, ce qui permet de payer un animateur qui pilote les travaux. Cela évite les conflits de pouvoir. Il prépare les ordres du jour avec les habitants. Ces moyens permettent d'avoir un support de communication, la « Conférence riveraine » qui se réunit trois fois par an. À chaque fois, elle édite un petit bulletin à destination des riverains du quartier pour faire part de ses travaux, et elle s'intéresse à tous les sujets qui concernent la relation entre les habitants et l'entreprise. Ce sont le bruit, les odeurs, les nuisances comme celles produites par la torchère qui, tout d'un coup, peut envoyer des fumées particulièrement détestables dans l'atmosphère, les accidents du travail ou d'exploitation, les modifications du périmètre d'exploitation, les produits nouveaux, et d'autres sujets qui concernent l'environnement.
Comme nous en avons été témoins avec l'accident de Tchernobyl, les grandes industries devraient être protectrices de leur environnement immédiat. Autour de la plate-forme de la raffinerie de Feyzin, nous avons vu revenir certaines espèces, parce que ce sont des zones peu fréquentées par les habitants. Nous avons mis en place, avec la raffinerie, un observatoire de la biodiversité qui permet d'étudier la situation sur la plateforme de raffinage. Les personnes en profitent aussi. C'est un grand industriel, donc cela aide.
Mais il faut poser à l'industriel des questions sur sa stratégie. Va-t-il fermer ? Va-t-il durer ? Lubrizol est-il amené à rester ou pas ? À Feyzin, c'est l'entreprise Total. À la demande des habitants de La Mède, il y a eu par exemple une séquence consacrée à l'huile de palme. La reconversion d'une raffinerie, c'est un vrai sujet. Cela permet d'intégrer la question de la culture du risque et de démystifier la relation avec l'entreprise parce que les habitants connaissent le directeur et parlent avec lui. Et cela permet aussi de s'intéresser au sujet de l'industrie. Il s'agit d'avoir une appréciation différente de l'industrie elle-même, et de poser régulièrement la question de la sécurité. Cela fait partie des sujets qui sont évidemment très régulièrement abordés. À tel point qu'une réserve de Sécurité civile est née de cette initiative à Feyzin. Nous en avions parlé en Conférence riveraine, comme du plan communal de sauvegarde et de la question de l'évacuation. Tous ces sujets concernent les habitants.
La culture du risque n'est pas un sujet accidentel. Cela doit être une méthode et une question de permanence. Cela nécessite un travail de moyen et long termes. Et c'est pour cela qu'hier, le directeur de cabinet du Préfet était touchant avec ses plaquettes. Mais nous recevons des tonnes de plaquettes par an dans notre boîte aux lettres ! Le DICRIM est une plaquette de plus.
Cela ne fabrique pas la culture du risque, parce que c'est évidemment un sujet beaucoup plus important.
L'agglomération de Rouen gagnerait à travailler sur un dispositif similaire. Il y a une vingtaine de sites SEVESO. Une conférence permanente permettrait de réunir toutes les personnes qui souhaitent réfléchir à ce sujet : les acteurs de la vie économique, les habitants, les représentants du conseil de quartier et le conseil de développement.
Une conférence permanente, qui se réunirait régulièrement sur ce sujet avec les industriels et les élus, permettrait de faire progresser sûrement plus la question de la culture du risque que des plaquettes.
Merci pour ces propositions qui paraissent relever du bon sens, de l'expérience et des bonnes pratiques menées sur le territoire dans lequel vous agissez. Je souhaiterais insister sur vos réactions par rapport aux BARPI. Finalement, pour la mise en oeuvre des PPRT, il n'y a pas besoin de réglementation en plus. Nous sommes dans un dispositif plutôt abouti. Maintenant, il faut aller jusqu'au bout de la mise en oeuvre effective.
Pour ce qui relève des logements, je suis assez surpris du ratio. 16 600 est un ratio assez impressionnant. Indépendamment de cela, nous pouvons comprendre que les exploitants ont une bonne compréhension de ce qu'il faut faire pour limiter la nature même des risques, à partir des études de danger.
Quoi qu'il en soit, nous constatons une augmentation, c'est indéniable. Le rapporteur a rappelé les chiffres du nombre d'accidents industriels, qui sont majoritairement des incendies. Comment percevez-vous cela ? Y a-t-il un relâchement ? Est-ce parce que les process sont plus compliqués ? Est-ce parce qu'il y a moins de sites ? Je souhaiterais avoir votre analyse par rapport à ces données.
De la même façon, nous avons beaucoup parlé des sites. Il y a les sites de production. Il y a aussi la question des stockages. Vous avez parlé de l'objet même de votre Livre blanc, à savoir les sites à proximité des sites SEVESO. Mais à l'intérieur des sites SEVESO, il y a aussi des zones de stockage qui, comme dans le cas de Lubrizol, soulèvent un certain nombre d'interrogations.
Concernant la culture du risque, sans doute faut-il améliorer une sorte de démarche participative. Il faut entraîner les citoyens à avoir une culture partagée. Nous vous rejoignons parfaitement sur ce sujet. Il ne s'agit pas de documents, même si nous voyons aussi qu'il y a parfois des expériences réussies pour faire en sorte que ce ne soit pas simplement des documents de papier. Lors de l'audition du maire de Bois-Guillaume, M. Gilbert Renard, il nous a indiqué l'existence de magnets à coller sur les meubles. C'est un moyen de conserver l'information, parce que c'est vrai que lorsque nous recevons un magazine municipal ou une plaquette, même très bien faite, personne ne la conserve dans un classeur et dans un tiroir chez soi… Il existe des retours d'expérience en la matière.
Vous avez pointé du doigt la question des comportements et des attitudes à avoir lorsque nous sommes confrontés à une crise. Que pensez-vous des exercices réalisés ? Est-ce un exercice qui mobilise les moyens de l'État, de manière classique, ou les moyens de l'exploitant ?
Et qu'en est-il des habitants ? Sommes-nous prêts, ou pas, en France à faire des exercices « à la japonaise », c'est-à-dire qui mobilisent l'ensemble de la population sur des scénarios bien adaptés ? Vous avez su créer une sorte de « réserve citoyenne » à Feyzin. C'est intéressant, parce que c'est une façon comme une autre d'habituer les habitants à éviter cet « effet décalage » entre la perception qu'ils peuvent avoir d'un évènement et le discours des autorités et de l'exploitant qui sont habitués à une autre forme de certitude scientifique. Pensez-vous que nous devrions franchir, à un moment ou à un autre, ce cap ?
Lors d'une précédente audition, nous avions déjà évoqué avec Damien Adam la possibilité d'avoir une culture « à la japonaise » sur ce sujet. Sommes-nous prêts à franchir ce cap qui est important ?
Vous dites aussi qu'il ne faut pas rajouter de la législation à la législation. Il faut déjà bien appliquer la réglementation telle qu'elle existe aujourd'hui. Mais M. Damien Adam vous a posé une question au sujet de votre perception du travail des inspecteurs. Sans modifier la réglementation, pouvons-nous organiser les choses différemment ? Autrement dit, dans le domaine du nucléaire, il existe un écosystème particulier avec l'Autorité de sûreté (ASN) d'un côté, et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de l'autre. Les DREAL font aussi leur travail, avec des missions assez étendues. Mais pourrions-nous changer l'écosystème, en regroupant par exemple les inspecteurs dans une autorité dédiée, sans ajouter une strate de réglementation ? Il s'agit donc d'appliquer la même réglementation, mais de le faire par un biais de confiance et en créant un peu d'indépendance. Étant donné ces décalages d'information, nous constatons aujourd'hui la nécessité d'avoir un biais de confiance par une autorité indépendante.
Monsieur Yves Blein, vos derniers propos au sujet de votre expérience m'ont beaucoup intéressé. Nous mettons trop rarement en commun notre expertise et nos expériences, parce que nous n'avons pas la possibilité de le faire. Vous disiez que ce serait certainement mieux de procéder ainsi, plutôt que de prendre des directives précises. Effectivement, même si des directives sont adressées par une commune, nous ne pensons pas à les ranger dans un classeur, en nous disant : « Elles me serviront un jour. Si je ne les ai pas, je serai bien embêté ». Mais si nous avions la capacité de mettre en application ne serait-ce qu'une infime partie de tout ce qui existe, nous serions déjà capables de nous protéger.
Avez-vous déjà été confronté à une catastrophe d'une telle ampleur ? Pas forcément au niveau des flammes, ni de la hauteur du rideau de fumée, mais au niveau de l'inquiétude, de l'angoisse et du sentiment de ne pas savoir, qui se sont emparés, non seulement de cette région, mais de notre pays et peut-être même un peu au-delà ? Avez-vous en mémoire quelque chose qui ressemble à cette catastrophe ?
Si c'est le cas, comment cela a-t-il fait progresser votre association ? Comment allez-vous le répercuter ? Et comment pouvons-nous trouver des solutions ?
À partir de cette expertise que chacun d'entre nous détient, que nous utilisons souvent mal parce que nous ne la mettons jamais en commun, et en valorisant peut-être nos retraités qui s'ennuient la plupart du temps, y aurait-il la possibilité de créer une instance « patrimoniale » ? Non pas dans le sens de posséder un compte en Suisse, mais de posséder du « patrimoine », c'est-à-dire en quelque sorte un bien commun de la patrie. Il pourrait être mis à disposition pour que nous puissions y consulter des retours d'expériences au sujet de l'animation grandeur nature de la population dans des situations extrêmes, ainsi que des réponses faites à partir de réflexions conduites dans cet esprit.
Monsieur Yves Blein, vous avez indiqué la difficulté que pouvaient rencontrer certaines collectivités, notamment en termes de moyens, pour assurer la sécurité de l'environnement d'un site, lorsqu'il présente un certain nombre de risques. Je mets en lien cet aspect avec toutes les explications données au sujet de la nécessité d'avoir une communication précise et transparente, à destination de l'ensemble de la population. Mais pour pouvoir avoir cette communication sereine, il faut être à l'aise avec la sécurité et les moyens pour la garantir. Sinon, il est difficile d'avoir une communication transparente et porteuse.
Selon vos propos, rien ne permettrait aujourd'hui dans la loi de trouver les moyens d'accompagner les élus et les collectivités territoriales de petite taille, afin de les aider à mettre en place les mesures de sécurité et d'environnement d'un site.
J'ai quelques sites à l'esprit. Ainsi, dans ma circonscription, j'ai un site SEVESO classé en « seuil haut » qui concerne cinq communes de moins de 1 000 habitants. Et ces communes n'ont pas les capacités financières d'engager des moyens nécessaires pour sécuriser, si besoin, le périmètre du site.
Quelles seraient vos préconisations ? Une collectivité plus large pourrait-elle les prendre en charge ? Une contribution devrait-elle être imposée aux sites ? Avez-vous d'autres idées sur cette question ?
Pour prolonger ces questions, dans le cadre de l'incendie de Lubrizol, nous avons un panache de fumée qui a dépassé le périmètre directement concerné par le PPRT. Au sujet de la culture du risque et de l'image que vous indiquiez à propos des riverains, il peut y avoir une pollution atmosphérique qui fait que le riverain se trouvant à 100 kilomètres du site est, en fait, concerné. Nous avons raison d'améliorer les dispositifs concernant la culture du risque à l'échelle des sites et à leur proximité immédiate. Mais il faut aussi imaginer des dispositifs permettant d'avoir une culture partagée et plus large.
Je ne sais pas s'il existe une réponse à cette question. Beaucoup de variables rentrent en compte pour estimer le panache de fumée, selon la direction du vent, selon l'horaire, etc. Le principe des PPRT sur cette question est de définir le temps nécessaire de dilution dans l'atmosphère d'une pollution. Les recommandations de confinement sont fondées sur ces évaluations. Et dans une situation comme celle de Lubrizol, c'est plus compliqué à prendre en compte.
La question de la place des élus est importante. Nous ne pouvons pas transférer à une collectivité de niveau supérieur ce sujet. Pourquoi ? Parce que le maire est juridiquement responsable de la sécurité de ses concitoyens. La loi sur la sécurité civile le dit, c'est à lui de mettre en place un plan communal de sauvegarde. Ce n'est pas au président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), même si les moyens sont là. Le président de l'EPCI peut aider le maire à assumer sa responsabilité. Mais il est impossible de déléguer cette responsabilité. C'est bien le maire, quelle que soit la taille de sa commune, qui doit l'assumer.
Il faut aider les communes, quelle que soit leur taille. Il y a autant de petites communes que de grandes, qui ont des installations classées SEVESO sur leur territoire, et pour lesquelles il faut que les maires ne soient pas seuls face à cette responsabilité et qu'ils puissent prendre les mesures de mise en sécurité de leur population en cas d'accident.
Je comprends bien cette question de responsabilité et l'impossibilité de la déléguer. Mais lorsqu'il y a une autorisation pour installer un site, la voix du maire ne compte pas plus qu'une autre. Il y a une discordance, parce que leur voix est une parmi d'autres, alors que la responsabilité est portée seulement par eux. Et nous savons par avance qu'il n'a pas les moyens de la porter. Existe-t-il des possibilités pour corriger cela ?
Une chose est sûre sur cette question précise : la loi ne prévoit pas de chaîne logique entre le plan particulier d'intervention (PPI), qui est à la main du préfet, et le plan communal de sauvegarde (PCS), qui est à la main du maire, alors que c'est une nécessité absolue. Dans le cahier des charges de son plan de protection, il faut que le préfet ait comme interlocuteur premier le maire, y compris parce que c'est le réflexe de la population. Si vous êtes témoin d'un accident et que vous êtes riverain d'une installation, vous appelez la mairie et non la préfecture. C'est normal. Le préfet a souvent « d'autres chats à fouetter » dans des cas comme cela, plutôt que de répondre aux habitants ! Ils s'adressent donc logiquement au maire. C'est le maire qui déclenche le plan communal de sauvegarde, c'est-à-dire les dispositions susceptibles d'organiser l'évacuation et la situation de la population.
Des dispositions existent aujourd'hui pour permettre au maire de le faire. Mais il faut déjà un certain niveau d'équipements. En tant que maire, j'ai équipé ma ville d'un standard automatique d'appels qui me permettait d'envoyer un message téléphonique.
Mais encore faut-il que les habitants soient inscrits. Cela reste malgré tout aléatoire. La ville de Gonfreville-l'Orcher, dans la banlieue du Havre, a mis en place un dispositif fixe installé chez tous les habitants. Il permet même d'interrompre la télévision si elle est en marche, pour signaler un accident en cours et indiquer quel comportement adopter. Les dispositifs existent.
Les exercices existent aussi. Certains ne sont pas suffisamment fréquents, mais ils sont initiés par les préfets et les SDIS. Ils mettent parfois à contribution les habitants, mais c'est rare. À Feyzin, nous avons simulé un accident sur la raffinerie, et les habitants étaient évacués. C'est très intéressant, avec une anecdote assez drôle : les habitants ne voulaient pas croire que la raffinerie n'avait pas été arrêtée, parce que tout d'un coup, il n'y a plus eu de bruit. L'autoroute avait été coupée pour les nécessités de l'accident. Ils vérifiaient en même temps leur capacité à couper la circulation, à évacuer une autoroute et le temps nécessaire à l'opération. À Feyzin, l'autoroute passe au pied de la raffinerie. C'est aussi le cas à Donges, en Loire Atlantique, où le train passe au milieu de la raffinerie. Il faut donc pouvoir arrêter les moyens de transport, etc. L'arrêt du trafic sur l'autoroute a provoqué un tel silence que les habitants étaient persuadés que la raffinerie avait été arrêtée. L'exercice a eu pour vertu de démontrer que tout le bruit qu'ils attribuent à l'industriel ne provient pas de la seule raffinerie. L'industriel était très content : « Vous voyez, ce n'est pas moi qui fais du bruit ! ». C'est très intéressant parce que cela permet de vérifier notre capacité à évacuer des personnes handicapées et à gérer les voies de circulation. Ces exercices gagnent beaucoup à être faits.
Concernant l'analyse du BARPI, je vous ferai une note parce que je n'ai pas suffisamment d'éléments. Beaucoup d'installations sont classées, y compris les pressings. Il faut vraiment regarder en détail les documents pour voir ce qu'il y est écrit en matière d'accidentologie. Je ne voudrais pas me risquer à une analyse sans avoir suffisamment d'éléments à vous donner.
Vous posez la question d'une autorité distincte pour l'inspection des installations classées. Je suis assez réservé sur ce sujet, pour une simple et bonne raison : attention à ne pas rajouter des obstacles au développement de notre industrie. Je ne suis pas sûr que la question d'une autorité indépendante ne soit pas un obstacle supplémentaire. Nous avons déjà une réglementation très élaborée. Notre corps d'inspecteurs des installations classées est de très bonne qualité. Il est peut-être nécessaire de le renforcer, mais je n'ai cependant pas d'avis précis sur le sujet. Une bonne coopération existe entre les industriels et l'inspection des installations classées. C'est une relation assez exigeante, mais les industriels l'apprécient en France.
J'ai en tête une autorité environnementale indépendante. C'est sûrement une bonne chose, mais cela rajoute de la complexité. Nous nous rendons compte ensuite, lors de l'instruction des demandes d'autorisation relatives aux installations classées, que plus nous rajoutons de la complexité, plus nous rajoutons des délais de procédure, et plus certains industriels nous disent : « Écoutez, on va aller ailleurs, parce que ce n'est vraiment pas possible… ». Il faut apprécier cet aspect avec précaution.
Merci d'avoir accepté cet exercice, qui était aussi celui de la prospective, et de nous avoir fait quelques propositions à partir de votre expérience et de celle de l'association que vous présidez. Cela a permis de nous éclairer.
La séance est levée à onze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen
Réunion du jeudi 28 novembre 2019 à 10 heures
Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Pierre Cabaré, M. Dimitri Houbron, M. Jean Lassalle, Mme Annie Vidal
Assistaient également à la réunion. - M. Sébastien Jumel, M. Jean-Paul Lecoq