La réunion débute à 14 heures 30.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission poursuit l'examen de la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées (n° 3219) (Mme Annie Chapelier, rapporteure.
Mes chers collègues, nous allons reprendre la discussion générale, engagée ce matin, sur la proposition de loi relative au parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées, avant d'examiner ses articles et les amendements qui ont été déposés.
Nous abordons cette proposition de loi, qui traite d'un sujet sensible, avec un a priori favorable car elle vise à valoriser, tout en l'encadrant, les élans de solidarité et de générosité de notre peuple.
Fort de mon expérience de militant et d'élu dans un département qui compte de nombreux réfugiés et sans papiers, je sais que le parrainage individuel est toujours nécessaire pour aider la personne, même une fois obtenu le statut de réfugié, à acquérir la citoyenneté, à accéder au travail, à accomplir ses premiers pas dans un pays où elle ne pourra pas compter sur le soutien d'infrastructures qui restent insuffisantes.
Cependant, des questions se posent. Tout d'abord, le texte, tel qu'il est rédigé, laisse planer l'ambiguïté entre le parrainage privé et le parrainage citoyen. Autant nous comprenons cette dernière notion, autant celle de parrainage privé reste floue.
Prenons garde, par ailleurs, à ce que le parrainage demeure un accompagnement de l'État dans l'exercice de sa mission et ne s'y substitue pas. Or, la carence des moyens accordés par l'État pour accompagner ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ou ceux qui demandent l'asile est telle que les parrains pourraient être encouragés à se substituer à l'État qui a pourtant l'obligation d'accompagner la personne vers l'emploi, le logement etc.
Nous avons déposé un amendement pour élargir le parrainage aux sans-papiers qui, souvent, travaillent, et ne seront sans doute jamais reconduits à la frontière. L'épidémie de covid-19 a permis de constater que, parmi les travailleurs de la deuxième ligne, beaucoup étaient en situation irrégulière, ce qui ne les empêchait pas de se lever tous les matins pour exercer des métiers de première nécessité, dans les zones de stockage ou de livraison par exemple.
Enfin, nous nous interrogeons quant à l'opportunité de renvoyer à un décret en Conseil d'État la fixation des conditions d'application de ce dispositif, qui pourrait être facilement détourné de ses objectifs louables pour abuser de personnes fragiles. Ainsi, je soutiens en ce moment une personne qui a été réduite par son parrain, un ancien sénateur, à l'esclavage pendant cinq ans. Elle a gagné devant le tribunal des prud'hommes.
Certains pourraient être tentés d'utiliser le parrainage pour transformer, sans aucune éthique mais avec les meilleures intentions du monde, leurs filleuls en personnels de maison.
Au-delà de l'accueil, de l'aide et du secours que nous devons aux réfugiés et aux apatrides qui arrivent dans notre pays, leur intégration réelle à la société française doit être notre ambition commune et l'ultime objectif de notre politique migratoire.
Les conflits, la persécution ou la misère ont contraint ces hommes et ces femmes à quitter leur terre natale, à se détacher de leurs racines, pour rejoindre une Europe dont ils ne savent presque rien, si ce n'est la promesse d'humanité qui fait son honneur.
Tradition française et enjeux contemporains majeurs : la prise en charge des réfugiés est une réalité à laquelle nous devons répondre de manière globale, dans une perspective de long terme.
La construction d'un véritable parcours d'intégration par l'insertion linguistique, économique et sociale est aussi bien une nécessité qu'un enjeu de cohésion nationale. Aurélien Taché l'avait déjà souligné dans son rapport de février 2018, intitulé « Pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France ». Offrir un cadre légal favorable pour accompagner et promouvoir le développement des dispositifs de parrainage citoyen est une solution simple et concrète qui a déjà fait ses preuves. C'est l'objet de cette proposition de loi.
En effet, du fait de l'insuffisance des moyens de l'État, l'engagement des bénévoles auprès des étrangers est réel et multiforme, par le biais d'une dynamique locale au sein de communes engagées, de réseaux associatifs ou de projets individuels.
En plus du soutien matériel et financier que ces citoyens et ces associations apportent aux réfugiés, toute la force du parrainage réside dans les liens sociaux, culturels et amicaux : enseigner le français, tisser des relations personnelles, échanger, soutenir moralement, vivre des expériences en commun. Une parfaite intégration ne saurait aboutir sans ces partages dans une société plus unie et apaisée.
Cette proposition de loi tend à offrir un cadre légal à des pratiques déjà existantes, sans intention de substituer l'action bénévole, associative ou caritative à l'État, qui doit continuer à accompagner les réfugiés à chaque étape de leur parcours d'intégration.
Il ne s'agit pas non plus d'enfermer les bonnes volontés dans des normes contraignantes.
L'inscription du parrainage citoyen et de sa définition dans la loi permettra de renforcer et de développer les initiatives, en accompagnant l'engagement des citoyens désireux de participer à l'intégration des réfugiés. Nous vous proposons ainsi d'expérimenter en France, durant trois ans, un programme de parrainage citoyen.
La détermination des Français à s'investir dans la défense de l'intérêt général est forte, comme en témoigne la progression du taux d'engagement associatif chez les moins de 35 ans, selon une étude France Bénévolat réalisée en 2019 à partir d'un sondage Ifop, mais aussi l'explosion du nombre d'initiatives solidaires durant la crise sanitaire.
Le parrainage citoyen, parce qu'il émane de la société, représente un levier irremplaçable pour intégrer les étrangers. Notre rôle de législateur est de catalyser la mobilisation civique en lui donnant un cadre et des moyens. La France doit faire plus et mieux pour donner un refuge à ceux qui n'ont plus rien. Ce n'est pas une question d'honneur ou de solidarité mais un impératif humanitaire.
Merci, tout d'abord, au groupe La République en Marche d'avoir donné un avis favorable à cette proposition de loi, et d'avoir souligné la volonté croissante des acteurs de la société civile de s'engager.
De même, M. Raphaël Schellenberger a relevé ce qui me semble être l'essence du dispositif : le lien social et affectif.
Les mots de Mme Nadia Essayan m'ont touchée et la conciliation qu'elle propose entre la fraternité et l'ordre public résume l'esprit de ce texte.
M. Christophe Euzet s'est interrogé sur la nature des besoins et a pointé le danger d'une dérive communautariste tandis que M. Stéphane Peu s'est inquiété de l'ambiguïté entre le parrainage privé et le parrainage citoyen. L'un de mes amendements tend à remplacer le terme privé par citoyen. Cette proposition de loi, que nous préparons depuis trois ans, s'inspire du modèle canadien qui emploie le terme de parrainage privé. Je conviens cependant que ce terme recouvre, au Canada, des pratiques différentes de celles que nous connaissons dans notre pays, où le terme de parrainage citoyen est plus adapté.
Vous avez été quelques-uns à craindre que ce dispositif ne se substitue progressivement à l'État, que vous jugez défaillant. L'État n'est pas en mesure de subvenir à tous les besoins d'une inclusion réussie, aussi est-il nécessaire de compléter les dispositifs qu'il met en œuvre par celui du parrainage. Chacun reste dans son rôle mais nous devons permettre à tous les Français qui le souhaitent de s'engager dans cette mission sans pour autant décharger l'État des responsabilités qui lui incombent concernant l'accueil des réfugiés.
S'agissant du renvoi au Conseil d'État de la fixation des modalités de ce dispositif dont M. Peu craint qu'il puisse être détourné de ses objectifs, j'ai connu des cas similaires dans ma circonscription, mais dans les deux sens : certains parrains avaient domestiqué leurs filleuls mais certains filleuls avaient également abusé de la générosité de leurs parrains, souvent des personnes âgées, en leur mentant, en profitant de leurs biens ou en détournant des fonds. En posant un cadre légal, nous espérons prévenir ces dérives qui peuvent être favorisées par les initiatives qui éclosent de manière informelle dans tout le territoire. L'inscription d'un tel cadre dans la loi a, en tout cas, porté ses fruits au Canada où le parrainage privé s'appuie sur une relation de confiance placée sous le regard bienveillant, lucide et exigeant de l'État.
La Commission en vient à l'examen de l'article unique de la proposition de loi.
Article unique (art. L. 754‑1, L. 754‑2, L. 754‑3, L. 754‑4, L. 754‑5, L. 754‑6 et L. 754‑7 [nouveaux] du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) : Parrainage citoyen pour les réfugiés, les apatrides et les personnes protégées
La Commission est saisie de l'amendement CL8 de la rapporteure.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine l'amendement CL10 de la rapporteure.
Il s'agit, d'une part, de territorialiser l'élaboration des chartes éthiques qui organiseront la procédure de parrainage – une par département – et, d'autre part, d'associer à leur écriture les collectivités territoriales volontaires et les associations dont l'implication à tous les niveaux du dispositif est une condition essentielle de réussite.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL9 de la rapporteure.
Elle en vient à l'amendement CL12 de la rapporteure.
Pour répondre à une demande des associations et de la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés, cet amendement tend à permettre la création d'un label pour valoriser le dispositif du parrainage et accroître sa visibilité.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL11 de la rapporteure.
Lorsqu'il sera question de reconduire le dispositif, il est important que les associations ayant participé à l'expérimentation se prononcent sur sa pertinence et puissent demander qu'il ne soit pas renouvelé.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article unique modifié.
Après l'article unique
La Commission est saisie de l'amendement CL14 de M. Stéphane Peu.
Cet amendement vise à élargir le parrainage aux sans-papiers. La pratique existe de manière informelle, heureusement, mais il serait préférable de l'inscrire dans la loi, ce qui ne présagerait en rien du sort réservé au dossier administratif de ces personnes.
Vous me donnez l'occasion de saluer l'extraordinaire travail accompli par de nombreuses associations qui parrainent les sans-papiers et les demandeurs d'asile – je pense à une association très active dans ma circonscription, JRS Welcome.
Cependant, le périmètre de cette proposition de loi est clair : elle ne concerne que les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié. Je ne souhaite pas qu'il soit étendu à d'autres qui n'auraient pas obtenu de titre de séjour. L'objectif de ce texte est déjà suffisamment ambitieux : honorer le devoir historique, conventionnel et constitutionnel d'accueil et d'intégration que la France doit aux bénéficiaires d'une protection internationale. C'est aussi une manière de reconnaître et de valoriser le statut de réfugié.
Nous souhaitons tous étendre ce dispositif aux sans- papiers et nous en avions d'ailleurs débattu au sujet du délit de solidarité, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'asile, à l'immigration et à l'intégration.
Au-delà des associations, des citoyens s'engagent également personnellement auprès de demandeurs d'asile. En adoptant cette proposition de loi, nous ferions déjà un premier pas important. Surtout, nous espérons, au sein de notre groupe, que cette démarche aboutisse, quitte à accepter des compromis.
En revanche, nous sommes d'accord pour réfléchir à un projet plus ambitieux.
La Commission rejette l'amendement.
J'avais déposé un amendement sur le délit de solidarité, qui avait trait à l'accueil des étrangers ainsi qu'au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Est-il possible de savoir pourquoi il a été déclaré irrecevable ?
Il ne suffit pas qu'un amendement se rapporte au même code que celui qui est modifié par le texte de loi pour qu'il soit jugé recevable. Il doit avoir un lien avec l'objet même de la proposition de loi. En l'espèce, ce texte concerne le parrainage de personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou apatrides mais n'aborde pas le délit de solidarité.
J'ai d'ailleurs longuement hésité avant de déclarer recevable votre autre amendement, portant article additionnel, que nous venons d'examiner, mais le fait qu'il se rapporte au dispositif de parrainage a emporté ma conviction.
La Commission adopte la proposition de loi ainsi modifiée.
La réunion s'achève à 14 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Annie Chapelier, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Paula Forteza, Mme Émilie Guerel, M. Stéphane Peu, M. Pacôme Rupin
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Rémy Rebeyrotte, M. Arnaud Viala
Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Bagarry, Mme Albane Gaillot, M. Matthieu Orphelin