Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mercredi 13 octobre 2021
La séance est ouverte à neuf heures vingt.
(Présidence de M. Jacques Krabal, vice-président de la commission)
le président Jacques Krabal. Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale, dans la salle Lamartine. Le président de la commission d'enquête, M. Philippe Benassaya, m'a demandé de le remplacer ce matin et d'excuser son absence auprès de vous. La commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont fait partie Monsieur Benassaya, en vue d'identifier ce qu'elle nomme « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française », constatés de longue date, mais que les pouvoirs publics peinent à corriger. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation qui vous a été communiqué. Nous poursuivons donc avec vous une longue séance de sept auditions et tables rondes consacrées à la réinsertion par le travail et en prison, la formation professionnelle et l'employabilité des détenus.
M. François Bonneau, président de la région Centre-Val-de-Loire, nous a expliqué comment les Régions se sont emparées de leurs nouvelles compétences, de la formation professionnelle des détenus. Pour poursuivre cette thématique, nous en venons maintenant à votre établissement public, acteur essentiel du service public de l'emploi. Les membres de la commission d'enquête suivent les questions carcérales de longue date et sont donc sensibilisés à la formation des personnes détenues. Voilà deux semaines, aux Baumettes, plusieurs d'entre nous ont constaté comment les détenus, hommes et femmes, reçoivent une formation professionnelle dans des ateliers de couture et de dessin assisté par ordinateur. Il a été possible d'échanger librement avec certains d'entre eux.
Il vous sera donc demandé ce matin de commencer par prononcer un exposé de cinq minutes chacun afin d'apporter les premiers éclaircissements aux membres de la commission d'enquête sur une série de questions qui vous ont été préalablement adressées. Ensuite, nous procéderons à un tour de table sur ces différentes questions. À l'issue de l'audition, nous vous invitons en outre à communiquer au secrétariat de la commission d'enquête les éventuels documents écrits qui vous sembleraient de nature à éclairer nos travaux.
. Merci à tous les deux d'avoir accepté cette invitation de notre commission d'enquête.
Celle-ci a été créée à la demande de nos collègues du groupe Les Républicains pour mettre en lumière l'impact qu'aurait la surpopulation carcérale sur la vie en détention dans tous ses aspects, notamment ceux touchant à la réinsertion des détenus, dont la formation professionnelle constitue un des principaux leviers. Il est bien connu que ces personnes avaient, pour beaucoup, des niveaux de diplôme très insuffisants pour être insérées normalement avant leur détention. S'ils ne sont pas formés durant leur détention, cet état de fait reste d'autant plus prégnant à leur sortie.
Votre témoignage sur ce sujet, à nos yeux essentiel, permettra de dresser un historique de la formation en détention et de comprendre l'évolution de celle-ci. Je pense notamment à l'évolution législative survenue en 2014, qui a conduit à transférer cette compétence aux régions. La question est, comme il nous est rappelé systématiquement, de savoir comment faire mieux : il ne s'agit pas d'être critique, mais seulement de profiter de cette commission d'enquête pour être force de proposition et donner des leviers d'action supplémentaires aux acteurs qui travaillent auprès des détenus.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Pascale Gérard et M. Guillaume Rauffet prêtent successivement serment.)
Mme Pascale d'Artois, aujourd'hui en déplacement, vous présente ses excuses et m'a prié de la représenter.
L'AFPA est un établissement public depuis le 1er janvier 2017, après avoir été une association depuis la décentralisation en 2014. Elle sort d'une période difficile, l'adaptation de l'outil de production à la décentralisation et à l'ouverture à la concurrence ayant tardé : cette transformation importante de l'agence, consécutive aux décisions du gouvernement de 2018, est désormais achevée. Nous avons fait l'objet d'un plan de sauvegarde de l'emploi en 2020 : nous sortons à la fois de cette restructuration et de la crise sanitaire. L'AFPA entend revenir : c'est le signe qu'a donné le Premier ministre en visitant notre centre de Châtellerault. Et il a annoncé, voilà deux semaines, un plan de réduction des tensions de recrutement.
La formation des détenus est au cœur de la stratégie de l'AFPA. En effet, notre plan stratégique, qui figure dans un des axes de notre contrat d'objectif de performance, vise à se tourner vers les publics dits « spécifiques » : les mineurs, les publics les plus fragiles comme les jeunes habitant les quartiers prioritaires, les personnes en situation de handicap, les mères isolées, en particulier les mères ultramarines célibataires. La formation des détenus s'intègre parfaitement dans ce schéma. L'enjeu est celui de permettre la réinsertion, pour éviter la récidive et la surpopulation carcérale : c'est une de nos missions de service public.
Vous nous avez demandé par qui et comment étaient financées les formations professionnelles aux détenus. Vous avez évoqué la loi de décentralisation qui a confié ce public aux régions : a contrario, pour sa part, l'AFPA estime que, dans le cadre de ses missions nationales de service public, elle disposait d'une ligne dédiée à la formation des détenus. Nous en formions 500 à 600 par an. Depuis la décentralisation, pourtant largement préparée pendant deux ans avec le ministère de la justice et les services pénitentiaires, les régions s'en sont emparées. Cependant, toutes ne l'ont pas réellement fait, du moins pas tout de suite. Certaines ont mis plus de deux ans à le faire, rencontrant des difficultés majeures, par exemple à la prison des Baumettes. En effet, la formation constitue un moyen de tenir si ce n'est la paix sociale, du moins le fonctionnement normal d'une prison.
Ces formations sont proposées par les marchés publics des régions, auxquels l'AFPA répond éventuellement. En effet, l'agence ne candidate pas à tous les marchés : elle ne répond pas aux demandes réalisées dans des étiages de prix et avec une concurrence qui favorise les formations à très bas prix dans les maisons d'arrêt ou les centres de détention. Nous sommes parfois retenus quand la qualité que nous pouvons offrir, désormais prouvée, constitue un facteur essentiel du choix dans le cadre des marchés publics.
Pour sa part, Pôle Emploi a pu se substituer à l'absence de politique publique des Régions, pendant un temps, réalisant des appels d'offres et des appels à projets en direction des publics détenus. Nous y avons répondu, notamment dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes.
Vous souhaitiez savoir quelles ressources humaines interviennent à l'AFPA quand nous recevons des publics détenus : il s'agit de nos RH traditionnelles, au premier chef les formateurs métier. À l'AFPA, ne sont formateurs que des personnes qui totalisent cinq à dix ans d'expérience dans le métier, puis formées au titre de formateur. Depuis cinq à six ans, nous avons créé, à côté de la signature pédagogique de l'AFPA, une signature accompagnement. Celle-ci s'adresse aux publics les plus fragiles, quels qu'ils soient. Pour les détenus, l'accompagnement est au moins aussi important que la formation métier. C'est une des raisons pour lesquelles nos formations coûtent plus cher que d'autres.
Les séances de formation sont soumises aux règles inhérentes aux établissements. Les horaires sont adaptés. Nous travaillons avec l'administration pénitentiaire quand elles ont lieu en interne. Par ailleurs, des personnes ont l'autorisation de sortir de leur maison d'arrêt pour se former à l'AFPA, retournant le soir en détention. Ces personnes sont identifiées et mêlées aux autres publics, sans être signalées à leurs collègues. Les formateurs n'ont pas de spécificité particulière. En revanche, les accompagnateurs savent à quel point il faut être vigilant pour que les personnes suivent et réussissent.
Avec la région Centre-Val-de-Loire, l'appel d'offres est rédigé de telle sorte que nous pouvons y répondre. Il comporte notamment des formations à la restauration, à l'électricité, à la propreté, une préparation aux métiers de la fibre optique, une formation au métier d'employé commercial en magasin et de la préparation métier second œuvre qui permet de travailler partout en sortie.
Vous souhaitiez savoir si le nombre de nos interventions s'était accru. Vous avez compris que ce nombre avait subi un net recul par rapport à la période précédant la décentralisation en 2014. Nous comptabilisons aujourd'hui 230 personnes sous main de justice, qui ne sont pas toutes détenues. Nous formons à 250 métiers, du niveau CAP au niveau bac+2. Nous formons à tous les métiers possibles : aucun métier n'est réservé aux hommes, pas plus qu'aux femmes.
Vous souhaitiez connaître le taux d'insertion des détenus. Nous ne connaissons pas ce chiffre, de fait que, conformément à la RGPD – la révision générale des politiques publiques –, nous ne savons pas toujours que les personnes sont sous main de justice par exemple. Le taux d'insertion à l'AFPA dans les six mois s'établit néanmoins à 67 %, y compris pour des personnes très éloignées de l'emploi.
Vous souhaitiez savoir comment le travail de l'AFPA s'articule avec celui des régions. Nous répondons, ou non, à leurs appels d'offres. Néanmoins, dans le cadre de nos missions nationales de service public, nous mettons en œuvre des dispositifs particuliers. Par exemple, « Déclic pour l'action » est destiné aux jeunes de 16 à 26 ans : la mission locale peut nous demander de déconcentrer un atelier de Déclic dans la maison d'arrêt. Celui-ci est d'autant plus intéressant qu'il propose le code de la route, beaucoup de détenus peinant à réussir l'épreuve. Nous avons dû adapter notre outil pédagogique, l'usage d'Internet n'étant pas autorisé en prison.
Parmi nos relations avec l'administration pénitentiaire, je souhaite appeler votre attention sur la convention que nous avons signée, à deux niveaux avec l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice. Nous avons d'ailleurs été partenaires dès sa préfiguration. Cette convention nous permet d'accueillir des personnes qui réalisent leur peine chez nous. De plus, nous expérimentons la possibilité qu'une peine de TIG – travaux d'intérêt général – prescrite par le magistrat prévoie deux semaines de présentation des métiers à l'AFPA. Cette modalité permettrait aux personnes concernées d'entreprendre une formation dès la fin du TIG.
Vous souhaitiez par ailleurs recevoir des précisions sur les missions locales. Celles-ci prescrivent chez nous dans le cadre de nos missions nationales de service public.
Par ailleurs, vous souhaitiez connaître nos préconisations pour améliorer la situation. Pour ma part, j'ai relevé que l'accès à la formation sur notre territoire était très disparate selon les volontés politiques. Il nous semblerait important de disposer de contrats d'objectifs, correspondant à la dotation de décentralisation, importante mais qui n'est pas consacrée entièrement la formation des détenus.
J'ai bien noté la disparité entre régions, d'autant que je travaille sur le champ pénitentiaire depuis mon élection, en 2017. J'ai pu constater les difficultés, qui ne relèvent plus de la période de mise en place. Cette disparité est encore d'actualité, même si les régions se saisissent du sujet : le taux de formation en détention varie de 5 à 15 % – le taux préexistant était d'ailleurs plus élevé.
D'ailleurs, certaines formations auraient été abandonnées, étant plus ou moins occupationnelles, n'offrant aucune réelle valeur ajoutée. Je souhaiterais confronter ce point de vue avec votre vision.
À l'époque de la décentralisation, j'étais vice-présidente de région. Cette décentralisation a été très largement préparée, avec le ministère et les services pénitentiaires interrégionaux. Des négociations ont porté sur le personnel d'État transféré aux régions. La région Rhône-Alpes y participait à l'époque : tout le monde était prêt mais des choix ont conduit à ces disparités, délicates dans la République.
Pour nous, l'expression « formation occupationnelle » n'est pas recevable. En effet, la formation professionnelle qualifiante demande certains prérequis. Or certains jeunes sont sortis de l'école sans qualification : il leur est impossible d'entreprendre une formation professionnelle sans une remise à niveau, y compris en français et en mathématiques. Le choix leur est ensuite donné, dans le cadre de projets en nombre assez réduit : bâtiment second œuvre, formations horticoles. De plus, il faut que la personne fasse son chemin : a priori, personne n'a envie de se former, encore moins les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Nous vous laisserons le soin de dresser un bilan de la décentralisation. Néanmoins, avant celle-ci, nous travaillions avec 500 à 600 détenus : nous ne détenions pas le monopole dans une situation centralisée. Nous avons constaté une baisse de volume. Cependant, les formations assurées n'étaient pas « occupationnelles » : toutes nos formations sont qualifiantes et sont dirigées vers des métiers en tension, dont le taux d'insertion dans l'emploi durable est l'un des plus élevés.
Par ailleurs, nous développons notre activité au niveau local grâce à des partenariats. Nous mettons en œuvre notre stratégie « Village de l'AFPA » : ces structures proposent les services qui lèvent les freins périphériques à l'emploi, sur les terrains de l'hébergement, de la mobilité, de la famille. Ce volet, particulièrement adapté à ces publics, fait partie de notre nouvelle offre de services.
Enfin, la mixité des publics nous semble un facteur clé de succès. Certes, elle ne peut être mise en place dans nos interventions en centre de détention, mais les détenus sous main de justice bénéficient du contact avec les stagiaires qui ne sont pas issus du même milieu, par exemple des salariés. Chacun peut enrichir les autres.
Comme l'a indiqué Mme la rapporteure, nous n'avons pas vocation à décerner de bons ni des mauvais points. Cependant, la situation actuelle est le résultat d'une histoire. Les enjeux de la réinsertion et de l'évitement de la récidive sont essentiels. Un changement est nécessaire. Pensez-vous déceler des dynamiques par rapport à ces perspectives ?
Objectivement, j'ai constaté une vraie volonté nouvelle concernant les peines substitutives, particulièrement les peines de TIG, jusqu'alors sous-utilisées. Elles sont aujourd'hui mises en visibilité. De plus, les avocats peuvent avoir accès à la plate-forme de TIG. Cette modalité permet d'éviter la première incarcération, alors que chacun sait que la prison est criminogène. Or 70 % des TIG tels qu'ils sont effectués aujourd'hui, sans orientation ni formation, conduisent à la récidive, par conséquent à la prison. Il faudra reconnaître qu'un TIG passé à balayer des feuilles socialise peu. Il est plus fructueux de passer une partie du TIG en socialisant avec d'autres jeunes et en découvrant un métier. De telles expérimentations sont conduites à Marseille, Lille et Dijon.
Qui décide, une fois que le TIG a été prononcé, que le jeune suivra deux semaines de formation ?
La décision est prise par le juge d'application des peines. Nous sommes en relation avec le CPIP – conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation –du jeune : celui-ci nous rencontre en fin de TIG et nous sentons l'impérieuse nécessité de poursuivre avec lui. À ce moment-là, il n'est en effet plus sous la responsabilité du CPIP. Nous suivons chacun d'entre eux avec cette obsession de les suivre jusqu'à ce qu'ils intègrent une formation qualifiante.
Que pensez-vous de l'évaluation des publics avant leur entrée en formation ? Comment réaliser une évaluation après la formation ? De quels moyens disposez-vous pour contourner l'absence d'Internet en détention pour la formation ?
Pour éviter Internet, nous travaillons sur CD-Rom ainsi que sur des cahiers de travaux pratiques que nous produisons.
Par ailleurs, nous réalisons un positionnement de chaque personne qui entre à l'AFPA, sur la base de tests créés par des ingénieurs pédagogiques. Nous mesurons ainsi la distance de la personne à l'entrée dans une formation qualifiante. Nous vous, si nécessaire, proposer une formation préparatoire.
La meilleure évaluation de la formation reste la qualification. À l'AFPA, il est possible de valider des compétences par bloc. Chaque bloc permet l'employabilité. De plus, nous sommes évalués par la DARES – direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques – sur nos programmes. En règle générale, les évaluations montrent que le taux d'emploi augmente après l'issue de la formation : plus le temps passe, plus l'accès à l'emploi des personnes titrées par le ministère du travail augmente.
Parmi vos préconisations, vous avez évoqué la mise en place de contrats d'objectifs, pour faire en sorte que les crédits en matière de décentralisation puissent être finalisés. Quel pourrait être le contenu de ces contrats d'objectif ?
Je ne sais vraiment pas. En avançant cette idée, je souhaitais que les régions s'engagent, de façon pluriannuelle, sur un nombre de personnes formées sur des secteurs d'activité en lien avec les besoins de leur territoire. Cet engagement pourrait être pris entre la région, l'État et les branches professionnelles.
Peut-être est-ce votre première audition en matière de réinsertion des personnes en détention : vous avez pu constater des évolutions. Merci de votre participation.
La réunion se termine à dix heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jacques Krabal
Excusés. - M. Philippe Benassaya, M. Alain Bruneel, M. Alain David, Mme Séverine Gipson, Mme Monica Michel-Brassart, M. Stéphane Trompille