MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE
Mardi 16 novembre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures.
(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)
La mission d'information auditionne, à huis clos, M. Sebastien Gros, Director – European Strategic Relations d'Apple, Mme Julie Lavet, Government Affairs Senior Manager d'Apple en France, et M. Daniel Matray, directeur de l'AppStore et d'Apple Media Services en Europe.
Nous recevons, à huis clos, M. Sébastien Gros, directeur des relations stratégiques d'Apple pour l'Europe, Mme Julie Lavet, responsable des affaires publiques pour Apple France, et M. Daniel Matray, responsable de l'Apple Store et des services media Apple en Europe, venus nous exposer l'activité de partage de contenus de presse par Apple et le cadre du téléchargement d'applications d'éditeurs de presse dans l'Apple Store. Nous souhaitons savoir si des discussions ont lieu à ce sujet entre ces derniers et Apple, quelle est la base de rémunération des contenus ainsi mis en ligne et comment Apple traduit dans les faits la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse.
Je me félicite que l'occasion nous soit donnée de vous parler de notre modèle économique. Il diffère notablement de celui de certains de nos concurrents. Nous sommes, par principe, favorables à l'application de la régulation : un environnement économique régulé apporte une stabilité qui nous permet de savoir comment avancer pour offrir de meilleurs services à nos clients.
Apple a célébré la semaine dernière le quarantième anniversaire de sa présence en France, un anniversaire que je traduirai en quelques chiffres. Apple compte environ 2 700 salariés dans le pays. Ils sont pour l'essentiel répartis dans nos vingt magasins ; certains travaillent au siège, dans des fonctions corporate, d'autres dans nos cellules de recherche et développement. Nous entretenons des relations suivies avec quelque 500 fournisseurs locaux. Nous investissons de plus en plus dans des projets d'inclusion sociale et économique par le numérique ; ainsi, nous nous sommes associés à l'école de codage Simplon pour financer des formations qualifiantes à Montreuil, Lille, Lyon, Marseille et Toulouse. Nous mettons par ailleurs au point un programme complet de formation pour des personnes en situation de handicap ; l'accessibilité de nos services et nos produits fait partie des projets qui nous tiennent à cœur.
Apple, en France, c'est aussi un écosystème applicatif d'une grande vitalité, que nous nous attachons à soutenir. Il a été à l'origine de plus de 250 000 emplois dans le pays, notamment générés par l'Apple Store. Nous dialoguons avec les développeurs d'applications en France et, nous les accompagnons avec des équipes dédiées implantées en France, à Station F notamment, et leur ouvrons ainsi un marché mondial porteur de valeurs et d'opportunités. Depuis la création de l'App Store, en 2008, plus de 2 milliards de chiffre d'affaires ont été générés de la sorte pour les développeurs français.
Enfin, par des partenariats, Apple soutient de plus en plus fortement la culture et les arts en France. Des équipes locales dialoguent avec les artistes et les ayants droit pour les aider à mettre leurs offres en valeur. Nous disposons pour cela de trois outils : l'éditorialisation de nos contenus, des playlists localisées et les émissions de radios locales. A l'occasion de notre 40e anniversaire en France, nous avons ouvert un studio d'enregistrement pour les artistes français, situé au-dessus de l'Apple Store des Champs-Élysées à Paris.
Tim Cook, le président d'Apple, l'a dit : la société est attachée à la France, à son dynamisme culturel, sa créativité, et à la diversité de l'information qui s'y exprime.
Si nous faisons état de 2 700 emplois directs « environ », c'est qu'Apple ne cesse croître en France.
Je travaille depuis près de onze ans chez Apple, où je suis chargé des services que nous mettons à la disposition de nos clients sur l'ensemble de nos terminaux : App Store, Apple Music, Apple TV+, Apple Books, Apple podcasts, iCloud, Apple Fitness+… À Paris, une équipe d'une soixantaine de personnes se consacre au marché français. Nous sommes en relation avec les éditeurs de presse pour les aider à se positionner et à se développer sur l'App Store. Lors du passage du papier au numérique, il y a quelques années, nous les avons accompagnés en mettant en œuvre de nouvelles fonctionnalités pour vendre des abonnements sur iPad. Tous les éditeurs de presse peuvent désormais recourir à une plate-forme ouverte : il suffit de s'enregistrer pour entrer très vite en contact avec un membre de l'équipe, ou avec moi, et être guidé dans la meilleure utilisation de la plate-forme.
Trois canaux sont mis à la disposition des éditeurs de presse. Le premier est l'App Store. Notre boutique d'applications, disponible dans 175 pays, est ouverte à tous ceux qui le souhaitent. Elle offre la possibilité de créer une application et de mettre à disposition son contenu, gratuit ou payant. Nous donnons accès à la technologie qui permet de créer une application, ouvrant la possibilité de distribuer le contenu considéré partout dans le monde, où quelque 1,6 milliard de terminaux Apple sont en service.
Le deuxième canal, c'est le widget Apple News, accessible à chaque utilisateur d'un terminal Apple. Jusqu'à quatre extraits d'articles de presse sont mis en avant sur le widget à un instant donné ; des journalistes de nos équipes modifient en permanence, en fonction de l'actualité, les articles mis à la une. Les widgets renvoient vers le site internet de l'éditeur de presse concerné. Apple rend ce service gratuitement aux clients, qui disposent ainsi d'une revue de presse, et aux éditeurs, dont la visibilité s'accroît comme le trafic vers leur site web, et qui peuvent en retirer des revenus publicitaires ou vendre des abonnements directement.
Le troisième canal, Apple News (comprenant Apple News +), n'est pas encore disponible en France. Ce service, qui existe au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et en Australie, propose l'accès à un certain nombre d'articles de journaux partenaires gratuitement et un service par abonnement.
Notre modèle économique est très différent de celui de certains de nos concurrents. Nous ne sommes ni un réseau social ni un moteur de recherche. Les éditeurs de presse qui souhaitent avoir une application et proposer du contenu sur l'App Store décident s'ils veulent proposer des contenus gratuits ou payants. S'ils optent pour des contenus payants, ils peuvent, moyennant une commission, utiliser notre système de facturation in-App Purchase ; nous nous occupons alors de la TVA et des taux de change, des rapprochements comptables, des systèmes anti-fraude… Ce dispositif, qui présente de multiples avantages pour les éditeurs de presse, est facultatif.
Historiquement, nos taux de commission, pour tous les abonnements numériques des éditeurs de presse, étaient de 30 % la première année et de 15 % à partir de la deuxième année. Depuis l'an dernier, le taux a été ramené à 15 % pour tous les développeurs, y compris les éditeurs de presse, dont le chiffre d'affaires annuel sur la plate-forme est inférieur à 1 million de dollars. Pour les éditeurs de presse dont le chiffre d'affaires annuel est au-dessus d'1 million de dollars, il leur est possible de participer au News Partner Program pour bénéficier également de la commission réduite à 15%.
La pandémie de Covid-19 a eu un très fort impact sur l'ensemble des développeurs de l'App Store. Nous avons voulu leur faciliter la vie et assurer leur pérennité. Le chiffre d'affaires de la très grande majorité des éditeurs de presse français est inférieur à ce plafond, et pour les autres, l'appartenance à notre programme News Partners leur permet de bénéficier aussi de la commission réduite à 15 %. C'est pour nous une manière de soutenir une presse de qualité et, en contribuant à sa prospérité, de renforcer nos démocraties à un moment critique.
Pourriez-vous dresser le panorama des accords que vous avez passés au titre de la rémunération du droit voisin ?
Aucun accord n'a été passé parce que le contenu qui est relayé sur le widget, très courts extraits d'articles qui apparaissent sur les terminaux, n'entrent pas dans le périmètre de la loi sur le droit voisin. C'est un service offert à la fois aux éditeurs de presse et aux clients : un extrait d'article arrive sur un terminal ; si l'utilisateur cherche à en savoir plus, il est renvoyé directement vers le site de l'éditeur de presse et s'il veut s'abonner, nous ne sommes pas de la partie. Toute la différence de modèle économique est là : nous ne cherchons pas à monétiser les data, ce que nous proposons dans le cadre des widgets est gratuit et les choses ne sont pas vouées à changer à ce stade. Si nous en venions à développer Apple News+ en France, nous entrerions dans le périmètre de la loi et en ce cas, comme nous l'avons fait lorsque nous avons développé Apple Music, nous nous mettrions immédiatement en relation avec les éditeurs de presse pour avancer dans le bon sens. Nous voulons faire les choses bien ; parfois, cela prend un peu de temps mais nous n'agirons pas forcément comme d'autres ont pu le faire sur des sujets aussi sensibles. Ce qui compte pour nous, c'est l'expérience utilisateur.
Vous vous parez de toutes les vertus et nous n'avons pas de raison de ne pas vous croire, mais quelle est votre démarche ? Aujourd'hui, vous ne monétisez pas les data, nous dites-vous ; mais vous êtes à la tête de données assez importantes. Comment démontrez-vous votre volonté d'être plus vertueux que d'autres ? Avez-vous déjà conclu des accords anticipant la suite, puisque vous finirez par être soumis à la loi relative au droit voisin ?
Nous ne nous parons pas de toutes les vertus : de fait, Apple ne collecte pas les données de ses utilisateurs pour les monétiser. Nous vendons des terminaux et sur nos terminaux nous vendons des services. Nous avons déjà des discussions avec un certain nombre d'éditeurs de presse, et si nos services évoluent, nous nous soumettrons à la législation française. Je ne prétends pas que nous soyons les bons élèves. Je dis en revanche que notre mode de fonctionnement n'est pas le même que celui d'autres acteurs, et nous cherchons à vous faire entendre raison à ce sujet.
Notre modèle ne consiste pas à monétiser les data. Nous n'avons aucune donnée de nos clients sur la partie service : on ne sait ni ce qu'ils utilisent, ni comment ils l'utilisent, ni quelles applications ont été ouvertes. Notre rôle est de fournir une plate-forme aux développeurs et aux éditeurs de presse pour qu'ils puissent créer leur application et la diffuser la plus largement possible. Nous cherchons également à offrir aux clients la meilleure expérience utilisateur. Si vous avez vous-même un terminal Apple, je suis à peu près certain que vous n'avez jamais reçu de messages vous incitant à acheter un autre service Apple. Notre modèle est un modèle premium : nous offrons une boutique d'applications, la possibilité de développer une application, la faculté de la rendre gratuite ou payante. Si elle est payante et si les développeurs souhaitent utiliser notre système de facturation optionnel, ils le font moyennant une commission de 15 % assez avantageuse par rapport à d'autres. C'est notre force et c'est ce que nous nous nous attachons à faire – rien d'autre.
J'ajoute que cette commission est perçue pour nous permettre d'entretenir le fonctionnement de l'App Store, voire de l'améliorer. Elle nous permet de financer le maintien des normes de qualité et de sécurité de notre magasin d'applications.
Quelques mots sur nos relations avec les éditeurs de presse. Nous les guidons dans la création des meilleures applications possibles pour que les clients les lisent et finissent par s'abonner. Nous les aidons à distribuer leurs contenus, et notre présence dans 175 pays leur permet de toucher facilement un vaste public francophone et francophile. En matière de marketing, sachant que l'App Store reçoit 600 millions de visites par semaine au niveau mondial, la visibilité permise est considérable, et nous aidons les éditeurs à l'optimiser. Nous sommes en contact permanent avec eux pour monter des ateliers leur permettant d'offrir le meilleur service avec la meilleure technologie.
Avez-vous des contacts avec Jean-Marie Cavada, président de l'organisme de gestion collective chargé de négocier les droits voisins de la presse ?
Comme je vous l'ai dit, Apple News+ est disponible dans plusieurs pays anglophones mais malheureusement pas encore en France. Nous y travaillons. Le sujet est complexe car le produit doit être parfait avant d'être lancé ; à notre sens, nous n'y sommes pas encore en France. Nous en avons discuté avec certains acteurs français en vue d'un possible lancement mais aucune date ne peut être avancée à ce jour.
Quelle logique éditoriale préside à la publication des widgets ? Par exemple, comment est fait le choix de privilégier l'extrait d'un article du Monde ou du Point plutôt que celui d'un autre éditeur de presse ? N'est-ce qu'en fonction de l'actualité ou existe-t-il des partenariats ?
Les choix parmi les éditeurs sont faits par des journalistes selon des critères éditoriaux uniquement. Nous avons regardé un nombre assez important de titres de presse représentatifs de l'édition de presse française, et des articles sont mis en avant en fonction de l'actualité, sans, je le redis, que nous ne gagnions rien. C'est un service rendu aux clients, et aux éditeurs qui y gagnent une visibilité assez forte. Les widgets sont une source très importante de trafic pour les éditeurs. Que tous demandent à en être signale que cela doit leur servir, mais nous ne monétisons rien et il n'y a pas de partenariats.
Le widget ne renvoie pas à un article payant ; cela garantit aussi le bien-fondé (« accuration » ) des choix éditoriaux.
Depuis quarante ans, et c'est la grande différence avec l'ensemble des acteurs du marché, nous appliquons à la fabrication de tous nos produits le principe de la privacy by design, autrement dit du respect de la vie privée dès la conception : tout est fait pour que personne ne puisse avoir accès aux données personnelles des utilisateurs. Nous pouvons vous transmettre plus d'informations, si vous le souhaitez, sur ce qui est connu pour être la valeur cardinale d'Apple. On peut toujours trouver à redire, car aucun terminal n'est parfait et des failles peuvent se produire, mais à l'échelle du marché mondial, nos appareils et nos services sont ceux qui garantissent la meilleure protection de la vie privée.
Cela tient à ce que toutes les données générées ne sont pas stockées dans des serveurs externes mais sur votre appareil, et chiffrées.
Si bien qu'Apple n'a à aucun moment accès aux données d'un terminal… et ne le souhaite pas.
Sensibles à une demande des éditeurs de presse, nous avons annoncé il y a quelques mois que leurs applications pourraient fournir un lien donnant aux abonnés un accès direct à leur site internet. Cela facilitera la gestion des abonnements.
Je vous remercie pour ces indications qui précisent la spécificité de votre modèle. Nous espérons vous recevoir à nouveau pour une table-ronde, publique cette fois, que nous envisageons d'organiser le 15 décembre et au cours de laquelle les internautes pourront vous interroger.
Certainement, mais nous ne pourrons peut-être pas répondre sur tous sujets aux questions en ligne, posées publiquement.
J'entends que vous tenez à préserver le secret des affaires, mais un sujet d'une telle importance demande aussi de la transparence.
La réunion se termine à quatorze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse
Réunion du mardi 16 novembre 2021 à 14 heures
Présents. – Mme Virginie Duby Muller, M. Laurent Garcia et Mme Michèle Victory.