COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 27 mai 2021
La séance est ouverte à 14 heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde réunissant les syndicats représentatifs du groupe Suez : M. Wilhem Guette, coordinateur syndical CGT, M. Jérémy Chauveau, membre de la coordination syndicale CFDT, M. Noui Bourahli, coordinateur syndical FO, M. Eric Guillemette, coordinateur syndical CFE-CGC et M. Philippe Jacq, coordinateur syndical CFTC.
Nous allons à présent interroger en table les syndicats représentatifs du groupe Suez, et particulièrement actifs dans l'opposition à l'offre publique d'achat (OPA) déclenchée par Veolia sur leur entreprise. Je souhaite donc la bienvenue à M. Wilhem Guette, coordinateur syndical de la Confédération générale du travail (CGT), M. Jérémy Chauveau, membre de la coordination syndicale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), M. Noui Bourahli, coordinateur syndical Force ouvrière (FO), M. Eric Guillemette, coordinateur syndical de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et M. Philippe Jacq, coordinateur syndical de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc mesdames et messieurs à lever la main droite et à dire « je le jure ».
Les participants à la table ronde prêtent serment.
Je souhaite faire lecture d'une déclaration commune en union syndicale.
L'Union syndicale CGT-CFTC-CFDT tient tout d'abord à remercier la commission d'enquête de lui permettre de s'exprimer au nom des salariés de Suez qu'elle représente sur cette opération que nous considérons toujours comme hostile et qui amènera de facto au dépeçage du groupe Suez. Nous tenions devant la représentation nationale à réaffirmer aujourd'hui malgré les préaccords, accords et autres négociations obtenues dans le secret et en toute opacité sous les auspices de l'hôtellerie de luxe parisienne, notre opposition à cette opération financière sans précédent dans le secteur d'activité de l'eau et des déchets en France, mais également sur le marché mondial. Aucune réjouissance de notre côté, bien au contraire, seulement le constat d'un énorme gâchis industriel et d'une incertitude sociale plus que jamais prégnante pour les salariés de Suez en France, En Europe et dans le monde. Le tout dans un contexte sanitaire préoccupant et une situation économique mondiale totalement déstabilisée. Une nouvelle fois, l'histoire industrielle de notre pays bégaye, tristement, inexorablement, Alstom, Technic, Alcatel, Lafarge, et dorénavant Suez, toujours les mêmes mots, toujours les mêmes promesses et à la fin toujours les mêmes qui trinquent, les salariés et leurs familles. La question désormais, est, en sera-t-il de même pour les salariés de Suez. Les risques et les possibles conséquences devront être assumés par tous les protagonistes de cette opération capitalistique inouïe, repeinte comme il se doit par la communication implacable du groupe Veolia d'un verbe bien actuel et bien terne. Par leur choix et leurs décisions, le conseil d'administration de Suez et son président, le groupe Veolia, le consortium Meridian – GIP, la Caisse des dépôts et consignations, M. Gérard Mestrallet ainsi que le ministre de l'Économie et les instances ont leur responsabilité dorénavant pleinement engagée envers l'avenir professionnel des salariés de Suez, mais également vis-à-vis des usagers et des élus locaux. Nous espérons que cette commission d'enquête puisse faire toute la lumière sur cette opération et apportera un éclairage salutaire sur les raisons qui amènent au démantèlement coupable d'un fleuron industriel français.
Force Ouvrière remercie la commission d'enquête pour nous avoir accompagnés dans notre lutte contre cette offre publique d'achat (OPA) hostile. FO regrette l'issue des négociations entre Veolia et Suez, en date du 12 avril, annonçant un préaccord. Depuis cette date, à laquelle l'OPA est devenue amicale, FO n'a cessé d'œuvrer auprès des parties prenantes pour s'assurer des engagements sociaux pris sur lesquels FO restera vigilant dans leur application. Enfin, dénonçant cette opération purement capitalistique menant au démantèlement du groupe, FO, à travers les salariés quelle représente, continuera à se battre pour que le nouveau Suez commence à se développer tout en gardant le pacte social actuel.
Cette opération est effectivement capitalistique et mène à la mise en difficultés de 90 000 salariés, et d'un fleuron industriel qui disparaîtra en passant à un Suez nouvelle version représentant seulement 40 % de l'état actuel. Nous ne pouvons être satisfaits de la situation, mais nous ferons avec, car la situation a évolué entre les deux conseils d'administration de Veolia et de Suez. Nous serons vigilants aux suites données pour que les garanties soient tenues.
Vous avez dénoncé à plusieurs reprises l'opacité de l'opération de Veolia sur Suez. Quand le projet vous a-t-il été dévoilé ? Quelles sont les étapes des échanges avec votre direction ? Quelle est la teneur de ces échanges, si possible en les datant pour que nous estimions de quelle manière les organisations syndicales ont été associées ou mises à l'écart de cette opération ?
À l'annonce du préaccord produit dans la nuit du 11 au 12 avril, nous n'étions même pas informés d'une négociation en cours ce week-end précis. Nous avons été surpris de ce préaccord et avons alors demandé à être mêlés aux négociations se déroulant entre le préaccord du Bristol et l'atterrissage du 14 mai, afin d'entrer en négociation sur les engagements sociaux pris par les parties prenantes. Nous avons reçu une fin de non-recevoir, car même si la réponse n'a pas été négative, mais rien n'a été fait pour nous mettre autour de la table. Nous l'avons dénoncé auprès de notre direction générale en interne. J'ai ressenti pour ma part une grande amertume, et une grande colère, car cet accord s'est fait sans nous sachant que le périmètre visé par nos organisations syndicales n'est pas celui de l'atterrissage.
Nous n'étions pas au courant de ces négociations et avons été mis devant le fait accompli. Le préaccord tient sur un recto et un verso. Il nous a été présenté la semaine suivante, et nous sommes tombés des nues. Le dépeçage est en bonne voie, avec de fortes craintes pour le devenir de Suez. Nous restons convaincus que tout a été fait en faveur de l'actionnariat et de Veolia et non pas dans l'intérêt social des salariés de Suez.
Nous avons appris le projet d'OPA par la presse le 30 août 2020. Par la suite, nous n'avons pas été invités à partager le déroulement des négociations. Des comités sociaux et économiques (CSE) ont été réunis, mais juste pour information. Cette histoire a certainement débuté en amont.
Vous avez parlé à plusieurs reprises de dépeçage industriel en faisant des parallèles avec d'autres grands groupes français. Selon vous, quelles seraient les conséquences sur l'eau, et en termes de souveraineté industrielle de la France, de cette OPA, si celle-ci aboutissait ?
Veolia réussira certainement à devenir le champion mondial de la transition écologique. Néanmoins, la création de « Suez V2 » offre des possibilités de maintien de l'activité pérenne sur l'eau, eu égard au chiffre d'affaires dédié à ce nouveau Suez, proche des activités françaises de Veolia. Nous avons espoir qu'il y ait matière à se développer. Nous sommes en mesure à l'avenir de construire un Suez V2 capable de concurrencer Veolia à l'international.
Je pense que ce coup porté à la souveraineté industrielle française est tordu, car Veolia et Suez étaient les numéros 1 et 2 sur le marché de l'eau et des déchets. Cette OPA affaiblit l'un de ces groupes et si elle renforce le second, elle l'expose également. En effet, Veolia s'endette fortement pour lancer cette OPA, s'exposant à une déstabilisation économique, et donc à un rachat par un champion chinois ou américain. Où est la logique industrielle dans cette OPA ?
Quelles craintes avez-vous au sujet de l'emploi et des risques psychosociaux (RPS) ? Avez-vous subi des pressions dans le courant de cette opération ?
La pression subie vient des salariés qui évoluent dans une bulle anxiogène. Les salariés sont exposés aux RPS et souhaitent en savoir davantage sur leur avenir. Nous avons effectivement des craintes puisque le business plan de Suez V2 est inconnu, tout comme le devenir des salariés de Suez repris par Veolia.
Concernant les risques psychosociaux, qui ne sont d'ailleurs plus des risques, 45 000 salariés de Suez seront arrachés à leur entreprise avant la fin de l'année, en seulement six mois. Les salariés des fonctions support et transverses du siège, au nombre de plusieurs milliers, ne connaissent toujours pas leur atterrissage. La crainte est réelle pour les salariés à cause de ce planning très serré. Nous subissons une pression depuis le 30 août à cause des pertes d'emploi et du démantèlement du groupe Suez. La pression pourrait cependant se décaler puisque l'union syndicale Suez a porté plainte au parquet national financier pour trafic d'influence. La tentation de répression syndicale pourrait se faire jour dans les années à venir une fois les projecteurs écartés de l'OPA. Nous espérons que la justice se saisisse de notre plainte, car nous estimons que cette OPA est une injustice
Après sept ou huit mois de combat, à l'issue desquels nombre de personnes rejoindront Veolia, le personnel est totalement déboussolé. Comment un groupe de la taille de Suez peut-il être démantelé sans que le gouvernement n'agisse alors que nous avons sollicité toutes les instances politiques possibles et imaginables ? Personne ne nous a soutenus. Messieurs Bruno Lemaire et Emmanuel Macron n'ont jamais répondu à un seul de nos courriers.
Dès que nous avons eu connaissance du projet d'OPA hostile, nous nous doutions de l'évolution des RPS chez nos salariés. Une enquête a été lancée par un cabinet d'expertise, elle est très révélatrice du stress et de l'anxiété ambiante. Par ailleurs, la pression pourrait s'accentuer dès lors que les projecteurs nous auront quittés. Nous serons solidaires si une quelconque pression cible une organisation syndicale.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la plainte déposée au parquet national financier pour trafic d'influence ? En ce qui concerne les organisations syndicales qui n'y sont pas associées, pouvez-vous nous dire pour quelles raisons ? Quel rôle l'État a-t-il joué dans cette OPA, à ses différents niveaux ?
La plainte coule pour nous de source. Trois jours après l'annonce de l'OPA, M. Jean Castex, le Premier ministre, a annoncé dans la presse que le projet faisait sens. Puis, M. Bruno Lemaire a rappelé qu'un projet pouvait toujours être amélioré, sans oublier, Mme Elisabeth Borne, la ministre du Travail, qui a déclaré qu'elle connaissait très bien M. Antoine Frérot, que l'emploi n'était pas en danger et que le projet faisait sens. Nous avons été surpris que les membres du gouvernement prennent si peu de recul et d'impartialité sur ce projet qui concerne pourtant le secteur de l'eau et des déchets, qui plus est en pleine pandémie.
Puis, l'histoire du conseil d'administration d'Engie nous a mis la puce à l'oreille. Pour rappel, l'État est un actionnaire important du groupe Engie, nous n'avons pas été dupes des possibles manipulations afin de sauver les apparences lors du vote du conseil d'administration. Certains protagonistes de cette affaire sont des soutiens des uns et des autres, etc. M. Frérot est par exemple un soutien de la première heure du président Macron. Les positions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sont de même surprenantes alors que notre entreprise se défendait en faisant valoir la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi Florange.
Plusieurs points nous ont semblé étranges. Le collège de l'AMF est composé de plusieurs membres, dont le secrétaire général de Veolia, ce qui prête à confusion. Ensuite, fin mars, l'AMF a remis un courrier affirmant que les moyens de défense du groupe Suez ne respectaient pas les règles de défense pour une opération de ce type, alors que les juristes sont en désaccord sur ce point. La communication de l'AMF a été décisive pour la défense de Suez. À notre sens, elle n'a pas été neutre dans ses agissements. Nous ne saurons jamais si la loi Florange aurait pu être respectée.
Le manque de transparence depuis le début de l'OPA est flagrant, et interpelle, notamment au niveau du rôle de l'État. Une telle histoire se préparant en plein mois d'août alors qu'elle nécessite nombre de conseils juridiques, de banquiers, etc. Le rôle du conseil d'administration laisse plus que dubitatif. Il est important que les faits soient éclaircis, car les vies de 90 000 salariés sont mises en jeu pour une histoire capitalistique.
Depuis le 1er septembre 2020, nous y pensons. Dès cette date, FO a décidé ne pas entrer dans ce combat avec le parquet national financier, car le conseil d'administration de Suez aurait dû lancer une procédure, en lieu et place des organisations syndicales. Nous respectons toutefois les décisions des autres organisations syndicales qui ont décidé de porter ce combat. Nous n'avons aucune animosité entre organisations syndicales, juste des positions différentes.
Nous n'avons pas suivi ce dossier, car nous avons convenu que le dossier ne nous appartenait plus. Nous travaillons désormais à la construction de l'avenir, sans remettre en cause la volonté de nos collègues des autres organisations syndicales.
Des saisies ont eu lieu lors de l'opération à la demande du groupe Suez dans les principaux sièges sociaux des protagonistes. Nous avons pointé dans notre plainte le rôle du médiateur, M. Gérard Mestrallet, et de son entreprise, Equanim. 10 millions d'euros ont été versés pour une médiation donnant un tel résultat, honteux et pathétique. Nous soupçonnons un trafic d'influence potentiel et avons donc ajouté des éléments à notre plainte.
Savez-vous qui a sollicité cette médiation, et à quelle date ? Quand en avez-vous été mis au courant ? Quelle était la prestation commandée et quel est votre sentiment sur le fait qu'un ancien président de Suez soit rémunéré pour faciliter l'absorption et le démantèlement de ce groupe ? Avez-vous été prévenu de potentiels conflits d'intérêts concernant les membres d'Equanim ?
Nous avons été mis devant le fait accompli. Nous avons appris par la presse cette méditation lancée à la demande de Bertrand Camus et nous avons ensuite appris que Bertrand Camus avait finalement été exclu de la négociation. Voilà qui pose question. Nous avons appris de même la composition de cette entreprise, avec des personnes membres du Conseil d'administration de Suez. Ces 10 millions d'euros sont indécents, surtout au regard du résultat. Selon la presse, les décideurs avaient le choix entre établir un prix satisfaisant pour les actionnaires et laisser la possibilité à Suez de rebondir à l'international. Le choix s'est malheureusement porté sur une action valorisée à 20,50 euros. C'est inadmissible. Pourquoi ce choix ? Pourquoi choisir M. Mestrallet ?
Le rôle de Monsieur Mestrallet interpelle en effet, tout comme cette facture indécente. Le conflit d'intérêts est évident avec la société Equanim qui comporte dans son effectif nombre d'anciens hommes et femmes politiques ainsi que des membres des Conseils d'administration de Suez et d'Engie. Tout le monde semble se connaître, et pour quelle finalité selon vous ?
Effectivement, et sous couvert que les propos de la presse soient vérifiés le montant de la facture est odieux. Les conflits d'intérêts sont effectivement questionnant, même si nous n'avons aucune information officielle à ce sujet. Nous attendons les suites.
Monsieur Camus a effectivement été écarté lors de la médiation du Bristol ce qui pose question. Le rôle de Delphine Ernotte de même, et ce d'autant qu'elle n'est pas experte dans les métiers de Suez.
Comment expliquez-vous le revirement de la direction de Suez lors du préaccord du Bristol d'avril 2021 ?
La direction a changé d'attitude du jour au lendemain. Elle est passée d'un état combatif à une capitulation. Des menaces de pénalités de l'ordre de 300 millions d'euros ont été évoquées dans les journaux, ce qui est scandaleux, car les trois administrateurs salariés devaient également se montrer solidaires de cette amende. Ils se sont positionnés contre l'accord du Bristol lors de ce vote. Le conseil d'administration et la direction de Suez doivent cependant être différenciés, le premier validant l'accord et imposant à la Direction de se soumettre. Cet accord est clairement une soumission à Veolia. Nous sommes humiliés.
L'enjeu était purement capitalistique, avec une action passant de 15,50 à 20,50 euros. Le conseil d'administration s'est couché simplement pour une histoire d'argent.
Nous avons tous été surpris par la capitulation du conseil d'administration après de nombreux mois de lutte et de victoires. La balance est due à la pression de cette somme astronomique portée sur les administrateurs. C'est parfaitement scandaleux. L'OPA a été agressive, avec de nombreuses pressions et des menaces à l'encontre des organisations syndicales. Nous pensions pouvoir conserver un périmètre fort, bien plus large que celui finalement inscrit à l'accord. Le vrai gagnant de l'affaire est Antoine Frérot et non pas les salariés de Veolia qui devront subir une dette conséquente.
Nous avions effectivement les moyens de nous défendre.
La pression imposée par Veolia sur le conseil d'administration d'Engie était loin d'être anodine. Les administrateurs ont reçu des SMS et des courriers, sans oublier le rôle de l'AMF et l'absence d'intervention du gouvernement.
Nous avions compris que le groupe ne pourrait rester en l'état. Nous avions ciblé des marchés émergents à conserver pour que le nouveau Suez soit viable. Nous étions à ce sujet en accord avec la direction, comme elle l'avait évoqué dans la presse. Nous passons finalement d'un Suez champion mondial de l'eau et du déchet à un acteur moyen, car notre capacité de développement sur les marchés chinois et américains nous a été retirée. Les salariés sont motivés pour que le groupe redevienne un moteur de la transition écologique, mais ce sera très difficile.
Que pèse Suez par rapport à Veolia sur les futurs marchés et appels d'offres ? Nous pouvons nous poser la question.
Je résumerai mon sentiment par la consternation. Un préaccord au format A4 est simplement consternant. Le seul point important était le prix de l'action, fixé à 20,50 euros. Les engagements sociaux sont à ce jour nuls à l'étranger et se limitent à quatre ou cinq ans en France.
J'y ajouterais l'amertume, car nous avions fait le constat que Suez en serait largement impacté. Nous avons axé notre combat sur un périmètre d'activité de 9 milliards d'euros incluant des activités à l'internationale. Nous finissons pour les raisons capitalistiques évoquées à un périmètre de 7 milliards d'euros.
Quel a été le rôle d'Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor, mandaté par l'État pour servir de conciliateur dans les négociations ? Est-ce que l'État a exprimé par sa voix des demandes précises ? M. Emmanuel Macron n'a jamais répondu à vos courriers, mais qu'en est-il des autres membres de l'Élysée, du gouvernement et d'Emmanuel Moulin ?
Nous avons sollicité le Président de la République à deux reprises, par courrier, et sans succès. Il en va de même pour le Premier ministre et M. Bruno Lemaire, même si nous avons rencontré le directeur de cabinet de ce dernier. Quant à M. Emmanuel Moulin, nous ne l'avons jamais rencontré. Nous ignorons son rôle et quelles propositions, il devait porter au nom du gouvernement et du ministère de l'Économie.
Je rejoins ces propos. Le rôle de l'Élysée a effectivement été passif. À aucun moment, le gouvernement ne nous a soutenus.
Nous avons fait part de nos inquiétudes, considérant que cette OPA était destructrice d'un fleuron industriel. Ils en ont pris bonne note et nous ne les avons jamais revus.
Nous ne l'avons jamais rencontré et ne l'avons jamais sollicité. Personne n'a daigné nous répondre, alors que le sujet concerne des dizaines de milliers d'emplois. Pourquoi cette absence de dialogue ?
M. Kohler est intervenu auprès d'Engie pour que l'entreprise ne se dirige pas sur le marché du gaz de schiste américain, à peu près au même moment où l'OPA été lancée. Engie a suivi cette recommandation. Suez n'a par ailleurs pas pu monter un projet alternatif, ce qui pose question. Comment le secrétaire général de l'Élysée n'a-t-il pu être informé de cette OPA sur les deux champions de l'eau et des déchets ?
Je pense que Veolia a eu beaucoup de contacts.
J'entends les propos de mes collègues, mais sur le rôle de M. Alexis Kohler, je ne peux rien corroborer. À mon sens, le rôle de notre directeur général est plus étrange lorsqu'il annonce qu'il souhaite revendre ses parts au sein du groupe Suez. Je m'étonne que la direction ne se soit pas mise au travail dès le mois de mars pour reprendre ces capitaux au sein de l'entreprise.
Vous avez demandé à ce que l'actionnariat salarié du nouveau groupe représente au moins 11 % du capital afin de le protéger contre des revirements futurs. À ce stade, ce vœu ne semble pas être respecté puisque seuls 3 % sont inscrits à l'accord avec une possibilité ultérieure de monter jusqu'à 10 %. La place des salariés dans le nouveau est-elle selon vous suffisamment assurée ?
Telle n'était pas la demande de l'ensemble des organisations syndicales, mais de seulement trois. Force Ouvrière ne s'y est pas associée, car dans l'optique d'une OPA, la société doit être cotée en bourse. Or, nous avions reçu l'assurance que le groupe Suez V2 serait retiré de la bourse. Par ailleurs, nous poussons à un actionnariat salarié aux alentours de 10 %. Les 3 % de départ sont clairement insuffisants, mais nous monterons peut-être progressivement vers ces 10 % grâce aux efforts des salariés qui croiront au projet de demain, ou pas.
Je me permets de parler au nom de l'union syndicale qui porte effectivement cette revendication de 11 % d'actionnariat. Ce seuil aurait pu permettre d'éviter des offres publiques de retrait obligatoire. Les acquéreurs se sont engagés à ne pas recoter le groupe, mais nous n'y croyons pas. Nous relançons notre revendication afin que les 65 % de salariés représentés par l'union syndicale soient entendus.
En effet, ce ne sont que des paroles. Tant que nous ne serons pas entrés en négociation avec des signatures fermes, nous n'y croirons pas.
Selon l'accord, les salariés de Suez auraient la garantie du maintien de leurs avantages sociaux pendant au moins quatre ans. Comme cette garantie se matérialise-t-elle concrètement ?
Il s'agit de 5 ans, et non pas de 4 pour les salariés restant dans le Suez V2. L'emploi est préservé pour ces salariés, mais pas pour les salariés quittant le groupe. Si ces engagements sont publics, et ciblent les salariés français de Suez, nous n'avons cependant pas encore contractualisé cet aspect avec la nouvelle direction générale.
La garantie est de quatre ans pour les salariés de Suez allant chez Veolia, cette différence de traitement est inacceptable. La garantie est en outre d'un an pour les salariés de Suez transférés chez Veolia Europe. Elle est même nulle pour les salariés du reste du monde. J'alerte les salariés de Veolia qui devraient demander les mêmes garanties pour leur avenir.
Aucune signature n'a été apposée sur ces garanties.
Concernant la médiation de M. Mestrallet, il semblerait qu'il ait été rémunéré à hauteur de 10 millions d'euros et qu'il ait réussi à faire augmenter le prix de 1,6 milliard d'euros. Qu'en pensez-vous ?
La médiation reste un échec. L'action de M Mestrallet est clairement insuffisante. Le groupe Suez actuel avec seulement 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, avec peu d'international, n'est pas suffisamment viable pour pouvoir se développer dans les mois et années à venir. Nous n'avons pas le verbatim de cette négociation, mas elle reste un échec.
L'augmentation de 1,6 milliard d'euros concerne-t-elle le périmètre ou le gain des actionnaires ?
Faire passer les actions à 20,50 euros est bénéfique uniquement pour les actionnaires alors que le périmètre a été sabordé en étant restreint à 7 milliards d'euros.
Avez-vous des liens avec les représentants syndicaux de Veolia ? Si oui, quelle est leur vision de ce rapprochement ?
J'entretiens effectivement des contacts réguliers avec mon homologue de Veolia, et ce depuis le mois de septembre. Il n'a pas pu s'immiscer dans mon combat. Pour rappel, FO Suez perd de ses effectifs et une part de ses activités, mais Veolia absorbe 55 000 salariés et devient de fait le leader mondial de la transition écologique. Mon homologue prend en compte le prix payé par Veolia pour cette acquisition, dette qui engendrera peut-être une casse sociale de ses salariés.
Nos échanges avec nos collègues syndicalistes sont bien réels, mais nos visions diffèrent. Lors du comité de groupe France présenté à Veolia, l'expert économique avait noté que l'offre à 15,50 euros par action serait déjà difficile à supporter. Un achat à 20,50 euros inquiète en interne chez Veolia.
En ce qui concerne la CFDT, nous avons échangé avec nos homologues de Veolia, qui sont opposés à cette opération. Nous avons de même soutenu des collègues de Veolia déchets en passent d'être revendus à un concurrent low cost. La casse commence chez Veolia.
Quelles seront les étapes du processus de validation du point de vue des autorités chargées du respect de la concurrence ? À votre avis, quel serait l'effet d'un tel accord sur la concurrence au sein du marché français ?
Veolia a lancé un lobbying auprès de la Commission européenne pour que les autorisations lui soient accordées au plus vite. La conséquence sur le marché français est une image déplorable de la bataille de l'eau et des déchets. Des municipalités pourraient en conséquence être tentées de repasser en délégation de service public.
En termes de concurrence, la fin de cette période est urgente pour nos équipes qui doivent gagner des contrats. S'agissant de la concurrence sur le marché français, elle continuera à exister eu égard au périmètre de Suez V2 qui doit passer cette période de transition au plus vite.
Nous n'avons aucune information quant à la validation par l'autorité de la concurrence. Sur le marché français, le périmètre du nouveau Suez permettra de faire jouer la concurrence. Veolia a tout simplement décidé de détruire son principal concurrent à l'international.
Si l'intégrité du marché de l'eau français reste identique chez Veolia, je ne suis pas inquiet pour la concurrence. Le marché international permet toutefois de se développer et d'investir. Cette force de Suez a malheureusement été cassée. Nous perdons 20 ans de développement, mais nous allons rebondir.
Suez pèse 5 milliards d'euros sur le territoire national contre 4,6 milliards d'euros pour Veolia. Nous avons bon espoir de rester concurrentiels sur le marché national, et de nous relancer à l'international.
Le marché français est plutôt mature. L'innovation technologique est plus que nécessaire pour assurer le développement de l'entreprise, ce qui implique des capitaux disponibles.
Nous l'ignorons. Nous espérons une réponse dans les prochaines semaines, en espérant que cette commission d'enquête soit un catalyseur.
Merci d'avoir pris le temps de participer à cette commission d'enquête et merci pour vos réponses précieuses. Si vous souhaitez renvoyer par écrit des compléments, ils seront bienvenus.
La réunion se termine à 15 heures 30.