Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 15h15

Résumé de la réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Mercredi 16 juin 2021

La séance est ouverte à quinze heures quinze.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre‑mer

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Monsieur Lurel, vous avez été, en Guadeloupe, maire de Vieux-Habitants, député, et président du conseil régional de 2004 à 2012, puis de 2014 à 2015, après avoir été ministre des Outre-mer, de mai 2012 à mars 2014.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Victorin Lurel prête serment.

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Depuis le début de ma carrière politique en 1988, je n'ai pas eu à m'occuper d'eau. Élu conseiller général en 1994, je n'ai siégé dans aucune commission relative à l'eau ou aux travaux. Je n'ai pas appartenu à la commission d'appel d'offres du conseil général ni à celle qui s'occupait du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) sous l'autorité de M. Amélius Hernandez.

Lorsque je suis devenu maire en 2001, la gestion de l'eau dans ma commune relevait du syndicat intercommunal du sud de la Côte-sous-le-Vent. Je n'y ai jamais siégé et je l'ai encore moins présidé. À l'époque, il avait pour président M. Félix Desplan, maire de Pointe‑Noire, auquel a succédé le maire de Bouillante, M. Jean-Claude Malo. En 2005, j'ai dû renoncer, pour éviter le cumul de mandats, à mes fonctions de maire de Vieux-Habitants au profit de M. Georges Clairy, qui a dès lors présidé ce syndicat intercommunal.

Mes relations avec ce syndicat se sont limitées à l'octroi d'une subvention de 2 millions d'euros afin de réparer des canalisations, suite à un éboulement, à Bouillante. Depuis ces travaux, nous ne rencontrons pas de problème d'eau dans ma commune, pas plus que sur la Basse-Terre et la Côte-sous-le-Vent en général.

Des problèmes de facturation et de mauvaise gestion sont en revanche apparus lorsque la Côte-sous-le-Vent a rejoint la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe (CAGSC).

En trente-deux ans de vie politique, je n'ai jamais siégé au Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) et n'ai assisté à aucun conseil d'administration. J'ai bien sûr côtoyé M. Hernandez en tant que président du conseil général, fonction que j'ai occupée neuf ans, mais je n'ai pas une seule fois voyagé avec lui.

J'ai entendu dire que, sous l'autorité du Premier ministre M. Manuel Valls, j'avais reçu M. Hernandez et sept vice-présidents du SIAEAG, le 27 mai 2013, date de l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Guadeloupe. Il n'en est rien. M. Hernandez n'a jamais été mon ami.

En tant que directeur général des services du Gosier à l'époque où M. Jacques Gillot en était le maire, je n'ai siégé qu'à une seule commission d'appel d'offres, à sa demande, en raison d'un problème juridique.

N'appréciant pas certaines façons de procéder, je me méfiais de M. Hernandez. Je ne me suis rendu qu'une fois aux Journées de l'eau, mais l'ambiance m'y a paru si outrancièrement festive, dès le parking, que j'ai refusé d'y entrer, ce dont mon cabinet peut témoigner. De même, je n'ai jamais donné suite aux demandes du SIAEAG de 80 000 euros de subvention pour organiser ces festivités.

Alors que j'étais ministre, M. Hernandez m'a dit être ruiné, abandonné par ses amis. Des rumeurs commençaient déjà à circuler à l'époque. Un divorce politique m'a éloigné de M. Gillot, à qui nous avions confié, sous l'étiquette du parti Guadeloupe unie, socialisme et réalités, la présidence du conseil départemental. Quelques années plus tard, sa coalition hétéroclite m'a battu aux élections régionales de 2015. Ceux qui en faisaient partie travaillaient avec M. Hernandez, y compris l'actuel président du conseil régional.

J'apprends depuis qu'au tribunal, M. Hernandez n'a pas dénoncé ses amis proches, mais Victorin Lurel.

En avril 2014, le préfet de la Guadeloupe, M. Jacques Billant, m'a convié, en ma qualité de président du conseil régional, à une réunion, un dimanche, avec les cadres de la préfecture et les cadres techniques de la région, en vue de la création d'un syndicat unique de l'eau, dans l'idée de mettre fin aux délégations de service public (DSP) à des sociétés privées.

J'avais conseillé au préfet, préférant quant à moi une concurrence réglée à un monopole, de ne pas inclure dans ce syndicat Mme Lucette Michaux-Chevry, présidente de ce qui est aujourd'hui la CAGSC. Il ne m'a pas écouté. Le jour de la signature du protocole, elle s'est rétractée, marquant ainsi la première division entre élus.

Un 8 mai, à Basse-Terre, elle m'a déclaré que, se considérant comme propriétaire de l'eau avec MM. Joël Beaugendre et Germain Paran, elle n'adhèrerait pas au syndicat unique. Ce projet a, de fait, échoué.

J'ai menacé de demander une habilitation à remplacer les communes et les communautés d'agglomération, sans succès. L'entente n'a pas été possible.

L'État a fini par imposer récemment un très mauvais projet au Parlement. Quelques amendements cosmétiques ont tenté de mieux associer les usagers au fonctionnement du nouveau syndicat.

Je m'étonne que votre commission m'auditionne. Ne commettez pas l'erreur du tribunal qui a trouvé en moi un bouc émissaire. Écoutez les responsables directs. Le président du conseil général de l'époque dirigeait la gestion de l'eau, puisqu'il vendait l'eau brute. Pourquoi croyez-vous que tant de querelles et de différends aient surgi avec la Générale des eaux ? Parce que celle-ci a perdu le marché de la vente de l'eau brute, remporté par la Nantaise des eaux.

Mme Melet-Champrenault s'est occupée d'une affaire à ce sujet, qui n'a pas été conduite à son terme. M. Gillot devait y être entendu à propos de recrutements tenant lieu de contreparties.

Lors de mon élection au conseil régional en 2004, cette collectivité employait M. Germain Paran comme agent contractuel. M. Paran était en réalité l'homme lige de M. Joël Beaugendre, maire de Capesterre-Belle-Eau. Lors de leur campagne en 1995, comme le château d'eau de Belle-Eau-Cadeau se situe sur leur commune, ils se sont déclarés propriétaires de l'eau, ce que j'ai d'ailleurs dénoncé. À l'issue d'un procès, le préfet a dû répartir l'actif et le passif du SIAEAG, qu'avaient quitté MM. Paran et Beaugendre. Ce dernier a déclaré à ses administrés : « Vous ne payerez pas l'eau », ce qui s'est vérifié.

À ma connaissance, M. Paran n'a jamais réglé une seule facture d'eau, alors qu'il se pose en défenseur des usagers. Il a raison en ce qui concerne certains dysfonctionnements et accointances, mais il a tort de se donner le beau rôle en attaquant les élus qu'il a toujours soutenus.

Lorsque le contrat de M. Paran avec la région est arrivé à échéance en 2004, je ne l'ai pas renouvelé. Mme Michaux-Chevry l'a aussitôt recruté à la CAGSC. Après la faillite consommée de cette communauté d'agglomération, M. Beaugendre en est devenu le président.

M. Paran donne l'impression de bien connaître le dossier et se présente comme un lanceur d'alerte, mais cela me semble difficile à croire. Il répète ce que M. Hernandez a déclaré au tribunal contre moi, sans preuve.

Je ne fréquentais pas les responsables de l'eau en Guadeloupe, n'aimant pas ce milieu et ses habitudes festives. Je ne les ai côtoyés qu'une seule fois, lors d'un voyage officiel à Cuba, pour le compte de la région, dans le cadre d'une mission de coopération. À l'arrivée de Danilo Medina, président de la République dominicaine, M. Hernandez, qui possède la nationalité dominicaine, est venu montrer qu'il connaissait le ministre. Je ne suis pas sûr qu'une telle attitude soit bien perçue à Saint-Domingue.

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Vous affirmez donc ne jamais avoir reçu, le 27 mai 2013, une délégation du SIAEAG à votre ministère.

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je n'en ai aucun souvenir. Consultez les agendas de l'époque. Peut-être M. Hernandez est-il passé me saluer. Je ne garde en tout cas aucun souvenir d'avoir reçu sept personnes en plus de M. Hernandez.

Devant votre commission, il n'a pas tout à fait déclaré la même chose qu'au tribunal, où il a affirmé avoir demandé rendez-vous au ministre. À l'en croire, je lui ai promis de donner au préfet, M. Amaury de Saint-Quentin, l'instruction de payer des travaux non réalisés. Demandez plutôt à M. Amaury de Saint-Quentin ce qu'il en est.

M. Hernandez tient des propos contradictoires. Selon lui, la Générale des eaux ne payait pas le SIAEAG. Or, il aurait dû payer des travaux à la Générale des eaux. Plus probablement a-t-il demandé à la Générale des eaux de réaliser des travaux que le SIAEAG n'était pas en mesure de financer.

Devant votre commission, il a déclaré que je lui ai imposé de venir me voir en mai 2013 et que je l'ai mal conseillé en l'enjoignant à payer la Générale des eaux.

J'ai eu affaire à M. Frédéric Certain, alors président de cette société, quand je n'étais déjà plus ministre. Ce jour-là, j'ai participé à la réunion évoquée tout à l'heure, en préfecture, avec M. Billant. M. Certain et les cadres dirigeants de la Générale des eaux voulaient résilier leurs contrats en Guadeloupe en raison de querelles avec MM. Hernandez et Gillot, et d'autres élus encore.

Ils ont ajouté que, si je négociais pour que leur entreprise reste présente en Guadeloupe, alors ils accepteraient, mais il n'en a pas été ainsi. M. Hernandez ne voulait plus signer d'avenant aux contrats. Compte tenu du contentieux entre la Générale des eaux et la Nantaise des eaux, l'affaire n'a pas abouti.

Les élus du SIAEAG ont été incapables de négocier le retrait de la Générale des eaux, à la différence de M. Jocelyn Sapotille, pour la communauté d'agglomération du Nord Basse‑Terre.

Lors d'une autre réunion à la préfecture relative au premier plan d'urgence dans le domaine de l'eau, d'un montant de 13 millions d'euros, alors que les discussions achoppaient sur la répartition de plusieurs petites sommes, j'ai demandé une habilitation ou, à défaut, proposé, en tant que président du conseil régional, de verser les 15 millions d'euros que M. Jacques Gillot se refusait à débourser. En tant que président du conseil général, il détenait pourtant la compétence de l'eau agricole et la mainmise sur le fonds national pour le développement des adductions d'eau potable (FNDAE). Je réclamais, en contrepartie du versement de ces 15 millions d'euros, la maîtrise d'ouvrage déléguée. Les autres élus ont refusé.

Six ans plus tard, l'État a imposé un syndicat mixte ouvert (SMO) de manière un peu brutale et insatisfaisante. Ce SMO n'aboutira pas d'ici au 1er septembre, car il reste encore des questions fondamentales à régler.

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M. Hernandez ne vous a donc jamais alerté sur la situation de l'eau.

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Non. La crise de l'eau a commencé lors de ma nomination au ministère en 2012, même si les problèmes remontent à l'époque où Mme Michaux-Chevry s'occupait de ces sujets. Quarante ou cinquante ans se sont écoulés sans réparation des canalisations. Tant que la Générale des eaux était présente, cette société plaçait des rustines ici ou là et le réseau tenait. Du moins, le problème ne prenait-il pas encore l'ampleur qu'il a acquise après mon départ du ministère.

De retour en Guadeloupe, j'ai pris part à des réunions avec les préfets : M. Jacques Billant puis Mme Marcelle Pierrot. Entre-temps, les communautés d'agglomération, de petites féodalités, ont vu le jour. Le premier blocage à une gestion de l'eau harmonieuse est venu de la Basse-Terre et de Mme Michaux-Chevry. Nous avions rédigé les statuts d'un futur syndicat unique qui s'apprêtait à voir le jour lorsqu'un débat public a opposé M. Olivier Serva à son maire, M. Éric Jalton. Celui-ci voulait attribuer à sa commune des Abymes, la plus peuplée, une majorité de voix au sein du conseil d'administration.

D'autres ont ensuite souhaité que les usagers disposent d'une voix délibérative au conseil d'administration du futur syndicat. C'est ce que la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe a voulu imposer, hormis qu'en fin de compte, seul le président du conseil de surveillance détient une voix, purement consultative. J'estimais pour ma part qu'il revenait au président du conseil syndical de rendre compte de son action devant le conseil de surveillance, par souci de transparence. Cette proposition, finalement acceptée, ne changera cependant rien à l'économie générale de ce texte de loi.

M. Hernandez festoyait et menait grand train, les autres suivaient.

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Vous dites que cette attitude vous a choqué et que, notamment pour cette raison, vous ne vous êtes jamais rendu aux Journées de l'eau. Pourquoi ne rien avoir dénoncé à l'époque ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Nous avons dit ce qu'il se passait. Il en a résulté un débat public au conseil régional. J'ai refusé de financer la moindre Journée de l'eau, qui revenait à 600 000 euros. M. Hernandez m'en veut à mort. J'ai toujours dénoncé ses frasques.

Au tribunal, les associations, constitués en partie civile, en réalité proches de l'union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) de M. Domota, se sont ligués contre moi. Je n'ai pourtant jamais été membre du SIAEAG ni n'ai voyagé à ses frais. J'ai été cité en tant que ministre des Outre-mer, par volonté de politiser l'affaire.

Je suis intervenu le moins possible dans le domaine de l'eau. J'ai accordé une subvention au SIAEAG alors qu'il rencontrait des problèmes de trésorerie, afin de verser les salaires des employés et de garantir des emprunts.

Je n'ai pris part qu'à une seule discussion, lamentable et détestable, à la préfecture. Je prônais la création d'un syndicat en Grande-Terre, et d'un autre sur la Basse-Terre, interconnectés. Un syndicat unique aurait en effet permis, au moindre heurt, à des syndicalistes de bloquer le service dans toute la Guadeloupe. Bien que je défende la lutte des travailleurs, j'estime nécessaire de trouver un équilibre. N'ayant pas été suivi, je me suis toutefois rangé à l'idée de ce syndicat unique.

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En quelle année la Générale des eaux a-t-elle perdu le marché de l'eau brute ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Ce marché lui avait été octroyé par le conseil général, c'est-à-dire MM. Gillot et Hernandez. Une plainte a été déposée. Un procès au pénal est toujours en cours. M. Gillot n'a pourtant jamais été entendu, alors que son fils a été embauché par la Nantaise des eaux.

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Parlons-nous bien du contrat perdu en 2009 par la Générale des eaux au profit de la Nantaise des eaux ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je sais que, lorsque la Générale des eaux a perdu le marché, des choses se sont passées. M. Gillot n'a pas hésité à déclarer que la commission d'appel d'offres n'avait pas été présidée par lui, mais par M. Félix Desplan, un socialiste. La presse a parlé de cette affaire à l'époque. La lenteur de la justice m'étonne.

Depuis lors, les relations entre le SIAEAG, M. Hernandez et le conseil général se sont dégradées. M. Gillot a, des années durant, été élu au Gosier grâce à M. Hernandez.

En 1992, la gauche, majoritaire, a été trahie par la fondation du parti Guadeloupe unie de M. Larifla. Alors même que M. Gillot était en tête de notre liste, il a donné mandat à M. Hernandez pour porter plainte, à notre demande, pour fraude électorale caractérisée. Huit mois plus tard, lors d'un conseil municipal au Gosier, j'ai demandé à M. Gillot où en était cette plainte. Il m'a répondu qu'elle avait été retirée par M. Hernandez. Mme Michaux-Chevry s'en est gargarisée.

Voilà ce qu'il en est. Je ne suis pas très apprécié du fait de mon franc-parler.

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Pourquoi avez-vous conseillé, lors des premières discussions sur le syndicat mixte, de ne pas y inclure Mme Michaux-Chevry ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Elle voulait accaparer le pouvoir. Il est difficile de travailler avec quelqu'un qui a toujours raison à propos de tout. Elle exerçait en outre un chantage, du fait que Capesterre-Belle-Eau se situait dans sa communauté d'agglomération. Les tuyaux en plus mauvais état de tout le réseau guadeloupéen se trouvent à Capesterre, d'où provient pourtant la ressource.

Je comprends que les usagers, excédés, aient décidé de ne plus payer l'eau. M. Paran a quand même mené sa campagne électorale de main de maître.

La priorité absolue aurait dû aller à la réparation des tuyaux. Aujourd'hui, la région a choisi Karuker'Ô pour réparer je ne sais combien de kilomètres de canalisations afin de mieux protéger les captages. Ce travail n'a pas été mené selon une programmation intelligente. Malgré l'argent investi par les collectivités, l'impression vient que seules des rustines sont posées et qu'il faudrait une transformation plus profonde.

Les élus ont tous été défaillants. Même si je ne me suis pas occupé de l'eau, en tant qu'élu, je porte ma part de responsabilité. L'État a toutefois été en dessous de tout, et cela continue. Ses représentants se retranchent derrière l'attribution de la compétence en eau aux collectivités locales. À les entendre, ils n'ont rien à voir, car « l'eau doit payer l'eau ». Or, à l'époque, avant la décentralisation, l'État se chargeait du contrôle de légalité.

Il demande à présent à la région et au département, dont ce n'est pourtant pas le rôle, de cofinancer à hauteur de 25 % chacun les investissements dans le domaine de l'eau. Cela ne le gêne donc pas de porter atteinte à la libre administration territoriale.

Quand nous financions le système de l'eau, alors même que la clause générale de compétence l'interdisait, l'État fermait les yeux.

L'État n'a pas fait son travail. Il entretenait une relation de proximité avec Suez et la Générale des eaux, pour ne pas parler d'endogamie. Il s'agit là de pratiques coloniales. Lors de mon élection au conseil régional, j'ai reçu une invitation à la préfecture. Aucun Guadeloupéen n'était présent, à part moi. Ceux qui dirigeaient notre territoire venaient tous de métropole.

Les comptes rendus techniques et financiers indiquaient des problèmes d'efficacité du réseau d'eau, mais personne ne s'en souciait, car personne ne les lisait. Peu d'élus connaissent le cahier des charges de la délégation de service public (DSP).

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À partir de quelle année avez-vous eu connaissance de ces rapports techniques alertant sur l'efficacité du réseau ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Ces rapports techniques et financiers n'étaient pas toujours fournis par les groupes tenus de les produire. Comment le conseil général pouvait-il contrôler ces grosses entreprises alors qu'il ne disposait que d'un seul ingénieur ? Malgré l'excellente connaissance des nappes phréatiques et du sous-sol de M. Pierre Mocka-Célestine, aucun élu ne s'intéressait au sujet. En revanche, tous s'intéressaient aux marchés.

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Quelle action avez-vous entreprise au sujet de l'eau, en tant que ministre ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Il n'y avait pas de crise de l'eau ni de coupures d'eau à cette époque. La situation s'est beaucoup dégradée après 2014, où la crise devenue sociale, politique et populaire, s'est doublée d'une véritable rébellion.

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Pourquoi la Générale des eaux se disait-elle prête à poursuivre ses activités en Guadeloupe à condition que vous meniez les négociations suite à ses différends avec le conseil général et M. Hernandez ?

Vous dites que ces négociations n'ont pas abouti. Que demandait la Générale des eaux ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je n'avais rien à voir dans ces négociations, qui se déroulaient par l'entremise du préfet Billant. La Générale des eaux a voulu que j'intervienne, sans succès. Je n'y ai pas participé.

Les conditions de retrait étaient apparemment difficiles. Il me semble que M. Hernandez a voulu chasser la Générale des eaux, refusant les avenants. Le préfet et moi‑même avons proposé la création d'un syndicat unique et l'instauration d'une période de transition pour préparer le départ de la Générale des eaux. Ce départ, finalement brutal, a causé des problèmes. La Générale des eaux ne faisait pas confiance aux élus présents.

Nous allons nous retrouver dans la même situation au 1er septembre. Le problème du financement et de la facturation indue n'est pas réglé, pas plus que le sort des 163 agents, tous opérateurs confondus, ou que la question du prix raisonnable de l'eau et de sa qualité.

Le nombre de fuites à réparer n'est même pas connu. Elles n'ont pas non plus été repérées. La Générale des eaux a donné la preuve de son impéritie, pour ne pas dire de sa gestion calamiteuse, en ne laissant même pas un plan du réseau à son départ.

Les élus reprochent à la Générale des eaux de ne pas avoir fait son travail, mais c'était à eux de réaliser les travaux de renouvellement du réseau. La Générale des eaux ne les a pas informés. Elle estimait plus rentable de réaliser quelques travaux à la demande.

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Vous indiquez que la proximité entre M. Hernandez et ses amis d'alors, MM. Gillot et Dupont, a entraîné les dysfonctionnements du SIAEAG. Pourriez-vous nous en dire plus ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Ils formaient un clan, une coterie. Ils se réunissaient lors de fêtes et décidaient de la nature des prestations à réaliser dans le cadre du marché octroyé à la Nantaise des eaux. Nous nous sommes fâchés et nous avons réclamé la destitution de M. Hernandez. Les querelles se sont aggravées et le réseau a commencé à se détériorer, comme s'il existait un lien de cause à effet. Nous avons eu l'impression que la Générale des eaux cessait de l'entretenir.

Votre collègue sénateur, M. Dominique Théophile, a travaillé à la Générale des eaux en tant que cadre. Il connaît le problème mieux qu'aucun parlementaire. N'agissez pas comme au tribunal, où la volonté de tout cacher a conduit à ne rien entendre. L'Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) et quelques avocats comme Me Tacita voulaient incriminer Victorin Lurel. L'affaire est devenue un ramdam.

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Une fois le marché de l'irrigation passé de la Générale des eaux à la Nantaise des eaux, le fils de M. Jacques Gillot y a été embauché. Y voyez-vous un lien ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Pourquoi le tribunal a-t-il été saisi ? La Générale des eaux aussi doit être au courant. Vous-même parlez de corruption. Croyez-vous que MM. Hernandez ou Gillot ne sachent pas tout ?

Si mon nom est cité, ce n'est que par méchanceté politique. M. Hernandez a déclaré qu'il « lâcherait » tout. Il n'en a pourtant rien fait. Il existe encore une omerta. La justice doit se saisir de cette affaire.

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À quel sujet pensez-vous que le sénateur Dominique Théophile devrait être interrogé ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Il était au cœur du système. Il travaillait à la Générale des eaux.

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L'épouse du sous-préfet de l'époque, représentant de l'État, dirigeait Veolia Caraïbes. De telles relations vous semblent-elles de nature à avoir entraîné quelques dysfonctionnements dans la gestion de l'eau en Guadeloupe ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Si c'est avéré, oui. Ces gens-là auraient dû se déporter, même si, à l'époque, la chose était formulée autrement. J'ai parlé d'endogamie à propos du petit monde de décideurs de l'État et de chefs d'entreprise s'entendant à préserver les marchés, sans toujours se montrer très sourcilleux sur le contrôle de légalité.

Vous semble-t-il anodin qu'après son départ quelque peu brutal, Veolia reparaisse, sous d'autres noms, au travers d'autres filiales, alors que 800 millions à un milliard d'euros de travaux sont annoncés ?

Nous venons d'ajouter à notre programme le retour du service public dans la gestion de l'eau. J'ai signé avec le Liyannaj Kont Pwofitasyon (« Collectif contre l'exploitation outrancière » - LKP) pour défendre une gestion en service public de l'eau par une régie.

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Il nous a été rapporté que vous auriez œuvré, avec le Premier ministre M. Manuel Valls, au remplacement de M. Hernandez, en facilitant une rencontre avec le futur président du SIAEAG, M. Philippe Bernier. Est-ce vrai ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

C'est faux. J'ai cru comprendre que M. Hernandez avait dit que M. Valls lui avait imposé un voyage et que je lui demandais de payer les travaux non réalisés. Je n'ai jamais été ministre du Gouvernement Valls.

M. Hernandez prétend en outre que j'aurai imposé au préfet M. Amaury de Saint-Quentin de procéder à un mandatement d'office de 2 millions d'euros.

J'ai prévenu M. Bernier que, si Veolia n'obtenait pas le marché, il perdrait les élections, ce qui s'est vérifié.

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Pourriez-vous nous expliquer le mécanisme qui a conduit Veolia et les syndicats représentant son personnel à chercher ensemble un bouc émissaire ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je ne prétends pas que les syndicats aient voulu trouver un bouc émissaire en ma personne, mais qu'il y a eu des règlements de comptes politiques où il fallait absolument citer Victorin Lurel.

Entendez les syndicats : l'UGTG, la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). Ils savent tout.

M. Théophile est parti de la Générale des eaux avec 250 000 euros.

Monsieur le député, je fais confiance à votre objectivité et à votre sagacité. Il faut demander au parquet ce que sont devenues les plaintes déposées. Dire que tous les élus sont corrompus, c'est nuire à toute la classe politique.

Un manque de temps risque d'entraver votre commission d'enquête.

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D'autres élus que le sénateur M. Dominique Théophile ont‑ils, à votre connaissance, des liens avec la Générale des eaux, la Nantaise des eaux ou Suez ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je ne suis pas là pour porter des accusations gratuites ni me défausser. Le sénateur Théophile connaît parfaitement la Générale des eaux pour y avoir travaillé toute sa vie. Il pourrait donc mieux vous informer.

Lisez les rapports de la chambre régionale des comptes. Tout y figure. Le cabinet de conseil Espelia aussi a rédigé des rapports.

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J'apprécierais que vous transmettiez à notre commission votre agenda du 27 mai 2013.

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je vais voir si le ministère me le donne. J'aimerais connaître le nom des sept vice-présidents que je suis censé avoir reçus ce jour-là. Jusqu'ici, j'ai été probe en politique.

M. Ary Chalus s'est rendu à l'Élysée pour s'y entretenir avec M. Emmanuel Macron. Il a prétendu que je me présenterais en tête de liste contre lui. Ce n'est pas le cas. Il s'est adressé à Mme Nicole Belloubet, alors Garde des sceaux, pour qu'elle trouve un dossier contre moi, parce qu'il estimait nécessaire de m'affaiblir. Onze mois plus tard, le service judiciaire des douanes a confié au parquet national financier un dossier sur le mémorial ACTe. Ils s'en mordent les doigts depuis lors. L'enquête a été étendue à l'exploitation de M. Ary Chalus, de 2015 à 2020. Tel est pris qui croyait prendre.

Je m'étonne de me retrouver devant vous. Ceux qui auraient dû s'exprimer sur le sujet de l'eau n'ont pas été convoqués.

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M. Hernandez est venu vous trouver à Paris pour vous parler de Saint-Domingue, pas de l'eau ?

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Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ancien ministre des Outre-mer

Je me souviens qu'il m'avait demandé à être dans le programme de Saint-Domingue, mais pas à cette date. Je n'ai aucun souvenir de la rencontre qui s'est, selon lui, déroulée le 27 mai 2013. Quand j'ai des choses à dire, je le dis.

La séance est levée à seize heures quinze.