COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES
Mardi 25 février 2020
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
Présidence de M. Patrick Hetzel, Président
La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Jean-Marie Vanlerenberghe sénateur, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat.
Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui notre collègue sénateur, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales au Sénat. Je lui souhaite la bienvenue, ainsi qu'à M. Bonnet qui l'accompagne.
Nous avons souhaité vous entendre en tant que rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale, mais aussi plus spécifiquement en tant qu'auteur d'un rapport d'information sur les conséquences de la fraude documentaire, que vous avez présenté en juin dernier et dont vous avez complété les conclusions en septembre dernier.
Votre rapport porte sur les modalités de délivrance des numéros de sécurité sociale aux personnes nées à l'étranger par le service administratif national d'identification des assurés (SANDIA), service dédié de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), et sur la fraude associée également aux faux numéros de sécurité sociale ainsi délivrés.
En vous appuyant sur les contrôles réalisés par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et le SANDIA, vous aboutissez à un chiffrage du préjudice financier de l'ordre de 140 millions d'euros, après une première estimation comprise entre 200 et 800 millions d'euros. Vous constatez par ailleurs une amélioration de la fiabilité de la délivrance des numéros d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIR) grâce au renforcement des procédures d'enregistrement engagé à la suite des conclusions très défavorables du contrôle effectué voici quelques années, en 2011. Ce contrôle révélait en effet que la part des dossiers fondés sur de faux documents dépassait les 10 %. Nous souhaiterions avoir votre éclairage sur ces conclusions, mais aussi plus largement sur le fonctionnement du SANDIA, sur les difficultés à déceler les fraudes documentaires – puisque l'origine de ce type de problématiques peut être la fraude documentaire en tant que telle – et sur la marche à suivre afin de traiter les dossiers de personnes issues de pays dont l'état civil est défaillant ou inexistant.
Je vous rappelle, monsieur le sénateur, que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mon cher collègue, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Vanlerenberghe prête serment.)
Cette mission de contrôle que nous avions effectuée au Sénat en 2019 faisait partie de notre programme, mais elle faisait suite aussi à un échange assez vif en séance publique entre Mme la ministre Agnès Buzyn et Mme Nathalie Goulet, une collègue du Sénat, lors de la discussion du projet de loi portant « mesures d'urgence économiques et sociales » (MUES) sur la fraude documentaire. Cette discussion et cette évaluation un peu exagérée (14 milliards d'euros) se fondaient sur des propos émis par M. Prats, un magistrat. Il avait procédé à une évaluation en 2011 qui portait sur le stock des dossiers du SANDIA. Il s'était intéressé aux irrégularités de toutes natures, qui avaient fait l'objet d'un contrôle – lequel n'avait pas porté sur les conséquences de ces irrégularités sur les finances publiques. Nous lui avons demandé comment il était parvenu à cette évaluation de 14 milliards d'euros de fraude aux prestations sociales. Il nous a répondu qu'elle résultait de l'application d'une simple « règle de trois », en retenant un taux de 10% d'irrégularités constaté à l'époque, sur la base d'un stock de 18 millions de dossiers et d'un montant moyen des prestations de sécurité sociale de 7 700 euros.
Après vérification, il s'avère que M. Prats était à ce époque membre de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF).
Il était membre d'une commission qui était plus large. Nous avons demandé la liste des membres qui avaient participé à cette mission en 2011.
Le chiffre annoncé nous a paru surprenant, le calcul était hâtif. Il s'agit d'une règle de trois sur des chiffres qui paraissaient exagérés. Nous nous sommes donc interrogés sur ces informations. En 2018, nous avons essayé de distinguer la gravité des irrégularités qui avaient été commises et avons réinterrogé les assurés qui étaient concernés par les manquements les plus sérieux. Nous sommes arrivés, de ce fait, à une estimation des dommages financiers beaucoup plus fiable, mais ce contrôle n'avait porté que sur des dossiers créés en 2017 et non pas sur l'ensemble du stock. Il donnait des éléments sur les conséquences des faiblesses actuelles du système, mais non sur les dossiers les plus anciens. Évidemment, entre 2011 et 2018, les procédures appliquées par le SANDIA ont évolué, les données fournies sont davantage contrôlées aujourd'hui.
J'en viens maintenant au contrôle réalisé par le SANDIA et la DCPAF à partir d'un échantillon représentatif établi sur des bases statistiques contrôlées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
Le SANDIA est une émanation de la CNAV, qui est chargée des contrôles de l'immatriculation des personnes nées à l'étranger. Quant à la DCPAF, elle contrôle les documents d'identité aux frontières. Sur les 1 575 dossiers de l'échantillon qui ont fait l'objet d'un contrôle, seuls 47 dossiers, c'est-à-dire 3 %, présentaient une anomalie critique, un nombre significatif apparaissant en anomalie mineure ou en indéterminé. Ce classement tient notamment au fait que l'échantillon concernait parfois des dossiers anciens établis à un moment où une seule fiche d'état civil était acceptée pour une inscription. Ces dossiers alors réguliers ont été classés lors du contrôle en anomalie mineure ou en indéterminé, selon les cas. Le résultat des enquêtes individuelles sur les 47 anomalies critiques n'était absolument pas connu. C'est donc sur ce fondement que nous avions indiqué que le risque financier se situait à l'intérieur d'une fourchette assez large de 200 millions à 800 millions d'euros.
Nous avons demandé au SANDIA et aux organismes intéressés, c'est-à-dire la CNAV, mais aussi l'assurance-maladie et la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), d'effectuer un contrôle précis des prestations servies sur ces 47 dossiers, de les régulariser si possible, ou de remonter les dossiers et d'appliquer des sanctions le cas échéant. Il existe un délai légal pour contester les bases fournies au SANDIA, soit un délai de deux fois trois mois, pour remonter les dossiers et aboutir éventuellement à la suppression des prestations. En septembre, 14 dossiers n'avaient pas pu être régularisés sur les 47, ce qui représentait au total 13 546 euros de prestations versées en 2018. Le préjudice financier associé aux fausses immatriculations peut ainsi être évalué à 117 millions d'euros environ, dès lors que l'on considère l'ensemble des dossiers des personnes vivantes immatriculées et nées à l'étranger. En appliquant le même taux d'anomalie aux dossiers indéterminés, le préjudice peut être estimé à 140 millions d'euros. Nous avons essayé de cerner le plus précisément possible la fraude qui était due à ces immatriculations que nous pouvons considérer comme frauduleuses. Il est évident que ces résultats peuvent être biaisés par la présence dans l'échantillon d'un dossier de fraude important. Un gros dossier avait d'ailleurs été éliminé car la caisse d'assurance-maladie l'avait considéré comme étant acceptable finalement.
Nous avons constaté que les contrôles du SANDIA se sont nettement améliorés entre 2011 et 2018. La formation de ses agents a été approfondie tandis que le recours à la dématérialisation s'est développé. Nous avons formulé quelques critiques en raison de certaines difficultés de lisibilité. Les photocopies sont parfois acceptées quand la personne physique se présente au guichet de la caisse ; elles sont alors envoyées au SANDIA. Les documents scannés sont parfois de mauvaise qualité. Il reste de véritables progrès à faire dans ce domaine. Nous l'avons d'ailleurs signalé.
Des progrès très importants ont aussi été réalisés s'agissant du numéro d'identifiant d'attente (NIA), évitant des allers et retours préjudiciables à la rapidité de l'identification. Ce numéro a tardé malheureusement à être généralisé entre les caisses et le SANDIA. Ce dernier renvoyait 7,8 % de dossiers qui lui semblaient suspects vers les caisses et en attendait le retour avant de publier un numéro d'identification au répertoire (NIR). Près d'une dizaine d'années ont été nécessaires à la mise en œuvre du NIA.
Vous aviez aussi posé quelques questions concernant la provenance des dossiers classés en anomalie critique. Ils viennent de pays très divers, dont des pays européens. Néanmoins, la plupart de ces dossiers montrent une prépondérance assez nette de certains pays, avec 11 dossiers du Maroc et 7 de l'Algérie.
Des progrès ont été réalisés par les organismes de sécurité sociale. En effet, il faut désormais apporter la preuve de son identité avec deux documents, un extrait d'acte de naissance ainsi qu'un titre de séjour ou une carte d'identité, ce qui n'était pas le cas en 2011. Un renforcement considérable du contrôle s'est effectué même s'il reste des améliorations à apporter, notamment sur les scanners. S'il est possible de faire des déclarations par internet, en cas de doute, il faut que la personne physique se présente au guichet de la caisse de sécurité sociale sollicitée.
Dans les études de 2011-2013, il était évoqué un risque de faux documents à hauteur de 10 %. Etait alors mentionné le chiffre de 1,8 million de documents potentiellement faux. Vous mentionnez, dans votre rapport, le chiffre de 150 000 documents potentiellement faux. Comment, en quelques années, passe-t-on du premier chiffre au second ?
Ma deuxième question porte sur la représentativité de votre échantillon, dans la mesure où tout est basé sur celui-ci. Si l'on part de l'idée que le stock au sein du SANDIA représente 21,1 millions de NIR, comment s'assurer que l'on dispose véritablement d'un échantillon représentatif ? Quels sont les arguments qui plaident en faveur de la représentativité plus ou moins forte de votre échantillon ?
Troisièmement, j'ai été un peu surpris en comparant certaines données. Dans le rapport Goulet-Grandjean, qui est pourtant un rapport récent, on se base sur un nombre de NIR SANDIA « en vie » de 18,7 millions. Mmes Goulet et Grandjean nous indiquent qu'il s'agit du chiffre de l'INSEE. De son côté, votre rapport fait état de 17,2 millions de NIR actifs au sein du SANDIA. Comment expliquez-vous cet écart ? Aviez-vous une autre source d'information ?
Pouvez-vous expliciter ce que l'on appelle un dossier favorable, un dossier avec une anomalie mineure, un dossier avec une anomalie critique et ce que l'on entend par des « dossiers indéterminés » ?
Trois séries de contrôles ont effectivement été opérées en 2011, en 2018 et plus récemment, sur le stock du SANDIA de 2017. Si l'on compare les chiffres des dossiers audités, nous ne sommes pas très loin, puisque nous sommes à un peu plus de 2 000 dossiers en 2011, un peu plus de 1 000 dossiers en 2018 et 2 000 dossiers sur le stock du SANDIA de 2017. Lorsque l'on compare les chiffres des dossiers dits authentiques à l'époque ou favorables désormais, les choses sont en revanche assez différentes. En effet, on recensait un peu plus de 59 % de dossiers dits authentiques en 2011. Sur les dossiers créés par le SANDIA en 2017 (contrôles réalisés en 2018), 79,4 % de dossiers sont dits favorables. Pour le stock du SANDIA en 2017 (contrôles réalisés en 2018), on retombe à 57,5 % de dossiers dits favorables. Cela pourrait vouloir dire que l'on considère que les nouveaux dossiers créés à partir de 2017 sont beaucoup plus fiables et donc les contrôles beaucoup plus opérants qu'ils ne l'étaient. Comment peut-on considérer que les contrôles sont plus fiables sur des pays dont le droit de l'état civil n'a pas été modifié depuis ces dates ? Quels documents permettent de mieux attester d'une identité dans certains pays qui ne possèdent pourtant pas ces documents d'état civil, au sens où nous les entendons en France ?
Ensuite, si l'on reprend le pourcentage des dossiers dits indéterminés, nous sommes à 33 % en 2011, à 4 % sur le contrôle 2018 pour les dossiers créés en 2017 et à 15 % pour le stock du SANDIA en 2017. La notion de « dossier indéterminé » a-t-elle évolué, ce qui pourrait expliquer ces différences assez importantes de pourcentage sur un nombre de dossiers pourtant assez proche ?
En 2011, il s'agissait de contrôler les irrégularités et sans doute d'améliorer les procédures, ce qui a été fait – dans un certain délai, c'est vrai. Ensuite, M. Prats a exploité de manière abusive des chiffres établis en 2011, qui portaient sur les fraudes et les erreurs. Mais il n'existait pas un code précis pour déterminer la nature même de l'anomalie constatée. Nous avons d'ailleurs fait préciser la classification des anomalies, ce qui a abouti à distinguer les anomalies mineures, les anomalies critiques et les dossiers indéterminés.
S'agissant des chiffres, ont été évoqués plusieurs chiffres pour le nombre de NIR, notamment 18 millions et 21 millions. Toutefois, je m'en tiens à ce que nous a communiqué le SANDIA. M. Fraudeau, son directeur, dénombrait 17 268 782 assurés en vie au 1er juin 2019. Il a fait la distinction avant 1988 et après, ce qui correspond à la date de création du SANDIA. Il y en a 6 808 688 avant 1988 et 10 460 094 après. Au 1er juin 2019, 3 932 192 sont décédés. Nous nous sommes fondés sur ces chiffres pour faire notre évaluation sur le chiffre de la fraude.
Certes, on peut considérer qu'un échantillon de 2 000 dossiers, sur 20 millions ou 17 millions de dossiers, c'est peu. Mais les instituts de sondage travaillent sur des échantillons de cette taille sans que personne ne conteste leur fiabilité. Il y a un degré d'erreur marginal, en effet, mais c'est sur cette base-là que les travaux statistiques aujourd'hui fonctionnent. Une armée de petites mains averties serait nécessaire pour repérer dans le stock des numéros d'identification ceux qui ont été créés de façon frauduleuse. Nous pourrions sans doute augmenter la taille de l'échantillon. Je ne suis cependant pas sûr que nous parvenions à quelque chose de plus fiable. Un gros dossier peut changer de manière significative l'estimation. En l'espèce, nous avions dans l'échantillon un dossier avec un individu qui avait perçu une prestation d'assurance-maladie assez onéreuse. Le dossier a été régularisé, mais il aurait pu fausser le calcul. Un échantillonnage présente toujours le risque de comprendre un dossier qui biaise les résultats.
S'agissant des anomalies et du classement qu'a réalisé le SANDIA pour traiter tout ce qu'il constatait, les anomalies mineures concernent des dossiers sur lesquels la responsabilité des autorités de délivrance est en cause, et non celle du demandeur, notamment sur des erreurs classiques et bien connues en provenance de certains pays. Il s'agissait par exemple des extraits d'acte de naissance algériens établis sur des formulaires d'un ancien modèle, des extraits d'acte de naissance établis par les autorités espagnoles sur des imprimés plurilingues de la Commission internationale de l'état civil (CIEC) et qui ne comportent pas de numéro d'acte de naissance, des extraits d'acte de naissance établis suite à un jugement supplétif sans copie jointe dudit jugement venant du Maroc, du Mali et de Guinée, des pièces d'état civil établies par un consulat pour les pays où le formalisme n'est en principe pas retenu, et des pièces dérogeant légèrement au formalisme de l'état de délivrance sans présenter d'autres anomalies.
Les anomalies critiques correspondent à l'ensemble des erreurs de nature à mettre en doute l'authenticité du document : non-correspondance entre la pièce d'identité et l'acte de naissance, faute d'orthographe dans le champ de l'autorité (tampon douteux). Nous avons même vu de fausses cartes d'identité, qui ont pu être identifiées par les services. Le SANDIA est aujourd'hui en capacité de détecter des erreurs frauduleuses, ce qui n'était sans doute pas le cas en 2011.
Le SANDIA contrôle les dossiers qui émanent des différents organismes. Le travail est fait avec rigueur et a abouti à un taux de renvoi de 600 dossiers en 2018. Paradoxalement, certains renvois concernent également des pièces qui émanent d'Etats membres de l'Union européenne (UE) en raison de problèmes de photocopie ou de scan.
Il n'y a parfois pas un modèle agréé pour la preuve de l'identité pour l'état civil. Même en France, vous avez des extraits d'acte de naissance sur des formats et des formulaires qui sont très différents suivant les communes. Quand cela provient de l'étranger, nous pouvons parfois émettre un doute, mais cela existe aussi chez nous. Dans certains pays, des administrations ne disposent pas des modèles du pays. Dans ce genre de situation, le SANDIA opère des contrôles. Celui-ci est beaucoup plus attentif aujourd'hui. La délivrance du NIA permet de ne pas pénaliser le demandeur, qui pourrait sinon se trouver privé de prestations et contester le fait que nous ayons remis en question la régularité des papiers qu'il fournissait. Cette évolution me paraît très positive.
Un contrôle de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) est aussi réalisé systématiquement. Il s'agit d'une base de données du ministère de l'Intérieur qui vérifie notamment les titres de séjour. Cela permet vraiment de contrôler en temps réel les papiers qui sont fournis au SANDIA et aux caisses, qui ont aussi accès à l'AGDREF. Nous avons pu le constater lors de visites, notamment dans les Hauts-de-Seine, à Nanterre, dans les locaux de de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) et de la caisse d'allocations familiales (CAF).
Votre argument consiste à dire que lorsqu'on constitue un échantillon, tout dépend de la façon dont on le constitue. Mais nous n'avons pas d'explication sur cet écart assez troublant entre les chiffres de 2011-2013 et ceux de 2017-2018, avec le passage à celui de 1,8 million à 150 000 dossiers frauduleux
J'ai également été surpris par une question. Il existe deux versions de votre rapport. Dans la seconde version, vous avez écrit que 9,7 millions de personnes disposant d'un NIR au sein du SANDIA touchent des prestations alors qu'en réalité, il n'existerait théoriquement que 8,1 millions de personnes pouvant toucher ces prestations, d'après l'INSEE. L'on peut donc déduire que 1,5 million de NIR issus du SANDIA donnent lieu au versement de prestations injustifiées. Aucune explication n'est donnée dans votre rapport sur cet écart. Pourriez-vous revenir sur ce point qui ne me semble pas être un détail ?
Nous avons eu quelques difficultés sur les chiffres avec le SANDIA. Vous avez pu constater d'ailleurs que l'INSEE a contesté certains chiffres donnés par Mmes Goulet et Grandjean. Il faut agir avec beaucoup de prudence sur ce que l'on entend et ce que l'on met sous les différentes dénominations. On nous avait donné des pourcentages. La note de bas de page à laquelle vous faisiez allusion a été écrite par M. Bonnet, qui peut la commenter.
Le travail de M. Vanlerenberghe s'inscrivait dans des problématiques de finances publiques, et notamment de finances sociales ; il visait à vérifier l'exactitude de l'évaluation de 14 milliards d'euros évoquée plus haut et, de manière générale, à savoir si le type de fraude à l'immatriculation justifiait de mettre prioritairement les moyens de la lutte antifraude sur ce sujet. Le principal objet était d'aboutir de la manière la plus fiable possible à une estimation des enjeux financiers. Nous avions constaté que, sur l'échantillon qui avait été tiré, 56 % des dossiers avaient reçu des prestations et pouvaient donc être considérés comme actifs. J'ai alors jugé bon, dans une note de bas de page, d'appliquer ce pourcentage aux 17 millions de NIR, afin d'extrapoler ce pourcentage à l'ensemble de la population immatriculée par le SANDIA. Nous ne nous attendions pas à ce que ces éléments suscitent une polémique. C'est une initiative que je qualifierais de malheureuse.
Nous l'avons fait sur la base des 21 millions de dossiers et non pas des 17 millions de dossiers actifs. Nous avons fait un calcul fondé sur une règle de trois.
Aujourd'hui, nous avons les données les plus précises avec ce document daté de juin 2019.
Je suis un peu ennuyé par vos explications parce que vous avez commencé votre propos liminaire en critiquant la méthode de la règle de trois effectuée par le magistrat Prats sur le stock du SANDIA et le contrôle réalisé en 2011, et maintenant vous expliquez que vous avez fait des extrapolations avec une règle de trois pour établir des chiffres que vous avez intégrés dans le rapport. Sur le plan de la méthode, cela me gêne.
Ensuite, vous avez indiqué que le chiffre de 17,2 millions d'assurés avec un NIR était un chiffre fourni par le SANDIA, quand le chiffre fourni par l'INSEE est de 18,7 millions. Quelle peut être l'origine de cet écart avec le chiffre de l'INSEE en France et un chiffre fourni par le SANDIA ? Cela me gênerait beaucoup que les chiffres de l'INSEE soient inexacts, c'est quand même l'institut qui est en charge de recenser le nombre d'habitants dans notre pays et d'établir un certain nombre d'autres chiffres très importants, non seulement pour nos statistiques, mais pour nos finances publiques.
Vous avez indiqué quelle était la nature des dossiers dits indéterminés. Une fois qu'ils ont été classifiés comme indéterminés, sont-ils ensuite acceptés par le SANDIA comme étant porteurs de la possibilité d'établir un NIR ou sont-ils bloqués pour les personnes qui sont dans cette situation ?
Ces dossiers indéterminés sont acceptés par le SANDIA et la DCPAF. Ils ont alors jugé que l'anomalie était peu importante et qu'elle n'était pas de nature à considérer qu'il fallait remettre en cause la possibilité de servir des prestations à ces personnes.
Des efforts doivent être faits aujourd'hui sur les pièces d'identité. Nous sommes allés sur place, nous sommes allés voir ce qu'il en était ; les pièces d'identité sont bien classifiées, mais c'est sur leur rendu, lorsqu'elles sont transmises aux caisses et au SANDIA, qu'il faut progresser. Je peux témoigner que le SANDIA et la DCPAF sont sévères. Quand ils qualifiaient un dossier d'indéterminé, dans certains cas je l'aurais classé comme acceptable. Parfois, les deux pièces d'identité concordaient parfaitement mais, par conscience professionnelle, les agents du SANDIA ont renvoyé le dossier à la caisse de sécurité sociale. La procédure est parfaitement huilée, ce qui n'était pas le cas en 2011.
J'en viens aux chiffres de 2011. Ils reposent sur des bases très larges, avec une méthodologie très imparfaite. 10 % de dossiers sont indiqués comme suspects. Mais que cela veut-il dire ? Parmi ces dossiers, une partie d'entre eux sont classés comme en anomalies. On arrive à réduire la suspicion, et à passer d'un taux de 10 % à un taux de 3 %, soit beaucoup moins. Ensuite, M. Prats utilise un montant moyen de prestation de 7 000 euros par an. Je ne sais pas d'où vient ce chiffre. Dans tous les cas, nous avons effectué un travail de remontée précis sur les dossiers concernés pour vérifier quel était le montant de la prestation associée. Ce n'est pas une estimation. Ensuite, il est possible de faire une règle de trois sur des bases sûres, à partir de dossiers contrôlés et de prestations effectivement servies. M. Prats avait fait une règle de trois sur des données qui étaient absolument trop larges pour pouvoir certifier et valider ce chiffre qui était incontestablement abusif. Avec notre méthodologie, nous parvenons à un chiffrage cent fois inférieur. De 14 milliards, nous sommes passés à 140 millions.
Il existe des prestations supérieures à la moyenne de 7 000 euros retenue par M. Prats. Dans vos chiffres, vous avez des prestations perçues qui sont de 11 000 euros, avec 13 546 euros perçus.
Ce montant correspond aux prestations de l'ensemble des 14 dossiers. Cela fait 1 000 euros par dossier environ.
Comment pouvez-vous être sûr que les 14 000 euros de prestations liées à ces 14 dossiers correspondent à un chiffrage moyen qui permettent de faire des extrapolations ?
Ce sont les prestataires, les caisses d'assurance-maladie.
Il s'agit là d'un autre travail. Si vous voulez contrôler les médecins et la régularité des prestations, ce n'est pas notre affaire. Nous avons travaillé sur le numéro d'inscription à la sécurité sociale des personnes nées à l'étranger. Tel était le champ de notre mission, qui était circonscrit.
Vous avez évoqué la formation des agents qui a été approfondie et qui a permis d'améliorer les choses. Pourriez-vous citer des exemples concrets ? Comment ? Quoi ? Quels sont les éléments qui ont permis d'améliorer cette formation et ces investigations ?
Ensuite, que pensez-vous des cartes Vitale surnuméraires évoquées par la directrice de la sécurité sociale, même si nous ne sommes toujours pas sûrs du chiffrage ?
Vous avez évoqué les investigations précises sur les montants des prestations sociales qui ont été touchées par les 133 dossiers, que vous avez échantillonnés, de NIR frauduleux identifiés par la DNLF. Quelles sont les prestations perçues indûment avec ces faux NIR ? A-t-on fait des investigations pour le savoir ? Était-ce des prestations médicales, pharmaceutiques ? Comment ? Cela mérite quelque chose de précis. Il me semble compliqué, sauf si on a affaire à des filières, de tirer des conclusions sur des généralités en matière de fraudes.
Ensuite, je m'interroge sur votre rapport et celui de la police de l'air et des frontières de 2012-2014, qui sont relatifs au taux de fraude documentaire pour l'immatriculation dans le système social. La DNLF et la PAF ont-elles publié des données exactes en 2012 et en 2014, ou est-ce votre rapport qui a des données exactes ou inexactes ? Les deux sont en contradiction. Nous ne pouvons pas envisager que 10 % des faux documents qualifiés comme tels à l'époque par des officiers de police judiciaire assermentés et experts en fraude documentaire (environ 1,8 million de dossiers sur le stock) soient devenus des documents authentiques en 2019, avec un taux de 0,7 % de fraude documentaire. Votre rapport signifie-t-il que sur les 1,6 million de dossiers, les faux documents seraient devenus de vrais documents ? Je n'arrive pas à comprendre quel rapport est exact.
Enfin, monsieur le président, monsieur le rapporteur, j'ai une suggestion à faire à notre commission. Si M. Prats est souvent cité, il serait peut-être intéressant d'avoir une audition contradictoire pour savoir ce qu'il en est des éléments des uns et des autres dans le cadre de cette commission d'enquête, pour que nous puissions mieux comprendre comment les choses se passent. Je vous avoue que je suis un peu perdue par rapport aux réponses apportées.
Entre 2011 et 2013, M. Prats était à la DNLF. Nous l'auditionnons la semaine prochaine, et nous déciderons, au vu des éléments qu'il nous apportera, comment nous procéderons par la suite, mais cela peut être effectivement un élément intéressant.
Monsieur le sénateur, dans votre rapport, vous indiquez que le risque des faux numéros de sécurité sociale est compris entre 200 et 802 millions d'euros en termes de prestations monétaires. Avez-vous affiné un peu plus ces chiffres ?
Deuxièmement, depuis le début des auditions de cette commission d'enquête, nous constatons que le manque de partage des informations entre les différents services de l'État empêche de stopper une grande partie de la fraude. Selon vous, comment peut-on y remédier ? On nous oppose régulièrement les réglementations que fait respecter la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Monsieur le sénateur, il me semble que vous n'avez pas répondu concernant le chiffre de 1,5 million de personnes touchant des prestations. Ce chiffre ne vous interpelle-t-il pas ? Vous avez un chiffre de 9,7 millions, alors que l'INSEE est à 8,17 millions. Ce chiffre mérite d'être précisé. Il me semble que ce n'est pas le cas.
Je reste aussi très perplexe sur l'échantillonnage. Vous avez fait une comparaison avec les sondages, mais dans ce cas il s'agit d'échantillonnages précis, en tenant compte de chaque catégorie de population. Vous avez tiré au sort un nombre de dossiers. Expliquez-nous sur quels critères vous avez fait cet échantillon pour voir s'il est vraiment représentatif. À cet instant, nous n'en sommes pas vraiment sûrs.
Vous avez dit qu'un mauvais acte de naissance est une anomalie mineure. Pouvez-vous préciser cela ? Un mauvais acte de naissance est-il une anomalie mineure ou majeure, selon vous ?
Monsieur le sénateur, je souhaiterais évaluer avec vous de quelle façon vous avez apprécié les différences de critères entre le SANDIA et la police aux frontières. Effectivement, le SANDIA, lors des auditions de la mission gouvernementale mandatée par le Premier ministre, avait reconnu ne pas appliquer exactement les normes de la police aux frontières. Comment avez-vous traité ceci dans le cadre de votre enquête ? Cette différence de critères pourrait-elle avoir une incidence sur la qualité documentaire ?
Un véritable travail de formation a été réalisé suite à ces anomalies constatées en 2011 ; un guide de l'identification a été envoyé à tous les organismes prestataires de la sécurité sociale. La formation des agents au SANDIA est vraiment très rigoureuse sur des procédures – nous avons pu le constater aussi dans les caisses – qui sont suivies et validées. Les personnes qui sont en charge de ces dossiers sont contrôlées, avec l'intervention de superviseurs. Est réalisé un véritable travail, non seulement de formation, mais aussi de contrôle de la façon dont les choses sont pratiquées.
Sur l'ensemble des dossiers considérés comme anormaux, nous avons pu avoir un tableau précis des prestations servies. Sur les 47 dossiers, nous avons pu constater qu'il y avait des prestations de tous ordres. Ensuite, elles sont remontées sur ces dossiers auprès des caisses qui ont pu faire les vérifications nécessaires. C'est ainsi que nous avons pu obtenir des chiffres précis sur les montants servis et sur un montant moyen de l'ordre de 1 000 euros, sur les 14 dossiers qui étaient aujourd'hui non régularisés.
Sur les différences que vous avez notées entre les numéros d'identification signalés dans le rapport Grandjean-Goulet, je constate aussi qu'il y a une anomalie, qui m'étonne. J'entends bien les explications de l'INSEE. J'entends bien les explications des uns et des autres, notamment de la sécurité sociale, mais je pense qu'il faut éclaircir ce point. L'INSEE ne prend pas en compte les gens décédés. Il est donc obligé de maintenir tous ces numéros dans ses fichiers. Le SANDIA ne procède pas de la même façon car il verse des prestations. Il faut parvenir à harmoniser les choses.
Quant à la DCPAF, je rappelle qu'elle a participé à toutes les missions. Nous l'avons auditionnée et n'avons pas noté de différence notable sur l'évaluation de la classification, contrairement à ce que l'on vous avait fait valoir initialement. Tout le problème vient des classifications et de ce que l'on considère comme une anomalie mineure ou comme une fraude.
Vous avez, monsieur Ramadier, parlé de chiffres : 200, 800. Je crois que je l'ai précisé, ces chiffres constituaient la fourchette initiale, parce que nous n'avions pas encore les remontées auprès des caisses des dossiers considérés comme anormaux. Nous avons pu le faire trois mois après, en septembre, et nous sommes arrivés à environ 140 millions d'euros. C'est même plus faible que le chiffre plancher de notre estimation de 200 millions.
En ce qui concerne le partage de l'information entre les services de l'État, il existait en effet un problème. On peut d'ailleurs considérer qu'il y a toujours des progrès à faire. Néanmoins, les procédures sont largement partagées entre l'ensemble des caisses prestataires, le SANDIA et l'AGDREF en ce qui concerne les titres de séjour pour les ressortissants étrangers en France. Donc nous avons un réel partage d'informations, qui a mis du temps à s'effectuer, pratiquement une dizaine d'années. Aujourd'hui, ils sont à peu près en capacité de traiter en temps réel les anomalies.
Monsieur Zumkeller, vous avez parlé d'un échantillon représentatif. Je rappelle que nous avons demandé au SANDIA de s'appuyer sur les techniques d'échantillonnage de l'INSEE, pour avoir, en fonction de la dispersion des cotisants et des ressortissants étrangers, une base solide représentative du stock. Cela a été fait ainsi.
Il faut interroger le SANDIA. C'est la CNAV qui a fait l'échantillonnage, ce n'est pas nous qui l'avons fait directement.
Je n'ai pas parlé de mauvais acte de naissance, j'ai dit simplement que nous étions, en 2011, sur un seul document d'état civil (acte de naissance ou carte d'identité, titre de séjour). Maintenant, il est nécessaire, pour pouvoir bénéficier d'un numéro d'identification, de fournir deux preuves. Les extraits d'acte de naissance peuvent être faits sur des papiers libres ou tout au moins de formats très divers et variés, pas toujours sous la forme la plus récente parce certains stocks de formulaires sont épuisés, m'a-t-on dit, aussi bien en France, dans nos communes, qu'à l'étranger. Pour autant, faut-il dire, parce que nous ne sommes pas dans la norme la plus récente, que l'extrait est mauvais ? Non, mais cela suppose effectivement de s'y attarder, de contrôler, ce que font les agents des caisses et du SANDIA. Ils ont été parfaitement alertés et aujourd'hui, quand ils envoient au SANDIA un extrait d'acte de naissance, ils l'ont dûment contrôlé sur la base des informations de la formation qu'ils ont reçue et des procédures qui sont en œuvre. À mon avis, il faut qu'ils les améliorent encore, parce que les scans ne sont pas toujours de grande qualité. Nous l'avons signalé dans notre rapport. Nous avons retiré quatre ou cinq conclusions de ce type.
Pourriez-vous confirmer ce que j'ai compris, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de différence d'interprétation sur les critères, sur les documents, entre la police aux frontières et le SANDIA ? Par exemple, si une photocopie d'un extrait d'acte de naissance n'est pas très lisible, la police aux frontières comme le SANDIA vont considérer de la même manière ce document. C'est évidemment différent des conclusions du rapport de nos collègues Carole Grandjean et Nathalie Goulet qui, y compris lors de contrôles sur pièces, ont pu déterminer qu'il existait des différences d'interprétation entre ces deux organismes.
Lors des contrôles sur place et sur pièce réalisés au SANDIA, nous nous sommes étonnées de la qualité ou plutôt de la non-qualité documentaire sur laquelle ils se basaient pour effectuer des contrôles de cohérence. Nous nous sommes étonnées par exemple de l'utilisation de scans en noir et blanc. Un agent nous a répondu qu'effectivement c'était gênant, mais qu'il pensait que les organismes de protection sociale n'avaient pas les moyens de leur communiquer des documents de meilleure qualité et de couleur. Quand nous sommes allées sur place dans les organismes de protection sociale, ceux-ci nous ont dit : « Nous avons les moyens de faire de la numérisation couleur, mais on ne nous a tout simplement pas demandé de le faire. » Les conclusions que nous avons rendues dans le rapport sont fondées sur les auditions que nous avons faites avec les acteurs. Nous pensons qu'il existe une problématique de cohérence entre l'exigence des critères de la DCPAF et du SANDIA. Ce dernier a d'ailleurs reconnu ne pas appliquer complètement les critères exigés par la PAF.
J'ai entendu vos remarques concernant les différences d'appréciation que nous avons faites sur les doublons et les cartes vitale en surplus. A partir d'un communiqué de presse des organismes sociaux de septembre 2019, nous avons calculé qu'il y avait 5,6 millions de cartes Vitale surnuméraires. Lors d'une audition en février dernier, la directrice de la sécurité sociale (DSS) nous a annoncé 2,6 millions de cartes Vitale en plus. Deux jours plus tard, dans un communiqué de presse, la DSS précise que le nombre de cartes Vitale surnuméraires ne s'élèverait plus qu'à 600 000. Nous avons un problème de qualité de la donnée, c'était d'ailleurs l'objet d'un amendement passé en loi de finances 2020 pour réaliser cet audit. Nous avons véritablement un problème pour avoir des données chiffrées fiables, sur lesquelles nous pouvons extrapoler la réalité des fraudes.
Pouvez-vous nous confirmer que chaque dossier a fait l'objet d'une recherche de conformité dans chaque organisme de protection sociale ? Chaque dossier que vous avez étudié lors de l'audit a-t-il fait l'objet d'une étude, pour identifier les fraudes, le cas échéant, dans chaque organisme ?
Avez-vous vérifié la véracité des preuves de vie ? Nous avons eu un sujet également sur le nombre de centenaires présumés vivants.
Le numéro NIR est créé de plus en plus de façon dématérialisée. Il n'y a plus d'échanges physiques, parce que tout passe par le Net et par la numérisation des dossiers. Estimez-vous que la fraude documentaire est accentuée par la dématérialisation, pour la création de ces dossiers ? Le cas échéant, n'est-il pas nécessaire de prévoir, dans les étapes de constitution du dossier, un contrôle physique du demandeur ?
Avez-vous une idée du pourcentage, sur les dossiers en anomalie, de ceux qui sont dits critiques, c'est-à-dire ceux pour lesquels vous disiez qu'il y avait des doutes sur leur authenticité ? Après vérification, quel est le pourcentage comparé aux autres dossiers en anomalie ?
Cela ne m'apparaît pas aberrant que l'on constate des surnombres sur les cartes Vitale et les NIR. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir combien sont encore en activité. On peut être étudiant d'un pays étranger et venir en France un an ou deux pour des études, repartir et conserver son NIR. La question est : sur ces cartes-là, combien ont des droits ouverts et actifs ?
Quel est votre avis sur la coordination entre les différents organismes ? Beaucoup d'organismes sont maintenant gérés avec la gestion électronique des données (GED). Il faut trouver un équilibre entre la nécessité de ne pas bloquer des gens dont les droits sont avérés, en exagérant les suspicions, et en même temps la nécessité de contrôler rationnellement.
Monsieur le rapporteur, c'est vrai que la documentation fournie peut être de mauvaise qualité, mais on peut aussi croiser les informations, c'est l'avantage. Il y a deux documents, qui permettent de corriger le doute que l'on peut avoir à la lecture de l'un des deux. C'est un point essentiel. Nous avons pu le constater, au moins du côté du SANDIA, puisque ce service rassemble l'ensemble des documents. Ils arrivent ainsi à lever un certain nombre de doutes, et à identifier de l'ordre de 7,6 % de dossiers soulevant des doutes, ce qui les conduit à faire un contrôle approfondi auprès de l'organisme prestataire qui a émis le dossier. C'est quand même une sécurité incontestable grâce à la procédure mise en place, qui me paraît assez fiable.
Madame Grandjean, vous avez évoqué la qualité des documents. C'est vrai que lorsqu'elles sont en noir et blanc, la qualité des photos peut poser des difficultés. Ce n'était pas toujours évident, compte tenu de la qualité du scan, de pouvoir donner un avis certain. Nous avons formulé cette remarque dans notre rapport. Nous avons dit qu'il fallait vraiment améliorer la qualité des scans et passer à la couleur. C'est indispensable. Ce constat est né des contacts avec la PAF. Mais quand il y a un doute sur la photo, le dossier remonte. Ce n'est pas traité à la légère ; j'ai pu le constater aussi.
La fraude aux cartes vitale n'est pas notre sujet. Comme vous, les réponses récentes de Mme Lignot-Leloup m'ont un peu estomaqué.
La polémique qui s'est ensuivi avec l'INSEE me paraît problématique. La question est posée. Aujourd'hui, nous sommes en droit d'exiger une clarification et d'avoir des chiffres fiables sur les cartes Vitale actives qui seraient en surnombre.
En ce qui concerne l'identification des prestations, les 47 dossiers sont remontés. La CNAV a fait, sur l'ensemble des caisses prestataires, une étude des dossiers pour voir les montants des prestations versées en 2018, pour savoir s'ils étaient véritablement actifs, s'il y avait une suspicion légitime sur la réalité de leur inscription. Nous disposons ici d'une statistique sur les dossiers que nous avons échantillonnés. L'on décompte 906 dossiers, soit 57,5 % du total, qui sont considérés comme favorables. 246 dossiers, c'est-à-dire 15,6 % étaient classés en indéterminé. 376 dossiers, donc 23,9 %, étaient considérés comme en anomalies mineures. En anomalie critique, sont recensés les 47 dossiers dont nous avons parlé, soit 3 %. Vous retrouvez tous ces chiffres dans notre rapport.
Sur la dématérialisation, il est certain que c'est une facilité offerte aux personnes, afin de pouvoir s'inscrire par internet. On peut le comprendre. Ce n'est pas un cas général, mais c'est de plus en plus répandu. Nous le savons, cela ouvre des possibilités de tricherie, au moins sur l'identité de la personne. Parfois, il n'y a pas de doute, les papiers sont de bonne qualité. Quand un doute subsiste, nous avons demandé à ce qu'il y ait un contrôle physique dans les caisses émettrices de la demande. Il n'était pas systématique. Il n'en demeure pas moins que le SANDIA renvoie le dossier et que c'est à la caisse de valider. Ensuite, comment faisait-elle ? Elle repartait sur le dossier initial ; elles nous l'ont dit. La meilleure des preuves est la présence physique de la personne. Cela vaut la peine, compte tenu des sommes qui sont en jeu.
Avez-vous le pourcentage des dossiers en anomalie dite critique, c'est-à-dire identifiés comme avec une intention de fraude réelle, et ne correspondant pas à une erreur ?
Je vous ai donné les chiffres. L'on décompte 47 dossiers en anomalie critique, et 14 qui n'ont pas été régularisés. C'était d'ailleurs au mois de septembre. Normalement, nous devrions avoir un chiffre plus précis dans trois à six mois. Cela ne m'étonnerait pas que d'autres dossiers aient été régularisés. Il n'en demeure pas moins qu'au bout de trois mois, quand on n'a pas pu apporter une preuve physique, c'est qu'il y a un problème. On peut considérer que c'est une base quand même très fiable. Ont donc été recensés 47 dossiers critiques et 376 dossiers en anomalie mineure.
Nous attendrons donc des chiffres un peu plus précis et plus larges, mais cela donne une indication.
À partir du moment où les organismes de contrôle valident des dossiers fournis par les prestataires, on peut toujours faire d'excellents contrôles. Dans les caisses, nous avons pu le constater, les agents sont supervisés. On vérifie au fil du temps qu'ils gardent bien en mémoire les procédures, qu'ils les appliquent correctement, qu'ils les suivent au jour le jour. En cas de doute, ils peuvent faire appel au superviseur. Une importante évolution est intervenue depuis 2011. C'est en cela que la mission qui nous a alertés, avec les estimations de M. Prats, a été utile, même si ensuite ces estimations me sont apparues exagérées.
Vous avez indiqué, s'agissant des anomalies critiques constatées dans le contrôle, qu'une proportion assez forte provenait de dossiers du Maroc et d'Algérie. Quelle pourrait être la cause du fait qu'une part significative de ces dossiers provient de ces deux pays ? Ne s'agit-il pas là d'un indice, même faible, d'une fraude plutôt organisée qu'individuelle ?
Deuxièmement, vous avez parlé des numéros d'identifiant d'attente qui étaient délivrés avant régularisation définitive d'un dossier. Dans les contrôles effectués, savez-vous s'il y a pu avoir, une fois le numéro d'identifiant d'attente délivré, un ou plusieurs dossiers rejetés puisque l'identité ou les documents ne seraient pas bons, et donc une forme de fraude établie ?
C'est vrai qu'il y a un peu plus de dossiers émanant du Maghreb ou d'Afrique noire, mais c'est assez logique, compte tenu de la présence de ces populations sur notre sol depuis longtemps. Faut-il en tirer la conclusion que c'est une fraude organisée ? Je ne crois pas. Je n'en ai pas le sentiment, compte tenu des montants en moyenne assez faibles de prestations servies que nous avons constatés sur les dossiers émanant de ces pays-là.
On a entendu parler, notamment par la PAF, de fraude organisée – venant plutôt de pays d'Europe centrale, de Roumanie particulièrement –, mais bloquée par la PAF. La PAF fait évidemment son travail, qui n'est pas exactement le nôtre - lequel porte sur les numéros d'immatriculation la sécurité sociale. La PAF nous parlait par exemple de fraude organisée ou de travail détaché, et sur ce point, qui est bien connu, on sait que des entreprises fictives sont constituées et qu'elles desservent certainement notre économie. On ne peut pas en conclure qu'il y ait une fraude organisée. Certains individus originaires de ces pays tentent d'obtenir des prestations sociales en France, mais l'on ne peut pas dire qu'il s'agit de fraude organisée.
En revanche, même si cela sort complètement de notre champ, nous savons qu'il existe des fraudes à la carte vitale. Des personnes fabriquent de fausses cartes Vitale et des fausses cartes d'identité. On nous a dit, au SANDIA et à la PAF, que malgré les numéros d'identification codés des cartes d'identité, des experts en fraude organisée arrivent à fabriquer de fausses cartes d'identité difficilement repérables. Mais les services ont la capacité de détecter les tentatives de fraude.
Pour retenir des données sur lesquelles s'appuyer pour établir des raisonnements, on travaille sur des échantillons. Nous évoquions un échantillon de 2 000 dossiers. Vous êtes ingénieur de formation, vous évoquiez les règles de la statistique. Les instituts de sondage opèrent sur des échantillons dont ils espèrent qu'ils sont les plus représentatifs possible. Mais en même temps, le fait de travailler sur un échantillon conditionne les modalités de raisonnement, l'on ne peut dire la même chose que lorsque l'on travaille sur l'intégralité des dossiers. Le volume global de dossiers atteint 20 millions, et la taille de l'échantillon retenu est de 2 000 dossiers. Pensez-vous qu'objectivement, sur la base d'échantillons, on puisse dire qu'il n'y a pas de fraude organisée ?
Nous ne cherchions pas à voir et à vérifier la fraude organisée, mais à identifier les dossiers considérés comme frauduleux qui avaient conduit à servir des prestations injustifiées. Donc nous avons fait ce travail. La PAF nous dit qu'il y a des tentatives de fraude organisée. C'est leur travail, pas le nôtre. Nous étions dans l'incapacité, avec les organismes précités, d'aller vérifier 20 millions de dossiers pour détecter une fraude organisée. C'est aux caisses de faire ce travail de détection, en sortant parfois de leurs guichets, afin d'essayer de comprendre les mécanismes de fraude. Avec les algorithmes, les organismes sont en capacité de détecter ce qui s'éloigne des normes. La sécurité sociale le fait, elle effectue par exemple des contrôles sur les prestations médicales. Elle fait des sondages et contrôle les médecins. S'il y a trop de prestations sur tel médicament, telle prestation ou telles indemnités journalières, cela pose question. Tout cela est fait de façon statistique, vous pouvez interroger la sécurité sociale. Ils sont capables de faire beaucoup avec les outils dont ils disposent. Après, ils doivent y être autorisés.
En ce qui nous concerne, nous avons fourni les chiffres sur les prestations servies frauduleusement à des gens nés à l'étranger. Maintenant, libre à vous d'aller refaire la même démarche, de voir s'il faut un échantillon plus vaste, s'il faut recourir à un grand nombre de personnes en service civique, par exemple, pour leur faire recenser tous les dossiers. Je vous souhaite bon courage. Sachant que le résultat ne sera peut-être pas vraiment suffisamment probant, parce qu'il faut s'assurer que le contrôle soit fait par des gens qualifiés, assermentés et capables de reconnaître le faux du vrai. C'est un travail compliqué.
La police de l'air et des frontières nous explique qu'il existe de la fraude en bande organisée – c'est une évidence – et vous n'en trouvez pas dans votre échantillonnage. Ne trouvez-vous pas que cela démontre justement que l'échantillonnage n'est pas bon ? Vous devriez au moins trouver un peu de fraude organisée, puisque nous sommes sûrs qu'il y en a. À mon avis, cela démontre totalement que l'échantillonnage n'était pas bon.
Ce sont des mots. On parle de « fraude organisée ». Qu'est-ce que cela recouvre-t-il ? Parce que pour moi, tout part de là. On dit : « c'est frauduleux », mais quelle est la définition de la fraude ?
Je suis très surpris que vous posiez cette question. Tout le monde sait qu'il existe des filières très organisées qui créent de fausses adresses, de fausses identités avec de faux papiers d'état civil étranger. Tout le monde le sait. Je suis très surpris que vous mettiez en doute le fait qu'il y ait de la fraude organisée. Que l'on ne sache pas le pourcentage que cela représente, je l'entends, mais nier le fait qu'il y ait de la fraude organisée me semble impossible. Bien sûr que cela existe. Ce n'est pas nous qui le disons. La police de l'air et des frontières le dit. Elle dit même que si elle avait plus de moyens, nous en trouverions plus. Vous entendre dire qu'il n'y a pas de fraude organisée me semble inconcevable.
Si la police aux frontières le dit, c'est qu'elle l'a détecté. Si elle l'a détecté, c'est qu'elle a remonté les informations. Elle participe à tous les contrôles. Cela veut dire que cela a été corrigé et transmis dans les organismes concernés . Je ne dis pas qu'il n'y a plus du tout de fraude. Je dis que de toute façon, aujourd'hui, des personnes sont en capacité de fabriquer de fausses cartes d'identité avec beaucoup de précision. On est en train de modifier la carte d'identité pour être encore un peu plus sûr de sa provenance. Nous avons aussi une fraude aux cartes Vitale, c'est vrai. Mais je parle ici de numéro d'identification à la sécurité sociale. Je ne parle pas de la fraude aux cartes vitale et aux travailleurs détachés. Quand on parle de fraude, on parle de quelque chose de massif. Je ne nie pas qu'il y en ait. J'ai écouté ce que disait la police aux frontières. Nous les avons interrogés sur le domaine précis de notre mission, et ils ont validé notre rapport. Il ne faut pas se tromper. On peut utiliser de grands mots qui recouvrent certainement des réalités, mais qui ne correspondent pas exactement à ce que nous cherchions. C'est pour cela que nous ne l'avons pas trouvé. Nous avons travaillé sur le numéro d'identification à la sécurité sociale, qui ne donne pas automatiquement droit à une carte et à une prestation.
Malgré tout, on nous explique à longueur de rapports de la Cour des comptes, etc. que la fraude documentaire est la clé d'entrée vers les fraudes aux prestations sociales. Vos propos, qui consistent à dire que la fraude documentaire est circonscrite et qu'elle sera même amenée à l'être davantage demain, m'interpellent beaucoup. Selon votre raisonnement, qui me surprend, le niveau des fraudes aux prestations et aux cotisations sociales va diminuer dans les années à venir, parce que l'on aura verrouillé la problématique de la fraude documentaire – ce que je ne crois pas.
Ici, nous parlons de fraude documentaire sur des personnes nées à l'étranger. C'est un champ limité. Il faut aussi diriger les recherches vers tous ceux qui sont nés en France et qui peuvent frauder. Ce n'était pas le champ de notre exploration.
Deuxièmement, la Cour des comptes a produit des chiffres en 2012 qui étaient exagérés ; ils le reconnaissent aujourd'hui. La Commission des affaires sociales du Sénat a d'ailleurs demandé à la Cour des comptes d'effectuer une étude sur la fraude sociale et nous devons les rencontrer pour avoir le résultat de ces travaux. La date n'est pas encore fixée, mais nous aurons l'occasion de confronter nos points de vue. Je ne pense pas qu'ils contredisent ce que nous avons dit et écrit, mais nous ne les avons pas encore rencontrés officiellement. Attendons, mais ce sera intéressant.
Ce qui ressort également est que la principale fraude réside dans les tricheries sur les documents émis, la fraude documentaire, mais pas seulement sur le numéro d'identité. Cela peut être de la fraude documentaire sur les revenus. Vous fournissez de faux revenus exagérés pour pouvoir bénéficier par exemple d'une indemnité chômage surévaluée ou à l'inverse, vous dissimulez vos revenus pour pouvoir toucher le revenu de solidarité active (RSA) ou une autre prestation. C'est la source principale de la fraude et les caisses ne s'en cachent pas. Elles le disent, leur recherche est là constamment. Le travail est fait, mais il y a encore des progrès à faire. Là, on sort complètement du champ initial de nos travaux.
Merci beaucoup, monsieur le sénateur, au nom de l'ensemble des membres de la commission et de notre rapporteur, pour cette audition.
C'est moi qui vous remercie. J'espère avoir apporté quelques éclaircissements, mais tout est dans le rapport que nous avons fait. Il est même plus complet que ce que j'ai pu vous dire.
La réunion se termine à dix-huit heures trente
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales
Réunion du mardi 25 février 2020 à 17 heures
Présents. – Mme Valérie Boyer, M. Pascal Brindeau, Mme Blandine Brocard, Mme Carole Grandjean, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Catherine Osson, M. Benoit Potterie, M. Alain Ramadier, Mme Muriel Ressiguier, Mme Agnès Thill, Mme Nicole Trisse, M. Michel Zumkeller
Excusée. - Mme Josette Manin