Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures 15.

Présidence de Mme George Pau-Langevin, rapporteure.

La Commission d'enquête entend en audition M. Christian Sonrier, président de l'Association des hauts fonctionnaires de la police nationale, accompagné de M. Hubert Weigel, membre du comité directeur.

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Soyez les bienvenus. Je vous propose de nous exposer en introduction comment vous appréhendez les questions de maintien de l'ordre.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. Christian Sonrier et Hubert Weigel prêtent serment.)

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Christian Sonrier, président de l'Association des hauts fonctionnaires de la police nationale (AHFPN)

En préambule, je vais vous parler de cette association qui s'appelle pompeusement « Association des hauts fonctionnaires de la police nationale ». Nous sommes en réalité hauts fonctionnaires dès que nous entrons à l'école des commissaires de police. L'association a plusieurs décennies d'existence et n'était auparavant qu'une amicale, puisque les contrôleurs généraux ou les inspecteurs généraux qu'elle est censée réunir ne représentaient que quelques dizaines de fonctionnaires. Aujourd'hui, grâce à une série de réformes successives, nous avons un potentiel de 500 hauts fonctionnaires, à partir de commissaire général. Notre association compte un tiers de fidèles adhérents parmi ce vivier de 500 personnes. Il s'agit toujours de personnes qui ont au moins été commissaires généraux, qui ont eu des emplois de contrôleurs généraux, d'inspecteurs généraux ou de directeurs des services actifs.

L'association créait beaucoup de lien social et cela continue à être un de nos objectifs prioritaires. Elle crée un lien entre les retraités et les actifs, ce qui est très important, d'autant qu'ils viennent souvent d'univers très différents, de spécialités très diverses. La composition des membres de cette association, et surtout du ratio retraités/actifs, a changé. Ce ratio était d'un tiers d'actifs pour deux tiers de retraités, et il s'est aujourd'hui inversé : nous avons deux tiers d'actifs pour un tiers de retraités. Cela nous a conduits à être un « cercle de réflexion », une sorte de think tank, qui organise tous les ans des Rencontres – c'est ainsi que nous les appelons, que le ministre de l'Intérieur nous fait l'honneur de clore. Le thème abordé il y a deux ans était « Quelle police pour demain ? ». Cette année, c'était « Les policiers au cœur des violences », un sujet également très vaste. Nous n'avions pas trop voulu interférer dans le domaine de l'ordre public puisque nous savions qu'un groupe de travail était en place, dont Hubert Weigel faisait partie.

Nous avons été consultés pour le Livre blanc de la sécurité. Une mission d'information de l'Assemblée sur les contrats locaux de sécurité nous a également entendus. C'est très gratifiant pour nous d'être reçus aujourd'hui par des représentants de la nation dans le cadre de cette commission. Hubert Weigel est un homme de l'art, il ne manquera donc pas de répondre à vos éventuelles questions sur les aspects techniques. Pour ma part, je vous ferai plutôt part des questionnements que nous avons souvent au sein de notre association, sur des sujets peut-être « parisiens », comme le couple préfet-chef du dispositif de l'ordre public ; des sujets relatifs à la responsabilisation des chefs de secteur sur le terrain : ne dirige-t-on pas trop de façon verticale à partir d'une salle de commandement, avec de nombreux procédés techniques – caméras, radios plus performantes… – et donc la tentation de gérer tout du haut, et de ne pas assez responsabiliser les collègues de terrain ? ; une autre question que nous nous posons est celle de l'opportunité de la dichotomie de l'organisation parisienne entre la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) – qui gère l'ordre public et qui est quasiment un État dans l'État – et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), que j'ai d'ailleurs dirigée. Nous nous demandons s'il est souhaitable que ces deux entités coexistent alors que, par le passé – il y a plus de vingt ans –, un seul directeur de la sécurité publique avait un cerveau avec les deux lobes pour trouver cet équilibre ente la police d'État et la police nationale de la population. Nos collègues de province continuent à le faire, et il devait trouver cet équilibre qui fait que sur le terrain on est davantage dans la proximité, et peut-être plus efficaces.

Nous nous interrogeons sur ces questions structurelles, mais qui ne sont parfois pas sans incidence sur la réalité du terrain.

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J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le document que vous nous avez fait parvenir sur la police confrontée aux difficultés actuelles.

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Christian Sonrier, membre du comité directeur

Dans notre panel de hauts fonctionnaires, nous avons la chance d'avoir des gens qui nous apportent un regard extérieur. Nous avons notamment beaucoup de collègues qui ont travaillé à l'international auprès des ambassades, comme attachés de sécurité. Nous avons des personnes qui travaillent à présent dans le privé. Elles nous apportent une vision de nos problématiques qui n'est pas du tout corporatiste. Nous avons aussi des personnes qui ont des fonctions électives, et je vous remercie de saluer de ma part le président de la commission qui est un proche de notre association.

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Nous souhaitions vous interroger sur l'apparition de nouveaux profils de manifestants. Avez-vous constaté cette évolution ? Qu'est-ce que cela change pour le maintien de l'ordre ? Dans le cas des manifestations, on dit souvent que les casseurs sont des gens qui sont venus perturber la manifestation et qu'ils ne sont pas eux-mêmes des manifestants. Comment se fait-il qu'on ne puisse pas empêcher l'infiltration de ces gens parmi les manifestants ? Comment pourrait-on les isoler ?

Par ailleurs, dans le rapport de la Cour des comptes de 2017 sur les moyens du maintien de l'ordre, il est dit qu'il faudrait mieux utiliser des personnes formées au maintien de l'ordre et qu'il semble en outre que les capacités opérationnelles des forces mobiles soient aujourd'hui saturées. Cela expliquerait le recours à des personnes non formées. Qu'en pensez-vous ?

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Hubert Weigel

Je vais essayer de répondre aux questions que vous venez de poser, mais avec l'appui et le concours de mon collègue. Nous avons bien entendu remarqué les comportements liés à de nouveaux modes d'expression de la part de manifestants, et ce depuis plusieurs années. Et on peut dire que c'est allé crescendo. On peut également souligner que notre pays n'est pas le seul à avoir fait ce type de constatations. Les premières manifestations où ont été observés de nouveaux modes de contestation assez violents, et de plus en plus violents, ont été les réunions internationales, qui se sont tenues en Italie, en France et en Allemagne. Des échanges que nous avons eus avec nos collègues étrangers, et en particulier européens, ont été fructueux sur ce plan, pour tenter de dresser un profil général de cette nouvelle forme de manifestation.

Il s'agit de manifestations plus violentes, plus agressives à l'égard des policiers et qui sont visiblement le fait de gens très bien organisés, sur lesquels il convient que nos services de renseignement– sous toutes leurs formes – obtiennent des éléments d'appréciation, pour permettre aux responsables de l'ordre public d'anticiper les manœuvres.

En ce qui concerne les moyens d'empêcher l'infiltration des manifestations par ce type d'individus, il faut déjà pouvoir observer les rassemblements, réunir des renseignements sur ces individus et obtenir de la part de l'autorité judiciaire des réquisitions qui permettent de procéder à des contrôles d'identité, à des palpations ou à des fouilles, pour éviter que ces individus – souvent armés et souvent équipés d'une manière inappropriée par rapport à une manifestation pacifique – ne puissent s'y infiltrer. Mais ces réquisitions s'obtiennent de plus en plus souvent et en bonne intelligence avec les procureurs. Ces individus font preuve d'une véritable habitude et d'un vrai professionnalisme. Et, une fois qu'ils se sont infiltrés dans la manifestation, la difficulté pour les responsables du maintien de l'ordre est de parvenir à les séparer des autres manifestants pour pouvoir les interpeller. Ce n'est pas chose aisée, le maintien de l'ordre étant un art d'équilibre : un équilibre entre le désordre toléré et le désordre intolérable.

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Vous ne m'avez pas répondu sur la question de la capacité des forces mobiles, qui est aujourd'hui quasi saturée, d'après la Cour des comptes.

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Hubert Weigel

En effet. L'effectif des forces mobiles a été variable au cours des dernières années, avec cependant une diminution. Mais, pendant mes vingt-sept ans de fonctions au sein de la sécurité publique en province et pendant mes deux ans à la tête des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), j'ai pu constater que, de toute façon, les forces mobiles n'étaient pas forcément suffisantes par rapport aux besoins. Je pense en particulier à la province, ayant été essentiellement en poste en province. Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'avoir à traiter des manifestations en demandant le renfort de forces mobiles, mais celles-ci ne pouvaient pas venir.

En conséquence, la direction centrale de la sécurité publique a créé, voilà longtemps, les compagnies départementales de marche. Celles-ci consistent à récupérer des effectifs de tous les commissariats pour faire face à un événement dans un département, voire dans une zone, puisqu'il y a maintenant une organisation zonale de la sécurité publique. Cela ne peut pas remplacer les forces mobiles, mais permet de réaliser une première ou de premières interventions. Pour ce faire, il faut que les effectifs aient une formation minimale et surtout un équipement de protection et d'intervention adapté à cette mission. J'ai expérimenté l'utilisation de ces compagnies départementales de marche, notamment à l'époque où j'étais en poste dans un département du sud de la France. Les chantiers de développement du train à grande vitesse (TGV) – c'est donc assez ancien… – se traduisaient alors par des occupations et des manifestations parfois un peu violentes. Et le fait de rassembler une compagnie départementale de marche permettait à la fois de calmer le jeu avec les manifestants de l'époque, que beaucoup de policiers connaissaient, ce qui permettait une bonne approche, une négociation et in fine un règlement du problème dans les conditions les plus adaptées et les moins violentes possible, et de créer au sein des services une solidarité qui était pertinente pour le bon fonctionnement au niveau du département.

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Christian Sonrier, membre du comité directeur

Quand on parle d'unités spécialisées, on sous-entend les gendarmes mobiles d'un côté et les CRS de l'autre. Je dis « de l'autre » parce que chacun opère un peu dans son coin alors qu'ils font quasiment le même métier. Je ne parle pas des outre-mer, qui est réservés aux gendarmes mobiles, mais il pourrait y avoir une voie de progrès en rapprochant ces deux grandes entités.

Peut-être également faudrait-il se pencher sur l'esprit de responsabilisation. S'agissant de ceux qui profitent d'une manifestation pour venir créer un climat insurrectionnel et s'attaquer de façon très violente aux policiers, peut-être pourrait-on responsabiliser plus en amont. C'est dans les gares de la grande banlieue, par exemple, qu'il faut procéder à des fouilles. Il faut qu'il y ait une grande mobilisation pour qu'on puisse déjà détecter en amont ces gens qui vont venir avec des intentions très malveillantes.

Par ailleurs, sur le terrain, je pense qu'il faut laisser plus de pouvoir aux chefs de secteur sur un territoire, parce que les émeutiers, les fauteurs de troubles interviennent tellement rapidement qu'il ne faut pas attendre que les ordres viennent de beaucoup plus haut. C'est comme pour les services d'aide médicale urgente (SAMU) : il ne faut pas que l'acteur de terrain demande sans arrêt des instructions au Centre 15. Le chef de secteur dispose d'une pleine délégation pour apprécier sur le terrain la nécessité de procéder à telle ou telle interpellation. Je pense que si nous leur faisions plus confiance, si nous leur déléguions un peu plus de pouvoirs, ces chefs de secteur sur le terrain pourraient de façon plus rapide et plus efficace intervenir pour mettre fin à des débordements inacceptables.

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Hubert Weigel

À ce sujet, il faut savoir qu'il existe une grande différence dans le mode de gestion du maintien de l'ordre entre Paris et la province. Ce qu'a décrit mon collègue à l'instant en soulignant le fait que les chefs de secteur attendent des instructions d'une salle de commandement, c'est plutôt une organisation parisienne. En province, le directeur départemental, qui est directeur du service d'ordre, reste généralement en salle de commandement – cela dépend de la taille du département – et délègue des responsabilités opérationnelles à des commissaires de police qui sont chargés de secteurs. Par définition, ces commissaires de police ont la possibilité de prendre des initiatives d'intervention lorsqu'ils constatent que des infractions sont commises dans leur zone de responsabilité déléguée.

Il est en effet à la fois désagréable et contestable pour l'opinion publique de voir sur des images télévisées des unités déployées en barrages devant lesquels, à 20 ou 30 mètres, des dégradations sont commises sans que les effectifs puissent intervenir. C'est ou c'était souvent le cas sur le secteur de la plaque parisienne, pour les raisons qu'évoquait mon collègue. C'est beaucoup moins le cas en province, où existe cette déconcentration et où cette capacité d'intervenir est donnée au commissaire chargé d'un secteur. Je parle essentiellement du commissaire et des zones de police urbaines puisque généralement les manifestations qui posent des problèmes se situent dans des zones urbaines, c'est-à-dire des zones de compétence de la police nationale.

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Finalement, on a souvent le choix entre deux mauvaises solutions et deux mauvaises images… Le schéma national du maintien de l'ordre qui vient de sortir distingue les rôles du directeur du service d'ordre, du chef de secteur opérationnel et du commandant de la force publique. Et c'est apparemment là qu'il faut faire un choix pour savoir qui va décider. Vous dites que cela doit plutôt être celui qui est sur le terrain, et qu'il faut donc déconcentrer le pouvoir de décider et les responsabilités à prendre.

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Hubert Weigel

Exactement. Il faut déconcentrer. Cela existe en province depuis longtemps. Mais il faut rappeler l'ossature hiérarchique et la répartition des responsabilités. Celui qui définit la stratégie du maintien de l'ordre dans le département, c'est le préfet. Il ne faut pas qu'il y ait de confusion à ce sujet. Celui qui est chargé d'exécuter et de mettre en œuvre l'effet recherché par les instructions du préfet, c'est le directeur du service d'ordre tel qu'il est défini dans le schéma du maintien de l'ordre. Ce directeur du service d'ordre est généralement le directeur départemental de la sécurité publique, puisque cela se passe essentiellement en zone urbaine. Ce directeur déconcentre sur le terrain à des commissaires chargés de secteur – les chefs de secteur opérationnels, selon la terminologie du schéma national du maintien de l'ordre –, qui doivent avoir la possibilité de prendre des initiatives dans leur secteur, que ce soit à Paris ou ailleurs.

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Christian Sonrier, membre du comité directeur

Je crois que ce sujet va encore s'amplifier avec le développement de toutes les nouvelles techniques de réception d'images, comme les drones. Quand on est dans la salle de commandement, on a effectivement l'impression qu'on peut tout gérer de son fauteuil. Et les personnes les plus expérimentées nous disent : « Attention, c'est un piège. Le mieux placé pour analyser une situation sur le terrain et l'opportunité de faire telle ou telle chose, c'est celui qui est sur le terrain, ce n'est pas celui qui reçoit les images. »

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Vous avez expliqué de quelle manière vous êtes souvent amenés à rassembler des personnels d'un peu partout pour disposer d'effectifs suffisants face aux manifestants. Mais, dans les informations qui nous sont remontées, il semble que les incidents soient souvent le fait de membres du personnel qui ne sont pas formés au maintien de l'ordre. Comment pallier cet inconvénient ?

Par ailleurs, vous nous avez expliqué que, pour éviter l'arrivée de fauteurs de troubles, il faut les arrêter en amont. Mais le Défenseur des droits a justement dénoncé, parmi les pratiques qu'il estime illégales, les contrôles délocalisés et la technique de l'encagement. Comment réagissez-vous par rapport à cette position du Défenseur des droits ?

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Hubert Weigel

Pour ce qui est des policiers qui ne seraient pas assez formés, puisque par nécessité on « réquisitionne » les effectifs de tous les commissariats, c'est en partie vrai, mais aussi en partie faux. C'est une donnée réelle dans le sens où, parmi les effectifs rassemblés, certains sont plutôt spécialisés en police secours, mais il y en a aussi qui sont spécialisés – je pense aux brigades anti-criminalité – dans l'interpellation de fauteurs de troubles ou de délinquants dans des zones ou des circonstances extrêmement difficiles, notamment dans les quartiers qu'on appelle « sensibles » ou « difficiles ». Pour pallier cet inconvénient qui peut être grave, il y a nécessité de former les effectifs à des techniques de maintien de l'ordre. Celles-ci ne sont pas très compliquées sur le fond, puisqu'elles s'appuient généralement sur une capacité de rassemblement et d'intervention en unité constituée. Et désormais, dans les formations initiales que réalise la direction de la formation de la police nationale, une formation de ce type est en partie assurée.

Il faut aussi noter que les manifestations récentes qui ont entraîné cette réaction du Défenseur des droits rassemblaient des manifestants très divers. Et pour ces manifestations, les procédures judiciaires ont permis de déterminer que beaucoup des fauteurs de troubles –mais pas tous – venaient de ces fameux quartiers difficiles, où les policiers des brigades anti-criminalité savent parfaitement les interpeller sans qu'il y ait de difficultés. La particularité qui se présente dans une manifestation urbaine où il y a de nombreux participants, c'est qu'au moment de l'interpellation d'un fauteur de troubles, des mouvements spontanés de solidarité se créent de la part des manifestants, pour rendre l'interpellation plus compliquée. C'est une réelle difficulté, que le schéma national du maintien de l'ordre a bien notée. Et il l'a prise en compte en prévoyant de développer l'information tant des organisateurs des manifestations que des manifestants quant au déroulement de l'événement. À ce titre, l'exemple des policiers allemands qui utilisent des haut-parleurs de très forte capacité pour informer les manifestants d'un événement est particulièrement intéressant à développer.

Vous avez posé une autre question, qui a également été soulevée par le Défenseur des droits, sur le fait que les interpellations très en amont des manifestations étaient en soi critiquables. Il ne s'agit principalement de contrôles réalisés avec l'autorisation du procureur de la République, qui délivre des réquisitions aux forces de l'ordre, en fonction des renseignements obtenus et de l'analyse de la situation faite par les chefs des services d'ordre et des services de police.

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Je suis un peu étonnée de vos propos parce que, au moment des manifestations des Gilets jaunes, j'avais eu l'impression que les manifestants n'avaient pas le profil classique des quartiers sensibles.

Par ailleurs, que pensez-vous de la modernisation du dispositif des sommations ? Vous parlez des haut-parleurs puissants qui sont utilisés en Allemagne. Le schéma national prévoit aussi une amélioration du dispositif de liaison et d'information entre les forces de l'ordre et les manifestants. Comment appréhendez-vous cela ?

Enfin, un programme de recherche a été mené par neuf pays européens – Good practice for dialogue and communication as strategic principles for policing political manifestations in Europe (GODIAC) – pour trouver de nouveaux moyens d'apaiser les relations entre les forces de l'ordre et les citoyens. La France n'a pas pris part à cette initiative. Pourquoi, à votre avis ?

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Hubert Weigel

Pour ce qui est des Gilets jaunes, c'étaient effectivement de « braves gens », pour utiliser une expression policière. Mais vous l'avez vu à travers les comptes rendus journalistiques : se sont mêlés à eux des personnes qui, tout en portant des gilets jaunes pour certaines, n'avaient pas du tout le comportement de braves gens. Les procédures judiciaires qui ont été réalisées ont pu démontrer qu'il s'agissait parfois de voyous patentés.

En ce qui concerne la modernisation des sommations, je crois qu'au sein de l'institution policière tout le monde s'accorde sur la nécessité de le faire. Il s'agit d'expliquer clairement, avec un vocabulaire actuel, ce qui va se passer, afin que nos concitoyens qui participent à une manifestation qui dégénère puissent savoir quel comportement adopter avant qu'il n'y ait une « charge » – comme nous le disons dans notre vocabulaire professionnel – pour faire évacuer un secteur.

Pour ce qui est de la réflexion européenne GODIAC, il est malheureux que la France n'y ait pas participé. Nous disposons cependant des échos de nos officiers et de nos policiers ou gendarmes qui sont affectés dans les différentes ambassades. Et entre policiers européens nous pouvons avoir directement des échanges sur ces pratiques. Les Allemands ont ainsi une pratique sur laquelle eux-mêmes s'interrogent. Au sein d'une manifestation, ils disposent de policiers spécialement équipés, avec la mention de « médiateur » dans le dos, pour indiquer qu'ils sont là pour prendre contact avec les manifestants, apaiser les périodes de tensions et expliquer les mouvements qui vont être réalisés par les forces de l'ordre. Cependant, avec le changement de comportement et de mentalité des manifestants, même les Allemands se sont aperçus que ces « médiateurs » pouvaient être pris à partie et malmenés. Il faut donc les protéger, et cela entraîne à nouveau cette confusion dans l'esprit des manifestants entre la charge et la négociation.

Cela dit, il existe depuis fort longtemps en province les brigades d'information de la voie publique (BIVP), qui sont rattachées au chef de circonscription ou au directeur départemental de la sécurité publique. Dans une manifestation, ces brigades d'information de la voie publique ont pour vocation de rechercher le renseignement immédiat, pour connaître les intentions des manifestants. En effet, depuis plusieurs mois ou plusieurs années – et ça a été particulièrement le cas avec les Gilets jaunes –, nous n'avons plus de correspondant avec qui nous pouvons négocier dans les manifestations. Au début de ma carrière, les manifestations étaient un vrai plaisir, avec la Confédération générale du travail (CGT) notamment, puisque nous avions un correspondant. Nous négociions les itinéraires, nous négociions aussi parfois de fausses charges… C'était l'illustration d'une bonne entente et d'une bonne gestion de l'ordre public dans le respect des règles de la République.

Les choses ont évolué, les mentalités également, et il faut inventer de nouveaux systèmes, et surtout montrer à nos concitoyens que les forces de l'ordre – policiers ou gendarmes – sont d'abord là pour protéger les citoyens et leur liberté de manifester. C'est essentiel et c'est ce qui est fait au quotidien, et même souvent au détriment de l'intégrité physique, puisque à l'occasion des manifestations des Gilets jaunes ce sont environ 2 500 policiers et gendarmes qui ont été blessés, souvent gravement. Et presque autant de manifestants auraient été blessés. Nous sommes donc dans une situation où il est indispensable de rappeler à nos concitoyens que les forces de l'ordre de la République sont chargées d'assurer et de permettre l'exercice d'une liberté. Encore faut-il que cette liberté ne s'accompagne pas de débordements qui atteignent la liberté des autres citoyens.

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Christian Sonrier, membre du comité directeur

Je voudrais revenir sur un sujet qui me paraît essentiel : celui de la spécialisation. Il laisse entendre que l'on envoie des gens non formés sur une manifestation. Au moment des attentats, avec cette nouvelle forme d'attentats où les gens vont eux-mêmes provoquer le policier pour ensuite se faire tuer, nous avions ce débat : faut-il faire appel à des spécialistes, comme le RAID (recherche, assistance, intervention, dissuasion) et le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ? Ou bien peut-on accepter qu'il y ait des primo-intervenants ?

Après réflexion, nous nous sommes dit qu'il fallait former des primo-intervenants plutôt que de laisser systématiquement les spécialistes intervenir, puisque ceux-ci arriveront toujours trop tard. Il ne s'agit pas de former tout le monde, mais de former les brigades anti-criminalité (BAC) et les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Plutôt que de se limiter à des hyperspécialistes – qui ne seront jamais assez nombreux et ne pourront pas avoir la pleine efficacité –, il vaut mieux mettre en place de grandes actions de formation pour le policier de sécurité publique, qui doit être polyvalent et équipé. Avec tout ce réservoir de sécurité publique, on peut arriver à disposer de gens qui, sans être des hyperspécialistes, sont de bons professionnels pour traiter au mieux cette matière très difficile qu'est le maintien de l'ordre public.

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Je vous remercie, vous avez répondu à l'essentiel de nos préoccupations. Nous pouvons aussi nous reporter aux documents que vous nous avez transmis, qui sont très complets et intéressants.

La séance est levée à 11 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Camille Galliard-Minier, Mme Constance Le Grip, Mme George Pau-Langevin, Mme Laurence Vanceunebrock

Excusés. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Jérôme Lambert