Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CRS
  • colère
  • manifestation
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

La séance est ouverte à 11 heures 35.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend en audition Mme Aurélie Laroussie, présidente de l'association Femmes des forces de l'ordre en colère.

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Nous continuons nos auditions en accueillant Mme Aurélie Laroussie. Elle est présidente de l'association Femmes des forces de l'ordre en colère. Cette association soutient l'ensemble des forces de l'ordre et dénonce leurs conditions de travail en général, mais ce n'est certainement pas un hasard si, à l'origine de sa constitution, se trouve un groupe Facebook créé par une épouse de CRS.

Je précise que cette audition va être diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Mme Laroussie, je vais vous donner la parole pour une très brève intervention liminaire qui précèdera nos échanges sous forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Mme Laroussie, je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Mme Aurélie Laroussie prête serment.)

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Il nous semblait important d'entendre votre parole en tant que représentante de l'association de l'ensemble des femmes de membres des forces de l'ordre. Est-ce une association uniquement de femmes ou comprend-elle aussi des conjoints ou des compagnons ? Avez des hommes dans votre association ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Oui, des hommes en font partie. C'est par exemple le cas du secrétaire de l'association, qui est mari de gendarme.

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Vous regroupez donc des compagnons et des compagnes de membres des forces de l'ordre.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Voilà. Nous avons débuté avec des conjoints et conjointes et nous avons aujourd'hui beaucoup de familles (avec notamment des mères de policiers et de gendarmes). Nous avons aussi énormément de citoyens qui nous ont rejoints et qui viennent vers nous plus facilement. Ils soutiennent la police et la gendarmerie mais – par respect – ils n'osent pas forcément aller au-devant de ces gens-là. Ils viennent donc nous soutenir, nous les épouses. Nous avons peut-être ce côté plus humain entre nous.

Je voudrais tout d'abord vous remercier, M. Fauvergue et tous les membres de cette commission, de nous donner la parole. La parole que je vais porter aujourd'hui est celle des hommes et des femmes du terrain (que ce soit des policiers ou des gendarmes). Aujourd'hui, il est avant tout question du maintien de l'ordre donc je parlerai en premier lieu des CRS et des gendarmes mobiles. Je vais également porter la parole des épouses, des époux ainsi que des familles, qui peuvent subir certaines situations au travers des fonctionnaires qu'elles côtoient. Comme je le dis souvent, nous ne sommes pas sur le terrain mais nous subissons tout de même beaucoup de choses au quotidien. J'espère donc pouvoir donner un côté un peu plus humain à notre police et à notre gendarmerie. Je pense que c'est mon rôle. Je ne rentrerai pas dans les aspects techniques du maintien de l'ordre en lui-même, n'étant pas policière moi-même. Je suis mariée depuis maintenant huit ans avec un CRS. Après chaque opération de maintien de l'ordre, j'ai un débriefing de la part de mon mari ou de ses collègues sur leur ressenti à propos de ce qu'il s'est passé, en bien ou en mal, mais aussi sur leurs demandes et leurs revendications. J'espère ainsi pouvoir vous apporter certaines informations qui pourraient servir la cause.

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Très bien. Vous parlez du débriefing de la part de votre conjoint, ce qui me surprend car – dans une ancienne vie – il m'avait souvent été dit de ne pas ramener à la maison les problèmes du travail, même si nous sommes bien obligés d'en parler un peu. De là à faire un débriefing de ce qu'il s'est passé durant la journée, cela m'étonne. J'espère que ce n'est pas un débriefing complet et que ce sont uniquement des éléments qui ont marqué votre mari.

Avant de laisser la parole aux collègues qui voudront intervenir, j'aurai une question. Nous avons entendu à l'instant l'ancien directeur général de la police nationale, le Préfet Frédéric Péchenard, qui est un ancien policier. Il évoquait des moments de manifestations où des individus particulièrement véhéments s'étaient approchés des forces de l'ordre en tenant des propos du style « Suicidez-vous, suicidez-vous ! ». Ce sont des paroles qui peuvent frapper particulièrement les familles, et j'ai moi-même reçu beaucoup de témoignages en ce sens. Je voulais savoir comment vous avez perçu ces propos et s'ils sont de nature à influer sur la sérénité de vos maris, compagnons ou compagnes. Pensez-vous que leurs conditions d'exercice se sont compliquées au cours des dernières années ? En tant que membres de leur famille, craignez-vous pour leur santé physique ou psychologique ?

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Je me permets de compléter l'intervention de M. le président Fauvergue. J'ai bien noté que vous étiez présidente de l'association Femmes des forces de l'ordre en colère. Je souhaitais savoir contre qui ou contre quoi vous êtes en colère. Est-ce contre le système, contre la hiérarchie de vos compagnons ou vos compagnes, contre les adversaires auxquels ils font face ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Si je comprends bien votre question, monsieur le rapporteur, vous souhaitez savoir pourquoi le terme « en colère » est contenu dans le nom de notre association. Le slogan « Suicidez-vous ! » auquel le président Fauvergue faisait allusion nous a vraiment fait très mal, et particulièrement à moi puisque j'étais très amie avec Maggy Biskupski, dont vous avez dû entendre parler. Elle s'est suicidée le 12 novembre 2018 et ce slogan a été utilisé quelques mois après son décès. Quand vous avez vécu le suicide d'une amie, ce slogan est particulièrement douloureux.

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Je me permets de vous interrompre pour préciser aux collègues députés que Maggy Biskupski était l'une des responsables du mouvement des policiers en colère, qui n'a rien à voir avec l'association de Mme Laroussie. Nous avons fait le choix de ne pas solliciter ce mouvement dans le cadre de notre commission d'enquête car il s'agit d'un mouvement qui a quelque peu dévié.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Lorsque vous avez vécu le suicide de quelqu'un de proche et que vous entendez ce slogan abject, « Suicidez-vous ! », c'est très dur à supporter. Je ne comprends pas comment il est possible de demander à des hommes et des femmes – quel que soit leur uniforme – de se suicider. Les gens en oublient complètement le fait que, lorsqu'un fonctionnaire de police ou un militaire met fin à ses jours, il laisse un mari ou une femme, des enfants, des parents et des amis. Ces policiers et ces gendarmes ont une famille derrière eux. Or, j'ai malheureusement l'impression qu'aujourd'hui les gens ne voient plus qu'un uniforme et qu'ils ne se rendent pas compte qu'un policier peut être papa et mari, et qu'il peut être amené à conduire ses enfants à l'école le matin ou à leur faire faire leurs devoirs. On a complètement déshumanisé les forces de l'ordre. Est-ce que c'est une volonté politique ou médiatique ? J'aurais tendance à dire – même si le mot est peut-être mal choisi – qu'il s'agit d'une « mode » : c'est une mode de critiquer la police, aujourd'hui, et l'on ne peut plus la défendre sans être insulté ou menacé, comme je le suis tous les jours.

Concernant les conditions d'exercice des forces de l'ordre, je pense que, depuis deux ans – soit depuis le mouvement des Gilets jaunes – elles se sont particulièrement détériorées. En face des forces de l'ordre, certains manifestants sont de plus en plus violents. Tout mouvement, qu'il soit social ou syndical, et quel que soit son sujet, est l'occasion de caillasser, d'insulter voire – pour parler « cash » – de « crever du flic ». Lorsque vous regardez les vidéos de manifestations, vous pouvez entendre des slogans tels que « Tout le monde déteste la police » ou « Suicidez-vous ! ». Où sont les revendications dans ces mouvements-là ? Il n'y en a plus aucune. C'est juste le plaisir d'aller dans la rue et de caillasser et insulter des flics. Je respecte évidemment le droit de manifester en France et j'ai été la première à aller dans la rue, mais j'estime que, dès lors qu'on s'y rend, il faut avoir des revendications claires. Aujourd'hui, il n'y a plus aucun meneur dans ces manifestations. Je me mets à la place d'un policier sur une opération de maintien de l'ordre qui voudrait parler à l'organisateur d'une manifestation et j'ai l'impression que, bien souvent, il n'y en a plus. Dès lors, les manifestations peuvent partir dans tous les sens et elles sont infiltrées par plusieurs groupuscules qui viennent juste pour en découdre, et pas pour faire avancer des revendications.

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J'entends vos propos. Il existe encore des manifestations traditionnelles, avec des revendications. Je citerai par exemple les manifestations pour le climat, qui ont des objectifs assez clairs. Ce que vous dénoncez, si je comprends bien, ce sont les manifestations qui seraient des prétextes pour des violences, contre les policiers et les gendarmes mais pas seulement.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Hier, un CRS m'a contactée en vue de mon audition. Il y a deux ou trois jours, il intervenait sur une manifestation d'un mouvement féministe à Toulouse. En soi, la cause des droits des femmes est bonne, mais le mouvement a dévié vers des slogans anti-flics. Dans ces cas-là, je ne vois pas le lien avec les droits des femmes.

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Je vous écoute avec beaucoup d'intérêt et je comprends tout à fait les difficultés que vous devez traverser – les uns et les autres – dans votre vie de famille lorsque vous êtes compagne ou compagnon d'un membre des forces de l'ordre, qui aujourd'hui rencontrent des difficultés dans l'accomplissement de leurs missions, même s'ils le font avec un grand professionnalisme. Il est vrai que leurs conditions d'emploi sont de plus en plus exigeantes et qu'ils doivent revenir à leur domicile passablement fatigués voire épuisés, ce qui peut d'ailleurs engendrer de grosses difficultés, aussi bien dans leur métier que dans leur vie sociale.

J'en reviens à la question que je vous posais à l'instant. Je ne veux pas insister excessivement, mais je souhaiterais avoir des précisions sur l'objet du terme « en colère ». Êtes-vous en colère contre la société, contre le Gouvernement, contre la hiérarchie, contre les opposants, contre les journalistes ou contre tout le monde ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Il faut savoir d'où est parti ce mouvement. Pour être honnête, je l'ai lancé il y a trois ans à la suite de l'affaire Théo et de toutes les violences – des émeutes, des violences urbaines – qu'elle a entraînées. Dans les discours de cette période, tous les policiers étaient racistes et violents. À titre personnel, j'étais en colère contre cet amalgame qui visait l'ensemble de l'institution de la police et de la gendarmerie. J'étais loin d'imaginer alors que je serais, trois ans plus tard, devant vous aujourd'hui. Si je l'avais su, je n'aurais peut-être pas utilisé le terme « en colère », mais il est vrai que je l'étais alors, à force d'entendre ce que j'entendais dans les médias et dans la rue envers notre police.

J'étais en colère, à ce moment-là, contre les jeunes délinquants auxquels les forces de police et de gendarmerie étaient confrontées. Au bout de quelques mois et – maintenant – de quelques années, la colère s'est un peu orientée vers le Gouvernement, vers certaines hiérarchies – pas toutes car il y a encore de bons patrons, heureusement. J'étais aussi en colère contre cette politique du chiffre, contre le laxisme de la justice, et contre tout ce qui fait que l'on se retrouve aujourd'hui à avoir une police malade, marquée par de nombreux suicides. Malheureusement, je déplore aussi l'état dans lequel notre pays est en train de sombrer. Pour moi, la sécurité est un enjeu majeur et lorsqu'on voit tout ce qu'il se passe tous les jours dans ce pays, je me dis qu'il y a de quoi être en colère.

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Vous avez parlé de votre colère contre l'amalgame selon lequel l'ensemble de la police serait raciste. Nous comprenons bien que vous ne supportiez pas cet amalgame.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Je dirais que c'est un peu le cheval de bataille de certains partis politiques. S'ils n'avaient pas la « violence policière » à dénoncer, que feraient-ils d'autres ? J'aurais d'ailleurs quelque chose à leur demander : ils dénoncent la discrimination, qui est un mot à la mode. Je la dénonce tout autant, ne nous méprenons pas. Notre société dénonce la discrimination religieuse, sexuelle ou encore physique, mais j'aurais une question sur la manière dont peuvent être qualifiées les menaces de mort ou de viol dont mes filles et moi pouvons faire l'objet sous le seul prétexte que je suis femme de flic. J'appelle cela de la discrimination professionnelle, et j'en ai déjà parlé avec M. Fauvergue. Si aujourd'hui je suis menacée, ce n'est pas par rapport à ma couleur de peau, à mon orientation religieuse ou politique, mais tout simplement parce que je suis femme de flic, que je le revendique, que je le crie haut et fort, que je le médiatise et que je défends les forces de l'ordre. Je suis donc menacée à cause de la profession de mon mari. Quand va-t-on enfin mettre les bons mots sur de tels actes ? Comment qualifieriez-vous cela ? Pour moi, il s'agit clairement de discrimination professionnelle.

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Ces menaces – en particulier de mort – amènent plusieurs questions de ma part. Comment ont-elles été exprimées ? Était-ce sur les réseaux sociaux, par l'intermédiaire de vidéos, par exemple ? Avez-vous engagé des procédures pénales à la suite de ces menaces ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Elles s'expriment principalement sur les réseaux sociaux, que ce soit Twitter, Facebook, par des messages privés ou même à la vue de tous. La plus grave menace que j'ai subie a été envoyée par mail. Son auteur avait trouvé des informations sur ma vie privée et sur le collège de ma fille. Il est clair que les réseaux sociaux font énormément de mal. J'ai porté plainte et j'ai été reçue par la juge il y a un an et demi. Depuis, il ne s'est rien passé. Je me suis constituée partie civile pour avoir accès au dossier et il apparaît que la personne incriminée est très défavorablement connue des services de police. Elle vit maintenant en Allemagne et j'ai appris qu'elle avait tenté d'assassiner sa propre sœur.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Oui, mais je n'ai plus eu de nouvelles depuis un an et demi.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

J'ai changé d'avocat entretemps et je l'ai relancée, mais est-ce véritablement à moi de le faire ?

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L'important ici est de savoir que vous avez été menacée en tant que femme de policier, de même que vos filles. Je retiens aussi que la justice a lancé une procédure. Il faut savoir qu'une instruction peut durer deux à trois ans. Nous pouvons le regretter évidemment.

En tant que présidente de votre association, d'autres conjoints ou conjointes vous saisissent-ils pour des problématiques de ce type ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Oui, bien sûr. Une autre épouse de fonctionnaire a par exemple trouvé des mots sur son pare-brise avec des menaces de mort. Nous avons également eu connaissance de cas de messages déposés dans les boîtes aux lettres, ce qui signifie que les auteurs de ces menaces connaissent jusqu'à l'adresse de notre domicile. Le problème le plus important et le plus récurrent a trait au harcèlement de nos enfants dans les établissements scolaires.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Nos enfants sont victimes d'insultes dans les cours d'école ou sur les réseaux sociaux, mais également d'agressions physiques. La responsable de l'association pour la région Auvergne – Rhône-Alpes avait accordé une interview à France 3 à l'occasion d'une manifestation il y a deux ans environ. Son fils – qui était en troisième à l'époque – a ensuite été agressé physiquement avec une bouteille de bière cassée. Elle lui a été jetée dessus, ce qui lui a ouvert l'arcade sourcilière. La raison invoquée était – je cite pour être bien claire – « Ta maman est une pute à flic. On l'a vue à la télé défendre les flics ». Ce jeune homme s'est retrouvé avec l'arcade ouverte et a dû être déscolarisé puis changé d'établissement scolaire. Voilà où nous en sommes, et c'est un exemple parmi tant d'autres. Des récits comme celui-là, nous en entendons tous les jours. Nous demandons à nos enfants de ne pas dire à l'école que leur père ou leur mère est policier ou gendarme. Lorsqu'il faut remplir les fiches d'informations en début d'année scolaire, on ne le mentionne pas.

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Selon vous, d'où proviennent ces comportements, que nous connaissons et qu'évidemment nous condamnons ? Je ne suis pas convaincu que ce soit un phénomène très répandu. Il n'en demeure pas moins qu'ils existent, vous en faites état. Qu'ils soient généraux ou moins généraux, quelle est l'explication que vous – dans le cadre de votre association – donnez à ces comportements ? Il ne s'agit pas d'excuser qui que ce soit, bien entendu. Mais de votre point de vue, d'où vient cette façon de se comporter à l'égard des policiers, qui se retrouve y compris parmi des enfants ?

D'où provient cette dérive ignoble qui, d'ailleurs, ne touche pas seulement les policiers ? Je fais aussi l'objet de menaces de mort qui donnent lieu à des enquêtes, et beaucoup de personnes peuvent être concernées pour une raison ou pour une autre, qui ont à voir avec leurs activités militantes, professionnelles ou autres. En tout cas, quelle est votre analyse à ce sujet ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Comme vous l'indiquez, c'est certes le fait d'une minorité, mais elle est bruyante et fait énormément de mal. C'est notamment vrai sur les réseaux sociaux sur lesquels, en ce moment, l'article 24 de la loi relative à la sécurité globale fait débat. Pour m'être entretenue du sujet avec différents représentants politiques, je trouve qu'il va être difficile à mettre en œuvre, mais c'est un autre problème. Ce climat anti-flic est dû aux réseaux sociaux et aux médias en général, qui vont constamment relever des faits de violences policières. Si une violence a été commise un jour, vous allez en entendre parler sur toutes les chaînes d'information pendant des semaines et des semaines.

En revanche, on ne communique jamais sur les beaux gestes de la police nationale et de la gendarmerie. J'estime qu'il revient désormais aux médias et à vous – les élus de la République – d'orienter l'opinion et d'essayer de donner une image positive en insistant sur le fait que le policier n'est pas seulement celui qui gaze ou qui matraque dans les manifestations. La police comprend différents services. Pour ne citer qu'elles, les équipes des brigades des mineurs font un travail exceptionnel et sauvent des enfants. Tout cela, il n'en est pourtant jamais question dans le débat public : on ne montre que le côté répressif de la police nationale et de la gendarmerie. Cela me fait penser à un « lavage de cerveau » : on oriente l'opinion publique dans le sens que l'on veut, et le pire est que cela fonctionne.

Quand j'interviens dans le débat public, je me fais régulièrement insulter sur les réseaux sociaux. J'ai à plusieurs reprises fait le test d'échanger par messages privés avec l'auteur de ces insultes pour discuter « entre quatre yeux ». Je peux vous assurer que, lorsqu'il n'y a pas cet effet de meute, une conversation peut avoir lieu avec ces personnes. Je pense qu'il va falloir aller davantage dans ce sens. Je ne sais pas si cela doit passer par le service de communication de la police ou de la gendarmerie ou par le ministère de l'Intérieur, mais je pense vraiment qu'il existe un problème de communication sur les beaux gestes de la police et de la gendarmerie. Par exemple, j'apprécie beaucoup les actions de l'association Raid Aventure Organisation, qui est présidée par Bruno Pomart, que vous connaissez certainement.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

C'est très bien. J'adore cette association car elle fait énormément pour la communication entre les forces de l'ordre et les jeunes. La proximité s'est complètement perdue et tout est fait aujourd'hui pour creuser encore cet écart, ce qui n'est pas bon du tout. Il faut expliquer aux jeunes ce que sont la police et la gendarmerie.

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Ce que vous venez de dire concernant cette proximité qui s'est perdue est particulièrement éclairant. Nous essayons de remettre cette notion sur le devant de la scène avec la police du quotidien. Comment expliqueriez-vous cette perte de proximité ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Comme nous le savons tous, il y a déjà eu d'importantes pertes d'effectifs. C'est à mon sens un gros problème. Je pense aussi que cette situation est liée à un mauvais emploi des différents services. Pour avoir parlé avec des CRS, ils soulignent qu'ils passent trois quarts de leur temps à faire des gardes statiques, parfois devant des portes sans personne derrière. À mon sens, ce n'est pas leur rôle. D'autres services de la police nationale pourraient certainement être affectés à ces missions.

Il est souvent question de quartiers difficiles ou de zones dites de non-droit. Pour en avoir parlé avec des policiers qui travaillent au sein des brigades anti-criminalité (BAC) ou en civil, ils mettent en avant qu'ils se trouvent face à des personnes qui veulent en découdre avec eux. En parallèle, vous avez des CRS qui sont prêts à intervenir dans ces quartiers-là mais qui ne sont pas employés pour ce type de missions. Pourtant, les policiers de la BAC soulignent bien que la réaction n'est pas la même lorsque ce sont les CRS qui interviennent dans ces quartiers. La présence des CRS pourrait dès lors être un moyen de faire baisser la pression dans ces zones, alors que nous savons bien comment cela se termine lorsque ce sont des équipes de la BAC qui y sont envoyées. Aussi, il faudrait peut-être réorganiser les services en tenant compte de leurs compétences et de leurs missions.

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Si je comprends bien, vous considérez qu'il serait bien d'adopter parfois une stratégie différente, en faisant occuper le terrain par des fonctionnaires qui sont davantage formés – comme c'est le cas pour les CRS – au dialogue et à ce que l'on a maintenant tendance à appeler la désescalade. Est-ce le sens de votre propos ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Exactement. Le terme de désescalade est le bon. Je pense que nos CRS et nos gendarmes mobiles sont formés pour ce type de missions, ce qui est moins le cas d'autres services. Une policière basée à Sartrouville m'avait par exemple indiqué qu'après avoir fait intervenir les CRS dans son secteur, la situation s'était fortement détendue. Les tirs de mortier avaient cessé et des CRS ont même pu parler avec des jeunes sur place, parce qu'ils ont une approche différente. Le fait qu'ils arrivent en nombre peut aussi aider à calmer les jeunes.

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L'effet de nombre joue certainement, de même que le fait que les CRS ne sont pas les policiers qui sont sur place au quotidien.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Tout à fait. Dans ces quartiers-là, les habitants connaissent les fonctionnaires de la BAC puisqu'ils les voient tous les soirs ou presque, ce qui fait qu'il n'y a plus ni crainte ni respect à leur égard. Si vous faites venir dans un quartier de région parisienne 90 CRS d'une compagnie de province, ce n'est plus le même rapport de force car les habitants ne les connaissent pas. Parmi les CRS, vous avez beaucoup d'hommes d'un âge un peu plus mûr et qui sont – malgré tout ce qui peut être dit – des pères de famille. Avec leur maturité, ils peuvent certainement apporter un sens des relations différent, avec davantage de communication et de discussion.

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Si je résume, il faudrait faire de temps en temps – je ne sais pas si c'est généralisable – « la police autrement ».

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Voilà. Pour moi, il existe actuellement un gros problème d'emploi et de doctrine. Sur des manifestations comme nous en voyons en ce moment, ce sont des compagnies d'intervention (CI) qui sont envoyées en priorité alors qu'elles comprennent dans leurs rangs beaucoup de fonctionnaires récemment sortis de l'école de police. Sans vouloir être critique à leur égard, ce sont pour la plupart des « gamins » de 25 ans et ils ne sont pas du tout formés pour intervenir sur des opérations de maintien de l'ordre. Dès lors, il est compréhensible qu'ils soient submergés par le stress, voire la peur. Un policier ressent toujours un peu de stress – et c'est nécessaire. Il est à craindre qu'un jeune appartenant à une compagnie d'intervention puisse mal le gérer et avoir des gestes inappropriés.

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Les compagnies d'intervention sont pourtant des compagnies de police de sécurité publique spécialisées dans le maintien de l'ordre. Est-ce qu'il existe de votre point de vue une problématique d'encadrement ? Les CRS sont très encadrés avec une forte hiérarchisation, entre les brigadiers, les brigadiers-chefs, les majors et les officiers. Comme ce sont des unités constituées, toute la hiérarchie est sur le terrain avec un encadrement qui se rapproche assez de celui en vigueur chez les gendarmes – sans vouloir comparer les uns et les autres. Cette notion d'encadrement peut-elle jouer selon vous dans le cas des compagnies d'intervention ou des BAC ?

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

En vue de mon audition, j'ai sondé les différents corps et services. En ce qui concerne les compagnies d'intervention, j'ai eu des retours qui allaient dans le sens d'un manque de formation et d'entraînement, mais aussi d'un déficit de moyens et de matériel. J'ai un très bon ami qui a dû acheter – sur ses deniers personnels – pour 500 euros de matériel afin de s'équiper en vue des manifestations les plus virulentes du mouvement des Gilets jaunes. Ce manque d'équipement joue de fait sur la sécurité et sur la sérénité de ces policiers au moment d'aborder une opération de maintien de l'ordre, car ils savent qu'ils n'ont pas l'entraînement, les connaissances et encore moins les protections adaptées.

La semaine dernière, deux policiers ont tiré au sort lequel des deux prendrait un casque et lequel des deux prendrait les jambières. Nous en sommes là. Comment voulez-vous que ces fonctionnaires de police aillent travailler sereinement sur une opération de maintien de l'ordre en se sachant eux-mêmes insuffisamment protégés et potentiellement en danger, au vu de la détermination des manifestants qu'ils peuvent trouver en face d'eux ?

Comme vous l'indiquiez, les CRS représentent un corps un peu à part de la police nationale. Ils peuvent s'appuyer sur une forte cohésion et une grande solidarité, sachant qu'ils partent régulièrement en déplacement pendant deux ou trois semaines. Ils vivent ensemble et se connaissent parfaitement, ce qui peut aussi les aider.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

Il est vrai qu'elle ne se retrouve peut-être pas dans les autres services de la police nationale. Le management de la hiérarchie pose aussi problème, c'est ce que la plupart des policiers disent. Le management a laissé la place à la politique du chiffre : ce qui intéresse un patron aujourd'hui, c'est que ses équipes ramènent des affaires et que des croix soient mises dans les cases pour que les chiffres soient bons. Les policiers se sont engagés pour servir et pour protéger les citoyens, et non pour amener du chiffre. Aujourd'hui, la police nationale est gérée comme une entreprise du fait de cette prépondérance du chiffre. Le management qui est opéré en découle et il tend à déshumaniser complètement la police. C'est un point qui nous est souvent partagé par nos hommes.

J'ai pu prendre connaissance de notes de service provenant de plusieurs directions départementales de la sécurité publique, qui menacent de sanctions nos fonctionnaires de police dans le cas où ils contracteraient le Covid-19, car ce serait le signe qu'ils n'auraient pas appliqué comme il se doit les gestes barrière. En parallèle de cette pression par rapport au respect des gestes barrière, certaines compagnies de CRS sont logées dans des endroits où les sanitaires sont communs, par exemple. C'est quelque peu contradictoire. Nos hommes ne savent plus comment se positionner. En cas de problème, ils ne sont pas du tout soutenus par leur hiérarchie.

Aujourd'hui, je me demande qui peut avoir envie de rentrer dans la police. Mon mari est CRS depuis 20 ans. Il est rentré dans la police par vocation, sachant que mes beaux-frères sont CRS et que mon beau-père l'était également. Autant vous dire que la police est sacrée dans ma belle-famille. Mais, après 20 ans de travail, mon mari est écœuré et ne voit plus le métier de CRS que comme un travail alimentaire. Il attend la retraite, et c'est tout.

Les policiers sont constamment incriminés, ils voient des téléphones qui filment tout et ils pâtissent d'un manque de suivi judiciaire. Pour les fonctionnaires de BAC ou de Police Secours, il n'est pas rare que des individus qu'ils placent en garde à vue se retrouvent dehors quelques heures après seulement. Dans certains cas, ils en sont à 40, 50 voire 70 interpellations et les individus restent malgré tout libres. Dès lors, ces policiers peuvent s'interroger sur l'utilité de leur travail.

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Nous avons bien compris votre message et il était important d'avoir votre témoignage. Nous avons également compris le paradigme général dont vous avez fait état, ainsi que les problèmes bien spécifiques que peuvent vivre les compagnons et les compagnes de policiers.

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Je tenais à vous remercier, Madame. Vous avez eu des paroles très fortes. Si nous prenons comme argent comptant tous vos propos, c'est problématique, même si certains éléments ont également été exprimés dans le cadre d'autres interventions que nous avons pu entendre. Sans tous les lister de nouveau, les griefs et les réflexions que vous portez sur l'organisation générale des services sont assez alarmants, et je n'ai pas de raison de ne pas vous croire. Je pense que vous portez la parole d'un certain nombre de conjoints de fonctionnaires, qui eux-mêmes ressentent les choses ainsi. Tous ces éléments méritent réflexion, et j'espère que nous parviendrons dans notre travail à faire ressortir ces points d'achoppement concernant l'état d'épuisement des fonctionnaires et l'écart qui peut exister entre ce qui leur est demandé et la réalité du terrain.

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Aurélie Laroussie, présidente de l'Association femmes des forces de l'ordre en colère

C'est moi qui vous remercie. J'espère que mon audition aura servi à mettre en lumière des points que, du fait de leur devoir de réserve, nos hommes ne peuvent pas mentionner.

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Ils ont leurs conjoints et leurs conjointes pour le faire, de même que leurs organisations syndicales. En tout cas, merci d'avoir témoigné. Nous avons l'habitude de remercier les hommes et les femmes qui exercent le métier de policier, et nous remercions aujourd'hui la porte-parole des conjoints de policiers et de policières. Merci beaucoup de votre témoignage, qui est important pour nous.

La séance est levée à 12 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Jérôme Lambert, Mme Constance Le Grip, M. Philippe Michel-Kleisbauer