Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 16h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • manifestations
  • quartiers
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à 16 heures 50.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend en audition M. Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation.

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Nous accueillons M. Bruno Pomart, qui est le président de l'association Raid Aventure Organisation. Cette association a pour objectif d'améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population au travers de plusieurs dispositifs permettant notamment aux jeunes d'interagir de manière positive avec des policiers. De telles initiatives sont particulièrement pertinentes et nécessaires dans le contexte actuel de durcissement des relations avec les forces de l'ordre, dont les tensions pendant les manifestations sont une illustration. Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale. M. Bruno Pomart, je vais vous donner la parole pour une très brève intervention liminaire qui précèdera nos échanges sous forme de questions-réponses. Comme vous allez sûrement l'expliquer, vous étiez policier au sein du RAID. Je précise que vous êtes également le maire d'un petit village dans l'Aude.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Mme Laroussie, je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Bruno Pomart prête serment.)

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Tout à fait. M. le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis d'abord très heureux de pouvoir parler devant vous et exposer le travail que je mène en tant qu'ancien policier et en tant qu'acteur associatif engagé depuis 30 ans. J'ai 61 ans. J'ai passé 36 ans au sein de la police nationale et 30 dans le monde associatif. Comme l'a indiqué M. le président Fauvergue, je suis maire d'une petite commune de 125 habitants dans le département de l'Aude. J'ai également été nommé par le préfet de l'Aude directeur du service national universel (SNU), qui est un peu mis entre parenthèses actuellement compte tenu de la crise sanitaire. J'ai commencé ma carrière dans la police en 1981, comme gardien de la paix CRS et sportif de haut niveau – j'étais membre de l'équipe de France de lutte. Entre 1982 et 1984, j'ai été affecté au service de la protection des personnalités. À ce titre, j'ai assuré la sécurité de Joseph Franceschi, alors secrétaire d'État à la sécurité publique, auprès du ministre de l'Intérieur, Gaston Defferre. En 1985, j'ai eu l'immense bonheur d'être sélectionné parmi les 70 policiers de la première unité du RAID lors de sa création et de son implantation à Bièvres. Comme vous le savez tous, cette unité est spécialisée dans le règlement des problématiques de terrorisme et de prises d'otages entre autres. Je suis resté au sein du RAID jusqu'en 1997, à un moment où j'ai changé d'optique et où j'ai été mis à disposition par le ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Jean-Louis Debré, pour travailler sur les quartiers de Corbeil-Essonnes. Pendant huit ans, j'ai ainsi été affecté comme chargé de mission à la politique de la ville auprès de Serge Dassault, qui était maire de Corbeil-Essonnes.

Si j'ai quitté le RAID à ce moment, c'est tout simplement parce que je m'interrogeais beaucoup sur les problématiques de relations entre jeunes et police. C'était la période – vous vous en souvenez sûrement – des émeutes de quartiers qui avaient éclaté un peu partout en France, de Vaulx-en-Velin aux quartiers de la périphérie parisienne et des grandes banlieues. J'ai donc décidé de contribuer à la lutte contre ces problèmes d'émeutes en travaillant au contact des jeunes. C'est aussi à cette époque que j'ai créé l'association Raid Aventure Organisation, qui existe maintenant depuis plus de 20 ans. Je ressentais alors la nécessité de remettre en place du lien entre la police, la population et les jeunes. Je pense que c'est essentiel. Même si elle n'a pas encore complètement été exploitée, il s'agit à mon sens d'une vraie solution et mon expérience m'a conforté dans cette idée. Cette association mobilise plus de 250 policiers bénévoles, qui travaillent donc à mes côtés. Ils sont issus de brigades anti-criminalité (BAC), de compagnies républicaines de sécurité ou encore de compagnies d'intervention, soit tout le spectre des services de police. L'objectif de l'association était et est toujours de déconstruire les stéréotypes qui peuvent exister sur la police en général, sur la violence prétendument policière ou encore sur les méthodes de la police. Ce sont des thématiques très présentes dans l'actualité depuis quelque temps, même si elles sont prégnantes en fait depuis de nombreuses années.

Nous faisons donc en sorte de créer du lien social au travers des actions que nous menons. Parmi celles-ci, je peux en citer deux qui rencontrent un vif succès puisqu'elles ont été reconnues par les différents gouvernements qui se sont succédé, ce qui me permet de préciser que notre action est apolitique. Nous travaillons avec des villes de toutes tendances politiques qui font peut-être partie des circonscriptions de certains des députés présents à cette audition. Je pense par exemple à Sarcelles ou à Saint-Ouen. Nous sommes actifs sur tous ces secteurs. Nous avons créé deux dispositifs. Il s'agit premièrement de Prox'Aventure, qui est déployé actuellement dans une centaine de villes en France et qui mobilise depuis plusieurs années plus de 45 000 enfants et jeunes (âgés entre 8 et 25 ans). Il consiste à organiser des journées à thèmes au sein même des quartiers avec des membres de l'association, avec des policiers municipaux, avec des élus (c'est important pour nous) ou encore avec des associations référentes (que nous connaissons et qui sont recommandables). Je peux vous assurer que le succès que nous remportons est important et que nous sommes un peu dépassés par les demandes formulées soit par les préfets, soit par les maires. Nous sommes énormément sollicités pour apporter des réponses à toutes les problématiques de violences urbaines, qui peuvent être liées à des sujets de maintien de l'ordre, que ce soit par rapport à des situations de violences urbaines ou de manifestations. Ce travail nous permet d'expliquer aux enfants les missions de la police (avec par exemple les gestes techniques de policiers d'intervention) et les conditions dans lesquelles se déroulent les interpellations. Nous expliquons aussi pourquoi il faut répondre favorablement lorsqu'un policier vous contrôle ou vous interpelle. Au travers de ces actions, nous apportons à mon sens une véritable réponse dans le but de retisser du lien social entre la police et la population (et plus particulièrement la jeunesse).

Le second dispositif concerne des séjours que nous organisons sur un site de Dreux, en Eure-et-Loir. Nous y accueillons tout au long de l'année des enfants pour des semaines à thème qui permettent de travailler sur des aspects purement sportifs tout en créant du lien avec ces jeunes. Nous avons des temps de rencontre et de discussion pour évoquer toutes les problématiques que rencontrent ces jeunes, et je peux vous assurer qu'elles sont nombreuses. Elles peuvent porter sur des questions de religion – qui peuvent être assez prégnantes dans ces quartiers – mais aussi de sujets de violences et d'interpellations dans le cadre des rapports entre la police et la population. Pour nous, c'est un moyen de créer une forme de désescalade à travers ces actions. J'insiste sur le fait que ce travail est vraiment plébiscité par les élus. Nous avons par exemple été repérés par le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et par l'Agence nationale de cohésion des territoires, ce qui est pour nous une vraie reconnaissance. Il est intéressant de voir que les institutions – et notamment les délégués des préfets, qui ont un rôle important sur les problématiques des quartiers –, les associations et les élus ont la volonté de faire société ensemble et d'avancer sur ces problématiques de relations entre police et jeunes, et population de façon plus générale. C'est un travail assidu que nous menons depuis un certain temps et qui a été intensifié depuis six ans. Notre objectif est de pouvoir le développer encore. À ce titre, j'ai eu la chance hier d'avoir une écoute attentive de la part de représentants de la formation au sein de la police nationale. Il nous semblerait intéressant de pouvoir aller dans les écoles de police et d'impliquer – dans le cadre de stages – des jeunes policiers dans notre structure pour leur permettre de venir à la rencontre de jeunes des quartiers. En effet, cette connaissance des quartiers semble précieuse pour les nouveaux policiers. Nous souhaiterions en outre pouvoir intervenir de façon massive dans les collèges et les lycées. Nous allons faire en sorte de développer ce type d'actions avec l'aide des partenaires institutionnels qui nous soutiennent, à l'instar de la Région Île-de-France. L'idée est là aussi d'aller à la rencontre des élèves et de pouvoir parler de ces problématiques de relations entre les jeunes et la police.

C'est un cadre général que nous sommes en train de poser, et j'ose espérer que nous aurons une réponse favorable de la part du ministère de l'Intérieur. Au-delà de la réforme du maintien de l'ordre et des pratiques qui y sont associées, je pense que nous devons travailler sur tout un environnement si nous souhaitons trouver des solutions à toutes les problématiques de violences, qui ont encore émaillé l'actualité des derniers jours. Je suis convaincu de l'importance du travail d'associations comme la nôtre. Nous ne sommes pas les seuls à œuvrer dans ce domaine, même si nous sommes peut-être les leaders – sans faire de forfanterie – en ce qui concerne le rapprochement entre les jeunes et la police. Je pense que le travail de fond que nous menons permettra, sur la durée, d'améliorer la situation, même si je sais qu'en politique ce sont bien souvent des réponses immédiates qui sont recherchées. Nous ne pouvons pas tout attendre de la police nationale, pas plus que des polices municipales. Je suis persuadé que c'est ensemble que nous réussirons à résoudre ces problèmes de violence pour aller vers plus de cohésion sociale. Voilà en résumé le travail que nous essayons de mener depuis de nombreuses années avec le soutien des institutions, des villes et élus de tous bords politiques, et de l'État. Je suis à votre disposition pour répondre à des questions si vous le souhaitez.

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Merci cher Bruno Pomart. Pour tout vous dire monsieur le rapporteur, j'ai peu de questions parce que je connais bien Bruno Pomart et la structure qu'il a mise en œuvre. J'ai participé à plusieurs reprises à des actions organisées par cette association, et j'avais suggéré à madame George Pau-Langevin – à qui vous avez succédé récemment – d'entendre Bruno Pomart dans le cadre de cette commission d'enquête. Je vais donc vous laisser la parole, monsieur le rapporteur. J'ai bien noté par ailleurs la demande d'intervention de madame Isabelle Florennes.

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Merci monsieur le président. Je dirai d'emblée que vous avez de la chance de connaître Bruno Pomart, et que je suis ravi de l'entendre aujourd'hui. Je tiens, monsieur Pomart, à vous remercier pour votre intervention et à vous féliciter pour l'ensemble de votre carrière. C'est principalement votre action au sein de Raid Aventure Organisation qui nous intéresse aujourd'hui, même si votre expérience passée – à Corbeil-Essonnes en particulier – vous a aussi permis de travailler sur les sujets relatifs au lien entre citoyens et forces de police. Vous avez dû noter que notre questionnement dans le cadre cette commission d'enquête avait trait principalement à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre. Des faits récents nous poussent à nous interroger sur un certain nombre de difficultés, même s'il faut éviter de trop les « monter en épingle ». Si la police conserve – fort heureusement d'ailleurs – la confiance d'une grande partie de la population – moi le premier –, ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas s'interroger sur certains comportements et sur les réponses que nous devons mettre en œuvre pour les éviter.

Je suis ravi de mieux connaître votre association grâce à votre intervention. Je m'y étais rapidement intéressé avant votre audition, mais je n'aurais malheureusement pas été en mesure de répondre si j'avais été questionné il y a une semaine sur l'objet de l'association Raid Aventure Organisation. J'espère que cette structure va être de plus en plus connue, et nous aurons certainement l'occasion de souligner tout le bien que nous pouvons en penser au travers du compte-rendu qui sera produit par la commission.

Je vais me permettre de vous poser une question plus directement liée aux sujets de maintien de l'ordre et au métier de policier qui était le vôtre. Il apparaît que les conditions d'emploi des forces de l'ordre sont très difficiles ces dernières années, en lien notamment avec la tenue de manifestations toutes les semaines ou presque. Lors de celles-ci, nous avons vu intervenir de plus en plus souvent des unités non spécialisées dans le maintien de l'ordre. Au travers des nombreuses auditions que nous avons pu réaliser, nous avons aussi pu constater que quand des incidents pouvaient survenir entre des manifestants et des forces de l'ordre, ils pouvaient résulter d'une mauvaise préparation des forces de police – ou d'une partie d'entre elles. Pour être plus précis, je pense notamment à des unités qui ne sont pas spécifiquement formées au maintien de l'ordre tout en étant certainement excellentes dans leurs pratiques quotidiennes, des unités de la BAC par exemple.

Quel regard portez-vous sur ce sujet ? Etes-vous d'accord sur la nécessité de former réellement les policiers et les gendarmes aux problématiques spécifiques au maintien de l'ordre. Nous savons tous qu'il existe en la matière des unités spécialisées et que ce ne sont pas souvent elles qui sont mises en cause. Je voudrais avoir votre point de vue sur ce mélange que nous pouvons avoir sur des lieux de manifestations entre différents services de police et de gendarmerie. S'ils sont censés agir de manière coordonnée, nous pouvons avoir parmi eux des éléments qui interviennent en étant simplement munis de brassards, qui peuvent courir de droite à gauche, qui interpellent, qui parfois font usage de lanceurs de belles de défense (LBD) (car il faut bien qu'ils se dégagent lorsqu'ils sont dans des situations compliquées) et qui peuvent provoquer des drames. Je vous laisse la main si vous le voulez bien.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Avec plaisir. Merci monsieur le député pour votre question. Je suis de façon très attentive les sujets de maintien de l'ordre, que j'ai pratiqué il y a très longtemps maintenant. Même si les opérations pouvaient être violentes, ce n'était pas comparable avec ce à quoi peuvent être confrontées les forces de l'ordre depuis l'avènement des Gilets jaunes. Vous comprendrez bien que ces manifestations – qui sont hors cadre, inorganisées et sans service d'ordre – ont posé beaucoup de problèmes à nos forces de l'ordre, y compris pour celles qui sont considérées dans le monde entier comme des exemples en matière de maintien de l'ordre (comme c'est le cas des CRS ou des escadrons de gendarmerie mobile). Il est vrai que le Gouvernement et la préfecture de police (si nous nous focalisons sur Paris, quand bien même des problématiques ont été rencontrées à Toulouse et dans d'autres grandes agglomérations) ont eu des difficultés à gérer le maintien de l'ordre et les groupuscules profitant de manifestations non autorisées et inorganisées – il est important de le souligner – pour venir en découdre avec les policiers et vandaliser des magasins. Nous avons eu le mouvement des blacks blocs mais aussi des groupuscules d'extrême gauche et d'extrême droite. En tout état de cause, il s'agit de groupes incontrôlables et incontrôlés.

Dans les premières opérations de maintien de l'ordre qui se sont déroulés dans ces conditions, je pense que la police a été réellement surprise. Je suppose que d'autres personnes entendues vous ont indiqué avant moi qu'il était compliqué de répondre à ces groupes, que les forces de l'ordre n'avaient pas l'habitude de voir dans ces manifestations. La réponse de la préfecture de police a été de renforcer les effectifs de forces de l'ordre en faisant venir des équipes de BAC, qui sont des unités qui sont habituées à faire du « saute dessus » comme on le dit. Ce sont des policiers qui sont très compétents dans leur domaine, c'est-à-dire pour aller chercher des voyous, les repérer et les appréhender lorsque c'est nécessaire. Ils ont un vrai rôle et un savoir-faire en la matière. Il paraît certain que les rôles et les missions ont été confondus, avec comme aboutissement des actions désordonnées qui ont même dû gêner des équipes comme celles de la compagnie de sécurisation et d'intervention de Paris (la CSI 75), qui font un très bon travail en soutien des compagnies de gendarmes mobiles et de CRS. Ces dispositifs ont créé un certain nombre de problèmes et une réorganisation a été opérée, le préfet de police alors en place en faisant d'ailleurs les frais. L'arrivée du Préfet Lallement s'est accompagnée de la création des détachements d'action rapide (DAR) puis des brigades de répression de l'action violente (BRAV), ce qui me semble être une véritable réponse pour faire face aux agissements des groupuscules ultra-violents qui sont très mobiles, comme j'ai pu le constater dans des manifestations à Toulouse. Pour les policiers et les équipes légères de la gendarmerie, il est très difficile d'agir vis-à-vis de ces individus sans risquer des contacts avec les manifestants, parmi lesquels ils arrivent à se mouvoir. Je pense sincèrement que les BRAV ont aussi amené quelque chose d'intéressant d'un point de vue psychologique. Lorsque vous voyez arriver dans des secteurs insécurisés des motos en doublettes avec dessus des équipes préparées, c'est assez marquant au niveau psychologique, voire répressif si nécessaire, les BRAV ayant vocation à intervenir contre des éléments subversifs et violents. Ils ne sont évidemment pas là pour taper sur des manifestants, vous vous en doutez bien.

Je pense qu'un travail a été fait pour renforcer la capacité d'action pour faire face à des formes de manifestations auxquelles les forces de l'ordre n'étaient pas habituées. Lorsque je suis devenu CRS en 1981, j'ai couvert des manifestations des marins-pêcheurs notamment. Même si elles pouvaient aboutir à certaines violences, l'encadrement par les organisations syndicales permettait qu'elles se déroulent relativement bien dans l'ensemble. Je trouve que la préfecture de police et plus généralement le ministère de l'Intérieur ont su réagir dans une période où les manifestations se succédaient chaque semaine dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. Il reste à mon sens du travail à effectuer dans le domaine de la formation, mais il me semble que l'État a pris les devants sur ce sujet. La formation continue paraît elle aussi essentielle pour les forces de l'ordre, dans le sens où elle peut leur permettre de s'entraîner et d'anticiper ce à quoi elles pourraient être confrontées en manifestations, en prenant en compte surtout ces éléments ultra-violents qui sont très compliqués à cerner et à intercepter pour les forces de police.

Je ne sais pas si j'ai répondu précisément à votre question. Le travail réalisé par la préfecture de police – si je prends l'exemple des manifestations parisiennes – en faisant en sorte de réaliser des bouclages sur des secteurs bien précis et des contrôles d'identité avec des fouilles de sac me semblait primordial et nécessaire. Malgré tout, des groupuscules étaient assez malins pour anticiper ces mesures et pour cacher du matériel. Comme j'ai pu le constater à Toulouse, le niveau d'organisation de ces groupuscules extrémistes était assez impressionnant et ils connaissent parfaitement les techniques de guérilla urbaine. C'est un élément auquel nos forces de l'ordre n'étaient pas vraiment habituées, les compagnies de CRS étant avant tout vouées à se former un barrage, à éviter que les foules avancent et à les repousser lorsque c'est nécessaire. Nous n'étions pas habitués à voir des groupuscules capables de se mouvoir en permanence et de venir au contact des forces de l'ordre comme ils l'ont fait dans le cadre de ces manifestations.

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Merci, cher Bruno Pomart. Je laisse la parole à ma collègue Isabelle Florennes.

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Merci messieurs. Je me souviens vous avoir rencontré sur un plateau de télévision pendant le mouvement des Gilets jaunes.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Tout à fait.

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Je me souviens des éclairages que vous aviez apportés concernant le maintien de l'ordre, mais je ne connaissais pas à l'époque votre autre casquette de président de l'association Raid Aventure Organisation. Je suis en tout cas heureuse de découvrir cette autre casquette. Étant une élue des Hauts-de-Seine, je souhaitais avoir votre avis sur l'évolution des échauffourées que nous connaissons de plus en plus, avec par exemple des tirs de mortiers réguliers dans un certain nombre de nos villes en banlieue et dans certains quartiers de Paris. Sur l'année écoulée, ces faits inquiètent de plus en plus les habitants, qui sont amenés à créer des collectifs dans leurs quartiers. Face à cette montée de violence qu'ils ne connaissaient pas – du moins pas dans ces proportions–, je trouve que les élus sont assez démunis. Par exemple, à Suresnes, nous avons subi des tirs de mortier à proximité de l'hôpital pendant une semaine environ durant le confinement. Ensuite, un bus a été brulé en plein centre-ville. Les habitants de la ville parlent encore de ces faits et je suppose que les forces de l'ordre ont aussi été marquées. Dans d'autres quartiers, à Nanterre, nous avons assisté à des faits tels que vous les décriviez dans votre intervention, avec une intervention de forces de l'ordre – de la BAC me semble-t-il – qui s'est envenimée, donnant lieu à des incendies plusieurs soirs durant. La préfecture de police a repris les choses en main en faisant en sorte d'assurer une présence dans les rues et d'éviter de tomber dans des guet-apens. En tant que parlementaire et en tant qu'élue, cet épisode m'a fait prendre conscience de la nécessité de former les élus et les citoyens sur les manières d'intervenir de la police, ce que vous semblez faire auprès des jeunes. Je souhaitais savoir si votre association a des relais dans les Hauts-de-Seine et si vous partagez mon point de vue sur le fait qu'il serait intéressant de former les citoyens et les élus sur les questions de maintien de l'ordre dans nos villes.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Merci madame la députée pour votre question. Nous sommes effectivement amenés à intervenir dans les Hauts-de-Seine, à Villeneuve-la-Garenne ou Argenteuil par exemple. Suite à des événements qui ont touché Argenteuil, nous avons engagé depuis un an un travail en lien avec le maire de la ville. Il essaye vraiment de recréer du lien sur le terrain et ainsi de faire en sorte de lutter contre les problématiques de salafisme qui existent dans certains quartiers – ce qui n'est pas propre à Argenteuil. Le travail que nous menons n'empêche pas de nouveaux événements de se produire, mais je suis convaincu que c'est tous ensemble que nous trouverons des solutions. Pour participer régulièrement à des émissions sur le maintien de l'ordre, je constate que le regard se porte trop exclusivement sur la police, nationale ou municipale. Or, je considère que c'est tous ensemble que nous parviendrons à relever les défis qui sont les nôtres dans ce cadre. Au travers des actions que nous menons avec l'association Raid Aventure Organisation, nous associons les élus locaux car j'ai conscience des difficultés qui sont les leurs dans les grandes villes en particulier. De mon point de vue, il faut parvenir à mettre – ou remettre – en place un tissu associatif. Sans faire de politique (je suis apolitique, que ce soit clair), j'estime que nous avons tué depuis 20 ans les mouvements associatifs. Il y avait en leur sein du bon et du mauvais, mais il en est de même au sein de la police par exemple, où 99 % des policiers font parfaitement bien leur travail et où 1 % seulement ne se comportent pas correctement. Je crois vraiment que l'on a tué le monde associatif depuis une vingtaine d'années dans ces quartiers. Or, ces associations avaient un rôle d'amortisseur comme Raid Aventure Organisation peut l'avoir dans le cadre de ses actions. Parfois, des personnes me disent « C'est bien ce que vous faites, mais concrètement il y a toujours des problèmes ». Comme vous devez le savoir en tant qu'élus, il y a toujours des problèmes à régler car la société en génère en permanence de nouveaux. Dans le monde associatif, nous sommes là pour jouer ce rôle d'amortisseur. Si nous n'étions pas là, ce serait bien pire. Je me souviens que lors de conseils de prévention de la délinquance, Serge Dassault me disait régulièrement « M. Pomart, je ne comprends pas, il y a toujours des problèmes » et je lui répondais « monsieur le maire, si nous n'étions pas là il y en aurait encore beaucoup plus des problèmes ». Il n'existe pas de solution miracle en la matière. Lorsqu'une municipalité aménage un beau rond-point avec des fleurs, c'est tout de suite visible et concret. En revanche, le travail de l'humain et du social est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Vous avez tout à fait raison. Les élus se demandent parfois quelle est l'utilité d'engager de l'argent sur ces aspects, et je suis convaincu que c'est pertinent. Encore une fois, je pense que si nous arrivons à remettre du tissu et du lien social à travers des associations de quartiers, ce sera positif. Il faut que ces associations soient reconnues, et je trouve que le travail initié par madame Nadia Hai autour de la représentation d'associations républicaines et de la signature de chartes par leurs présidents va dans le bon sens pour éviter des dérives sectaires comme nous pouvons en connaître. Il semble intéressant de trouver des associations sur lesquelles les élus pourraient se reposer. Tout ce qui peut se passer actuellement dans certains quartiers (comme l'utilisation de feux d'artifice) est pour moi un signe que des jeunes sont laissés à l'abandon. Si personne n'est là pour temporiser, jouer ce rôle d'amortisseur et éviter à ces jeunes de faire des bêtises, l'évolution que nous connaissons depuis 30 ans environ se poursuivra. Même si du travail est réalisé dans un certain nombre de villes dans le domaine de la prévention, il n'en demeure pas moins que nous avons de plus en plus de mal à traiter certains groupuscules de jeunes dans les quartiers. De ce point de vue, l'application immédiate de sanctions à l'encontre d'auteurs de délits serait certainement de nature à remettre les pendules à l'heure et serait également utile aux acteurs associatifs et éducatifs dans leur travail de prévention.

En définitive, il me semble nécessaire de mener un travail pour arriver à davantage de cohésion entre les élus et les associations, et permettre de résoudre les problèmes qui se posent actuellement. Ce n'est pas uniquement en déployant davantage de forces de police que nous y parviendrons, à mon avis. Il faut construire la sécurité de nos villes avec l'ensemble des acteurs et moyens qui peuvent être mobilisés dans ce cadre. Je pense ici tant à la police nationale, à la police municipale, à la vidéosurveillance, à la justice, aux associations, aux structures de médiation et d'éducation qu'aux élus. Il semble également intéressant de s'appuyer sur les délégués du préfet, qui font le lien entre les élus et l'État. Cette coordination semble fondamentale pour mener à bien des actions dans le domaine de la politique de la ville. Au bout de 30 ans que je suis engagé sur ces aspects, j'y crois encore !

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Je souhaitais revenir avec vous sur l'augmentation – même si elle n'est pas exagérée – de la défiance que peuvent ressentir les jeunes en particulier à l'égard des forces de police. Le fait que beaucoup de jeunes passent un certain temps chaque jour devant des écrans ou sur les réseaux sociaux crée-t-il un attrait pour des images sensationnelles, scandaleuses ou sortant de l'ordinaire dans cette partie de la population ? Si tel est le cas, que pouvons-nous faire pour lutter contre ce phénomène selon vous ?

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Les réseaux sociaux et internet ont quelque chose de fabuleux, mais ils peuvent en contrepartie contribuer à véhiculer des éléments très néfastes pour notre société. Je pense notamment à la problématique des fake news ou à tout ce que l'on peut voir lorsqu'éclate une affaire impliquant la police ou relative au maintien de l'ordre. Par rapport aux questions d'images, la loi portée par monsieur Fauvergue et madame Thourot a du sens pour moi, car il faut aussi parvenir à protéger nos forces de l'ordre sans aller à l'encontre des libertés des citoyens. C'est quelque chose qui me semble essentiel dans la conjoncture actuelle.

Au risque de paraître redondant ou simpliste, il convient de travailler dans le domaine éducatif (y compris dans les familles) et de la responsabilité. A ce titre, le CIPDR a su mettre en avant des associations qui – au niveau national – mènent des actions fortes en matière de pédagogie, notamment pour faire en sorte de déconstruire un certain nombre de stéréotypes. Il faut bien expliquer que les policiers sont des personnes comme vous et moi, qu'ils ont une mission qui est contrôlée par l'État et qu'ils sont soumis à un cadre déontologique. J'insiste sur le fait que dans 99 % des cas, les policiers font parfaitement bien leur travail. Nous avons près de 300 000 membres des forces de l'ordre en France et ces personnes effectuent un travail formidable pour assurer notre sécurité, pour protéger les familles, pour porter secours, pour interpeller et pour lutter contre la délinquance. C'est un message que nous portons auprès des enfants que nous côtoyons dans le cadre de nos actions. Il est vrai que, parfois, des dérapages peuvent se produire, avec des policiers qui ne se comportent pas correctement. Lorsque c'est le cas, l'Inspection générale de la police nationale voire les tribunaux sont là pour les sanctionner. En 2019, plus de 2 000 policiers ont été sanctionnés et nous le soulignons également lorsque nous discutons avec des enfants ou des jeunes. Il est totalement faux d'insinuer que les policiers feraient ce qu'ils veulent. Ils sont sanctionnés lorsqu'ils doivent l'être. La police est l'administration la plus sanctionnée. C'est à nous – en tant qu'acteurs associatifs – de faire passer ce type de messages tout au long de l'année et pour aider à déconstruire des idées préconçues. Les policiers interviennent et interpellent au besoin pour des raisons bien déterminées. Si des dérapages se produisent, il faut que leurs auteurs soient sanctionnés car des règles et des lois sont applicables à tout le monde.

Tout ce travail de pédagogie doit être effectué sur le terrain afin de réussir à casser cette spirale de défiance à l'égard de la police. Je serai prochainement sur des plateaux de télévision pour discuter de ce qu'il s'est passé lors d'une intervention impliquant un producteur de musique, et je ferai encore une fois en sorte de souligner qu'il ne faut pas se fier qu'aux images. Si des fautes ont été commises de la part de policiers, la justice fera son travail. Jusqu'à preuve du contraire, elle ne s'exerce pas dans les médias, pas plus que sur les réseaux sociaux.

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Vous avez raison sur ce point, mais l'opinion se fait bien souvent en dehors du cadre de la justice.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

C'est pour cette raison qu'il faut déconstruire ces stéréotypes et apporter de la contradiction systématiquement, sans pour autant protéger n'importe quels agissements bien entendu. Il est certain que les mauvais comportements de certains peuvent contribuer à jeter l'opprobre sur toute la profession. Des associations et des mouvements se sont fait une spécialité de se saisir de ce type d'affaires pour – à mon sens – déconstruire la société, ce contre quoi je ne cesserai de me battre.

Pour poursuivre sur ce sujet des comportements déviants de la part de policiers, nous avons porté une proposition auprès de la direction des ressources et des compétences de la police nationale. Elle consisterait à accueillir plus systématiquement ces fonctionnaires dans notre structure associative. Nous avons déjà eu affaire à des policiers qui au départ n'étaient pas du tout d'accord avec le travail de prévention que nous menons, et qui y ont adhéré par la suite en voyant ce que nous faisions concrètement. En ce sens, nous pouvons jouer un rôle de réhabilitation vis-à-vis de policiers qui commettraient des erreurs sanctionnables dans le cadre de leurs missions.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

C'est assez récent. J'estime par ailleurs que le ministère de l'Intérieur devrait communiquer systématiquement lorsque des sanctions sont prononcées à l'encontre de policiers.

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Sur les deux derniers jours, nous avons appris que la police et la gendarmerie étaient de grands vecteurs d'intégration de personnes issues des minorités. Je trouve en complément très intéressante l'initiative – dont vous faites état – consistant à faire participer à des actions de votre association des policiers qui auraient eu des comportements inadaptés dans le cadre de leurs fonctions. J'en profite pour vous demander si votre association emploie des personnes dans le cadre de travaux d'intérêt général (TIG).

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Oui. Il arrive que des jeunes suivis par la justice nous soient confiés. Nous travaillons même avec des centres éducatifs fermés. Il faut savoir cependant que les TIG qui sont prononcés ne sont pas toujours effectués en totalité. Je regrette d'ailleurs à ce sujet que nous n'ayons pas suffisamment de réponse immédiate lorsque des faits délictueux sont commis. Comme je le répète souvent aux jeunes que nous accueillons, la sanction a valeur d'exemple. Lors des semaines que nous organisons sur notre site de Dreux, nous les terminons généralement par une séance de quad. Si les jeunes n'ont pas eu un comportement correct pendant la semaine, cette sortie est tout bonnement annulée. C'est une forme de carotte ou de sanction, selon le point de vue duquel l'on se place. Dans ce domaine, il me semble que la justice devrait faire des efforts pour prononcer des sanctions rapides, même si je comprends que les tribunaux soient chargés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes quelques-uns à pousser en faveur de réponses pénales immédiates et adaptées, qui ne soient pas forcément des peines d'incarcération.

Je vous remercie pour votre intervention, cher Bruno Pomart. Je précise que tout député peut vous contacter pour travailler avec vous dans le cadre de votre association.

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Bruno Pomart, président de l'association Raid Aventure Organisation

Tout à fait. Je suis à la disposition des députés qui le souhaitent. Il me semble que monsieur Pupponi – avec qui nous travaillons à Sarcelles – fait partie de votre commission. Nous intervenons aussi à Saint-Ouen, à Garges-lès-Gonesse, et dans un certain nombre de villes de la couronne parisienne. Nous comptons bien évidemment sur la représentation parlementaire pour nous soutenir, sachant – je le rappelle – que nous n'avons pas de couleur politique au sein de notre association. Depuis 30 ans qu'elle existe, elle a été soutenue par tous les gouvernements qui se sont succédé. Notre objet est d'agir pour faire avancer notre société vers plus de vivre-ensemble. Je sais que les élus ont bien besoin d'aide et de soutien associatifs dans ce domaine.

La séance est levée à 17 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Jérôme Lambert