Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 14 avril 2021

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Reggy Martiales Nelson, ambassadeur de la République du Suriname en France.

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Merci, monsieur l'ambassadeur, d'avoir accepté notre invitation. La situation de nos deux pays, partageant une frontière commune, les amène parfois à lutter de concert contre l'orpaillage illégal. Nous pourrons échanger sur les dispositifs et dispositions qui permettent leur collaboration, notamment judiciaire, dont le traité, signé depuis peu, de délimitation de notre frontière.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. l'ambassadeur prête serment.)

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Je souhaite que votre audition nous permette d'avancer vers une solution au problème de l'orpaillage illégal. Je me rends souvent sur le Tapanaoni mais aussi sur le Maroni, et le Lawa, deux fleuves, communs à nos pays, où se font jour les conséquences néfastes de l'orpaillage illégal.

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l'ambassadeur Reggy Martiales Nelson

J'attache une grande importance à cet échange auquel vous m'avez convié, sur l'orpaillage illégal. Celui-ci apparaît comme un moteur de la déforestation. Ceci dit, le secteur minier constitue la principale source de revenus du Suriname. Il apparaît dès lors nécessaire de l'encadrer, ce pourquoi nous disposons d'une législation nationale. Notre pays est en outre devenu membre en 2018 de la convention de Minamata sur le mercure.

Au Suriname, les principales exploitations aurifères se situent sur la ceinture de roche verte. Deux grandes multinationales, Iamgold et Newmont, y extraient de l'or, ainsi qu'une entreprise nationale de taille moindre, Grassalco. Une multitude d'entreprises et d'entrepreneurs exploitent enfin des gisements de manière artisanale, à petite échelle. Bien sûr, certains orpailleurs œuvrent clandestinement.

Un rapport publié voici quelques années par une organisation non gouvernementale avait répertorié, pendant la période étudiée, environ 1 000 sites illégaux d'extraction d'or au Suriname. Le gouvernement porté au pouvoir suite aux élections de 2011 a créé une commission spéciale, dont la mission consiste à réguler le secteur de l'exploitation aurifère, en particulier l'orpaillage artisanal et illégal. Cette commission a mené un travail considérable.

Toutefois, le Suriname doit faire face à deux obstacles majeurs. D'une part, l'orpaillage s'implante dans des zones de l'intérieur du pays, étendues et difficiles d'accès, que l'on ne peut rejoindre que par voie fluviale ou aérienne. D'autre part, le gouvernement manque de ressources humaines mais aussi financières.

Voilà pourquoi la signature, le mois dernier, de trois accords avec la République française, a constitué pour notre pays un événement majeur. Le premier a précisé le tracé de notre frontière commune. Une convention d'entraide judiciaire et pénale et une déclaration conjointe sur la gestion commune des fleuves Maroni et Lawa l'ont complété. Le Suriname et la France y sont convenus d'œuvrer ensemble dans la zone frontalière. Ces accords traitent surtout de questions de sécurité liées à la lutte contre la criminalité, dont le trafic de drogue et la traite des êtres humains, mais aussi, bien sûr, l'orpaillage illégal. Des activités criminelles prospèrent en effet sur les deux rives du fleuve Maroni. Au Suriname, et vous me direz ce qu'il en est du côté français, notre gouvernement, non content de lutter contre l'orpaillage illégal, s'efforce de réguler l'extraction d'or légale.

Certains produits utilisés pour l'extraction de l'or, comme le mercure, sont particulièrement polluants. Depuis quelques mois, le gouvernement mène une politique de retrait de permis d'exploitation à ceux qui y recourent. Conformément à la déclaration conjointe récemment signée par la France et le Suriname, notre pays tente de mieux contrôler les activités d'orpaillage dans la zone frontalière et de promouvoir le développement économique durable de la région, conformément aux accords de Paris. Il faut en effet offrir à la population les moyens économiques d'assurer sa survie.

Je souhaiterais porter à votre attention les nombreuses pertes d'emploi occasionnées, dans les villes de l'intérieur du Suriname, par la pandémie de Covid-19. Beaucoup de personnes privées de revenus se sont tournées vers l'orpaillage. Malgré la volonté du gouvernement d'offrir des opportunités économiques à la population, la récente évolution de la situation a incité certains habitants, faute d'autre moyen de subsistance, à se rabattre sur l'orpaillage, encore plus lucratif quand ils recourent au mercure.

Le gouvernement organise depuis peu des réunions avec les parties prenantes pour sensibiliser les habitants du Suriname à l'impact du mercure sur la santé, l'environnement et la biodiversité. Dans le cadre d'une stratégie à long terme, notre institut national pour l'environnement œuvre main dans la main avec les parties prenantes à l'élaboration d'un plan d'action en vue de la réduction de l'utilisation du mercure.

Par ailleurs, notre gouvernement estime capital de veiller à ce que la moindre réunion bilatérale dans le cadre de la coopération avec les pays voisins inscrive à l'ordre du jour la coopération durable. Nous sommes en outre convenus de mettre en place une version révisée du conseil du fleuve Maroni.

Un autre problème se pose à nous : celui du contrôle, difficile, de notre longue frontière sud, particulièrement poreuse aux garimpeiros. La commission de régulation du secteur aurifère souhaite que le recours aux nouvelles technologies nous assure une maîtrise plus efficace de notre frontière sud, avec le Brésil.

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Il m'a semblé comprendre qu'au Suriname, la loi n'interdisait par d'utiliser du cyanure pour extraire de l'or.

Quelles peines encourent les ressortissants du Suriname qui se livrent à l'orpaillage illégal ?

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Reggy Martiales Nelson

Notre législation nationale interdit l'usage du cyanure. Les sanctions encourues pour orpaillage illégal incluent des peines d'emprisonnement, la confiscation de matériel ou encore des amendes. L'immensité de l'intérieur de notre pays le rend difficile à contrôler. Nous savons que des orpailleurs y extraient clandestinement de l'or, parfois à l'aide de cyanure. Néanmoins, la loi prévoit des sanctions précises à leur encontre.

En tant que membre de la Convention de Minamata, nous interdisons évidemment l'utilisation du mercure.

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Le Suriname est-il confronté à la pratique de l'orpaillage illégal ? Pourriez-vous, monsieur l'ambassadeur, nous brosser dans ses grandes lignes la situation de votre pays par rapport au phénomène ?

Quelles réponses le gouvernement du Suriname apporte-t-il au problème de l'orpaillage illégal ? Quels résultats obtient-il ?

Le Suriname est présenté comme la base avancée de l'exploitation aurifère sur les rives françaises du fleuve Maroni, dont le bassin apparaît particulièrement touché par le pillage des ressources minières. Quels moyens financiers et humains la République du Suriname déploie-t-elle pour éradiquer le phénomène dans la zone ?

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Reggy Martiales Nelson

J'ai déjà parlé des défis que nous pose l'exploitation aurifère illégale. Notre arrière-pays, des plus reculés, est fort peu accessible. Il nous est donc difficile de parfaitement contrôler l'ensemble des activités qui s'y déroulent. Nous manquons de personnel, de ressources humaines, mais aussi financières. À l'aide des moyens dont il dispose, le gouvernement s'efforce toutefois d'établir des postes de police sur le territoire afin de contrôler, en partenariat avec les forces armées, ce qui se passe sur le terrain. Telle était d'ailleurs l'une des principales tâches de la commission de régulation du secteur aurifère. Il est évidemment plus facile de contrôler les grandes entreprises que les exploitations clandestines.

De nombreux individus, principalement des Bushinenges, cherchent, dans l'arrière-pays où ils résident, un moyen de subsister : ils exploitent illégalement des gisements aurifères. Moins bien équipés que les grandes entreprises, ils travaillent dans la plupart des cas sans permis. Leur orpaillage clandestin n'en reste pas moins rentable pour eux, ce qui complique évidemment la situation. Nous devons œuvrer avec eux. La commission que j'évoquais s'est d'ailleurs donné pour mission de les former en vue de leur intégration dans la filière légale, afin qu'ils utilisent des méthodes d'extraction de l'or durables, n'impliquant pas de mercure.

La commission de régulation de la filière a tenté d'établir une carte des zones d'orpaillage, aussi bien légal qu'illégal. Nous voulions en effet déterminer sur quelles zones concentrer nos efforts. Le secteur minier assure des revenus considérables au Suriname. La plupart des emplois en dépendent. Nous devons relever le défi, dans une situation économique difficile, encore aggravée par la pandémie, de trouver une solution pour préserver des emplois tout en préservant aussi notre biodiversité.

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Nous souhaitons renforcer la coopération opérationnelle avec les pays voisins de la Guyane, identifiée, du côté français, comme l'une des principales priorités pour améliorer la lutte contre l'orpaillage illégal. Le combat passe notamment par le contrôle des frontières, dont monsieur l'ambassadeur a bien souligné qu'il représentait un défi sur l'ensemble du plateau des Guyanes. Lui serait-il possible de faire le point sur la coopération du Suriname avec, outre la Guyane, le Brésil et le Guyana, en matière de lutte contre l'orpaillage illégal ?

Les forces armées de Guyane attribuent une part de leurs succès opérationnels de ces dernières années au renforcement de la coopération transfrontalière avec les forces de sécurité brésiliennes et surinamiennes. Celle-ci implique la création d'un cadre juridique adapté et le développement de pratiques communes. En octobre 2017, le Suriname a ratifié un accord de coopération policière signé en 2006. Comment expliquer que près de onze ans se soient écoulés entre la signature et la ratification de cet accord ?

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Reggy Martiales Nelson

Je ne suis pas sûr d'avoir saisi à quel accord vous vous référez.

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Je songeais que, si l'accord de coopération policière entre nos deux pays, signé en 2006, avait été ratifié avant 2017, les polices française et surinamienne auraient pu se coordonner plus rapidement pour assurer un meilleur contrôle du fleuve Maroni et, ainsi, mieux lutter contre les trafics qui y ont cours et assurent entre autres le ravitaillement des sites clandestins d'orpaillage du côté guyanais.

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Reggy Martiales Nelson

La longueur du délai entre la signature et la ratification de cet accord s'explique par la situation politique embrouillée du Suriname à l'époque. Le Parlement, tenu d'approuver cet accord, ne disposait pas, alors, de majorité.

Le Suriname et le Brésil ont décidé, lors de réunions bilatérales, de trouver des solutions au problème du passage clandestin de la frontière par les orpailleurs. Les Brésiliens éprouvent énormément de difficultés à contrôler cette partie de leur frontière. Voilà pourquoi nous nous sommes félicités, lors de la signature des récents accords à Paris, qu'il soit prévu que le ministre de la Justice surinamien rencontre son homologue brésilien dans une ville de Guyane française dont le nom m'échappe, afin de tirer des enseignements de la coopération entre la France et le Brésil, de manière à coopérer nous-mêmes plus efficacement avec les Français et les Brésiliens au contrôle de l'orpaillage illégal dans les zones frontalières. Nous organisons régulièrement des réunions bilatérales avec le Brésil en quête d'une solution au problème.

Un nouveau gouvernement s'est établi voici quelques mois au Guyana. Nos deux présidents ont conclu plusieurs accords, qu'il reste à officialiser. Il revient désormais aux ministères d'œuvrer ensemble à l'élaboration de méthodes de travail communes, comme il en existe avec la France. Des trafics illégaux impliquant la traite d'êtres humains ont cours aux abords de notre frontière avec le Guyana. Nous devons donc parvenir à une entente avec ce pays en vue de résoudre ces problèmes. Nous devons surtout mieux contrôler le fleuve qui sépare nos pays, mais qui appartient au Suriname.

Nous estimons important d'œuvrer ensemble à un meilleur contrôle des fleuves Maroni et Lawa, où les contrôles avaient d'ailleurs cessé, à un moment donné. Les patrouilles de police communes entre France et Suriname ont heureusement repris depuis peu.

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Monsieur l'ambassadeur se demandait dans quelle ville devait se rendre le ministre de la Justice : à Saint-Georges-de-l'Oyapock, à la hauteur de laquelle il est prévu de dupliquer un centre douanier de l'autre côté du Maroni.

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Afin de consolider la coopération en matière de sécurité et de justice, côté français, un officier de gendarmerie basé à Cayenne a été placé à la fois auprès du préfet de Guyane et de l'ambassadeur de France à Paramaribo depuis septembre 2018.

Des réunions mensuelles rassemblent par ailleurs les forces de sécurité françaises et surinamiennes à Saint-Laurent-du-Maroni et Albina, afin d'assurer le suivi et de renforcer la coopération opérationnelle en matière de lutte contre la délinquance et les trafics illicites, dont l'orpaillage illégal. Pourriez-vous nous fournir un bilan de ces réunions et nous expliquer concrètement ce qu'il en ressort ?

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Reggy Martiales Nelson

Les forces de sécurité de nos deux pays se réunissent et s'échangent des renseignements sur les activités illégales de part et d'autre de la frontière. La déclaration conjointe que nous avons signée récemment fournit un cadre légal et juridique à la coopération entre les polices surinamienne et française, qui n'a toutefois pas attendu la conclusion des accords du début de cette année pour s'établir dans la pratique.

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Monsieur l'ambassadeur pourrait-il nous toucher un mot des relations qu'entretient le Suriname avec la Chine ? Des personnes que nous avons auditionnées nous ont laissé entendre qu'une filière organisée se chargeait d'approvisionner, au Suriname, les orpailleurs clandestins en matériel de chantier importé de Chine. Le Suriname a-t-il mis en place, dans le cadre de sa coopération policière avec la Chine, des mesures de démantèlement de cette filière ou, du moins, conçu des actions de lutte contre l'arrivée massive de matériel alimentant des sites clandestins d'orpaillage sur le territoire français également ?

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Reggy Martiales Nelson

La Chine a été l'un des premiers pays à nouer avec nous des relations au lendemain de notre indépendance. Notre partenariat de longue date avec la Chine, d'une importance capitale pour notre pays aujourd'hui, n'a rien d'étonnant : notre population inclut une communauté d'origine chinoise non négligeable. La Chine a beaucoup investi au Suriname, ces dix dernières années, dans des secteurs divers et variés.

Il faudrait considérer plus en détail le type de matériel auquel vous faites allusion. La Chine vient en aide à notre pays à de nombreux égards. Notre gouvernement étudiera les possibilités que notre relation particulière avec la Chine nous offre pour mieux lutter contre l'orpaillage illégal.

Les accords que nous venons de signer avec la France marquent un pas en avant dans la lutte qu'il nous appartient de mener de front, en tant que pays voisins, contre les activités illégales sévissant dans la région. L'étendue de la pollution causée par l'orpaillage clandestin nous oblige à œuvrer étroitement ensemble à le combattre. Je suis convaincu que le Suriname et la France sont désormais mieux équipés pour combattre ce phénomène et m'en réjouis.

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Nous nous réjouissons aussi, en tant que députés guyanais, de cette coopération qui permet de mieux éclaircir certains pans de la lutte contre l'orpaillage illégal en vue d'y collaborer plus efficacement.

La réunion s'achève à dix-sept heures vingt.