Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 30 juin 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Gérard Menuel, vice-président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Alexis Lopes, administrateur supérieur des douanes, directeur régional des douanes de Guyane, de Mme Elisabeth Melscoet, directrice des services douaniers - adjointe au chef de bureau « affaires juridiques et contentieuses » de la sous-direction affaires juridiques et lutte contre la fraude et de M. Martin Fleury, inspecteur principal des douanes - chef de cabinet de la directrice générale des douanes et droits indirects.

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Nous abordons aujourd'hui le travail mené par la direction générale de douanes et des droits indirects (DGDDI) pour lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane.

Nous entendons M. Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane, Mme Elisabeth Melscoët, adjointe au chef de bureau des affaires juridiques et contentieuses de la DGDDI et M. Martin Fleury, chef de cabinet de la directrice générale de la DGDDI, qui représentent Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des douanes et des droits indirects.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Alexis Lopes, Mme Elisabeth Melscoët et M. Martin Fleury prêtent serment.)

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Vous allez nous rappeler le rôle des douanes dans la lutte contre l'orpaillage illégal, et ce avant que nous procédions à un déplacement en Guyane la semaine prochaine. Cette audition est l'occasion de nous faire part des conditions dans lesquelles vous exercez vos missions et des problèmes rencontrés. Je pense tout particulièrement aux contrôles exercés aux frontières avec le Suriname et le Brésil.

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Martin Fleury, chef de cabinet de la directrice générale de la DGDDI

Mme Elisabeth Melscoët pourra répondre à vos questions sur l'orpaillage illégal en Guyane de manière générale et du point de vue juridique, en apportant si vous le souhaitez des éclaircissements sur les évolutions législatives ou réglementaires souhaitables.

M. Alexis Lopes est le directeur régional des douanes de Guyane. Cette direction régionale dépend de la direction interrégionales Antilles-Guyane. Il pourra répondre à vos questions sur les aspects opérationnels sur le terrain.

Si l'action des douanes en Guyane est surtout connue pour la lutte contre les trafics de stupéfiants, elles participent aussi à celle contre l'orpaillage illégal.

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Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane

Je vais au préalable préciser que la lutte contre l'orpaillage illégal ne fait pas partie des missions prioritaires de la DGDDI. Son action en la matière répond à la demande de participation à l'effort interministériel de lutte contre cet orpaillage. Nous apportons donc nos moyens humains et notre organisation pour y contribuer le plus efficacement possible.

Le travail repose pour une part sur des initiatives propres à la douane, mais surtout sur des actions menées en partenariat avec d'autres administrations, cette notion de partenariat étant particulièrement importante.

Ces partenaires sont bien évidemment les forces armées en Guyane (FAG), la gendarmerie nationale et la police aux frontières (PAF), mais aussi le parc amazonien de Guyane (PAG) et l'Office national des forêts (ONF).

Nous sommes intégrés au sein des structures dépendant du dispositif Harpie, codirigé par le préfet et le procureur de la République. Nous participons aux côtés des autres partenaires à toutes les réunions importantes, soit au niveau opérationnel au sein de la cellule de coordination du partenariat (CCOP), soit au niveau stratégique, au sein du comité stratégique (COSTRAT). Nous sommes aussi représentés au sein de l'état-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illicites (EMOPI), placé sous la direction du préfet. Ce dispositif permet aux douanes d'intégrer les résultats de leurs interventions dans l'ensemble de ceux obtenus en matière de lutte contre l'orpaillage. Il sert aussi à coordonner certaines opérations, où nous intervenons en complément soit de manière géographique, soit de manière temporelle, comme ce fut surtout le cas en 2018 et 2019.

Nos actions spécifiques sont complémentaires de celles des autres services de l'État. Notre cœur de métier, c'est de réaliser des contrôles à la circulation. Nous disposons de brigades, notamment celles de Saint-Laurent-du-Maroni et de Saint-Georges de l'Oyapock, qui sont au plus près des zones de livraison des marchandises qui contribuent à faire vivre les sites d'orpaillage. S'en prendre à ces flux logistiques est désormais une priorité fixée par le COSTRAT. Nous nous y employons de manière assez efficace, même si ce qualificatif peut paraître inadapté au vu du développement incessant de l'orpaillage illégal en Guyane.

Pour cela nous privilégions ce que nous savons le mieux faire : soit contrôler les voies de circulation – c'est-à-dire intercepter les camionnettes qui transportent des produits destinés aux sites d'orpaillage –, soit intervenir directement contre les zones de stockage situées à proximité des axes routiers – notamment la RN1 et la RD9, entre Mana et Saint-Laurent-du-Maroni. Nous avons développé ce dernier mode d'action dès le début du confinement l'an dernier.

Ces aires de stockage sont installées dans la forêt ou dans des propriétés privées. Dans ce dernier cas, nous intervenons dans le cadre de visites domiciliaires. Cela nous a permis tout de même de saisir 100 tonnes de marchandises en 2020, dont une grande part de marchandises alimentaires qui ont été redistribuées aux associations caritatives de l'Ouest guyanais.

Parmi ces marchandises, nous visons bien entendu ce qui est propre à l'orpaillage illégal : l'or natif et le mercure.

Il faut bien reconnaître que les résultats des saisies d'or natif sont somme toute modestes. La seule grosse saisie a été réalisée en 2017, avec sept kilogrammes, étant précisé qu'il ne s'agissait pas du produit d'une exploitation illégale, mais de celui d'une exploitation légale – située près de la piste Bélizon dans l'Est guyanais – qui n'était pas accompagné des documents prévus à l'article 414-1 du code de douanes.

Nous avons aussi centré nos contrôles sur le mercure. De mémoire, nous avons saisis sept kilogrammes de ce produit l'année dernière, ce qui n'est pas rien. Comme vous le savez, cet élément chimique pollue les rivières, tue les animaux et provoque des maladies. C'est une question très sensible pour les populations amérindiennes et les Bushinengués.

Nous saisissons également toutes les marchandises prohibées au titre du code des douanes. Il s'agit bien souvent de motopompes, de cyclomoteurs, voire de carburant, qui ne respectent pas les normes de sécurité ou chimiques exigées pour pouvoir circuler dans l'espace européen, dont fait partie la Guyane.

Avec 100 tonnes de marchandises confisquées en tout à ce titre l'an dernier, certaines saisies ont pu atteindre jusqu'à dix tonnes. Une partie des marchandises saisies lors de ces opérations ne sont pas prohibées, comme par exemple les denrées alimentaires. Mais nous les saisissons lorsque le détenteur s'est enfui et qu'elles sont de fait abandonnées. Comme je l'ai déjà indiqué, nous les remettons alors à des associations caritatives, dont la Croix-Rouge qui intervient le long du fleuve aux alentours de Saint-Laurent-du-Maroni.

Nous étions donc engagés dans cette politique de contrôle des flux de marchandises avant même que le procureur de la République et le préfet ne nous demandent cette année de mettre l'accent sur les flux logistiques. Cela contribue à assécher l'approvisionnement des sites d'orpaillage illégal, grâce à des actions menées loin de ces derniers. Les interventions que j'ai mentionnées autour de Mana et de Saint-Laurent-du-Maroni ont en effet eu lieu dans la zone côtière où les douaniers sont implantés.

C'est bien dans ce sens que j'ai parlé de complémentarité et de notre cœur de métier. Nous ne sommes pas implantés dans les zones qui permettent un accès direct en forêt, et il y a plusieurs raisons à cela.

La douane n'est ainsi pas présente en permanence à Maripasoula, par exemple, et ce depuis un siècle. À l'époque du territoire de l'Inini, il y avait un service des douanes installé à l'embouchure du fleuve Inini sur le Maroni. Depuis lors les flux de marchandises provenant de l'étranger et entrant dans le cadre du dédouanement légal ont été considérés comme insuffisants pour justifier une présence permanente des douanes.

Nous y sommes retournés de manière épisodique à partir de 2017. Depuis 2018, des douaniers y sont projetés en appui de la gendarmerie et des FAG à l'occasion des relèves, qui interviennent tous les trois mois pour les gendarmes et tous les quatre mois pour les armées. Les escouades de douaniers y sont donc présentes à ces occasions pour quelques jours, et elles font bénéficier des pouvoirs de saisie que leur confère le code des douanes les contrôles réalisés sur des barges sur l'Inini ou à proximité.

Nous avons entamé une réflexion sur l'amélioration de notre capacité d'intervention dans cette zone. Les douanes ne pourront pas s'y déployer sans l'appui des FAG, et plus largement sans celui de l'État. Nous pourrions ainsi nous associer à des projets d'implantation d'autres administrations, je pense notamment à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à la PAF. Dans cette zone de Maripasoula et du Haut-Maroni, où la population croît fortement, l'enjeu à terme est d'assurer une présence plus forte de la douane ; mais il s'agit d'un dossier de longue haleine, très complexe.

Les quelques actions que la douane y a menées relevaient vraiment de la complémentarité, en appui de nos partenaires et à leur demande. Cela suppose que les douaniers y soient préparés, c'est-à-dire formés, notamment avec un stage au centre d'entraînement en forêt équatoriale (CEFE). Il faut également leur fournir des équipements adaptés, ce qui a conduit à acquérir du matériel et des tenues spécifiques qui ne sont pas ceux fournis en métropole.

Mme Melscoët est à votre disposition pour tous les éléments juridiques que vous souhaiteriez connaître sur les pouvoirs des douanes.

J'en dis juste un mot pour relever que nous pouvons faire usage des prérogatives données par le code des douanes – je pense à son article 60, qui permet de contrôler les marchandises en circulation et notamment celles provenant de l'étranger, donc pour la Guyane principalement du Suriname.

Nous nous appuyons aussi sur le droit de visite domiciliaire et sur l'arsenal répressif visant les marchandises prohibées et leur importation sans déclaration, reposant sur les articles 410 à 414 du code des douanes.

L'article 414-1 est à ma connaissance le seul article du code des douanes pratiquement créé sur mesure pour la Guyane afin de contrôler la circulation de l'or natif – dans un cadre qui visait pour l'essentiel les exploitants légaux. Des réflexions sont en cours, dans le cadre des discussions portant sur le code minier, pour étendre le périmètre des infractions autorisant le report du point de départ de la retenue douanière, qui est l'équivalent de la garde à vue dans le code de procédure pénale.

J'ai essayé de résumer brièvement l'action de la direction régionale des douanes de Guyane en matière de lutte contre l'orpaillage illégal, tant du point de vue de son organisation que de son cadre juridique. Je n'ai pas tout abordé, notamment s'agissant de la question des méthodes de travail.

Je suis à votre disposition pour répondre aux questions.

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Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane

Je souhaiterais vous faire part des échanges entre les partenaires engagés dans la lutte contre l'orpaillage illégal.

Un dispositif existe depuis longtemps pour cela, avec le CCOPS, placé sous la double autorité des armées et de la gendarmerie. Il a pour objet de coordonner les actions des différents intervenants, et pas seulement des services de l'État puisque le PAG et l'ONF y participent. C'est un moyen de mise en commun des actions menées, les résultats des différents partenaires y étant agrégés.

L'enjeu réside désormais dans le partage du renseignement.

Des réflexions sont en cours au sein d'un groupe de travail et le sujet a été abordé au cours du premier COSTRAT, qui s'est tenu il y a quelque semaine sous la double présidence du préfet et du procureur de la République, au cours duquel un effort supplémentaire en la matière a été demandé.

C'est évidemment nécessaire, surtout dans l'Ouest guyanais. Cela suppose au préalable de définir c'est qu'est par nature un renseignement. Même si un service de la douane fait partie du premier cercle des services de renseignement, en matière de lutte contre l'orpaillage illégal le travail de renseignement des douanes ne se situe pas à un niveau aussi organisé et élevé. Le renseignement peut être opérationnel, stratégique, local voire international.

Nous nous engagerons bien évidemment pour répondre à cette demande, aux côtés des services spécialisés de la gendarmerie et des FAG.

Je veux aussi porter à votre connaissance l'effort réalisé par la DGDDI depuis 2019, à la suite des requêtes formulée par le préfet alors en fonction, M. Patrice Faure. Nous avons à ce titre bénéficié de cinq équivalents temps plein travaillé (ETPT) supplémentaires. En outre, la direction régionale des douanes va certainement recevoir des moyens de transport des marchandises saisies. Lorsque nous procédons à une saisie de plusieurs tonnes de marchandises sur un lieu de stockage, nos moyens habituels ne suffisent pas. Cette lacune a jusqu'à présent été palliée grâce à la coopération de la gendarmerie et des FAG, qui ont fourni des véhicules et des personnels.

À partir de cette année, les douanes devraient normalement disposer de moyens plus adaptés, financés par la DGDDI, afin d'être encore plus présentes en Guyane.

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Vous avez soulevé des points importants, notamment s'agissant de la complémentarité des services qui agissent en Guyane. Vous avez également parlé d'assurer une présence plus forte. Sera-t-elle atteinte par davantage de complémentarité ou bien également par un effort accru des services eux-mêmes ?

J'imagine que la tâche est immense, et même presque impossible au vu de la longueur des frontières avec le Brésil et le Suriname. N'est-il pas utopique de vouloir régler le problème de l'orpaillage illégal par la surveillance et le contrôle ?

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Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane

Votre question est tout à fait légitime, et elle s'est toujours été posée.

Il faut rappeler que la superficie de la Guyane représente un sixième de celle de la métropole, avec 750 kilomètres de fleuve frontalier avec le Suriname et un peu moins avec le Brésil. Le littoral fait quant à lui 450 kilomètres et la frontière terrestre au sud du département se situe en forêt, dans une zone inhabitée. Imaginer que des fonctionnaires de l'État – et je ne parle même pas des seules douanes – puissent surveiller l'ensemble de ces frontières est utopique.

En revanche, nous essayons d'être présents là où nous sommes le plus efficaces. La douane est implantée sur la zone côtière, c'est-à-dire celle où existent des voies de circulation routières, sur lesquelles nous disposons d'une capacité d'intervention. C'est particulièrement le cas de la RN1, qui va de Saint-Laurent-du-Maroni à Cayenne, et de la RN2, qui relie Saint-Georges de l'Oyapock à Cayenne. Ces deux routes distribuent des pistes qui s'enfoncent dans la forêt mais ne vont pas très loin.

L'autre volet de votre question m'amène à éclaircir davantage un point que j'ai évoqué précédemment, c'est-à-dire le dossier complexe de la présence des douanes à Maripasoula. Si cette ville compte actuellement 11 000 habitants, on estime que sa population atteindra les 30 000 habitants dans dix à quinze ans.

Ceux-ci commercent essentiellement avec les comptoirs implantés du côté surinamais. Par-delà la lutte contre l'orpaillage illégal, la question de la présence de la DGDDI se pose donc aussi du point de vue douanier et fiscal. Une réflexion est en cours sur ce point, afin que soient remplies nos missions fondamentales de douanes françaises et européennes.

Depuis ma nomination en 2018, les préfets et les procureurs de la République successifs ont tous insisté pour que les douanes s'implantent à Maripasoula – la même demande étant faite à la PAF – afin d'apporter un concours à la lutte contre l'orpaillage illégal.

S'il y accord sur cet objectif, ce n'est pas encore le cas s'agissant de la faisabilité et de la durée d'une telle implantation.

Compte tenu du manque d'attractivité de la Guyane, est-il raisonnable de penser que l'on va installer des douaniers à Maripasoula ? Pour y arriver, il faudra inventer de nouveaux instruments de motivation et d'incitation, permettant aux intéressés d'accepter de vivre dans des conditions d'isolement encore plus grandes qu'à Saint-Laurent-du-Maroni. Je rappelle que Maripasoula n'est desservie par aucune route et qu'y aller représente un voyage de trois jours en pirogue si les eaux sont normales, davantage en saison sèche et avec des risques accrus. La seule autre solution pour s'y rendre est l'avion. C'est la première donnée.

L'implantation coordonnée des services de l'État à Maripasoula ne sera en outre possible que dans le cadre d'une action interministérielles, notamment pour construire des bâtiments et des logements. C'est la deuxième donnée.

La réflexion n'a donc pas encore abouti s'agissant des conditions pratiques.

À la demande de la direction générale, nous réfléchissons aux moyens de nous « projeter » davantage, c'est-à-dire d'envoyer, depuis Cayenne et Saint-Laurent du Maroni, davantage de douaniers. Cela soulève la question de notre régime de travail puisque, contrairement aux militaires et aux gendarmes, nous ne sommes pas soumis au régime des missions, mais au code du travail et aux dispositions liées à la réduction du temps de travail (RTT). À l'inverse, les dispositions qui régissent le travail des militaires et des gendarmes leur permettent d'intervenir en forêt, alors que nous n'avons pas cette possibilité. Le projet que je viens d'évoquer permettra de lever cet obstacle majeur.

Pour ce qui concerne Maripasoula, je pense avoir répondu.

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Je vous prie de bien vouloir m'excuser car j'ai rejoint la réunion tardivement et ma question a peut-être déjà été traitée. Elle concerne la frontière entre le Suriname et la France sur le fleuve Maroni. Vous pose-t-elle des problèmes ? Comment se déroule la collaboration avec le Suriname ? Nous avons auditionné l'ambassadeur du Suriname en France qui a évoqué le dialogue en cours au sujet de cette frontière.

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Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane

Le sujet n'a pas été traité. C'est un point très important. Les traités relatifs aux frontières entre la Guyane et le Suriname relèvent d'arbitrages et de conventions internationales du début du XXe siècle, notamment un arbitrage du tsar Alexandre III en 1891.

Il y a longtemps eu trois zones différentes le long du fleuve et la nationalité des rives, voire de celle des cours d'eau, a souvent été contestée. Ainsi le Suriname conteste l'appartenance de la Litani à la Guyane, alors que le cours d'eau est revendiqué par la France.

Engagées en 2018, les négociations diplomatiques ont permis d'aboutir l'an passé à un tracé qui s'appuie sur des données géographiques – la frontière étant la ligne équidistante des deux rives, en prenant en compte les nombreuses îles au milieu du fleuve. Ce travail a permis de mettre en lumière que certaines parties du territoire français étaient occupées par les populations surinamaises, et vice-versa.

En 2018 et 2019, des incidents ont éclaté. Nous avions été embarqués à plusieurs reprises avec les Forces armées en Guyane (FAG), la gendarmerie ou la police aux frontières (PAF) pour des contrôles fluviaux – la direction des douanes de Guyane ne dispose pas de moyens fluviaux propres. Nous avions effectué des interceptions sur la partie considérée comme française du fleuve, mais le fait de ramener des pirogues – qui contenaient d'ailleurs des marchandises illégales puisqu'elles provenaient de sites d'orpaillage illégal – avait été contesté par les autorités surinamaises. Des notes de protestation avaient été transmises, interdisant aux autorités françaises de réaliser ces contrôles.

Il y a eu confusion : il ne s'agissait pas de remettre en cause une frontière politiquement contestée entre deux États, mais d'exercer un pouvoir de contrôle douanier sur une frontière tierce à l'Union européenne. En effet, même si c'est une région ultrapériphérique, la Guyane fait partie de l'Union européenne en tant que département d'outre-mer (DOM). Nous aurions pu exercer nos prérogatives douanières de contrôle des marchandises sur le fleuve, mais nous avons préféré faire débarquer les personnes et les accompagner sur la rive française pour faire ces contrôles.

Normalement, à l'issue des négociations que je viens d'évoquer, nous ne rencontrerons plus de tels problèmes. Mais les contrôles impliqueront toujours plusieurs partenaires : les FAG pour l'appui logistique, la PAF pour sa force d'intervention et son efficacité juridique.

Les problèmes de frontières sont-ils réglés ? Je dois avouer que, depuis mars 2020, la crise du COVID a mis les services de l'État sous tension sur les frontières fluviales. À Saint-Laurent du Maroni et à Maripasoula, les mesures visaient plus la fermeture des frontières au trafic de passagers que le contrôle des marchandises ou de l'orpaillage illégal, la préoccupation étant avant tout sanitaire.

Pour le moment, il n'existe pas de Centre de coopération policière et douanière (CCPD) entre la France et le Suriname, même si nous coopérons dans ces deux domaines avec les autorités du Suriname. Pour rappel, la douane n'est toujours pas associée au Centre de coopération policière (CPP) avec les Brésiliens du côté de Saint-Georges de l'Oyapock. Sur décision de notre directeur général, M. Gintz, j'ai eu l'autorisation d'y participer. Mais nous rencontrons une difficulté : nos homologues douaniers brésiliens ne veulent, eux, pas y participer, ce qui fait perdre son intérêt à notre participation…

Les sujets que nous devons évoquer avec le Suriname ont déjà été soulevés avec les Brésiliens. Il faudrait donc envisager le dialogue de manière globale sur ces questions douanières.

Pour mémoire, la France a signé un accord d'assistance administrative mutuelle internationale (AAMI) avec le Suriname en 2000. Il s'applique de plein droit. Mais, premier obstacle, la douane surinamaise est focalisée sur les questions fiscales. Elle reste à la frontière, en poste fixe – un peu comme les Brésiliens – et fait donc peu de contrôles. À ma connaissance, elle n'est pas investie dans le contrôle de l'orpaillage illégal.

En outre, second obstacle, la coopération ne fonctionne pas. J'ai eu l'occasion de me déplacer à deux reprises au Suriname et j'ai constaté des actes de corruption quasiment en direct, sur le port de Paramaribo, grâce aux vidéos de surveillance des services de sûreté. Il y a donc, à tout le moins, un problème d'efficacité… J'ai néanmoins rencontré trois responsables douaniers en 2019, qui se demandaient ce que je faisais là. Quand j'ai parlé de coopération et d'échanges, leur réponse a été très polie mais elle sous-entendait qu'ils attendaient que je leur fournisse des renseignements, puis verraient ensuite ce qu'ils pourraient me donner.

La coopération en matière de lutte contre l'orpaillage illégal ne semble entrer ni dans leurs prérogatives, ni dans leurs préoccupations. S'agissant du trafic de cocaïne, qui est un tout autre sujet, la direction des opérations douanières (DOD) de Guyane collabore d'ailleurs avec d'autres autorités surinamaises que la douane.

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Je sais qu'il existe ce que l'on appelle des « missions fleuve » au départ de Saint-Laurent du Maroni : la préfecture, le ministère de la justice, la gendarmerie équipent des pirogues qui remontent tous les représentants de l'État jusqu'à Maripasoula. Faites-vous partie de ces missions ?

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Alexis Lopes, directeur régional des douanes de Guyane

Vous venez en Guyane la semaine prochaine et tout cela vous sera expliqué par le menu par nos partenaires, FAG, PAF et gendarmerie. Si par « missions fleuve », vous évoquez les missions de contrôle, nous sommes souvent sollicités pour apporter notre concours quand les gendarmes, qui ont aussi des pouvoirs judiciaires de saisie de marchandises, ne sont pas disponibles.

Près de Saint-Laurent du Maroni, nous apportons également notre concours aux FAG sur la Mana, un autre fleuve guyanais. À Saint-Laurent du Maroni, nous venons en appui de la PAF qui dispose de moyens nautiques depuis l'année dernière. Nous sommes souvent sollicités pour accompagner nos partenaires, la PAF pour l'immigration, ou les FAG qui ne disposent pas de pouvoirs judiciaires ou douaniers. Après la crise sanitaire, nos opérations contre l'orpaillage illégal reprennent petit à petit.

Vous avez raison, monsieur le député, la douane territoriale que je représente ne dispose pas de tels moyens, contrairement à ce que j'ai connu il y a trente ans, lorsque j'étais receveur des douanes à Saint-Laurent du Maroni. Nos moyens nautiques dépendent désormais de la Direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD), service à compétence nationale, qui exerce principalement sur zone maritime, avec un Zodiac implantée à Kourou, le DF 45, qui va bientôt être remplacé.

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Nous nous rendons effectivement la semaine prochaine en Guyane et allons rencontrer de nombreux interlocuteurs afin de nous rendre compte in situ de la situation. Je vous remercie pour les éléments communiqués et les pistes de réflexion fournies.

L'audition se termine à seize heures.