Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • civil
  • foncier
  • indivisaire
  • indivision
  • outre-mer
  • partage
  • polynésie
  • propriété

La réunion

Source

La réunion débute à 14 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente.

La Commission examine la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (n° 475) (M. Serge Letchimy, rapporteur).

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Nous examinons la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, déposée par le groupe Nouvelle Gauche et inscrite à l'ordre du jour de la journée réservée du jeudi 18 janvier 2018.

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Le texte que je vous présente aujourd'hui a fait l'objet d'une large concertation, non seulement locale – en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane – mais aussi avec des institutions publiques nationales et des parlementaires, dans le but de trouver un consensus. Il transcende les différences politiques car il est lié à un enjeu d'intérêt public. Les chiffres que je vais vous donner illustrent la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les départements et régions d'outre-mer : le niveau d'indivision y atteint 40 % en moyenne. Autrement dit, 40 % des biens privés ont donné lieu à une succession bloquée pour telle ou telle raison. Dans la commune de Macouba, en Martinique, le niveau d'indivision atteint même 83 %, et il s'établit à 47 % à Fort-de-France, le chef-lieu. La situation est pire encore en Guadeloupe et en Guyane ; le niveau d'indivision est moindre à La Réunion ; Mayotte possède des particularités bien connues liées à un défaut de titrement. Quant à la Polynésie française, elle relève d'un article différent de la Constitution.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. La première tient à l'histoire de la distribution des terres et de l'accès au foncier dans le contexte de la colonisation et de la fin de l'esclavage. Autre facteur : la structuration progressive de la filiation. Ensuite, le cadastre n'a été installé que dans les années 1970, c'est-à-dire très tardivement, l'identification des terrains se caractérisant par une grande complexité. Un phénomène, surtout, s'est accéléré à partir des années 1960 : celui du départ massif de Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais vers l'Europe, qui a provoqué l'explosion de nombreuses familles. La Martinique compte 400 000 habitants mais près de 300 000 Martiniquais de première, deuxième, troisième voire quatrième génération vivent en métropole.

C'est de la conjonction de ces facteurs de blocage que résulte la situation actuelle, qui emporte plusieurs conséquences. Tout d'abord, elle met à mal les politiques publiques. Certes, les communes disposent de plusieurs moyens de droit, notamment l'expropriation – encore faut-il en avoir les ressources financières – ou encore les procédures des biens sans maître et d'abandon manifeste, mais le fait est que les politiques publiques sont désormais bloquées. Deuxième enjeu tout aussi important : la création d'une dynamique économique en matière d'immobilier, de logement et d'accès au foncier. La commune dont 83 % du foncier est paralysé n'a de marge de manoeuvre que sur moins de 20 % du parc ; de même, cette marge de manoeuvre ne concerne pas plus de 53 % du parc à Fort-de-France. Dans ces conditions, la dynamique immobilière est entravée.

Une autre conséquence tout aussi grave a trait à la santé. Le chikungunya et la dengue ont provoqué des dégâts considérables et entraîné des dépenses exceptionnelles. Or, le moustique vecteur – l'aedes aegypti – se reproduit précisément dans des lieux abandonnés où se multiplient les déchets et les herbes folles.

Enfin, cette situation a également des conséquences en termes de sécurité. Les maisons abandonnées depuis plusieurs années voire décennies sont squattées, d'où une situation d'insécurité et une cohabitation difficile dans les villes, en particulier dans les centres-bourgs et les centres-villes. La ville basse de Fort-de-France, qui comptait autrefois 12 000 habitants, n'en a plus que 4 500 ; elle a subi un exode de sa population vers les zones périurbaines ou vers la métropole et, pendant ce temps, le patrimoine se dégrade, d'où une paupérisation sociale, économique et humaine à cause du blocage des bâtiments en indivision.

Il me paraissait utile d'insister sur ces différents points, car il faut pouvoir apprécier si toute mesure touchant au droit de la propriété est conforme à la Constitution. Nous avons fait l'inventaire des dispositions du droit de la propriété qui ont déjà évolué afin de parvenir à un texte qui soit à la fois conforme à la Constitution et efficace au point de produire un choc foncier qui mette fin à la mécanique de l'insécurité et de l'insalubrité. À cet égard, trois dates sont à noter : en 2006, la vente des biens meubles a été autorisée à la majorité des deux tiers, et non plus à l'unanimité ; la réforme de 2014 a permis la cession de terres agricoles en outre-mer ; enfin, en mars 2017, un texte très important a admis les actes de disposition décidés à la majorité des deux tiers en Corse. Il existe donc déjà des mécanismes qui permettent de déroger au droit commun. Je précise que la disposition applicable à la Corse visait notamment, pour plus d'efficacité, à sécuriser l'acte de notoriété en cas de prescription acquisitive en ramenant le délai de recours de trente ans à cinq ans.

Un dernier mot sur le cadre juridique : l'article 73 de la Constitution, en particulier ses alinéas 2 et 3, permettent d'adapter à l'outre-mer les lois et règlements à l'initiative du Parlement – ce sera le cas si le présent texte est adopté – ou à la demande d'une collectivité. C'est très important car les besoins d'adaptation des collectivités d'outre-mer sont fréquents, tant les réalités sont différentes de celles de la métropole.

J'apporte ces précisions pour expliquer qu'il nous fallait élaborer des propositions efficaces tout en étant conformes au droit et en relevant d'un régime dérogatoire. Autre préoccupation : il fallait circonscrire la couverture géographique du texte. Devait-il s'appliquer à l'ensemble du territoire national ? Je ne l'ai pas souhaité, car le problème se pose de façon particulière en outre-mer. Il fallait donc l'inscrire dans le cadre de l'article 73 de la Constitution. De même, nous avons souhaité limiter la disposition dans le temps afin de répondre à un besoin urgent tout en faisant le choix d'une « expérimentation » ouvrant la voie à un bilan qui permettra d'envisager la pérennisation, ou non, de la mesure.

Nous proposons donc un dispositif très simple qui consiste à soumettre la sortie de l'indivision non plus à la règle de l'unanimité mais à celle de la majorité absolue – cinquante pour cent plus une voix. De deux choses l'une, en effet : soit l'indivision est liée à un héritier taisant qui refuse de s'exprimer, par exemple en raison d'un conflit familial, soit elle est liée à un indivisaire procédurier qui bloque les décisions familiales. Or l'article 815 du code civil selon lequel « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision » est au moins aussi important que la protection du droit de propriété. Nous proposons donc que, sur la proposition d'une majorité absolue d'indivisaires, le notaire – et non le juge, pour éviter une procédure judiciaire – puisse établir les actes nécessaires à la sortie de l'indivision.

Ensuite, il faut protéger les personnes fragiles : les enfants mineurs, comme l'exige la loi, mais aussi les majeurs protégés, et les veufs et veuves qui continuent de résider au domicile conjugal. Dans ces cas, il ne sera pas possible d'utiliser la procédure dérogatoire.

Nous ouvrons donc la voie à une sortie exceptionnelle de l'indivision mais il convient, ce faisant, de préserver le droit de propriété. C'est pourquoi l'article 3 permet à tout indivisaire de déposer un recours devant les tribunaux pour faire échec au projet de la majorité. Deux solutions sont alors possibles : la première, prévue dans le texte, concerne la cession et le partage, et le retour à la procédure de licitation de droit commun ; la seconde, que je proposerai d'introduire par un amendement en séance publique, consistera pour le juge à décider que la procédure à la majorité absolue peut se poursuivre car aucune raison ne justifie de l'interrompre puisque personne n'est lésé.

Reste une dernière question : l'information des parties. Comment informer des propriétaires qui se trouveraient éventuellement à Montreuil ou à Paris, en Chine ou au Japon, aux États-Unis ou au Brésil ? Nous avons pris toutes les précautions pour que chacun soit informé par voie d'huissier sans dépendre de la seule communication faite sur place.

Si nous adoptons ce texte, qui n'est qu'un premier pas, ces dispositions juridiques dérogatoires pourront s'appliquer pendant dix ans ; en effet, j'ai donné suite à cette recommandation du ministère de la justice. Nous nous inscrivons dans une dynamique de reconquête du foncier pour sortir de l'insalubrité et éviter le désordre urbain actuel et, surtout, le blocage des relations familiales car, en l'espèce, les conflits intrafamiliaux sont à l'origine d'un phénomène qui touche l'ensemble des collectivités.

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La parole est à M. Guillaume Vuilletet pour le groupe La République en marche.

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Ce texte utile porte sur un sujet sensible. Je veux dire d'emblée que le groupe majoritaire s'y associera moyennant quelques réserves que je vais énoncer. Il répond en effet à une réalité incontournable dont l'analyse fait consensus et dont chacun comprend les conséquences : les problèmes de succession et d'indivision bloquent en moyenne 40 % du foncier en outre-mer. Cela pose de nombreux problèmes en matière d'aménagement, tout d'abord : comment reconstituer le tissu urbain et l'adapter aux nécessités du temps lorsque la moitié voire les trois quarts du foncier sont immobilisés, et lorsque le moindre coup de pioche est susceptible de provoquer un contentieux ?

Se posent également des difficultés d'ordre public, dans la mesure où les biens laissés en déshérence peuvent poser des problèmes de sécurité, mais également des troubles sociaux, lorsqu'il faut en déloger les résidents, ou encore des menaces sanitaires. C'est une réalité connue de tous, et qu'avait d'ailleurs mise en lumière le sénateur Thani Mohamed Soilihi dans son rapport de 2016 sur le foncier outre-mer.

Parler de la terre autour de laquelle se nouent des relations familiales complexes, c'est évoquer aussi le recours à la justice et une forme de violence qu'on ne doit pas manquer de prendre en compte lorsqu'on poursuit les trois objectifs de ce texte.

Il s'agit d'abord de clarifier et de pacifier des conflits familiaux qui perdurent depuis des générations, parfois du fait de la mauvaise volonté de certains mais souvent car les personnes concernées sont réellement démunies face à la situation.

Il s'agit ensuite de mettre fin aux désordres publics que j'ai évoqués : occupations illicites ou réseaux sanitaires hors d'usage, qui font que des quartiers entiers se nécrosent et se replient sur eux-mêmes faute d'aménagement et d'entretien, jusqu'à devenir sinon des zones de non-droit, du moins des zones en marge de la société.

Il s'agit enfin de faire droit au nécessaire aménagement du territoire. Or, lorsque 40 % d'un territoire est en quelque sorte « intouchable », il devient difficile d'aménager l'espace urbain. Le Gouvernement entend provoquer un choc d'offre en matière de logement – c'est le terme que vous avez repris dans votre exposé des motifs, et je le trouve particulièrement pertinent en l'occurrence : comment envisager en effet de loger correctement une population en constante évolution, lorsque près de la moitié d'un territoire est littéralement figée ?

Si nous approuvons entièrement ces objectifs, il nous semble que le texte qui les porte doit être opérationnel et solide. On peut parfaitement élaborer un texte qui contienne les dispositifs les plus sécurisés qui soient mais s'apercevoir au bout du compte qu'il ne fait rien bouger. Face à une réalité complexe, dans laquelle, par exemple, trois familles revendiquent le même terrain, au nom du droit ou de l'histoire familiale, ne s'en remettre qu'au droit tel que le dit la loi est voué à l'échec. Vous-même êtes conscient de ce risque, monsieur le rapporteur, puisque vous prenez la précaution de vous en tenir d'abord à une période de dix ans, afin de pouvoir ensuite évaluer la situation pour confirmer ou réorienter les dispositifs mis en place.

La loi doit non seulement être opérationnelle mais solide, en d'autres termes respecter la Constitution. Sans être paralysés par la peur du Conseil constitutionnel, nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de voter des textes de loi lorsque l'on sait aller dans le mur ! Lorsqu'il existe un doute, mieux vaut prendre des précautions, et c'est ce que nous entendons faire. En effet, les mesures que vous proposez peuvent apparaître potentiellement efficaces mais elles se heurtent au fait qu'elles tordent le bras à des indivisaires, qui sont donc potentiellement propriétaires. Or la propriété, c'est aussi le droit de ne rien faire. Contraindre des propriétaires nécessite donc que l'on puisse arguer d'un intérêt public évident.

Je ne méconnais pas l'article 73 et les adaptations qu'il permet pour l'outre-mer ; pour autant, si nous voulons produire une loi opérationnelle, la première des conditions est qu'elle survive à une éventuelle censure du Conseil constitutionnel.

Tout cela fait que nous voterons cette proposition de loi, à trois réserves près, que nous entendons voir lever d'ici à l'examen du texte en séance.

La première tient à la notion de partage. Nous considérons que le texte doit être précisé pour savoir à quel moment intervient ce partage. Dans la rédaction actuelle, il semble qu'il n'intervient qu'au moment où est prise la décision de vente ou de liquidation de la succession. Selon nous, il convient également de prendre en compte les situations dans lesquelles le bien doit être divisé, ce qui implique de considérer l'aspect constitutionnel du dispositif, sur lequel nous devons progresser d'ici l'examen en séance.

La deuxième tient à la personne susceptible de prendre l'initiative de la saisine du juge en cas de contestation de l'accord intervenu. Vous proposez que cette initiative revienne à celui qui contesterait l'accord. À l'inverse, nous considérons qu'elle peut échoir à la partie ayant demandé la dérogation au droit commun, dans le cas où cette dérogation serait contestée.

Notre troisième réserve enfin tient à la publicité, qui, en l'occurrence, n'a rien d'anecdotique. En effet, les indivisaires ne sont pas toujours identifiés, et il importe qu'ils aient le maximum de chances d'être prévenus d'un éventuel accord. Il nous paraît donc important de réfléchir à des moyens de mieux diffuser cette information afin que les droits des indivisaires soient défendus du mieux qu'il est possible.

En ce qui concerne les amendements déposés par Mme Maina Sage, nous entendons bien que parler de l'outre-mer en général revient à faire fi de la spécificité de chacun des territoires. Néanmoins, il ne nous paraît pas possible de les adopter en l'état actuel des choses, mais sans doute suivrons-nous en la matière l'avis du rapporteur.

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Je félicite en premier lieu M. Serge Letchimy de s'être emparé avec cette proposition de loi d'un problème récurrent dans tous les territoires ultramarins, même si chacun a ses spécificités et si les solutions à apporter en matière d'indivision sont différentes d'un territoire à l'autre.

Je souhaite ensuite expliquer ce qui a motivé mes amendements sur la Polynésie française. En 2004, la loi organique qui a révisé le statut de la Polynésie a prévu la création d'un tribunal foncier, ce qui montre bien à quel point l'indivision y est un problème majeur, avec toutes les conséquences que cela emporte : il n'y pas une famille en Polynésie qui ne soit concernée par l'indivision, qui se traduit souvent par des déchirements intrafamiliaux. Et si, dans l'Hexagone, le partage se fait le plus souvent à l'amiable, dans les territoires d'outre-mer et, en l'occurrence, en Polynésie, 90 % des successions – souvent ouvertes depuis plus d'un siècle – se règlent devant des magistrats. Il faut que vous en ayez conscience.

Je précise aussi que la justice est une compétence d'État et qu'il ne s'agit pas d'une justice polynésienne. Les juges sont les mêmes qu'ailleurs, les notaires, les avocats ont les mêmes diplômes, et cela fait plus de quinze ans que des centaines de spécialistes se sont penchés sur cette question de l'indivision.

Il a fallu dix ans pour que soit enfin créé, par voie d'amendement dans cette commission des Lois il y a trois ans, le tribunal foncier, grâce à mon prédécesseur M. Édouard Fritch, aujourd'hui président de la Polynésie française. Et je tiens à remercier Mme Colette Capdevielle, rapporteure du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, qui s'est battue pour défendre ce tribunal auprès de la majorité de l'époque.

Reste que ce tribunal ne sera pas pleinement efficace et ne répondra pas aux attentes des familles polynésiennes depuis plus d'un siècle tant que l'on n'aura pas adapté le code civil. Or le code civil, c'est un peu la Bible. Il est sacré au point qu'il est difficile de l'amender, mais c'est bien le rôle de la commission des Lois de veiller à ce qu'il soit utile, pratique et praticable sur l'ensemble du territoire de la République, dont font partie intégrante les outre-mer.

La réalité est qu'en matière d'indivision nous supportons les conséquences de la colonisation, qui a introduit en Polynésie française, en lieu et place de la pratique coutumière de gestion communautaire des biens, la notion de droit de propriété. Il faut se replacer dans le contexte de l'époque et imaginer ce qu'a signifié, il y a plus de deux siècles, de demander à chaque prétendant à la propriété d'une terre de se faire connaître, sur un territoire composé de 118 îles, éparpillées sur 5 millions de kilomètres carrés… Tout cela a abouti à des situations aujourd'hui catastrophiques.

Les amendements que je vous propose ont déjà été déposés il y a trois ans, avec celui proposant la création du tribunal foncier. À l'époque, ils ont été accueillis comme vous venez de le faire, monsieur Vuilletet, avec le même scepticisme quant à leur constitutionnalité. Nous avons donc examiné le problème. Mme Taubira, qui était alors garde des Sceaux, a engagé la parole de l'État et missionné la direction des affaires civiles et du Sceau en Polynésie. Cette mission s'est déroulée en septembre 2014 et, après quatre moins d'études, a débouché sur la mise en place d'un groupe de travail. Entre-temps, le président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Urvoas, s'était à son tour rendu en Polynésie, où il avait constaté de visu ce que signifiait la problématique foncière sur notre territoire, à savoir un désastre non seulement en termes d'aménagement du territoire, mais également de développement économique et social. En 2015, M. Urvoas rendait un premier rapport comportant un certain nombre de recommandations, et un nouveau groupe de travail était mis en place en 2016. Parallèlement, la délégation sénatoriale à l'outre-mer se penchait sur la question du foncier dans l'ensemble des territoires d'outre-mer et parvenait aux mêmes conclusions.

S'il faut regarder le droit, il faut aussi considérer son évolution et la jurisprudence. Ce qui vous est proposé aujourd'hui n'est en fin de compte qu'une régularisation des pratiques, telles qu'elles ressortent de 90 % des jugements en première instance, voire en cour d'appel, lesquels jugements ne sont pourtant pas toujours confirmés par la Cour de cassation. C'est la raison pour laquelle les juges polynésiens souhaitent qu'un certain nombre de principes soient intégrés dans le code civil, de manière à sécuriser les décisions prises en matière de partage.

Quels sont, en résumé, les trois objectifs majeurs des amendements que je défendrai tout à l'heure ?

Premièrement, il s'agit de faciliter ce que l'on appelle le partage par souche familiale. Je sais qu'une telle disposition serait révolutionnaire mais, en Polynésie française, ce partage est reconnu depuis des décennies par les tribunaux – tribunaux dont les juges sont nommés par l'État. De fait, il n'est pas possible de faire autrement lorsqu'une succession concerne 1 000 co-indivisaires.

Deuxièmement, je vous propose de reconnaître le droit de retour : en l'absence de descendants, le conjoint survivant conserve les droits que lui octroie le code civil, notamment en matière de logement, mais les biens dont a hérité le défunt sont dévolus aux frères et soeurs de celui-ci.

Le troisième principe est celui de l'attribution préférentielle. Lorsqu'une partie de la famille s'est installée sur les terres, on ne peut lui demander, un siècle plus tard, de quitter les lieux au prétexte qu'il faut diviser le bien de manière équitable. Ce principe, reconnu par la jurisprudence polynésienne, permet les sorties d'indivision.

Deux autres amendements portent sur l'option successorale et les omissions d'héritiers car, lorsque les co-indivisaires peuvent être au nombre de 1 000, il faut se prémunir contre un possible oubli de l'un d'entre eux.

En conclusion, je rappelle que la situation polynésienne a beaucoup nourri le rapport du Sénat. Je souhaite que vous preniez conscience que rendre la justice, dans ces territoires, qui ont leur histoire propre, n'est pas chose évidente. L'adaptation de notre code civil est donc nécessaire pour que tous les Français, y compris ceux d'outre-mer, bénéficient d'une justice équitable.

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Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre exposé ; vous avez montré combien en outre-mer, la réalité peut être différente, même si nous connaissons, ici aussi, notamment en Bretagne, des problématiques liées à l'indivision. Je pense en particulier à des friches côtières ou situées à proximité de fleuves pour lesquelles il existe parfois 200 ou 300 indivisaires à l'hectare, si bien que l'on ne sait plus très bien à qui appartiennent ces terrains et qu'il est parfois difficile de mettre en oeuvre des politiques de réhabilitation.

La situation que vous avez décrite contribue également au manque de logements dont souffrent les territoires ultramarins. En effet, qu'il s'agisse de logements intermédiaires ou de logements sociaux, d'achat ou de location, nos compatriotes sont nombreux, outre-mer, à éprouver les pires difficultés pour se loger décemment à des prix correspondant à leurs moyens et à leur situation familiale. Certes, les causes de ces difficultés sont multiples – je pense notamment au coût des matériaux de construction, plus élevé qu'en métropole en raison de l'existence de monopoles auxquels il est nécessaire de mettre fin. Mais la disponibilité du foncier est un autre obstacle majeur à la construction et au développement d'une offre plus importante. À cet égard, la proposition de loi comporte des dispositions très intéressantes qui permettraient de libérer le foncier tout en assurant de véritables garanties non seulement aux indivisaires, mais aussi aux conjoints, aux enfants majeurs ou incapables copropriétaires d'une parcelle ou d'un bien bâti.

Ce texte, fidèle à l'esprit de l'article 73 de notre Constitution, permet d'adapter la législation pour répondre à un problème particulièrement prégnant dans les territoires concernés. En effet, vous l'avez rappelé, en Martinique, la paralysie du foncier est de l'ordre de 40 % – et en Guadeloupe et à La Réunion, la situation n'est guère meilleure.

L'article 1er provoquerait un changement radical dont les effets pourraient être bénéfiques puisqu'il vise à autoriser, pour toute succession ouverte depuis plus de cinq ans, les indivisaires titulaires en pleine propriété d'au moins la moitié des droits indivis à procéder au partage du bien concerné. Cette possibilité serait cependant exclue – et cette protection me paraît importante – dans trois cas : si le conjoint survivant vit toujours sur place, si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs, et si l'un des indivisaires est incapable majeur. Compte tenu de la sécurité assurée par ces exceptions, et les blocages étant dus, dans la très grande majorité des cas, à une minorité d'indivisaires, nous sommes favorables à votre démarche.

Par ailleurs, l'application de l'article 1er serait limitée dans le temps, puisqu'il concernerait les projets de vente ou de partage notifiés avant le 31 décembre 2028, ce qui laisse largement le temps d'obtenir les résultats escomptés sans pour autant changer définitivement notre droit. Tout l'enjeu est de faire de cette « fenêtre temporaire » une respiration au service de la libération du foncier et de la construction.

Je ne m'attarderai pas sur l'article 2, qui tend à organiser les conditions d'opposition des indivisaires, ni sur les articles 3 et 4, qui ont trait à la possibilité de saisir le tribunal de grande instance, car nous y reviendrons ultérieurement

En conclusion, le groupe MODEM et apparentés estime que nous ferions oeuvre utile en adoptant ce texte. Nous le soutiendrons donc, en espérant pouvoir participer à sa coconstruction d'ici à son examen en séance publique.

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Je remercie notre collègue Serge Letchimy d'avoir pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, qui traite d'un problème essentiel dans l'ensemble des outre-mer, notamment insulaires. Bien entendu, je partage entièrement l'avis de M. Vuilletet. Néanmoins, je tiens à signaler une difficulté qui pourrait surgir à l'avenir. Je serai, en effet, très attentif à ce qu'il n'y ait pas de déconnexion entre la vente, qui semble à première vue ne pas poser problème, et la notion d'allotissement ou de partage, qui soulève davantage de questions d'ordre constitutionnel.

Outre-mer plus qu'ailleurs, car les territoires y sont exigus, le foncier est un domaine extrêmement sensible, pour des raisons familiales. Les indivisaires sont pénalisés parce qu'ils ne peuvent pas avoir de titre de propriété à leur nom, de sorte qu'ils ne peuvent pas contracter un prêt pour construire sur la parcelle qui pourrait leur revenir ni transmettre ce patrimoine à leurs enfants. On se retrouve ainsi face à des blocages fonciers et patrimoniaux, donc économiques, qui entravent le développement de nos territoires. Cependant, s'il est important de libérer du foncier pour construire des logements sociaux ou intermédiaires, cette préoccupation est, selon moi, seconde.

Il ne faut donc pas dénaturer la proposition de loi en séparant la notion de vente de celle de partage du bien indivis, pour régler le problème de l'indivision ultramarine. Mais j'ai toute confiance en notre Commission ainsi que dans les analyses des différents ministères, et je suis certain que nous pourrons, en séance publique, traiter la question de manière globale.

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Je tiens à saluer, au nom du groupe Nouvelle Gauche, le travail de M. Serge Letchimy. Nous ne disposons que d'une niche parlementaire par an, et notre groupe a beaucoup de solutions à proposer pour améliorer la situation de notre pays. Mais Serge Letchimy a su nous convaincre que la politique du foncier était une politique-mère – non seulement outre-mer, mais partout – et qu'il nous fallait prendre le problème à bras-le-corps et promouvoir des solutions innovantes et respectueuses à la fois de chaque partie et du commun. Le texte qu'il nous propose est remarquable à cet égard. Il a su trouver un chemin étroit pour respecter un juste équilibre entre le droit des personnes et l'intérêt général, et je tenais à l'en féliciter au nom de notre groupe. Nous nous acheminons vers un accord sur cette proposition de loi – ce sera le second aujourd'hui –, et nous ne pouvons que nous en réjouir. La gauche qui trouve des solutions équilibrées, au plus près du terrain, et qui sait les partager avec les autres, c'est la gauche qu'on aime.

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Je remercie notre collègue Vuilletet pour sa disponibilité et son écoute. Il a eu raison d'indiquer qu'il s'agissait d'un texte sensible, qui a trait à des réalités humaines très douloureuses puisque des personnes sont actuellement dépossédées de leur propre patrimoine. Cette situation est ainsi à l'origine de graves blocages, car ces personnes ne peuvent invoquer leur titre de propriété pour entreprendre une démarche auprès des banques. En outre, les familles sont presque systématiquement renvoyées devant le juge, ce qui relève, en effet, d'une forme de violence. De fait, le juge applique le droit et fait forcément des mécontents.

On a évoqué un choc d'offre ; je suis d'accord. Mais je n'ai pas souhaité que ce texte soit une réponse à un besoin purement immobilier. Ce serait s'inscrire dans une démarche spéculative, « capitalistique », dont le seul souci serait de débloquer des terrains pour y construire des logements. Les dispositifs de défiscalisation ont leur intérêt, mais ils peuvent aboutir à des situations que nous ne souhaitons pas, car les Martiniquais, les Guadeloupéens et les Polynésiens sont très attachés à leur terre. Ne laissons donc pas croire que ce texte a pour unique objectif de débloquer les choses pour permettre la construction d'immeubles de grand luxe avec vue sur la baie de Fort-de-France ou de Pointe-à-Pitre ! L'expression « choc d'offre » n'est juste que si elle inclut le partage et, sur ce point, je rejoins notre collègue Olivier Serva. Des raisons juridiques s'opposent-elles au partage ? Non.

Il faut que le dispositif soit solide : je souhaite rester dans le cadre constitutionnel. Pour autant, cela ne sert à rien d'être parlementaire si l'on n'est pas capable d'imaginer des solutions innovantes. Autrement, les Constitutions seraient mortes et les États-Unis n'auraient pas connu l'abolition de l'esclavage. Une Constitution est faite pour vivre. Si nous ne sommes pas capables de la faire vivre, cela n'a pas de sens. Je n'ai pas pris la parole ce matin sur ce point, mais vous imaginez bien qu'aucune liberté ne peut s'émanciper de son droit à l'initiative, de sa capacité à transcender. La Constitution doit aussi s'adapter.

Je le dis aussi clairement que je le pense : l'article 73 de la Constitution est très important. Appliquer de la même manière, avec une mécanique intellectuelle intégriste, une loi à Limoges et à Fort-de-France, sans possibilité de l'adapter aux réalités, est contraire au sens de l'Histoire ! Je crois d'ailleurs que le Président Emmanuel Macron est favorable à cette adaptation normative, y compris pour les régions qui se trouvent en Europe.

L'opérationnalité doit être de mise à deux niveaux : il faut que le Conseil constitutionnel ne censure pas le dispositif – mais si un texte est voté à l'unanimité, il est rare que le Conseil constitutionnel en soit saisi – et le dispositif doit être aussi efficace que possible. Afin de respecter le droit de propriété, nous donnons par exemple la possibilité à quelqu'un qui n'est pas d'accord, qui ne fait pas partie de la majorité absolue, de faire un recours devant le juge. Ce seul recours vaut-il blocage pour revenir au droit commun ? Ou donne-t-on la possibilité au juge de trancher ?

Nous allons travailler au cours des prochains jours sur l'initiative de la saisine du juge. En effet, il me semble qu'il serait curieux de demander aux personnes disposant des cinquante pour cent plus une voix d'effectuer ce recours, plutôt qu'à ceux qui s'opposent au projet. Je vais vous proposer une solution intermédiaire qui devrait satisfaire tout le monde

Madame Sage, je partage votre combat, mais certains points méritent d'être clarifiés. Lorsque l'on a la responsabilité d'un texte, il faut absolument que celui-ci soit transparent et clair. La Polynésie française n'édicte-t-elle pas les règles en matière de droits fonciers depuis la promulgation de la loi organique du 27 février 2004 ? Le rapport du Sénat m'a permis de découvrir – j'avoue que je ne le savais pas – que si l'indivision successorale est de la responsabilité de l'État, l'indivision conventionnelle serait, quant à elle, de la responsabilité du territoire. Si l'État dispose de la compétence, alors votre demande se justifie. Il serait intéressant que le ministère nous aide à clarifier ce point.

Il convient par ailleurs d'éviter l'écueil lié au fait que ce texte n'est pas codifié dans le code civil. Nous avons fait ce choix juridique du fait de sa limitation dans le temps. L'article 1er vise les collectivités de l'article 73 de la Constitution. Il faudrait donc, par le biais d'un amendement, rajouter la Polynésie française, ce qui sécuriserait le dispositif. Mais il faudra s'interroger sur la pertinence de vos amendements qui modifient le code civil, dans une proposition de loi qui ne le modifie pas. Je suis urbaniste, pas juriste. Il nous faut donc opérer quelques vérifications.

Je remercie M. Balanant pour ses propos et pour le soutien de son groupe.

Monsieur Serva, vous savez que nous partageons la même ligne concernant le partage et la vente.

Monsieur Potier, je vous remercie pour votre soutien.

Article 1er : Champ d'application de la proposition de loi

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL9, CL10, CL11 et CL12 du rapporteur.

Puis elle adopte l'article 1er modifié.

Article 2 : Procédure de notification de la décision de vente ou de partage

La Commission examine l'amendement CL13 du rapporteur.

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Il s'agit d'un amendement important. Le texte vise actuellement les indivisaires situés en France. Nous souhaitons supprimer cette mention car, si un indivisaire se trouve au Brésil ou aux États-Unis, il ne sera pas informé et le dispositif sera totalement vicié.

L'amendement CL 13 est adopté.

La Commission examine l'amendement CL14 du rapporteur.

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Cet amendement vise à lever toute ambiguïté sur la question de la notification et de l'information assurées à chacune des personnes.

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Cet amendement porte sur la publicité qui doit être faite autour de ces accords. Nous pensons que sa rédaction actuelle est insuffisante et qu'il faut aller plus loin. Nous souhaitons que le dispositif puisse être revu en séance et ne soutiendrons pas cet amendement.

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Nous pouvons travailler ensemble afin de trouver la formulation adéquate pour la séance publique.

L'amendement CL14 est retiré.

La Commission adopte ensuite l'amendement rédactionnel CL15 du rapporteur.

Puis elle examine l'amendement CL16 du rapporteur.

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Cet amendement corrige une erreur de référence.

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Nous nous abstiendrons sur cet amendement, même s'il est de pure forme, car il touche au problème du partage.

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M. Vuilletet est cohérent avec sa position initiale, mais il a tort sur le fond. Cet amendement permet de corriger un problème formel lié au partage. Comme nous sommes extrêmement favorables au partage, ainsi que d'autres collègues dans la salle, je maintiens mon amendement.

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J'ai l'impression qu'il y a une sorte de débat dans le débat, entre la notion d'allotissement – qui permet de répartir un bien qui pourrait être séparé en lots pour satisfaire les différents indivisaires – et la notion de partage, qui juridiquement s'adresse à la liquidation d'une succession. Il y a là une ambiguïté qui mériterait d'être retravaillée d'ici à la séance publique.

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L'allotissement fait partie des éléments opérationnels du partage. Je propose le maintien de mon amendement car, sinon, le dispositif exclurait près de 60 % des situations aujourd'hui bloquées. J'espère vous convaincre d'ici à la semaine prochaine.

L'amendement CL16 est adopté.

La Commission adopte ensuite l'amendement de précision CL17 du rapporteur.

Puis elle adopte l'article 2 modifié.

Article 3 Modalités d'opposition d'un indivisaire

La Commission adopte l'article 3 sans modification.

Article 4 : Modalités de remise aux indivisaires de la part leur revenant

La Commission adopte l'article 4 sans modification.

Après l'article 4

La Commission examine l'amendement CL4 de Mme Maina Sage.

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Monsieur le rapporteur, en réponse à vos interrogations sur la répartition des compétences, je vous renvoie à la loi du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. La collectivité a une compétence de principe dans tous les domaines, sauf, très précisément, ceux visés à l'article 14, qui relèvent de l'État. Quelques prérogatives relèvent par ailleurs des communes, sachant que celles-ci ne disposent pas de la clause générale de compétence.

Les successions sont clairement de la compétence de l'État. C'est la raison pour laquelle tous les spécialistes recommandent ces adaptations.

Par ailleurs, même si cette proposition de loi ne vise pas directement le code civil, cela n'empêche pas de le modifier. Beaucoup de textes votés dans cette assemblée – et dans cette commission – comportent des articles codifiés, d'autres non, voire modifient plusieurs codes.

Nous profitons simplement d'un véhicule qui correspond au sujet : l'important, c'est le titre de la loi, qui évoque l'indivision en outre-mer. Il est donc assez large pour porter des sujets relatifs à nos collectivités. Il pourrait s'agir de la Nouvelle-Calédonie ou d'autres territoires.

Notre choix de ne traiter que de la Polynésie française n'est pas dicté par des raisons juridiques. Nous avons fait ce choix parce nous savons que chaque territoire doit bénéficier de mesures adaptées. Ce qui est valable dans d'autres collectivités ou départements n'est pas forcément valable pour notre territoire.

Premièrement, ce texte est adapté aux amendements que je présente. Deuxièmement, nous sommes bien dans le domaine des compétences d'État. Troisièmement, nous avons des raisons de ne pas avoir cherché à amender l'article 1er. La question s'est posée. Sur les points évoqués dans cet article 1er, il y a un partage de compétences. Un gros volet du code civil, qui comporte notamment tout ce qui touche à l'organisation judiciaire, relève de la Polynésie. L'État est compétent pour exercer la justice mais c'est la Polynésie qui établit une partie du code de l'organisation judiciaire. Le code de procédure civile est essentiellement une compétence polynésienne et c'est pourquoi nous devons examiner ces sujets avec soin.

Je comprends les interrogations qui touchent à ces domaines de compétence mais je peux vous assurer que les nombreux travaux, menés au cours des dix dernières années, conduisent aux mêmes conclusions. Tous les experts du domaine se sont exprimés ; des rapports ont été élaborés par notre commission des Lois en 2015 et par la délégation sénatoriale en 2016 ; des rapports ont été commandités par les deux derniers gardes des Sceaux – Mme Christine Taubira et M. Jean-Jacques Urvoas. Tous parviennent aux mêmes conclusions. Je voudrais vous en faire prendre conscience.

Je peux comprendre que vous ayez besoin d'un délai pour y réfléchir, pour regarder encore cela de près. Même pour nous, il n'est pas évident d'utiliser la voie d'une proposition de loi. Après le débat de ce matin, je profite de la présence de mon collègue Dominique Potier pour dire qu'il n'est pas évident de traiter en un mois – particulièrement en décembre – un texte aussi consistant. Je voudrais que nos collègues en tiennent compte comme je le fais pour mes amendements. Il ne faudrait pas que ceux-ci soient systématiquement rejetés après une analyse superficielle. Regardez tous les travaux et la jurisprudence de ces trente dernières années, qui m'ont guidée pour la rédaction de ces propositions.

L'amendement CL4 porte sur le droit de retour. Après les réformes de 2001 et 2006 sur les successions, la famille nucléaire – le ménage et les enfants – a été privilégiée par rapport au lignage. Replaçons cette réforme dans le contexte local. En Polynésie française, certaines successions sont ouvertes depuis plus d'un siècle et impliquent des centaines de co-indivisaires, ce qui est la norme, voire parfois un millier. Tout ce qui relève de l'héritage familial peut être très mal vécu lorsqu'il n'y a pas de descendance et que le patrimoine revient au conjoint survivant, ce qui revient à transférer le droit de propriété à une autre famille.

En ces matières, vous devez tenir compte d'un aspect culturel : l'attachement particulier des Polynésiens à leur espace terrestre et maritime. Dans la société traditionnelle polynésienne, il n'y a pas de frontières. Les Polynésiens s'approprient globalement un espace qui comporte 99 % d'eau pour 1 % de terre, et qui représente une surface grande comme l'Europe. Dans ces conditions, ce qui est octroyé en termes de gestion de surface à une famille, à une communauté, intègre aussi l'espace maritime. À ceux qui sont passionnés par la thématique du droit de propriété et du droit foncier, j'indique qu'il y a en Polynésie française des exceptions tout à fait remarquables. Dans certaines îles, il y a une appropriation de l'espace lagonaire et cela fait partie des rares exceptions acceptées au sein de la République.

L'attachement que peut avoir une famille à son territoire terrestre ou maritime a une portée réelle mais qui est peu perceptible à 20 000 kilomètres de là. Je vais vous donner un autre exemple pour que vous preniez conscience de l'importance et de la constance de cet attachement. À sa naissance, le placenta de chaque enfant polynésien est enterré. À cet endroit, on plante un arbre avec lequel il aura un lien fort et qui représentera en quelque sorte un message pour sa vie. On choisit l'arbre en fonction de la personnalité de l'enfant. C'est pourquoi il est si important de relier les habitants à cet espace.

Le droit de retour n'est donc pas une régression au détriment du conjoint survivant. Ce n'est pas du tout notre manière de le voir. Il s'agit de préserver cette transmission et ce lien culturel très fort dans une famille, son attachement à sa terre.

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Le code civil relève de l'État tandis que le code de procédure civile est de la compétence de la Polynésie française. Ainsi, ce texte peut et doit concerner la Polynésie française. Si nous voulons être cohérents, nous devons donc modifier l'article 1er à moins que l'on nous confirme que l'on peut intégrer ces amendements sans conséquence sur le code civil. C'est pourquoi j'aimerais avoir des précisions et des explications juridiques avant de donner un avis favorable à ces amendements.

Cet amendement déroge au code civil. Il propose que, en l'absence de descendants, les biens en indivision avec un tiers à la succession soient dévolus en totalité aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants. Je ne remets pas en cause l'attachement à la terre et à la tradition mais j'essaie de mesurer les conséquences de cette disposition pour le conjoint du défunt qui, de fait, pourrait se trouver déshérité. Les frères et soeurs du défunt recevraient en effet 100 % des biens et non plus 50 % comme à présent ; il ne resterait plus rien pour l'épouse ou l'époux en termes d'héritage si la communauté était dépourvue de biens.

Je propose que vous retiriez cet amendement en attendant une analyse technique approfondie. Imaginons le cas d'une personne très pauvre qui perd son conjoint qui possédait des biens hérités. Du jour au lendemain, elle va être totalement dépossédée au profit des frères et soeurs du défunt. Il peut s'agir, par exemple, d'une femme qui vivait depuis quarante ou cinquante ans dans une maison appartenant à son mari. Même si je suis favorable à l'adaptation des textes à la culture locale, je pense que, dans le cas présent, il faudrait trouver une formule car il me semble que l'amendement aurait des conséquences importantes.

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Je suis d'accord avec le rapporteur. Dans la liasse que nous examinons, un amendement non défendu visait à étendre les droits des pacsés et des concubins. Avec le présent amendement, rendez-vous compte du coup de volant que l'on donnerait dans l'autre sens ! Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, la dimension sociale, humaine et culturelle est fondamentale dans ce genre de débat. Néanmoins, il me semble que nous n'avons pas les moyens d'approuver, en l'état, les dispositions proposées. J'ai bien compris que c'était aussi un moyen de travailler sur ces questions

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Je suis tout à fait disposée à approfondir le sujet et à retirer mon amendement en attendant la séance publique. Cela étant, j'aimerais apporter une précision : la disposition ne concerne que les biens hérités et pas les biens accumulés pendant le mariage. En outre, elle ne déroge pas aux dispositions de protection du conjoint survivant. Ce dernier conserve évidemment une protection en ce qui concerne sa résidence principale et tous les biens acquis par les deux époux pendant la durée du mariage.

L'amendement est retiré.

La Commission examine l'amendement CL8 de Mme Maina Sage.

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Vous aurez compris que ces amendements nous permettent d'amorcer un débat qui va se poursuivre. Nous étions en train de préparer la prochaine réforme de la justice lorsque cette proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour : nous y avons vu une première occasion de discuter de ces sujets. Si nous pouvons avancer sans attendre ce serait évidemment bienvenu sachant que le tribunal foncier va se mettre en place en Polynésie française dès cette année. Toutefois, si cela est nécessaire, nous pourrons revenir ultérieurement sur ces questions à l'occasion de l'examen d'autres textes.

En application de l'article 780 du code civil, l'option successorale doit s'exercer dans un délai de dix ans à compter de l'ouverture de la succession. Le délai de prescription a été réduit de trente à dix ans par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Nous estimons que ce délai est beaucoup trop court pour la Polynésie française où il est particulièrement difficile de repérer la totalité des co-indivisaires, dont les droits doivent être protégés. Sur ce territoire, nous souhaitons revenir au délai d'option de trente ans.

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Si certains amendements peuvent faire l'objet d'une discussion et être retravaillés, d'autres ne sont tout simplement pas acceptables car ils vont strictement à l'encontre de la proposition de loi. Si cet amendement n'est pas retiré, je devrais émettre un avis défavorable.

L'amendement est retiré.

La Commission est saisie de l'amendement CL5 de Mme Maina Sage.

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Avec le partage par souche, nous sommes au coeur du dispositif. Cette mesure est particulièrement attendue. J'ai conscience que, vu le droit commun, ce dispositif est révolutionnaire, mais nous recherchons uniquement l'efficacité. Lorsque des centaines de co-indivisaires sont difficilement identifiables, nous rejoignons la position du rapporteur, afin qu'une majorité des membres d'une souche se mette d'accord pour être représentée au tribunal.

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Je propose que vous retiriez l'amendement afin que nous puissions travailler ensemble sur ce sujet particulièrement complexe.

L'amendement est retiré.

La Commission examine l'amendement CL7 de Mme Maina Sage.

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Il s'agit en grande partie de régulariser une pratique existante en matière d'attribution préférentielle en Polynésie française. Les juges cherchent toujours à privilégier les co-indivisaires qui vivent sur une terre, qui l'entretiennent et qui la valorisent. Nous souhaitons officialiser la possibilité d'une attribution préférentielle lorsque le demandeur réside sur une propriété par une possession paisible, c'est-à-dire sans contestation « depuis un délai de dix ans antérieurement à l'introduction de la demande en partage judiciaire. »

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Personnellement, si je pouvais voter en faveur de l'amendement, je le ferais, mais je crois que nous devons rester dans le même esprit dans les jours qui viennent, et je demande son retrait.

Je note que le délai de dix ans semble bref alors que la prescription acquisitive est fixée à trente ans. Il s'agirait d'un régime hyperdérogatoire.

L'amendement est retiré.

La Commission en vient à l'amendement CL6 de Mme Maina Sage.

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L'amendement vise à préserver les droits de l'héritier omis tout en empêchant la remise en question d'un partage qui a pu donner lieu à des années de procédures et à des coûts élevés.

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Je demande le retrait de l'amendement, car, en l'état, il semble qu'il pénalise l'héritier omis. Nous chercherons une bonne rédaction d'ici à la séance.

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Madame Sage, votre démarche est cohérente, mais vous nous avez aussi montré que ce type de décision peut avoir une grande importance pour chacun des indivisaires. Nous devons trouver une formule plus équilibrée dans les jours qui viennent.

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Je retire aussi cet amendement, mais je compte bien que nous puissions les retravailler – je vous remercie de votre proposition en ce sens, monsieur le rapporteur. Même si j'ai indiqué qu'il s'agissait en quelque sorte, à ce stade, d'amendements d'appel, les mesures en question sont très attendues, et cela depuis plusieurs années. Les quatre derniers grands rapports parus sur l'outre-mer les ont d'ailleurs mises en avant.

Certains sujets que ces amendements ne traitent pas relèvent de la compétence du pays. Nous aurions aussi pu faire le choix d'introduire ces dispositifs dans un autre texte. Il reste que nous souhaitons que les solutions proposées dans les textes relatifs à l'outre-mer puissent être favorables à tout l'outre-mer.

L'amendement est retiré.

Titre

La Commission est saisie de l'amendement CL18 du rapporteur.

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Je l'ai dit : je ne souhaite pas que ce texte apparaisse comme favorisant une livraison de terrains dans une perspective purement immobilière. Ce ne serait pas cohérent avec mon propos ni avec ce que je souhaite en matière de sécurité, d'hygiène, de dynamique urbaine, de passage par le juge, ou de résolution des situations intolérables de désordre, particulièrement de désordre familial. Je propose en conséquence de supprimer les mots « et à relancer la politique du logement en outre-mer » du titre du texte qui deviendrait une proposition de loi « visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale ». Cela me paraît plus cohérent.

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Les députés du groupe La République en Marche ne sont pas d'accord avec l'amendement. Il me coûte, en tant que républicain et ancien collaborateur de Jean-Pierre Chevènement, d'être « plus royaliste que le roi » ! Cependant, je crois qu'il faut préserver l'équilibre qui transparaît dans le titre d'origine. En adoptant ce texte, nous oeuvrons au nom de l'intérêt général, à la fois dans ses dimensions sécuritaires, sociales et sanitaires, mais aussi en termes de logement. En effet, la situation actuelle immobilise une grande partie du foncier. Il ne s'agit pas de le mettre à la disposition des spéculateurs, mais de permettre aux collectivités de réinvestir dans l'aménagement de leur propre territoire.

La Commission rejette l'amendement.

Elle adopte ensuite l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

La réunion s'achève à 16 heures 10.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Éric Coquerel, Mme Typhanie Degois, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Paula Forteza, M. Dimitri Houbron, M. Guillaume Larrivé, M. Serge Letchimy, Mme Alexandra Louis, Mme Naïma Moutchou, M. Jean-Pierre Pont, M. Dominique Potier, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage, M. Jean Terlier, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-Michel Clément, Mme Coralie Dubost, M. Philippe Dunoyer, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, M. Philippe Latombe, M. Fabien Matras, M. Stéphane Peu, M. Robin Reda, M. François de Rugy

Assistait également à la réunion. - M. Olivier Serva