La séance est ouverte à neuf heures dix.
Je suis ravi d'ouvrir cette première audition. Nous recevons le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNM) représenté par M. Daniel Chateigner, professeur des universités, et Mme le docteur Liliane Reveillac, médecin hospitalier ainsi que le Collectif national vigilance méthanisation représenté par M. Freddy Garcia, M. Sébastien Almagro et Mme Anne Danjou. À l'occasion de cette audition, pourrez-vous nous expliquer la différence entre ces deux collectifs ?
Au cours des différentes auditions sur la filière du gaz, la méthanisation a été présentée comme la solution permettant au gaz de passer de la catégorie des énergies fossiles – le gaz naturel importé – à celle des énergies renouvelables – le biogaz produit en France – tout en offrant aux agriculteurs une source complémentaire de revenus. Plusieurs interrogations sur l'impact environnemental de la méthanisation sont apparues au fil de ces auditions, notamment celles portant sur la qualité des intrants, leur disponibilité, la concurrence éventuelle au détriment par exemple des surfaces destinées aux cultures alimentaires ou encore celles portant sur la prévention des nuisances qu'il s'agisse de la qualité de l'air, de l'eau ou des sols.
Nous allons vous donner la parole pour une vingtaine de minutes. Ensuite, les membres de la commission d'enquête, et notamment notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert, vous interrogeront. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais demander aux personnes qui comptent s'exprimer de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».
(MM. Chateigner, Garcia, Almagro et Mmes Reveillac et Danjou prêtent successivement serment.)
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer devant la commission d'enquête parlementaire. Il y a deux raisons aux dérives de la méthanisation que nous voyons partout en France. D'une part, les unités de méthanisation sont en autosurveillance et peuvent ne faire l'objet d'aucun contrôle pendant des années. D'autre part, les services de l'État – directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), directions départementales de la protection des populations (DDPP) et autres – ferment les yeux au prétexte que – selon ce que nous a dit un ancien sous-préfet – « la méthanisation, c'est la politique de la France, il va falloir vous habituer ». En cas d'appel au secours des populations, les services de l'État, dont ce serait la responsabilité, ne se sentent pas concernés.
Un exemple valable pour toute la France et relatif à Valdis à Issé en Loire-Atlantique : monsieur le maire fait part de sa déception concernant la méthanisation qui, lui avait-on dit, ne devait pas engendrer de nuisances olfactives. Devant l'absence d'installation du bio filtre prévue dans l'arrêté, Mme Fadda, inspectrice des installations classées, rappelle que ces prescriptions incombent en priorité à l'exploitant, notamment au titre de l'autosurveillance. Le sous-préfet indique que l'autosurveillance est la règle générale en matière d'installation classée et qu'elle n'a pas à être assurée par les services de l'État. On aurait été en droit de s'attendre à une réaction indignée de l'inspectrice et du sous-préfet : c'est en effet le bio filtre qui manque à l'appel. Or, pas du tout ! C'est un exemple, et nous en avons des dizaines. De nombreuses unités de méthanisation ne respectent donc ni leur arrêté d'autorisation, ni l'article L. 511.1 du code de l'environnement censé protéger les populations et l'environnement. Ils savent qu'ils n'auront pas de sanction.
À Soudan, en Loire-Atlantique, vingt-trois veaux sont morts dans les 48 heures suivant leur naissance. Le forage d'eau potable, à 47 mètres de profondeur, est contaminé par des coliformes, bactéries d'origine fécale qui passent dans le lait. En cause, un méthaniseur, ses jus et ses fosses. Les analyses de 2018, suite à la mort des veaux, présentaient un taux de coliformes inférieure à un. Un an après, en juin 2019, il y a quelques jours, malgré tous les travaux effectués en surface pour mettre fin à la pollution, les coliformes sont à huit. La nappe profonde est contaminée.
Depuis 2017, les trois moteurs de cogénération de Valdis à Issé, Loire-Atlantique, dégazent plus de NOx et la torchère plus de CO2 qu'il n'est autorisé. Dans les deux cas, il n'y a pas de réaction de la DDPP sauf suite à l'intervention des associations.
Méta-Bio-Énergie pollue l'air de Combrée, Maine-et-Loire, depuis neuf ans. Qui le supporterait ? Le maire et la DREAL sont aux abonnés absents. Énième courriel de la présidente de l'Association des riverains de la forêt d'Ombrée et de ses environs (ARFOE) ce week-end de la Pentecôte, qui signale, une fois de plus, des nuisances olfactives et sonores récurrentes, une odeur d'œuf pourri, sulfure d'hydrogène (H2S), mais aussi des odeurs de gaz qui irritent les voies respiratoires.
« La méthanisation un cercle vertueux », nous annoncent les agences de l'État. Concernant les intrants, il y a toutes sortes d'abus. Entre ceux qui viennent de l'Allier ou du Haut-Rhin – 1 700 kilomètres aller-retour – de Rungis – 600 kilomètres aller-retour – ou les hectares de maïs irrigués qui finissent dans un méthaniseur en pleine période de sécheresse.
Autre exemple de dérive, les digestats, dont les agences de l'État et les sociétés de conseil disent et écrivent qu'ils ne sentent rien, qu'ils sont inertes et stables, sans gaz, alors que partout en France du nord au sud, de l'est à l'ouest, les populations voisines de méthaniseur, zones de stockage, zones d'épandage s'en plaignent fortement mais ne sont jamais entendus. Dans certaines unités, les déchets ne restent que trente à quarante jours dans le méthaniseur quand d'autres unités les laissent jusqu'à 14 jours. Le digestat n'est pas mature à 50 jours : il est encore chargé en gaz. Si l'on veut protéger les populations et l'environnement, il faut imposer une durée de séjour des déchets longue et obligatoire pour tous les méthaniseurs. C'est une mesure de santé publique. La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Il existe un nouveau type de preneurs d'otages dont on commence à voir les effets : les méthaniseurs. Les riverains des unités de méthanisation ne sont plus libres de partir vivre ailleurs simplement parce qu'ils ne peuvent plus vendre leur maison. Pour faire cesser ces situations, il faut imposer de grandes distances d'éloignement des habitations riveraines et des sanctions financières exemplaires à tous ceux qui enfreignent leur arrêté d'autorisation et ne respectent pas le code de l'environnement. Pollution de l'eau, de l'air, des terres nourricières : lorsque ces situations sont récurrentes, des fermetures de sites s'imposeraient. Des lois ou des décrets doivent aller dans ce sens pour permettre au gouvernement de prendre des mesures et d'exiger des préfets leur application.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés je suis président de l'association Gouy Quiétude à Gouy-sous-Bellonne dans le Pas-de-Calais situé entre Douai et Arras et représentant nord-est pour le collectif national vigilance méthanisation.
Les projets de méthanisation sont avant tout des projets de territoire, qui soulèvent des interrogations légitimes et pour lesquels la population ne peut être exclue. Or, par ses choix et l'allégement des contraintes pour libérer les énergies d'entreprenariat et pour favoriser l'émergence de la filière méthanisation, le législateur a créé un déséquilibre notoire entre les professionnels et les résidents. Aussi, la méthanisation ne peut pas tirer sa légitimité de lois et décrets favorisant des intérêts financiers au détriment des populations riveraines et au risque de voir émerger de plus en plus de crispation, de rancœur, voire une défiance indéfectible des populations. La méthanisation ne peut pas se résoudre par une simple question d'acceptabilité. Elle doit obligatoirement se faire par une intégration et une acceptation sociale. Mais comment parler d'acceptation sociale quand le monde agricole lui-même est divisé sur l'avenir de la profession et de ses inégalités, lorsque les projets sont de plus en plus cachés et imposés contre l'avis de la population, parfois contre l'avis des maires et des communautés de communes, lorsque ces usines s'installent à 50 mètres des habitations et des édifices publics comme les écoles, sur des zones karstiques et aquifères comme les nappes phréatiques, à 35 mètres des zones de captage d'eau potable et des cours d'eau allant jusqu'à 100 tonnes de déchets par jour avant que les enquêtes publiques et les études d'impact de sol ne surviennent ? Il est encore plus difficile de comprendre par exemple l'implantation de trois méthaniseurs au kilomètre carré, comme cela se passe dans certaines régions, sous couvert des lois et décrets dont usent les porteurs.
Les sujets sont nombreux et impactent la vie quotidienne de nos concitoyens de manière significative. Je pense aux nuisances olfactives par l'exploitation et le stockage des déchets et du digestat, aux trafics routiers avec les contraintes et les dégradations liées et le coût de réparation supporté par la collectivité puisqu'aucune taxe n'est perçue, à la préservation du cadre de vie et du respect de la propriété, à la préservation des ressources en eau potable et des cours d'eau en général, au devoir de protection et de précaution pour la santé publique, à la biodiversité de nos régions, à la protection des cultures nourricières humaines et animales, au développement futur de ces unités et aux conséquences mais aussi au devoir de sécurité avec le risque d'accident volontaire ou involontaire. À ce sujet la base de données « Analyse, recherche et information sur les accidents » (ARIA) du Bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (BARPI), bien qu'incomplète, recense de plus en plus d'accidents d'explosion et de pollution dues à la méthanisation et ce dans des proportions inquiétantes, avec un pic plus soutenu ces deux dernières années. En Lot-et-Garonne, un cordon de protection d'un rayon de deux kilomètres contre le risque d'explosion et le risque d'intoxication par les émanations de gaz a été mis en place pendant une semaine. Cela témoigne aussi de l'exposition des services de sécurité, de nouvelles situations difficiles et d'une mauvaise prise en considération de l'évaluation des risques réels.
Nous suggérons de redonner plus de clarté, d'information et de sécurité aux populations. Il est temps de repenser notre système de manière plus démocratique et participative. Ce n'est pas contre la population, mais avec elle, que la transition énergétique se fera.
Monsieur le président madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous le savons tous : le réchauffement climatique est là et nous devons l'enrayer. Tout récemment, un article paru dans Le Monde soulignait un accroissement du taux de méthane dans notre atmosphère qui battrait un record vieux de 800 000 ans, et cela au cours de la dernière décennie.
À une époque où le taux de méthane ne fait que s'accroître dans l'atmosphère, est-il bien raisonnable d'aller produire du méthane avec des bactéries qui ont été potentiellement modifiées et qui vont être produites à des échelles encore jamais atteintes sur le territoire ? Ensuite, il faut bien comprendre que le méthane est un gaz à fort effet de serre, environ vingt-cinq fois plus impactant que le dioxyde de carbone. Méthane et dioxyde de carbone sont des molécules volatiles et génèrent donc un carbone qui se retrouve dans l'atmosphère. Alors, est-il bien judicieux de risquer d'augmenter ce taux de carbone, soit en produisant du méthane, soit en consommant ce méthane qui au final était du carbone qui avait été fixé par la nature ? Actuellement, on s'aperçoit que les puits de carbone de notre environnement, l'océan, les forêts et les sols semblent tomber en panne et c'est une des explications qui est avancée dans l'article du Monde et dans d'autres articles scientifiques. Est-il alors judicieux de continuer à mettre du carbone dans l'atmosphère alors que nous avons la possibilité de le laisser fixé par la nature ?
Concernant l'aspect agro-industriel de la méthanisation, on peut tout d'abord se questionner sur la pertinence de l'utilisation des fonds publics. Les projets sont fortement subventionnés par l'État et des collectivités territoriales, à hauteur de 15 % à 20 %, et sans contrepartie du type actionnariat par exemple. De plus, les exonérations de taxes sur le foncier bâti et non-bâti, de contribution foncière des entreprises, etc., ne sont pas payées par ces exploitations de type agricole. Par ailleurs, les collectivités locales, le plus souvent, ont des portefeuilles relativement minces et doivent s'occuper par exemple de l'entretien des voiries. Un méthaniseur agricole génère le passage de 13 000 camions par an. Pour les subventions, c'est 1,7 million d'euros de subvention pour 2,5 emplois créés. Quelle est la retombée locale d'une telle industrie sachant que la plupart des communes ne sont pas connectées au réseau de gaz car trop petites ? L'argent qui gravite autour de la méthanisation semble attirer des convoitises et cela a été souligné le 13 mars dernier dans un article du Canard enchaîné.
On peut également s'interroger sur la violence que représente l'installation de tels projets à l'égard des riverains. 13 000 camions par an, ce n'est pas La petite maison dans la prairie ! Ce n'est pas une petite ferme !
La question des services de l'État se pose aussi. La DREAL du Grand Est, via un organisme tiers, et cela a été constaté par huissier, promeut des stratégies d'isolement des opposants.
À une époque où nous avons besoin de plus de démocratie et de moins de carbone dans l'air, ne faudrait-il pas repenser la place de la méthanisation dans notre monde actuel, c'est-à-dire celui XXIe siècle ?
Je suis médecin, j'habite dans le Lot et je m'occupe de méthanisation depuis que je me suis rendu compte, il y a deux ans et demi, que celle-ci était néfaste à l'eau potable. Notre département est alimenté en eau potable uniquement par de l'eau souterraine. Ce sont des zones à préserver pour le futur mais qui sont déjà polluées par les lisiers et donc les digestats liquides vont venir augmenter les possibilités de pollution. Tout à l'heure, vous disiez que les coliformes étaient à 8 par milligramme chez vous : indépendamment du digestat, chez nous, ils sont au-dessus de 100. Toutes les eaux sont contaminées, y compris par des parasites, des bactéries et des virus. Donc nous avons ce gros problème. Les risques sanitaires sont majeurs pour les habitants et pour les animaux puisque les agriculteurs doivent donner de l'eau potable à leurs animaux. Or une vache boit jusqu'à 100 litres par jour. Quand vous avez une ferme de 800 vaches, vous imaginez bien ce que cela représente en eau potable. Une vache pollue autant que dix habitants.
Une vache pollue autant que dix habitants. Cela veut dire que 800 vaches, cela fait 8 000 « équivalents habitants ». Donc, pour cette ferme, il faudrait une station d'épuration pour 8 000 équivalents habitants. Malheureusement, dans des villages de 100 habitants, il n'y a pas de station d'épuration. Donc, il y a obligatoirement de la pollution. Je pense que ce risque sanitaire existe ailleurs qu'en milieu karstique. Il existe dans toute la France, car il est lié à la méthanisation et parce que les sols peuvent épurer mais pas n'importe comment. Il existe des méthaniseurs vertueux, comme celui d'Évian qui filtre même l'eau de pluie afin d'assurer une non-pollution complète de la source. Mais la goutte d'eau qui tombe sur le pluviome d'Évian met quinze ans pour arriver à la source, alors que chez nous elle met deux heures. C'est-à-dire que la pollution met deux heures pour arriver au captage. Donc la pollution est globale et on multiplie les surfaces avec les digestats.
Nous avons recensé aujourd'hui environ 50 000 signatures de pétitions sur le territoire français. Cela nous fait un réservoir d'environ 100 000 personnes mécontentes qui sont impactées directement par les méthaniseurs. Le CSNM et le CNVM sont favorables à un mix énergétique qui intègre aussi la méthanisation. Nous ne sommes pas contre la méthanisation : elle a toute sa place, mais rien que sa place.
Concernant l'aspect agronomique, il faut souligner la non-utilisation du carbone organique du sol comme un carburant. Le jour où nous commencerons à utiliser le carbone organique du sol comme carburant nous appauvrirons les sols et c'est ce qui est en train d'être fait lorsque l'on pousse la méthanisation. Appauvrir le sol, c'est enrichir son infertilité, c'est le rendre infertile. Et rendre infertile un sol, c'est perdre la souveraineté alimentaire d'un territoire. Et aujourd'hui, nous allons dans ce sens. En plus de l'agriculture intensive qui est néfaste pour les sols, on rajoute de la méthanisation qui continue de pomper du carbone organique au sol. C'est ce qui est le plus dérangeant car nous allons tout droit vers un appauvrissement catastrophique du sol. Nous ne pourrons pas respecter la limitation à 4 ‰ de l'augmentation de la matière organique dans le sol, qui avait pourtant été signée par le ministère sous M. Le Foll.
Si nous allons à l'encontre de cela, nous perdrons notre souveraineté alimentaire pour un gain énergétique modeste. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) nous indique que la méthanisation a réalisé 25 % de l'objectif d'il y a cinq ans. C'est-à-dire qu'on annonçait il y a cinq ans une efficacité quatre fois supérieure à ce que l'on constate sur le terrain avec les meilleurs méthaniseur. Appauvrir l'alimentation du territoire pour gagner en énergie de manière très modeste est donc quelque chose qui doit nous interpeller tous et qui doit nous refaire voir la nouvelle PPE.
Dans cette PPE, nous avons quelques hypothèses de base de calcul qui impose de prendre uniquement en considération la conversion du charbon ou des énergies fossiles sans prendre en compte le reste de la méthanisation. On peut assez facilement imaginer que l'ensemble des méthanisations, telle qu'elle est prévue dans les scénarii de la PPE, va conduire à l'occupation d'environ six départements français couverts d'agriculture uniquement pour méthaniser. Tout cela pour 7 % à 10 % de remplacement du gaz naturel fossile ! Si vous voulez remplacer totalement le gaz naturel fossile en 2050, il va vous falloir 60 départements. C'est impossible. Ce constat réalisé il y a huit mois par les scientifiques du CSNM n'a pas été contredit pour l'instant.
Concernant les odeurs, les nuisances et les pollutions, les riverains, représentés par le CNVM, sont souvent contredits. Or, il y a beaucoup de riverains qui sont capables de comprendre que lorsqu'on commence à sentir des odeurs d'œuf pourri c'est qu'il y a du H2S et que c'est dangereux. Donc, légitimement, l'ensemble des populations s'inquiète.
La biodiversité des sols va aussi être impactée par la méthanisation et aucune mesure de cette biodiversité n'apparaît dans les 670 projets que nous avons pu analyser.
Il faut investir 1,2 million d'euros pour créer deux emplois directs. Sur ces 670 méthaniseurs, nous avons estimé entre 500 000 et 1 million d'euros la dépense par emploi direct créé. Ce n'est pas avec cela que l'on va résorber le chômage ! On n'aura pas les sous.
Je pense qu'il faut aller vers un système où l'on aura naturellement beaucoup plus de contrôles – des contrôles indépendants et non pas des autocontrôles puisqu'aujourd'hui la plupart des incidents découverts le sont par les riverains et non par les instances qui nous surveillent.
Si je résume vos propos, plusieurs critiques peuvent être faites. Premièrement, en extrayant du carbone du sol, on appauvrit et on émet du méthane dans l'atmosphère ce qui contribue au réchauffement climatique puisque le méthane a un impact 25 fois supérieur à celui du CO2.
Quand on produit du méthane, il peut y avoir des fuites sur le méthaniseur, et la présence d'hydrogène sulfuré dévore l'inox. Un méthaniseur s'use très vite. S'il y a 1 % de fuite dans un méthaniseur, cela équivaut à 25 % du dioxyde de carbone qui aurait été produit. À 4 % de fuite, vous perdez tout le bénéfice environnemental du méthaniseur. D'autre part, l'apport, notamment au niveau des digestats, d'un grand nombre de bactéries méthanogènes va peut-être contaminer les sols avec des bactéries qui vont produire encore plus de méthane qui augmentera dans l'atmosphère. Enfin, des véhicules qui circuleraient au biogaz, vont produire du méthane en le brûlant.
Il y a eu deux accidents récents en France, découverts par des riverains. L'origine des fuites peut être diverse.
Concernant les autres points que vous avez développés, j'ai retenu le non-respect des procédures environnementales avec un risque de pollution de l'eau. Pouvez-vous nous expliquer le lien entre la vache et la station de méthanisation ? Je n'ai pas compris si vous combattiez la présence de vaches en France ou pas ?
Un exemple : là où vous mettez 8 000 humains, vous allez mettre une station d'épuration. Là où vous allez mettre 800 vaches, vous n'en mettrez pas mais vous allez, au niveau du méthaniseur, concentrer de grandes quantités de matière stercoraires. Or, vous n'aurez pas forcément de mécanismes, comme à Évian, pour filtrer l'eau et limiter le risque de pollution accru des nappes phréatiques.
En suivant votre raisonnement, chaque fois qu'on a un élevage intensif de 800 vaches, on devrait mettre une station d'épuration.
La méthanisation impose aux éleveurs de concentrer toutes ces matières à un endroit très précis. Le problème, c'est la concentration locale.
Il y a un problème de métabolisme. La vache qui a suffisamment le temps de brouter et de ruminer créé une réaction d'aérobie et n'émet que très peu de méthane. La vache élevée de manière intensive – et nourrie avec du maïs ensilage immature et donc très riche en sucre – émet énormément de méthane. La faute revient donc à l'éleveur si la vache émet du méthane. Mais c'est un méthane qui est du biogaz, ce n'est pas un mauvais méthane.
L'urbanisme ou l'acceptation sociale est un sujet que vous avez développé. C'est la distance des riverains et vous avez cité quelques exemples. Votre quatrième argument est que cela coûte très cher pour peu d'emplois créés. Et enfin, vous regrettez que les intrants viennent de loin par camion ou que l'on transforme une partie de l'agriculture. Si on ne fait pas de méthanisation que faut-il faire ? Vous préférez une centrale nucléaire ?
La méthanisation à la ferme ne pose pas de problème. Et il y en a des méthaniseurs à la ferme, il y en a beaucoup d'ailleurs ! Mais à partir du moment où vous créez une usine en réunissant 10, 20 ou 120 agriculteurs au même endroit pour pouvoir injecter du méthane, vous allez avoir des pertes. Et cela, c'est le type d'usine qui n'est pas acceptable. Non seulement l'agriculteur perd son caractère d'agriculteur – il devient énergiculteur, il a les mains dans l'engrenage – mais en plus vous générez de nombreuses pertes. En station d'épuration ou en industrie agroalimentaire, il y a des gens compétents qui savent faire de la chimie et il n'y a aucun problème. Cela se fait depuis longtemps, cela marche et il n'y a pas d'accident, ou très peu. Mais si on ne met pas un personnel compétent dans un contexte où beaucoup de gens vont ramener n'importe quoi, on prend des risques. Or, c'est ce qui est promu dans la PPE.
Les termes « agricole » ou « à la ferme » sont trompeurs. Aujourd'hui, une méthanisation agricole, c'est ramener 50 % d'intrants des élevages ou des cultures. Les autres 50 % viennent d'où on veut. Chez nous, par exemple, à Gouy-sous-Bellonne, on va chercher des fientes de volailles en Belgique. Cela n'a aucun intérêt. On voit donc arriver des produits très odorants, ou bourrés de métaux ou d'antibiotiques, avec des législations qui ne sont pas celle de la France.
Celle de Gouy-sous-Bellonne. Quand on parle de méthanisation agricole on ne parle pas de méthanisation à la ferme. À la ferme, on parle effectivement des déchets qui sont sur place. Lorsque l'on parle d'agricole, on parle de 50 % de produits qui viennent de diverses cultures d'élevage mais le reste peut venir de l'industrie agroalimentaire, de cantines industrielles. Les intrants sont tracés et déclarés mais c'est un « système équilibriste » où l'on joue aux apprentis sorciers.
Un méthaniseur agricole, cela n'existe pas. La différence entre un méthaniseur industriel et un méthaniseur agricole, c'est la quantité d'intrants. Pour un méthaniseur agricole c'est 51 % d'intrants d'origine agricole et 49 % qui peut être d'origine agroalimentaire industrielle. Pour un méthaniseur industriel, c'est l'inverse : 49-51.
On peut avoir un méthaniseur industriel avec 51 % d'industriel et 49 % d'agricole et un méthaniseur agricole avec 51 % d'agricole et 49 % d'industriel. Il n'y a que 2 % de différence.
On pourrait avoir cette différence-là, mais l'industriel est intéressé par les déchets industriels car il est payé pour les prendre. Mais le jour où l'agricole va devoir rentabiliser son méthaniseur agricole et où il constatera que ses intrants agricoles ne sont pas suffisants, il cherchera d'autres gisements. Aujourd'hui, les gisements intéressants ce sont les biodéchets qui ne sont pas des biodéchets mais des déchets biodégradables, qui proviennent de la grande distribution. Ils sont emballés et doivent passer par des installations de désemballage. Ces produits dont on ne connaît pas toujours la provenance peuvent venir de Chine, de l'autre bout de la planète. On ne sait pas comment ils ont été cultivés, traités, conservés mais ils peuvent représenter 49 % d'un méthaniseur agricole.
Visez-vous tous les méthaniseurs agricoles ou seulement les gros méthaniseurs ? Je suis allé visiter des installations où la ferme approvisionne son méthaniseur et le complète avec les deux fermes d'à côté. J'ai visité une autre installation où le gaz produit est utilisé pour chauffer les serres parce qu'ils font de la culture. Il y a donc un côté circulaire. Pouvez-vous préciser ce que vous attaquez ?
J'habite à côté de deux méthaniseurs agricole. Un qui existe depuis déjà cinq ans : l'agriculteur fait son « business » avec ses propres intrants. Il alimente une chaufferie pour sécher du bois et il n'y a aucun souci. Lorsqu'un agriculteur travaille correctement et fait attention il n'y a pas de problème.
Cela devient dangereux lorsque l'agriculteur veut faire plus de « business » pour payer de gros emprunts, parce que sa culture de l'année est insuffisante ou parce que les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) sont moins nombreuses et qu'il doit chercher un autre gisement. L'autre jour, alors que je participais à un séminaire de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), un agriculteur nous expliquait qu'il avait investi, avec quatre autres agriculteurs, dans un méthaniseur. Dès lors, il a dû embaucher quelqu'un pour s'occuper de sa ferme et sa principale préoccupation est de capter des intrants pour son méthaniseur. Ce n'est plus un agriculteur.
L'agriculture a toujours servi à l'énergie puisque lorsque les chevaux mangeaient de l'avoine pour permettre d'aller d'une ville à l'autre, il y avait bien une convergence entre l'agriculture et l'énergie.
Nous avons deux inquiétudes concernant la méthanisation. On propose aujourd'hui aux agriculteurs un modèle qui n'est pas fiable : on les encourage à faire de très gros emprunts qu'ils auront du mal à rembourser. Il y a, j'en ai discuté avec un président de chambre d'agriculture, 94 % d'aléas dans les business plans prévisionnels pour un méthaniseur. Cela conduit 70 % des agriculteurs à avoir de grosses pertes financières.
Pourriez-vous, s'il vous plaît, transmettre à notre administrateur les références de cette étude ?
Dans le Pas-de-Calais, la chambre d'agriculture, vient d'annoncer que dans quatre à cinq ans, cela serait la guerre des intrants. Aujourd'hui déjà, la Belgique et l'Allemagne achètent des intrants en France. Cette guerre d'intrants va être catastrophique pour l'agriculture française parce qu'il y aura des dérives. Nous aurons des méthaniseurs de grandes tailles, la guerre des intrants ressemblera à une foire d'empoigne, certains méthaniseurs risquent de fermer, des friches industrielles seront à la charge des collectivités.
Je vous ai posé une question à laquelle vous n'avez pas répondu. Que fait-on ? Si on vous suit, on ne fait plus de méthanisation.
Je défends la vraie méthanisation à la ferme. Là, on aide véritablement l'agriculteur à utiliser son énergie et à éliminer ses déchets. Je dis bien « à la ferme ». Je ne dis pas « agricole ».
Je pense qu'on prend les choses dans le mauvais sens depuis le début. Il n'est pas question aujourd'hui de partir d'en haut en disant : « J'ai 130 mégatonnes annuelles de déchets que je peux utiliser, peu importe le déchet, c'est ce que dit l'ADEME en 2015 et je méthanise tout ça ». Il faut d'abord regarder quels sont ces déchets, définir ce que sont les vrais déchets et voir ce qu'on peut faire comme gaz. Quand on aura pris le temps de faire cela, on aura défini notre système, il sera viable. On ne peut pas imposer d'aller vers 100 % de gaz naturel réalisé avec du biogaz : c'est une hérésie. La surface agricole utile n'est pas un milieu extensible à souhait. En France métropolitaine, nous avons 290 000 kilomètres carrés de surface agricole. Si vous faites 1 000 méthaniseurs, vous avez 290 kilomètres carrés par méthaniseur et ça fait un carré de 5 à 6 kilomètres de côté. Vous n'avez alors plus la possibilité d'aller chercher les intrants, puisque vous êtes réduits à 5 kilomètres.
Vous avez une surface qui est allouée et que l'on peut cultiver : elle fait 290 000 kilomètres carrés. Dans les scénarios de l'ADEME, ou dans ce qui est repris dans la PPE, on imagine 1 000 ou 2 000 méthaniseurs à l'horizon 2023. Avec 1 000 méthaniseurs pour 290 000 km2 on tombe à un méthaniseur tous les 5 kilomètres. Si c'est un méthaniseur à la ferme avec très peu de nécessité d'intrants, il fonctionne en autonomie et il n'y a rien à dire. Le problème, c'est que, dans les data bases dont on dispose, sur tous les projets et sur l'existant, les agriculteurs vont chercher leurs intrants à plus de 15 kilomètres en moyenne. Donc cela ne marche plus et c'est pour cela que la chambre d'agriculture le dit. On ne pourra pas aller plus haut. On est dans une situation où on est juste à la limite de la compétition entre agriculteurs : c'est grave cela !
Des fiches des missions régionales d'autorité environnementale (MRAE), où il est précisé que les agriculteurs déclarent aller chercher leurs intrants dans un périmètre de 15 kilomètres en moyenne. Cela concerne les 650 méthaniseurs et plus précisément les 635 en fonctionnement. Il y aurait autant de projets. La réalité c'est que l'on parle d'une transition qui est plus qu'énergétique. On parle de la transition des agriculteurs qui se dirigent vers une énergie culture qu'ils ne pourront pas assumer malgré les dépenses conséquentes qu'ils auront engagées. Le prix moyen d'un méthaniseur est passé de 1 ou 2 millions à 5 à 10 millions. Aujourd'hui, ce sont les gros méthaniseurs qui sont recherchés. Les agriculteurs s'allient s'entre eux et les plus gros mangeront les plus petits.
Vous souhaitez différencier le petit méthaniseur du gros méthaniseur. Il existe ensuite des sujets d'acceptation sociale. Vous pouvez avoir un beau méthaniseur à la ferme avec 99 % d'intrants locaux récupérés à 3 kilomètres à la ronde, mais si vous l'autorisez à 50 mètres d'une école ou d'une habitation, vous aurez quand même des gens qui ne seront pas contents.
Le problème est né en 2015 avec la promotion des méthaniseurs géants. Avant, les petits méthaniseurs à la ferme ne posaient pas de problème. Cela permettait d'être maître de ses propres déchets. Si on investit beaucoup, on n'est plus maître.
Généralement, plus vous faites quelque chose de gros, plus vous avez besoin d'espace, plus vous vous éloignez des habitations. Expliquez-moi pourquoi à partir du moment où on a fait des structures plus grosses, on a décidé de les rapprocher des habitations ?
Plus vous avez de gros méthaniseurs, plus vous devez faire venir des intrants, qui sont généralement stockés à l'air libre. L'État, à un moment donné, a dit : on va faire baisser le coût des canalisations et des raccordements. L'idée, je pense, était d'éloigner les méthaniseurs et éviter les désagréments, notamment olfactifs pour les populations. Or, on n'en voit pas du tout les effets sur le terrain puisque beaucoup de périurbains sont touchés. Il s'agit de villages situés à proximité de grandes villes. Pourquoi ? Parce que la bouche des raccordements est à 50 ou 100 mètres. C'est purement économique et c'est ce qui explique la proximité des installations et des habitations. Aujourd'hui, on ne se déplace plus sur le terrain : on regarde cela sur papier, cela colle avec la loi et alors les méthaniseurs s'installent à 50 mètres des populations.
Quel est l'état du droit ? Quelle est la distance minimale à laquelle je peux installer un méthaniseur par rapport à une école ou par rapport à une maison, à une habitation ? Quelle est la distance que vous proposez ? Quelle règle proposez-vous par rapport aux nappes phréatiques ?
La distance légale est de 50 mètres. Il y a des préfets qui commencent depuis peu à refuser des méthaniseurs à 60 mètres. Pourquoi met-on des méthaniseurs près des villages ? Quand on se promène dans nos campagnes, on constate que, souvent, les villages sont au niveau des nœuds routiers. Donc, si vous voulez être proche de plusieurs sources d'intrants qui viennent de loin, vous vous installez près des nœuds routiers. Deuxièmement, les méthaniseurs sont construits en zone agricole. Le plus souvent, les zones agricoles situées au ras des communs ne sont pas forcément celles qui produisent le plus. Le foncier n'est pas cher, notamment en raison de l'absence de ligne de gaz et cela peut permettre d'acheter des terres à un bas prix.
Concernant les distances, je pense qu'il faut prendre en compte la capacité du méthaniseur et celle des infrastructures routières. Dans le village de la Marne où j'habite, poids lourd passe toutes les une minute treize. La nuit ou le dimanche soir, c'est un toutes les deux minutes dix. Il faut absolument réfléchir en termes d'infrastructures routières, de présence de la population et de tonnage. Plus les méthaniseurs sont gros plus il faudra les éloigner, réfléchir à l'application de la norme IED (directive sur les émissions industrielles). Il existe des possibilités de se rapprocher mais elles coûtent très cher. Il faudra mettre en balance le bien-être des citoyens et la rentabilité de ces structures.
Dans le Lot, tous les méthaniseur récupèrent de la chaleur. Ils se trouvent donc à proximité d'un réseau de chaleur.
Ma collègue Sandrine Le Feur, qui s'occupe beaucoup de méthanisation, a demandé dernièrement un rapport sur l'ensemble des impacts sur ce sujet. Dans l'exposé des motifs, elle explique que certains scientifiques ont constaté que « l'azote organique des effluents d'élevage devient par la méthanisation un azote ammoniacal, que la minéralisation n'est donc plus à faire et ne reste plus qu'à devenir un azote nitrique par un processus de combinaisons à l'oxygène pour être assimilable par les plantes mais cela le fait devenir très facilement lixiviable et l'utilisation de digestats de manière excessive peut très vite nuire à la qualité des eaux ». Pourriez-vous m'expliquer ce que cela signifie ?
À la sortie du méthaniseur vous avez le digestat. Cela représente 90 % de la masse entrante. Les 10 % restant sont effectivement du gaz qui contient à peu près 60 % de méthane. Finalement, le système est très peu efficace. Donc si vous avez 10 000 tonnes d'intrants, vous avez 1 000 tonnes de gaz et 600 kilogrammes de méthane. C'est une moyenne qui dépend des intrants. Les 90 % restants, c'est le digestat. Cela représente 9 000 tonnes de digestats. C'est énorme et il faut savoir quoi en faire. Dans ces 9 000 tonnes de digestat, vous avez à peu près 1 000 tonnes de digestat solide et qui est aujourd'hui ce qu'on nous vend comme un très bon fertilisant. Le digestat qui reste, les 8 000 tonnes, c'est du digestat liquide, principalement de l'eau ammoniacale à faible concentration, mais avec un pH de 8,5 ou 9, trop élevé pour que n'importe quel micro-organisme puisse y vivre correctement. Et ce digestat liquide, on va l'épandre. Cette eau ammoniacale est constituée d'ions à base d'azote que l'on nous vend comme un bon substituant aux engrais chimiques.
Ce n'est pas vrai, pour deux raisons : d'abord c'est un engrais chimique, ce n'est donc pas un substitut. Ensuite, c'est un mauvais engrais parce qu'il est – Sandrine Le Feur le disait bien – très lixiviable. En réalité, si vous voulez « booster » le métabolisme de la croissance des plantes il faut amener à la fois des ions ammonium, que l'on trouve dans le digestat liquide, et des ions nitrates. Là, la plante en profite. N'importe quel bouquin de première année d'université peut vous le montrer. Dans le digestat liquide, il n'y a que l'ammonium et il a tendance d'une part à s'évaporer fortement et d'autre part à filer dans les nappes. Il est très peu retenu par les plantes s'il est tout seul.
Et en même temps, il a participé à tuer une certaine partie de la faune du sol qui aurait pu permettre une décomposition et une absorption par les plantes : ce sont des bactéries ou des champignons. Donc le digestat liquide, si on l'épand, il tue la faune, la microfaune du sol même la macrofaune et il s'infiltre. S'il s'infiltre, il va s'oxyder à terme dans les nappes phréatiques et il créera des nitrates comme on le voit en Bretagne maintenant de plus en plus souvent et de plus en plus tôt dans la saison. Le reste va s'évaporer en créant des particules fines, des NOx – celles émises par les diesels et que l'on souhaite éviter – et il va aussi créer du N2O par oxydation dans l'air. Ce N2O a un pouvoir de réchauffement global qui est 300 fois plus fort que celui du CO2. Donc une partie infime d'évaporation de ce digestat liquide que l'on a épandu rend la balance très négative d'un point de vue environnemental.
Évidemment, tout cela n'est pas pris en compte dans les calculs lorsqu'on propose un projet parce que c'est impossible à calculer cela. Cela dépend de l'histoire du sol. L'ADEME, dans ses calculs, fait l'hypothèse de la neutralité carbone. Or, tout ce que l'on brûle met des années, des dizaines d'années, voire des siècles à être réincorporé dans les sols. Il y a un gros problème de calcul. Les méthaniseurs n'ont pas une balance positive d'un point de vue gaz à effet de serre. Il faut le dire et l'écrire car les calculs transmis par l'ADEME ne prennent pas en compte les bonnes hypothèses. Au mieux, cela peut être neutre. Mais avec les fuites, avec certains problèmes d'épandage, cela ne peut pas l'être. Si on veut respecter le projet de remplacer tout le gaz en 2050, on va nous conduire à construire 10 000 ou 15 000 méthaniseurs moyen. C'est impossible : avec un méthaniseur tous les 3 kilomètres, on n'aurait pas assez de surface pour avoir les intrants.
Non. Nous avions été reçus au ministère, mais les personnes que nous avons rencontrées ne disposaient pas des chiffres de l'ADEME. Nous avons été refroidis et si la promesse de pouvoir assister à des réunions et discuter avec GRTgaz ou GrDF nous a été faite, rien ne nous a été proposé depuis. Or, la signature de la PPE, c'est dans quinze jours.
La réalité ! Les DREAL au début viennent mais ne parviennent pas à faire cesser les situations insupportables pour les riverains et donc à un moment, ils démissionnent. Je pense aussi qu'ils ferment les yeux parce que la méthanisation, c'est politiquement correct. Les dépassements, lorsqu'ils sont constatés, ne font pas l'objet de mesures correctives. Cela, ce n'est pas normal.
Vous avez parlé d'un préfet qui avait dit que la méthanisation c'était la politique de la France et qu'il allait falloir s'y habituer.
C'est un sous-préfet. On avait un souci avec une fosse à digestat de 2 000 mètres cubes à l'air libre qui dégazait. Il faut imaginer qu'à 400 mètres ça sentait le H2S dans les maisons alors que les portes et les fenêtres étaient fermées. C'était insupportable ! Le sous-préfet s'est déplacé et nous a dit que nous devions nous habituer, que la méthanisation c'était la politique de la France et qu'il fallait faire avec.
Les nuisances olfactives dont vous parlez, sont liées à des systèmes défectueux. On a des cas de méthaniseurs où on n'a pas les problèmes d'odeur. Est-ce qu'il y a des cas spécifiques de méthaniseur qui génèrent des odeurs particulières ? Comment les interdire ou faire en sorte qu'ils se développent moins ou à des distances plus importantes des maisons ?
Les nuisances olfactives dépendent des intrants et de la durée de la méthanisation. Les déchets d'abattoirs, le sang n'ont pas les mêmes odeurs que les épluchures de fruits. Plus la durée de la méthanisation est longue, moins le digestat sentira mauvais à la sortie. Dans le Lot, les méthaniseurs de chez Andros ne posent aucun problème. Ces quatre méthaniseurs se trouvent à l'intérieur de l'usine où travaillent 1 300 personnes. Ils font du biogaz et alimentent des chaudières très importantes. Le tonnage des intrants est de 941 000 tonnes par an et permet la fabrication de 1 400 440 tonnes de digestat, qui est épandu. C'est énorme. Mais ce n'est que de l'eau de lavage des fruits, des épluchures de fruits donc uniquement du végétal. Il y a, comme à Évian, des moyens d'utiliser la méthanisation de façon vertueuse.
C'est un sujet scientifique sur lequel il est très facile de se faire des idées fausses. C'est souvent le cas des sujets d'énergie. Pourriez-vous formuler pour cette commission, une liste précise de recommandations, avec plusieurs alternatives, qui permettraient de corriger toutes les déviances que vous avez listées ce matin ?
Il serait intéressant de demander aux experts de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) d'étudier vos propositions et l'Office pourra aussi apporter un regard différent.
L'ADEME écrit qu'il n'y a pas d'odeur : c'est inexact. Un digestat qui sort à 50 jours n'est pas mature et est chargé en gaz et en odeurs. Il faut arriver à imposer des durées longues de séjour des digestats et à ce moment-là, en effet, l'ADEME pourra dire qu'il n'y a pas d'odeur.
Pensez-vous qu'il faudrait avoir suivi une formation approfondie avant d'exploiter un méthaniseur ?
On ne peut pas confier à quatre ou dix agriculteurs qui vont avoir suivi une formation de quinze jours une usine de procédés industriels chimiques. Ce n'est pas possible ! Nous n'avons absolument pas peur des grosses usines : elles sont « blindées » d'un point de vue sécurité et cela marche très bien. Mettre entre les mains de personnes non-expertes des usines de type Seveso, cela n'a pas de sens et c'est cela qui est le plus dangereux. Cette tranche intermédiaire de dimensionnement de méthaniseur qui est évoquée dans la PPE n'est donc pas une solution.
La séance est levée dix heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 9 h 10
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Didier Quentin, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie