La commission entend M. Stéphane Perrin, président de la commission finances de Régions de France.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et notre commission des finances achèvent aujourd'hui, avec Régions de France, leur cycle d'auditions conjointes relatif aux finances locales – nous avons entendu les représentants des départements il y a deux semaines et ceux du bloc communal la semaine dernière. L'idée est de faire le point sur l'impact de la crise sur les collectivités territoriales, notamment sur le plan financier, et d'interroger nos interlocuteurs sur les enseignements qui peuvent en être tirés, par exemple du point de vue de la fiscalité locale.
En toute amitié, je me permets d'exprimer une certaine surprise. Alors que cette audition, initialement prévue pour le 14 janvier dernier, a été reportée faute d'élu disponible, j'observe, sans vouloir mettre en cause la qualité et l'expertise de notre interlocuteur, qu'elle se tient aujourd'hui sans qu'aucun président ou vice-président de région s'y prête davantage. Je le regrette, avec l'espoir que cela ne témoigne pas d'un manque de considération à l'égard de la représentation nationale.
Il y a six mois Régions de France était assez alarmiste – beaucoup d'autres l'étaient également, y compris nombre d'entre nous, parlementaires – quant à l'impact de la crise sur les finances des régions. Les informations fournies par l'association auguraient d'un effet très important, dès 2020, sur la capacité d'autofinancement des régions et, dès 2021, sur le montant des investissements –une baisse de 27 milliards d'euros sur cinq ans, ce qui eût évidemment été tout à fait catastrophique. Or, si les premières données de l'exécution, que vient de communiquer Bercy, montrent une baisse de 3,5 % des recettes des régions, elles montrent également une baisse, à peu près équivalente, de 3,4 % des dépenses. La capacité d'autofinancement devrait donc demeurer proche de ce qu'elle était il y a un an. En outre, les régions annoncent une hausse importante de leurs investissements dès l'année prochaine ; je m'en réjouis, c'est une excellente nouvelle pour notre pays. Que s'est-il donc passé ? Je crois que les mesures adoptées par le Parlement, l'accord entre les régions et l'État ont permis de passer de cette projection catastrophique à un redressement très important des investissements des régions pour les prochaines années. Je m'en réjouis.
Par ailleurs, chacun d'entre nous, députés, a entendu moult remarques de la part d'entrepreneurs sur les difficultés rencontrées avec les fonds de solidarité des régions, alors que le fonds de solidarité national a, lui, été déployé très rapidement – dès le mois d'avril – sur l'ensemble du territoire. Alors que les élus ont su très vite combien d'entreprises ont été aidées et pour quel montant pour le fonds de solidarité national, il n'en allait pas de même pour la partie régionale. Des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) désireux d'aider certaines entreprises n'ont pas eu de réponses des régions. Au bout de six mois, certaines entreprises ne sont toujours pas payées. Pour ma part, je ne sais toujours pas combien d'entreprises ont été aidées par chacune des différentes régions – je suppose une certaine hétérogénéité.
L'accord entre le Gouvernement et les régions manifeste la volonté partagée de mettre en place une certaine péréquation, une solidarité entre les régions. Nous nous en réjouissons évidemment. Nous avions voté en première lecture du projet de loi de finances un plancher de 1 % pour cette péréquation, ce qui me paraissait à peu près raisonnable. Vous avez demandé le retrait de cette disposition, car vous souhaitiez travailler de votre côté, et nous avons répondu à votre demande. Pouvez-vous cependant, monsieur le président de la commission finances de Régions de France, nous en dire plus sur votre calendrier et votre ambition en cette matière ?
Tout d'abord, messieurs les présidents, je précise que c'est au cours de ce mois de janvier que j'ai été désigné pour succéder à Étienne Blanc, élu sénateur, à la tête de la commission finances de Régions de France. Cela peut expliquer que vous n'ayez pas eu, à un moment donné, d'interlocuteur au sein de notre association. Croyez bien, cependant, que nous sommes attachés aux relations que nous entretenons avec la représentation nationale. Pour ma part, ayant déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'être auditionné par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, je vous confirme notre disponibilité totale.
Avant la crise sanitaire, la situation financière des régions était globalement très saine. Au cours du mandat entamé en 2016, le ratio exprimant la capacité de désendettement avait finalement atteint un niveau de 4,3 années. L'épargne brute avait pour sa part progressé de plus de 12 % en 2019, tandis que, la même année, les dépenses d'investissement avaient progressé de 10 %. L'ensemble des régions avaient respecté en 2018 et en 2019 les objectifs fixés par les contrats dits de Cahors.
Cette bonne santé financière explique que la crise ait parfois été plus simple à traverser pour les régions. En outre, l'accord de partenariat conclu au mois de septembre dernier avec l'État a considérablement changé la donne. En effet, sans sécurisation du montant des recettes que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) devait procurer, les régions se seraient trouvées dans une impasse en 2021. L'annonce, au début de l'été, de la suppression de cet impôt de production, sans visibilité sur la fiscalité susceptible de lui succéder, avait d'ailleurs suscité de vives inquiétudes.
Une difficulté de l'année 2020 était de prévoir l'ampleur de la baisse des recettes fiscales que les régions devraient subir. L'impact était immédiat sur les recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et celles liées aux cartes grises. En ce qui concerne la TVA, nous avons très vite constaté que nous allions atteindre le plancher. Je rappelle que le reversement aux régions d'une part du produit de la TVA a été instauré à la fin du précédent quinquennat, se substituant à la dotation globale de fonctionnement (DGF), et que le maintien d'une recette au niveau qui était celui de la DGF en 2017 leur a alors été garanti. Nous avons assez rapidement estimé que nous allions atteindre le niveau de cette garantie plancher pour le reversement de TVA en 2020, ce qui correspond à une perte de 266 millions d'euros de recettes par rapport à 2019.
L'exercice de la prévision était beaucoup plus difficile en ce qui concerne la TICPE – et le raisonnement vaut aussi pour les cartes grises. Il fallait en effet prévoir à la fois la durée et l'ampleur de la baisse. Selon que le confinement durerait plus ou moins longtemps, selon l'évolution du comportement des usagers – allaient-ils reprendre leur véhicule ou recourir davantage aux transports en commun –, l'évolution du produit de TICPE était difficile à prévoir. Ce produit a reculé de 14 % à 18 %, soit une baisse d'un montant compris entre 230 et 290 millions d'euros par rapport à l'année 2019. J'appelle en outre votre attention sur le changement des modalités de calcul de la TICPE pour 2020 ; il est difficile d'avoir des données fiables, et la recette est moins territorialisée qu'auparavant.
Les recettes liées à la taxe sur les cartes grise diminuent quant à elles de 19 % à 22 %, soit une baisse comprise entre 450 et 500 millions d'euros. La difficulté était de savoir dans quelle mesure le marché de l'automobile se rétablirait après sa mise à l'arrêt pendant le confinement du printemps dernier. Constaterions-nous un phénomène de rattrapage ou des reports d'achat ?
Par ailleurs, doivent être mentionnées les difficultés liées aux recettes spécifiques de la Corse et à celles des collectivités d'outre-mer – en particulier l'octroi de mer.
Au total, la perte de recettes des régions est estimée à 1,2 milliard d'euros en 2020, chiffre confirmé par les données partielles transmises par Bercy à la mi-janvier, soit une baisse de 3,5 %. Les régions sont donc la seule catégorie de collectivités qui ait connu une perte de recettes fiscales sur l'année 2020. Elles ne disposent pas d'un panier de recettes assises sur des bases dynamiques, leurs recettes sont étroitement liées à la conjoncture économique ; elles ne perçoivent pas d'impôt « de stock ». Leur volatilité est celle du cycle économique.
La question des délégations de service public (DSP) est en outre un angle mort pour l'évaluation des pertes, notamment dans le secteur ferroviaire. Cela apparaît non pas dans nos comptes, mais dans ceux de nos délégataires – pour l'essentiel, la SNCF, à cause des TER, mais nous pourrions évoquer également les délégations aéroportuaires ou portuaires. En tant qu'autorités concédantes, les régions pourraient être appelées à intervenir pour équilibrer les comptes de délégation déséquilibrés par la crise. Cela nous préoccupe fort.
Il ressort par ailleurs des données tant de Bercy que de Régions de France que les dépenses d'investissement sont en forte hausse, celles de fonctionnement se caractérisent plutôt par des réallocations que par de hausses. La capacité de désendettement devrait ainsi retrouver un niveau de 6,3 années en 2020, et nous constatons d'ailleurs bien un recours croissant à l'emprunt.
Quant à la péréquation, il faudrait, puisque M. le président Cazeneuve me demande quel serait le calendrier idéal, que nous parvenions à un accord d'ici à l'été, pour qu'il trouve sa traduction dans la loi de finances pour 2022. Certes, une année électorale, ce n'est pas facile…
Il conviendra aussi d'articuler les contrats de plan État-région (CPER), le Plan de relance et la mobilisation des fonds européens, au moment de faire redémarrer l'activité économique, pour parvenir à la plus grande efficacité.
Quant au fonds de solidarité, au niveau national, les chambres de commerce et d'industrie doivent, si j'ai bien compris, servir de point d'entrée unique. Nous en sommes financeurs. Il y a, par ailleurs, des dispositifs complémentaires mis en place par les régions. Il s'agit donc de faire en sorte que chacun puisse être éligible à un dispositif ; nous savons qu'il peut être compliqué, pour un chef d'entreprise, de s'y retrouver, et nous ressentons plutôt, sur le terrain, un besoin d'accompagnement des chefs d'entreprise. Les organes consulaires ou les experts-comptables pourraient y répondre pour permettre que nos dispositifs soient sollicités de manière efficace.
Les régions sont sans doute les collectivités territoriales les moins touchées par la crise. Il y a eu une grande disparité dans les premières estimations des pertes de recettes. Avez-vous maintenant une vision un peu plus précise pour 2020 ?
En ce qui concerne la péréquation, sujet important, je note que vous avez évoqué un calendrier resserré.
S'agissant du modèle fiscal, les régions sont les seules collectivités territoriales à n'avoir presqu'aucun pouvoir de taux. Elles bénéficient d'une série importante de fractions d'impôts nationaux. Comment voyez-vous évoluer le modèle régional ? Une partie vous expose aux variations de la conjoncture, mais une autre vous offre des garanties.
Les dépenses des régions sont plus centrées sur l'investissement, même si elles ont aussi des dépenses de fonctionnement importantes, dans les domaines de la mobilité ou du soutien aux autres collectivités territoriales. Quelle évolution envisagez-vous ?
Vous dites ne pas posséder de données consolidées sur l'engagement des régions au titre du deuxième versant du fonds de solidarité. Finalement, observez-vous des initiatives différentes dans chaque région ou une tentative d'harmonisation ? Et qu'en est-il d'éventuels retards de paiement ?
Merci beaucoup pour les propos très clairs que vous avez tenus et qui répondent déjà à beaucoup de questions.
Je rejoins les propos du président Cazeneuve : deux enseignements peuvent être tirés des analyses financières disponibles. D'abord, les estimations sont très et trop variées : c'est un problème pour poser les termes d'un débat suffisamment clair. Il faudra des chiffres définitifs sous peu, consolidés. Surtout, l'effet apparaît assez modéré sur les régions, notamment en raison des garanties pour la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) transférées et en raison du remplacement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) par de la TVA.
Je m'associe également à la question du président Woerth sur la manière dont Régions de France envisage l'avenir de l'autonomie financière des régions. La dépendance n'est pas sans avantages – en termes de garanties – mais elle suscite également, au sein des exécutifs locaux, des interrogations, que je peux tout à fait comprendre.
Pouvez-vous faire un point concret sur la mise en œuvre prévisionnelle, à ce jour, de l'accord de partenariat conclu entre l'État et les régions ?
En ce qui concerne le fonds de péréquation, vous avez répondu sur son calendrier mais pourriez-vous nous donner des axes de réflexion sur les critères de richesse à prendre en compte et sur son montant ?
Au sujet de la consommation des crédits d'investissement régionaux portés par la mission Plan de relance dont le président Woerth et moi sommes les rapporteurs, des projets sont-ils déjà présentés, qui concerneraient notamment la dotation régionale d'investissement de 600 millions d'euros en autorisations d'engagement en 2021 pour accélérer le déploiement des mobilités douces et la rénovation des bâtiments ? Sont par exemple concernés les bâtiments des lycées, qui relèvent de la compétence des conseils régionaux.
Enfin, vous n'avez pas répondu à la question du président Cazeneuve : est-il possible de faire un premier bilan des fonds régionaux mis en place dans l'urgence au début de la crise économique ? Je songe notamment aux critères d'éligibilité des entreprises aux subventions ou aux avances remboursables et aux modalités de leur cumul avec les concours du fonds de solidarité national. Toutes les régions ont, je crois, abondé ce dernier, mais qu'en est-il des étages d'aides complémentaires ? Pouvez-vous faire un inventaire de ce qui a été fait, de ce qui marche et de ce qui ne marche pas ? Y a-t-il eu des initiatives au moment de la deuxième vague de l'épidémie, à l'automne ? Je n'ai pas souvenir de débats aussi nourris que lors du premier confinement.
Les collectivités territoriales que vous représentez ont des compétences dans les domaines des transports, du développement économique et de la formation professionnelle. Vous avez également insisté sur l'effort des régions en termes de recherche et d'innovation. La décentralisation a permis aux élus régionaux de prendre en charge une partie du destin de leur territoire.
Il nous faut aller plus loin. C'est l'objet du projet de loi relatif à la décentralisation, à la déconcentration, à la différenciation et à la décomplexification, dit « 4 D ». Il engagera une nouvelle étape de décentralisation afin que les régions puissent orienter leurs compétences en fonction de leurs spécificités. Cette approche de différenciation, l'État et le Gouvernement l'ont engagée concrètement dans le cadre de la territorialisation du plan de relance. Comment comptez-vous, au niveau des régions, accompagner les autres collectivités territoriales sur les compétences qui sont les vôtres ?
Les présidents de région investissent encore plus dans la crise actuelle. C'est une bonne chose, mais il faut que l'on arrive à sortir des logiques actuelles, assez problématiques, de concurrence et de surenchère dans la communication, et à arrêter de pointer du doigt sans cesse les insuffisances de l'État quand les collectivités territoriales sont elles-mêmes au premier rang. Je pense à un article récent dans lequel certaines régions annonçaient qu'elles allaient commander des vaccins alors que l'on sait pertinemment qu'elles ne le peuvent pas.
Durant cette pandémie, les régions ont beaucoup œuvré pour l'aide aux entreprises grâce aux moyens transférés, qui sont importants. Elles ont été le premier niveau de lutte contre la récession économique et établissent donc des schémas pour coordonner les actions du bloc. Certaines ont même mis en place une coordination avec les sous-préfets chargés de la relance et des équipes dédiées. La complémentarité avec l'État fonctionne bien pour les projets des entreprises et il serait bon de continuer en ce sens.
Certaines régions demandent un élargissement de leurs compétences au plan sanitaire. La question de la vaccination suscite des polémiques : pouvez-vous expliquer concrètement le rôle que les régions comptent jouer ?
Quel est votre regard sur l'articulation des plans de relance régionaux et national ?
En ce qui concerne la consommation de l'enveloppe de 600 millions d'euros de crédits d'investissement attribuée aux régions, comment sa répartition en fonction de critères démographiques et la règle du « premier arrivé, premier servi » cohabitent-elles ?
Si la consommation est moindre dans certaines régions, des redéploiements sont-ils prévus ?
Certains appels à projets sont régionalisés ; d'autres sont centralisés. Comment les régions suivent-elles leur déclinaison territoriale ?
Sur le plan de relance, avez-vous le sentiment que l'État propose un véritable copilotage aux régions ou plutôt qu'elles sont invitées, comme les autres collectivités territoriales, à être informées des projets ?
Vous avez dit, en introduction, que deux types de régions étaient plus fortement touchés du fait de leurs spécificités, à savoir la Corse et les régions d'outre-mer. Avez-vous des éléments précis pour montrer la dégradation correspondante et formulez-vous des propositions ?
Je vous adresse mes félicitations, monsieur Perrin, pour vos nouvelles fonctions : dans un délai très bref, vous semblez avoir bien pris en main ce poste.
Je reviens sur les remarques du rapporteur général : compte tenu de la diversité des estimations des pertes de recettes, l'idée, évoquée dans le rapport du président Cazeneuve, d'un observatoire par catégorie de collectivités territoriales devient indispensable.
Un angle mort a été dénoncé, qui est celui des délégations de service public. Il faut régler cette question une fois pour toutes.
Je rejoins mes collègues sur les aides régionales aux entreprises qui viennent compléter celles du fonds de solidarité national : nous avons besoin de chiffres région par région, même s'il est peut-être un peu tôt.
Un point a été effleuré, à savoir l'utilisation des fonds européens. En particulier, le fonds européen de développement régional (FEDER) et le fonds social européen (FSE) peuvent être mobilisés en matière de numérique ou de rénovation énergétique.
Que, dans le cadre du fonds de relance et de résilience de l'Union européenne (FRR), l'État parle d'utiliser ces mêmes fonds pour les mêmes objets m'inquiète : la règle est celle de l'absence de cumul entre deux subventions de l'Union européenne. Face au risque de concurrence entre les actions des régions et celles de l'État, il faut absolument que les régions soient associées à la définition des conditions d'emploi ; sinon, nous allons à la catastrophe, avec des crédits qui repartiraient à Bruxelles.
Vous estimez les pertes de recettes à 1,2 milliard d'euros, soit le double de ce qu'avait subodoré le président Cazeneuve, mais vous n'avez pas donné le montant des économies que les régions ont pu réaliser en 2020. Quel est le solde global ?
Je rejoins les mots de Mme Pires Beaune sur les fonds européens : comment améliorer leur diffusion ? Les régions ont un rôle extrêmement important à jouer pour soutenir l'investissement mais avez-vous d'ores et déjà des pistes à suggérer pour renforcer la connaissance de ces dispositifs ?
Au sujet de l'autonomie fiscale, lors d'auditions précédentes, plusieurs associations ont exprimé le souhait que soit engagée une réforme, sans en fixer le calendrier. Quel est votre avis, alors que les régions disposent d'un filet de sécurité qui leur garantit des ressources ?
Quel regard portez-vous sur les sous-préfets chargés de la relance ? Dressez-vous un bilan positif de vos échanges avec eux et avez-vous des pistes d'amélioration pour que l'investissement soit rapide et efficace ?
Mes trois questions divergent de celles qui viennent de vous être posées.
Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 16 milliards d'euros sont territorialisés et 8 milliards d'euros reviennent aux régions : comment ont-ils été répartis entre les régions, selon quels critères ?
Les régions partagent avec les ARS un territoire commun : quel travail commun avez-vous conduit ? Identifiez-vous des pistes d'amélioration ?
Les régions assument le coût de fonctionnement, assez important, des lycées : quels ont été les coûts supplémentaires liés aux protocoles sanitaires ?
Mes questions porteront sur l'investissement des régions.
Si les régions ont conservé une bonne capacité d'investissement en 2020 et que les perspectives restent intéressantes en 2021, quelles priorités se dessinent pour 2021 ? Et comment concilier la nécessaire relance et la transition écologique ?
Notre commission vient d'auditionner le directeur de la Banque des territoires, dont le rôle n'est pas suffisamment connu. Quelles sont vos relations avec la Banque des territoires pour construire des projets ?
Quels sont vos objectifs dans les secteurs comme le tourisme ou les territoires de montagne frappés par les fermetures de stations de ski ? Quels sont vos projets d'investissements utiles et nécessaires ?
Pouvez-vous préciser votre estimation de pertes atteignant 1,2 milliard d'euros ? S'agit-il de pertes de recettes ou des pertes nettes résultant d'un solde entre recettes et dépenses ? La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ayant présenté une estimation de 600 millions d'euros, qu'est-ce qui explique cet écart ? Et quelles sont vos estimations pour 2021 ?
Quant aux fonds régionaux de solidarité, je dois témoigner du fait que le fonds mis en place dans le Grand Est n'a pas atteint son but. De ce fondsde 44 millions d'euros établi à partir de financements tant de la région que des départements, de l'ensemble des intercommunalités ainsi que de la Banque des territoires, moins d'un tiers des crédits a été consommé, car il s'agissait uniquement de prêts, redondants avec les prêts garantis par l'État. Il a ensuite fallu prendre en charge une partie des loyers des petites entreprises… Pourriez-vous présenter les remontées provenant des régions ?
Enfin, disposez-vous d'estimation des retombées sur les régions d'une partie des fonds européens ?
L'ensemble des représentants de groupes politiques se sont exprimés mais plusieurs collègues souhaitent intervenir.
Mon propos concerne l'implication des régions dans la crise sanitaire. Il est heureux que les régions aient pris une part active dans l'approvisionnement en masques d'une partie de la population puis dans l'organisation de tests. Le concours de chacun dans la lutte contre la covid-19 est bien sûr louable…
Pour autant, le lot continu de critiques émanant de quelques présidents de régions à l'encontre de la stratégie globale de lutte contre la covid-19 et, plus récemment, contre la démarche de vaccination devient pour le moins assez insupportable. On s'interroge sur le bien-fondé de ces critiques. J'en veux pour exemple le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes : après la distribution de masques dans chaque foyer à l'effigie de la région, nous avons eu l'épisode en décembre dernier de l'ouverture de centres de tests, et, au début de ce mois de janvier, une pétition concernant les vaccins, signée par quelque 1 500 élus locaux dont certains se sont sentis piégés par le formulaire que la région leur avait adressé… La région a ainsi tenté de prendre la main et d'acheter des vaccins alors que chacun est pleinement conscient que la démarche ne peut être que coordonnée à l'échelle de l'État et de l'Europe.
La réalité du terrain nous montre aujourd'hui que les préfectures, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), les communes, les intercommunalités et les professionnels de santé, savent organiser cette campagne de vaccination, avec une prise en charge financière par l'État. Dès lors, on ne peut que s'interroger sur la notion de partenariat qu'entendent porter les régions. Pouvez-vous nous préciser le positionnement des régions dans la gestion de cette crise sanitaire ?
Quel est, pour les régions, le coût sanitaire de la covid-19 lié à l'acquisition de masques, de tests et demain peut-être, de vaccins ? Quel est aujourd'hui le poids de la dépense strictement sanitaire des régions, et quel serait-il si les régions allaient plus loin ?
Vous nous avez présenté le niveau d'endettement des régions : pourriez-vous préciser les conditions de risque et d'emprunt ? Quel est le taux moyen appliqué aux dettes des régions ? À quel taux les régions empruntent-elles aujourd'hui sur les marchés ?
Ma question porte sur le cadencement des projets financés par les mesures de relance. Les PME de ma région me font part de leur besoin d'y voir clair dans leurs carnets de commandes : la commande publique doit être étalée dans le temps afin qu'elles soient en mesure d'y répondre. Plutôt que d'un afflux trop rapide de commandes, elles ont besoin de visibilité et de prévisibilité. Les régions ont-elles une stratégie en la matière ?
L'impact financier de la crise sur les régions est différent de celui que connaissent les départements.
Pour les départements, l'impact est mécanique sur les dépenses sociales mais l'effet est bien moindre sur les recettes en raison de la dynamique des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). L'effet est donc bien moindre que si les recettes étaient stables ou en décroissance.
Les régions ne sont pas confrontées à une augmentation mécanique des dépenses obligatoires, et les dépenses n'augmentent que du fait du volontarisme politique pour accompagner les acteurs touchés par la crise. Cependant, les régions sont touchées par une baisse des recettes dès 2020, indépendamment des enjeux liés, en 2021, à la CVAE.
La question de l'évolution du modèle fiscal est distincte de la crise sanitaire. Notre panier de recettes est déconnecté de nos compétences et parfois contre-intuitif. Nous exerçons par exemple notre compétence mobilité sans disposer de recettes liées à la mobilité, comme le versement mobilité. Alors même que nous sommes chargés des transports collectifs, notre panier de recettes dépend en partie de la fiscalité assise sur l'automobile : nos investissements en faveur du transport collectif ont donc pour effet de diminuer l'assiette de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dont nous sommes bénéficiaires…
Les régions ne réclament pas la compensation à l'euro près de la perte de dynamique de leurs recettes fiscales. Il existe certes des mécanismes de plancher de recettes pour la TVA et pour la partie de la TICPE liée à des transferts de charges anciens, mais ni ces planchers ni les évaluations de transferts de charges n'ont été actualisés.
L'objectif d'instituer une fiscalité assise sur le cycle économique avec des mécanismes de garantie nécessiterait que le plancher des ressources corresponde à la réalité de l'évolution des charges transférées.
Il pourrait également être envisagé que le panier de recettes des régions retrouve une fiscalité de stock et ne soit pas uniquement connecté au cycle économique.
La sécurisation de la recette pose aussi la question d'un fonds de réserve, d'ailleurs soulevée par le Gouvernement. Doit-il s'agir d'une mise en réserve automatique d'une part de la dynamique de TVA ? Nous envisagions plutôt un mécanisme de mise en réserve volontaire, qui pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une contractualisation avec l'État – en somme, des contrats de « Cahors II ».
S'y ajoute une difficulté comptable : nous pouvons provisionner des évolutions de dépenses mais nous n'avons pas d'outil juridique pour opérer des provisions sur des pertes de recettes.
Si nous optons pour des recettes assises sur le cycle économique, nous devons construire des outils de sécurité fiable. Il faut avancer sur le sujet en vue du projet de loi de finances pour 2022.
De manière générale, nos recettes fiscales doivent être mieux indexées sur nos compétences.
L'absence totale d'autonomie fiscale, qui fait débat, je le sais, au sein de la commission des finances, nous prive de tout lien avec le contribuable régional. Nous ne retrouvons pas les effets, positifs ou négatifs, de nos politiques économiques, dans nos recettes fiscales qui sont totalement déconnectées des situations locales.
Nous avons besoin de données partagées avec l'État sur lesquelles nous pourrions être d'accord. Je ne fais pas de procès sur les écarts d'estimations car nous avons tous eu des difficultés pour actualiser nos prévisions, mais il existe des données fiables en matière de TICPE ou de recettes liées aux cartes grises : la direction générale des finances publiques dispose de ces données à partir du système de gestion informatique HELIOS, et il doit être possible de les mettre rapidement à disposition des régions ou du Parlement.
Je souscris donc à la proposition du président Cazeneuve d'établir un observatoire par niveau de collectivités, qui puisse disposer de ces données.
Nous disposerons à la mi-février, après la journée complémentaire, de l'estimation des pertes de recettes en 2020 par rapport au compte administratif 2019. Il faut tenir compte de moindres recettes ainsi que de moindres dépenses… mais également de dépenses nouvelles liées aux achats de masques ou aux protocoles renforcés dans les lycées. Nous pourrons vous transmettre les chiffres consolidés à compter de la mi-février. Les outils existent pour que nous partagions rapidement des données fiables.
Quant à l'enveloppe de 600 millions d'euros dédiée à l'investissement, rappelons tout de même que les fonds ne sont disponibles que depuis le début de cette année 2021. Une disposition aurait dû figurer en loi de finances rectificative pour 2020, mais c'est finalement dans la loi de finances pour 2021 qu'elle a été votée. C'est donc à partir de maintenant que cette enveloppe de 600 millions d'euros sera amenée à se déployer et que nous pourrons le constater dans les taux de consommation.
Cela renvoie aux questions posées par plusieurs commissaires quant à l'articulation entre CPER, plan de relance et fonds européens. Sur ce point, je veux partager avec vous une vraie inquiétude. Je comprends la logique du Gouvernement, qui est d'avoir un plan de relance qui ait des effets puissants et rapides car au mois de septembre nous étions en attente des mandats de négociations donnés aux préfets par le CPER ; il fallait opérer une jonction afin que les crédits soient consommés rapidement. Toutefois, je réitère ce que j'ai déjà été amené à dire aux deux rapporteures de la mission « flash » de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur la contractualisation : la contrepartie de la production d'un tel choc puissant et très rapide est l'instauration d'une logique verticale sur les territoires. Tous les présidents de région en font aujourd'hui le constat. Le plan de relance est venu percuter la logique de contractualisation avec une approche qui est extrêmement verticale.
Cela dit, nous sommes dans une logique non de co-pilotage mais de consommation rapide des crédits ; dès lors, je crains des contrariétés entre le plan de relance national, les CPER et le plan de relance européen et la mobilisation de ces fonds européens. Un travail de coordination avec les préfets est nécessaire car il ne faudrait pas que cela se traduise par des actions dispersées et concurrentes, qui pourraient susciter de mauvaises polémiques. Nous savons travailler avec les préfets et les secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) en temps normal, il n'y a donc pas de raisons que nous n'y parvenions pas dans la mise en œuvre du plan de relance, mais, aujourd'hui, il y a une forme d'urgence dans la mise en œuvre du plan de relance qui laisse assez peu d'espace à la concertation.
S'agissant des dispositifs complémentaires, un panel de mécanismes a été mis en place sur la base de deux piliers – certaines régions ont également mis en place un « pilier 3 », souvent conçu comme un filet de rattrapage pour ceux qui ne seraient pas éligibles aux deux premiers piliers, par exemple pour le commerce en ligne. Cela permet aux acteurs économiques d'avoir de l'activité malgré une situation contrainte. Nous avons notamment mis en place des dispositifs en matière de fonds propres des entreprises et des dispositifs de soutien à la jeunesse. Cependant, les entreprises ont pu opter pour une forme d'attentisme, car l'endettement supplémentaire ne leur paraissait pas la solution la plus efficace ; elles ont ainsi attendu un peu avant de s'engager dans la sollicitation des prêts garantis par l'État et du fonds de solidarité.
Attendons de savoir précisément quel sera le projet de loi 4D, mais l'appétit pour la différenciation et la décentralisation me paraît une réalité. Après des modifications du périmètre géographique des régions et l'organisation de transferts de compétences entre collectivités, c'est aujourd'hui plutôt la question des rôles respectifs de l'État et des collectivités qui se pose ; le cas échéant, entamer des processus de transferts ou de délégations de compétences de l'État aux collectivités serait envisageable. De ce point de vue, les outils actuels me paraissent suffisants ; parfois, l'obstacle n'est pas le droit, mais les mentalités et habitudes qu'il faut changer.
Sur le plan sanitaire, des présidents de région ont émis le souhait d'acheter des vaccins, mais il n'y a pas eu de consensus sur le sujet. Dans ma région, par exemple, notre proposition est plutôt de mobiliser notre compétence en matière de transports pour permettre aux personnes de se rendre aux centres de vaccination.
Par ailleurs, il faut être au clair entre ce qui relève de l'urgence, et donc, à mon sens, de la responsabilité de l'État, et ce qui relève de sujets plus structurants, comme la démographie médicale, à propos desquels un meilleur travail de coordination avec l'ARS, avec des décisions mieux partagées, paraît possible. Je suis ainsi d'avis que l'action de l'ARS doit porter plutôt sur le temps long que sur la gestion de crise.
De la même manière, il est nécessaire de trouver une meilleure articulation entre les appels à projets « État » et les appels à projets « régions ». La région Bretagne avait ainsi lancé un appel à projets « Centralité » avec la Caisse des dépôts et consignations, l'établissement public foncier et l'État, mais le programme « Action Cœur de ville » est venu percuter ce que nous avions accompli. Nous gagnerions ainsi à avoir une meilleure coordination entre plan de relance et CPER dans les appels à projets.
Sur les fonds européens, je partage la préoccupation de Mme Christine Pires Beaune. Il nous faudra savoir rapidement ce que l'État veut utiliser comme fonds européens au titre du FRR et les domaines qu'il souhaite privilégier ; il ne faut pas que ce soient les mêmes domaines que le FEDER, car ce dernier ne pourrait alors pas intervenir et nous perdrions des crédits européens. Des discussions sont en cours sur le sujet ; elles n'ont pas encore abouti.
Quant au montant des économies, madame la députée Lemoine, nous ne disposerons de chiffres plus précis qu'au mois de février, lorsque les chiffres de la journée complémentaire seront connus. J'ai constaté dans ma propre région que certaines décisions que nous avons prises nous ont conduits à en faire finalement moins que nous ne l'aurions pu. Quand le transport scolaire s'est arrêté par exemple, nous ne sommes pas allés jusqu'à ne pas payer les entreprises de transport ; cela leur aurait créé des difficultés alors que ce sont souvent de petites entreprises familiales, dont les salariés perçoivent des rémunérations modestes. Si nous avions tiré toutes les conséquences d'un service non fait, nous les aurions mises en difficulté. Certaines régions ont décidé de ne payer que 70 ou 80 % de ce qu'elles devaient au transport scolaire, mais nous avons plutôt voulu, pour notre part, accompagner. Cela fait partie des sujets sur lesquels, en s'appuyant sur les données de la direction générale des finances publiques, un observatoire avec des chiffres partagés serait utile.
Comme nous sommes en fin de mandat régional, des plans d'investissement sont en cours. Les priorités sont donc déjà mises en œuvre dans le cadre de plans pluriannuels d'investissement (PPI) et de leur schéma de développement économique. Par ailleurs, les années électorales ne sont guère propices à l'investissement. Une bonne articulation avec les plans de relance nous fera d'autant plus gagner en efficacité.
Notre travail avec la Banque des territoires est plutôt efficace, avec des dialogues réguliers, particulièrement après la réorganisation qui est intervenue. La Banque des territoires peut être un acteur très efficace.
En effet, monsieur le député Dufrègne, un problème se pose pour le tourisme et nous devrons intervenir mais, une fois encore, la situation est très hétérogène. Nous avons eu, par exemple, un été plutôt porteur en Bretagne. Les acteurs touristiques qui se trouvent en difficulté sont plutôt ceux du tourisme social, pour lesquels il faudra se doter d'un plan spécifique. Pour les régions de montagne, des plans ont été annoncés pour répondre à la situation.
Quant à l'endettement, nous pouvons aujourd'hui emprunter à des taux très favorables, voire à des taux négatifs. Le coût de la dette aujourd'hui n'est donc pas un problème. Certes, nous nous attendons tous à la remontée des taux… mais elle n'intervient pas pour le moment. La question est plutôt d'optimiser la dette grâce aux taux. La capacité et l'évolution de l'endettement sont à surveiller, mais son encours ne semble pas problématique à l'heure actuelle.
Nous aurons des informations à communiquer sur le sujet courant février.
Je remercie Stéphane Perrin et les équipes de Régions de France, qui ont partagé beaucoup d'informations. Je conclurai par quatre remarques.
Premièrement, nous avons absolument besoin de cet observatoire pour que tout le monde soit d'accord sur les chiffres.
Deuxièmement, je relève qu'il y a beaucoup d'interrogations sur le volet régional du fonds de solidarité : il nous faut une vision région par région sur ce qui a été fait précisément.
Troisièmement, si je salue l'engagement des régions, je crois qu'il faut aussi jouer la transparence sur ce qui est apporté par l'État, par les régions et par les autres niveaux de collectivités. Il s'agit d'éviter le flou propice à ce que chacun s'approprie l'œuvre des autres.
Quatrièmement, je rappelle l'importance d'une association de toutes les collectivités. Il est primordial que tous les territoires aient envie de s'y associer.
Merci, monsieur le président Perrin, d'avoir relevé le défi de cette audition, à l'heure de la plus grande instabilité.