La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a poursuivi l'examen, pour avis, du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement (n° 3787) .
(M. Christophe Arend, rapporteur pour avis)
Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement.
Après l'article unique
La commission examine l'amendement CD18 de M. François-Michel Lambert.
Il s'agit de rester dans la cohérence de l'initiative lancée en 2006 par Nicolas Hulot en faveur du Pacte écologique, que nous avons essayé de traduire dans le Grenelle de l'environnement, après l'élection de Nicolas Sarkozy. Je salue, d'ailleurs, mes collègues MM. Martial Saddier et Bertrand Pancher qui, à l'époque, ont participé à ce travail de « crantage » qui a permis d'éviter des régressions ultérieures. Malgré nos espoirs, cela n'a pas abouti à grand-chose, ce qui explique peut-être la très forte mobilisation actuelle, les 2 millions de signataires de l'« affaire du siècle » et la Convention citoyenne pour le climat.
En 2006, Nicolas Hulot avait bien senti qu'il faudrait aller au-delà des belles paroles et contrebalancer la mécanique naturelle court-termiste de la conduite de la France, rythmée par les prochaines élections, nationales ou locales, et qui bloque toute capacité d'agir. Dans le Pacte écologique, il avait proposé la création d'un vice-Premier ministre chargé du temps long et du développement durable. Un certain Emmanuel Macron, candidat à la Présidence de la République, avait trouvé cette proposition très intéressante mais indiqué qu'elle lui serait impossible à mettre en œuvre, la Constitution ne le permettant pas. Quinze ans après la proposition de Nicolas Hulot, voici venu le temps de la réforme constitutionnelle et avec elle, de l'avènement du vice-Premier ministre en charge du temps long, c'est-à-dire du développement durable.
Quelle belle aspiration que ce vice-Premier ministre ! Mais quelle position au sein du Gouvernement lui donnerait son pouvoir de vérification de la conformité de l'action de ses collègues avec les principes de la Charte de l'environnement ? On comprend de la rédaction que ses pouvoirs et son positionnement constitutionnels semblent exactement les mêmes que ceux du Premier ministre – il pourrait même contresigner ses actes. C'est là toucher directement à l'organisation du pouvoir exécutif et à l'architecture constitutionnelle du Gouvernement. Je vous propose de retirer votre amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Je reconnais une rédaction perfectible, mais vous n'avez pas répondu sur le fond : est-ce un problème de se situer dans la continuité du Pacte écologique – que d'autres avec moi avaient signé – et surtout de l'engagement du candidat M. Emmanuel Macron, en 2017, d'agir pour donner les moyens, pour « cranter » et pour aller de l'avant ?
Quant au contreseing du vice-Premier ministre, il n'est qu'un contreseing. Nous‑mêmes, lorsque nous déposons des rapports, nous n'en sommes pas les seuls auteurs ; bien souvent, nous les cosignons avec un ou plusieurs collègues d'une sensibilité différente de la nôtre. C'est un usage assez régulier. À moins, donc, d'estimer que des beaux mots valent mieux que des moyens utiles à la transformation écologique de notre société, il ne faut pas repousser cet amendement.
Pensez-vous vraiment, monsieur le rapporteur pour avis, qu'il n'apporterait rien qui puisse éviter tout ce qu'il y aurait de critiquable ?
Notre objet est d'introduire dans la Constitution la défense de l'environnement et de la diversité biologique ainsi que la lutte contre les dérèglements climatiques, pas un vice-Premier ministre.
M. François-Michel Lambert soulève une question que nous avons souvent évoquée au sein de cette commission : le périmètre du ministère de l'environnement.
L'idée du vice-Premier ministre a émergé au fil des législatures et des grands débats qui les ont régulièrement animées sur le point de savoir si le numéro deux du Gouvernement devait être ministre d'État ou avoir une vision globale sur un certain nombre de sujets, ou encore si le ministère de l'environnement devait ou non avoir la main sur l'énergie. Il est vrai qu'au cinquième, sixième ou septième rang du Gouvernement, s'il n'a pas la main sur certains éléments stratégiques, il lui est difficile d'avoir un réel pouvoir d'impulsion.
Je n'irai pas jusqu'à soutenir l'amendement, mais il a tout de même le mérite de poser la question des périmètres ministériels, qu'il serait bon de ne pas changer systématiquement d'un gouvernement à l'autre, pour permettre aux ministères de conserver une impulsion dans le temps, et à celui chargé de l'environnement de ne pas se retrouver le parent pauvre sous certaines législatures.
Depuis 2017, les ministres de la transition écologique sont placés aux premiers rangs. Ce n'est pas un poste de vice-Premier ministre, mais ministre d'État ou juste en dessous, c'est tout de même très important.
Je soutiens cet amendement. La proposition est tout à fait cohérente avec l'article unique, dans la mesure où il s'agit d'une fonction transversale à toutes les politiques publiques qui doivent garantir la préservation de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.
Nous sommes tous d'accord pour dire que l'environnement devrait être une matière transversale et constituer le maître étalon auquel vérifier chacune de nos lois. Avec l'inscription dans la Constitution telle que nous la proposons, le Parlement aurait la capacité de mener des études d'impact directes et indirectes sur chacune des lois à venir, et les questions prioritaires de constitutionnalité sur les lois passées deviendraient possibles. Oui, donc, à la transversalité, mais toujours non au vice‑Premier ministre.
Nicolas Hulot, quand bien même il était ministre d'État et malgré sa personnalité, a perdu quelque 300 réunions interministérielles et n'en a gagné qu'une dizaine : il ne disposait pas d'un contreseing. Ce sont des faits – je les rappelle à notre collègue M. Jean-Marc Zulesi qui semble les avoir oubliés. À la fin, l'arbitrage était rendu par le cabinet du Premier ministre, voire plus haut, ce qui est fortement dommageable.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous n'avez toujours pas répondu sur le fond : cela nous permettrait d'agir.
Je n'ai oublié ni les combats ni l'engagement de Nicolas Hulot au sein du Gouvernement, mais je constate aujourd'hui que la ministre Mme Barbara Pompili s'engage avec beaucoup d'abnégation. Cela change de ce que l'on a pu connaître avec Nicolas Hulot : elle échange et est à nos côtés pour défendre nos dossiers – par exemple, la cause de l'étang de Berre.
Je suis un peu étonné : vous considérez que nous ne sommes pas à la hauteur avec l'inscription de la préservation de l'environnement au sein du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution, mais vous-même ne répondrez pas du tout au défi du réchauffement climatique avec ce poste de vice-Premier ministre auquel vous semblez très attaché. Votre amendement est satisfait par l'engagement de MmeBarbara Pompili sur tous les sujets.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine les amendements identiques CD26 de M. Jimmy Pahun et CD38 de M. François-Michel Lambert.
L'amendement CD26 vise à prendre en compte la préconisation du Conseil d'État de prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux « du droit » de l'environnement, une notion qui recouvre les trois objectifs qui seraient désormais inscrits à l'article 1er.
Selon le rapporteur pour avis, les études d'impact rendraient inutile un vice-Premier ministre : l'étude d'impact sur le projet de loi « climat et résilience » nous invite en effet vraiment à agir différemment. Si nous avions un vice-Premier ministre, cela irait.
Quand j'en avais proposé l'institution en 2018, la garde des sceaux m'avait répondu, en séance publique : « À quoi bon, on a le meilleur, on a Nicolas Hulot ! » En deux ans et demi, l'appréciation portée sur M. Hulot a beaucoup changé ! Il faut dire qu'un mois après ce débat, il claquait la porte du Gouvernement.
Oui, c'est faire preuve de courage que de dire que l'on va dans le mauvais sens, surtout vis-à-vis des générations futures.
Quant à l'amendement, on ne peut pas ne pas le voter. Il est nécessaire de passer de la « préservation » de l'environnement, qui est un terme « gentillet », au « droit » de l'environnement, qui affirme un principe.
Il n'est en rien nécessaire d'établir un parallélisme entre l'article 1er, qui mentionnerait la préservation de l'environnement, la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique, et l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel « la loi détermine les principes fondamentaux relatifs à la préservation de l'environnement ». Le législateur demeurera compétent sur tous les sujets qui touchent à la préservation de l'environnement au sens le plus large. Nous ne voyons donc pas quel apport auraient ces amendements sur le domaine de la loi. De surcroît, ils rompraient avec la logique de l'énumération. Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Elle examine l'amendement CD19 de M. François-Michel Lambert.
Il s'agit d'inscrire une référence au climat au cinquième considérant de la Charte de l'environnement, de manière à mettre en relief l'interaction entre l'exploitation excessive des ressources naturelles, le climat et la diversité biologique. L'article 1er de la Constitution tel que vous l'avez rédigé introduit déjà un déséquilibre par l'absence de référence à l'exploitation excessive des ressources naturelles. Essayons d'en trouver une au moins au climat, en le mentionnant là où c'est nécessaire, en attendant de revenir sur l'article 1er en commission des lois ou dans l'hémicycle. Tout doit être pris en compte à l'article 1er !
La Charte de l'environnement a privilégié une acception très large et englobante de l'environnement. Même si ses considérants énumèrent des éléments affectés par les activités humaines, parmi lesquels compte sans aucun doute le climat, nous estimons qu'il n'est pas opportun de la modifier, à l'instar des autres composantes du Préambule. La Charte a été adoptée au terme d'une longue réflexion, et il ne paraît pas indispensable d'y faire entrer une notion qui sera introduite dans la Constitution par l'ajout du terme « dérèglement climatique ».
La Charte et la Constitution se compléteront. Ni les pouvoirs publics ni les juridictions ne pourront ignorer que la préservation de l'environnement, au sens de la Charte, implique la préservation des équilibres climatiques et l'adoption de mesures pour lutter contre le dérèglement climatique, notamment par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avis défavorable.
Je ne comprends pas les équilibres qui sont proposés. L'article 1er de la Constitution mentionnera la lutte contre le dérèglement climatique, alors qu'on aurait pu être tout aussi clair en écrivant simplement que la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique » – quoiqu'on aurait pu aussi évoquer la question des limites planétaires en faisant référence à la surexploitation des ressources naturelles. De son côté, la Charte de l'environnement sera bancale puisque, rédigée à une époque où le dérèglement climatique ne suscitait pas une telle angoisse quant au devenir de l'humanité, celui-ci n'était pas mentionné. Pourquoi, alors que vous l'introduisez à l'article 1er de la Constitution, ne pourrait-il pas figurer dans la Charte de l'environnement ?
Il faut faire preuve de cohérence pour que ceux qui s'appuieront sur la Constitution et la Charte de l'environnement puissent s'y retrouver. De deux choses l'une : soit vous avez tort d'introduire la lutte contre le dérèglement climatique à l'article 1er, soit vous avez raison de le faire et il faut compléter la Charte en ce sens. D'où cet amendement. Peut-être n'est-il pas adéquat en faisant référence au « changement climatique », aussi serais-je ravi que vous proposiez un sous-amendement tendant à y substituer le mot « dérèglement ». Ainsi serions‑nous en parfaite cohérence avec l'article 1er de la Constitution.
Je soutiens pleinement cet amendement, qui apporte de la cohérence rédactionnelle. On aurait pu privilégier une acception plus large de l'environnement à l'article 1er de la Constitution, sans entrer dans le détail. À partir du moment où on précise les choses, il serait cohérent de suivre la même logique dans la Charte.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l'amendement CD20 de M. François-Michel Lambert.
La commission examine l'amendement CD17 de M. François-Michel Lambert.
Il s'agit d'introduire dans la Charte de l'environnement le principe de non-régression. En vertu de ce principe, tout retour en arrière serait impossible une fois que des mesures auraient été prises pour améliorer notre quotidien, préparer un avenir meilleur pour nos enfants, renforcer la protection de l'environnement, parfois même le régénérer en permettant le retour d'une vie plus riche, d'une biodiversité plus forte, d'un équilibre plus harmonieux des systèmes environnementaux. Ainsi, une nouvelle majorité ne pourrait pas imprimer un recul et abîmer les efforts, parfois colossaux, et les sacrifices consentis par ceux qui l'ont précédée.
Bien évidemment, si les avancées scientifiques montrent qu'un choix n'a pas donné les résultats bénéfiques attendus, il faudra le remettre en cause et les mesures législatives ou réglementaires devront être corrigées – je pense, par exemple, aux néonicotinoïdes.
Pour les raisons déjà évoquées au début de la discussion, nous sommes défavorables à l'inscription du principe de non‑régression, que ce soit dans la Constitution de 1958 ou dans la Charte de l'environnement. Notre cadre constitutionnel, qu'il est essentiel de conserver, ne permet pas de hiérarchiser les droits. Seul le juge constitutionnel peut apprécier l'équilibre entre les principes constitutionnels. Le principe de non-régression contraindrait le législateur au regard des dispositions qu'il a adoptées, mais empêcherait aussi de ne pas faire passer la protection de l'environnement avant d'autres principes fondamentaux – par exemple, le droit à la santé. Au demeurant, la référence, à l'article 2 de la Charte, à « l'amélioration de l'environnement » s'apparente à une forme de non-régression. Avis défavorable.
Le principe de non-régression étant inscrit dans la seule Charte de l'environnement, il ne s'appliquerait qu'aux domaines qu'elle couvre – telle est l'interprétation qu'en ferait un constitutionnaliste. Il ne figure pas à l'article 1er, auquel vous avez fait le choix de circonscrire le débat. En tant que parlementaire, je ne vois pas la modification de la Constitution comme un temps fort de mes mandats. D'ailleurs, j'aurais préféré qu'on n'y touche pas si c'était pour se limiter à l'article 1er, sans avoir de réflexion globale.
Je crains fort, monsieur le rapporteur pour avis, que nous ne puissions changer la moindre virgule de ce texte : vous ne voulez pas de limites ; vous refusez le principe de non-régression. La proposition de M. Lambert est pourtant frappée au coin du bon sens et, de surcroît, mesurée puisqu'il sera tenu compte des connaissances scientifiques et techniques du moment. Le principe est affirmé, mais les limites que vous en craignez ne sont pas gravées dans le marbre. Il y a là beaucoup de modestie et d'humilité. Je suis favorable à cet amendement.
La commission rejette l'amendement.
Elle émet un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du projet de loi constitutionnelle sans modification.