Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission des affaires économiques a auditionné, en visioconférence et conjointement avec la commission des affaires européennes, M. Thierry Breton, commissaire européen responsable du marché intérieur.

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Monsieur le commissaire européen, nous sommes très heureux de vous accueillir, en ce début de présidence française du Conseil de l'Union européenne, pour faire un nouveau point sur les importants dossiers dont vous avez la charge.

Nous sommes tous d'accord pour saluer le volontarisme dont vous faites preuve pour doter l'Union européenne d'une véritable politique industrielle. L'été dernier, deux alliances industrielles ont été créées : l'une sur les données industrielles et le cloud, l'autre sur les semi‑conducteurs. D'autres alliances prometteuses, sur les lanceurs spatiaux, sur l'avion à zéro émission et sur les carburants alternatifs, ont été annoncées. Pouvez-vous nous confirmer que le calendrier sera respecté et que les alliances seront créées en janvier ou février ?

Par ailleurs, comment avance la création de nouveaux projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) ? Depuis décembre 2020, les États membres appellent à la création d'un PIIEC relatif à l'hydrogène. Des négociations sont en cours et des projets ont été déposés. Quand ce PIIEC sera-t-il officiellement validé par la Commission européenne ? Je vous pose la même question pour les PIIEC relatifs au cloud et à la santé, qui ont été annoncés l'an dernier.

Vous êtes également responsable de la stratégie numérique européenne. Deux textes majeurs sont en cours de négociation en la matière, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Le Parlement et le Conseil ont amendé les propositions de la Commission. Est-elle satisfaite de l'enrichissement apporté à ces textes ? Quels points sensibles en empêchent encore l'adoption rapide ?

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Monsieur le commissaire, je tiens d'abord à saluer l'action exceptionnelle que vous menez depuis bientôt deux ans pour faire face à la pandémie. Vous avez été au cœur de la politique européenne d'achat, de fabrication, de distribution et de don de vaccins. Cette politique fait la fierté de l'Union. Sans elle, le taux de vaccination de l'Europe et du monde ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui, et les différents pays de l'Union se trouveraient dans une situation inéquitable. Je souhaite donc vous adresser un grand merci et je le fais, je l'espère, de manière transpartisane.

Vous êtes également au cœur des grands enjeux qui marquent la présidence française du Conseil de l'Union européenne et l'avenir de l'Europe : la régulation du numérique par le DMA et le DSA, la souveraineté industrielle, la compétitivité. Sur tous ces dossiers, je vous souhaite bon courage.

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Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur

J'ai été très fier, en tant que commissaire français, de participer le 7 janvier dernier à la réunion du collège des commissaires européens avec les présidents de groupe politique de l'Assemblée nationale. Cette rencontre fut à la fois riche, chaleureuse, digne et républicaine.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne est un moment très important pour la France et très attendu par l'Europe, d'autant que de nombreux textes sont sur la table, notamment le DMA et le DSA.

Je voudrais mettre en perspective mon action dans le portefeuille très large qui est le mien, voulu par le Président de la République. J'en ai hérité en tant que second choix, mais je n'en tire aucune conclusion et je m'y dédie avec beaucoup d'énergie et d'enthousiasme. Ce portefeuille couvre le numérique, les entreprises, la politique industrielle et le tourisme, mais également les industries de santé et les vaccins ainsi que l'industrie de défense et l'espace. Cette amplitude permet une plus grande efficacité pour construire une Europe plus assertive et plus autonome. Ensemble, nous serons plus puissants ; nous ne recherchons pas la puissance pour elle-même, mais c'est de cette manière que nous protégerons nos entreprises et nos concitoyens. Après le concept d'Europe solidaire avec le plan NextGenerationEU en 2020, celui d'Europe puissance est en train d'émerger.

L'Europe a su redonner confiance à travers sa politique vaccinale. Nous sommes aujourd'hui le premier continent en nombre de personnes vaccinées, même s'il reste encore un certain nombre de nos concitoyens européens à convaincre. Nous sommes également le premier continent en matière de fabrication, avec 300 millions de doses de vaccin à ARN messager fabriquées par mois, ce qui fait de l'Europe le premier exportateur mondial devant la Chine, l'Inde, les États-Unis et l'Indonésie, alors qu'on disait que l'Europe avait perdu cette bataille.

Cent cinquante pays ont été vaccinés. Ils ne l'auraient pas été sans nous, car les Américains avaient bloqué leurs frontières pour protéger leur production et la réserver à leurs concitoyens. Lorsque j'ai pris la charge de ce dossier en février 2021, j'ai constaté que les usines européennes installées aux États-Unis ne pouvaient pas intégrer les chaînes logistiques européennes en raison d'un décret pris sur le fondement du Defense Production Act (DPA) interdisant les exportations tant que l'immunité collective ne serait pas atteinte. Pour rétablir les discussions avec mon homologue américain, j'ai convaincu mes collègues du collège de mettre en place, dans le cadre du principe de réciprocité, un instrument juridique permettant de contrôler l'exportation de certains composants : l'Union autorisait cette exportation dès lors que le pays destinataire l'autorisait lui aussi. C'est ainsi que nous avons pu redonner accès aux chaînes logistiques.

L'Europe dispose de cinquante-huit usines fabriquant des vaccins. D'une manière générale, elle est le premier continent industriel. Mais nous ne devons pas être naïfs : si les États-Unis ont perdu leur savoir-faire industriel – je le constatais déjà lorsque j'étais industriel –, et la Russie à plus forte raison, la Chine est en croissance industrielle et dispose d'usines extrêmement sophistiquées. L'Europe se dote de moyens pour renforcer l'approvisionnement de ses chaînes de valeur critiques. Nous essayons de tirer profit de ce que nous avons appris avec les vaccins pour l'appliquer à d'autres domaines de la politique industrielle.

Je pense notamment aux semi-conducteurs. L'Europe doit redevenir une puissance en matière de production de puces électroniques. Elle l'est déjà en matière de recherche et développement, avec le Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-Leti) à Grenoble, avec l'Institut de microélectronique et composants (IMEC) en Belgique, leader mondial de la recherche sur les transistors à effet de champ à ailettes (FinFET), ou encore avec les instituts Fraunhofer en Allemagne, qui sont parmi les leaders de la recherche en matière de packaging. Nous disposons donc de centres de recherche d'excellence, dont les résultats bénéficient d'ailleurs à tous les acteurs, y compris non européens. Il faut désormais nous équiper pour accroître la production de puces sur le territoire européen, car c'est un composant indispensable à toutes les industries. On le voit aujourd'hui clairement : en raison de la pénurie de semi‑conducteurs, l'industrie automobile ne peut faire face à la demande réelle, ce qui représente un manque à gagner pouvant aller jusqu'à 15 %.

Nous travaillons sur l' European Chips Act, dont l'objectif est de faire passer de 10 % à 20 %, d'ici à la fin de la décennie, la part des semi-conducteurs produits sur le territoire européen. Sachant que le marché devrait lui-même doubler, passant de 500 à 1 000 milliards d'euros, il s'agit donc de multiplier par quatre la production de semi-conducteurs sur le territoire européen. Nous avons un plan et nous savons comment l'exécuter, notamment grâce aux enseignements sur la sécurité de l'approvisionnement que nous avons tirés de la production des vaccins. L'Europe doit être en mesure de produire les composants les plus avancés au monde, au-dessous de 5 nanomètres, voire de 1 nanomètre. Cette nouvelle génération de processeurs et de composants critiques est nécessaire à l' edge computing, à la santé, à l'internet des objets, aux véhicules connectés et à l'intelligence artificielle.

Pour résumer, mon objectif est de réarmer le marché intérieur, afin d'être plus résilients, en nous appuyant sur tout ce que nous avons appris, notamment pendant la pandémie. Nous travaillons à cet égard sur un instrument d'urgence pour le marché intérieur. Étant des femmes et des hommes politiques – vous comme députés, moi comme commissaire européen –, nous savons que la vie politique est faite de rapports de force, qu'il faut prendre en compte pour faire avancer nos idées, trouver des solutions et des compromis. Lorsque j'étais chef d'entreprise, je cherchais toujours à diversifier mes fournisseurs, pour ne pas dépendre d'un seul acteur, et j'exerçais, le cas échéant, des rapports de force. Nous le faisons aujourd'hui à l'échelle de l'Europe : nous l'avons fait pour les vaccins, nous sommes en train de le faire pour les semi-conducteurs et nous le ferons pour l'ensemble des chaînes de valeur stratégiques, afin d'éviter des pénuries et une trop forte dépendance, car de telles situations nous affaiblissent.

Certains utilisent ces vulnérabilités ou ces dépendances dans un contexte géopolitique. Nous l'avons vu au début de la pandémie avec la diplomatie chinoise des masques ou la diplomatie russe du vaccin Spoutnik. Nous avons dû nous battre. Nous devons nous donner les moyens de protéger nos écosystèmes.

Nous cherchons donc à réduire notre dépendance pour les matières premières, pour les batteries, pour les principes pharmaceutiques actifs, pour l'hydrogène, pour les semi‑conducteurs, pour les technologies du cloud et de l' edge computing. Nous travaillons sur d'autres secteurs stratégiques : les matériaux et terres rares, l'énergie, les produits chimiques, la cybersécurité. L'Europe s'est dotée d'un observatoire des technologies critiques et d'une boîte à outils en matière industrielle, qui renforce sa capacité à réagir de manière coordonnée en cas d'urgence.

Rééquilibrer les rapports de force, c'est pour moi le maître mot. Je le répète, l'Europe doit se garder de toute naïveté. Elle est un continent ouvert, et la mondialisation se poursuivra, quoi qu'en pensent certains. Mais, dans ce monde nouveau, même nos alliés et partenaires, comme les États-Unis, peuvent se fermer, pour des raisons diverses. Il nous faut donc définir une nouvelle grammaire industrielle dans un contexte où les chaînes de valeur sont désormais des enjeux géopolitiques. C'est le sens de mon travail, c'est l'approche que je promeus au sein de la Commission, et je constate que nous sommes en train de changer de paradigme.

Le rapport de force se joue au premier chef avec la Chine, qui est un partenaire, mais aussi un rival systémique. Il ne s'agit pas de tout rapatrier en Europe, ce serait une vue de l'esprit, mais l'Europe doit disposer d'atouts industriels qui la rendent incontournable, afin de pouvoir, en cas de tensions, exercer des rapports de force. Prenons l'exemple des semi-conducteurs : nous sommes aujourd'hui les seuls au monde à maîtriser la totalité de la chaîne de fabrication des robots qui gravent les puces, grâce à l'écosystème bâti autour de l'entreprise néerlandaise ASML, qui fournit 95 % des usines de semi-conducteurs au monde. Personne ne sait graver au-dessous de 5 nanomètres comme le fait l'Europe aujourd'hui, et il n'y a pas une seule usine au monde qui puisse graver des processeurs de nouvelle génération sans le savoir‑faire européen.

Nous devons construire les rapports de force, écosystème par écosystème. Nous devons aussi nous donner les moyens de mieux filtrer les investissements directs étrangers. Nous avons travaillé sur un mécanisme de filtrage permettant de préserver les intérêts de l'Union dans les domaines les plus stratégiques et sur un règlement visant à remédier aux distorsions de concurrence causées par les subventions étrangères au sein du marché intérieur. Ce combat a été difficile, mais il a abouti. À mon initiative – je me suis appuyé sur les trois directions générales placées sous mon autorité, ce qui me donne une vraie force –, la Commission a proposé le mois dernier un nouvel outil visant à lutter contre le recours à la coercition économique par des pays tiers. L'Union sera ainsi mieux à même de défendre les intérêts de ses entreprises sur la scène internationale. C'est un autre exemple du changement de paradigme en cours.

Pour des raisons que je ne m'explique pas, l'Europe n'est plus présente dans la plupart des organismes internationaux de normalisation, malgré l'importance de ce domaine, que j'ai moi-même pu constater lorsque j'étais chef d'entreprise. La Chine et ses alliés, en revanche, ont une ligne stratégique claire et sont très actifs en la matière. Nous avons élaboré une stratégie pour que l'Europe reprenne le leadership, car la normalisation est essentielle dans la transition verte et dans la transition numérique, qu'il s'agisse de l'hydrogène vert ou de l'interopérabilité des appareils électroniques.

Le marché intérieur ne se limite pas à l'espace physique d'échange des produits et des services. Il s'étend à l'espace informationnel, qu'il faut réguler. C'est ce à quoi je me suis attelé dès le premier jour de mon arrivée à la Commission, notamment avec les équipes de la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG CONNECT). Ce travail a abouti au DMA, qui vise à mieux encadrer les activités économiques des grands acteurs du numérique ou contrôleurs d'accès – gatekeepers –, et au DSA, qui permettra de mieux organiser la vie en société qui se déroule dans l'espace informationnel.

Au cours des deux dernières années, les enfants européens ont passé en moyenne six heures et demie par jour sur les plateformes, soit la moitié de leur temps de veille. Or on ignore souvent ce qui s'y passe ; on y découvre des contenus effrayants, qui peuvent donner lieu à des drames. En tant que parents ou grands-parents, nous ne pouvons l'accepter. Le DSA permettra de responsabiliser les plateformes et de contrôler leurs algorithmes. Elles devront répondre aux injonctions des régulateurs et des législateurs nationaux, des régulations verticales ayant vocation à se greffer sur les obligations transversales imposées par le DSA. C'est une petite révolution, qui a été très compliquée à mettre sur pied, mais nous avons réussi à résister aux puissants lobbies du secteur.

Ce jour est historique, puisque nous avons ouvert ce matin le premier trilogue sur le DMA et le DSA. Les deux colégislateurs, le Parlement européen – équivalent de l'Assemblée nationale – et le Conseil de l'Union européenne – équivalent du Sénat –, ont adopté ces textes dans des termes très proches, mais des discussions sont encore en cours sur certains points, notamment les seuils. Le DMA a été adopté par le Conseil et par le Parlement au mois de décembre. Le DSA a été adopté par le Conseil et devrait être adopté par le Parlement entre le 15 et le 20 janvier. Le deuxième trilogue commencera alors. J'espère que ces textes seront définitivement adoptés sous la présidence française, peut-être même avant le printemps.

Madame la présidente, l'alliance pour l'aviation zéro émission et l'alliance sur les carburants alternatifs devraient voir le jour en février ou mars prochains. S'agissant du PIIEC relatif à l'hydrogène, les prénotifications sont en cours d'analyse par la direction générale de la concurrence (DG COMP). Nous faisons des efforts pour aborder au plus vite la phase de notification et de validation. Les projets devraient être approuvés avant l'été.

La France a pris en charge la préparation d'un PIIEC relatif à la santé, et la Commission soutient ses efforts. Nous avons eu la semaine dernière une première discussion à ce sujet avec Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et mes collègues Stella Kyriakides et Margrethe Vestager, chargées respectivement de la santé et de la concurrence. Ce PIIEC devrait nous permettre de développer des processus de production pharmaceutique innovants, plus verts et moins chers, mais aussi de relocaliser la fabrication d'une partie des composants actifs en Europe et de renforcer ainsi les chaînes de valeur. Il sera complémentaire de l'action de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA), qui vise à maintenir la disponibilité permanente de capacités de production pour faire face à d'éventuelles pandémies ou crises de santé.

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Monsieur le commissaire, je vous remercie, au nom du groupe La République en Marche, d'avoir exposé votre vision des grands dossiers industriels et numériques qui seront discutés durant la présidence française.

La crise sanitaire a accéléré l'action de l'Union européenne, qui a su aller bien au-delà de ses compétences, notamment dans le domaine de la santé. La crise a également permis une prise de conscience collective de l'importance de conduire au niveau européen une stratégie industrielle ambitieuse pour renforcer notre autonomie stratégique. Dans cette optique, la Commission européenne a identifié, le 5 mai 2021, six domaines stratégiques à fort potentiel dans lesquels nous devons investir.

Vous portez une attention particulière aux semi-conducteurs, véritable nerf de la guerre pour l'avenir de notre industrie. Un projet de texte, intitulé European Chips Act, doit être présenté en ce début d'année. Quelles sont les premières avancées des discussions engagées avec plusieurs dirigeants et industriels européens ? Comment acquérir les compétences nécessaires ? Quels montants l'Europe devra-t-elle investir ?

Vous avez récemment souligné que l'énergie nucléaire serait nécessaire pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et vous estimez qu'il faudra investir à cette fin 500 milliards d'euros dans les centrales de nouvelle génération. La Commission vient d'ailleurs d'inclure le nucléaire dans sa taxonomie. Toutefois, de grandes puissances européennes comme l'Allemagne tournent le dos à cette énergie. Comment pouvons-nous réaliser cet investissement au niveau européen ? Quel sera l'effort attendu pour les pays qui, comme la France, favorisent le nucléaire ?

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Aude Bono-Vandorme et moi présenterons la semaine prochaine à la commission des affaires européennes notre rapport d'information sur le DSA. La proposition de règlement DSA que la Commission a soumise au Parlement et au Conseil maintient les principes énoncés dans la directive de 2000 sur le commerce électronique, notamment le safe harbor, c'est-à-dire l'exemption conditionnelle de responsabilité pour les fournisseurs de services intermédiaires. Cela suscite des interrogations, voire l'incompréhension de certains interlocuteurs. Aucun membre du Conseil, ni de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen, n'a pris position pour revenir sur ce choix, et je peux en comprendre les raisons. Néanmoins, il m'apparaît nécessaire de prévoir une possibilité de revenir sur ce principe dans les années à venir au cas où, malgré une application scrupuleuse du DSA, la régulation des contenus illicites demeurerait insuffisante. Quelles possibilités existent de faire évoluer la législation sur ce point ? L'article 73 de la proposition de règlement DSA est seulement une clause d'évaluation de ce règlement, non une clause de révision. Ce sujet est technique, mais contribue, dans certains milieux, à crisper le débat sur la responsabilité des plateformes numériques.

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Monsieur le commissaire, c'est un plaisir de vous retrouver après notre visite à Bruxelles.

Dans le contexte du début de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le Président de la République a annoncé sa volonté de définir un nouveau modèle européen de croissance et d'investissement. Vous venez d'en esquisser les principales lignes. Le renforcement des PIIEC, qui est au cœur de la stratégie industrielle que vous avez présentée en mars 2020, jouera un rôle primordial dans la poursuite de cet objectif. Cela doit nous permettre de consolider notre autonomie stratégique en renforçant les capacités de production en Europe et en garantissant l'accès des Européens aux biens essentiels.

Or le rapport remis hier par Philippe Varin, ancien président de France Industrie, aux ministres Barbara Pompili et Agnès Pannier-Runacher met en exergue les problèmes d'approvisionnement en métaux et terres rares, nécessaires au développement de la mobilité électrique dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe. Les chaînes d'approvisionnement sont en effet largement contrôlées par la Chine. Comment la politique industrielle européenne peut-elle réduire la dépendance de l'Union pour que nous puissions mener à bien notre transition écologique et industrielle ? De quels moyens disposez-vous pour éviter que les pénuries que nous connaissons actuellement ne se pérennisent ou ne s'intensifient ?

Par ailleurs, dans le cadre des plans France Relance et France 2030, le Gouvernement français a lancé des appels à projets sur les métaux critiques pour sécuriser les approvisionnements et renforcer le tissu industriel. Dans le cadre de la stratégie industrielle européenne, vous avez identifié les matières premières et les batteries comme des domaines prioritaires où l'Europe doit réduire sa dépendance vis-à-vis des États tiers. Dans cette perspective, l'alliance industrielle sur les matières premières critiques a été créée en 2020. Comment ces efforts à l'échelle européenne peuvent-ils être intensifiés afin de soutenir les plans d'investissement des États membres ?

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Monsieur le commissaire, dans la continuité de notre visite à Bruxelles, je souhaite vous interpeller sur deux points : l'ambition et le calendrier en ce qui concerne le devoir de vigilance des multinationales ; la maîtrise du cycle de l'eau, compte tenu de la menace pesant sur Saint-Gobain PAM.

Le 20 janvier prochain, lors de la niche du groupe Socialistes et apparentés, l'Assemblée nationale devrait voter, je l'espère à l'unanimité, une résolution demandant au Président de la République de promouvoir l'adoption d'une directive européenne ambitieuse sur le devoir de vigilance. Or la publication de cette proposition de directive ne cesse d'être reportée. Vous nous avez dit à Bruxelles que trois mois, ce n'était pas trois ans, mais c'était il y a deux mois. Pouvez-vous nous rassurer sur les intentions ? La force de l'Europe réside dans son éthique, en l'espèce dans sa capacité à stopper l'importation de travail forcé et du travail des enfants et à éviter des drames environnementaux à l'autre bout du monde. Nous avons besoin d'une Europe plus forte et plus unie sur la question des droits humains et de l'environnement, ce qui passe par une régulation, à l'instar de celle des États-Unis. Pouvons‑nous compter sur un texte ambitieux pour le printemps ? Y travaillez-vous de façon coordonnée et harmonieuse avec votre collègue commissaire à la justice ? Cette directive est très attendue par les organisations non gouvernementales (ONG), par les syndicats et par la plupart des formations politiques de notre pays.

Je vous avais déjà alerté sur la question de la souveraineté en matière d'eau potable et vous m'aviez répondu que vous alliez examiner ce sujet très sensible. Notre souveraineté technologique et industrielle ne dépend pas seulement des nanotechnologies ou de l'aérospatial. Elle dépend aussi de la maîtrise du cycle de l'eau, domaine dans lequel la France, avec Saint‑Gobain PAM, a pris une avance mondiale. Or celle-ci est désormais menacée par le dumping social, fiscal et environnemental de concurrents asiatiques qui s'installent sur le sol français avec l'aide du plan de relance, voire de fonds européens. Cette concurrence déséquilibre profondément les efforts de modernisation et de décarbonation engagés par notre industrie, qui couvre environ 50 % des besoins européens. N'y a-t-il pas une menace pour notre souveraineté dans ce domaine devenu éminemment stratégique avec le changement climatique ? Ne devons-nous pas protéger la modernisation de notre industrie afin qu'elle garde sa place en Europe et dans le monde ?

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L'intégration du nucléaire dans la taxonomie européenne a été accueillie comme une bonne nouvelle en France. Cependant, le débat n'est pas clos. Quel sera le cheminement de ce dossier dans les prochaines semaines ?

Il faudrait, selon nous, désindexer le prix de l'électricité payé par les industriels de celui du gaz. Comment aborder cette question à l'échelle européenne ?

J'ai travaillé, dans le cadre de la commission des affaires économiques, sur les chaînes de valeur des produits sensibles. Existe-t-il un consensus à ce sujet à l'échelle européenne ? Quel est le point de vue des différents pays ?

La question de l'inflation ne relève pas totalement de votre champ de compétence. Néanmoins, pensez-vous que nous devons nous attendre à une réponse monétaire de la part de la Banque centrale européenne (BCE) ? Vous semble-t-elle nécessaire ou, au contraire, à redouter ?

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Je tiens à vous féliciter pour votre engagement, monsieur le commissaire.

L'hydrogène va faire l'objet d'un PIIEC. Plusieurs collègues et moi sommes très engagés en faveur du développement de cette énergie, notamment du train à hydrogène, qui circule déjà en Allemagne. On dit souvent de l'hydrogène que c'est l'énergie au service du territoire et le territoire au service de l'énergie. Vous parlez beaucoup de l'hydrogène vert, mais, dans un premier temps, ne faudrait-il pas soutenir les projets utilisant l'hydrogène gris ? Quelle est votre vision en la matière ? En France, je le rappelle, 600 sites industriels sont capables de fournir ce type d'hydrogène.

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Monsieur le commissaire, je souhaite vous interpeller sur la question de la levée des brevets.

Vous avez beaucoup parlé du renouveau de la capacité industrielle européenne, mais, pour faire face à la pandémie, il faut que l'ensemble de la planète ait accès aux vaccins et que certains pays puissent les produire de manière autonome. L'Organisation mondiale de la santé estime qu'il est nécessaire d'atteindre un taux de couverture vaccinale mondiale de 70 %. Aujourd'hui, ce taux est légèrement inférieur à 50 %. Dans certaines zones, notamment sur le continent africain, il dépasse à peine 8 %.

De nombreuses ONG, associations et personnalités de sensibilités politiques très différentes mènent une campagne internationale en faveur de la levée des brevets. Cette position a été adoptée par le président étasunien ; Emmanuel Macron, après s'y être opposé, a fini par s'y rallier. Toutefois, au-delà des déclarations, rien n'a été fait. Au contraire, l'Union européenne, à qui la France a délégué ses prérogatives en matière de négociations commerciales au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), s'oppose à l'Afrique du Sud et à l'Inde, qui sont favorables à la levée des brevets et disposent de capacités de production.

Vous avez déclaré en mai 2021 : « Cette question de la levée des brevets, il faudra qu'on se la pose, mais en son temps ». Ne pensez-vous pas que ce temps est venu ? La question n'est-elle pas urgente ? Quelle est la position de l'Union européenne dans les négociations à l'OMC, qui tardent à reprendre ? Comptez-vous mener cette bataille et agir, sans attendre 2024, pour que le continent africain puisse vacciner sa population ?

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Thierry Breton, commissaire européen

Concernant le European Chips Act, madame Hennion, nous espérons pouvoir déposer un texte dans les semaines qui viennent ; c'est l'objectif que la Commission s'est fixé. Il s'agit de mutualiser les capacités de l'ensemble des centres de recherche au niveau européen et de financer des lignes pilote. À cet effet, 4 à 5 milliards d'euros pourraient être mobilisés par la Commission, notamment pour abonder un fonds affecté aux start-up innovantes, de manière à favoriser l'usage des semi-conducteurs pour l'intelligence artificielle. Les États membres, notamment l'Allemagne, la France, l'Italie, la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que des organismes privés contribueront à l'effort de financement, qui pourrait ainsi atteindre 40 milliards d'euros. Vous avez souligné très justement l'importance de la formation. L'Europe dispose déjà de fortes compétences, mais il faut encore les développer.

J'ai toujours pensé qu'il était indispensable d'inclure l'énergie nucléaire dans la taxonomie pour atteindre l'objectif zéro carbone à l'horizon 2050. D'après le travail réalisé par mes équipes, il faudra multiplier la production d'électricité par deux en Europe dans les trente ans qui viennent. Aujourd'hui, 26 % de l'électricité produite dans l'Union est d'origine nucléaire. Compte tenu de la fermeture des centrales thermiques – enjeu majeur – et du rythme des investissements dans les énergies renouvelables, ce taux devra être au minimum de 15 % pour atteindre le zéro carbone en 2050. La production d'électricité devant être multipliée par deux, cela correspond en réalité à une augmentation de la capacité de production nucléaire.

Ainsi, au cours des trente ans qui viennent, outre 60 à 65 milliards d'euros par an dans les énergies renouvelables et 40 milliards par an dans les réseaux de distribution d'électricité, il faudra investir 20 milliards par an dans le nucléaire. Il s'agira de financer à la fois la fin des centrales de première et de deuxième générations d'ici à 2040 et le développement des réacteurs de troisième génération, à savoir les réacteurs pressurisés européens (EPR) et les petits réacteurs modulaires (SMR). Les centrales de troisième génération ayant obtenu leur permis de construire avant 2045 pourront bénéficier de la taxonomie. Quant aux centrales de quatrième génération, à émission de déchets faible ou nulle, elles doivent faire l'objet d'investissements importants dès maintenant ; la Commission soutient ces efforts. Nous avons redonné une vision structurée et cohérente pour la filière nucléaire, qui emploie, je le rappelle, 1 million de personnes en Europe, dont 200 000 en France.

La proposition d'acte délégué relative à la taxonomie est actuellement en consultation. Nous espérons pouvoir la faire adopter par le collège pour le soumettre aux deux colégislateurs avant la fin du mois de janvier. Le calendrier sera donc tenu.

S'agissant du safe harbor, madame Le Grip, nous avons maintenu dans la proposition de règlement DSA l'exemption de responsabilité pour les vrais hébergeurs, approche que le Conseil et le Parlement européen ont confirmée. Aux États-Unis, chaque fois que le safe harbor est en discussion, le débat n'avance plus. En revanche, pour les plateformes, la situation va changer radicalement avec le DSA, puisqu'elles devront satisfaire de nouvelles obligations, plus efficaces que la menace de perdre l'exemption. On peut tout à fait envisager des clauses de rendez-vous pour suivre l'application de cette nouvelle régulation.

Madame Deprez-Audebert, je suis en contact étroit avec M. Varin, qui m'a remis hier matin les conclusions de son rapport. Je l'ai encouragé à prendre en compte le travail réalisé au niveau européen, sachant que les métaux rares se répartissent sur l'ensemble du continent. Grâce à une équipe dédiée qui collecte en permanence les informations, nous avons une vision claire de ce que recèle le sous-sol européen, notamment pour les métaux rares – lithium, manganèse, baryum, magnésium… –, nécessaires à la fabrication de composants critiques, de batteries ou encore d'aimants. Leur quantité est supérieure à ce que l'on pense généralement, mais il faut se donner les moyens de les extraire dans le respect de nos règles rigoureuses de préservation de l'environnement et de la biodiversité, en recueillant le soutien des collectivités locales.

C'est une question stratégique pour nos chaînes de valeur ; il est essentiel de renforcer notre indépendance en la matière. Pour la production de batteries, l'Europe est surtout dépendante de la Chine, et il existe un risque de tensions d'ici deux ou trois ans. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour nous y préparer, mais nous avons la ferme intention de progresser. Il est sans doute encore un peu tôt pour former une alliance industrielle sur les métaux rares ou lancer des PIIEC. Nous mobilisons tous les instruments à notre disposition, y compris pour favoriser la réutilisation des métaux rares en améliorant leur traçabilité grâce aux outils numériques tels que la blockchain.

Monsieur Potier, je mesure votre impatience en ce qui concerne le devoir de vigilance des multinationales. J'espère que nous serons en mesure de faire une proposition dans la deuxième quinzaine de février, conformément à ce que je vous avais indiqué.

L'eau potable est bien sûr indispensable à notre vie quotidienne, mais aussi au secteur industriel. Par exemple, la production de semi-conducteurs demande de l'eau, outre des compétences et de l'électricité abondante et bon marché. Je vous soutiens dans le combat que vous menez pour garantir notre souveraineté en la matière. L'eau doit être gérée comme une ressource stratégique. J'ai demandé à mes équipes d'y travailler, et nous pourrons en reparler.

Comme je l'ai indiqué, monsieur Herth, la proposition d'acte délégué intégrant le nucléaire dans la taxonomie sera présentée au collège des commissaires d'ici à la fin du mois de janvier. La phase de consultation donne lieu à de nombreuses discussions, notamment avec les pays qui ont fait le choix de sortir du nucléaire. Je rappelle que chaque État membre est maître de sa politique et de son mix énergétiques ; il ne m'appartient donc pas de les commenter. Il me revient seulement de recenser les besoins au niveau de l'Union, de donner des orientations et d'attirer les investissements nécessaires, publics ou privés.

Je rappelle que la décision d'indexer le prix de l'électricité sur celui du gaz a été prise il y a quelques années non pas par la Commission, mais par l'ensemble des États membres, y compris la France. À la demande du Conseil, nous avons lancé une étude sur une éventuelle désindexation, qui peut être pertinente. Il faut prendre en compte la question des interconnexions, pour lesquelles il est nécessaire, je l'ai indiqué, d'investir 40 milliards d'euros par an.

La question de l'inflation ne relève pas directement de ma compétence, mais j'y suis très sensible, notamment en tant qu'ancien ministre des finances. Il y a très clairement un risque d'inflation, qu'il faut prendre très au sérieux. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le phénomène est passager : il y a certes des éléments conjoncturels comme le prix de l'énergie, mais il y a aussi une tendance structurelle assez forte, notamment des tensions sur de nombreux matériaux et des conséquences sur les salaires dans certains pays. Vous l'avez certainement relevé, des membres de la BCE et des banques centrales nationales commencent à s'exprimer à ce sujet. Les pays européens, notamment la France, sont très endettés, et nous connaissons les conséquences de l'inflation. Il ne m'appartient évidemment pas de dicter à la BCE sa politique monétaire. Il me revient en revanche, en ma qualité de commissaire chargé du marché intérieur, donc des entreprises, de l'alerter sur le fait que l'augmentation des prix est en train de devenir une réalité dans de nombreux secteurs et qu'elle risque d'être plus durable qu'on ne le pense. C'est un de mes sujets de préoccupation.

Monsieur Simian, l'hydrogène peut et doit effectivement jouer un rôle dans la mobilité ferroviaire, mais aussi routière, maritime et aérienne. Je n'entrerai pas dans la distinction entre hydrogène « vert » ou « gris », même si, à terme, l'hydrogène devra évidemment être aussi décarboné que possible. Pour produire de l'hydrogène bas carbone, nous devons disposer des électrolyseurs et de l'électricité nécessaires. De ce point de vue, toutes les énergies sont bonnes à prendre, notamment l'énergie nucléaire – y compris celle produite par les centrales en fin de vie, dans le respect des autorisations délivrées par les autorités de sûreté, et même dans les pays qui ont décidé de sortir du nucléaire, d'ici à cette échéance – mais aussi les énergies fossiles à basses émissions de CO2. Nous devons investir pour produire massivement de l'hydrogène sur le territoire de l'Union européenne, afin de ne pas dépendre d'autres États. Nous ne devons pas rater ce tournant.

Madame Obono, vous savez tout l'intérêt que je porte à l'Afrique à titre personnel. Vous avez raison, la faible couverture vaccinale du continent, 7 % contre 50 % à l'échelle mondiale, représente un vrai risque.

Il est très important de donner l'accès aux brevets. J'ai été l'un des premiers à le dire, y compris à la directrice générale de l'OMC. Mais la priorité absolue est de vacciner le plus rapidement possible l'ensemble des pays africains. Il faut donc accroître très significativement les dons de vaccins et mettre en place des chaînes de vaccination – à cet égard, je me réjouis que l'utilisation des nouveaux vaccins, à protéines recombinantes, soit soumise à des contraintes logistiques moindres que les vaccins à ARN messager. L'Europe fait beaucoup d'efforts ; il faut que d'autres pays, notamment les États-Unis, en fassent aussi.

La deuxième priorité est le développement des capacités de production en Afrique. Contrairement à ce que certains affirment, l'Afrique ne dispose pas aujourd'hui des usines à même de produire des vaccins en masse ; les usines qui y sont présentes ne peuvent produire qu'en petite quantité – c'est le cas de l'Institut Pasteur de Dakar, qui fonctionne bien – ou réalisent seulement l'enflaconnage – par exemple, les installations d'Aspen en Afrique du Sud. L'Afrique dispose en revanche d'écosystèmes autour de ces usines et de compétences, les universités formant des techniciens et des ingénieurs en biologie. L'Europe a donc investi pour créer de premières usines de fabrication de vaccins, en Afrique du Sud, au Rwanda et au Ghana.

Maintenant que ces capacités de production montent en puissance, la question des brevets va se poser. Contrairement à ce que vous semblez penser, l'Union européenne discute avec les fournisseurs de technologie et avec la directrice générale de l'OMC. Il n'y a donc pas de blocage de sa part. Je l'ai dit très directement à nos amis américains : c'est bien de dire qu'il faut libérer les vaccins et lever les brevets, surtout quand il s'agit de brevets européens, mais ce serait encore mieux si vous nous aidiez à exporter davantage de vaccins et à financer la construction d'usines. L'Afrique représentera, en 2050, 40 % de la population mondiale. C'est maintenant qu'il faut y bâtir les usines capables de produire des vaccins. Nous travaillons sur ces questions d'arrache-pied.

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La présidence française du Conseil de l'Union européenne, placée sous le signe d'une Europe plus solidaire et plus souveraine, promet des débats vifs et constructifs. Je souhaite vous interroger sur trois thèmes.

Concernant la politique énergétique européenne, je me réjouis que la Commission soit parvenue, le 31 décembre dernier, à un projet de labellisation verte pour les centrales nucléaires et les centrales à gaz. Comme le Président de la République, je suis pleinement favorable à cette taxonomie verte, qui permettra de lutter contre le dérèglement climatique et de renforcer notre souveraineté énergétique. Vous avez annoncé dimanche dernier que l'Europe devrait investir 500 milliards d'euros dans le nucléaire d'ici à 2050. Selon vous, nous devrons engager 20 milliards d'euros par an pour nous doter d'un parc de centrales nucléaires de nouvelle génération. Pouvez-vous nous en dire plus quant au calendrier prévu par la Commission pour le développement effectif du nucléaire en Europe ? Comment la présidence française de l'Union européenne peut-elle en accélérer la mise en œuvre ?

Deuxième thème : les enjeux relatifs à notre autonomie stratégique en matière de santé et la politique européenne de solidarité qui peut en résulter. Deux ans après l'émergence de la covid-19, les pays européens connaissent une nouvelle vague de contamination, particulièrement forte. Nous ne rencontrons pas de problèmes d'approvisionnement ni de distribution pour y faire face. Bien au contraire, vous l'avez rappelé, l'Europe est le premier producteur de vaccins à ARN messager, et notre taux de vaccination est le plus élevé au monde. Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes du renforcement de notre autonomie stratégique ? D'autre part, considérez-vous que l'Union européenne est suffisamment solidaire envers les pays à faibles revenus ? Quelles doivent être les prochaines étapes de la politique européenne en la matière ?

Troisième thème : la souveraineté technologique et industrielle de l'Europe. L'Union n'a porté aucune innovation majeure de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, ni dans la révolution numérique, ni dans celle de la mobilité électrique ; nous ne pouvons que le déplorer. Dès lors, l'économie de l'Europe dépend de blocs géopolitiques parfois hostiles, avec lesquels elle est de facto en compétition. Vous avez évoqué des perspectives prometteuses dans le domaine des semi-conducteurs. Au regard de cet exemple encourageant, quelles sont les conditions à l'émergence d'innovations de rupture en Europe ? Quelles politiques européennes, actuelles ou à imaginer, sont de nature à promouvoir l'innovation, en particulier dans le domaine industriel ? Quelles sont vos attentes par rapport à la présidence française de l'Union européenne ?

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Dans le cadre du plan de relance européen, la Commission avait demandé aux États membres de consacrer au moins 20 % des sommes reçues à des investissements dans le numérique. Selon les premiers retours des États membres, cette part serait déjà supérieure à 30 %. Quels sont les prochains objectifs de l'Europe numérique dans le respect de l'Europe écologique ?

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Bernard Deflesselles et moi sommes corapporteurs d'une mission d'information sur l'avion du futur. Concernant l'alliance pour l'aviation zéro émission, un des facteurs de réussite sera la production de biocarburant, qui représente 80 % du potentiel de baisse des émissions du secteur. Des entreprises telles que le groupe Avril ou Neste investissent des centaines de millions d'euros dans ce domaine. Des fonds européens vont-ils soutenir ces investissements ?

Dans la loi de finances pour 2022, la France a modifié sa législation pour autoriser la production de biocarburant à partir de cultures intermédiaires. Pouvez-vous nous confirmer que l'Europe a choisi de soutenir les biocarburants pour le secteur aérien, produits en particulier à partir de cultures intermédiaires ? La stratégie européenne doit être claire, car ce choix est très structurant pour la filière agricole – c'est une agricultrice qui vous parle.

L'Agence européenne de la sécurité aérienne nous a fait savoir que la certification des biocarburants utilisés dans le secteur aérien était exclusivement délivrée par une agence américaine. Un tel monopole est-il acceptable ? Peut-on investir plusieurs milliards d'euros dans les biocarburants tout en dépendant de nos concurrents pour la certification de nos innovations ? N'est-il pas indispensable de nous doter des moyens d'être autonomes en la matière ?

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Pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles et satisfaire les impératifs climatiques de décarbonation, l'Europe doit se doter d'une stratégie énergétique. Au‑delà des aspects techniques comme les interconnexions, pensez-vous possible qu'il y ait une véritable politique énergétique européenne ?

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Merci, monsieur le commissaire, pour l'action que vous menez depuis 2019, qui fait avancer concrètement l'Union européenne.

Lors des élections européennes de 2019, la liste Renaissance a soutenu dans son programme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, encore appelé « taxe carbone aux frontières ». L'Union travaille activement à sa mise en œuvre à partir de 2023. D'après une note de La Fabrique de l'industrie, les acteurs industriels français sont globalement d'accord avec la philosophie de la Commission, mais semblent s'inquiéter d'un potentiel effet de bord négatif sur les exportations d'entreprises européennes, compte tenu de la fin programmée des quotas gratuits. Aucune mesure ne serait envisagée pour permettre aux entreprises européennes de maintenir la compétitivité de leurs exportations. Avez-vous identifié ce problème ? Travaillez-vous sur des mesures tendant à éviter ces effets de bord ?

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Je salue votre action, monsieur le commissaire. L'Europe a de la chance d'avoir un commissaire aussi au fait que vous des sujets économiques et technologiques.

La Commission européenne a entrepris il y a une quinzaine d'années de créer une juridiction unifiée du brevet (JUB). Le projet initial faisait de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le sommet du dispositif, dans la mesure où elle pouvait être saisie en dernier recours. Toutefois, à la demande de certains États membres, la CJUE a été exclue du schéma : si ses avis sont considérés comme contraignants, il n'existe aucun mécanisme permettant aux plaignants de la saisir. Plusieurs spécialistes se sont alarmés du fait que ce nouveau projet était contraire à l'ordre juridique européen. L'analogie avec la Cour de justice Benelux, invoquée dans plusieurs rapports, ne convainc guère : celle-ci ne rend que des décisions d'orientation, et la CJUE reste compétente en dernier ressort. La Commission compte-t-elle vraiment mettre en place la JUB sans garantie effective que la prééminence du droit européen sur les droits nationaux sera préservée ?

Autre thème polémique, lié au précédent : le brevet logiciel. La question fait l'objet d'un débat multiséculaire, à la fois économique, scientifique et philosophique. Je rappelle la position de principe chère au scientifique que je suis : on ne peut rien breveter qui soit abstrait, ni une idée, ni une formule mathématique, ni un algorithme, ni un logiciel. Pourtant, des brevets logiciels sont délivrés dans certains pays, ce qui permet à des patent trolls de racketter des PME innovantes. Qui plus est, ces brevets favorisent l'évasion fiscale et n'apportent aucune protection par le droit d'auteur, bien au contraire. Un exemple parmi tant d'autres : la petite entreprise de logiciels de l'un de mes proches a dû céder 200 000 dollars à une coquille vide américaine prédatrice, sans même pouvoir se défendre, faute de moyens.

Au cours des dernières années, selon l'Association pour une infrastructure informationnelle libre, l'Office européen des brevets a accordé abusivement des dizaines de brevets logiciels, par glissement sémantique, sous couvert de breveter la mise en œuvre d'algorithmes. Cette pratique est contraire aux intentions du Parlement européen, qui avait voté massivement, en 2005, contre un projet tendant à légaliser les brevets logiciels, présenté par la Commission de l'époque. Comptez-vous prendre des mesures pour rappeler à l'ordre l'Office européen des brevets ?

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Thierry Breton, commissaire européen

Monsieur Michels, je rappelle que le montant de 500 milliards d'euros d'investissements dans le nucléaire résulte d'une évaluation « de bas en haut » ; c'est celui que nous estimons nécessaire pour faire face aux besoins énergétiques de l'ensemble de l'Union européenne.

Il faudra investir 50 milliards d'euros d'ici à 2030 pour maintenir les 103 centrales nucléaires existantes en fonctionnement, jusqu'à 2040 au plus tard. En parallèle, il faudra financer le déploiement de réacteurs de troisième génération, à savoir des EPR – il en existe déjà – ou des SMR – technologie en cours de développement, qui intéresse de nombreux États membres, notamment la France, la Belgique et les Pays-Bas. Des consortiums de recherche pourront être constitués pour accélérer le déploiement des SMR.

La quatrième génération sera celle des réacteurs à émission faible ou réduite de déchets. Les réacteurs à fusion verront peut-être le jour après 2050. Il y a eu des avancées significatives en la matière, notamment la semaine dernière : une équipe de chercheurs du Massachussets Institute of Technology (MIT) est parvenue à obtenir de l'énergie positive par fusion. En tout cas, il faut poursuivre ces efforts de recherche, et donner envie aux jeunes scientifiques européens de s'y investir.

Je me suis beaucoup battu pour redonner une vision pragmatique, non idéologique, sur le nucléaire. Nous offrons ainsi de la profondeur et de la visibilité à l'ensemble de la filière.

L'exportation des vaccins doit être accélérée, de façon coordonnée, grâce au mécanisme Covax. Nous incitons en outre les États membres à intervenir par des actions bilatérales. Il faut écouter les besoins exprimés et se mettre en mesure, à l'échelle mondiale, d'y répondre. Je me suis ainsi entretenu à plusieurs reprises avec Macky Sall, président du Sénégal, qui exercera la présidence de l'Union africaine à partir de février prochain.

Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que l'Europe n'a pas porté d'innovations majeures à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci.

L'entreprise ASML par exemple, deuxième capitalisation boursière européenne, dont la valeur dépasse celle d'Intel, est le leader mondial dans son domaine. Elle fabrique des robots extraordinairement performants qui réalisent des gravures de deux nanomètres – c'est la taille d'une molécule d'octane, un cent-millième du diamètre d'un cheveu. C'est la seule entreprise au monde capable de le faire, et elle est européenne. Sans ces robots, aucune usine de semi‑conducteurs sur la planète ne pourrait fonctionner.

L'Europe est également très performante dans le domaine du quantique. La Commission finance de nombreuses activités dans ce domaine, à travers l'initiative qui a suivi le Quantum Manifesto. Elle l'est aussi en matière médicale. Rappelons que la majorité des vaccins utilisés en ce moment dans le monde ont été développés par des chercheurs européens grâce à des financements européens : celui de Janssen aux Pays-Bas ; celui de BioNTech en Allemagne ; le vaccin d'Oxford, devenu celui d'AstraZeneca.

L'Europe doit continuer à identifier, promouvoir et financer les innovations de rupture. Nous disposons désormais d'une cartographie claire et d'un observatoire des technologies critiques.

Madame Do, je me suis battu pour fixer le seuil minimum de 20 % d'investissements dans le numérique dans le cadre du plan de relance européen. Je me réjouis de voir que les États membres ont finalement investi près de 30 % dans ce domaine.

Les objectifs en la matière figurent dans le document « Décennie numérique de l'Europe ». Ils portent notamment sur la formation – il faut développer de très nombreuses compétences –, sur la numérisation des administrations et sur les infrastructures – en particulier pour la 5G et la 6G. Après un démarrage tardif, nous sommes bien partis pour les atteindre.

Madame Le Peih, nous travaillons avec l'ensemble de l'industrie aéronautique sur l'avion zéro émission. Il est encore trop tôt pour définir la technologie, hydrogène ou électricité, que cet avion utilisera, mais des financements sont prévus et nous évaluerons la nécessité de lancer un PIIEC.

En ce qui concerne les biocarburants, la directive sur les énergies renouvelables et d'autres textes relatifs à l'aviation ou au transport maritime prévoient des incitations. Ces mesures sont détaillées dans le paquet Fit for 55. Je reviendrai vers vous sur la certification des biocarburants, car je ne suis pas en mesure de vous répondre séance tenante.

Monsieur Cellier, mon travail en tant que commissaire européen est encadré par les traités, qui sont clairs : le mix énergétique est la prérogative des seuls États membres. Je ne vois pas comment nous pourrions les modifier.

La santé relevait elle aussi de la compétence exclusive des États, mais la pandémie les a conduits à confier à la Commission la tâche de mutualiser les achats, de gérer les chaînes d'approvisionnement et la fabrication. J'ai créé ex nihilo une équipe affectée à ces questions au sein de la Commission.

Par la force des choses, nous irons peut-être progressivement, à moyen ou long terme, vers une plus grande harmonisation des politiques énergétiques, dans le respect des traités et de la volonté des États. En effet, les objectifs communs en la matière sont clairs : atteindre le zéro carbone ; assurer la disponibilité de l'énergie électrique et la prévisibilité de ses prix ; réduire notre dépendance vis-à-vis d'acteurs géopolitiques qui n'appliquent pas que des critères commerciaux – je pense à la Russie, qui fournit 30 % à 35 % du gaz utilisé en Europe.

Monsieur Adam, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est un sujet très sensible. Il fait partie des dossiers que la présidence française de l'Union européenne souhaite traiter dans les six mois qui viennent. Nous préparons un texte visant à éviter les effets de bord que vous avez évoqués ; nous les avons bien identifiés. Nous comptons agir de façon proportionnée. Les quotas gratuits seront supprimés de façon progressive afin de lisser les effets de bord dans le temps.

Je rappelle que l'objectif est d'améliorer la performance environnementale partout en Europe, tout en créant des conditions équitables : les entreprises qui exportent leurs produits vers l'Europe – acier, ciment ou autre – ne doivent pas bénéficier d'un avantage compétitif par rapport aux producteurs européens. Un des moyens d'y parvenir est de soutenir l'innovation en Europe. Nous le faisons notamment grâce à un fonds de 50 milliards d'euros qui vise à accélérer le passage à une industrie propre, par exemple à l'acier propre.

Monsieur Villani, la question des brevets sur les logiciels est très compliquée. Je la connais bien et j'y travaillerai en 2022. Vous avez décrit très justement le racket que subissent certaines entreprises. Des débats ont eu lieu, notamment au Parlement européen en 2015. La brevetabilité des logiciels n'est pas acceptée par l'Office européen des brevets en tant que telle. Elle ne l'est pas non plus aux États-Unis ni au Japon.

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Merci, monsieur le commissaire. Je retiens que le maître mot pour vous est de rééquilibrer les rapports de force, écosystème par écosystème. C'est un sujet sur lequel nos électeurs nous interpellent dans nos circonscriptions. Votre audition nous a permis de mieux mesurer les enjeux de l'interdépendance.

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Merci, monsieur le commissaire, vous avez répondu de manière pertinente à toutes les questions. Bonne route pour la présidence française de l'Union européenne, que nous espérons pleine de succès.