Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • antisémitisme
  • ethnique
  • plainte
  • profilage
  • racisme
  • signalement
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

Source

La mission d'information procède à l'audition de M. Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

La séance est ouverte à 12 heures 05.

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. Nous sommes réunis dans le cadre de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter. Nos auditions de la matinée portent sur les enjeux européens et se substituent à un déplacement à Bruxelles. Nous avons l'honneur d'auditionner M. Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le Parlement européen a adopté le 19 juin 2020 une résolution sur les manifestations contre le racisme et la Commission européenne a présenté sa stratégie pour la lutte contre le racisme 2020-2025. Nous sommes très intéressés par les comparaisons avec nos voisins sur différentes questions, parmi lesquelles les enjeux de mémoire et la manière dont les pays transmettent aux générations futures le passé, avec ses lumières et ses zones d'ombre.

Comme l'Agence des droits fondamentaux est par essence mobilisée sur la protection des droits et sur la lutte contre toutes les formes de racismes, nous sommes particulièrement preneurs de votre analyse sur l'évolution de ces différentes formes de racisme et sur la manière dont la France et l'Union européenne peuvent articuler leurs efforts pour lutter contre ce fléau.

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. Nous vous remercions d'avoir accepté cette invitation. Nous avons, depuis plusieurs mois, auditionné des universitaires, des associations et des institutions. Nous sommes curieux de voir comment nos travaux peuvent s'articuler avec ceux de la Commission européenne. Il existe des points de dissonance.

Jusqu'ici, nous n'avons pas été convaincus au sujet des statistiques ethniques. Au contraire, on nous a affirmé que la France disposait de suffisamment de données, notamment parce que les chercheurs obtiennent des dérogations et peuvent mener des études sur la trajectoire des personnes en fonction de leur ascendance et nationalité. J'entends qu'il est certainement nécessaire d'uniformiser cette connaissance au niveau européen pour mieux piloter ces politiques publiques.

Il existe un sujet important sur le numérique. La France n'a pas réussi à faire passer sa législation relative à la haine en ligne qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Le cadre européen constitue désormais une piste pour donner un statut aux réseaux sociaux et permettre d'y faire régner les mêmes droits qu'ailleurs en matière de liberté d'expression.

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Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne

. Merci beaucoup. Merci d'avoir invité l'Agence à participer à ces auditions. Je voudrais préciser que je ne représente pas les positions de l'Union européenne, mais celles de l'Agence des droits fondamentaux.

Je ne veux pas vous bombarder de statistiques de tel pays par rapport à tel autre pays. Ce n'est pas nécessairement utile. Je voudrais d'abord dire qu'il existe différentes formes de racisme. Nous menons des enquêtes de grande envergure dans lesquelles nous interrogeons directement les personnes sur le terrain, dans les différents États membres. Nos ressources étant limitées, nous analysons la situation de deux ou trois groupes par pays. Par exemple, en France, pour cette enquête sur la discrimination et les expériences de victimation, nous avons interrogé des personnes d'ascendance africaine et nord-africaine. Le choix est effectué en consultant des experts sur le terrain. Tous les groupes avec lesquels nous avons parlé sont représentatifs de la population au niveau national. Nous avons également interrogé des personnes d'origine turque, asiatique, rom et des personnes de la minorité ethnique russe dans les pays baltiques. Toutes rapportent avoir fait l'expérience de discriminations, fondées sur leur origine ethnique ou leur statut de migrant, que ce soit dans l'emploi, le logement, les services de santé ou l'éducation. C'est un problème réel, qui persiste car les résultats de l'enquête de 2018 confirment ceux de l'enquête menée six ans auparavant.

Le racisme et les discriminations ethniques sont figés dans nos sociétés. Les personnes vivent cette expérience au quotidien. Nous avons rendu un rapport spécifique sur les personnes d'ascendance africaine. Leurs conditions de logement sont souvent plus précaires que pour la population générale. Ces personnes sont surqualifiées par rapport aux emplois qu'elles occupent. Nos chiffres montrent que la discrimination structurelle existe dans tous les pays de l'Union européenne.

Cette enquête se penche également sur les expériences de profilage ethnique. Une grande partie des personnes qui ont été contrôlées par la police a fait l'expérience d'un contrôle basé, selon elles, sur l'origine ethnique. C'était le seul critère qui était pris en compte pour les interroger. Or le profilage ethnique est illégal. Le profilage est permis s'il se base sur différents éléments, mais il n'est pas permis que la police prenne en considération un seul élément comme la couleur de peau. Il est intéressant de constater que plus les personnes font l'expérience de ce profilage ethnique moins elles ont confiance dans l'État et plus leur sentiment d'appartenance au pays se délite, même si ces personnes sont nées dans le pays, se trouvent dans le pays depuis plusieurs générations et ont la citoyenneté du pays. Dans les cas extrêmes, les personnes qui font l'expérience du profilage ethnique, des discriminations et du racisme sont plus enclines à la violence et sont plus vulnérables à une certaine radicalisation. Cette attitude s'observe chez les personnes qui s'identifient comme musulmanes.

Une autre enquête concerne les personnes roms et les gens du voyage. Leurs conditions de vie sont souvent beaucoup plus basses que la moyenne, s'agissant de la scolarisation, de l'accès à l'éducation, de l'alphabétisation, de l'accès aux services de base (tels que l'eau courante), de l'accès au logement (souvent dans des conditions exécrables). Elles font face à davantage de contrôles de police. Nous l'observons dans tous les pays. Nous préparons une nouvelle enquête pour 2020, mais avec l'épidémie de covid-19, il nous sera difficile de nous rendre chez les personnes pour leur parler. Il est compliqué de récolter les données dont nous avons besoin pour effectuer un compte rendu des expériences de discrimination.

Une troisième enquête de grande envergure concerne les expériences de l'antisémitisme. La première enquête a été réalisée en 2012 et la seconde en 2018. L'enquête montre que l'antisémitisme est un problème que les personnes juives expérimentent au quotidien dans toute l'Union européenne, que ce soit dans la rue, dans les réseaux sociaux ou dans leurs contacts avec les gens. Il existe un grand problème de sécurité pour les personnes juives.

Il existe de vrais problèmes de racisme, de xénophobie et de discrimination dans toute l'Union européenne. Que pouvons-nous faire ? Notre agence travaille de manière étroite avec la Commission européenne et les États membres. Ainsi, au sujet des crimes de haine, nous avons développé avec les États membres des principes pour améliorer les signalements et la collecte des données et pour encourager les personnes à déposer plainte. Nos enquêtes montrent systématiquement que les personnes manquent de confiance dans le système et ne portent pas plainte pour des expériences de racisme et de discrimination. Elles disent qu'elles vivent sans cesse ces discriminations, ce qui évoque une certaine normalisation de ces expériences. Nous ne pouvons pas tolérer une telle situation. Nous menons un travail avec la Commission européenne, les États membres et d'autres instances internationales pour savoir comment encourager les victimes à porter plainte.

Je terminerai avec les statistiques ethniques. L'Agence n'a pas à juger de la situation en France. La France possède ses propres traditions constitutionnelles. Nous travaillons sur les données relatives à l'égalité avec la Commission et certains États membres, dont la France ne fait pas partie, et avons identifié des lignes directrices pour améliorer la récolte et l'utilisation des données sur l'égalité. Cela désigne toutes les données statistiques qui pourraient donner des informations sur les inégalités de traitement et les expériences de discrimination. Nous travaillons aussi sur la façon de renforcer les organismes pour la promotion de l'égalité, qui remplissent une mission très importante pour permettre aux personnes d'accéder à la justice et d'avoir un droit de recours.

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. Merci beaucoup pour ce propos liminaire et synthétique qui a permis d'aborder différentes facettes du sujet. J'ai deux questions assez précises.

J'ai lu avec attention votre rapport Être noir dans l'Union européenne publié en 2018. L'Agence y donne un avis, qui rejoint le constat établi dans d'autres formes de racisme, c'est-à-dire la sous-déclaration des actes racistes par les personnes qui en sont victimes. Le sous-signalement de la part des victimes est un fait. Les États doivent lutter contre ce sous-signalement. Je ne vois pas bien les moyens envisagés pour appliquer cette recommandation et pour faire en sorte que des enquêtes soient menées avec de réelles chances de poursuites. J'ai l'impression qu'il faut avoir de véritables veilleurs de la force publique pour signaler systématiquement les contenus ou les attaques. Je vois comment cela peut se passer sur internet, mais moins dans le cas des violences verbales de rue par exemple.

Vous avez évoqué le sujet de l'antisémitisme. Que recouvre l'antisémitisme aujourd'hui ? Je vous pose cette question, car il existe en France un débat de plus en plus vif sur les origines et les formes que revêt l'antisémitisme, notamment de la part de groupes sociaux qui utilisent l'antisémitisme au service de causes, comme la cause islamiste, et qui alimentent des tensions dans certaines parties de notre territoire. Cet élargissement de l'antisémitisme, qui n'est plus traditionnel, à de nouvelles formes est-il une réalité identifiée dans l'Union européenne ?

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Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne

. Il faut encourager les signalements. Un rapport sera publié en février 2021 sur ce sujet précis. Nous sommes en train de développer avec les États membres des lignes directrices et des principes de base. La décision-cadre du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal précise (en son article 8) que les États ne doivent pas attendre qu'une personne vienne se plaindre pour mener une enquête. Il existe une responsabilité de l'État de faire en sorte que les enquêtes aient lieu, mais aussi de permettre aux personnes d'effectuer ces signalements. Si les personnes n'ont pas confiance dans les services répressifs ou si déposer plainte n'entraîne aucune enquête, elles se tairont.

Il serait possible de permettre des signalements par des tiers. La personne qui fait l'expérience d'un acte raciste n'aurait pas besoin de se rendre elle-même au commissariat. Elle pourrait se référer à une organisation de la société civile qui prendrait en charge le cas. Cela implique des accords de coopération entre les forces de police et la société civile. Les personnes peuvent avoir davantage confiance en une organisation de la société civile et cela leur permettrait d'agir de façon anonyme, car certains craignent les représailles. Les personnes en situation irrégulière préfèrent ne pas mettre leur nom en avant et craignent d'être expulsées du pays si elles se rendent à la police. Il appartiendrait aux forces de l'ordre de vérifier le signalement et la qualification des faits.

Quand les personnes se présentent au commissariat pour porter plainte, il faudrait que la personne qui reçoit la plainte soit sensibilisée aux droits des victimes. Le cas d'une personne qui s'est fait voler son sac à main et celui d'une personne qui se fait insulter et qui se fait frapper à cause de sa couleur de peau sont très différents. Dans le second cas, c'est une attaque à la dignité de la personne. La directive du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité prévoit que, pour certaines victimes vulnérables, dont les victimes de crime de haine, leur cas soit examiné de façon individuelle. Il faudrait sensibiliser les agents des forces de l'ordre sur la façon appropriée de traiter les victimes.

Il faudrait aussi pouvoir effectuer un signalement par internet et ainsi diversifier les moyens d'action (commissariat de police, internet, société civile) pour encourager les personnes à porter plainte.

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En écoutant la première partie de votre réponse, je me disais qu'il existait un risque de déresponsabilisation des forces de l'ordre, mais vous l'avez complété avec d'autres éléments. Il ne faut pas qu'en déléguant l'accompagnement des victimes ne soit oubliée la formation des agents.

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Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne

. Ce sont les actions que l'État peut mener pour faire en sorte que les personnes portent plainte, sans pour autant déléguer le sujet. L'État doit travailler avec d'autres entités pour permettre aux personnes de porter plainte en toute confiance et d'obtenir un résultat. Il faut respecter toute la chaîne (la plainte, l'enquête, les poursuites) et faciliter l'accès à la justice.

En ce qui concerne l'antisémitisme et l'élargissement que vous mentionnez, tout comme il existe différentes formes de racisme, il existe différentes formes d'antisémitisme. Ces formes d'antisémitisme cohabitent. Dans les pays de l'Union européenne, nous voyons se dessiner différents groupes d'auteurs des faits. Quand nous interrogeons les personnes victimes de harcèlement antisémite, nous leur demandons qui est l'auteur des faits. Ce sont des questions à choix multiples. Pour les 12 pays dans lesquels nous avons travaillé, dans 31 % des cas l'auteur des faits est identifié comme un islamiste, dans 20 % des cas comme une personne d'extrême droite, dans 15 % des cas comme étant d'extrême gauche et il y a aussi des catholiques extrémistes. Ce sont des moyennes, car les variations sont grandes selon les pays. Il est extrêmement important de prendre en considération ces différentes formes d'antisémitisme et de ne pas se focaliser sur l'une aux dépens des autres. On ne peut pas appliquer les mêmes méthodes pour combattre l'antisémitisme d'extrême droite et celui des islamistes. Si nous essayons d'adopter une approche globale ne prenant pas en compte ces différences, il sera difficile de combattre le phénomène de façon efficace.

Le Conseil de l'Union européenne a produit une déclaration pour combattre l'antisémitisme et assurer la sécurité des communautés juives le 6 décembre 2018. La Commission européenne a créé un groupe de travail sur l'application de cette déclaration du Conseil. Différents aspects ont été étudiés : l'éducation, l'enseignement de la Shoah, la sécurité des communautés juives et les stratégies nationales des États membres. La France est un des rares États dotés d'une stratégie contre l'antisémitisme. Six pays possèdent déjà une stratégie et sept autres sont en train d'en développer une. De la même façon, seuls quinze États membres possèdent une stratégie en matière de lutte contre le racisme, même si tous s'étaient tous engagés à adopter une stratégie après la déclaration de Durban en 2001.

Avec les réseaux sociaux, dans le contexte de pandémie de covid-19, nous avons vu les théories de conspiration antisémite pulluler sur internet. Les personnes disent que la pandémie est de la faute des juifs ou qu'Israël possède déjà un vaccin ou que les juifs bénéficient financièrement de la pandémie. Ce sont de vieux mythes qui sont remis au goût du jour. Avec cette prolifération sur les réseaux sociaux, le problème est que de nombreuses personnes ne possèdent pas les clés pour déchiffrer ces messages et comprendre qu'il s'agit d'un propos antisémite. Elles trouvent une vidéo amusante et l'envoient à leurs amis, de façon à ce que la vidéo devienne virale. À force de voir ces contenus, les personnes sont désensibilisées.

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. Vous venez de dire que six pays possèdent une stratégie contre l'antisémitisme et quinze pays une stratégie contre le racisme. Nous avons tenu ce débat à plusieurs reprises : distinguer entre racisme et antisémitisme reviendrait à jouer sur la concurrence mémorielle et sur la concurrence victimaire. Les pays qui ont uniquement une stratégie contre le racisme, mais non contre l'antisémitisme en particulier, parviennent-ils quand même à avoir des résultats sur l'antisémitisme ? Quand on lutte contre le racisme, parvient-on, de façon globale et universelle, à toucher chacune des formes de racisme ? Ou est-il justifié d'avoir des stratégies identifiées pour chaque forme de racisme ?

Vous avez parlé de profilage ethnique, que nous appelons contrôle « au faciès ». Nous avons reçu des universitaires sur ce sujet. La France a des progrès à faire en ce domaine. Quelles sont les stratégies des autres pays et la France est-elle vraiment un mauvais élève ? Des bonnes pratiques ont-elles fait leurs preuves ? La police se justifie par une exigence d'efficacité, mais celui qui subit plusieurs contrôles par jour a le sentiment d'être discriminé par cette pratique.

Nous avons réalisé des campagnes de testing en France, soit auprès des agences immobilières, soit auprès d'entreprises, qui sont épinglées, sans forcément être sanctionnées. Cette stratégie de testing porte-t-elle ses fruits ailleurs ? Existe-t-il d'autres stratégies novatrices ?

Nous parlions des associations qui pourraient porter plainte à la place des personnes ou qui pourraient se subroger le temps du dépôt de plainte pour effectuer le premier acte. Je pensais aux actions collectives qui sont loin d'être faciles en France. Comment le racisme et les actions collectives s'articulent-ils dans l'ensemble des pays que vous observez ? Plusieurs personnes pourraient entreprendre une action en justice ensemble quand elles ont été discriminées, par exemple, par une politique de ressources humaines.

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Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne

. En ce qui concerne le dernier point, je ne peux pas vous répondre, car je ne me suis pas penché sur ce sujet. Nous n'avons pas d'exemple concret. Il existe aussi des plaintes par lesquelles des associations essaient d'obtenir un cas d'école ou de la jurisprudence. Elles estiment qu'un cas est vraiment pertinent et qu'elles peuvent essayer d'obtenir un précédent juridique pour changer la situation. Je pourrai vous envoyer les informations dont je dispose à ce sujet.

En ce qui concerne les stratégies, il n'existe pas un système qui conviendrait à tous les pays. Ainsi, pour l'antisémitisme, la déclaration du Conseil de l'Union dit que les États devraient adopter des stratégies contre l'antisémitisme dans le cadre de leur stratégie contre le racisme. Elle ne dit pas qu'il faut spécifiquement une stratégie contre l'antisémitisme. L'important est de reconnaître les spécificités des différents types de racisme. Par exemple, le racisme dont les personnes noires font l'expérience au quotidien et l'antisémitisme dont les personnes juives font l'expérience au quotidien se manifestent de façon différente. Les mesures doivent être adaptées aux circonstances et aux différents types de discriminations que les personnes expérimentent. Le rapport Être noir dans l'Union européenne montre que la discrimination dans l'accès au logement et à l'emploi des personnes noires est relativement haute. Nous avons posé les mêmes questions aux personnes juives, mais sur ce point la discrimination est beaucoup plus basse. L'article 5 de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique permet aux États de développer des mesures pour répondre à des désavantages spécifiques. Le droit européen permet l'action positive.

En ce qui concerne le délit « de faciès », presque tous les États sont des mauvais élèves. Le meilleur élève est la Grande-Bretagne où les actions sont conséquentes. Quand une personne est arrêtée, il faut remplir des protocoles et donner des justifications. Des données sont publiées chaque année sur les contrôles policiers, ce qui permet d'avoir une bonne idée des contrôles « au faciès » et de connaître les expériences des personnes. Peu d'États entreprennent des actions. Nous avons publié un guide pour prévenir le profilage ethnique illégal et cherchons à ce que ce guide soit mieux mis en œuvre. Il faut reconnaître ce qu'est le profilage ethnique. Le terme français, contrôle « au faciès », dit vraiment de quoi il s'agit. La couleur de peau est déterminante. Le jugement est celui de l'apparence et non pas des critères objectifs liés au renseignement. Tout un travail de formation des services répressifs est à entreprendre sur la définition d'un contrôle au faciès et sur les conditions dans lesquelles on peut demander ses papiers d'identité à une personne. Le profilage en soi n'est pas illicite.

Le testing peut être le meilleur moyen de démontrer la réalité des discriminations. Ce sont des tests anonymes qui montrent qu'une personne n'a pas été sélectionnée pour un emploi ou un logement pour telle ou telle raison. Dans certains États, les résultats de ces tests sont recevables en justice. C'est très important. Cela démontre qu'il s'est produit de la discrimination directe ou indirecte et qu'il ne s'agit pas d'une impression. Nous voyons que la discrimination est basée sur le nom de la personne ou sur le lieu où elle habite. Il s'agit sans doute de la meilleure technique pour démontrer l'existence de la discrimination. Il faut peut-être renforcer cet instrument, même si c'est très coûteux. Un organisme pour l'égalité des droits ne peut en effet pas s'appuyer sur le faible nombre de signalements pour affirmer qu'il n'y a pas de discrimination. Un rapport est publié chaque année pour rassembler les données sur l'antisémitisme, mais certains États rapportent quinze faits d'antisémitisme par an, ce qui n'est pas crédible.

Le faible nombre de signalements est lié au manque de confiance dans les autorités, au fait que les personnes ne savent pas à qui s'adresser et aux barrières bureaucratiques. Il est important d'adopter une perspective centrée sur l'individu qui fait l'expérience de la discrimination et du racisme. L'État doit lui assurer l'accès à la justice et lui permettre de circuler librement dans l'espace public sans avoir peur d'être attaquée, insultée ou discriminée pour la simple raison de la couleur de sa peau, de son origine ou de son statut de migrant.

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. Merci beaucoup. Cette matinée nous donne un éclairage moins égocentré. La France est observée de l'extérieur. Nous voyons que nous sommes tous plus ou moins dans la même situation même si j'imagine qu'il existe des différences de racisme entre les pays qui ont beaucoup d'immigration et ceux qui en ont très peu. Je n'insinue pas que ce soit lié, je dirais plutôt que cela pourrait être l'inverse.

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Henri Nickels, coordinateur des programmes, coopération institutionnelle et réseaux de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne

. Il existe de l'antisémitisme sans les juifs. En psychologie sociale, l'hypothèse de contact démontre que plus les personnes ont des contacts avec la diversité, moins elles sont racistes.

Il ne faut pas oublier les discours politiques et médiatiques qui influencent les personnes. La recrudescence du racisme est un mal. Les personnes sont plus enclines à exprimer des sentiments racistes et xénophobes qu'elles ne l'étaient auparavant. Sur les réseaux sociaux, elles ont l'impression qu'elles peuvent le faire sans conséquence juridique ou pénale. Si des discours politiques enflamment une situation, cela contribue à alimenter le racisme. La prise de conscience du phénomène augmente ou diminue selon les périodes. Le cas de Georges Floyd a porté le sujet à un niveau très élevé dans la conscience politique et publique, mais George Floyd n'est pas le premier et il ne sera malheureusement pas le dernier.

C'est pourquoi votre mission intervient au bon moment car il est plus que temps d'agir. L'Agence est très heureuse de pouvoir contribuer à cette mission.

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. Je vous remercie. Heureusement, la représentation nationale n'a pas attendu cet événement pour s'intéresser à ce sujet, mais il est vrai que cette mission d'information dans ce contexte permet d'interroger avec beaucoup de matière et d'acuité nos interlocuteurs. Merci pour les éléments d'actualité et pour les éléments plus structurels dont vous nous avez fait part.

La séance est levée à 13 heures.