MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Mardi 14 septembre 2021
La séance est ouverte à seize heures quarante.
(Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la mission d'information)
Nous poursuivons nos auditions consacrées à la résilience énergétique en accueillant, pour la Commission de régulation de l'énergie (CRE), MM. Jean-François Carenco, président, Didier Lafaille, secrétaire général du comité de prospective, et Romain Charvet, chargé de mission pour les relations institutionnelles.
Monsieur le président, nous serons heureux de bénéficier de votre éclairage sur l'organisation des marchés de l'énergie et ses éventuelles fragilités.
En psychologie, la résilience est l'aptitude d'un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques. La résilience ne signifie pas uniquement « subir » ou « s'adapter ». De par son étymologie, elle comprend la notion de rebond en cas de crise. Il y a dans la résilience une notion d'action et d'opportunité, et pas simplement de résistance.
En tant qu'autorité administrative, la CRE ne décide pas de la politique énergétique de la France. Elle l'accompagne et tente de l'influencer. Le code de l'énergie prévoit que la CRE concourt au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs finaux, en cohérence avec les objectifs fixés par le Gouvernement. Cela implique la défense du consommateur, industriel comme particulier, à court, moyen et long terme. Cette défense doit s'effectuer par le prix, la qualité et la sécurité de l'approvisionnement.
Par conséquent, la résilience du système énergétique est fondamentale. Il s'agit de l'une des préoccupations de la CRE. La résilience nécessite l'adaptation et le rebond face aux contraintes extérieures, et une maîtrise de notre avenir énergétique associée à une dimension de souveraineté.
Le premier enjeu de la résilience de la France à court terme est la préservation de la souveraineté électrique dans un cadre européen. Grâce à son parc nucléaire et hydraulique, la France dispose d'un mix électrique structurellement exportateur relativement bon marché s'agissant des coûts de production – à différencier du prix de vente – et décarboné. Le système est interconnecté. Il a su faire face à la crise sanitaire et aux risques conjoncturels de blackout européen.
En France, le pouvoir règlementaire fixe le critère de sécurité d'approvisionnement, à savoir trois heures : l'offre et la demande peuvent ne pas être assurées par les marchés durant trois heures par an au maximum. Cela constitue une performance tout à fait remarquable à l'échelle mondiale. Dans ce cadre, le nucléaire et les barrages hydrauliques restent les éléments clés de notre souveraineté électrique.
En 2020, la production électrique française provenait à 67 % de l'énergie nucléaire. En année normale, cette part est supérieure à 70 %.
La France a développé une filière industrielle nucléaire nationale complète et maîtrisée, de la conception au recyclage à la gestion des déchets. Le parc nucléaire est donc gage de souveraineté. La France conserve sa place de premier pays exportateur d'électricité en Europe avec un solde positif de 43,2 térawatts-heure en 2020.
La production d'électricité hydraulique française, qui représente 13 % du total en 2020, est également un gage de souveraineté. Les seules menaces concernant cette production sont la dépendance à la météo et à la gestion des bassins, dont certains relèvent de pays tiers.
L'interdépendance européenne a des inconvénients, mais assure fondamentalement la sécurité d'approvisionnement. En ces temps critiques, l'intégration électrique européenne fait primer la solidarité sur la souveraineté nationale. Une évolution structurante est à l'œuvre depuis 2000 dans le système électrique, avec le déplacement de la logique d'organisation d'un périmètre national vers une échelle européenne. Depuis vingt ans, la CRE est la cheville ouvrière de l'intégration des marchés au niveau européen. Elle travaille avec l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) et le conseil des régulateurs européens de l'énergie (CEER) à la mise en place de règles de bon fonctionnement.
Les trois dernières années ont été marquées par une progression des échanges d'électricité avec les pays voisins à l'export comme à l'import. Cela tend à confirmer le rôle central de la France dans le système électrique européen. L'interconnexion croissante des pays européens a permis d'aller beaucoup plus loin dans l'intégration des énergies renouvelables (EnR). Outre leur intégration, la France a besoin des interconnexions pour passer les pointes de consommation.
Il est à noter que les échanges français dépendent directement des écarts de prix entre la France et ses voisins. Il est parfois économiquement plus favorable d'importer de l'énergie plutôt que d'activer des moyens de production nationaux plus coûteux. La France peut ainsi se trouver en situation d'import sans être pour autant à court de moyens de production.
Pour répondre aux besoins croissants de flexibilité en Europe, le schéma de développement des réseaux de RTE prévoit un doublement de la capacité d'interconnexion de la France en quinze ans, pour atteindre une trentaine de gigawatts en 2035.
L'approvisionnement en gaz est notamment assuré grâce à la réforme du stockage de 2018. Pour les énergies fossiles, la France est dépendante d'importations. En 2020, 529 térawatts-heure de gaz ont été importés, soit 99 % de la consommation. Cependant, les sources d'importation de gaz par gazoducs ou navires méthaniers sont variées. Le portefeuille des pays fournisseurs s'est largement diversifié en vingt ans, gage de résilience. L'Europe fournit 50 % de nos importations brutes avec, en premier lieu, du gaz norvégien. La part de la Norvège a significativement augmenté depuis une quinzaine d'années en compensation de la baisse des importations provenant de Russie et d'Algérie. La réussite de la réforme du stockage se traduit par un taux de remplissage de 85 % des stockages souterrains, garantissant la sécurité d'approvisionnement en début d'hiver.
La première menace à court terme est le covid-19. Les impacts de la crise sanitaire ont été maîtrisés, mais celle-ci a durement touché notre système électrique. Le premier impact a été la chute de la consommation lors du confinement du printemps 2020 : - 15 % en quelques jours. Le système électrique a été fragilisé en profondeur par les conséquences du premier confinement sur les plannings de maintenance des réacteurs du parc nucléaire.
Un rapport sur les conséquences de la crise sanitaire pour les opérateurs de réseau a été publié le 12 avril 2021. Je tiens à souligner que les opérateurs ont montré une très bonne capacité d'adaptation. Ils ont su maintenir un haut niveau de qualité de service et d'alimentation. Le niveau normal d'activité a été retrouvé dès l'été 2020.
Les effets de la crise sanitaire ne se sont évidemment pas limités à la France, et la CRE a coopéré avec les autres autorités de régulation. Elle préside d'ailleurs le groupe des régulateurs qui étudie le retour d'expérience de cette crise tout à fait inédite.
La deuxième menace potentielle est le blackout. Les incidents conjoncturels sont également maîtrisés. Le 8 janvier 2021, une variation de la fréquence électrique sur le réseau européen provoquée par une défaillance en Croatie a nécessité l'activation de l'interruptibilité des seize clients industriels français sous contrat avec RTE. En quelques secondes, la consommation électrique du pays a été diminuée d'environ 1 300 mégawatts. Je m'inquiète d'un possible blackout en Guyane en raison d'interdictions de produire. Une décision du Conseil d'État est attendue sur le sujet. Toutefois, une situation de crise telle que celle de février 2021 au Texas est très peu probable en France, notamment grâce aux interconnexions.
La troisième menace est la cybercriminalité, qui fait aujourd'hui l'objet d'une attention particulière. La CRE travaille avec l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) afin d'y répondre. Elle apporte un appui important à l'ANSSI pour apprécier de manière indépendante les enjeux des projets de réseaux intelligents et émettre des recommandations. La CRE régulant les gestionnaires de réseaux, elle est informée de la façon dont les recommandations de l'ANSSI sont mises en œuvre. Fin 2020, l'ANSSI, la CRE et les acteurs de l'électricité et du gaz ont constitué un groupe de travail en vue de créer une « communauté de la cybersécurité dans l'énergie ». Un rapport a été remis au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sur les enjeux de résilience et de crise.
Le deuxième enjeu de la résilience française est la neutralité carbone à moyen et long terme. À l'horizon 2050, cette question dépasse le champ des compétences de la CRE. Elle relève des pouvoirs publics, dont le Parlement, qui ont déjà adopté des stratégies nationales ambitieuses : stratégie nationale bas carbone (SNBC), programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), loi « climat et résilience ». À l'échelle européenne, le prochain paquet législatif vise une réduction des émissions de 55 % d'ici à 2030.
La neutralité carbone, il faut le souligner, peut constituer une formidable opportunité de renforcer la résilience énergétique à l'échelle européenne. Le rapport de prospective stratégique présenté en septembre 2021 par le vice-président de la Commission européenne conclut à une possible réduction de la dépendance énergétique européenne de 60 à 15 % grâce à une neutralité climatique en 2050. Cela serait évidemment source d'économies. La valeur captée par les pays exportateurs d'hydrocarbures sera peu à peu être relocalisée en Europe et en France.
Pour autant, des défis restent encore à relever pour assurer la sécurité des approvisionnements dans un mix décarboné. Des moyens de production fossiles ou nucléaires rentables sont disponibles et adaptés, mais exclus du marché pour être remplacés par des énergies renouvelables subventionnées. Comment pallier l'intermittence des EnR ? Comment maintenir des capacités pilotables suffisantes à moyen terme ? Comment conserver une maîtrise de la chaîne d'approvisionnement avec une filière industrielle capable de répondre aux besoins ? Ces questions se poseront toujours avec plus d'acuité dans les prochaines années.
Le mix électrique français est déjà décarboné à 93 % grâce aux énergies nucléaires, hydrauliques et renouvelables. L'enjeu est de préserver cet acquis alors que la société et l'économie française s'électrifieront fortement pour atteindre une neutralité carbone. De mon point de vue, continuer d'investir dans le nucléaire semble être une nécessité. Il convient de préserver impérativement l'atout du nucléaire existant sous peine de se trouver dans une impasse. Le programme dit « du grand carénage » permet d'étendre la durée de vie de certaines centrales à cinquante ou soixante ans. Cet investissement de 50 milliards d'euros est parfaitement rentable pour la collectivité nationale. Nos centrales vieillissent néanmoins. Maintenir une production nucléaire significative après 2040 nécessitera d'investir dans de nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR), dont le coût constitue une incertitude majeure. Des décisions devront être rapidement prises d'ici à 2023.
En parallèle, la dépendance à l'atome doit être réduite à 50 % du mix énergétique à l'horizon 2035. En effet, le nucléaire apparaît moins secure qu'auparavant : problématiques apparues durant la crise sanitaire, réchauffement des fleuves, prix sensiblement similaires, absence de stockage. La réduction de la part du nucléaire est une nécessité industrielle, car la France sera incapable d'aller au-delà en 2050.
Pour autant, des questions se posent quant à la faisabilité et à la résilience d'un système électrique approchant 100 % d'EnR. Pour la CRE, atteindre cette proportion est illusoire. Mais porter la part d'énergie éolienne et photovoltaïque à 30 ou 40 % en 2035 paraît indispensable à la résilience du système électrique compte tenu de la hausse de la consommation d'électricité et de la fin de vie du parc nucléaire existant. Le rapport de RTE sur les scénarios à horizon 2050 le montre.
Le coût des EnR a fortement baissé. Le prix de vente de l'électricité produite par le parc éolien offshore de Dunkerque sera de 44 euros par mégawatt-heure. Le prix de l'éolien terrestre et de l'énergie photovoltaïque (EPV) est actuellement de l'ordre de 50 à 60 euros par mégawatt-heure.
Malgré les difficultés d'acceptation sociale de certaines technologies, nous devons trouver des solutions. Pour l'éolien terrestre, il convient de recycler l'éolienne ou la turbine pour installer des technologies plus performantes au même endroit. L'éolien offshore constitue un gisement très important, mais les procédures sont excessivement longues. Je suis très choqué des oppositions existantes. Il est difficile de trouver de nouveaux terrains pour l'EPV. Des discussions visent à inciter les installations en toiture, mais ce sera insuffisant. La délibération de la CRE du 17 juin 2021 recommande donc aux pouvoirs publics de libérer du foncier pour les EnR, faute que quoi les objectifs de la PPE ne seront pas atteints.
Le développement des EnR doit se faire en maîtrisant les coûts pour les citoyens qui, compte tenu des prix du marché de l'énergie, paient la transition énergétique via leurs impôts. Pour rappel, la CRE évalue le montant prévisionnel des charges de service public pour l'énergie à 9 milliards d'euros pour 2021, soit + 12 % par rapport aux charges constatées en 2019. Le rôle de la CRE est d'éclairer les pouvoirs publics et de les inciter à soutenir les EnR, mais de façon efficace pour les finances publiques.
D'autres leviers doivent être actionnés pour être plus résilients, le premier étant évidemment l'économie d'énergie. Aux côtés des mesures d'efficacité énergétique, l'enjeu est de limiter la hausse de la demande en électricité afin de passer les pointes. En permettant un suivi plus précis de la consommation, les compteurs Linky aident les consommateurs à prendre conscience de leur consommation et à agir pour la réduire. S'intéresser à sa consommation est le premier pas en vue de la réduire et faire jouer la concurrence y contribue. En outre, les offres commerciales sont enrichies par des services d'aide à la maîtrise de la facture. Je rejoins toutefois RTE sur le fait que la consommation augmentera dans les trente ans à venir.
Les flexibilités – stockage, effacement, interruptibilité, écrêtement des EnR, interconnexion, signaux de prix – constituent un autre levier. Pour intégrer les EnR dans le réseau, développer les lieux d'injection et éviter les investissements à forte empreinte environnementale, le système électrique doit absolument développer des flexibilités pour pallier les intermittences locales.
L'enjeu qui accompagne le développement des EnR est celui de la préservation. Cet enjeu technique est considérable. Chaque fournisseur est ainsi tenu de s'approvisionner en garantie de capacité pour couvrir la consommation de ses clients en période de pointe. Il s'agit de les inciter à développer des capacités de production et principalement d'effacement. Néanmoins, le coût de ces mécanismes de capacité est important : 4 % d'une facture TTC. La CRE s'interroge donc sur le rapport coûts-bénéfices du dispositif. Un travail avec RTE vise à en réduire le coût.
Si le mix électrique est largement décarboné, il est nécessaire d'accompagner le verdissement de secteurs tels que le transport, l'industrie et le logement. À ce titre, le biogaz et l'hydrogène sont un complément à l'électrification.
Le gaz continuera à jouer un rôle majeur pour des secteurs ne pouvant pas être électrifiés et pour répondre à la demande de pointe. La production de biogaz doit être encouragée. La méthanisation remplit de nombreux objectifs de politique publique. La CRE soutient cette dynamique, mais reste attentive à la dépense publique dans le cadre des objectifs de la PPE. Le biométhane coûte actuellement 100 euros par mégawatt-heure. La filière s'est engagée à une baisse de 30 % du prix.
Actuellement, la consommation annuelle de gaz naturel est de 450 térawatts-heure, dont seulement 4 issus de la méthanisation. L'injection de ce nouveau gaz est une opportunité pour les réseaux et le système gazier. Une adaptation des réseaux est donc nécessaire. Dans cet objectif, la loi EGalim instaure un droit à l'injection et en a confié la mise en œuvre à la CRE.
À moyen terme, l'hydrogène permettra de décarboner des usages, mais également de stocker des excédents d'électricité renouvelable. Pour autant, outre son coût, le problème de l'hydrogène est celui de l'énergie nécessaire à la production.
La PPE prévoit que 35 % des voitures particulières seront électriques en 2030 et 10 % hybrides. L'intégration de la mobilité électrique dans nos réseaux constitue un défi de taille, notamment dans les outre-mer, où les réseaux sont petits et sensibles. La loi « climat et résilience » a introduit le principe d'un préfinancement du coût de raccordement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE) dans le résidentiel collectif. Il faudra veiller à ce que le dispositif ne soit pas excessif et reste innovant. Un cadre particulier doit être établi pour les zones non interconnectées (ZNI). Le vehicle to grid (V2G) serait une solution pour assurer une production.
Les défis de la résilience française sont nombreux. J'ai très peu abordé la maîtrise des chaînes de valeur des moyens de production, la dépendance aux matières premières ou aux investisseurs chinois pour les réseaux ou l'EPV et les événements climatiques extrêmes. De plus, la CRE n'est qu'un acteur parmi d'autres et essaie, autant que possible, de faire entendre une voix indépendante et documentée.
« La résilience est l'art de naviguer entre les torrents », selon Boris Cyrulnik. Merci de nous aider à maîtriser cet art complexe. J'attends avec impatience le rapport issu de vos auditions sur ce sujet essentiel. Mon objectif en matière de résilience est que l'électricité soit encore disponible en 2045. Pour y parvenir, un travail conséquent reste à mener.
Vous évoquiez vos inquiétudes sur la situation de la Guyane. Quelles sont vos propositions ? Pourriez-vous nous éclairer davantage sur les éléments d'une robustesse et d'une résilience du modèle énergétique français, auxquels la CRE fait référence dans le rapport publié pour ses vingt ans ?
À la différence d'autres territoires d'outre-mer, la Guyane connaît une explosion de sa population et de sa consommation. Dans les années 1990, l'outre-mer a vu se mettre en place un système de production d'énergie fossile. La Guyane dispose de plusieurs bassins énergétiques et les interconnexions sont extrêmement complexes. Compte tenu de problèmes de maintenance des réseaux à haute tension, il est préférable d'essayer de fournir une capacité de production et d'autonomie énergétique à chaque bassin. Dans le bassin de Maripasoula, l'objectif est presque atteint grâce à la mise en place d'un nouveau barrage et de champs d'EPV. Dans le bassin de Saint-Laurent-du-Maroni, une expérience de production d'hydrogène avec de l'EPV sera menée, dans le but de stocker l'énergie. À l'inverse, dans le bassin de Cayenne, la centrale de Dégrad des Cannes – 120 mégawatts – est en fin de vie. J'ignore comment produire une électricité pilotable pour des besoins en augmentation sans centrale lourde. La situation française fait que les formalités prennent du temps. Un accord avait été trouvé pour une centrale de 80 mégawatts au biocombustible. Des associations s'y sont opposées et une décision de justice a mis fin au projet. La collectivité territoriale de Guyane, EDF, l'État et la CRE ont déposé un recours devant le Conseil d'État. Si le jugement du Conseil d'État est négatif, je ne dispose d'aucune solution.
Il existe un sujet similaire en Corse pour le remplacement de la centrale du Vazzio.
De mon point de vue, les centrales électriques fonctionnant au biogaz, onéreuses, ne seront utilisées qu'un temps. Cette énergie sera rapidement marginale. C'est toutefois le prix à payer par la France pour fournir de l'électricité dans ses territoires d'outre-mer.
Les réseaux sont le premier élément de robustesse. La CRE a validé un programme d'investissement de 69 milliards d'euros pour Enedis et 35 milliards pour RTE dans les quinze ans à venir. Ce programme porte en premier lieu sur la sécurité des réseaux. En effet, l'électricité se décentralise peu à peu par la multiplication des lieux d'injection. Il s'agit d'une révolution conceptuelle pour les réseaux. Par conséquent, le droit absolu à l'injection prioritaire des EnR devrait être réétudié.
Le deuxième élément de robustesse est de croire à l'Europe. En 2020, nous avons compté 43 jours de solde importateur, soit 18 de plus qu'en 2019. L'Europe nous a sauvés. Il n'existe plus d'indépendance en matière énergétique, mais notre apport à l'Europe est majeur.
Le troisième élément de robustesse est de jouer sur tous les tableaux : nouveaux moyens nucléaires, EnR, flexibilité et interconnexions, et maîtrise de la consommation. Opposer le nucléaire aux EnR est un crime de l'esprit. Dans la réalité, cela n'a pas de sens, car la question est la rapidité.
Nous nous accordons pour supprimer le carbone le plus rapidement possible, mais nous rencontrons des difficultés d'acceptation sociale. Je le répète, mon inquiétude porte sur l'approvisionnement en 2045.
Je note avec satisfaction un certain rééquilibrage des propos de la CRE entre le nucléaire et les EnR : souveraineté électrique reposant sur le nucléaire, remise en cause de l'injection prioritaire des EnR…
Par ailleurs, le rapport sur la résilience demandée au SGDSN est peut-être le premier effet positif du lancement de la mission d'information de l'Assemblée nationale.
S'agissant de la Guyane, la France est engagée dans le développement d'un prototype de Small Modular Reactor (SMR). Une expérimentation sur le territoire national en amont pourrait être une piste avant une éventuelle exportation.
Je partage votre point de vue sur le caractère bénéfique du développement des interconnexions. S'il existe une solution européenne, il convient de rester attentif au sujet des énergies intermittentes, car la quantité de vent ou de soleil est corrélée sur l'ensemble du territoire européen. Par conséquent, chaque pays doit assumer sa capacité à disposer d'énergie pilotable.
S'agissant de l'épisode de l'hiver 2020-2021, il me semble que le risque encouru provenait au moins autant de la baisse des capacités pilotables depuis 2014 que de l'effet réel de la pandémie sur la disponibilité des réacteurs.
Comment faire pour disposer d'un approvisionnement satisfaisant en électricité en 2045 ? L'approche actuelle semble présenter un risque de sous-dimensionnement des capacités de production pilotables en prenant prétexte des possibilités d'effacement et d'interconnexion. Selon moi, la vraie résilience devrait au contraire nous conduire à surdimensionner légèrement les capacités de production, quitte à produire de l'hydrogène lorsque nous sommes en surcapacité.
La France retient une hypothèse de consommation électrique en 2050 en hausse de 30 % par rapport à la consommation actuelle. À l'inverse, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont formulé des hypothèses d'augmentation de 70 à 80 %. Ma crainte est donc une sous-estimation de la capacité pilotable nécessaire pour faire face à l'augmentation du besoin en électricité du fait de nouveaux usages en matière de mobilités et de chauffage.
Quelle est la position de la CRE sur l'augmentation prévisible de la consommation électrique d'ici à 2050 ?
Pour ce qui est de l'impact de la pandémie, n'oublions pas que c'est la baisse de la consommation qui a permis de traverser la crise.
S'agissant de la Guyane, la perspective d'un SMR semble lointaine. Mes craintes portent sur une période plus proche. Nous sommes dans une course contre la montre.
Enfin, des efforts sont faits et se poursuivront sur la consommation électrique des résidences et des bureaux. Les contrats de performance énergétique et l'effacement individuel sont des axes de travail sur lesquels nous sommes plutôt confiants. En matière de véhicules électriques, outre des bornes de recharge intelligentes, le V2G peut constituer une opportunité.
Je crois fondamentalement à la flexibilité du stockage. L'expérience menée en Guyane sur l'hydrogène vise à montrer que cette technologie est financièrement viable. Un développement désordonné de l'hydrogène serait toutefois dangereux pour la consommation. Le comité de prospective sur l'hydrogène appelle également à la prudence et semble plus favorable à une utilisation dans l'industrie et les transports lourds.
Nous espérons que ces flexibilités permettront d'agir sur la consommation.
Sur l'hydrogène, je m'interroge également et je partage votre prudence.
La résilience doit aussi nous conduire à la prudence dans l'optimisation des capacités de production. Les dispositifs de batteries nécessitent un bon fonctionnement des réseaux de télécommunications. Les stratégies hybrides de certains compétiteurs internationaux laissent à penser qu'ils n'hésiteront pas à intervenir via des attaques cyber contre nos réseaux. Leur vulnérabilité induite par ce genre de stratégie d'optimisation doit par conséquent être mesurée.
La piste d'un léger surdimensionnement de nos capacités de production devrait donc être étudiée, quitte à disposer d'une variabilité de production d'hydrogène. Le coût marginal du mégawatt-heure après financement d'une centrale a-t-il été estimé ? Quel serait le coût du mégawatt-heure d'une centrale nucléaire fonctionnant à pleine capacité ? En effet, l'industrie nucléaire fait essentiellement face à des coûts fixes. Sur quelle base – coût théorique ou coût marginal du nucléaire – compare-t-on le prix des EnR importées ?
La stratégie ne pourrait-elle consister à produire plus en utilisant le delta supplémentaire de production pour fabriquer de l'hydrogène ?
Nous produisons plus que nous consommons, puisque notre solde net à l'exportation est d'environ 40 térawatts-heure. Le besoin global et le besoin en jours de pointe ne doivent pas être confondus. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas pour restreindre la production. Nous devons agir partout pour disposer de moyens de production, mais cela suffit-il ?
Pour produire un mégawatt en EPV, une surface équivalente à 5 terrains de football est nécessaire. L'équivalent d'une centrale nucléaire de 1 500 mégawatts, c'est 7 500 terrains de football. Le Gouvernement a accepté de lancer des appels d'offres sur les terrains dégradés. Il nous faut partout chercher des lieux pour produire des EPV sur des surfaces conséquentes. Nous devons également produire grâce à des parcs éoliens, mais nous ne serons jamais la Norvège ou l'Angleterre.
Ma conviction absolue est que le nucléaire restera nécessaire. Quand parviendrons-nous à produire de nouvelles capacités nucléaires ? Cela devrait être décidé en 2022 ou 2023. Un fois la décision prise, il faudra un certain temps. Le chantier de Flamanville avance. Dans l'intervalle, que fait-on ? Des SMR, des EPR, une autre technologie ? Je n'ai pas la réponse.
Nous ne confondons pas le prix et le coût. Dans le cadre de la négociation entre le Gouvernement et la Commission européenne, il a été demandé à la CRE une estimation du coût complet du nucléaire existant en reprenant tout l'historique, y compris l'EPR de Flamanville. La CRE a estimé ce coût à 48 euros le mégawattheure. Le coût marginal, quant à lui, est inférieur à 30 euros.
Nous avons ensuite un problème de market design.
. Vous appelez à davantage de production. Il faut néanmoins veiller à ce que les prix ne deviennent pas négatifs sur les marchés européens. Cela peut être le cas lors de surplus de production.
La consommation électrique fluctue. Selon vous, la capacité pilotable doit être légèrement en dessous de la crête. En cas de besoin, il est alors fait appel à l'interconnexion, à la capacité d'effacement, etc. En termes de résilience, je serais plus serein si la capacité de production était légèrement supérieure à la consommation instantanée. Il faudrait trouver un mécanisme tarifaire permettant de valoriser le delta de sécurité, y compris en fabricant de l'hydrogène.
Notre pays se caractérise par la forte proportion du nucléaire dans son mix énergétique. Cette spécificité devrait nous conduire à faire fonctionner au maximum nos centrales et à nous organiser pour convertir le surplus en hydrogène. Si je comprends bien, le modèle économique de l'hydrogène est l'inverse du nucléaire : peu de capital expenditure, beaucoup de coûts énergétiques. Si la CRE autorisait EDF à vendre ses mégawatts-heure supplémentaires pour fabriquer de l'hydrogène au coût marginal du nucléaire, un comportement vertueux pourrait se développer.
J'estime ce coût marginal plutôt à une dizaine de mégawatts-heure. Lorsqu'une centrale est exploitée, outre le minerai et l'usure des matériels, quel est le coût d'un fonctionnement légèrement plus important ?
La bataille est en train de se livrer afin que l'hydrogène provenant du nucléaire soit également reconnu comme bas carbone. Votre idée est pertinente et nous y réfléchirons.
La réunion se termine à dix-sept heures quarante.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. - M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Laurence Gayte, Mme Nathalie Porte
Excusés. - Mme Marine Brenier, Mme Blandine Brocard, M. Jean Lassalle