Publié le 20 novembre 2020 par : Mme Frédérique Dumas, M. Molac, M. Acquaviva, M. Castellani, M. Clément, M. Colombani, M. Charles de Courson, Mme De Temmerman, M. François-Michel Lambert, M. Lassalle, M. Pancher, M. Pupponi, M. Simian, Mme Wonner.
Supprimer cet article.
Les auteurs de cet amendement souhaitent, la suppression de cet article punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ».
En effet le dispositif proposé dans cet article est à la fois inefficient et potentiellement liberticide. Il rend la protection des policiers plus complexe et plus aléatoire tout en posant des problèmes d’ordre constitutionnel multiples. Il affaiblit celles et ceux qu’il prétend protéger tout en remettant en cause des principes fondamentaux.
Premièrement, interdire l’identification des forces de l’ordre dans les vidéos diffusées dans le but très large « qu’il soit porté atteinte à leur intégrité physique ou psychique » présente le risque que, dans les faits, la diffusion de vidéos exposant des cas de pratiques illégales par la police soit rendue impossible ou extrêmement difficile. La transmission en direct (qui rend inopérante la distinction entre la captation et la diffusion) des interventions policières serait drastiquement découragée par le risque juridique encouru, et les plateformes elles-mêmes seraient enclines à censurer des contenus pour s’éviter des poursuites. Les principaux syndicats de journalistes, les fédérations internationale et européenne de la profession ainsi que la Ligue des droits de l’homme (LDH) estiment que ce nouveau délit « permettrait d’interpeller tout journaliste qui filme en direct une opération de police » : ce n’est qu’a posteriori qu’un tribunal « sera à même de déterminer si l’intention malveillante est établie », soulignent-ils. Or, le droit de filmer la police relève de la liberté d’expression et du droit à l’information, garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou la convention européenne des droits de l’homme. Dans le contexte des manifestations, par exemple, ce droit est rappelé par experts des Nations Unies ou dans les lignes directrices du BIDDH/OSCE sur la liberté de réunion pacifique (« Il ne faut pas empêcher les participants et les tiers de photographier ou de filmer l’opération de police »).
Deuxièmement, le critère d’intentionnalité qui est mis en avant, à savoir « qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique » de l’agent est « imprécis » comme l’a souligné la défenseure des droits et pose problème au regard du principe constitutionnel de légalité de délit et des peines qui dispose qu’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair. Ainsi, la notion « d’intégrité psychique » notamment, est particulièrement large. Au regard de ces éléments, caractériser l’infraction sera particulièrement complexe. Il faudra tout d’abord rapporter la preuve du caractère malveillant de la diffusion en l’espèce, et ensuite qu’elle ait eu pour conséquence de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique du policier ou du gendarme. Dans ce dernier cas, ce sera encore plus difficile à rapporter car pour espérer pouvoir la caractériser à minima il faudra réaliser par réquisition judiciaire une expertise psychologique, qui impliqueront également des frais d’expertise importants, sans certitude de caractérisation pleine et entière.
Troisièmement cet article n’est pas nécessaire, car il ne sera pas en mesure de garantir davantage la sécurité des policiers et des gendarmes, bien au contraire. En effet, des infractions pour réprimer de tels faits existent déjà et les sanctionnent même plus sévèrement. Proférer une menace de commettre un crime ou un délit à l’égard d’un policier, par exemple une menace de violences, de mort ou d’atteinte aux biens dangereuses pour les personnes, est ainsi déjà couvert par l’article 433‑3 du code pénal. La peine encourue est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 00 euros d’amende. S’il existe une menace de mort la peine encourue est de 5 ans et de 75 000 euros d’amende.
Quatrièmement, cet article est inadapté à la lutte contre les infractions visées, puisqu’il n’aura pas pour conséquence de pouvoir supprimer un très grand nombre de contenus visés. Il s’agit notamment des contenus qui seraient diffusés ou hébergés sur des réseaux ou des serveurs en ligne installés à l’étranger et sur lesquels la juridiction française n’aurait que peu de prise.
Cinquièmement cet article n’est pas proportionné, puisqu’avec une disposition rédigée en des termes si imprécis tels que relevés plus haut, l’on se trouve fondé à craindre qu’elle soit appliquée de manière trop large, voire indifférenciée, à des personnes n’ayant aucune intention malveillante, qui n’ont dès lors aucune raison d’être privées de leur liberté d’expression.
Nous sommes ainsi dans un cas typique de probable censure constitutionnelle. La limitation de la liberté d’expression, garantie constitutionnellement, n’est légalement admise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi, compte tenu notamment des autres moyens à la disposition des autorités pour prévenir et sanctionner les infractions ciblées. Ajoutons à cela que la rédaction de l’article contrevient manifestement au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines mentionné plus haut ainsi qu’au principe de clarté de la loi. Pour toutes ces raisons, il est demandé la suppression de cet article.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cet amendement.