Mardi 15 mai 2018
La séance est ouverte à seize heures trente.
(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la Commission)
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La commission des affaires sociales auditionne, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, Mme Sophie Caillat-Zucman, dont le renouvellement à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de biomédecine est envisagée.
Notre ordre du jour appelle, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, l'audition de Mme Sophie Caillat-Zucman, présidente du conseil d'administration de l'Agence de biomédecine (ABM). Son mandat arrive à son terme et elle est pressentie pour un nouveau mandat.
Madame la présidente, je vous propose de dresser un bilan de votre mandat et des ambitions que vous avez pour l'agence dans les années qui viennent.
Je suis heureuse de me trouver devant vous aujourd'hui dans le cadre de la procédure de renouvellement éventuel de la présidence du conseil d'administration de l'ABM.
Avant de vous présenter le bilan des trois années écoulées, et les missions et enjeux des prochaines années, je voudrais vous resituer rapidement mon parcours professionnel pour vous permettre de comprendre mon intérêt pour l'ABM.
J'ai 59 ans, je suis médecin, professeur d'immunologie à l'Université Paris Diderot, et chef de service du laboratoire d'immunologie de l'hôpital Saint-Louis à l'Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP). Je m'intéresse à la greffe depuis mon internat. C'est ce qui m'a conduit à poursuivre ma carrière en immunologie de la transplantation. Le laboratoire que je dirige à Saint-Louis a une position clé dans le paysage de la greffe, puisqu'il fonctionne comme plate-forme régionale pour réaliser les tests de compatibilité donneur-receveur de la totalité des greffes d'organes et de la quasi-totalité des greffes de moelle osseuse (MO), ou cellules souches hématopoïétiques (CSH) de la région Île-de-France, c'est-à-dire, en gros, 30 % de l'activité nationale de greffe.
Par ailleurs, outre mon activité hospitalière en lien étroit avec la greffe, je dirige une équipe de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dont la thématique principale porte sur le rôle de certaines populations de lymphocytes, ou cellules de l'immunité, chez les patients greffés. Donc mes centres d'intérêt médicaux et scientifiques sont très axés sur la greffe, et me conduisent à rester informée de toutes les avancées dans ce domaine.
Je connais bien l'ABM puisque, avant d'avoir été présidente de son conseil d'administration depuis juin 2015, j'ai été membre de son conseil médical et scientifique pendant plusieurs années. J'ai une très grande estime pour les différents membres de cette agence, qui exercent leurs missions avec beaucoup de professionnalisme et un grand engagement personnel, et en premier lieu pour sa directrice générale Anne Courrèges, avec qui je travaille en excellente collaboration depuis trois ans.
Quelques mots sur l'ABM, que vous connaissez bien, avant de vous présenter le bilan des trois dernières années et les perspectives des prochaines années.
Comme vous le savez, l'ABM été créée par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, et a pris la suite de l'Établissement français des greffes (EFG) comme agence sanitaire compétente pour les greffes d'organes, de tissus et de cellules. Depuis 2004, l'ABM s'est vu confier des missions supplémentaires, qui concernent la procréation, l'embryologie et la génétique humaines, ce qui lui permet de couvrir aujourd'hui tous les domaines thérapeutiques utilisant des éléments du corps humain, à l'exception du sang, qui relève de l'Établissement français du sang (EFS). L'ABM est également compétente en matière de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires.
L'ABM est en premier lieu une agence sanitaire opérationnelle, dont une mission essentielle est le pilotage de l'organisation des greffes. Concrètement, elle doit veiller à ce que les patients en attente de greffe d'organes puissent trouver un organe compatible et être greffés rapidement. Pour cela, l'ABM gère les listes nationales des patients en attente de greffe, et assure la régulation des prélèvements d'organes et la répartition des greffons sur le territoire national. Dans le domaine de la greffe de MO ou CSH, l'ABM gère également le registre national « France greffe de moelle » (FGM) des donneurs de CSH et d'unités de sang placentaire, et assure le lien avec les registres internationaux, lorsqu'il n'existe aucun donneur national compatible avec un receveur.
Cette mission opérationnelle de pilotage de l'organisation des greffes s'accompagne d'une mission très importante de promotion du don d'organes, de MO et de gamètes, qui est encouragé au travers de campagnes d'information audiovisuelles, de journées thématiques, et d'interventions auprès du public et des associations.
L'ABM a aussi d'autres missions : une mission d'encadrement, par exemple dans les domaines de la génétique humaine et de la recherche sur l'embryon, pour lesquels l'ABM délivre des autorisations et agréments ; une mission d'évaluation, telle celle des résultats des centres d'assistance médicale à la procréation (AMP) ; une mission de promotion de la recherche au travers d'un appel d'offres scientifique annuel, qui permet la subvention de projets de recherche sélectionnés par le CMS.
Les compétences de l'ABM sont donc très larges, et font appel à des expertises médicale, scientifique, juridique et éthique de haut niveau. Pour assurer ses missions, l'ABM s'appuie sur les lois de bioéthique, dont elle veille à faire respecter les règles fondamentales d'éthique, d'équité, de sécurité et de solidarité.
Le rôle du conseil d'administration de l'ABM est de délibérer sur les sujets les plus importants, notamment sur les orientations stratégiques pluriannuelles, ainsi que sur le budget et les moyens alloués à l'ABM. Je vous rappelle que la présidence du conseil d'administration est une présidence non exécutive, puisque c'est la direction générale de l'ABM qui a un rôle exécutif.
Je trouve le bilan des dernières années très satisfaisant.
Tout d'abord, l'ABM a rempli les objectifs stratégiques qui lui étaient fixés dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance (COP).
Le premier objectif était d'augmenter le nombre de greffes d'organes : il y en a eu 6 100 en 2017, soit une progression de 15 % en trois ans. Cela a été possible grâce, notamment, à l'augmentation du nombre de donneurs vivants, qui ont permis 16 % des greffes rénales, et à la mise en place progressive depuis fin 2014 du programme dit « Maastricht 3 » de prélèvement sur donneurs chez lesquels il y a eu une décision d'arrêt des thérapeutiques actives en réanimation. Ce programme est encadré de façon très rigoureuse par l'ABM, de manière à assurer l'étanchéité complète entre les procédures de fin de vie et de prélèvement ; il est maintenant en place dans vingt équipes, qui ont effectué 234 greffes en 2017.
Le deuxième objectif était d'augmenter le nombre de donneurs de CSH inscrits sur le registre national FGM : il y en a désormais 263 000, au-delà même de ce qui était attendu, même s'il reste un effort à faire pour recruter des hommes jeunes qui sont les meilleurs donneurs… J'en profite pour faire un appel !
Le troisième objectif était d'augmenter le nombre de donneurs de gamètes ; le nombre actuel de donneurs ne permet pas l'autosuffisance nationale.
Outre la réalisation de ces objectifs stratégiques, l'ABM a mené à bien un certain nombre de modifications requises par la loi de modernisation du système de santé : intégration au conseil d'administration de représentants d'associations d'usagers du système de santé ; transfert de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vers l'ABM de la compétence en matière de biovigilance pour les activités de prélèvements et de greffes ; gestion du registre national des refus (RNR), qui est devenu le moyen principal d'exprimer son refus au prélèvement d'organes.
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'ABM, signé avec la direction générale de la santé (DGS) pour les années 2017-2021, formalise les grandes orientations de l'ABM, en lien avec les trois plans d'action ministériels concernant la greffe d'organes et de tissus, la greffe de CSH et l'assistance médicale à la procréation, l'embryologie et la génétique humaine.
Ce COP est organisé autour de deux axes stratégiques : un axe médical et scientifique visant à accroitre l'accès à la greffe d'organes, avec un objectif de 7 800 greffes en 2021, dont 1 000 grâce à des donneurs vivants – nous sommes aujourd'hui à 6 100 – ; accroître l'accès à la greffe de tissus et de CSH ainsi qu'à l'assistance médicale à la procréation (AMP), l'objectif étant d'atteindre l'autosuffisance nationale en matière de don de gamètes ; la poursuite d'axes transversaux tels que la promotion de la recherche, la communication avec le public et la formation des personnels de santé, le tout évidemment dans un contexte d'efficience.
Enfin, l'ABM a, bien sûr, vocation à apporter son expertise aux travaux de réexamen de la loi de bioéthique, qui sont engagés cette année.
Pour conclure, je suis très motivée à poursuivre mon activité à l'ABM et y apporter mes compétences. La fonction de présidente du CA me fait aborder des sujets en lien avec mon activité hospitalo-universitaire, mais qui prennent une dimension humaine beaucoup plus vaste, en lien avec des personnes d'horizons très différents, dans des domaines qui m'ont passionnée dès le début de mon métier de médecin.
Un sujet m'intéresse particulièrement, à savoir le rapport sur l'application de la loi de bioéthique que vous avez remis à l'ouverture des États généraux de la bioéthique. L'ABM y croise l'approche juridique avec une approche éthique – j'entends par éthique, à la différence d'une morale reposant sur des préceptes, un ensemble de principes en action –, mais aussi avec les aspects scientifiques et sanitaires.
Quel débat en bonne intelligence envisagez-vous entre ces différentes approches ? Comment les conjuguez-vous ?
On sait que l'Agence de biomédecine est une agence nationale créée par la loi de 2004. Elle exerce ses missions dans des domaines du prélèvement et de la greffe d'organes, de tissus et de cellules, et dans le domaine de la procréation de l'embryologie et de la génétique humaine. Elle dispose d'une expertise qui fait d'elle l'autorité de référence sur les aspects médicaux, scientifiques et éthiques relatifs à ces questions.
Il est donc naturel que notre commission auditionne la candidate que vous êtes à votre propre succession à la présidence de son conseil d'administration, d'autant plus que les lois de bioéthique, qui vont être révisées à l'automne de cette année, vont voir les prérogatives de l'agence particulièrement renforcées. Le contrat d'objectifs et de performance signé en février 2017 entre l'Agence et le ministère de la santé, porte en effet sur la période 2017 à 2021 et fixe à l'avance des objectifs très ambitieux, par exemple l'augmentation du nombre de greffes d'organes réalisées de 33 %, l'augmentation de 18 % du nombre de donneurs volontaires de moelle osseuse ou encore l'autosuffisance nationale en matière de don de gamètes.
Pour remplir ses objectifs, l'Agence de biomédecine a donc besoin de moyens financiers et humains. Pourtant, l'agence a subi une diminution d'effectifs, en perdant plusieurs équivalents temps plein. Les textes budgétaires votés en fin d'année n'ont pas prévu de rattraper ce retard. Pire, ils ont entériné la baisse des subventions versées par l'État. Il s'agit d'une diminution atteignant près d'un million d'euros depuis 2016, soit près de 7 %.
Cette baisse des subventions a un impact grave sur le budget de l'agence, puisque son fonds de roulement a été divisé par deux en cinq ans pour faire face aux dépenses liées à ses nouvelles missions. N'y a-t-il pas, selon vous, une forte contradiction entre la signature d'un contrat d'objectifs et de performance aussi ambitieux que celui-là et l'accroissement de la pression budgétaire engendré par la maîtrise des subventions de l'État ? Allez-vous porter une voix forte, dans les discussions avec votre ministère de tutelle, afin de garantir la pérennité des actions de l'agence ?
Madame, nous vous revoyons avec plaisir. J'avais en effet déjà assisté à l'audition de 2015 préalable à votre nomination.
Nous fêtons aujourd'hui le cinquantième anniversaire de la première transplantation cardiaque en France et en Europe par le professeur Cabrol. Je me trouvais à cette époque dans les salles opératoires de la Pitié-Salpêtrière. Je me réjouis des progrès accomplis.
L'agence de biomédecine a en fait quatorze ans, puisqu'elle a succédé à France Transplant et à l'Agence des greffes. Je voudrais revenir sur le nombre de greffes réalisées, qu'il s'agisse du rein, du coeur ou d'autres organes, ainsi que sur le nombre de refus. S'agissant du registre national des refus, n'y a-t-il pas là comme un « trou dans la raquette » ? Souvent, les patients ne répondent pas aux demandes qui leur sont faites de s'y inscrire ou non. Pourquoi n'y aurait-il pas de registre d'acceptation des greffes ? L'information circulerait mieux.
J'en termine par deux questions. Comment jugez-vous les échecs en termes de non-réponse aux demandeurs de greffe ? Certains meurent en effet avant d'avoir pu être transplantés. Cela est-il dû à un manque de greffons ou à un manque de compatibilité avec les receveurs potentiels ?
Par ailleurs, quelles sont les solutions que vous retenez pour valider le domaine des nouvelles transplantations humaines ? Récemment, des greffes de visage ont été réalisées à Lille et dans d'autres villes, mais elles ont dû être préalablement validées.
Naturellement, je soutiens votre reconduction à la tête de l'Agence de biomédecine.
S'agissant du rapport sur l'application de la loi de bioéthique et sur la manière dont l'Agence se place pour conjuguer les approches juridiques, médicales et bioéthiques, je dirais qu'elle est là pour fournir son expertise grâce à différents comités d'experts qui délivrent des avis sur les questions qui leur sont posées. Le rapport de janvier 2018 sur l'application de la loi de bioéthique contient un état des lieux très détaillé. Il pose des questions et montre des points d'amélioration possibles, qui sont autant de pistes de travail relevant du Parlement, en particulier lorsqu'il procédera à la révision de la loi. L'Agence est là pour aider en ce domaine, à travers son expertise variée.
Quant à la baisse des moyens financiers de l'Agence, elle s'est du moins stabilisée depuis un an et nous avons obtenu des ministères de tutelle l'engagement qu'ils n'iraient pas plus loin. Nous serions en effet en grande difficulté si les moyens qui nous sont alloués continuaient de baisser. L'Agence a déjà restructuré son personnel dans le sens d'une efficience accrue et nous ne saurions aller plus loin encore. Elle entretient de bons rapports avec les ministères de tutelle qui soutiennent son action autant qu'ils le peuvent et sont à son écoute.
J'en viens au manque de donneurs et au registre national des refus, dont l'organisation s'est trouvée un peu modifiée après la dernière révision de la loi de bioéthique. Aussi modulerai-je votre propos au sujet du registre, monsieur Door. Toute personne en état de mort cérébrale est un donneur potentiel, sauf refus écrit de sa part. Il n'y a pas de consentement à donner pour le don d'organes. Nous sommes tous donneurs, sauf si nous avons exprimé par écrit un refus, en particulier par le moyen qui est aujourd'hui le plus utilisé : l'inscription au registre national des refus, qui s'effectue par courrier ou par Internet.
La mise en place de cette dernière modalité a entraîné une augmentation frappante du nombre d'inscriptions, témoignant de la meilleure connaissance par le public de ce système. Je pense que c'est finalement une assez bonne chose que les gens réticents à un don d'organes soient en mesure de l'indiquer. Cela pose moins de problèmes, au moment du prélèvement éventuel, avec les familles, qui savent à quoi s'en tenir. Ainsi, les refus exprimés par elles sont tendanciellement moins nombreux depuis l'introduction de ce système.
Comment l'Agence peut-elle être plus efficace pour augmenter le nombre de donneurs ? En effet, nous faisons face à une augmentation des demandes de greffe, du fait d'une augmentation des pathologies dues au vieillissement, conduisant à une augmentation du nombre de receveurs potentiels. Le manque de donneurs doit être combattu par un encouragement au don. Nous devons faire des efforts particuliers auprès des donneurs vivants de reins. Ce type de greffe, après une augmentation il y a deux ans, connaît aujourd'hui un plateau.
Le problème est que les greffes en provenance de donneurs vivants demandent beaucoup de temps aux équipes greffeuses. Confrontées aux contraintes administratives, elles doivent effectuer la sélection des donneurs et obtenir les autorisations nécessaires. Les équipes mettent aussi plus de temps à organiser les greffes. Pour encourager les greffes à partir de donneurs vivants, il faudrait donc pouvoir allouer des moyens supplémentaires aux équipes greffeuses, de façon ce qu'elles puissent favoriser ce type de greffe.
Quant aux nouvelles expérimentations en matière de transplantations, comme celles du visage, elles restent ponctuelles, du fait même du nombre limité de sujets susceptibles d'en bénéficier. L'agence a soutenu le développement de ces approches. Mais nous devons garder à l'esprit le sens des proportions et le fait qu'il s'agit de greffes exceptionnelles. Certes, il y a beaucoup d'agitation médiatique autour d'elles, car elles sont spectaculaires, mais nous devons nous concentrer plutôt sur le sujet très important de la greffe d'organes, même si nous continuerons à engager ces autres approches.
Je voulais vous interroger sur les liens entre l'Agence de biomédecine, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et les États généraux de la bioéthique, mais vous avez répondu à ma question. Je vous remercierai donc simplement pour votre présentation, en vous assurant de tout mon soutien pour votre renouvellement à la tête de l'Agence.
Après avoir lancé en 2011 une campagne visant à inciter les Français, et surtout les Françaises, à donner leurs gamètes et après avoir communiqué sur la forte pénurie de dons d'ovocytes, l'Agence de la biomédecine a souligné, dans un avis rendu en juillet dernier, l'importance d'organiser des campagnes d'information sur le don d'ovocytes en montrant les limites des techniques d'assistance médicale à la procréation, afin de relativiser l'attrait magique qu'elles suscitent au sein du public mais aussi chez certains médecins. Alors qu'il est aujourd'hui question de deux ans d'attente pour les couples infertiles et qu'il faudrait que les dons d'ovocytes augmentent de 200 % afin de répondre à la demande, pouvez-vous faire le point sur ces campagnes d'information ? N'est-il pas temps, en amont de la révision de la loi de bioéthique, d'alerter fortement l'opinion publique ?
Je voudrais revenir sur les États généraux de la bioéthique, qui ont été lancés au mois de janvier et dont nous devrions prochainement recevoir un rapport de synthèse. Un récent sondage a mis en avant l'évolution des mentalités dans notre société : depuis 1990, le pourcentage de Français favorables à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes est passé de 24 % à 60 %. L'agence de biomédecine est chargée d'améliorer la prise en charge et le suivi des couples ayant recours à la PMA, de manière équitable. Dans la perspective d'une évolution de la loi qui ouvrirait la PMA à toutes les femmes, avec une prise en charge par la sécurité sociale, quelle est votre expertise sur les éventuelles restrictions et les conditionnalités à mettre en place ? Comment comptez-vous faire pour assurer l'équité entre les couples hétérosexuels, les couples homosexuels et les femmes seules ?
En ce qui concerne le don d'ovocytes, vous avez tout à fait raison. Il existe un manque par rapport aux besoins. Bien que le nombre de donneuses ait augmenté au cours des dernières années, nous ne sommes encore qu'à la moitié du chemin pour atteindre l'autosuffisance au plan national. L'Agence joue un rôle crucial grâce aux campagnes d'information qui visent à encourager le don d'ovocytes, encore assez méconnu au sein de la population générale. Depuis deux ou trois ans, nous faisons beaucoup d'efforts, par des campagnes et des interventions audiovisuelles, pour développer ce type de dons. Je pense que l'on devrait arriver à motiver les femmes en leur expliquant en quoi c'est important.
L'Agence n'a pas à donner son avis sur l'élargissement de la PMA, mais elle doit veiller à ce qu'il y ait une équité d'accès dans le cadre de la réglementation en vigueur, et c'est ce qu'elle a fait jusqu'à présent. Si l'on élargit le périmètre des couples pouvant avoir accès à la PMA, cela augmentera encore le nombre de demandeurs, ce qui posera le problème de l'accès d'une manière encore accrue. Vous devrez réfléchir à cet aspect, entre autres, lors de la révision de la loi de bioéthique. L'Agence n'a pas à se prononcer sur un tel sujet, mais elle peut naturellement fournir son expertise.
L'Agence de la biomédecine a notamment pour mission de promouvoir et d'assurer le bon déroulement des processus de don et de greffe d'organes, vous l'avez dit. Les progrès médicaux n'ont de cesse d'améliorer les résultats des greffes. Cependant, on constate que les départements et les régions d'outre-mer font partie des territoires où les demandes reçoivent le moins de réponses positives dans un délai de 24 mois. Je pense tout particulièrement aux greffes rénales à La Réunion, où le taux d'accès n'est que de 21 %, contre une moyenne de 44 % en métropole. On voit donc augmenter rapidement le taux de recours à la dialyse, alors que nous savons toutes et tous que ce n'est pas la solution qui permet de continuer à vivre le plus normalement possible. Lors du nouveau mandat que vous souhaitez exercer à la tête de l'Agence, que proposez-vous pour que le taux d'accès aux greffes en outre-mer puisse a minima rattraper celui observé en métropole ? Plus globalement, avez-vous développé une vision spécifique de votre action dans les outre-mer ? Enfin, disposez-vous de suffisamment de moyens ?
Outre vos missions à l'Agence de la biomédecine, vous dirigez une équipe de recherche de l'INSERM. Vous managez et vous êtes amenée à jouer un rôle d'investigatrice pour des programmes de recherche. Une proposition de loi sur les comités de protection des personnes (CPP) devrait être examinée jeudi en séance publique. Ce texte vise à adapter la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite « loi Jardé », en ce qui concerne les modalités de tirage au sort des CPP pour les évaluations des programmes de recherche clinique. La France est un pays disposant d'une grande expertise médicale et de compétences scientifiques très fortes, mais nous devons rester vigilants sur la question de notre attractivité. Ma question porte sur la place de la recherche médicale et scientifique française au plan européen et international : pensez-vous qu'il y a des leviers dont nous pourrions nous saisir, en tant que législateurs, pour promouvoir encore davantage notre pays et assurer son rayonnement dans le domaine de la recherche ?
Votre présentation des activités de l'Agence de la biomédecine et votre implication, reconnue, plaident pour votre reconduction à la tête de cet organisme. Cela permettrait au travail de qualité qui a été engagé de se poursuivre.
Une des missions de l'Agence est de promouvoir le don d'organes afin de garantir à tous les malades un égal accès à la greffe sur l'ensemble du territoire. J'aimerais vous interroger sur la problématique du trafic d'organes humains à des fins de transplantation. C'est un enjeu majeur : l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 10 % des transplantations ont lieu illégalement au plan international, pour un chiffre d'affaires d'un milliard d'euros chaque année, ce qui place cette activité parmi les trafics criminels mondiaux de grande ampleur.
Nous sommes régulièrement saisis par les populations à risque, qui s'élèvent contre des pratiques persistantes de prélèvements forcés, notamment dans certains pays d'Asie. Il est très difficile d'agir pour faire cesser ces activités illégales. Plusieurs moyens existent, comme la sensibilisation des médecins qui prélèvent et transplantent, mais aussi l'action à l'égard des trafiquants. Certaines voix, au sein du monde associatif occidental, souhaitent par ailleurs que l'on mette un terme à l'accréditation des institutions de transplantation des pays asiatiques concernés tant que des garanties suffisantes n'auront pas été apportées quant à la fin des pratiques illégales.
Le monde occidental connaît une demande croissante d'organes, qui peine à être satisfaite. Nous nous trouvons donc devant une série de problèmes qui risquent de prendre de l'ampleur, notamment celui des risques sanitaires pour les populations transplantées illégalement. Quel rôle l'Agence de la biomédecine peut-elle jouer pour sécuriser médicalement l'existant et participer à la lutte contre ce trafic ?
L'Agence est très vigilante sur la question de l'accès équitable aux greffes dans les départements d'outre-mer. Plusieurs problèmes se posent. L'incidence de l'insuffisance rénale chronique est, en particulier, beaucoup plus élevée qu'en métropole, et il y a donc un plus grand nombre de receveurs. L'Agence a développé depuis plusieurs années des stratégies actives pour permettre le développement des greffes dans ces départements, mais nous subissons parfois des aléas totalement indépendants de notre volonté, comme l'incendie qu'a connu l'hôpital de la Guadeloupe – il s'en est suivi une interruption temporaire et une délocalisation de l'activité, mais je pense que le problème est quasiment réglé. Nous travaillons aussi à améliorer l'inscription des patients en dialyse sur les listes d'attente de greffe et à encourager le don d'organes, tant pour réduire le nombre de refus que pour promouvoir le don à partir de donneurs vivants.
En ce qui concerne la révision des dispositions relatives aux CPP, l'adaptation de la loi Jardé n'entre pas totalement dans le champ de compétence de l'Agence de la biomédecine, mais c'est un sujet que je connais un peu compte tenu de mes activités professionnelles. La France est très bien classée au plan international pour la recherche biomédicale : nous avons des équipes très actives, qui réalisent de la recherche de très bon niveau. Les lourdeurs administratives constituent néanmoins un frein. Dans le contexte de la loi Jardé, on doit essayer de faciliter la mise en place des projets de recherche, et beaucoup de pistes d'amélioration sont envisageables. Les nouvelles modalités de désignation des CPP par tirage au sort ont retardé le rendu des avis, ce qui n'était pas l'objectif.
Le trafic d'organes n'est absolument pas un problème qui se pose en France, mais il existe dans d'autres pays. C'est grâce à des institutions telles que l'Agence de la biomédecine que l'on peut totalement contrôler ce qui se passe et éviter le trafic d'organes. À partir du moment où tous les prélèvements sont recensés dans le cadre d'une agence relevant de l'Etat, il n'y a plus de possibilité de distribuer des greffons ou de réaliser des greffes illégalement. Il faut conseiller les pays où des greffes ont lieu dans le cadre d'un trafic d'organes, en les aidant à instaurer un organisme similaire à l'Agence de la biomédecine, ou en tout cas une régulation des prélèvements et des greffes. Nous pouvons tout à fait apporter nos conseils aux pays qui le souhaitent, en expliquant notamment comment le système actuel a été mis en place en France.
Je veux aussi vous assurer de tout mon soutien. Permettez-moi de revenir sur la question du don d'organes, en faisant une proposition plus qu'en vous posant une question. Mon collègue et confrère Jean-Pierre Door a évoqué la question de l'accord de don, et je rejoins ce que vous avez dit : le registre concerne les refus. Il est vrai, néanmoins, que les familles peuvent avoir des difficultés à admettre les dons dans les conditions qui sont celles de la fin de vie et des prélèvements d'organes. En tant que président du groupe d'études « santé et numérique », j'ai proposé d'adosser ce registre, ou un registre plus global, au dossier médical partagé (DMP) que nous allons déployer en 2018. Cela permettrait notamment d'avoir un temps d'échange avec les patients sur cette question et de la « dégrossir » en amont, si je puis dire.
Merci pour la précision de votre présentation et de vos réponses, qui constitue une bonne raison de vous reconduire dans vos fonctions. Au sujet de la greffe de visage, vous avez dit que l'Agence a « encouragé » – je crois que c'est le mot que vous avez employé – ce type d'initiatives. Par-delà l'intérêt du geste chirurgical, celles-ci nous interrogent beaucoup, en termes d'éthique, sur le rapport entre le corps et la personne. Si j'ai été greffé du visage, suis-je toujours la même personne ? La différenciation du corps à la suite d'une greffe fait-elle toujours de moi la même personne ? Cela me conduit à vous interroger sur la manière dont le débat éthique a lieu à l'intérieur de l'Agence. Comment est-il organisé ? Comment les décisions sont-elles prises lorsque vous rendez des avis ? Sur quelle expertise vous appuyez-vous ? Pour ce type de greffes, au-delà de la technicité et de la prouesse chirurgicale, l'Agence a-t-elle été amenée à donner un avis « encourageant » ?
Je voudrais vous remercier pour la clarté de votre présentation des différentes missions de l'établissement que vous dirigez. Créé en 2004, il a pour mission de fournir une expertise sur les thérapeutiques utilisant des éléments du corps humain, à l'exception du sang. Quatorze ans après l'adoption de cette loi, y a-t-il d'autres missions auxquelles vous aimeriez étendre votre périmètre d'expertise ? En ce qui concerne vos liens fonctionnels avec d'autres organismes compétents dans le domaine de la santé, comment les échanges se déroulent-ils au quotidien et, surtout, comment voyez-vous l'avenir ?
Je vous remercie pour votre proposition relative au dossier médical partagé : cela me semble une excellente initiative. Quelque chose d'un peu similaire avait été envisagé il y a quelques années en lien avec la carte Vitale, me semble-t-il, mais cela n'a jamais été mis en place. Ce que vous proposez serait un très bon moyen de promouvoir les dons et d'éviter des situations où, même si la personne concernée n'a pas signifié son refus dans le cadre du registre national, la famille ne souhaite pas de prélèvements – on peut le comprendre, et aucune équipe, croyez-moi, ne le fera si la famille n'est pas d'accord.
Je crois que je ne me suis pas très bien exprimée quand j'ai utilisé le terme : « encourager » à propos de la greffe de la face. L'Agence de la biomédecine a, en réalité, soutenu ce projet en lui donnant son autorisation – car il s'agissait, naturellement, d'un projet soumis à une autorisation éthique. Il a été examiné par le conseil d'orientation de l'Agence, qui comporte notamment un comité d'experts. C'est notre instance éthique, qui examine tous les nouveaux projets, pour avis et autorisation. L'Agence a donné un avis favorable aux greffes de la face et en a autorisé un nombre limité, qui a été réalisé.
Pour ce qui est d'une éventuelle extension de notre expertise, permettez-moi de revenir à la baisse des moyens dont il a été question tout à l'heure. Il serait difficile d'élargir notre champ d'action dans un contexte de réduction des moyens : nous aimerions pour l'instant nous limiter aux compétences attribuées à l'Agence, plutôt que les élargir. Nous avons de très bons rapports avec les autres organismes, que ce soit l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou l'Établissement français du sang (EFS), qui sont les plus proches de nous. Il n'y a aucun problème. Un transfert de compétence a notamment été réalisé sans difficulté entre l'ANSM et l'Agence de la biomédecine en ce qui concerne la biovigilance en matière de greffe. Je n'ai pas particulièrement d'idées de nouveaux champs d'expertise pour l'Agence.
Il me reste à vous remercier au nom de la représentation nationale et de cette commission en particulier. Je tiens aussi à excuser Jean-Louis Touraine, qui est notre référent pour l'Agence de la biomédecine. Il avait malheureusement un impératif qui ne lui permettait pas de participer à cette réunion.
La séance est levée à dix-sept heures trente.
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Présences en réunion
Réunion du mardi 15 mai 2018 à 16 heures 30
Présents. – M. Belkhir Belhaddad, M. Bruno Bilde, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Josiane Corneloup, M. Jean-Pierre Door, Mme Audrey Dufeu Schubert, M. Jean-Carles Grelier, Mme Caroline Janvier, M. Thomas Mesnier, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Isabelle Valentin, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon
Excusés. - Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, Mme Nicole Sanquer, M. Adrien Taquet, M. Jean-Louis Touraine, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Boris Vallaud