GROUPE DE TRAVAIL N°2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE STATUT DES COLLABORATEURS PARLEMENTAIRES
Mercredi 13 mars 2019
Présidence de M. Michel Larive, président du groupe de travail
La réunion commence à treize heures trente-cinq.
Madame la rapporteure, mes chers collègues, avant de commencer nos travaux, je souhaite vous faire savoir que l'Association des députés employeurs m'a porté à sa présidence mercredi dernier. Nous allons donc entamer un nouveau cycle de négociations portant sur le régime salarial avec les syndicats de collaborateurs.
Cela étant dit, nous sommes réunis pour une nouvelle audition de notre groupe de travail consacré aux risques psychosociaux et au harcèlement.
Il y a quinze jours, nous avons entendu sept syndicats de collaborateurs parlementaires ; nous recevons aujourd'hui, en principe, quatre associations de collaborateurs de l'Assemblée nationale, dont l'Association des collaborateurs progressistes, représentée par sa présidente, Mme Lucie Loncle Duda ; merci d'être là ! (Sourires.) Ce qui est intéressant, c'est que vous pourrez décider de prendre la parole à votre convenance !
Nous attendions par ailleurs l'Association des collaborateurs démocrates, représentée par son président M. Matthieu Bourasseau, qui n'est pas là, l'Association française des collaborateurs parlementaires, ainsi que le Cercle des collaborateurs et attachés parlementaires, qui ne sont pas non plus représentés, alors qu'ils étaient invités.
Cette rencontre sera l'occasion pour vous de nous faire part des difficultés de votre profession, et ce au grand jour, puisque je vous rappelle que cette réunion est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale et donnera lieu à un compte rendu qui sera également disponible sur le site de l'Assemblée. Je souhaiterais toutefois que nous nous en tenions le plus possible aux sujets inscrits à l'ordre du jour : les risques psychosociaux et le harcèlement.
Je ne reprendrai pas l'intégralité des informations que Mme Maquet et moi-même avions données lors de la réunion du 20 février, mais je souhaite une fois de plus insister sur la durée moyenne d'un contrat de collaborateur parlementaire qui, depuis le début de la législature, n'est que deux mois et demi ! Ce chiffre doit tous nous interpeller.
Comme vos collègues nous l'ont rappelé, vos conditions de travail ont été profondément affectées par un antiparlementarisme croissant – qui a d'ailleurs peut-être davantage touché les collaborateurs parlementaires en circonscription que ceux travaillant au cœur même de l'Assemblée nationale –, par un surcroît général d'activité de l'Assemblée ainsi que par une urgence médiatique de la part de nos concitoyens, qui exercent une pression plus grande que par le passé sur les députés, et par voie de conséquence, sur ceux qui travaillent avec eux.
Or, ce n'est pas parce que le rythme et les méthodes de travail à l'Assemblée sont à l'origine de bien des difficultés que vous rencontrez aujourd'hui que nous ne pouvons pas envisager des pistes de réflexion de notre côté. Aussi souhaiterais-je vous poser quelques questions afin de lancer le débat.
Je commencerai, une fois n'est pas coutume, par le sujet du harcèlement. Plusieurs syndicats ont estimé lors de leur audition que la déontologue qui est, avec la référente harcèlement, l'interlocutrice privilégiée sur ces sujets, ne disposait pas d'assez de pouvoirs, car elle ne bénéficie que d'un rôle d'écoute et de conseil sans aucune contrainte possible : qu'en pensez- vous ? Estimez-vous souhaitable de renforcer ses compétences ? Par ailleurs, quels retours avez-vous eus des collaborateurs qui ont éventuellement eu l'occasion de consulter la référente ou la déontologue ?
S'agissant des risques psychosociaux, pensez-vous qu'il faille instaurer une obligation de formation des députés afin de les sensibiliser et leur expliquer concrètement quelles sont leurs obligations en tant qu'employeurs, puisque ce sont eux qui recrutent les collaborateurs, et non l'Assemblée en tant qu'institution ?
Enfin, le rôle de l'administration dans la relation entre députés et collaborateurs a également été évoqué. Aux yeux de certains de vos collègues, celle-ci n'observerait peut-être pas toujours la neutralité et l'équilibre qu'il conviendrait, et aurait tendance, fût-ce inconsciemment, à privilégier le point de vue du député : qu'en pensez-vous et estimez-vous que, là aussi, une sensibilisation serait nécessaire ?
Je propose de vous laisser la parole pour une durée de cinq à dix minutes environ – bien que vous disposiez de beaucoup plus de temps si vous le désirez – afin de recueillir votre point de vue et vos premières réponses aux questions que je viens de poser. Mme Jacqueline Maquet, rapporteure de notre groupe de travail, vous posera ensuite à son tour quelques questions. Puis, nous procéderons à des échanges entre les députés présents et vous-mêmes ; en l'occurrence, entre vous et nous.
(Sourires.)
L'Association des collaborateurs progressistes a été créée au début de la présente législature. Elle regroupe des collaborateurs des groupes La République en Marche, Mouvement Démocrate et apparentés, UDI, Agir et Indépendants, Libertés et Territoires, ainsi que deux collaborateurs du groupe Les Républicains.
Au départ, notre association avait pour objet d'organiser une certaine convivialité entre collaborateurs, d'être un lieu d'écoute pour tous afin d'améliorer nos conditions de travail. Au fil du temps, elle s'est transformée malgré elle en syndicat en raison, d'une part, de son implication dans la négociation des conventions collectives, dont nous sommes très heureux, mais également en raison du rôle d'accompagnement des collaborateurs que nous avons eu à endosser très rapidement, et quelque peu malgré nous.
Un bilan établi par le bureau de notre association a montré que nous accompagnons un collaborateur par semaine en moyenne, qu'il s'agisse d'une simple écoute au sujet d'une relation difficile avec un député, d'un conseil en cas de harcèlement moral, ou d'une rupture conventionnelle pouvant aller jusqu'à la saisine du tribunal des prud'hommes.
Le champ est donc assez vaste, nous ne sommes certes pas toujours saisis de situations extrêmes mais ces cas se présentent régulièrement. Notre association reste démunie, et nous travaillons souvent avec le syndicat SNAFAN-FO que je remercie du fond du cœur car il nous aide beaucoup à accompagner chaque jour, chaque semaine, chaque mois, ces collaborateurs ; il leur donne des conseils juridiques plus précis que ceux que nous pouvons leur apporter. Nous avons fini par apprendre sur le tas, mais cela ne suffit pas pour accompagner efficacement nos collègues.
Nous avons rencontré la déontologue à deux reprises. La première fois, nous avons évoqué le code de déontologie des collaborateurs. Plus tard, avant qu'elle n'ait remis son rapport au Président de l'Assemblée nationale au mois de janvier dernier, nous l'avions saisie de la question du harcèlement moral et du harcèlement sexuel dans la maison. Elle nous avait reçus dans le cadre d'un rendez-vous, qui fut très fructueux et au cours duquel nous avons discuté de son rôle qui est effectivement d'écoute, car beaucoup de collaborateurs viennent la voir parce qu'ils ne savent pas à qui s'adresser.
L'Association peut être une porte d'entrée lorsque les collaborateurs ont besoin d'une écoute, mais ils constatent que nous ne disposons pas des moyens juridiques propres à les aider. Pas plus que nous ne disposons de moyens financiers pour couvrir des frais de conseil juridique ou d'avocat. L'aide que nous pouvons apporter est ainsi assez limitée, raison pour laquelle nous nous renvoyons souvent les intéressés vers la déontologue, dont le premier rôle est l'écoute. Mais les collaborateurs attendent de la déontologue des conseils juridiques qu'ils ne peuvent obtenir d'elle ; le cas échéant, ils n'ont d'autre ressource que de puiser dans leurs propres deniers pour rémunérer un conseil consulté à titre privé.
Par ailleurs, les collaborateurs estiment ne pas être aidés par l'administration, qui se borne à leur rappeler le droit positif, chose après tout normale, alors que l'Association est plus à même de leur fournir des informations factuelles. Ainsi, si le service de la Gestion financière et sociale peut les informer du montant de l'indemnité à laquelle ils peuvent prétendre en cas de rupture conventionnelle, l'Association, lorsque le député est à l'origine de la rupture du contrat, peut leur indiquer qu'ils ont la possibilité de réclamer plus. Il a ainsi pu être demandé à certains députés des indemnités de rupture conventionnelle.
Le rôle de la déontologue est donc essentiel, sans pour autant être d'accompagner les collaborateurs. Elle est principalement là pour répondre aux députés, son rapport montre d'ailleurs qu'elle est submergée de demandes, ce qui fait qu'il peut lui être difficile de se rendre disponible pour les collaborateurs. S'agissant du renforcement de ses compétences, nous avons évoqué avec elle l'éventualité de constituer, à ses côtés ou à ceux du service de la Gestion financière, un conseil juridique qui devrait être indépendant afin que sa neutralité soit garantie.
En tout état de cause, nous constatons un manque d'information global des députés comme des collaborateurs. Il nous est ainsi revenu que, lors de leur arrivée, les députés recevaient des informations via le livret qui leur est alors remis ; toutefois, ils ont tellement d'informations à absorber qu'ils ne peuvent pas connaître tous les détails. Un très bon document est disponible sur le site intranet AN 577, qui fournit de nombreux renseignements sur les relations entre les députés et les collaborateurs. Comportant 76 pages, il est très bien fait, mais il faut prendre le temps de le lire, ce que l'on ne fait pas lorsque les choses se passent bien ; or, dès lors que ce n'est pas le cas, on a besoin de toutes les informations tout de suite, alors qu'elles ne sont pas toujours disponibles.
Le besoin d'être au clair sur les droits et devoirs de chacun se fait donc ressentir ; la durée moyenne de deux mois et demi des contrats des collaborateurs le montre d'ailleurs à l'envi. Pour ma part, j'ai la chance de travailler avec ma députée depuis le début de la législature. Je sais que ce n'est pas le cas de tous, car beaucoup de députés ne renouvellent pas le contrat à fin de la période d'essai.
En définitive, on se rend compte que la relation avec un député est très personnelle, et il est très difficile de trouver une personne avec laquelle on est pratiquement prêt à partager sa vie. Nous connaissons l'agenda, nous devons organiser les travaux et la journée, connaître les habitudes de notre député, savoir si, sur tel ou tel point, il dira oui ou non ; tout anticiper. C'est une relation assez intime, et l'on ne peut pas toujours attribuer la faute aux députés lorsqu'ils ne renouvellent pas une période d'essai, les personnalités pouvant ne pas être compatibles, le niveau de compétence du collaborateur entrant également en ligne de compte. La relation entre le collaborateur et son député est donc extrêmement complexe. Cependant, il serait souhaitable que, sur le plan des droits, tous les protagonistes soient placés sur un pied d'égalité.
Très peu de nos collègues nous ont fait part de leurs appréciations après avoir rencontré la déontologue. Certains ont connu une rupture conventionnelle, d'autres ont dit vouloir saisir le tribunal des prud'hommes mais nous ignorons jusqu'où ils sont allés. De fait, l'Association ne suit pas les collaborateurs après leur départ, en revanche, nous travaillons à replacer ceux qui sont compétents chez d'autres députés ; de leur côté, certains députés mettant fin au contrat de leur collaborateur les recommandent à des collègues. Connaissant déjà l'institution et le travail à accomplir, ces collaborateurs sont en effet immédiatement aptes aux tâches que leur nouvel employeur peut leur confier.
Nous sommes par ailleurs très favorables à la formation des députés, mais leurs contraintes d'agenda ne laissent guère de placer pour cela. Certains d'entre eux risqueraient d'y voir une manière d'ingérence dans leur politique managériale, ce qui pourrait se comprendre. D'un autre côté, ce sont peut-être ceux qui en ont le moins besoin qui seraient présents à ce type de réunions.
Pour notre part, nous essayons, avec les syndicats, de mettre en place une remise à niveau des collaborateurs sur la question de leurs droits au travail ; et nous soutenons pleinement la démarche équivalente pour les députés, et nous inviterons les collaborateurs à l'inclure dans l'agenda des intéressés.
S'agissant du rôle de l'administration, lors des dernières négociations collectives, nous avons largement évoqué le fait que le service de la Gestion financière et sociale n'informe pas toujours les nouveaux collaborateurs de l'existence du contrat de forfait jour. Nous en avions fait part à ce service mais il nous est revenu que les choses n'avaient pas changé. Le forfait jour n'est toujours pas proposé alors qu'il est difficile pour un collaborateur à Paris ou en circonscription, dont les tâches ne se limitent pas au secrétariat, de n'effectuer que 35 heures de travail hebdomadaires lorsqu'il est employé en contrat à durée indéterminée (CDI).
Le forfait jour constitue donc aussi une protection pour le député qui, en cas de rupture du contrat le liant au collaborateur, ne se verra pas reprocher d'avoir adressé un texto à vingt heures. En effet, en droit du travail, toute heure commencée est comptée comme heure supplémentaire ; c'est pourquoi le forfait jour est protecteur du député, chacun devrait le comprendre. Cette formule offre par ailleurs des congés supplémentaires aux collaborateurs, et peut leur éviter de passer quatre semaines à l'Assemblée au mois d'août parce qu'ils ont déjà utilisé tous leurs jours de repos.
Il s'agit à mes yeux d'un contrat « gagnant-gagnant », et je suis très satisfaite d'être employée sous ce régime ; c'est pourquoi je pense que le forfait jour devrait être mieux connu. Nous serions donc ravis que le service de la Gestion financière et sociale le mette plus en avant.
C'est là le seul point qui me vient pour l'instant à l'esprit au sujet du rôle de l'administration.
Je déplore d'autant plus l'absence de beaucoup de membres du groupe de travail que le sujet du harcèlement est important.
Vous avez indiqué, madame Loncle Duda, que votre association accompagnait un collaborateur par semaine. Ma première interrogation porte sur le nombre de vos adhérents. Par ailleurs, combien de cas de harcèlement vous ont été rapportés ?
Je donne maintenant la parole à Mme la rapporteure, et si vous avez, mes chers collègues, des questions, n'hésitez pas à les poser.
Le volume des fins de contrat est-il en baisse ? De nombreux contrats ont pris fin au cours des deux premières années, que ce soit du fait des députés ou des collaborateurs – ce qui s'explique peut-être par le niveau important de renouvellement des députés. Le rythme ralentit-il ?
En matière de harcèlement, le président a évoqué le renforcement des prérogatives de la déontologue de l'Assemblée nationale. Certains de vos collègues, madame Loncle Duda, ont également mentionné le 20 février la possibilité de confier ce rôle à d'autres personnes que la référente et la déontologue qui, exerçant dans les murs de l'Assemblée, ne sont peut-être pas les plus faciles à contacter. Pensez-vous qu'une personne ayant un profil différent – vous proposez un conseil juridique, vos collègues proposaient un psychologue comme c'est le cas au Sénat – serait la piste à privilégier ?
S'agissant des risques psychosociaux, la nécessité de mieux faire respecter le droit du travail à l'Assemblée a été évoquée. Plusieurs représentants syndicaux ont regretté que l'inspection du travail ne dispose pas d'un droit de regard sur la manière dont le droit du travail s'applique à l'Assemblée, alors que le contrat passé entre un député et son collaborateur relève du droit commun. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, à la confluence des risques psychosociaux et du harcèlement, une piste a été évoquée qui consiste à obliger un député à prendre en charge au titre de son avance sur frais de mandat (AFM) les dépenses liées à la rupture d'un contrat de collaborateur dès lors qu'il serait constaté un turn-over important et des ruptures nombreuses. Pensez-vous que cela favoriserait la responsabilisation des députés en leur qualité d'employeurs ?
L'Association des collaborateurs progressistes compte 350 adhérents, pour l'essentiel des collaborateurs de députés du groupe majoritaire. Nous lancerons prochainement une nouvelle campagne de sensibilisation pour nous faire connaître auprès des nouveaux arrivés et, peut-être, pour atteindre 400 membres.
Nous ne faisons pas le décompte des cas de harcèlement, d'abord parce que nous nous en tenons à l'accompagnement d'une personne par semaine, et aussi parce que tout dépend du degré de harcèlement. Il peut s'agir de grosses difficultés rencontrées avec un député ou d'un ras-le-bol général. Le sentiment de burn-out n'est parfois qu'une impression de trop-plein, sans qu'il y ait harcèlement. Dans quelques cas minoritaires, une dizaine environ, il se peut que des députés aient poussé leurs collaborateurs à bout afin qu'ils présentent leur démission ou demandent une rupture conventionnelle, les indemnités étant supérieures si cette demande émane du député. Face à ces cas gênants, il me semble utile que nous disposions d'une aide extérieure à l'Assemblée : la secrétaire générale de notre association a été formée par la Croix-Rouge pour accompagner les personnes en détresse mais, en ce qui me concerne, je ne possède pas ce bagage et, sur le plan psychologique, il est parfois difficile de s'entretenir avec des collaborateurs qui fondent en larmes parce qu'ils vont vraiment mal.
En ce qui concerne le rythme des fins de contrats, il se trouve que j'actualise chaque mois l'annuaire des collaborateurs de députés du groupe La République en Marche et que je supprime à chaque fois une trentaine de noms. Ce rythme me semble stable et les chiffres du service de la Gestion financière et sociale montrent qu'il n'est pas supérieur à celui de la XIVe législature. En revanche, le nombre de ruptures conventionnelles a augmenté.
S'agissant de la personne-ressource, nous avons en effet envisagé le modèle médico-psychologique en vigueur au Sénat. Sur les questions juridiques, peut-être suffirait-il que les syndicats et les associations informent les collaborateurs des droits et des indemnités auxquels ils peuvent prétendre s'il est mis fin à leur contrat. Ainsi, l'appoint d'un juriste ne serait pas forcément nécessaire ; dans les cas les plus difficiles, il appartiendrait aux intéressés de solliciter eux-mêmes les services d'un avocat, le cas échéant, pour saisir les prud'hommes. L'accompagnement psychologique semble prioritaire pour que les collaborateurs apprécient eux-mêmes si leur situation relève du harcèlement, du burn-out ou d'une période difficile de trop-plein d'activité et, parfois, pour rétablir la relation de travail avec le député. En outre, autant adopter une solution qui a fait ses preuves, en l'occurrence au Sénat.
Je n'ai pas d'avis sur la question relative à l'inspection du travail : nous ne sommes pas un syndicat mais une jeune association qui apprend au fil de l'eau.
Quant à l'imputation des frais de rupture de contrat sur l'AFM, il elle peut être très pertinente mais il pourrait désavantager certains députés qui renouvellent souvent leurs collaborateurs non pas parce qu'ils sont de mauvais managers ou des employeurs difficiles mais parce qu'ils recrutent des stagiaires en contrat à durée déterminée (CDD) pendant un ou deux mois, d'où le nombre important de fins de contrat. Comment déterminer si ce nombre est dû à une pratique de management ou à un recrutement en CDD ? Qui prendra la responsabilité de décider quels députés doivent imputer les dépenses en question au titre de leur AFM ? L'idée est sans doute bonne mais son application risque d'être problématique.
Je pense comme vous que l'on n'explique pas suffisamment aux nouveaux députés qu'ils sont employeurs, même si la gestion des contrats, moyennant des frais de gestion de 60 euros, est déléguée à l'Assemblée nationale. Il n'en reste pas moins que les députés doivent s'acquitter de leurs obligations d'employeur. Je crois indispensable de leur proposer une journée d'information lors de leur accueil, au tout début de leur mandat, alors que leur vie s'apprête à changer radicalement.
Cela permettrait notamment d'aborder la question du forfait-jour. C'est au député qu'il appartient de se renseigner sur ces informations et sur les possibilités dont il dispose. En ce qui me concerne, j'avais beau avoir été employeur avant d'être élue, j'ai quand même passé beaucoup de temps, en début de premier mandat en 2012, à appeler le service de la Gestion financière et sociale.
Toute entreprise produit un bilan social qui renseigne sur la santé de l'entreprise, sur son personnel, sur les arrêts de travail et ainsi de suite. L'Association des députés‑-employeurs – je m'adresse aussi à son nouveau président, que je félicite – ne pourrait-elle pas établir un bilan social annuel, avec l'autorisation de chacun des députés adhérents, qui compilerait des données susceptibles de nous donner la température du climat général ? On connaîtrait ainsi en fin d'année le nombre de contrats, le nombre d'arrêts‑-maladie de longue durée et de courte durée et le taux de renouvellement, par exemple. Ces données contiennent des enseignements. À ma connaissance, ce bilan social collectif ne se fait pas – et il va de soi qu'un bilan social individuel ne présente pas d'intérêt.
Autre question, que j'aborde avec pragmatisme : la grille des salaires. Je reconnais qu'il existe des abus en matière salariale mais l'idée d'une grille des salaires suscite encore de la résistance, comme en ont témoigné les organisations syndicales lors de leur audition. Ce n'est pas cohérent : je défends quant à moi l'instauration d'une grille comme il en existe dans la fonction publique pour encadrer les pratiques.
Dernier point : comme vous l'avez dit, madame Loncle Duda, le député et ses collaborateurs vivent dans l'intimité au quotidien. Je ne connais guère d'autres situations professionnelles où l'employeur et l'employé travaillent ensemble dans un bureau de quinze mètres carrés et où le second connaît tout du premier – agenda, coups de téléphone, etc. Cette situation peut, dans certains cas, provoquer des incompatibilités d'humeur qui finissent pas être insupportables pour l'un ou pour l'autre. Au contraire, tout peut très bien se passer – je parle d'expérience – mais il arrive aussi que des problèmes surgissent. J'ajoute que l'Assemblée doit s'interroger sur les conditions matérielles du travail des députés – dont les bureaux, par exemple, sont beaucoup trop petits – et de leurs collaborateurs. Je suis persuadée que les députés logés au 101 rue de l'Université, où les bureaux ont souvent deux pièces séparées, entretiennent avec leurs collaborateurs des relations différentes que celles qu'entretiennent les députés logés au 3 rue Aristide Briand, où les bureaux sont exigus et d'un seul tenant. La nature des locaux me semble avoir une incidence sur les relations de travail.
Je précise que notre groupe de travail devait justement se saisir de la question des conditions de travail pendant ce semestre, mais le Bureau de l'Assemblée, sous l'autorité du président Ferrand, nous a demandé de modifier cet ordre du jour et de travailler sur le harcèlement. Nous avions pourtant demandé à pouvoir nous pencher sur les conditions de travail matérielles et mobilières qui sont parfois inacceptables pour le parlement d'un grand pays comme le nôtre, notamment pour les femmes logées au 3 rue Aristide Briand, où les douches ne sont pas à l'étage. En tant que président de l'Association des députés-employeurs, je me réserve le droit d'aborder cette question.
S'agissant du référentiel salarial, l'Association enverra prochainement un message aux députés pour leur demander leur avis – car en tant que président, je ne prendrai de décisions qu'après avoir consulté l'ensemble des adhérents, au besoin contre mon propre avis. En 2019, la négociation portera sur deux points : le référentiel salarial et le temps de travail. Je solliciterai les contributions des députés membres, dont il sera tenu compte lors de la négociation avec les collaborateurs. Il est possible que les collaborateurs ne souhaitent pas l'instauration d'un référentiel salarial, mais je crois comprendre que les avis sont divisés. Si l'idée est rejetée, nous passerons directement à la deuxième phase de négociation, sur le temps de travail.
Le bilan social est obligatoire pour tous les députés. Cependant, les clauses de confidentialité rendent la compilation très compliquée, même si l'on peut tenter de demander quelques éléments.
Vous avez raison. De fait, nous pourrions essayer de demander des informations aux députés, sans leur imposer d'obligation.
Nous disposerons bientôt des données statistiques concernant les collaborateurs, puisque le travail est mené en ce moment même par l'Association des députés employeurs. Je vous les ferai suivre, si cela vous intéresse.
Veuillez m'excuser pour mon retard : la réunion de la commission des affaires sociales a duré longtemps. Pourquoi les autres associations, dont l'audition avait été prévue, sont-elles absentes ?
Deux d'entre elles auraient dû l'être, la troisième n'a jamais répondu. Si le harcèlement ne fait pas partie de leurs préoccupations, c'est à elles de voir…
J'ai assisté à toutes les auditions précédentes de collaborateurs, ce qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses. Je rejoins ce que vient de dire Jeanine Dubié. Nous vivons dans la promiscuité avec nos collaborateurs. J'ai la chance d'avoir un bureau au 101 rue de l'Université, ce qui permet à mon collaborateur de disposer d'une pièce indépendante. Malgré tout, la pression de l'ordre du jour est forte. En ce moment, nous examinons en commission des affaires sociales le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, tandis que le projet de loi PACTE revient dans l'hémicycle et que nous avons fini d'examiner en séance la proposition de loi portant création de l'Agence nationale de cohésion des territoires à trois heures vingt cette nuit… Le matin, nous arrivons déjà fatigués. Alors que je préfère le contact direct, je suis parfois obligé, à minuit, une heure ou deux heures du matin, de donner des instructions par mail à ma collaboratrice, pas forcément très aimablement étant donné ma fatigue. Dans ces périodes de travail intense, de tels comportements peuvent être pris pour du harcèlement, alors que cela n'en est pas.
Au contraire, au mois de février, en période de contrôle, nous n'avons pas fait grand-chose. Puis nous sommes partis pendant une semaine. Nos collaborateurs, qui n'étaient pas forcément en vacances – je laisse les miens libres de choisir leurs dates de congés – peuvent avoir, dans ce genre de moment, le sentiment d'être isolés. Mais cela ne relève pas d'une volonté du député.
S'agissant de l'évaluation, qui est obligatoire tous les deux ans, existe-t-il une trame ?
L'Association des députés employeurs pourra vous fournir ce document. Il suffira que vous répondiez au mail que nous allons envoyer que vous souhaitez un support d'évaluation. Je pourrai aussi vous faire suivre celui que j'utilise, qui vaut ce qu'il vaut.
Concernant le harcèlement, notre première réunion portait sur sa définition et celle des risques psycho-sociaux par des professionnels de santé et des experts, qui nous ont donné des outils de reconnaissance ; car, de fait, il est possible de prendre pour du harcèlement ce qui n'en est pas ou l'inverse.
S'agissant de la fiche d'évaluation, j'en avais demandé un modèle aux services de la Gestion financière et sociale, qui m'avaient renvoyée vers internet. En tout état de cause, l'Assemblée nationale évaluant ses agents, elle doit bien disposer de fiches d'évaluation qu'elle pourrait nous transmettre et que nous adapterions à nos besoins.
Nous avons reçu dernièrement la fiche de profil de poste. Pour mener l'entretien d'évaluation et définir des objectifs annuels voire biennaux avec nos collaborateurs, cette fiche est très utile. Par ailleurs, la grille salariale serait un complément intéressant à ajouter à la fiche d'évaluation.
Concernant l'évaluation des collaborateurs, il me semble que nous avons reçu, il y a plusieurs mois, un mail des Questeurs. Mon évaluation, en juillet 2018, a été menée grâce au fichier transmis par la Questure. Je pourrai vous le faire suivre, monsieur Larive, pour être sûrs que nous parlons bien de la même chose.
Cela me rappelle en effet quelque chose ! Nous avons bien reçu des supports d'évaluation de la part de la Questure.
S'agissant du ressenti sur le harcèlement, nous aurions besoin d'une personne ressource, qui accompagne psychologiquement les collaborateurs et les aide à identifier le problème : harcèlement, burn-out ou simple fatigue due à une période intense de travail. Nous ne devons pas oublier que les députés sont sans arrêt dans leur action, ce qui peut expliquer leurs sautes d'humeur, quand les collaborateurs peuvent bénéficier d'une coupure chez eux. De la même façon, il peut arriver que la vie personnelle des collaborateurs vienne troubler leur vie professionnelle.
Je vous rejoins au sujet des conditions de travail des députés. Mais nous connaissons la réponse des Questeurs sur les travaux à l'Hôtel de Broglie, qui permettront de bénéficier de plus grands bureaux, sous la prochaine législature.
Au mois de mars 2018, nous avions reçu du service de la Gestion financière et sociale les chiffres de 2017 relatifs aux salaires, notamment au salaire horaire brut moyen, ou aux ruptures de contrat. Notre association est a priori contre la grille salariale, sans être opposée à un minimum salarial, qui correspondrait au profil d'un poste de secrétariat. Il me semble, comme à beaucoup d'autres collaborateurs, qu'un collaborateur à Paris ne peut pas être payé 1 800 euros par mois, dans la mesure où ce salaire ne permet pas de louer un logement décent. Les chiffres de la gestion financière sont pratiques, en ce qu'ils donnent le salaire horaire brut moyen par type de profil : cadre ou non cadre, circonscription ou Assemblée, homme ou femme. Cela permet de se comparer.
Mais l'enveloppe actuelle ne permet pas d'établir une vraie grille salariale. Ne forcerait-elle pas les députés à n'avoir que des collaborateurs juniors ? Ma députée, par exemple, a fait le choix d'un collaborateur senior, qui est bien payé pour accompagner beaucoup de projets en circonscription. Serait-il payé au même montant, s'il y avait une grille salariale ? Si ce n'était pas le cas, aurait-il accepté le poste ? Beaucoup de collaborateurs craignent que les députés ne remettent en cause leur salaire, ce que le droit du travail interdit pourtant – mais on ne sait jamais... Il faudrait étudier la portabilité de l'ancienneté. Un collaborateur, qui travaille depuis plus de deux ans, a un profil senior : sa différence de rémunération est payée par l'Assemblée et non pas par les députés. Une grille salariale, à enveloppe constante, ne priverait-elle pas les députés de profils de qualité ?
Parmi les préconisations du premier cercle de travail sur le statut du collaborateur figurait l'augmentation de l'enveloppe dédiée. Même si elle a été augmentée de 10 %, nous sommes encore loin du Bundestag et du Parlement européen, dont les enveloppes sont respectivement deux fois et deux fois et demie supérieures. Alors que François de Rugy avait prévu de continuer à faire augmenter l'enveloppe, j'ignore si le président Ferrand souhaite poursuivre cette hausse, quand cela permettrait peut-être de lever certaines barrières.
Le député peut en effet faire le choix d'employer un collaborateur expérimenté en circonscription et de mieux le payer qu'un jeune collaborateur recruté à Paris qui sortirait de Sciences Po. Il me paraît difficile de revenir en arrière sur le salaire versé actuellement à nos collaborateurs.
Les primes d'ancienneté, hors enveloppe, sont réglées par l'Assemblée. Cela aide beaucoup. Pour deux de mes collaborateurs, qui ont plus de dix ans d'ancienneté, l'appoint de la prime n'est pas négligeable.
Vous êtes quatre associations de collaborateurs. J'ai cru comprendre que la vôtre travaillait plutôt avec la majorité. Est-ce à dire que chacune des associations a un profil en lien avec un groupe parlementaire ?
En effet, les précédentes associations s'étaient formées autour d'affinités politiques, entre droite et gauche. Cette nouvelle association représente la majorité présidentielle.
Je vous remercie, madame Loncle Duda, ainsi que vous, chers collègues, et l'administration. La semaine prochaine, au même endroit et à la même heure, nous recevrons le collectif « Chair collaboratrice ».
La réunion prend fin à quatorze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'Assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires
Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 13 h 30
Présents. – Mme Jeanine Dubié, M. Michel Larive, M. Gilles Lurton, Mme Jacqueline Maquet
Excusé. – Mme Nicole Trisse