Mardi 14 mai 2019
L'audition débute à dix-huit heures trente-cinq.
Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), et M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d'autonomie.
Mes chers collègues, nous achevons cette séquence d'auditions en accueillant des représentants de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) : Mme Virginie Magnant, directrice, et M. Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d'autonomie. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Compte tenu du rôle de pilotage et d'animation du réseau des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qu'assure la CNSA, il était absolument indispensable que nous recueillions le point de vue de ses représentants.
Dans la mesure où la CNSA analyse et synthétise chaque année les rapports d'activité des MDPH, nous espérons que vous serez en mesure de nous fournir un certain nombre de données chiffrées. À ce propos, nous vous avons adressé au début du mois d'avril, comme à plusieurs ministères, un questionnaire qu'il vous était demandé de nous retourner le lundi 13 mai, au plus tard. Nous n'avons reçu aucune réponse de votre part, mais nous espérons que vous serez en mesure de nous fournir des éléments à l'occasion de cette audition.
Avant de vous donner la parole, je dois, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Virginie Magnant et M. Stéphane Corbin prêtent successivement serment.
Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Si nous avons créé cette commission d'enquête, c'est dans le but d'établir un diagnostic irréfragable, fondé sur des statistiques précises, qui ne puisse être contesté ni par l'État, ni par les acteurs, ni par les familles. Il faut savoir d'où l'on part et où l'on va, et c'est pourquoi nous ne voulions nous contenter ni des données fournies par les ministères, ni même d'une mission d'information.
Ce que nous attendons de vous, ce sont donc des informations concrètes et précises. J'espère que l'audition qui s'ouvre nous permettra d'approfondir notre connaissance de questions finalement assez simples, comme le délai moyen de traitement des demandes ou l'âge moyen auquel sont reconnus les différents types de handicap, car la détection précoce est une question cruciale. J'espère que vous pourrez également nous fournir des données sur les inégalités territoriales et sur les moyens alloués par l'État au moment du transfert de compétences, car ce sont des enjeux essentiels pour notre République, une et indivisible.
Nous voulons avoir la photographie la plus précise possible du sujet qui nous rassemble pour pouvoir, ensuite, faire les préconisations les plus justes. On ne peut évaluer correctement que ce que l'on diagnostique précisément.
Je vais centrer mon propos liminaire sur des données chiffrées relatives à l'activité des maisons départementales des personnes handicapées. Cela me donnera aussi l'occasion d'expliquer la manière dont la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui a été créée par la loi de 2005, rassemble ces données et ces informations, dans quel but elle le fait et comment elle les met à la disposition du public.
Vous l'avez rappelé, la CNSA anime le réseau des maisons départementales des personnes handicapées. Vous avez déjà eu l'occasion d'auditionner des représentants de l'Association des directeurs de MDPH, qui vous ont rappelé le fonctionnement très singulier de ces groupements d'intérêt public, qui rassemblent les parties prenantes de la politique du handicap, à savoir l'État, les départements et les acteurs associatifs. L'État intervient par l'intermédiaire des services de l'éducation nationale, des services des ministères sociaux, des agences régionales de santé (ARS) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).
La CNSA anime le réseau des MDPH et leur alloue des moyens financiers : elle a une dotation qui lui est propre et elle répartit aussi, depuis quelques années, des moyens issus de l'État. Elle a également pour mission d'outiller les MDPH. En effet, on a considéré d'emblée qu'il importait, pour assurer l'équité de traitement des personnes en situation de handicap, que les MDPH, qui sont le guichet unique où elles peuvent obtenir à la fois des informations, une orientation, un soutien, des conseils et de l'aide – et qui sont autonomes juridiquement – disposent d'outils communs. C'était une demande des parties prenantes, notamment des associations représentatives des personnes handicapées.
La CNSA alloue donc des moyens aux MDPH et elle leur demande, chaque année, un rapport d'activité, dont elle fait la synthèse. Nous avons apporté la synthèse des rapports d'activité des MDPH de 2018. Celle de 2019 est en cours de réalisation et elle sera prête pour le conseil de la CNSA, qui se réunit en juillet : nous pourrons vous la transmettre à ce moment-là.
D'une manière générale, on constate que les MDPH ont continué d'avoir une activité soutenue en 2017, puisqu'elles ont reçu près de 4,5 millions de demandes, émises par un peu plus de 1,7 million de personnes. Les MDPH ont vu leur activité augmenter depuis leur création. Au cours des premières années, cette croissance a pu atteindre 10 % par an. Ce taux a eu tendance à baisser au cours des dernières années et, en 2017, il s'établissait à 1,9 %. Nous vous transmettrons l'ensemble de ces données chiffrées par écrit : nous avons effectivement omis de vous les envoyer préalablement et je vous prie de nous en excuser.
La CNSA a pour habitude de classer les demandes en deux grandes catégories : celles qui relèvent de l'enfance et celles qui concernent les personnes adultes. En 2017, les demandes d'aide humaine à la scolarisation ont représenté 3,5 % des 4,5 millions de demandes adressées aux MDPH. Les demandes d'orientation en établissements médico-sociaux ont représenté 5,3 % de ces demandes. Enfin, les demandes d'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), qui peut être mobilisée par les parents pour financer des soins ou des prestations complémentaires, y compris, le cas échéant, un accompagnement à la scolarisation, ont représenté 5,9 % des demandes adressées aux MDPH. Au total, les demandes d'aides aux enfants et à leurs familles ont représenté près de 15 % des demandes enregistrées.
Vous nous avez interrogés sur le délai moyen de traitement de ces demandes. Je veux préciser d'emblée que ces délais sont calculés à partir du moment où une demande a été jugée recevable. Après qu'une famille a déposé un dossier, il est fréquent que la MDPH lui demande de le compléter et de fournir des pièces complémentaires, nécessaires à l'équipe pluridisciplinaire pour procéder à une évaluation précise des besoins de l'enfant. Les délais sont calculés à partir du moment où le dossier est complet et où l'équipe pluridisciplinaire a toutes les cartes en main pour commencer à travailler. Le délai de traitement des demandes s'établit, en moyenne, aux alentours de trois mois, et il est rarement supérieur à quatre mois. Ce délai moyen ne doit évidemment pas faire oublier qu'il existe de grandes disparités territoriales. Pour les aides humaines à la scolarisation, le délai moyen de traitement est de trois mois et vingt-huit jours : c'est l'un des délais les plus longs.
La CNSA mesure depuis deux ans, avec l'ensemble des MDPH, le niveau de satisfaction des usagers et elle vient de faire une synthèse des résultats. Il en ressort clairement que les délais de traitement sont l'un des points d'insatisfaction majeurs des usagers, particulièrement des aidants d'enfants. Les demandes relatives à l'enfance et à la scolarisation sont celles qui ont le taux d'insatisfaction le plus fort, sachant que, globalement, 70 % des usagers sont satisfaits ou moyennement satisfaits du service rendu par les MDPH, et 30 % plutôt insatisfaits. Parmi les points positifs, les usagers mettent en avant la qualité d'accueil, en particulier la qualité d'écoute, et l'accueil physique assuré par les agents des MDPH. Ils saluent également la compétence des équipes pluridisciplinaires et des professionnels auxquels ils peuvent avoir affaire. En revanche, ils se plaignent des délais et peuvent ne pas être satisfaits des réponses qui leur sont apportées.
J'en viens aux taux d'accord. Les demandes de matériel pédagogique adapté reçoivent une réponse favorable de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) dans presque 80 % des cas ; les demandes d'aide humaine à la scolarisation reçoivent une réponse favorable dans 80,2 % des cas, les demandes relatives au transport scolaire dans 86 % des cas, celles relatives à l'orientation scolaire dans 90 % des cas.
Pour résumer, de nombreuses demandes sont formulées dans le champ du soutien aux familles et de l'aide à la scolarisation. Elles sont instruites dans un délai de trois à quatre mois en moyenne, avec des disparités fortes selon les départements. Le taux d'accord des équipes pluridisciplinaires et des CDAPH est relativement important. Cela signifie que, dans la grande majorité des cas, lorsque les familles se tournent vers les MDPH – souvent avec le soutien des équipes éducatives – pour demander un outil de compensation du handicap de l'élève et un soutien à la scolarité, les MDPH répondent favorablement à leurs demandes et notifient ces besoins de compensation.
Je précise que les équipes pluridisciplinaires des MDPH interviennent en phase de validation des projets personnalisés de scolarisation (PPS). Lorsqu'un enfant en situation de handicap rencontre des difficultés scolaires, l'équipe éducative peut mettre en oeuvre, par elle-même, un certain nombre d'adaptations. Mais s'il s'avère que les moyens de l'éducation nationale ne suffisent pas, la famille peut se tourner vers la MDPH pour obtenir des moyens complémentaires : matériel technique et pédagogique, aide humaine ou appui de services médico-sociaux. Le PPS décrit ces besoins de compensation et c'est ensuite à l'éducation nationale de les mettre en oeuvre, en acquérant du matériel adapté ou en recrutant l'aide humaine qui va assister l'élève dans sa scolarité.
Vous nous avez également interrogés, dans votre questionnaire, sur le suivi des décisions par les MDPH. Dans l'état actuel des choses, les MDPH ne sont pas dotées des outils qui leur permettraient de suivre la mise en oeuvre de leurs décisions. Elles commencent à l'être, grâce à ViaTrajectoire Handicap, un logiciel qui permet de suivre les orientations médico-sociales qui sont prononcées. Il permet notamment de vérifier qu'une personne dont l'admission dans un établissement ou un service médico-social a été prononcée y est effectivement accueillie. Cet outil est en train d'être déployé ; il le sera totalement d'ici la fin de l'année 2019 et il sera raccordé au système d'information des MDPH à partir de 2020.
Ce logiciel ne permet pas d'assurer le suivi des aides humaines, car il a été conçu pour suivre les orientations médico-sociales. Toutefois, les demandes de compensation doivent être renouvelées régulièrement et l'examen du dossier qui a lieu à cette occasion permet de faire le point sur l'effectivité des décisions qui ont été prises. Le guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées en matière de scolarisation (GEVA-Sco) précise en effet que les familles sont invitées, avec les équipes éducatives, à détailler les adaptations qui ont été introduites et l'impact qu'elles ont eu sur la scolarisation de l'enfant.
Je veux préciser qu'au-delà des aides humaines et techniques qui peuvent être notifiées par le truchement des MDPH, celles-ci ont également la capacité de se prononcer sur l'admission au sein d'un service médico-social ou sur une mesure d'accompagnement par l'un de ces services.
Je veux souligner aussi que l'accompagnement des enfants en milieu ordinaire par des services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) s'est intensifié au cours des dernières années : on parle souvent de l'accompagnement par les moyens de l'éducation nationale, à savoir les AVS et les AEHS, mais il faut savoir que le nombre de places en SESSAD a fortement augmenté au cours des dix dernières années.
Enfin, sans vouloir faire de la publicité pour la caisse que je dirige, je veux dire que la CNSA ne se contente pas de collecter de la donnée, de l'exploiter et de la rendre disponible, mais qu'elle s'emploie également à doter les MDPH d'outils essentiels à la scolarisation. Le premier est le guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), formalisé avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) ; cet outil est le coeur de métier et le socle de travail des équipes pluridisciplinaires pour évaluer les besoins des enfants. Le second est le projet personnalisé de scolarisation (PPS), même si on peut regretter que, plusieurs années après sa formalisation, cet outil soit encore insuffisamment mis en oeuvre.
La CNSA travaille avec les MDPH à leur informatisation. Nous sommes actuellement en plein déploiement du système d'information commun des MDPH, qui vise à outiller toutes les maisons départementales à l'identique, suivant un cahier des charges fixé par arrêté et auquel les systèmes d'information des éditeurs équipant les MDPH doivent se conformer, au moyen de solutions labellisées par l'ASIP Santé. Après avoir contribué à fixer le cahier des charges du système d'information métier et avoir travaillé avec l'ASIP Santé et les éditeurs afin de permettre la labellisation de ces solutions, la CNSA soutient aujourd'hui chacune des 101 MDPH dans leur opération de déploiement de ce système d'information, qui a vocation à tracer l'intégralité de la demande d'une famille ou d'une personne en situation de handicap, à recueillir des éléments permettant de caractériser les besoins des personnes, notamment en intégrant les grands éléments de référence du GEVA ou du GEVA-Sco, et à conduire à la notification de la décision, suivant des modèles de notification harmonisés, simplifiés et relus par des comités des usagers à l'occasion de la préparation de ce cahier des charges.
Au terme du déploiement, 100 % des MDPH utiliseront un système d'information qui recueillera des données homogènes, qui pourront être synthétisées par la CNSA. Nous aurons donc, à partir de l'année 2020 et au niveau national, une connaissance beaucoup plus précise du profil des personnes concernées, qui nous fait défaut aujourd'hui – ce qui m'empêche, par exemple, de répondre à votre question sur l'âge à partir duquel le handicap des enfants est reconnu et donne lieu à une aide ou une compensation particulière.
À l'occasion d'une audition que nous avons organisée à Dieppe la semaine dernière, nous avons découvert que le déploiement du nouveau système informatisé avait donné lieu à un changement de dossier, et il nous a été dit que le nouveau dossier, comportant une vingtaine de pages, était très difficile à renseigner – que ce soit par les familles ou par les professionnels. Pouvez-vous nous confirmer ce point, et le cas échéant nous expliquer les raisons de cette difficulté ?
Avez-vous effectué un suivi du temps qui s'écoule entre la notification MDPH et la réponse de l'éducation nationale au sujet des aides humaines et matérielles ? Je pense que pour les parents, le cumul du temps MDPH et du temps éducation nationale peut aboutir à un délai très long.
Enfin, dispose-t-on de moyens permettant de connaître l'intensité de l'accompagnement du SESSAD ? Je m'interroge parfois au sujet d'enfants orientés et admis en SESSAD, mais dont la prise en charge met plusieurs mois à se mettre en place, alors même que le financement est acquis.
Parmi les enjeux que vous avez évoqués, celui de la simplification et de l'humanisation des dossiers me paraît être l'un des plus importants, que ce soit au niveau des documents à remplir ou de la notification de la décision, le courrier qui expose cette notification étant rédigé en des termes à la fois dénués d'humanité et d'une extrême complexité – on a l'impression qu'il faudrait être bac plus douze pour y comprendre quelque chose !
Deuxièmement, un inspecteur de l'éducation nationale de Dieppe – j'espère qu'on ne va pas croire que je fais une fixation sur lui – a affirmé deux choses que je n'ai toujours pas digérées. Il a déclaré, d'une part, que l'accompagnement mutualisé était la règle et l'accompagnement individuel l'exception, et d'autre part – tenant un discours classique, selon lequel l'outil créerait la logique endogène et le besoin –, que 40 % des primo-demandes sont injustifiées, alors que selon vous, 82 % des demandes font l'objet d'un accompagnement. Quel est votre avis sur ces deux points ?
Troisièmement, j'ai reçu de très nombreux témoignages de parents expliquant qu'ils ont dû mettre leur travail entre parenthèses pour assumer le rôle d'aidant auprès de leur enfant, au moins durant le temps de l'instruction de leur demande. Vous estimez ce délai à trois mois une fois le dossier constitué, mais en Seine-Maritime, département pilote dans la mise au point du système d'information commun des MDPH, il est de dix mois, et il s'y ajoute le délai nécessaire à la notification. Disposez-vous de statistiques sur le nombre de parents qui deviennent aidants de leurs enfants et sollicitent à ce titre l'aide à la compensation ?
Quatrièmement, pour ce qui est des projets personnalisés de scolarisation, j'entends très fréquemment dire qu'ils font défaut, notamment en Seine-Maritime. Avez-vous des statistiques sur le nombre de PPS mis en place par chaque MDPH ?
Cinquièmement, enfin, quand l'État a transféré aux départements la belle mais difficile mission de la prise en charge du handicap, les moyens financiers correspondants ont-ils été transférés aux départements ? La Cour des comptes semble estimer que ce n'est pas le cas, du moins dans certains départements. Pouvez-vous nous indiquer ce qu'il en est au niveau national ?
Alors que la loi a chargé la CNSA de veiller à l'égalité de traitement des usagers sur le territoire national, le rapport public annuel 2018 de la Cour des comptes pointe le fait que les aides individuelles que sont l'APA et la PCH présentent encore de grandes disparités territoriales. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je confirme que les délais, notamment en Seine-Maritime, se sont allongés, notamment en raison de la mise en place du système d'information commun des MDPH, qui se révèle un peu plus compliquée que prévu. Nous ne devons pas perdre de vue que ce sont finalement les familles qui se trouvent pénalisées de ce fait, et je compte sur la CNSA pour veiller à ce que la situation actuellement subie par les usagers de Seine-Maritime ne se reproduise pas dans les autres départements : un délai de dix mois pour obtenir une réponse, ce n'est pas admissible, surtout quand on pense que nous nous étions battus pour obtenir des délais inférieurs à trois mois !
Par ailleurs, si l'on vante beaucoup la simplification des procédures, celle-ci n'est certainement pas au rendez-vous pour ce qui est de la constitution initiale des dossiers : sans doute y a-t-il encore un gros effort à accomplir en la matière, dès le premier contact de la famille avec la MDPH, car ce premier contact est déterminant.
En tout état de cause, je demande à la CNSA d'être très vigilante sur l'extension du nouveau système d'information à l'ensemble des départements : alors que la rentrée scolaire se rapproche, les inquiétudes relatives aux AVS commencent déjà à poindre…
Pour ce qui est des questions ayant trait à la complexité des dossiers et au changement de formulaire, je rappelle que le formulaire de demande auprès des MDPH a été rénové à l'issue d'un long travail de co-construction avec les associations représentatives. Bien qu'adopté en 2017, le nouveau formulaire n'a été rendu obligatoire que récemment, à l'issue d'une période transitoire où il était possible de compléter, au choix, l'ancien formulaire ou le nouveau.
Ce qui caractérise le nouveau formulaire, c'est sa fidélité à l'esprit de la loi de 2005. Les questions qu'il contient invitent en effet la personne qui le complète à s'interroger sur son handicap, sur sa situation et sur son projet de vie, ce qui n'a rien d'évident. La personne qui complète ce formulaire n'est pas placée dans la situation d'un usager face à l'administration, mais dans celle d'une personne à qui il est demandé d'exprimer sa situation individuelle de handicap, résultat de l'interaction entre la situation individuelle, les déficiences ou les incapacités éventuelles de la personne d'une part, son environnement d'autre part.
Pour caractériser ce handicap et pour identifier les moyens qui vont devoir être mobilisés pour lui permettre la réalisation de son projet de vie, nous avons besoin que la personne complète ce formulaire, qui peut sembler long mais n'a pas forcément vocation à être rempli de manière exhaustive – il peut être renseigné de manière plus ou moins complète en fonction de la complexité de la situation exposée et de la demande formulée. Ce questionnaire, qui est public – nous vous le transmettrons – est embarqué dans le système d'information que nous déployons, et peut ensuite faire l'objet d'une dématérialisation au sein des MDPH dotées d'une solution le permettant – elles peuvent l'être soit par la CNSA, soit par des éditeurs privés.
Du point de vue de la CNSA, le vrai progrès résidera dans ce qu'on appelle le palier 2 du système d'information. Au stade actuel, le palier 1, la solution de dématérialisation permet de transmettre électroniquement la demande, avant que le chargé de mission de la MDPH ressaisisse les informations dans le système d'information. Les fonctionnalités accrues du palier 2 permettront que les informations saisies par le demandeur aillent directement renseigner les cases prévues à cet effet dans le système d'information, ce qui constituera un gain de temps tout en éliminant les risques d'erreur de saisie : d'une manière générale, le système gagnera encore en fluidité.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la complexité des dossiers, qui me paraît redoutable. En effet, j'appelle votre attention sur le fait que, dans notre champ d'intervention, il existe une tension constante entre le souhait que les démarches de l'usager soient aussi simples que possible, afin de répondre à des enjeux d'équité et d'accès au droit, et celui de prendre en compte la complexité de chaque situation individuelle.
Si c'est trop compliqué, il est possible que certains usagers renoncent à leur demande ; or, le fait que la complexité des démarches à accomplir ne permette pas l'effectivité d'un droit est insupportable. Recevoir des retours négatifs de la part des usagers, qui dénoncent régulièrement le fait que les procédures situées dans le champ du handicap soient les plus complexes, est vécu par nous comme un échec collectif, et nous avons le devoir tout aussi collectif de simplifier autant que possible ces procédures. En la matière, la CNSA a concouru aux travaux ayant fait suite à la remise du rapport « Plus simple la vie », en vue d'identifier des pistes permettant des progrès rapides et de faire en sorte que les MDPH s'approprient les décrets parus en début d'année sur la possibilité de reconnaître des droits à vie, permettant une très forte simplification. S'il y a un travail très important à faire afin de définir, en concertation avec la personne concernée, son projet de vie et ses besoins de compensation, il est cependant désormais possible de reconnaître des droits à vie – ou, pour les enfants, d'octroyer le complément de base de l'AEEH jusqu'à l'âge de vingt ans –, ce qui est un progrès considérable. Les MDPH sont encouragées par la CNSA à s'emparer de ces décrets, et nous sommes en train de mettre la dernière main à un guide ayant vocation à partager cette avancée avec les équipes pluridisciplinaires et à les aider à la mettre en pratique.
Si nous accomplissons un travail constant pour simplifier les procédures, nous ne perdons jamais de vue le caractère complexe de la matière dont nous traitons, et les demandes des associations représentatives des personnes handicapées oscillent toujours entre l'allocation de droits relativement forfaitisés – par exemple, le fait qu'un taux d'incapacité permanente égal ou supérieur à 80 % donne systématiquement droit à une AAH d'un montant déterminé – et le souhait d'une prise en compte très individualisée de la situation et des besoins de chaque personne. En d'autres termes, il y a toujours une tension entre le sur-mesure, qui prend nécessairement du temps, et la forfaitisation qui, si elle permet de traiter plus rapidement les demandes, risque également de se traduire par des réponses moins adaptées. Cette tension est intériorisée par les équipes des MDPH…
Elle peut constituer une souffrance, effectivement, comme cela a été souligné par les auteurs du rapport « Plus simple la vie ». Les demandes de scolarisation, en particulier, nécessitent un rythme d'instruction des dossiers très rapide, l'essentiel des dossiers étant traité sur un semestre, c'est-à-dire de janvier à juin, afin que les mesures à prendre puissent l'être avant la rentrée, et nos équipes sont très mobilisées par cette échéance de la rentrée.
L'année dernière, la CNSA a publié un guide de préparation de la rentrée scolaire visant à partager les meilleures pratiques et les meilleures organisations, et invitant les MDPH à se rapprocher à intervalle régulier des services de l'éducation nationale, en anticipation de la rentrée scolaire, afin de rappeler le caractère capital de cette échéance pour les familles et la nécessité de disposer de la notification le plus tôt possible.
C'est l'une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les équipes pluridisciplinaires que celle consistant à essayer de faire vivre l'ambition de la loi de 2005, d'apporter aux familles des réponses personnalisées, individualisées, prenant en compte les situations dans leur complexité, tout en répondant aux demandes dans les meilleurs délais, car certaines compensations sont indispensables pour permettre la vie au quotidien.
Vous m'avez interrogée, monsieur le rapporteur, sur l'accompagnement mutualisé et l'accompagnement individuel. Les équipes des MDPH statuent en toute autonomie au moyen de plusieurs outils – le GEVA-Sco notamment – en fonction du besoin de compensation de chaque élève, qu'elles caractérisent selon qu'il s'agit d'un besoin d'appui soutenu et continu – susceptible de conduire à la notification d'un accompagnement individualisé pendant toute la durée de la scolarité – ou d'un besoin d'appui moins soutenu auquel il peut éventuellement être répondu par une aide mutualisée. À l'évidence, les pratiques diffèrent selon les maisons départementales. Je précise qu'en lien avec la DGESCO et la direction générale de la cohésion sociale, la CNSA réunit les référents scolarisation des MDPH à l'occasion d'un séminaire de rentrée qui associe également les représentants des rectorats et des agences régionales de santé. Ce séminaire, organisé fin octobre ou début novembre, permet de partager les principales données concernant la rentrée, le nombre d'enfants handicapés scolarisés à l'école ordinaire, en inclusion individuelle ou dans des dispositifs collectifs en unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS), le nombre d'enfants bénéficiant d'une notification et d'un accompagnement par une aide humaine.
Oui.
Non. J'ajoute qu'il existe un débat récurrent sur les orientations et décisions que prennent les MDPH. Ces décisions doivent-elles être prises in abstracto dans un monde idéal, telle notification correspondant à tel besoin caractérisé, ou les équipes doivent-elles notifier un droit et un accompagnement en tenant compte du territoire dans lequel elles se trouvent et de la manière dont il y sera donné droit à ces notifications ?
Oui, mais pas seulement : c'est aussi une question pratique.
Pratique et philosophique, j'insiste : un droit est un droit. Il ne s'adapte pas en fonction d'une contingence ; sinon, ce sont plusieurs droits.
Je m'interroge moi aussi sur les différences qui existent d'un territoire à l'autre : les notifications concernant un même handicap peuvent varier considérablement selon les départements, comme le constatent les familles qui déménagent dans un département différent. Les droits et prestations – par exemple l'AEEH – obtenus ici ne sont plus les mêmes là.
Certaines MDPH nous indiquent que les projets personnalisés de scolarisation (PPS) ne sont pas de leur ressort ; qu'en pensez-vous ?
Le niveau de satisfaction est de 70 %, nous dites-vous, et celui d'insatisfaction de 30 %. Nous avons abordé la question de l'insatisfaction liée aux délais mais nous sommes également préoccupés par celle que suscitent les réponses apportées. Qu'entendez-vous précisément par cette insatisfaction liée aux réponses ? Sur le terrain, les députés constatent en effet une différenciation entre les dossiers d'un département à l'autre. Nous souhaitons examiner plus en détail ces critères d'insatisfaction.
Je vous propose de vous transmettre la synthèse de la mesure de la satisfaction des usagers.
En complément, nous disposons de plusieurs outils pour mesurer le degré de satisfaction des usagers et, surtout, le rapport entre les usagers, les familles et la MDPH. Le premier consiste à apprécier les taux d'accord – c'est-à-dire la manière dont les dossiers sont traités – qui doivent être envisagés au regard de l'ensemble du processus mis en place par les MDPH en matière d'information des usagers concernant leurs droits et leurs possibilités de recours.
Deuxième élément, auquel vous avez fait référence : la CNSA a mis au point à l'intention des MDPH une mesure de satisfaction des usagers, un service principalement en ligne mais pouvant être matérialisé sous différents formats. À la fin 2018, nous avons invité toutes les MDPH à lancer une campagne de trois mois pour encourager les usagers à remplir ce questionnaire. Nous en avons fait une analyse globale et par territoire. Vous ne serez pas étonnés que globalement, la relation entre les usagers et les professionnels des MDPH donne satisfaction : les efforts que les professionnels déploient pour répondre aux besoins des usagers sont reconnus. En revanche, lorsque les usagers demandent à bénéficier de prestations ou de droits complexes, comme la prestation de compensation du handicap (PCH) ou en matière de scolarisation, il existe une insatisfaction plus prononcée – liée à un écosystème général – concernant les délais de réponse et de suivi des demandes, ce qui se comprend parfaitement. Nous souhaitons donc, dans le cadre du développement des systèmes d'information, développer un outil de suivi des dossiers en ligne, tant il est vrai que les agents des MDPH consacrent un temps important à répondre à cette question simple au téléphone.
Pas toujours, d'où la difficulté et la très forte insatisfaction. Autre élément d'insatisfaction : lorsque la décision de la MDPH ne produit pas d'effets immédiats. C'est notamment le cas des orientations médico-sociales concernant des enfants, en institut médico-éducatif (IME) par exemple. Nous ne disposons pas des données chiffrées sur les délais qui s'écoulent entre la notification et l'entrée effective dans un établissement ou un service qui nous permettraient d'effectuer cette analyse des mesures de scolarisation, mais nous commençons à en avoir sur les entrées en établissement médico-social, notamment les entrées d'enfants en IME. Plus le délai de mise en oeuvre des décisions d'orientation est long, plus l'insatisfaction générée est forte. C'est sur ces points qu'il faut concentrer l'essentiel des efforts à venir des MDPH.
Avez-vous un avis et des éléments d'information sur les moyens que l'éducation nationale met à disposition des MDPH ?
Actuellement, 301 ETP sont mis à disposition des maisons départementales du handicap, soit trois par département environ. Cependant, les disparités sont très fortes d'un département à l'autre : rapportés à la population d'âge scolaire de chaque département, les moyens mis à disposition par l'éducation nationale varient de un à huit. C'est pourquoi la CNSA, qui co-pilote avec Mme Corinne Segrétain, conseillère départementale de la Mayenne, un groupe de travail sur l'amélioration du fonctionnement des MDPH créé dans le cadre de la préparation de la conférence nationale du handicap, soutient plusieurs de ses propositions visant à renforcer l'équité des moyens accordés aux différentes maisons départementales afin de réviser les dotations. Ces moyens sont certes le fruit d'accords locaux anciens, même s'il convient de rappeler les conditions dans lesquelles la répartition des effectifs et la mise à disposition d'agents de l'État a été examinée à l'époque par une mission de plusieurs inspections, notamment l'inspection générale de l'administration, qui intervient souvent sur les questions de compensation entre l'État et le département. Tout d'abord, en cas de décentralisation, le principe constitutionnel de compensation des moyens s'applique ; la photographie a donc été réalisée en temps voulu. D'autre part, à l'époque, une mission d'inspection avait vérifié et objectivé les principes de compensation. Il reste néanmoins des disparités liées à des négociations historiques. Il serait heureux que nous parvenions à une allocation de moyens plus objectivée et équitable, se fondant naturellement sur un socle irréfragable entre départements car certains besoins ne dépendent pas de la taille de la population, à quoi s'ajouterait une part déterminée en fonction d'un critère démographique.
Je souligne également que l'importance de la réponse apportée à l'usager justifie que la CNSA anime depuis quelques années un réseau des responsables de l'accueil dans les MDPH. C'est une fonction que nous souhaitons muscler et professionnaliser avec les directeurs des maisons départementales et les départements, qui assurent la présidence des groupements d'intérêt public (GIP). Malheureusement, dans les services publics, y compris ceux qui assurent l'accueil des usagers, cette fonction d'accueil ne bénéficie pas toujours d'agents formés et en nombre suffisant. Il est indispensable d'investir dans cette fonction.
Enfin, toujours dans le cadre du groupe de travail sur l'amélioration du fonctionnement des MDPH, il nous semble important de renforcer les outils non seulement d'animation, qui sont à la main de la CNSA, mais aussi de pilotage. Nous proposons donc la création d'une mission nationale d'audit et de contrôle des MDPH pour examiner de près la manière dont les outils sont utilisés et élaborer des plans d'amélioration en cas de retard ou de disparité, sans attendre les rapports d'inspection – comme ceux, assez nombreux, qui, sur différents sujets, ont déjà émaillé la vie des maisons départementales depuis leur création.
Nous vous remercions pour vos réponses et pour les éléments que vous nous avez apportés et que nous consulterons avec intérêt.
L'audition s'achève à dix-neuf heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 14 mai 2019 à 18 heures 30
Présents. – Mme Géraldine Bannier, M. Bertrand Bouyx, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marianne Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Osson, Mme Béatrice Piron, Mme Cécile Rilhac, Mme Sabine Rubin
Excusés. - Mme Anissa Khedher, Mme Nathalie Sarles