COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE
Mercredi 4 septembre 2019
L'audition débute à dix-sept heures trente-cinq.
(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)
La commission spéciale procède à l'audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.
J'ai le plaisir d'accueillir dans cette enceinte M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, à qui je souhaite la bienvenue. Les questions entrant dans le champ bioéthique touchent par nature à la liberté de l'être humain et à sa dignité. Elles affectent ses droits fondamentaux. Une loi de bioéthique étant toujours une loi d'équilibre, les ajustements apportés à cet équilibre – à ce stade, les ajustements envisagés par le projet de loi – doivent être analysés à l'aune des droits fondamentaux. C'est pourquoi une audition du Défenseur des droits s'imposait. Monsieur le Défenseur des droits, la commission sera très attentive aux observations que vous pourrez formuler sur les dispositions du projet qui vous paraissent les plus significatives au regard de votre mission.
Le Défenseur des droits, vous l'avez dit, est en charge des droits fondamentaux. Il a pleinement sa place pour exprimer sa position sur ce type de sujet, et plus encore quand on considère que deux de ses principales missions sont la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité, et la défense et la promotion des droits de l'enfant à ce double titre, le Défenseur des droits a été parmi les premières instances à préconiser, en juillet 2015, devant la mission d'information du Sénat présidée par Mme Catherine Tasca, l'élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes.
Sur ce premier sujet, j'avais déjà observé dans mon avis du 3 juillet 2015 que la société française avait évolué, que les situations familiales et parentales s'étaient diversifiées et que les conditions actuelles d'accès à l'AMP créaient une inégalité de traitement entre les femmes, tant au regard de leur orientation sexuelle qu'au titre de leur situation de famille. J'avais dit que la stérilité et le souhait de s'engager dans un projet parental ne sont pas réservés aux seules femmes hétérosexuelles, la loi française autorisant d'ailleurs déjà l'adoption par les couples homosexuels et les personnes célibataires. Un couple de femmes comme une femme célibataire peut donc avoir un projet parental. Ces femmes peuvent ainsi adopter un enfant dès sa naissance, alors même qu'on leur refuse l'accès à la PMA. Je considérais que l'AMP répondait désormais davantage à un projet parental qu'à une simple alternative à une situation d'infertilité. Je recommandais une évolution de la législation au titre de l'égalité des projets parentaux ainsi que de la liberté de procréer comme expression de l'autonomie personnelle. J'ai réitéré cette position en présentant par exemple une tierce intervention devant la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) le 8 juin 2017, et très récemment, lors de mon audition par la mission d'information relative à la bioéthique, le 10 octobre dernier. Je salue donc clairement la volonté de ce projet de loi d'ouvrir l'AMP à toutes les femmes, sans exclure aucune technique, et sans introduire de clause de conscience spécifique. En supprimant la condition d'infertilité actuellement posée par les textes en rappelant que ce n'est pas l'orientation sexuelle ou le statut matrimonial, mais le projet parental, qui détermine l'amour et les valeurs transmises à l'enfant, la position du gouvernement est en conformité avec celle du Défenseur des droits tendant à fonder le recours à l'AMP sur le projet parental.
Cependant, je voudrais ajouter à cette approbation deux remarques : un accent et une invitation. Un accent, sur l'évaluation médicale et psychologique pluridisciplinaire : c'est un encadrement particulièrement bienvenu et sur lequel nous devons insister, c'est un acquis du texte. Une invitation à réexaminer la condition tenant au fait d'être en vie au moment de la réalisation de l'AMP : ne faudrait-il pas, comme le recommande le Conseil d'État, autoriser le transfert d'embryons et l'insémination post mortem dès lors que sont pleinement remplies deux conditions ? Premièrement, que le consentement du conjoint ou concubin décédé soit vérifié ; deuxièmement, qu'un délai minimal et un délai maximal après le décès soient déterminés dans la loi ou dans le règlement.
L'article 2 pose le droit à l'autoconservation des gamètes pour des raisons non médicales. J'avais eu l'occasion, notamment au mois d'octobre devant la mission d'information, de recommander l'ouverture de l'autoconservation à toutes les femmes, sans raison médicale, indépendamment d'un don, avec prise en charge financière par l'assurance-maladie. Cette réforme qui répond à une évolution du contexte social et familial est une avancée. Je soutiens donc la modification de l'article L. 1244-2 du code de la santé publique qui supprime l'obligation de réaliser un don pour pouvoir conserver ses ovocytes. Cette disposition donnait à l'autoconservation une sorte de contrepartie, qui était contradictoire avec le principe de gratuité. D'autre part, on l'a souvent souligné, les chances pour les donneuses de conserver des ovocytes pour elles-mêmes étaient très réduites. Cependant, dans l'état actuel de sa rédaction, le dispositif de l'article 2 appelle trois remarques sur la prise en charge financière de l'autoconservation, sur l'âge de prélèvement, et sur la situation des personnes transgenres.
Sur la prise en charge financière de l'autoconservation, il me paraît souhaitable que soit pris en charge non seulement le don, mais aussi les frais de conservation. Je recommande la modification de l'article L. 168, alinéa 7, du code de la sécurité sociale, afin que les frais liés non seulement à l'acte de prélèvement des dons, mais aussi à la conservation des ovocytes soient intégralement pris en charge par l'assurance-maladie en vue de garantir une égalité de tous. Sinon, nous risquons de reproduire à un certain degré la situation actuelle : les femmes qui le peuvent vont à l'étranger, et celles qui ne le peuvent pas ne le font pas. Si les frais de conservation ne sont pas pris en charge, nous risquons d'avoir un peu la même situation, où des femmes seront gênées pour pratiquer l'autoconservation.
Sur l'âge de prélèvement et l'utilisation des gamètes, le projet de loi pose simplement une notion, l'âge de procréer, et renvoie tout le reste à un décret en Conseil d'État après avis de l'Agence de biomédecine. Le Défenseur des droits souligne la nécessité d'objectiver le risque pour tous et de déterminer une limite d'âge qui lui corresponde afin de garantir une réelle égalité d'accès aux soins et de tendre vers un équilibre entre l'autonomie de la personne, l'intérêt de l'enfant à venir et la responsabilité des équipes médicales. Pour éviter les effets parfois brutaux des seuils d'âge, le Défenseur des droits recommande d'introduire une certaine souplesse en permettant de déroger à la limite d'âge après avis médical. Je recommande d'autre part de lancer une grande campagne d'information sur l'évolution de la fertilité avec l'âge afin d'expliquer les limites de ces interventions et de faire délivrer par les professionnels de santé des informations générales aux femmes et aux hommes durant leur prise en charge médicale.
Sur les personnes transgenres, je me suis prononcé dans un cas qui m'avait été soumis portant sur l'autoconservation des gamètes par une personne transgenre en transition de l'homme vers la femme, dans un avis que j'ai rendu le 22 octobre 2015, après une instruction très complète et très longue – j'avais recueilli l'avis de la Fédération française des centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), de l'Ordre national des médecins, de l'Agence de la biomédecine, de l'Académie nationale de médecine et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). La question qui m'était posée concernait des personnes dans un parcours de transition homme-femme, qui se sont vues opposer une décision de refus par des CECOS à une demande d'autoconservation de leurs gamètes, en application de l'article L. 2141-11 dans sa rédaction actuelle. J'avais considéré que l'article L. 2141-11 devait être interprété comme permettant aux personnes envisageant de s'engager dans un parcours de transition homme-femme de se prévaloir de ces dispositions, c'est-à-dire d'accéder à la conservation. Je recommande donc dans le même esprit au ministre des Solidarités et de la santé de diffuser une circulaire pour garantir une uniformisation des pratiques des CECOS, s'agissant particulièrement des demandes d'autoconservation des gamètes émanant de toutes les personnes transgenres, que ce soit de l'homme vers la femme ou de la femme vers l'homme. Je ne pense pas que ceci justifie que vous introduisiez dans la loi une disposition spécifique sur le sujet. Mon interprétation est que la rédaction actuelle de l'article L. 2141-11 permet de couvrir ces situations. Encore faut-il que les CECOS aient une instruction pour le faire. Je pense qu'il serait très important que le Parlement le dise. Sa voix sera d'un effet plus considérable que la mienne. Lorsque lundi vous auditionnerez la ministre, peut-être faudra-t-il l'interroger.
J'en viens aux règles d'accès aux informations relatives au tiers donneur, donc l'accès aux origines. Le projet de loi prévoit qu'un enfant conçu par AMP avec donneur pourra avoir accès à sa majorité aux informations non identifiantes sur le donneur, et s'il le souhaite, à son identité, que le don sera conditionné au consentement préalable du donneur recueilli avant le don, et que ce consentement est irrévocable. Le projet de loi veille à maintenir l'impossibilité d'établir un lien de filiation entre le donneur et l'enfant né du don. Il distingue très clairement l'anonymat du don de l'accès aux origines. Il est un point sur lequel le gouvernement n'a pas suivi le Conseil d'État, puisque celui-ci recommandait d'opter pour la solution proposée par ce qui était l'article 3 bis de l'avant-projet de loi, à savoir subordonner l'accès à l'identité du donneur à un accord de celui-ci au moment où l'enfant en fait la demande, c'est-à-dire à sa majorité. Le Conseil d'État estimait que cette solution ménageait un plus juste équilibre des intérêts en présence. Je ne vais pas entrer dans le détail de ce que propose l'article pour l'application de la loi dans le temps et la destruction de gamètes et des embryons, mais je voudrais seulement dire très clairement ma position. Le CCNE et le Conseil d'État avaient évoqué en 2018 la possibilité de contacter les donneurs ayant réalisé un don sous le régime de l'anonymat. Les CECOS ont dit devant la mission d'information ne pas avoir les moyens de rechercher et de retrouver les donneurs des quarante dernières années. Finalement, le projet retient une solution intermédiaire permettant aux donneurs qui le souhaitent de se manifester expressément auprès de la commission ad hoc afin d'autoriser la transmission de leurs informations identifiantes aux enfants nés du don. La destruction des stocks existants est néanmoins prévue en parallèle pour éviter la coexistence de deux régimes juridiques. Le Conseil d'État a considéré que cette destruction permettrait de garantir qu'un enfant majeur ne pourra accéder à une quelconque information sans le consentement exprès du donneur, prévu par la loi que vous allez voter. De toute façon, comme l'a remarqué le professeur Touraine, il aurait été mis fin à leur conservation dans tous les cas. Cette mesure, pour brutale qu'elle puisse apparaître, aura des conséquences moins lourdes que ce qu'il peut sembler. Le groupe d'information et d'action sur les questions procréations et sexuelles (GIAPS) a souligné que les pays qui ont ouvert l'accès aux origines ont également procédé à la destruction des stocks. J'ai dit dans mon avis du 10 octobre, et ici devant la mission d'information, que j'étais favorable au principe même de l'accès aux origines avec un consentement du donneur recueilli au moment du don. C'est la position retenue par le projet de loi, qui permet de respecter les obligations de l'État posées par l'article 7, paragraphe 1 de la convention internationale sur le droit des enfants (CIDE), notamment le droit de l'enfant à connaître ses origines. Le projet choisit l'intérêt de l'enfant plutôt que l'intérêt du donneur. Sur l'application dans le temps, je suggère simplement, compte tenu de l'importance de cette question, que le législateur instaure un encadrement minimal de la durée de la période transitoire, qui ne doit pas avoir pour effet de conduire à une pénurie des stocks de gamètes et d'embryons et de compromettre l'accès à l'AMP. Pendant la période de transition, je resterai vigilant sur les modalités prévues par le gouvernement pour garantir que les donneurs et les receveurs bénéficient d'une information claire et complète sur le régime juridique qui s'appliquera à l'enfant né du don, qui pourra solliciter les données identifiantes et l'identité du donneur.
Depuis des semaines, on a décrit l'état du droit en matière d'établissement de la filiation des enfants nés d'AMP. L'AMP n'étant pas ouverte aux couples de femmes, il n'existe aucune règle régissant la filiation des enfants qui en seraient issus, sauf ce que la Cour de cassation a dit dans ses avis du 22 septembre 2014. Rien ne s'oppose au prononcé de l'adoption plénière de l'enfant né d'une AMP par l'épouse de la mère, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant. Voilà la seule règle de filiation aujourd'hui posée pour les femmes qui auraient dans une loi d'élargissement la possibilité d'engendrer par AMP.
L'article 4 du projet de loi inscrit dans le code civil un article principiel selon lequel tous les enfants ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leurs parents. Je dis : « Bravo ! », mais le projet ne tire pas toutes les conséquences de ce principe. S'il permet à la femme non mariée de bénéficier des règles actuellement applicables aux couples hétérosexuels, il institue un nouveau mode d'établissement de la filiation propre aux couples de femmes ayant eu recours à l'AMP par ce qui est appelé la déclaration anticipée de volonté (DAV). C'est la solution qui était retenue par le Conseil d'État dans son avis du 18 juillet, car permettant aux couples de femmes d'établir simultanément et conjointement une filiation avec l'enfant qu'elles ont souhaité en formant ensemble un projet parental, sans étendre aux couples formés d'un homme et d'une femme ou aux femmes non mariées l'innovation majeure que représente l'introduction d'une filiation par l'effet de la volonté. C'est une question majeure qui vous est posée. Faut-il faire ce que recommande le Conseil d'État – un droit spécifique ? Ou ne faut-il pas le faire ? Le gouvernement a suivi le Conseil d'État et le projet de loi prévoit donc deux régimes de filiation : d'un côté, le droit commun du code civil, posé par la loi de 1994 pour les couples hétérosexuels et les femmes seules, de l'autre un système de déclaration anticipée de parenté pour les couples de femmes. Trois possibilités pourraient en fait être soumises à votre examen : deux ont été envisagées, dont l'une – la formule unitaire – a été écartée par le gouvernement mais reste parfaitement envisageable ; la troisième est celle dite du droit commun.
La première formule est un régime de filiation distinct, propre aux enfants issus d'une AMP réalisée par des couples de femmes. Cela donne un système inégalitaire et incohérent. Le choix de ce régime est justifié, je cite : « par une différence objective de situation : la référence à une vraisemblance biologique qui est inapplicable aux couples de femmes ». L'étude d'impact souligne que si la filiation établie à l'égard du père n'ayant pas fourni ses gamètes est une fiction juridique, elle reste dans la vraisemblance qui fonde la présomption et la reconnaissance de paternité. Il est ajouté que le père légal peut aussi être le père biologique lorsque le don anonyme est un don d'ovocytes. Mais l'introduction d'un régime juridique sui generis propre aux enfants issus d'une AMP réalisée par un couple de femmes n'apparaît pas au Défenseur des droits être une solution satisfaisante. Elle est susceptible de créer une rupture d'égalité avec les couples hétérosexuels et les femmes non mariées, et je m'interroge sur la pertinence de la mention de la DAV en marge des actes d'état-civil relatifs aux seuls enfants issus des couples de femmes, présentée comme facilitant l'accès aux origines. Dès lors que comme l'a relevé le Conseil d'État, je le cite : « l'intervention du tiers donneur relève de l'évidence s'agissant d'un couple de femmes », quel besoin est-il de l'écrire puisque c'est évident et que cela ne peut pas être autrement ? Ce régime juridique spécifique place également les enfants issus d'un même mode de procréation dans des situations différentes et paraît ainsi contrevenir au nouveau dispositif relatif à l'accès aux informations relatives au tiers donneur prévu à l'article 3, dans la mesure où le régime applicable aux couples hétérosexuels – qui devrait être étendu à la femme non mariée – ne prévoit pas qu'une quelconque mention apparaisse sur l'acte de naissance des enfants qui en seront issus.
Je vais dire quelques mots qui sont un peu au-delà du juridique. Mesdames et messieurs les députés, le choix du Conseil d'État et du gouvernement qui l'a suivi est celui des convenances, celui du « ni vu, ni connu ». Il permet de continuer à faire « comme si » pour les couples hétérosexuels, qui continueraient à constituer la « normalité » dans notre inconscient- collectif. Dans les stéréotypes profonds, l'orientation sexuelle ferait donc toujours l'objet d'une discrimination, comme si les couples de femmes étaient les seuls à recourir au don. Le choix du Défenseur des droits est non seulement celui de l'égalité, mais aussi celui de la vérité par la transparence. Je ne souhaite pas ces régimes distincts tels qu'ils sont prévus aujourd'hui.
La deuxième formule est le modèle unitaire d'établissement de la filiation pour tous les enfants issus d'un don, qu'ils soient issus d'un couple hétérosexuel, d'une femme seule ou d'un couple de femmes. C'est un régime qui est cohérent et transparent. En effet, un régime déclaratif – fondé sur la DAV – étendu à toutes les personnes ayant eu recours à un tiers donneur aurait le mérite de présenter une certaine cohérence. Le Conseil d'État dit que cela permettait d'organiser un régime accessible dans sa compréhension en faisant correspondre un mode d'établissement de la filiation à un mode particulier de procréation, le recours à un tiers donneur. Les enfants ainsi nés seraient par ailleurs placés dans la même situation au regard de la connaissance de leur mode de conception et de l'accès à leurs origines. La mission d'information de l'Assemblée nationale avait, dans son rapport du 15 janvier 2019, proposé d'instaurer un mode unique d'établissement de la filiation à l'égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d'un don de gamètes sans distinction de sexe, considérant cette option est cohérente avec le recours au don dès lors qu'elle abandonne le détour par la présomption et la reconnaissance, qui relèvent davantage du modèle de la procréation naturelle, que certains appellent « charnelle ». De même, la mission proposait que la déclaration commune anticipée notariée figure en marge de l'acte de naissance afin de garder un cadre juridique cohérent pour l'accès aux origines, le rapporteur Jean-Louis Touraine ayant relevé que la solution la moins stigmatisante serait celle où l'acte de naissance affiche le moins d'indications, pour éviter toute différence et discrimination. C'est vers cela, disait le professeur Touraine, qu'il nous faut tendre pour que l'enfant trouve son intérêt et sa capacité à se développer sans avoir jamais l'impression d'être différent. Je suis d'accord avec cette assertion. Le Défenseur des droits considère que l'instauration d'un régime juridique conduisant à apposer une mention faisant référence, même indirectement, au recours à l'AMP est susceptible de marquer l'ensemble des enfants qui en seraient issus. Plusieurs associations, dont le GIAPS, ajoutent que cela créerait aussi une stigmatisation des parents du fait de leur infertilité, de leur orientation sexuelle ou de leur situation de famille. Si le Défenseur des droits reconnaît comme tout le monde qu'en pratique, l'acte de naissance intégral n'est accessible qu'à un petit nombre d'autorités, il n'est cependant pas favorable à ce qu'une telle mention soit portée sur l'acte de naissance. Il estime qu'il convient de se garder de toute confusion entre la filiation et l'origine. En outre, dans un contexte de biologisation constante de l'identité des personnes, d'autres options pouvant assurer la levée du secret peuvent être envisagées, telles que l'obligation dans la déclaration de consentement anticipée notariée de mentionner l'importance pour les enfants de connaître l'histoire de leur naissance et de leur famille ; ceci donnerait à la DAV une vocation pédagogique et de sensibilisation. Ce régime unitaire peut parfaitement se concevoir.
Je suis partisan d'une solution alternative, autre que les deux formules proposées par l'avant-projet au Conseil d'État. Je l'appellerais – même si les termes sont impropres, mais c'est au législateur de bien écrire les lois – « l'extension du régime de droit commun aux couples de femmes ». Dans l'avis rendu en juillet 2015 devant la mission du Sénat, je considérais déjà qu'étendre mutatis mutandis aux couples de femmes et aux femmes non mariées le bénéfice de l'article 311-20 du code civil, actuellement prévu pour les couples hétérosexuels, permettrait de maintenir la cohérence du droit commun tout en distinguant des règles concernant l'AMP avec don de gamètes. Le Conseil d'État a considéré que cette solution contreviendrait à la philosophie des modes d'établissement classiques de la filiation qui reposent sur la vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de refléter une réalité biologique. Le Conseil d'État dit exactement ce que j'ai indiqué il y a cinq minutes : il s'en remet à la convenance. J'avais déjà affirmé devant la mission d'information qu'au prisme des nouvelles formes de parentalité et de l'évolution de la société, il était nécessaire d'instaurer une dissociation entre les fondements biologiques et juridiques au travers d'une double filiation maternelle. Cette solution alternative, que vous pourriez avoir à élaborer, aurait pour effet de permettre de recueillir le consentement du couple, de l'informer des effets de l'AMP avec donneur sur le lien de filiation, et de prendre acte – ce qui est essentiel – du projet parental formé par les deux femmes. La femme qui accoucherait serait la mère de l'enfant et son épouse deviendrait la coparente, par le jeu d'une présomption de co-maternité. Hors mariage, la compagne de la mère remettrait à l'officier d'état civil une attestation de consentement préalablement reçue par le notaire avant le recours à l'AMP, sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire de faire figurer cet élément sur l'acte de naissance de l'enfant. Seule la reconnaissance serait portée en marge de l'acte de naissance. À l'instar d'un couple hétérosexuel, on présumerait que lorsqu'un enfant naît au sein d'un couple marié, il est le fruit d'un projet parental commun, tandis que pour les autres couples, il serait nécessaire de faire une reconnaissance. Il n'y aurait donc pas de marque législative particulière, de création de droits particuliers pour les couples de femmes. L'extension de ce que j'appelle improprement le régime de droit commun aurait le mérite de placer dans la même situation juridique les couples homosexuels et hétérosexuels ayant recours à l'AMP, de sécuriser la filiation, de répondre à un enjeu d'égalité entre les familles et de simplicité quant aux solutions envisagées, et aussi de préciser le sens donné à la présomption et à la reconnaissance, alors que pour l'instant, il se contente d'être le reflet d'une réalité biologique. C'est pourquoi le Défenseur des droits préconise que la révision législative aille au-delà du projet de loi qui vous est présenté ou de l'alternative qui avait été envisagée par l'avant-projet puis écartée à la suite de l'avis du Conseil d'État, et qu'elle retienne ce système clair, équitable, applicable à toutes les filiations, reposant sur une fécondation artificielle et donnant à tous les enfants nés ainsi la plus grande sécurité. Il considère aussi qu'une refonte des règles de la filiation comportant la double reconnaissance maternelle ou paternelle pour les couples de même sexe mériterait d'être envisagée, compte tenu de l'évolution de la société et des nouvelles réalités familiales.
J'aborde maintenant les dispositions du projet placées sous le signe de la promotion de solidarité dans le respect de l'autonomie de chacun.
La proposition faite pour les prélèvements de cellules souches hématopoïétiques dans le contexte intra familial me paraît positive. Je salue la modification des modalités de recueil du consentement des majeurs protégés en vue de procéder à ce prélèvement. Cette procédure permet de respecter davantage la volonté des majeurs protégés et contribue à la mise en conformité de notre droit avec les dispositions de la convention internationale des droits des personnes handicapées. J'ai fait un rapport il y a deux ans sur les majeurs protégés. C'est le genre de sujet qui est extrêmement important aujourd'hui.
Sur le consentement au don des majeurs protégés, je me félicite de l'harmonisation entre les dispositions du code de la santé publique et de celles du code civil prévue par l'article 7. Cependant, je m'étonne que le cas spécifique du don du sang ne soit pas explicitement détaillé dans la partie dédiée au dispositif retenu. L'article L. 1221-5 du code de la santé publique n'apparaît pas comme ayant vocation à être modifié. Or, cet article dispose qu'« aucun prélèvement de sang ou de ses composants en vue d'une utilisation thérapeutique pour autrui ne peut avoir lieu sur une personne mineure ou sur une personne majeure faisant l'objet d'une mesure de protection légale. » À l'instar du rapport de la mission interministérielle présidée par Mme Caron-Déglise, actuellement avocate générale à la Cour de cassation, et suivant le rapport d'information de Mme Caroline Abadie et M. Aurélien Pradier, députés je soutiens que l'on doit ouvrir le don du sang aux majeurs protégés.
La possibilité de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne qui ne peut exprimer sa volonté intéresse deux catégories de personnes : les personnes vivantes hors d'état d'exprimer leur consentement et les personnes décédées. Je reconnais comme le Conseil d'État la nécessité de faciliter la transmission de certaines informations médicales lorsque la personne est décédée et qu'elle ne s'y est pas opposée de son vivant, dans un but de protection de la santé des membres de la famille.
Le projet de loi prévoit deux évolutions pour ce qui concerne la transmission d'une information médicale de nature génétique d'un donneur de gamètes aux personnes nées de son don ou des parents de naissance à la personne née dans le secret, et inversement. J'adhère aux positions qui ont été exprimées, notamment par le Conseil d'État. J'ai été saisi d'une réclamation portant sur ce sujet, qui a démontré que le cadre juridique actuel n'est absolument pas clair, et la requérante n'a pas pu obtenir l'accès au dossier médical. Quand l'enfant né dans le secret connaît l'identité de sa mère de naissance à la suite de la levée de l'anonymat à son décès, et d'autre part, lorsque la mère de naissance est toujours vivante, je pense que le texte prévoit des dispositions qui me paraissent positives, et qui sont du moins susceptibles de régler des cas comme celui devant lequel j'ai été impuissant parce que la loi ne donnait aucune réponse. Dans cette perspective, je suis aussi favorable à la mise en place d'un interlocuteur unique, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), aussi bien pour les mères de naissance que pour les enfants nés dans le secret.
Le projet de loi s'intéresse aussi à la diffusion des progrès technologiques, je veux ici dire les algorithmes. Je suis favorable à l'extension de l'information préalable du patient prévue par l'article 10. Je suis favorable au principe, posé par l'article 11, de la garantie humaine du numérique en santé lorsqu'on utilise des algorithmes – j'insiste d'ailleurs sur le fait que ce principe d'intervention humaine est absolument nécessaire. Je voudrais faire plusieurs remarques. D'abord, les données utilisées dans les algorithmes doivent être représentatives. Or je ne suis pas sûr que les bases de données que nous utilisons prennent en compte toutes les caractéristiques des personnes, toutes les différences, sujet d'autant plus important pour l'utilisation d'algorithmes autoapprenants. Le développement d'algorithmes à partir de bases de données constituées essentiellement de profils issus du groupe majoritaire de la population peut conduire à des discriminations à l'encontre des autres populations, pour lesquelles l'algorithme serait bien moins performant. Dans un domaine aussi sensible que la santé, il apparaît crucial de ne pas permettre de telles erreurs. Il faudrait s'assurer que les bases de données – je pense qu'un élément peut être écrit dans le texte que vous aurez à voter – traitées par l'algorithme sont bien représentatives de toute la population et que les algorithmes eux-mêmes ne produisent pas de biais discriminatoire en traitant ces informations, notamment les spécificités femmes – hommes ou les déterminants sociaux de santé tels que le territoire, le parcours ou la situation socio-économique, etc. La plateforme nationale Health Data Hub qui a été instituée par la loi Santé de 2019 et qui prend en compte les données sensibles relatives aux groupes ethniques ou à l'orientation sexuelle est une réelle avancée à cet égard. Il faut aussi le faire de manière plus générale.
L'article 11 du projet prévoit que le paramétrage global des données du patient doit associer des professionnels variés. Nous sommes sur la bonne voie : la construction de l'algorithme doit reposer sur une approche pluridisciplinaire, afin de croiser les expertises variées, relevant du domaine médical, mais aussi du traitement de données, de la sociologie, etc. Je m'interroge cependant sur la capacité des professionnels de santé à intervenir sur les paramètres de tels dispositifs. Ces algorithmes intègrent des quantités très importantes de variables, dont le maniement peut sensiblement influer sur le résultat obtenu. Sans formation adéquate et approfondie, il apparaît incertain qu'un professionnel de santé soit seul à même de gérer pleinement de tels dispositifs ou prenne l'initiative d'en modifier les paramètres. Or, pour assumer pleinement leur responsabilité, les professionnels de santé devraient dans certains cas bel et bien modifier le paramétrage de l'algorithme ou prendre les décisions qu'ils estiment les plus adaptées, quand bien même celles-ci contrediraient le résultat donné par l'algorithme et l'intelligence artificielle. Pour le Défenseur des droits, l'algorithme doit fournir une aide au diagnostic sans se substituer au médecin, afin de respecter le principe incontournable posé par l'article 22 du Règlement général sur la protection des données personnelles selon lequel il convient d'éviter les décisions exclusivement fondées sur un algorithme. Pour ce faire, le professionnel doit être dûment formé sur ces technologies, notamment pour être capable d'accompagner le consentement et la participation du patient. Certes, le consentement libre et éclairé est un droit déjà inscrit par la loi. L'étude d'impact dit que ce n'est pas la peine de prévoir un recueil explicite. Je tiens à souligner l'intérêt de garantir pleinement les principes posés aux articles L. 1111-2 et 1111-4 du code de la santé publique. Le patient doit être informé sur son état de santé et sur la nature des différents traitements qui lui sont proposés afin qu'il puisse prendre lui-même les décisions qui le concernent. Il doit donc pouvoir donner un véritable consentement à l'utilisation d'un dispositif algorithmique nécessitant le recueil et le traitement de ses données personnelles. Une information postérieure au traitement algorithmique ne constitue pas à mes yeux une garantie suffisante, comme l'ont souligné de multiples institutions. Par ailleurs, des mesures appropriées devraient être prises pour conforter le respect des droits des personnes en situation de vulnérabilité particulière, par le recueil du consentement des représentants légaux et des personnes de confiance, pour les majeurs protégés par exemple. Se pose aussi la question de l'utilisation future des données recueillies. Le Défenseur des droits invite le législateur à s'interroger sur la forme que le consentement devrait prendre. Il semble difficile de transposer le modèle traditionnel de consentement qui a été conçu dans le cadre d'une relation entre deux personnes, un médecin et son patient, et non pas d'un système de bases de données.
Je voudrais exprimer devant votre commission spéciale un regret : le projet de loi demeure silencieux sur la prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel. J'ai déjà eu l'occasion de recommander dans un avis du 20 février 2017 que « le principe de précaution guide les équipes médicales pluridisciplinaires du centre de référence dans le cadre de l'appréciation circonstanciée équilibrée in concreto de la situation et de l'intérêt supérieur de l'enfant, s'agissant des traitements et/ou des opérations précoces et irréversibles ». J'ajoutais que l'application du principe de précaution permettrait d'envisager plus systématiquement de retarder les opérations dans l'attente de pouvoir recevoir le consentement éclairé de l'enfant. Je vous propose d'examiner l'opportunité de prendre en considération les recommandations 8, 14 et 15 du rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat qui a été adopté sur ce sujet le 23 février 2017 et qui me paraît particulièrement pertinent.
Votre commission spéciale me paraît être confrontée à un choix : d'un côté, retenir ou non, modifier ou pas ce que propose le projet de loi – qui comporte indiscutablement des innovations majeures ; de l'autre – c'est plus ambitieux, plus difficile –, saisir un moment historique pour aller au-delà du texte et anticiper un changement sociojuridique. C'est ce que vous aurez à faire tout particulièrement pour la filiation des enfants nés de PMA. En tant que Défenseur des droits et Défenseur des enfants, je m'efforce seulement de contribuer à la décision que doit prendre le Parlement. Dans votre responsabilité, qui est ultime, se pose à vous la question éternelle de la réforme de la société dans la loi : soit instituer ce qui est largement intégré dans l'évolution des mentalités et des rapports sociaux, soit imaginer de faire évoluer le modèle français de bioéthique en nous tournant vers un avenir où le droit échappera à la biologie pour garantir, dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, la dignité, l'égalité et la liberté de toutes les personnes.
Je vous remercie de la remarque que vous avez signifiée aux CECOS sur la prise en charge des personnes transgenres. Je vous remercie également d'avoir abordé la question des enfants intersexes sur laquelle nous travaillons – la mission d'information avait effectivement formulé des propositions sur le sujet.
Nous nous rejoignons sur le fait que ce qui importe en premier, c'est préserver l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous allons consacrer le droit de l'enfant à connaître ses origines, puisque nous avons vu à quel point c'était important pour son épanouissement psychologique, pour son développement sanitaire, pour avoir des informations sur d'éventuelles maladies héréditaires. En France, on dit que seuls 20 % des enfants nés d'un don – actuellement dans des couples hétérosexuels – savent qu'ils ont été procréés grâce à un donneur. Donc nous ouvrons un droit, mais nous n'ouvrons pas l'accessibilité à ce droit. Nous sommes un peu embarrassés pour cela. Est-ce qu'il vous paraît opportun que nous essayions de convaincre nos différents interlocuteurs qu'il faut suggérer à ces parents, dès le début, dès la procréation, que l'intérêt de l'enfant suppose que dès l'enfance, ils lui parlent et lui disent la vérité ? Il ne s'agit pas d'établir une contrainte, mais d'inciter à ce que les parents soient informés que c'est l'intérêt de l'enfant.
Quand j'ai dit que nous choisissons l'intérêt de l'enfant, nous le faisons en prévoyant le consentement du donneur au moment du don, et non à la majorité de l'enfant, mais cela implique aussi que pendant toute la vie, jusqu'à la majorité de l'enfant, il y ait le travail que vous dites, pour que nous sortions du « ni vu, ni connu ».
Il semble qu'il y ait un affrontement entre le droit de l'enfant à connaître ses origines et l'intérêt supposé des parents au secret de la vie privée. Le Conseil d'État, malencontreusement, n'a pas choisi l'intérêt supérieur de l'enfant, vous nous rejoignez là-dessus. Cela signifie-t-il que vous nous encouragez à sortir du choix des convenances, comme vous l'avez très bien résumé ?
Nous n'allons pas revenir sur la GPA : elle va rester interdite en France. Mais il est tout à fait loisible à tout couple français, hétérosexuel ou homosexuel, d'aller à l'étranger bénéficier d'une GPA. Les parents d'intention sont reconnus parents dans le pays où la GPA est pratiquée. Quand ils reviennent en France, le père est généralement reconnu comme tel, mais la mère n'est pas reconnue. Ceci pénalise l'enfant et la mère puisqu'il faut en passer par une procédure d'adoption, complexe, aléatoire, et pendant tout ce temps, l'enfant a des droits qui sont diminués. Est-il acceptable que notre pays pénalise un enfant parce qu'il considère que les choix parentaux n'ont pas été opportuns ? Nous pouvons considérer que la GPA est interdite et que les parents ont eu tort d'aller la faire à l'étranger, mais nous ne pouvons pas accepter que l'enfant soit pénalisé, parce qu'il n'a pas choisi son mode de procréation. Il a droit à la plénitude de ses droits. Cela devrait être facile de corriger ceci, parce que le principe qui prévaut aujourd'hui est que la mère est la femme qui accouche, mais qu'à partir du moment où dans un couple de femmes homosexuelles, on dit qu'il y a deux mères, il y en a nécessairement une des deux qui n'a pas accouché. On accepte donc que l'on puisse être mère sans avoir accouché, même hors du cadre de l'adoption.
Depuis cinq ans – l'arrêt Mennesson date de juin 2014 et j'ai pris mes fonctions en juillet 2014 –, au regard des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de cassation, des différents tribunaux et cours d'appel, j'ai pris constamment position, très clairement, pour la reconnaissance – le terme est impropre – de la mère d'intention. Je l'ai fait dans une tierce intervention devant la CEDH, je l'ai fait devant la Cour de cassation qui va se prononcer cet automne à la suite de l'avis de la CEDH du mois d'avril, etc. Le système ne doit pas rester bancal. Certaines juridictions l'ont déjà dit, par exemple le tribunal de Nantes.
J'ai trouvé intéressants vos arguments sur l'extension de droit commun de la filiation, notamment en ce qu'elle distingue la question de la filiation et la question de l'origine. Si le projet de loi est adopté, les enfants nés sous le régime à venir pourront à partir de 18 ans accéder à leurs origines, avec des données identifiantes et non identifiantes. Je cependant à l'affaire qui est pendante devant la CEDH contre la France sur l'effectivité de l'accès à leurs origines pour les enfants conçus dans le cadre du régime actuel et ma question va donc porter sur les enfants de ces quarante dernières années, dont certains nous réclament au nom d'une équité de traitement de prévoir un mécanisme transitoire, ou un mécanisme spécifique. Il pourrait s'agir de transférer les registres des CECOS à l'Agence de la biomédecine – s'ils existent, mais ils n'ont pas répondu clairement à cette question – ou de prévoir que lorsqu'un enfant conçu avec tiers donneur sous le régime actuel interroge la commission ad hoc, celle-ci, par parallélisme des formes avec ce que fait aujourd'hui le Conseil National pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), recherche le donneur et lui demande s'il accepte de lever son anonymat et de communiquer des données non identifiantes ou identifiantes, éventuellement par le truchement d'un pli. Au regard de l'effectivité d'un droit érigé en principe, devons-nous revenir sur le régime actuel ou devons-nous acter le fait que nous ne légiférons que pour l'avenir en laissant les enfants des quatre dernières décennies dans l'ignorance ?
Un juriste d'expérience vous répondra mieux que le Défenseur des droits, puisque je n'ai pas étudié cette question. Mon sentiment est qu'il ne faut pas mettre le doigt dans quelque chose qui ressemble à de la rétroactivité ou de l'anachronisme juridique. Autant, comme vous l'avez vu dans mon exposé, je suis favorable à ce que le législateur soit ambitieux pour l'avenir, autant je pense qu'il ne faut pas bouleverser les situations existantes et la sécurité juridique.
La question du consentement est centrale, mais, même s'il y a consentement, je ne crois pas qu'il faille remonter le temps, parce que c'est sans fin : nous pourrions devoir traiter des situations nées à une époque où il n'y avait pas de PMA – avant la PMA, c'était vraiment « ni vu, ni connu », si j'ose dire. Qu'allons-nous faire ? Surtout très attention, sinon nous mettrions en révolution toute la profession notariale.
Les travaux de Mme Laurence Hérault sur la gestion médicale dans la parenté transgenre ont montré scientifiquement la manière dont les couples transgenres dont certains ont aujourd'hui accès à la PMA – je pense aux couples formés d'une femme cisgenre et d'un homme transgenre – sont traités de façon extrêmement différente d'un couple hétérosexuel cisgenre. Il y a un processus de « repathologisation » de l'accès à la PMA, puisque l'on y exige une stérilisation de l'homme transgenre, alors qu'elle n'est plus exigée pour la transition depuis la loi de 2016.
Vous avez évoqué les difficultés d'accès à l'autoconservation des gamètes et je vous en remercie. Je voudrais revenir à une question de droit et d'égalité : conformément aux dispositions de l'article 1er, une personne assignée femme à la naissance pourra avoir accès à la PMA avec un tiers donneur, ce qui signifie qu'un homme transgenre qui n'aurait pas fait son changement d'état civil aura accès à la PMA. En revanche, la modification du sexe à l'état civil interdira l'accès à la PMA. Je me demande s'il n'y a pas là une discrimination fondée sur le sexe, puisque deux personnes qui sont dans la même situation au regard de la procréation auront accès ou pas à la PMA en fonction de la mention de leur sexe à l'état civil.
Ce que j'ai dit lorsque la proposition de loi a été examinée puis intégrée dans la loi Urvoas en 2016, c'est qu'il faut passer à un régime de déclaration et sortir de tout ce système qui fait qu'aujourd'hui, l'état civil des personnes transgenres dépend de la décision des 172 présidents de tribunal de grande instance de France et de Navarre. C'est quelque chose qui ne me va pas. Soit le législateur refuse – pour un tas de raisons que je récuse, naturellement –, soit il accepte et il faut alors traduire dans l'état civil cette réalité de l'identité ressentie et reconnue. Dans ce dernier cas, il faut changer de système. De toute façon, le contrôle du procureur de la République sera toujours requis puisqu'il s'agit d'état civil. Ce n'est pas très compliqué, mais c'est la solution.
Monsieur le Défenseur des droits, vous avez évoqué la contradiction qu'il faut trancher entre le droit d'accès aux origines et la liberté ou le « droit » du donneur. Vous avez indiqué votre préférence, mais il y a aussi un autre paradigme – un mot à convoquer dans cette contradiction : celui de ce que devient le don au milieu de cette contradiction. Je voulais en réalité vous demander de préciser la notion de droit d'accès aux origines, et peut-être aussi la notion d'origines.
Je reviens sur le modèle unitaire de filiation pour les enfants issus de dons, qui fait tendre vers une pseudo-égalité, dans le sens où la déclaration concernerait les couples hétérosexuels et homosexuels. Je voulais savoir s'il serait indispensable de mentionner une telle déclaration sur la copie intégrale de l'acte d'état civil, en termes de filiation.
Vous avez aussi parlé tout à l'heure de la transmission d'informations entre le donneur et l'enfant issu de don. Certains enfant pouvant avoir des attentes fortes pour obtenir des informations non identifiantes, ne pensez-vous pas qu'il faudrait leur ouvrir la possibilité d'y accéder, sur autorisation parentale, avant leur majorité ?
Monsieur le Défenseur des droits, je voudrais revenir sur un point particulier de l'article 6, que vous avez évoqué dans votre exposé sur le consentement au don pour un mineur. Comment garantir le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant quand celui-ci n'est pas en capacité de donner son consentement, en d'autres termes ne pourra pas être entendu par le président du tribunal de grande instance qui devra statuer ?
J'ai participé ce matin au colloque de la Fédération hospitalière de France (FHF) qui portait sur l'accueil de l'enfant à l'hôpital. J'ai pris beaucoup de positions, j'ai fait un rapport en 2015 et pris une décision-cadre à ce sujet. Je vous invite d'ailleurs à lire le rapport fait par la FHF à la suite d'une étude ayant porté sur 3 800 établissements médico-sociaux et 1 000 établissements sanitaires. La question que vous posez est extrêmement difficile dans le triangle entre le mineur, le parent, le médecin. Je suis favorable à ce que l'on complète la loi de 2002 sur le droit des malades afin de prendre des dispositions spécifiques pour les enfants et les adolescents.
Monsieur le Défenseur des droits, merci de votre participation. Notre prochaine audition porte sur l'intelligence artificielle et les algorithmes.
Nous avons engagé un travail plus global sur les risques discriminatoires dans les algorithmes, dans la suite de notre travail sur la numérisation, que nous publierons probablement l'année prochaine, mais qui dépasse naturellement le domaine de la santé.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique
Réunion du mercredi 4 septembre à 17 heures 30
Présents. – M. Thibault Bazin, Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, Mme Anne-France Brunet, M. Guillaume Chiche, M. Francis Chouat, M. Pierre Dharréville, Mme Coralie Dubost, M. Jean-François Eliaou, Mme Nathalie Elimas, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, M. Didier Martin, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Jean-Louis Touraine, Mme Michèle de Vaucouleurs
Assistait également à la réunion. - M. Claude Goasguen