Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Jeudi 7 octobre 2021
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Votre travail s'est situé au cœur de l'une des priorités de notre commission d'enquête parlementaire, qui a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont je suis membre, en vue d'identifier les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française. Je précise qu'il s'agit bien de la politique pénitentiaire et non de l'administration, où l'on observe certains dysfonctionnements que les pouvoirs publics peinent parfois à corriger.
Nous nous sommes donc fixé, avec Mme la rapporteure, un vaste cadre d'investigation. Nous avons déjà auditionné plusieurs personnes au cours des dernières semaines : le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), les principales institutions françaises et européennes de contrôle et d'inspection ainsi que de nombreux représentants syndicaux. Nous avons effectué des déplacements dans les établissements pénitentiaires de la Santé et des Baumettes. Nous entamons avec vous ce matin une longue séquence consacrée à l'immobilier pénitentiaire.
En 2016, vous avez été chargé par le garde des sceaux de présider la commission du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire. Votre audition prend d'autant plus de sens que votre rapport de 2017 dépasse largement la question des implantations carcérales. Vous avez en effet couvert à peu près le même champ d'investigation que la présente commission d'enquête.
Nous avons vraiment à cœur d'apporter des propositions constructives porteuses d'une réelle évolution. Nous sommes conscients qu'avant nous, d'autres se sont intéressés à la question. J'avais d'ailleurs lu votre rapport au tout début de ce mandat, dès que j'ai commencé à me pencher sur le sujet carcéral. Vous auditionner nous permettra de ne pas recommencer un travail déjà accompli, dans la mesure où votre Livre blanc, particulièrement mobilisateur, proposait déjà des éléments très importants sur un vaste champ. Il s'agit plutôt de profiter de vos constats pour approfondir la question.
Cette commission d'enquête s'intéresse en particulier à la surpopulation et à ses impacts sur la réponse pénale apportée par les juges face à la délinquance, ainsi qu'aux conséquences que cette réponse peut avoir sur le traitement de la radicalisation en prison, sur la réinsertion et sur la qualité de l'offre de réinsertion. Nous nous préoccupons également de la prise en charge des mineurs en milieu carcéral. En dehors des questions relatives au parc immobilier, tout comme vous l'avez fait, nous avons à cœur de travailler sur le volet des ressources humaines. Nous pourrions en outre évoquer les sujets de la laïcité, de la violence en prison, etc.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Jean-René Lecerf prête serment.)
Si je fus choisi par le garde des sceaux de l'époque, Jean-Jacques Urvoas, pour présider cette commission du Livre blanc, c'est très vraisemblablement parce que j'avais été le rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009, que je considère, à l'instar de mon ancien collègue Robert Badinter, comme étant une grande loi, laquelle a permis de transformer largement, bien qu'insuffisamment, la situation dans nos prisons, tant pour les personnes condamnées que pour les personnels. Lorsque j'ai été chargé de ce travail, j'ai immédiatement précisé que la question immobilière ne représentait que l'un des aspects de la situation de l'univers carcéral et que, si l'on souhaitait donner une réponse pérenne à ce que Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel appelaient l'« humiliation pour la République » dans leur rapport sénatorial de 2000, il faudrait bien aborder l'ensemble des problèmes liés au sujet pénitentiaire. Je souhaiterais à ce titre en évoquer très rapidement quelques-uns.
Il s'agit tout d'abord de la maladie mentale. On considère qu'entre 25 et 30 % des personnes condamnées souffrent de maladies mentales très lourdes, faisant des prisons le principal asile de France. L'immense majorité de ces personnes n'ont rien à y faire, mais nous connaissons l'état de la psychiatrie française, nous savons qu'elle est devenue très largement ambulatoire et que la création de places nécessaires ainsi que le recrutement des personnels compétents coûteraient bien plus cher que le maintien du statu quo. Ce problème de la maladie mentale constitue pourtant bien l'une des raisons principales des tensions qui se jouent dans les établissements pénitentiaires, à la fois pour les détenus et pour les personnels.
Je constate également que l'on a beaucoup parlé ces dernières semaines des problèmes d'irresponsabilité pénale et réinterrogé les principes de la distinction entre l'abolition et l'altération du discernement. Je rappelle que mon collègue Jean-Pierre Michel et moi-même sommes à l'origine d'une proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale, qui fit enfin de l'altération du discernement une circonstance atténuante, quand tout se passait jusqu'alors comme si cette circonstance était aggravante.
Quant à l'isolement durable des malades mentaux dangereux dans des structures médicalisées fermées, si possible avant qu'ils aient commis l'irréparable, il se pratique depuis longtemps, par exemple en Belgique, dans des établissements dits « de défense sociale », mais je n'en ai guère vu de trace ici dans un passé plus ou moins récent.
Je suis convaincu que les personnels pénitentiaires, notamment les personnels de surveillance, exercent leur métier dans des conditions somme toute convenables pour l'immense majorité des personnes détenues. Ils ont même acquis, dans des établissements très particuliers comme la prison de Château-Thierry, un savoir-faire remarquable pour stabiliser les malades mentaux très lourds, alors que ce n'est pas leur métier. Mais les personnels pénitentiaires, notamment les personnels de surveillance, ne disposent pas de la formation, de la compétence ni de la vocation pour faire face à trois catégories précises de délinquants : les délinquants religieux, les délinquants issus du très grand banditisme ainsi que ceux que M. Chevènement a appelé les « sauvageons », c'est-à-dire les chefs de bandes pour lesquels la prison représente plutôt une sorte de maréchalat de la délinquance.
Je suis du reste convaincu, comme le disaient en leur temps des politiques comme Mme Ségolène Royal, que ce petit pourcentage d'individus qui font de la prison un enfer à la fois pour les autres détenus et pour les personnels de surveillance devraient être placés sous l'autorité de l'armée, plus précisément de militaires qui auraient été recrutés spécifiquement pour cette mission. À l'époque où je l'évoquais, les représentants de l'armée me répondaient que les moyens étaient insuffisants, ce dont je suis parfaitement conscient. J'avais par ailleurs visité tous les établissements pénitentiaires pour mineurs et discuté avec ces jeunes très grands délinquants, et chaque fois je les questionnais sur leurs projets d'avenir, j'étais extrêmement surpris de la réponse quasi unanime des uns et des autres : leur seul projet, c'était d'intégrer l'armée. Comme si ces personnes qui ne s'étaient donné aucun cadre jusqu'alors éprouvaient un besoin de limites posées. Dans l'ouvrage Confidences d'un sénateur du Nord, que j'ai écrit en 2011 et que je mettrai à votre disposition, un chapitre entier consacré à la prison,
Le premier grand axe du Livre blanc appuyait le choix de l'encellulement individuel, finalement consacré par la loi pénitentiaire. Le gouvernement et l'Assemblée nationale inclinaient à remplacer le principe d'encellulement individuel par celui de l'encellulement collectif. Les raisons qui avaient été avancées par les gardes des sceaux successives, Mme Rachida Dati puis Mme Michèle Alliot-Marie, reposaient sur le fait que le principe existait depuis 1874 mais n'avait jamais été appliqué, si ce n'était, en quelque sorte, pour ridiculiser le pouvoir du Parlement. Le Sénat était quant à lui franchement opposé à ce changement car, même si le principe d'encellulement individuel n'était pas appliqué, sa simple existence permettait de limiter un certain nombre d'abus. Nous n'avons jamais été, les uns comme les autres, des ayatollahs de l'encellulement individuel. Certaines situations imposent effectivement que l'on y déroge. Mais nous étions convaincus que la dignité exigeait le maintien de ce principe et que l'on tente d'en faire une plus grande réalité. Je rappelle qu'une partie des députés s'était finalement ralliée à la position du Sénat en commission mixte paritaire, ce qui avait valu l'adoption définitive du texte. Puis le Livre blanc est intervenu pour conforter encore cette victoire in extremis.
Le Livre blanc souligne aussi l'importance accordée à la fois aux quartiers des arrivants et aux quartiers de préparation à la sortie, en lien, là encore, avec un article de la loi pénitentiaire sur le sens de la peine. Selon ce dernier, ce n'est pas seulement la sanction du détenu, l'indemnisation des victimes ou encore la protection de la société qui doivent être prises en compte, mais aussi la réinsertion. Alors que certains nous ont reproché d'avoir conçu une loi bavarde, nous étions convaincus, Robert Badinter le premier, que, si nous voulions effectivement donner un sens à la peine, il fallait nécessairement que l'évaluation des personnes soit faite d'une manière extrêmement précise et volontariste à leur entrée en détention et que les sorties sèches soient évitées au maximum, grâce à la création de quartiers de préparation à la sortie, pouvant aller, dans l'esprit du Livre blanc, jusqu'à la mise en place de petites prisons ouvertes. La seule prison ouverte de France est celle de Casabianda, que j'ai visitée à diverses reprises, et qui représente pour moi un exemple extrêmement intéressant. Malheureusement, l'administration pénitentiaire s'est avérée incapable d'investir sur un tel succès, devenu presque tabou.
L'un des autres grands axes du Livre blanc consistait à faire des maisons d'arrêt un véritable lieu d'exécution des peines et d'y concevoir des niveaux de sécurité différenciés. En effet, jusqu'à présent, tout est fait pour couvrir la situation des quelques personnes extrêmement dangereuses qu'il vaudrait mieux rassembler dans des maisons d'arrêt spécifiques. Cela pose aussi plus largement la question de la diversification des régimes de détention, notamment du développement de ce qu'on a appelé les régimes Respecto, qui ont vu le jour en Espagne pour devenir ici les modules Respect, engageant les uns et les autres à un respect mutuel, personnels de surveillance et personnes condamnées confondues, et se traduisant en outre par une ouverture des cellules en journée ainsi qu'une volonté de favoriser le travail carcéral d'une manière beaucoup plus importante qu'ailleurs.
Notre volonté était d'ouvrir les prisons. Nous sommes quelque peu parvenus à briser le cercle infernal de l'univers carcéral en invitant dans les prisons de plus en plus de personnes : des visiteurs de prison, des aumôniers, des personnels de l'éducation nationale, des spécialistes de la culture ou encore des parlementaires. De mon temps, ces derniers étaient peu nombreux à s'impliquer de manière volontariste dans la visite des prisons. J'ai même été surpris de ne pas y rencontrer souvent de magistrats. Il est nécessaire d'ouvrir les prisons sur les collectivités territoriales, qui, à mon sens, ont un rôle très important à jouer, et plus globalement de les ouvrir sur l'extérieur. Je n'oublie pas que les jugements sont rendus au nom du peuple français. Or la grande absente du débat a justement été l'opinion, alors que chaque citoyen devrait pouvoir s'approprier les prisons de la République comme un élément essentiel de la vie en société.
Vous avez mis l'accent sur l'implication des collectivités territoriales et des élus locaux dans ces questions pénitentiaires. Je préside par ailleurs moi-même une association, Territoires et prisons, qui donne la parole aux élus locaux sur la question pénitentiaire. Souvent, en tant que maire, on subit une prison, sans avoir notre mot à dire sur la question.
Les personnels de surveillance exercent un métier difficile, devant répondre aux agressions physiques, à la radicalité, mais également à leurs propres problèmes de ressources humaines, d'avancement de carrière, etc. En outre, ces personnels sont assez mal payés et mal logés. Comment pourrait-on, selon vous, renforcer l'attractivité de telles professions ? L'ENAP a-t-elle un rôle à jouer ? Faut-il aller chercher très en amont la source du problème ?
C'est une question qui a été très largement discutée par la commission du Livre blanc, où l'on a entendu un grand nombre de personnels de surveillance, notamment des personnels qui travaillaient dans les prisons ayant instauré le régime Respect. On se rendait compte que la plainte principale de ces personnes, par ailleurs très attachées à leurs fonctions, était d'être considérées comme de simples porte-clés. Ils auraient souhaité retrouver la noblesse du métier de surveillant, c'est-à-dire être des acteurs au quotidien, à la fois de l'évaluation et de la réinsertion des personnes condamnées.
J'ai côtoyé pendant de nombreuses années les personnels de la pénitentiaire. J'ai observé une transformation considérable des personnels de direction. Il y a vingt ou trente ans, ces derniers n'étaient pas là par vocation, mais parce que c'était la fonction qu'ils avaient pu appréhender. Désormais, ce n'est plus le cas. Les personnels de direction sont extrêmement bien formés, notamment au sujet des libertés individuelles et publiques, et ils ont toute leur place dans la pénitentiaire pour en faire l'administration que nous souhaiterions qu'elle devienne. En revanche, j'ai constaté que les personnels de surveillance n'avaient pas connu la même évolution. Cela tient peut-être au fait qu'il a fallu organiser de vastes programmes de recrutement avec la construction de nouvelles prisons, au fait que les concours n'ont pas été organisés de façon adéquate, notamment à la disproportion considérable entre les notes attribuées aux hommes et à celles attribuées aux femmes, liée à la nécessité d'une supériorité numérique masculine pour gérer les foules. Il n'en reste pas moins que certaines personnes ont été recrutées alors qu'elles n'auraient pas dû l'être.
Lorsque nous avons fait le bilan de la loi pénitentiaire, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, à l'époque présidente du groupe communiste au Sénat, et moi-même, avons reproché à des représentants syndicaux des personnels de surveillance de ne pas appliquer les règles de la loi pénitentiaire sur les fouilles, notamment sur le caractère non systématique des fouilles à nu et sur l'interdiction, sauf autorisation d'un magistrat, des fouilles corporelles internes. Nous avons été extrêmement choqués de la réponse de ces derniers : il était absolument exclu pour eux de renoncer ce type de fouilles, tout simplement parce que celles-ci constituaient une façon d'imposer leur autorité.
Par ailleurs, je crois que le problème de l'attractivité de la profession n'est pas spécifique aux surveillants de prison. Jusqu'à une période extrêmement récente, je présidais le département du Nord. Nous y rencontrons beaucoup de difficultés à recruter des assistantes familiales, des aides à la personne ou encore des personnes chargées du maintien à domicile des personnes âgées ou en situation de handicap. Nous n'avons à mon sens pas choisi les bonnes formules pour tenter d'attirer vers le métier de surveillant, qui consisteraient à mon avis à insister sur l'aspect de garant de l'évaluation et de la réinsertion, et à communiquer plus largement sur cette profession, en particulier au niveau territorial. Dans chaque département, d'une part, le RSA – revenu de solidarité active – coûte très cher. D'autre part, le fait de gérer d'une façon dynamique le retour à l'emploi des allocataires représente une façon de rendre à chacun sa place dans la société. Parmi les allocataires du RSA du Nord, et partout ailleurs j'imagine, certaines personnes ont un niveau bac+2 à bac+5. Si on laissait effectivement les départements jouer un rôle plus actif dans la communication sur le métier de surveillant, je suis convaincu que le problème du recrutement serait le plus facile à régler. Se poseront toujours bien sûr des problèmes de carrière, qui pourraient toutefois faire l'objet de discussions entre les organisations syndicales et les pouvoirs publics. Le problème financier ne me semble pas être au cœur des difficultés de recrutement.
Comment ouvrir davantage la prison au monde extérieur ? En effet, c'est un univers mal connu qui suscite un nombre absolument incroyable de fantasmes. Certaines personnes imaginent qu'avoir une douche dans sa cellule représente un véritable luxe. Comment, par conséquent, ouvrir davantage cette prison auprès des élus, des collectivités, mais aussi des entreprises ? Comment créer ce lien pour que la prison reprenne sa place dans la cité ? Il me semble que, dans votre livre, vous évoquez la possibilité de faire participer les personnels pénitentiaires aux festivités du 14 juillet. Cela revêt bien entendu un caractère plutôt symbolique. Comment aller plus loin ?
Comment faire, surtout, pour améliorer ou renforcer le lien entre nation et prison, à l'image du lien entre nation et armée ?
Lorsque j'étais très impliqué dans le problème de l'univers carcéral, la prison était un milieu totalement fermé. Une loi permettait heureusement aux parlementaires d'y entrer même si, encore une fois ça ne les intéressait pas vraiment. Mais lorsque nous souhaitions être accompagnés de journalistes, même si nous les triions sur le volet, cela restait totalement impossible. Je me souviens d'avoir un jour obtenu du ministre l'autorisation qu'un journaliste m'accompagne, et quand nous sommes arrivés, ce dernier a été repoussé. L'évolution est notable depuis, dans la mesure où les journalistes sont désormais accueillis en prison. Néanmoins, je n'ai pas lu beaucoup d'articles particulièrement satisfaisants sur l'appréhension de l'univers carcéral, d'explications au citoyen lambda sur le fait que la prison fait partie de son environnement, qu'il s'agit un élément indispensable dans une société, qu'il relève de l'intérêt de chacun qu'une personne incarcérée sorte de prison meilleure qu'elle n'y est entrée, et que pour ce faire, il faut qu'elle bénéficie d'un logement à sa sortie, d'une préparation à un travail, d'un contact préalable avec les personnels d'insertion, ou encore des papiers en règle et récents. Tout cela pose des questions simples qui devraient être aisément surmontées, mais qui sont pourtant restées longtemps insurmontables.
Dans mon département, nous avons créé, dans les maisons France service, ce que l'on a appelé des « maisons bleues ». Ce sont des camions qui parcourent les territoires. Immédiatement, la pénitentiaire m'a demandé si ces maisons bleues pouvaient entrer à l'intérieur des établissements pénitentiaires pour assurer à ses citoyens, tout particuliers soient-ils, la prise en charge de leurs problèmes administratifs et de préparation à l'emploi. On note un certain nombre d'exemples intéressants. Ainsi, à la prison de Loos-lez-Lille, avait été mise en place une plateforme d'initiation au tri sélectif des déchets, qui constitue un vrai métier. Cette plateforme fonctionnait extrêmement bien, en liaison avec la communauté urbaine de Lille et avec une entreprise dédiée. Lorsque les personnes qui avaient bénéficié de cette formation sortaient de prison, elles étaient assurées d'être embauchées pour une durée minimale de six mois, et on constatait que le taux de récidive était dérisoire parmi elles. Quand on a démoli la prison de Loos, on a détruit la plateforme et on ne l'a remise en place nulle part ailleurs, alors que cette initiative de la pénitentiaire aurait pu être appliquée assez aisément sur un certain nombre d'établissements.
La prison reste considérée comme un lieu tellement particulier, qu'il fallait que j'intervienne pour que, dans la période hivernale, les collectivités publiques assurent par exemple le déneigement des voies conduisant à un établissement pénitentiaire. Selon Badinter, ce qui était terrible, c'était le souhait de l'opinion que la meilleure situation en prison soit pire que la pire des situations à l'extérieur. À ma grande surprise, les maires sont ceux qui m'ont le plus aidé dans ma mission de parlementaire. Ils auraient par exemple souhaité mettre en place des TIG – travaux d'intérêt général –, mais on ne leur demandait pas leur avis. Et lorsqu'on le faisait, cela prenait des mois, voire des années, à éventuellement se concrétiser.
L'une des solutions au problème de la surpopulation repose évidemment sur les alternatives à l'incarcération, dont les TIG, de même que les aménagements de peine. Si l'on peut constater un certain nombre de succès sur la question des alternatives à l'incarcération, ce n'est pas le cas pour les aménagements de peine. En effet, alors que cela apparaissait comme un acquis de la loi pénitentiaire, on est revenu sur l'idée d'aménagement des peines jusqu'à deux années.
Je suis tout à fait favorable à l'ouverture des prisons sur l'extérieur, à l'instar des manifestations et expositions des détenus de Château-Thierry.
Concernant la participation des collectivités, en revanche, en dehors des simples manifestations patriotiques, j'éprouve quelques difficultés à envisager la façon dont on pourrait s'y prendre, avec pragmatisme.
Je soumets par ailleurs l'idée que la présence de parlementaires au sein des conseils d'administration des centres pénitentiaires soit rendue obligatoire.
C'est une proposition très intéressante, je ferai suivre aux personnes concernées. Pourquoi ne pas inclure également les maires, qui sont très impliqués ?
Ce serait une très bonne chose. Dans le Livre blanc, nous avions proposé qu'ait lieu dans chaque département une réunion annuelle coprésidée par le préfet et par le président du conseil départemental, le département ayant un rôle à jouer de par ses compétences sociales, à laquelle participeraient aussi le président du conseil régional ou son représentant, des parlementaires, le président de l'association des maires, les directeurs d'établissements, les présidents des tribunaux de grande instance ainsi que les procureurs. N'y aurait-il qu'une réunion annuelle, au moins ces personnes se connaîtraient. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas ; elles ne savent pas parler ensemble alors qu'elles sont interdépendantes.
L'exemple que je citais tout à l'heure sur les TIG met vraiment en évidence le besoin que nous avons de nous appuyer sur les collectivités. La seule réserve des maires sur ce sujet portait sur une réticence dans l'embauche les jeunes de leur commune, avec une préférence portant sur ceux des communes voisines afin d'éviter les jugements. Cette exigence ne me paraît pas insurmontable. Malheureusement, après avoir été sollicité sur la question des TIG par l'administration pénitentiaire, je n'en ai plus guère entendu parler.
Pensez-vous que cette ouverture de la prison, associée à la valorisation de son rôle dans la société, faciliterait le recrutement des personnels pénitentiaires ? Le cas échéant, comment accélérer ce mouvement ?
En effet, si la pénitentiaire et l'ENAP acceptaient de s'ouvrir davantage sur les collectivités, celles-ci pourraient devenir un lieu de valorisation des métiers et donc d'incitation au recrutement. Donner aux départements la possibilité de présenter des personnes qui auraient été présélectionnées pour leurs compétences et leur souhait de travailler dans la pénitentiaire serait une bonne initiative. Dans le Nord, nous sommes parvenus à réduire nettement le nombre d'allocataires du RSA parce que nous les avons guidés vers des métiers qui les intéressaient.
Je suis par ailleurs convaincu que l'une des caractéristiques positives de la pénitentiaire, c'est qu'elle se présente comme une grande famille. En effet, les nouveaux agents, notamment les surveillants, dans la grande majorité des cas, ont de la famille parmi les personnels en place. Autrement dit, la réputation de ce métier n'est pas si mauvaise et sa valorisation est possible. Bien sûr, cette dernière serait amplifiée par la création de quartiers spécifiques dans les maisons d'arrêt et la mise en place de programmes Respect, qui enrichissent totalement la profession. Les surveillants ne sont plus des gardiens, des matons, mais deviennent des agents de réinsertion, ce qui est incomparablement plus gratifiant.
Avant de faire de la politique, j'enseignais le droit à l'université, où se multiplient les masters en lien avec la pénitentiaire, ce qui reflète le souhait de certains étudiants de travailler dans les prisons.
Dans la mesure où votre rapport date déjà d'il y a quelques années, quel regard portez-vous sur la prison aujourd'hui ? Comment envisagez-vous les fameuses 15 000 à 20 000 places de prison à construire ? Est-ce que la seule question qui se pose est celle de la rénovation bâtimentaire ou faut-il intégrer à notre réflexion d'autres sujets tels que de l'amélioration des services d'accompagnement à la sortie ?
Je n'ai pas l'obsession du nombre de places et ne suis pas choqué par l'annonce de ces 15 000 places à construire, à savoir 7 000 dans un premier temps et 8 000 ultérieurement. Mais la nature est ainsi faite : toute place sera occupée, les magistrats sauront qu'il existe effectivement des possibilités qui représenteront en quelque sorte une solution de facilité. Je pense qu'il est au moins aussi important de développer les aménagements de peine et les aides à la réinsertion que de construire de nouvelles places.
Dans cet esprit, si l'on trouve d'autres solutions que la construction de places supplémentaires, le bénéfice sera d'autant plus grand que l'on cessera la gabegie financière liée à l'ultra-sécurisation des prisons, quand 95 % des détenus au moins ne justifient pas de tels dispositifs. Notons par ailleurs que la sécurisation à outrance est également ce qui retire de l'intérêt à la fonction de surveillant. En effet, lorsqu'on passe son temps à ouvrir des portes qui se multiplient chaque année, on a peu de chances de pouvoir embrasser des responsabilités d'évaluation ou d'aide à la réinsertion.
La prison est indispensable, mais avoir 100 000 places ne résoudra pas le problème. Je préférerais de loin que ces places soient utilisées à bon escient. C'est la raison pour laquelle je pensais que les deux années d'aménagement de peine représentaient une partie de la solution. Pourtant, quelques semaines après l'adoption de la loi, Jean-Jacques Hyest et moi devions déjà nous opposer à l'évolution qui avait été immédiatement demandée. À mon sens, l'autorité, la vraie, c'est celle qui permet que s'accomplisse le travail de réinsertion, qui fait que des gens qui se sont mis en marge de la société auront retrouvé les possibilités de devenir des citoyens responsables.
La réunion se termine à neuf heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya, M. Jacques Krabal
Excusés. - M. Alain David, Mme Monica Michel-Brassart, M. Stéphane Trompille