COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Lundi 7 juin 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de Mme Sylvie Gustave-Dit-Duflo, vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe, accompagnée de M. André Bon, directeur général adjoint en charge de l'eau et M. Julien Laffont, directeur de l'eau au sein du conseil régional.
Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences.
Nous recevons à présent Mme Sylvie Gustave-Dit-Duflo, vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe, dans le cadre du syndicat unique qui va être mis en place pour gérer l'eau et l'assainissement en Guadeloupe.
Madame la présidente, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.
Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire, qui précèdera notre échange sous forme de questions et réponses. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Sylvie Gustave-Dit-Duflo prête serment.
Je me fais accompagner ce matin par André Bon, qui est le directeur général adjoint en charge de l'eau, et par Julien Laffont, directeur de l'eau au sein du conseil régional. Si vous l'autorisez, ces derniers pourront intervenir pour compléter mes réponses.
Je n'y vois aucun inconvénient. Si ces deux personnes souhaitent intervenir, il faut préalablement qu'elles prêtent serment en levant la main droite et en disant « je le jure. »
MM. Bon et Laffont prêtent serment.
La ressource en eau ne manque pas en Guadeloupe, puisque les opérateurs distribuent annuellement 25 millions de mètres cubes d'eau potable, pour 400 000 habitants, auxquels il convient d'ajouter 500 000 touristes qui séjournent en moyenne 15 jours en Guadeloupe.
Aujourd'hui, nous sommes en mesure de produire plus de 60 millions de mètres cubes d'eau potable, sans pour autant assurer une desserte permanente de tous les usagers. Cette situation paradoxale de pénurie s'explique par un déséquilibre entre la capacité des installations de production d'eau potable et la demande en eau des réseaux. Ce déséquilibre résulte du niveau colossal des pertes en eau des réseaux de distribution.
Nous nous interrogeons sur l'impact d'une telle perte sur les milieux naturels, puisque nous utilisons plus de ressources qu'il n'en est véritablement nécessaire.
En ce qui concerne les captages qui ont dû être abandonnés du fait de la pollution par la chlordécone, la réponse suivante émane de l'agence régionale de santé (ARS) :
« Néanmoins, il faut que vous sachiez que les captages qui ont dû être abandonnés suite à la découverte de chlordécone au-dessus des limites réglementaires sont de trois sources : Gommier à Capesterre-Belle-Eau ; Pont des Braves à Gourbeyre ; Lumia à Trois-Rivières.
Par ailleurs, d'autres captages de sources, comme Belle-Eau-Cadeau, Belle-Terre et la source de Trois Rivières, ont dû être équipés en traitement par charbon actif pour abaisser le seuil contenu dans l'eau distribuée. »
Ces traitements peuvent-ils éliminer toute la chlordécone de l'eau distribuée ? Non. Les traitements par charbon actif permettent de ramener la concentration en pesticides en-dessous des valeurs réglementaires, c'est-à-dire une limite de qualité des eaux destinées à la consommation humaine, à hauteur de 0,1 microgramme par litre par pesticide, et 0,5 microgramme par litre sur le total des pesticides.
Des travaux menés au sein de l'université des Antilles ont montré que la simple immersion d'ouassous dans l'eau potable suffisait à la contaminer en chlordécone.
Quel est le rôle du conseil régional dans la politique de l'eau en Guadeloupe ? Au vu de la crise, le président Ary Chalus a souhaité un engagement fort de la collectivité régionale. C'est pour cette raison que nous sommes désormais membres de la conférence régionale de l'eau (CRE). Nous tenons le rôle de facilitateur en matière de gouvernance.
En outre, nous sommes également financeurs des autorités organisatrices des services d'eau et d'assainissement. Nous les finançons par le biais de notre gestion des fonds européens et des fonds régionaux.
Le plan Eau DOM n'a pas représenté une totale réussite en Guadeloupe. Seul un opérateur a obtenu un contrat de progrès, la communauté de communes de Marie-Galante, et un autre un contrat de transition, l'opérateur Eau d'excellence.
La région et le département ont décidé d'assurer la maîtrise d'ouvrage des opérateurs, afin de continuer à mener les investissements nécessaires pour gérer la crise de l'eau.
Lors d'une conférence territoriale de l'action publique en 2018, un consensus a été trouvé avec les opérateurs et les communautés d'agglomération, selon lequel la région et le département pourraient assurer la maîtrise d'ouvrage de certains travaux, et les opérateurs en capacité de le faire pourraient porter le reste de ces maîtrises d'ouvrage.
Ce plan d'action prioritaire de près de 72 millions d'euros a été porté par les collectivités majeures, dont la région, pour un montant de travaux de 30 millions d'euros.
Étant donné que nous ne disposons pas de la compétence de maîtrise d'ouvrage de travaux structurants, il nous a fallu développer trois arguments majeurs : la compétence au titre du développement économique, l'intérêt régional direct et l'article L. 211-7 du code de l'environnement, sous couvert de l'intérêt général de réaliser des travaux sur l'eau.
La région est également chef de file de la biodiversité. Nous avons également déployé auprès des particuliers des solutions alternatives. La région a notamment mis en place un dispositif de citernes d'eau de pluie qui permet aux particuliers de disposer d'une certaine réserve d'eau.
Face à la crise sanitaire, nous avons lancé avec l'office de l'eau et l'État un appel à projets pour des citernes scolaires, pour un montant de 7 millions d'euros environ. La région participe à hauteur de 1,7 millions d'euros à l'équipement de citernes scolaires d'eau potable.
40 % des installations d'assainissement non collectives ne seraient pas conformes aux réglementations en vigueur. De 2007 à 2013, plus de 120 millions d'euros de fonds européens ont été dédiés à des investissements liés à l'assainissement et 30 millions à des investissements relatifs à l'eau.
En 2014-2020, plus de 70 millions d'euros ont été dédiés à l'eau et à l'assainissement. Le programme 2021-2027 prévoit 80 millions d'euros à cet effet.
L'exploitation de ces nouvelles infrastructures devra être assurée par les opérateurs et les agglomérations qui en ont la compétence. Le plan « Eau Dom » a permis de clarifier le fait que l'investissement doit aller de pair avec l'exploitation des infrastructures.
Nous avons mis en place un observatoire de l'eau qui est porté par l'office de l'eau. Les chiffres de 2020 montrent que 94 % des nouveaux dispositifs de l'assainissement non collectif sont conformes. Pour l'existant, la tendance est inversée, avec seulement 25 % des installations en conformité.
S'agissant de l'assainissement collectif, en 2018, 67 % des stations de traitement supérieures ou égales à 2 000 Eh n'étaient pas conformes, contre 61 % en 2017. Cette situation très dégradée est due selon les cas à des ouvrages de traitement hors service, à une exploitation défaillante, à des incidents ponctuels ou à la vétusté de certains ouvrages.
Le rapport d'Espelia de 2018 indique que la situation de l'assainissement est à l'image de celle de l'eau potable.
Des investissements importants ont été consentis pour le traitement des eaux urbaines, à l'initiative de l'État, sous la menace de contentieux de l'Union européenne. Néanmoins, ils ont rarement été accompagnés d'efforts nécessaires pour en assurer la pérennité financière, l'exploitation et l'entretien.
La Guadeloupe est confrontée à de graves problèmes d'alimentation en eau potable. Elle connaît des difficultés de gouvernance et de gestion des services d'eau, conduisant à une dégradation généralisée de l'état de la performance des systèmes d'alimentation.
Les mesures prises en conséquence sont trop souvent orientées vers une augmentation de la mobilisation des ressources et le transfert d'eau, en négligeant l'amélioration de la performance des réseaux et l'action des services.
En outre, il s'observe souvent une inadéquation entre les ambitions des programmes d'infrastructures et la capacité de maîtrise d'ouvrage des entités responsables du service.
Madame Gustave-Dit-Duflo, pourquoi M. le président du conseil régional n'a-t-il pas pu se rendre disponible pour notre audition ?
Le président de région a fait de la question de l'eau un élément clé de la politique régionale. Il avait toutefois pris des engagements pour ce matin qu'il ne pouvait pas décommander.
De plus, je suis la vice-présidente en charge de l'eau. Il a estimé que j'étais en capacité d'apporter toutes les réponses aux questions que vous pourrez me poser.
Vous avez évoqué l'état catastrophique des réseaux. Les instances de Guadeloupe se sont mises d'accord sur un plan de 71 millions d'euros pour résorber ce problème. Or nous avons connaissance d'estimations selon lesquelles un milliard d'euros seraient nécessaires pour remettre le réseau en l'état. Cette somme vous paraît-elle suffisante pour mettre un terme à la détresse de la population ?
Oui et non. Nous devons atteindre un objectif d'investissement de 900 millions à un milliard d'euros dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. La somme de 72 millions d'euros correspond aux fonds que nous pouvions mobiliser.
A partir de 2017, la région et le département ont mis en place le service régional de l'eau, qui inclut des ingénieurs pouvant apporter une analyse technique sur les questions posées sur la gestion de l'eau.
Par ailleurs, nous avons procédé au retour d'expérience de l'injection de ces 72 millions d'euros dans les réseaux. Il est apparu que le rythme soutenable d'investissement annuel pour l'ensemble des collectivités et les opérateurs s'élevait à 30 à 40 millions d'euros.
Avec ces 72 millions d'euros, 80 % des travaux sont terminés ou en cours d'achèvement. Si nous décidions de déployer un milliard d'euros, il faudrait faire monter en compétences les agglomérations et les opérateurs, mais également avoir recours à des entreprises extérieures.
Il faudra bel et bien injecter un milliard d'euros. Toutefois, notre capacité de travail, qui tient compte de l'ensemble des contraintes et des compétences de acteurs de l'eau, s'élève à 30-40 millions d'euros.
Il faut y ajouter la méconnaissance du réseau d'eau potable par les opérateurs et les agglomérations. Dans le cadre du plan d'action prioritaire, nous avons mené des études relatives à la connaissance du feeder de Belle-Eau-Cadeau. Une mauvaise connaissance des réseaux est apparue à cette occasion.
Je vais prendre le cas de Baillif, ma petite commune, où se posent des problèmes d'eau. Dans cette commune qui compte quatre kilomètres de canalisations à changer, il nous a fallu plus d'un an pour mobiliser Grand Sud Caraïbes.
Le transfert des compétences de l'eau n'a eu lieu qu'à partir de 2012 au niveau des agglomérations.
Les agents de Grand Sud Caraïbes affirment qu'ils ne disposent pas des plans des canalisations, et que ce sont les agents de Baillif qui les détiennent. Or les agents de Baillif affirment exactement le contraire.
Au moment du transfert des compétences, aucun transfert de la connaissance aux agglomérations n'a eu lieu
Quelle est votre position vis-à-vis de la création d'un syndicat mixte ouvert ? Après les différents déboires passés, en quoi le Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) vous paraissait encore légitime en termes de gouvernance de l'eau ?
La dissolution du SIAEAG impliquait que des agents devaient repartir au sein des communautés d'agglomération, ce qui allait impacter le budget des agglomérations.
Il s'agissait de maintenir le SIAEAG au maximum, jusqu'à l'arrivée du syndicat unique. A ce moment-là en effet, le transfert du personnel pouvait se faire directement du SIAEAG vers le syndicat unique.
L'ensemble des partenaires ont accepté que le préfet Richard Samuel tienne lieu de préfigurateur de ce syndicat unique. Ce dernier a créé plusieurs groupes de travail. Il travaille actuellement à la quantification de la donnée ressources humaines, appuyé par le cabinet Espelia, en vue d'établir un état des lieux de la ressource chez chaque opérateur et dans chaque communauté d'agglomération.
La dissolution du SIAEAG impliquait la répartition de 160 agents dans les communautés d'agglomération, avec leurs acquis. Il aurait fallu que ce personnel soit répertorié comme personnel des communautés d'agglomération, ce qui aurait engendré un impact financier énorme.
Le Grand Sud Caraïbes accuse près de 30 millions d'euros de déficit, avec une régie d'eau dont le contrat est déficitaire de sept à huit millions d'euros par an.
Madame la présidente, qui est responsable du fait que 60 % de l'eau produite en Guadeloupe parte dans les fuites des réseaux ?
Je dirais que tout le monde est responsable, notamment l'État.
Étant donné que la compétence de l'eau a relevé des communes, puis des agglomérations, l'État a perdu des agents spécialisés dans le domaine de l'ingénierie de l'eau. L'appauvrissement de l'ingénierie de l'État concernant l'eau sur le territoire constitue donc un premier point.
De plus, les élus, par le biais de délégations de service public ou par les régies, assuraient la production et la distribution de l'eau. Par la suite, ces DSP ont été confiées à des fermiers et à de grandes structures, dont Veolia. Il a donc manqué un contrôle des élus. Les communes ne disposaient pas nécessairement de l'ingénierie nécessaire.
En 2012, lorsque la compétence de l'eau et de l'assainissement a été transférée aux agglomérations, ces dernières partaient de rien et devaient monter en compétences en matière d'ingénierie.
En outre, Veolia n'assurait que l'exploitation et le petit entretien. Les investissements importants permettant d'assurer la pérennité des missions de service d'eau publique n'ont pas été réalisés.
Lorsque Veolia a décidé de se retirer, ni l'État, ni les élus, ni les collectivités majeures ne disposaient de l'ingénierie nécessaire et suffisante pour contrôler les actions de la Générale des eaux. Celle-ci a donc pu imposer certaines contraintes dans les contrats.
Après le retour d'expérience et la montée en compétences de l'ingénierie de l'eau, les élus n'auraient jamais signé de tels contrats.
Vous venez d'indiquer que les gros investissements relevaient de la charge du délégant. Visiblement, ceux-ci n'ont pas été réalisés depuis des décennies. Où est donc passé cet argent ?
La Générale des eaux a failli en matière d'exploitation. Elle a estimé d'emblée que le niveau d'impayés en Guadeloupe était trop élevé, et qu'elle ne pouvait donc pas rester.
En réalité, en termes d'exploitation, de relation clientèle et de relation aux usagers, la Générale des eaux n'avait pas réalisé le travail nécessaire. Elle s'est donc retrouvée déficitaire, et le reversement qu'elle a effectué aux collectivités s'en est trouvé amoindri.
Par conséquent, les collectivités n'avaient pas suffisamment d'argent pour réaliser ces investissements.
D'ailleurs, lorsque la Générale des eaux est partie, les banques de données clientèle qu'elle a transmises aux opérateurs ayant accueilli le personnel de Veolia se sont avérées largement insuffisantes.
Si nous avions disposé d'une ingénierie de contrôle aux diverses étapes (État, collectivités, etc.), nous aurions pu imposer des contraintes à la Générale des eaux. En raison de l'absence de contrôle, la Générale des eaux a pu agir à sa guise, à tel point que dans le cadre des négociations, la Régie eau nord Caraïbes (Rénoc) s'en sort mieux qu'Eau d'excellence ou le SIAEAG.
En effet, la Rénoc a été reprise par un ancien de la Générale des eaux, qui a été secondé par une collaboratrice elle-même issue de la Générale des eaux. Ils disposaient d'une réelle connaissance du domaine de l'eau et ont pu mieux négocier la répartition du personnel et des infrastructures avec Veolia.
A votre avis, pour quelle raison certaines intercommunalités ont-elle signé des soldes de tout compte sans disposer de fichiers clients, si importants dans le cadre de la reprise d'activité ?
En raison de l'absence d'ingénierie de contrôle et de la pression qui était exercée.
Lorsque la Générale des eaux a stoppé ses contrats en 2014, elle a exigé des élus 14 millions d'euros. L'État a incité les collectivités à répondre à cette demande.
Dans le même temps pointait la menace d'une grève illimitée des agents à la période de Noël. Ceux-ci réclamaient en effet davantage de visibilité sur leur avenir.
En 2014, la région n'était pas fortement engagée dans le domaine de la gestion de l'eau. Néanmoins, nous avons bien senti qu'une crise de l'eau se faisait jour. Le conseil régional a donc fait l'effort de fournir 1 million d'euros.
Vous indiquez que la Générale des eaux n'a pas fait son travail concernant l'exploitation du réseau. Pourquoi une telle multinationale n'a-t-elle pas rempli sa part du contrat ?
Comme toute entreprise, si vous ne l'incitez pas à assumer ses obligations d'ingénierie de contrôle, elle assure un service minimum.
Pourquoi Veolia a-t-il décidé d'abandonner son rôle et choisi de se retirer totalement de la Guadeloupe ?
Il n'avait pas fait son travail au niveau de l'exploitation liée à la relation clientèle. Fin 2014, la crise de l'eau était bien réelle, les collectifs d'usagers se mettaient en place et les tours d'eau étaient bien présentes.
Différents collectifs ont appelé au non-paiement de l'eau par les usagers. Par conséquent, de plus en plus de personnes n'ont pas acquitté leurs factures, notamment sous le périmètre de Veolia. Il n'était plus rentable pour Veolia de rester dans une telle situation.
Il est indiqué que lors du changement de contrat de DSP, demandé par le président M. Amélius Hernandez, Veolia n'a plus trouvé son compte. Lorsqu'il s'est agi de procéder à la facturation, des bugs sont apparus, qui auraient entraîné de nombreux impayés et fragilisé le SIAEAG. Qu'en pensez-vous ?
Je vais laisser André Bon répondre à cette question technique.
La sortie de DSP et le passage en marché de prestation de service ont donné lieu à une dégradation de la situation pour Veolia, qui manquait de visibilité sur son avenir en Guadeloupe.
Toutefois, ce mouvement semble beaucoup plus ancien. Celui-ci est dû au manque d'investissements liés à l'eau, qui a perduré pendant des années. Cette crise, qui couvait depuis longtemps, a été accélérée par la conclusion d'un marché de prestations de services en lieu et place d'une DSP.
C'est la raison pour laquelle Veolia a souhaité se retirer de la Guadeloupe.
Le rapport d'Espelia de 2018 fait mention du fait que la gestion du logiciel clientèle par cet opérateur a donné lieu à une très forte dégradation du service de facturation des usagers, à une perte ou à une dégradation des informations de la base de données abonnés au moment de la migration informatique, à la non facturation de certains usagers pendant plusieurs exercices, puis à l'émission d'une facture de rappel de plusieurs milliers d'euros. Par conséquent, l'usager n'était plus en mesure de payer.
Les protocoles de fin de contrat négociés lors du départ de la Générale des eaux préservaient celle-ci de toute poursuite, alors même que la dégradation du consentement à payer des usagers trouve une part importante de son origine dans des erreurs de gestion pouvant être qualifiés d'accident industriel.
Par ailleurs, sur le périmètre du SIAEAG, Veolia n'a pas remis les fichiers des abonnés de la dernière période de facturation, ce qui a empêché de facto la procédure de transmission à l'ordonnateur pour recouvrement, puis l'admission en non-valeur.
Près de 340 000 euros de recettes n'étaient pas tracés au moment du départ de Veolia. Dans son dernier rapport, Veolia estime que la consommation non facturée s'élève à 370 000 mètres cube. Si l'on considère qu'il s'agit de consommateurs de 120 mètres cube par an, cela représente 4 750 abonnés, soit un manque à gagner de près de 900 000 euros par an.
Veolia n'a pas fourni ces fichiers à jour. Était-ce volontaire ou dû à un manque d'organisation ?
Il faudra poser la question à Veolia.
Veolia accuse les collectivités organisatrices d'avoir refusé de réaliser les investissements nécessaires dans les réseaux. Qu'en pensez-vous ?
Je ne pense pas que les élus en charge de l'eau aient refusé de réaliser des investissements.
L'exploitation de Veolia n'étant pas optimale, les entrées d'argent ont été moins importantes que la facturation. Par conséquent, les collectivités se sont trouvées dans l'incapacité de mener des travaux majeurs d'investissement.
Veolia accuse également certains élus d'avoir appelé à ne pas payer les factures d'eau, dégradant son taux de recouvrement. Est-ce avéré ?
En tant qu'élue, j'ai eu de tels échos. Si cela était vrai, seule la commune de Capesterre-Belle-Eau serait concernée. On ne peut donc pas alléguer cet argument pour affirmer que les élus appellent à ne pas payer l'eau.
En revanche, les collectifs d'usagers, devant le manque de service public et l'absence de distribution d'eau, ont appelé les usagers à ne pas payer leurs factures, d'autant plus que les facturations n'étaient pas sûres. De nombreux compteurs étant bloqués, personne ne savait sur quelle base était calculée la consommation d'un usager.
Par ailleurs, en l'absence de relation clientèle, on pouvait rester un an sans recevoir de facture, puis en recevoir une de plusieurs milliers d'euros d'un seul coup.
Le préfet Richard Samuel travaille actuellement avec les opérateurs afin que ceux-ci abandonnent les facturations aberrantes dont la justification ne peut être prouvée.
Le fait que le service public ait été défaillant doit pouvoir profiter à l'usager. Il faut éliminer toutes les factures aberrantes, qui ne seront pas payées de toute manière.
Vous avez évoqué la situation de Capesterre-Belle-Eau. De quelle mandature municipale s'agissait-il ? Quelle était la justification de ces élus ?
Je préfère ne pas communiquer de noms. Capesterre-Belle-Eau constitue un paradoxe : c'est l'endroit où la production d'eau est la plus importante, et son périmètre est aussi celui qui présente le plus de fuites.
Les fuites qui ont lieu en amont ont une répercussion sur l'ensemble de la conduite. Des tours d'eau ont été mises en place pour que les habitants de Capesterre-Belle-Eau puissent disposer d'un peu d'eau.
Les Capesterriens ont ressenti un sentiment d'injustice profond lié au fait que l'eau provenait de chez eux et qu'ils s'en retrouvaient privés la plupart du temps.
Les gros travaux que nous menons actuellement se déclinent en plusieurs étapes. Tout d'abord, nous avons réparé les canalisations, dans des secteurs particulièrement sensibles. De plus, nous construisons trois réservoirs qui auront pour objectif de maintenir la pression à l'intérieur du bec, afin que le débit permette d'alimenter les communes en aval.
En période de sécheresse, lorsque le volume d'eau baisse dans les rivières, la pression diminue. En aval, en ce moment, la situation est catastrophique ; les gens peuvent se retrouver deux ou trois jours sans eau.
De plus, nous réalisons un troisième travail sur le secteur de Sainte-Marie, qui enregistre près de 80 % de fuites d'eau. Nous effectuons des travaux de réparation des canalisations.
Parallèlement, nous menons des travaux de réparation de fuites, pour un montant de 4,3 millions d'euros, avec le prestataire Karuker'Ô. Ainsi, nous pourrons rétablir la pression afin que l'eau parvienne en aval. Nous travaillons sur les secteurs de Capesterre, de Petit-Bourg, des Grands fonds du Gosier et de Saint-François.
Enfin, nous sommes venus au secours du SIAEAG sur l'usine d'Espérance, qui dessert Saint-François. Deux des quatre pompes sont tombées en panne. Le SIAEAG nous a demandé de réparer la troisième pompe pour pouvoir soulager les deux pompes en état de marche.
En plus de la somme de 72 millions d'euros qui est actée dans le plan d'action prioritaire, nous sommes sollicités en permanence par les collectivités qui ne parviennent pas à faire face, et nous répondons en permanence à l'urgence.
André, quel est le montant des réparations que nous allons mener sur le site d'Espérance ?
Madame la présidente, vous avez évoqué le chantage de Veolia, qui a exigé 14 millions d'euros, auxquels la région a contribué à hauteur d'un million d'euros.
Vous avez affirmé que l'État était diligent à inciter les collectivités à céder à la demande de Veolia. Comment cela s'est-il concrétisé, et pourquoi ?
En raison du contexte, tout le monde avait intérêt que les agents du SIAEAG ne déclenchent pas une grève illimitée liée à l'eau.
La pression exercée par les agents sur les élus pour obtenir davantage de visibilité sur leur réinsertion chez les opérateurs existants a incité l'État à trouver des solutions au départ de Veolia.
La diligence de l'État portait sur le fait que tous les élus s'accordent sur les conditions de départ de Veolia.
Non. Les contrats proposés par Veolia au sortir de la crise ne sont absolument pas favorables aux collectivités et aux usagers de la Guadeloupe.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à notre commission. Je vous invite à nous transmettre les réponses écrites au questionnaire qui vous a été envoyé.
L'audition s'achève à dix-huit heures neuf.