La réunion débute à seize heures quinze.
Nous accueillons Mmes Ivane Squelbut et Pascale Gérard. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mmes Ivane Squelbut et Pascale Gérard prêtent serment.
En préambule, je préciserai que les ressortissants de l'Union Européenne, de l'espace économique européen, de la Suisse, de Monaco, d'Andorre et de Saint-Marin peuvent s'inscrire à Pôle Emploi sans titre de séjour. Les étrangers primo-arrivants en situation régulière vis-à-vis du droit au séjour et signataires d'un CIR (contrat d'insertion républicaine) auprès de l'OFII peuvent s'inscrire à Pôle Emploi s'ils sont titulaires de l'un des 20 documents et titres de séjour relatifs au Code du Travail. Pour ces personnes, l'inscription est limitée à la durée de leur titre de séjour. Je rappelle également qu'une personne qui n'est pas inscrite à Pôle Emploi peut tout de même créer un espace candidat et donc avoir accès aux offres d'emplois sans condition.
Sur environ 180 000 personnes qui arrivent chaque année en France, 107 000 sont inscrites dans la démarche de signature d'un CIR, avec 53 % d'entre elles dans une optique de regroupement familial, 27 % qui sont demandeurs d'asile et 13 % qui viennent en France pour des motifs économiques. Il s'agit majoritairement d'hommes âgés entre 26 et 45 ans, qui ont un niveau d'études secondaires ou qui sont sans diplôme, et qui sont issus de pays d'Afrique, de zones tampons ou de zones de guerre. 80 % des personnes inscrites indiquent vouloir exercer une activité professionnelle en France à court et moyen termes, et 50 % souhaitent pouvoir être accompagnées par une structure du service public de l'emploi (SPE).
Au niveau linguistique, 50 % des personnes signataires d'un CIR ont une maîtrise du français inférieure au niveau minimal (A1). En plus des aspects de langue, d'autres freins existent : ils concernent le logement, la santé, la garde d'enfants, la mobilité et la fracture numérique.
Pour faire en sorte de mieux accompagner ces publics, un nouvel accord-cadre national a été signé en mars 2021 entre l'État, Pôle Emploi et l'OFII. Pour la première fois, d'autres opérateurs y ont été associés, à savoir les missions locales, l'APEC et le CHEOPS (soit le réseau des Cap Emploi). Les points sur lesquels nous souhaitons travailler avec ce nouvel accord-cadre sont les suivants :
– l'amélioration de l'échange des données entre les acteurs mentionnés pour avoir un regard plus fin sur le parcours des signataires d'un CIR. Ces données concerneraient le statut en tant que migrant, le niveau de langue et le secteur d'activité visé pour un emploi. Cet échange devrait être automatique à compter du premier semestre 2022.
– la facilitation de l'accès à l'inscription à Pôle Emploi. Plusieurs expérimentations sont en cours à ce sujet.
– l'accompagnement de ces publics et l'identification de leurs besoins. En juillet, un lab de deux jours a été organisé à ce titre en y associant des migrants. Un autre lab se tiendra en fin d'année pour travailler sur les besoins des entreprises positionnées sur des métiers en tension.
Sur les quatre jours préalables à la signature d'un CIR au niveau de l'OFII, le dernier permet d'informer les publics concernés sur le marché de l'emploi. Des travaux ont été engagés pour faire en sorte de mieux former les personnels de l'OFII sur ces sujets. Des guides pratiques sur les missions respectives de l'OFII et de Pôle Emploi ont été diffusés dans les deux réseaux pour une meilleure connaissance mutuelle dans l'intérêt de ces publics (qui ont des statuts multiples et complexes).
Au niveau de Pôle Emploi, l'enjeu principal est de permettre une intégration durable et une autonomie de ces publics sur le marché du travail. De ce point de vue, la maîtrise de la langue apparaît comme un élément crucial. Il serait souhaitable qu'une majorité de signataires d'un CIR ait au moins un niveau B1.
Le travail de l'AFPA en direction des migrants et des réfugiés a réellement commencé il y a cinq ans environ, à un moment où le ministère de l'Intérieur cherchait cruellement des chambres pour une mise à l'abri des personnes du Calaisis. L'AFPA, disposait alors de 1 200 chambres vacantes et je me suis rendue au ministère de l'Intérieur pour l'en informer. Dans un premier temps, nous avons donc accueilli un bon millier de migrants dans des centres AFPA. Comme notre cœur de métier est la formation (et non l'hébergement), le président de l'AFPA a souhaité qu'un parcours intégré complet – c'est-à-dire comprenant un accompagnement administratif et de santé – soit construit à destination de ces personnes. Nous avons présenté ce projet à différents ministères, avec une validation qui était forcément compliquée par ce caractère interministériel. J'ai alors été contactée directement par les préfets d'Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais – qui étaient intéressés par la démarche – et nous avons démarré un projet sur fonds privés dans un premier temps avec 100 personnes sur chacun de ces deux territoires. Les préfets procédaient à de l'activation de dépenses passives uniquement pour financer l'hébergement et la restauration. L'OPCA du travail temporaire a été le premier à nous avoir suivis pour le financement de ces parcours longs. Depuis, le programme a pris son envol et nous avons près de 100 % des personnes – très majoritairement des hommes – qui obtiennent une qualification et apprennent un français à visée professionnelle. Certains ont même appris à lire et écrire.
Après l'expérimentation menée sur ces deux territoires, un comité interministériel a décidé de l'élargir et de passer à 500 personnes prises en charge dans le cadre de ce programme. Suite à la publication du rapport Taché en 2018, un autre comité interministériel a permis d'inscrire dans le droit commun le programme HOPE (pour « Hébergement, orientation et parcours vers l'emploi ») ainsi qu'un dispositif de VAE pour les primo-arrivants. En outre, une certification de FLE (français langue étrangère) à visée professionnelle devrait être inscrite au répertoire complémentaire dans les jours à venir.
HOPE est un parcours sur la durée qui vise à répondre à deux types de difficultés : celles des entreprises à recruter et celles des réfugiés à entrer dans le droit commun de la formation. L'idée était donc de permettre à ces derniers d'accéder à des formations qualifiantes et de faciliter leur intégration dans l'emploi, sachant que les OPCO et leurs entreprises adhérentes sont associés dès le départ (après la réalisation d'informations collectives sur les territoires). Au préalable, il a fallu faire quantifier aux OPCA – à l'époque – leurs besoins de compétences par métier et par territoire. Sur toute la durée du parcours HOPE, les personnes sont hébergées et nourries. Elles bénéficient d'un accompagnement social et professionnel pour entre autres répondre à des difficultés administratives (par rapport à un changement de département ou un renouvellement de titre de séjour par exemple). Dans un premier temps, elles ont droit à 400 heures de cours de français à visée professionnelle avec trois domaines distincts : l'industrie, les services et le BTP. C'est une manière de donner du sens à l'apprentissage de la langue et de rendre les personnes plus opérationnelles. Dans un second temps, ces dernières sont en alternance pendant quatre à quatorze mois en fonction des demandes des entreprises et des titres professionnels qu'elles souhaitent que les personnes obtiennent dans la perspective d'une embauche. L'alternance se fait à 50 % en cours et à 50 % en entreprise. Avec HOPE, nous avons réussi à mobiliser plusieurs ministères (malgré des difficultés au démarrage), des services publics (comme l'OFII) et des secteurs professionnels. La gouvernance est assez serrée puisque nous avons à la fois des comités de pilotage nationaux et des comités nationaux interrégionaux (avec des services déconcentrés des régions en plus de représentants de l'AFPA et de Pôle Emploi).
À ce jour, plus de 3 000 personnes sont sorties du dispositif HOPE et 81 centres AFPA sont mobilisés sur 12 régions. Comme je l'indiquais, ce sont les entreprises qui expriment des besoins en termes de titres professionnels à obtenir. Dans HOPE, 33 métiers sont plébiscités (sur un total d'environ 300 au niveau de l'AFPA), avec la répartition suivante : 55 % dans le BTP, 28 % dans les services (domaine qui englobe le commerce et la sécurité) et 17 % dans l'industrie. Nous comptons désormais 440 entreprises qui participent au dispositif, et il est intéressant de noter que ces partenariats sont généralement durables. Depuis que le parcours a été lancé, nous n'avons pas eu d'abandon. Les arrêts sont en nombre très réduit et sont très souvent liés à des problèmes médicaux ou psychiatriques. Près de 86 % des personnes ont obtenu leur qualification jusqu'à présent (ce qui est un niveau bien supérieur aux parcours de droit commun) et 73 % des stagiaires sont en emploi à la fin de leur formation. À un horizon, ce taux a tendance à être supérieur. Enfin, 86 % sortent de leur formation avec un logement pérenne.
Je peux entendre ici ou là qu'HOPE coûte cher (environ 20 000 euros par personne). Pour autant, ce dispositif coûte assez peu cher à l'État : le ministère de l'Intérieur paye uniquement ce qu'il paierait dans le DNA pour l'hébergement des personnes, et le ministère du Travail finance l'accompagnement à l'insertion professionnelle. Le restant du financement est assuré par les entreprises et les OPCO.
Je souhaitais vous parler de l'expérimentation « 1 000 VAE pour l'emploi des primo-arrivants ». Nous sommes partis du principe que nous avions dans cette population des personnes qui avaient travaillé dans leur pays d'origine, mais qu'elles peuvent avoir des difficultés à produire des justificatifs de l'exercice d'un métier. Dans le cadre d'une loi permettant de mener des expérimentations, le ministère du Travail a demandé à l'AFPA de lancer un tel dispositif. Nous faisons office de tiers de confiance pour vérifier que les personnes disposent d'au moins un an d'expérience professionnelle en les mettant en situation de travail en présence de formateurs experts. Cette première étape permet de vérifier la recevabilité du dossier vis-à-vis des DREETS. En parallèle, nous avons la possibilité de sanctionner positivement un bloc de compétences en VAE, ce qui donne de l'employabilité et une reconnaissance aux personnes. Le lancement de cette expérimentation avait été validé dans le cadre d'un comité interministériel en 2018 mais il a pris du temps. Par conséquent, elle n'a vraiment débuté qu'en toute fin d'année 2020. Il apparaît que le sourcing des personnes pose quelques difficultés, sachant que les primo-arrivants sont généralement en logements diffus. Nous travaillons donc avec les services de la CAF ou avec des associations de quartiers, et nous avons diffusé des flyers avec un message relativement simple (du type « Si vous avez travaillé dans votre pays d'origine, vous pouvez obtenir un diplôme en France »). La semaine dernière, une première personne a obtenu un titre professionnel complet de la part du ministère du Travail (avec une dérogation liée au fait que l'AFPA agit en tant que tiers de confiance). De plus, des dossiers sont en cours de constitution pour une centaine de personnes en vue d'une mise à l'emploi rapide puisque le parcours dure sept mois (période pendant laquelle les personnes ont la possibilité de travailler par ailleurs). Cette expérimentation est censée prendre fin en décembre de cette année, mais il me semble que l'État compte la prolonger. Elle pourrait d'ailleurs rentrer dans le droit commun et le cas échéant être élargie à des personnes agissant dans l'économie parallèle (en plus des réfugiés et des primo-arrivants).
Je terminerai mon intervention en abordant brièvement le dispositif « Une voie vers l'emploi ». Il a été lancé il y a près de quatre ans dans le cadre du FAMI (le fonds asile migration intégration). Il s'adresse aux primo-arrivants et plus spécifiquement à des femmes venant en France dans le cadre d'un regroupement familial. Dans ce cadre, les personnes peuvent bénéficier d'une mise à niveau en français, découvrir des métiers sur site et être aidées dans la construction d'un projet professionnel. Contrairement à HOPE (qui se déroule à un rythme de 35 heures par semaine), nous avons choisi de lancer cette formation à mi-temps car les femmes peuvent avoir des contraintes de garde d'enfants. Dans le cadre de ce même projet, nous avons proposé de mettre en place une formation à destination des professionnels du travail social qui œuvrent dans des structures d'hébergement ou au sein de l'OFII pour leur apporter une qualification en insertion professionnelle (avec un financement sur ce même fonds européen).
Merci d'avoir répondu à un grand nombre des questions que nous vous avions posées en amont de cette audition, que ce soit sur le travail au niveau interministériel, sur les programmes en cours ou sur les difficultés qui peuvent être rencontrées. Pouvez-vous nous parler des problématiques qui peuvent se poser du point de vue de la dématérialisation ou des relations entre différents acteurs (la CPAM ou les services des préfectures entre autres) ? Lorsque nous nous rendons sur le terrain, nous avons parfois l'impression d'avoir affaire à un millefeuille et il m'a fallu du temps pour comprendre le « Qui fait quoi ? » (entre Pôle Emploi, l'AFPA, les CMA ou les MEF). Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cette cartographie ? Je sais que sur mon territoire de Cherbourg la MEF est assez conséquente en termes d'effectif et de moyens d'action, mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas partout.
Je souhaiterais également vous entendre sur les aspects qualitatifs des formations linguistiques qui peuvent être déployées. Au niveau de cette commission, nous sommes en tout cas ravis de vous entendre parler avec franchise.
Je souhaitais savoir si Pôle Emploi disposait en son sein d'interprètes.
Sur environ 100 000 personnes signant un CIR chaque année, combien accèdent à un emploi ?
Concernant plus particulièrement l'AFPA, je suis très intéressée par l'expérimentation dans le domaine de la VAE mais je serais preneuse d'informations sur le nombre de bénéficiaires et le nombre de personnes qui ont accédé à un emploi. Je suis en tout cas prête à porter cette expérimentation sur mon territoire ou par la voie législative.
Je souhaitais savoir si les personnels de Pôle Emploi bénéficiaient de formations particulières pour évaluer le niveau linguistique et connaître des aspects culturels sur les pays des personnes étrangères.
Lorsque nous avons lancé le lab, l'importance de la langue est ressortie comme un besoin prioritaire pour ces personnes, avant les questions d'appui dans les démarches administratives et l'accompagnement pour des personnes dont la santé physique ou psychique est en question. Les aspects financiers entrent également en ligne de compte, car les personnes peuvent être conscientes de la nécessité d'apprendre la langue pour développer leur employabilité tout en se demandant comment le faire sans rémunération immédiate.
La question de la complexité de la cartographie des acteurs et structures qui peuvent être sollicités est pertinente. Nous essayons d'améliorer la visibilité pour les personnes grâce à une connexion entre les services de l'OFII et ceux de Pôle Emploi ou des missions locales qui prennent le relais sur les aspects d'insertion professionnelle. Au niveau de Pôle Emploi, ces personnes sont en grande majorité accompagnées de manière renforcée. Nous avons en notre sein des collègues qui peuvent intervenir de manière plus pointue auprès des populations migrantes. Nous faisons néanmoins en sorte de déployer des formations sur ces sujets dans la continuité et de développer la connaissance de nos personnels sur les évolutions en termes de titres de séjour (notamment pour anticiper de possibles ruptures de parcours au sein de Pôle Emploi).
Pour répondre plus concrètement à votre question sur la cartographie, Pôle Emploi prend en charge l'inscription des personnes et leur accompagnement pour bénéficier de l'offre de services au niveau professionnel. Les missions locales assurent sensiblement les mêmes rôles pour les personnes de moins de 26 ans. Il revient à tous nos services de faire en sorte que la cartographie soit relativement simple pour les personnes accompagnées. Les conseils régionaux pilotent toutes les questions d'accès à la formation. Nous travaillons avec eux pour évaluer – entre autres – les besoins de formation en français, français langue étrangère (FLE) et en FLE professionnel (ce que nous essayons de développer dans le cadre du programme). Les conseils régionaux sont en tête de file sur ces aspects de formation, les programmes étant sur tous les territoires construits en complémentarité. Avec les départements, nous travaillons davantage pour les publics au RSA, ce qui ne concerne généralement pas – ou pas directement du moins – les personnes qui arrivent sur le territoire français. Le fait que les services de Pôle Emploi soient déconcentrés permet de construire localement des partenariats avec des acteurs ou des structures comme les maisons de l'emploi et de la formation. Au sein de Pôle Emploi, chaque agence et chaque département dispose d'un budget qui peut être mobilisé pour venir en complément de l'offre de service nationale.
Nous ne disposons pas d'interprètes dans les services de Pôle Emploi. Depuis janvier 2021, un test est en cours sur l'Ile-de-France, l'Occitanie et l'Aquitaine autour d'un outil d'intelligence artificielle permettant à une personne de pouvoir avoir accès à des informations dans 126 langues à l'écrit et dans onze langues parlées. Les conseillers de Pôle Emploi ont été formés à l'utilisation de cet outil. Le test se terminera en fin d'année et il entre dans le cadre des initiatives destinées à faciliter l'accès à Pôle Emploi pour ces publics. Pour l'accompagnement dans leur parcours, il est certain que les personnes ne pourront pas avoir un interprète en permanence à leurs côtés, d'où la nécessité d'intensifier les efforts en faveur de l'acquisition de la langue pour leur permettre d'augmenter leur autonomie.
Sur l'insertion à l'emploi, l'accès statistique est à parfaire. D'après un croisement de l'OFII et de Pôle Emploi, le taux d'insertion serait de 9 %. Nous avons un enjeu de mise en commun des systèmes d'informations pour pouvoir mieux suivre le parcours des personnes mais aussi pour voir quelles briques de parcours ont pu leur permettre de s'insérer sur le marché de l'emploi.
Pour aller dans le sens de ma collègue sur la question du millefeuille, une montre est très compliquée à fabriquer mais assez simple d'utilisation. L'idée doit être la même pour les programmes que nous mettons en œuvre.
En plus de la formation, les régions ont une compétence pleine et entière en ce qui concerne la gestion des réfugiés. Pour autant, je n'en connais aucune qui se soit saisie à bras-le-corps de cette compétence. C'est regrettable quand on voit que le taux d'insertion à l'emploi est de l'ordre de 90 % pour des personnes qui ont bénéficié d'un accompagnement social et de formations. Sur les formations FLE, Pôle Emploi se substitue dans un certain nombre de cas aux régions alors que celles-ci ont touché une dotation de décentralisation. Nous avons là un sujet d'arbitrage par rapport à des compétences qui pourraient peut-être rester ou redevenir régaliennes ; celle afférente à la gestion des réfugiés en fait partie.
Dans des structures d'hébergement, il m'est arrivé de rencontrer des personnes qui avaient signé leur CIR depuis deux ou trois ans sans que rien ne se passe vraiment pour eux depuis. C'est de nature à faire qu'elles soient désabusées, découragées, voire pour certaines en colère. En effet, le titre de séjour était pour elles une forme de sésame. Partant de là, il semble vraiment nécessaire de ne pas « lâcher » ces personnes après la signature du CIR et il faut leur donner des perspectives de formation ou d'insertion professionnelle.
Les démarches administratives représentent un frein majeur à leur intégration. Dans le cadre de HOP, nous avons pu financer un équivalent temps plein par cohorte de douze personnes pour gérer les problématiques administratives voire de santé de celles-ci. Il s'agit là d'un vecteur de non-rupture.
Pour revenir sur les questions de la langue, nous avons choisi – au niveau de l'AFPA – de traduire nos documents dans la plupart des langues des personnes accueillies. Il est important de veiller à cette traduction puisqu'elles sont amenées à signer des contrats sur cette base (que ce soit pour la mise à disposition d'un hébergement pour les parcours de formation).
Comme vous l'avez suggéré, il semble important les professionnels de Pôle Emploi et de l'AFPA à l'interculturalité car ils sont amenés à accueillir des personnes dont ils ne connaissent rien, ce qui n'est pas évident à gérer dans un sens comme dans l'autre. Ces formations peuvent notamment permettre de déconstruire des représentations. À l'AFPA, nous faisons déjà intervenir des associations travaillant dans le champ de l'interculturalité, d'autant que certaines d'entre elles abordent aussi les sujets des troubles psychiques liés aux migrations. Ces interventions – qui peuvent se faire de manière collective ou individuelle – participent à éviter des ruptures dans les parcours.
Merci. Vous avez évoqué précédemment des difficultés à travailler avec l'OFII pour le montage de dispositifs. Qu'en est-il précisément ?
Nous travaillons de mieux en mieux avec l'OFII, mais force est de constater que nous ne nous connaissions pas du tout au départ (de la même manière que les relations entre les ministères de l'Intérieur et du Travail étaient assez limitées sur ces sujets). Les comités de pilotage qui ont été créés ont permis des améliorations notables, étant entendu que l'orientation professionnelle n'est pas le cœur de métier de l'OFII. Pour moi, il est fondamental d'organiser un entretien d'orientation post-signature du CIR. Comme le rapport Taché le préconisait, nous sommes évidemment favorables au fait que ces entretiens soient réalisés par des orientateurs professionnels de manière à pouvoir construire une trajectoire métier pour ces personnes.
Pour aller dans votre sens, les diverses auditions réalisées par cette commission semblent pointer une certaine incapacité des ministères à travailler ensemble. À titre personnel, je suis convaincue que le fait que l'immigration soit sous l'égide du ministère de l'Intérieur depuis 2007 ne sert pas la prise en charge des personnes migrantes sous les angles de la santé, de la formation et de l'insertion professionnelle. Chacun son métier, comme vous l'avez bien expliqué et il va de soi que l'accompagnement de ces personnes ne doit pas se limiter au volet administratif.
Au-delà des aspects administratifs et linguistiques, nous devons peut-être réfléchir à l'intensité d'accompagnement dont ont besoin les personnes qui arrivent en France pour éviter qu'elles ne soient « lâchées » et pour faire en sorte qu'elles soient sécurisées financièrement et du point de vue du logement. Des choix différents ont pu être faits dans d'autres pays européens. Certains rendent obligatoire un parcours intensif, celui-ci étant rémunéré mais comportant des engagements pour les personnes (ce qui permet d'éviter des ruptures de parcours d'intégration).
Nous achevons là nos auditions pour ce jour. Nous continuerons d'évoquer les sujets d'emploi demain puisque nous recevrons Mme Marie-Béatrice Levaux, la présidente de la fédération des particuliers employeurs. Il faut savoir que lors de son congrès annuel qui s'est tenu très récemment, la Fepem a consacré une journée à la question des migrations, avec une vraie volonté de mener localement des expérimentations. L'idée générale est que le travail constitue un vecteur d'intégration des personnes migrantes.
La séance s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.