Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Réunion du jeudi 9 septembre 2021 à 10h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CROUS
  • logement
  • préfecture
  • scolarité
  • séjour
  • sénégalais
  • universitaire
  • université

La réunion

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La réunion débute à dix heures quinze.

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Nous accueillons M. Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF).

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Cheikh Mbacké Toure prête serment.)

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer au nom de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France sur le sujet de l'accueil des étudiants étrangers en France. Cette fédération regroupe plus de trente associations menant une action commune sur l'accompagnement de ces étudiants et stagiaires, qui sont présents dans toutes les régions françaises.

Je tiens à remercier la France, cette république qui nous accueille, nous permet de recevoir un enseignement de qualité et de vivre dans le respect des droits économiques en nous donnant accès à la sécurité sociale et aux aides au logement.

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Je vous remercie pour cette introduction. On reconnaît votre qualité d'excellent étudiant au fait que vous nous avez fait parvenir par écrit vos réponses à nos questions. Pourriez-vous nous en présenter oralement quelques aspects, notamment sur le bilan de la politique menée en matière d'accueil des étudiants étrangers et sur l'attractivité de la France auprès de ceux-ci ? Quels sujets les députés doivent-ils absolument connaître, qu'il s'agisse de points positifs ou d'expériences négatives ? Le rôle de notre commission d'enquête est en effet d'essayer d'améliorer la situation des étudiants étrangers.

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

La stratégie « Bienvenue en France » n'a pas réellement renforcé la qualité de l'accueil des étudiants étrangers ; c'est même plutôt l'inverse, comme l'ancien Premier ministre Édouard Philippe l'a reconnu. L'augmentation des frais de scolarité dans certaines universités constitue en effet un élément de discrimination : toute personne a droit à un enseignement de qualité, quel que soit le niveau de ses revenus. C'est un point important pour nous.

Les formalités liées aux titres de séjour sont un autre sujet de préoccupation. Les étudiants arrivent en France avec un visa : pour valider leur titre de séjour, ils doivent se rendre dans les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Cette étape obligatoire est chronophage et oblige à rater des cours : il faut prendre rendez-vous, patienter pendant quatre heures alors qu'un horaire vous a été fixé, dans le seul but de faire valider un document officiel qui a été remis par une institution française – ambassade ou consulat.

Le renouvellement du titre de séjour est tout aussi compliqué que la validation du visa. Les étudiants sont tenus de respecter un certain nombre d'obligations administratives et de fournir des documents, ce qui génère des lourdeurs et leur fait perdre du temps. De plus, ils sont souvent mal accueillis. Quand un agent de l'administration vous reçoit pour la première fois, le minimum que l'on puisse attendre est de recevoir un accueil bienveillant, et non malveillant ou condescendant, comme nous le signalent la plupart des étudiants. On pourrait améliorer la qualité de l'accueil par la formation des agents, afin de les préparer à la communication non verbale, par exemple.

Avec la dématérialisation du processus de renouvellement des titres de séjour, les étudiants, partout en France, quelle que soit leur région ou leur université, peuvent renouveler leur titre de séjour en ligne. Quand ils remplissent les conditions et les étapes obligatoires, ils reçoivent un accusé de réception du serveur attestant que le dossier a bien été reçu et sera traité. Sur le plan juridique, cet accusé de réception ne vaut pas un document autorisant les étudiants à vivre et à circuler sur le territoire français. Quand le processus de dépôt était physique, les étudiants disposaient d'un récépissé leur assurant les mêmes droits qu'un titre de séjour. À défaut d'un tel récépissé, ils ne peuvent pas s'inscrire dans une université ; ils ne peuvent pas travailler, alors que les jobs d'étudiants leur permettent, en complément des efforts que font leurs parents dans leur pays, de vivre décemment en France, sans avoir à toquer à la porte de la caisse d'allocations familiales (CAF).

Le renouvellement du titre de séjour est vraiment l'une des étapes les plus difficiles de la vie d'un étudiant étranger en France. Je peux en attester : alors que mon master à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris a officiellement pris fin le 28 août 2021, mon alternance ne se terminera que le 10 septembre. Entre ces deux dates, juridiquement, je n'entre dans aucune catégorie. J'ai donc été obligé de me rendre à la préfecture de police de la cité universitaire, qui m'a remis un récépissé provisoire me permettant de prolonger mon titre de séjour de trois mois, le temps pour moi de finir mon alternance et de revenir vers eux pour faire une demande de renouvellement. Et j'ose dire que j'ai eu de la chance car tous les étudiants ne bénéficient pas d'un accès aussi facile à des services de préfecture. La préfecture de police de la cité universitaire est en effet gérée par la police, et non par des agents des préfectures, et ne traite en outre que de dossiers d'étudiants, ce qui facilite la procédure.

L'attractivité de la France auprès des étudiants étrangers tient à la qualité de l'enseignement et à son cadre de vie agréable et sécurisé ; nous remercions la France pour cela.

L'octroi des visas se fait en deux étapes. La première consiste en la validation de la procédure administrative et pédagogique, gérée intégralement par Campus France et les universités, lesquelles sont autonomes dans la détermination des conditions qu'elles fixent aux étudiants. Cette étape est chronophage : l'étudiant doit déposer son dossier au plus tard en février et avoir un entretien avec les référents Campus France présents dans le pays d'origine. Ensuite, le dossier est validé et envoyé dans les universités, où il est étudié par le responsable pédagogique, qui le valide et formule une réponse. Le fait d'obtenir une réponse dans un délai raisonnable permettrait à ceux dont la demande est acceptée – la plupart des dossiers sont refusés, les universités étant libres de leur choix – d'arriver à temps pour le début des cours. En effet, alors que la réponse est censée parvenir en mai, les étudiants ne la reçoivent le plus souvent que mi ou fin juillet.

La deuxième étape consiste à déposer une demande de visa auprès des services de l'ambassade ou du consulat. Cette mission est déléguée à un prestataire, VFS. Obtenir un rendez-vous nécessite du temps : il m'est arrivé de passer des nuits blanches à attendre un désistement pour pouvoir déposer une demande de rendez-vous. Le délai raisonnable pour l'obtenir est censé être de dix jours ; or cela peut aller jusqu'à vingt jours et, quand la réponse est négative, les motifs ne sont pas très explicites. La lourdeur de la procédure, la non-conformité d'un document ou encore le décalage avec le calendrier universitaire ou académique du pays d'origine – c'est le cas au Sénégal – peuvent retarder un étudiant. Une amélioration de cette étape serait souhaitable.

Quand l'étudiant arrive en retard, il peut formuler une demande de dérogation à l'université, mais celle-ci peut la refuser. L'étudiant ne pourra alors pas s'inscrire à l'université, courant le risque de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) au motif qu'il n'aura pas respecté l'obligation de suivre des cours, alors même que cela n'est pas volontaire. Il sera obligé de se présenter à nouveau en préfecture pour pouvoir continuer son cursus.

Les frais demandés – 115 euros pour Campus France et 115 euros de frais de visa – sont élevés compte tenu du pouvoir d'achat des étudiants et de leur famille dans leur pays d'origine. C'est une chose que l'on peut revoir. Même si nous saluons la démarche de cette commission, les députés ne sont pas ceux qui connaissent le mieux la réalité du terrain. Les assistantes sociales dans les universités et les services sociaux en France ont la meilleure perception des difficultés sociales et financières des étudiants.

Dans le cadre de la stratégie « Bienvenue en France », le Premier ministre avait promis des bourses, que nous attendons encore. Nous souhaitons que ce dispositif entre en vigueur car il faut aller au-delà des mots et mener des actions concrètes.

Les cours de langue sont très importants pour aider les étudiants non francophones, et même les étudiants francophones venant d'horizons différents, qui peuvent ainsi échanger dans notre langue dans un cadre international.

Les étudiants étrangers sont victimes de discriminations dans l'accès au logement. Celui-ci est géré, d'une part, par un opérateur public, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) et, d'autre part, par des bailleurs privés. Pour déposer une demande de logement dans un CROUS, il faut présenter le dossier social de l'étudiant (DSE), lequel ne peut être obtenu sans le numéro Identifiant national étudiant (INE), donné par l'université au moment de l'inscription. La première année, les universités donnent un numéro INE provisoire ; l'obtenir peut prendre jusqu'à six mois. Cela signifie que l'on ne peut pas déposer un dossier complet en première année. De plus, même au niveau du master 2, on obtient rarement une réponse, ou alors négative. Des améliorations peuvent donc être apportées à ce stade.

Les bailleurs privés sont tout aussi exigeants que le CROUS. Si les garanties sont nécessaires et obligatoires – nous n'en disconvenons pas –, nous sommes souvent confrontés à des discriminations et à des refus, alors même que nous respectons toutes les formalités requises par les bailleurs. Vous aurez beau vous présenter au rendez-vous avec tous les documents demandés, quand vous rappelez pour savoir où en est l'attribution du logement, le bailleur vous répondra qu'il n'est plus disponible. Or, si vous vérifiez deux jours plus tard sur le dispositif où vous avez trouvé l'annonce, le logement sera toujours disponible. Un membre de notre bureau a même vécu cette expérience à trois reprises. C'est déplorable dans un pays qui prône l'égalité, la fraternité et surtout le respect.

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Il y a des racistes en France – vous ne le découvrez pas ! –, comme il y en a en Afrique, dans les pays arabes et ailleurs. Nous allons regarder de près cette question d'INE provisoire – vous avez bien fait de nous le signaler – mais je ne peux pas vous laisser dire qu'il y a un racisme d'État. Il y a vingt ans, je me trouvais exactement dans votre situation ; j'ai connu la discrimination au logement. Mais, contrairement à ce que vous pensez, nombre de députés ont connu beaucoup de difficultés, et toutes les personnes nées en France ne sont pas nées avec une cuiller en or dans la bouche. Je tenais à apporter cette nuance par égard pour nos collègues car je reçois beaucoup de messages me disant : « On n'aimerait pas se faire insulter chez nous. »

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

L'objectif n'est pas d'insulter qui que ce soit. Toutefois, ayant prêté serment devant cette assemblée, je suis tenu de dire la vérité. Je n'ai pas dit que la France ou son administration était raciste – ce serait insulter les Français ! Le racisme existe dans tous les pays. Mais quand l'occasion nous est donnée de nous exprimer, nous n'allons pas parfumer la salle et nous contenter de distribuer des bouquets de fleurs.

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Je ne m'énerve pas ! L'objectif, c'est de dire la vérité.

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Vous êtes étudiant à l'IEP : vous y avez appris le sens de la nuance. Vous savez donc qu'il y a une différence entre « dire la vérité » et dire ce que l'on pense être la vérité. Si je comprends vos propos – il n'est pas question de dire que l'on ne compatit pas avec vous –, je ne peux pas vous laisser affirmer, comme vous l'avez écrit dans votre dossier, que le CROUS est raciste.

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Je ne sais pas où, dans le document, j'ai écrit une telle chose : je ne parle pas de racisme mais de discrimination. Nous pouvons travailler ensemble à l'amélioration de l'accueil des étudiants étrangers en France. C'est une question d'actualité, une question sociale à laquelle toutes les personnes de cette communauté sont confrontées, y compris les étudiants.

Concernant la proportion d'étudiants étrangers aspirant à travailler en France, l'insertion est plutôt correcte et soumise à des formalités administratives que les étudiants respectent.

S'agissant de la stratégie « Bienvenue en France », outre les raisons déjà évoquées, nous tenons à souligner l'incohérence notoire de ce dispositif, qui va très loin. Ainsi, quand une entreprise veut embaucher un étudiant et doit choisir entre deux CV équivalents, elle regarde ce que l'étudiant va lui coûter. Or, quand l'étudiant étranger coûte 3 000 ou 4 000 euros de plus que l'étudiant français ou européen, c'est problématique.

En conclusion, ma première recommandation serait de former les personnes accueillant les étudiants, que cela soit à la préfecture, dans les services des OFII et dans les universités. Il convient ensuite d'améliorer la stratégie « Bienvenue en France », qui est un désastre pour les étudiants étrangers en raison des disparités qu'elle crée.

Par ailleurs, des bureaux d'accueil des étudiants étrangers devraient être déployés dans les universités afin de les guider à leur arrivée et de les accompagner dans leur processus d'intégration.

Le processus de renouvellement du titre de séjour des étudiants doit également être amélioré : les demandes dématérialisées doivent faire l'objet de la remise d'un récépissé, même provisoire, à la place de l'accusé de réception afin de laisser le temps à l'étudiant d'obtenir son titre de séjour.

Il est nécessaire de lutter contre la discrimination dans l'attribution de logements en facilitant l'accès des étudiants au CROUS comme au secteur privé.

Enfin, nous appelons à l'intégration des acteurs de terrain, en particulier les associations, dans les discussions et dans les actions qui sont menées. La France a pu mesurer leur importance pendant la crise sanitaire. On ne peut pas agir sans les associations, qui sont les premiers acteurs sur le terrain.

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Vous avez, au cours de votre intervention, relevé de nombreux problèmes et je vous en remercie. Nous ne convoquons pas les gens pour « parfumer la salle », mais pour avoir avec eux des échanges clairs et précis. Nous souhaitions vraiment entendre la FESSEF comme nous avions sollicité l'Union des étudiants algériens de France (UEAF), que nous avions également invitée ce matin mais qui n'a pas pu se libérer.

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Il faut que tous les étudiants aient en tête la situation des CROUS. Comme cela a été rappelé lors de l'audition précédente, ils hébergent un tiers d'étudiants internationaux. S'ils ne répondent pas toujours aux demandes qui leur sont faites, c'est parce qu'ils ont à gérer une pénurie d'hébergement. Nous autres, parlementaires, sommes peut-être un peu éloignés de la réalité, mais c'est nous qui votons le budget et qui pouvons décider d'augmenter le parc d'hébergement des CROUS. Vous avez remercié la France pour son accueil et les conditions dans lesquelles vous étudiez, et c'est très bien, mais il faut aussi savoir que les CROUS manquent de moyens. Quant à l'idée selon laquelle il pourrait exister, en leur sein, une forme de racisme systémique, je rejoins la rapporteure : je crois que vous ne connaissez pas les gens qui y travaillent et qui sont au service d'une tout autre idée.

Vous avez fait un exposé extrêmement précis de toutes les difficultés que vous pouvez rencontrer, à la fois dans votre pays de départ – ce sur quoi nous n'avons que peu de prise –, et à votre arrivée en France. Il est certain que nous devrons nous pencher sérieusement sur la question de l'INE.

J'aimerais avoir votre avis sur l'augmentation des frais de scolarité. Pour l'instant, elle est globalement compensée par les universités – le vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU) nous le confirmera – mais ce ne sera plus le cas très longtemps. Pensez-vous que cette augmentation constituera pour les étudiants du Sénégal un frein, voire un véritable obstacle et qu'elle les empêchera de venir étudier en France ? Ou bien ne sera-t-elle qu'une étape supplémentaire dans leur parcours du combattant ? Vous représentez les étudiants d'une trentaine d'associations, vous connaissez leur situation : l'augmentation des frais de scolarité risque-t-elle de briser le parcours universitaire en France des Sénégalais ?

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Plusieurs d'entre nous ne sont pas favorables à l'augmentation des frais de scolarité, qui a été introduite en 2018 par l'ancien Premier ministre. Pour moi, elle crée une forme de discrimination à l'égard des étudiants étrangers, qui n'ont pas toujours les moyens d'y faire face. Elle a eu un impact direct et désastreux sur la vie et l'avenir de milliers de jeunes que nous aurions pu accueillir en France.

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Vous nous avez beaucoup fait part de votre ressenti, mais nous aimerions avoir davantage de chiffres – et peut-être aussi de nuances.

Les représentants du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) nous ont dit que 30 % de leurs logements étaient réservés à des étudiants étrangers. Le logement est une galère pour tout le monde, particulièrement pour les étudiants, dans toutes les grandes villes de France : c'est un fait. Pouvez-vous nous dire quelle proportion des étudiants que vous représentez est logée grâce aux CROUS ?

Il est difficile, pour les étudiants étrangers qui viennent d'arriver en France, d'ouvrir un compte bancaire, parce qu'on leur demande un justificatif de domicile, dont ils ne disposent pas tout de suite. Certaines associations n'offrent-elles pas une domiciliation, pour faciliter ce type de démarche ?

Je connais très bien les difficultés d'accès aux titres de séjour que vous décrivez, car je travaille sur ces questions avec des associations qui aident les mineurs non accompagnés, et avec la préfecture. Vous avez évoqué le rôle de la police, présente sur les campus : pouvez-vous nous en dire plus ?

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Monsieur le président, l'augmentation des frais de scolarité constitue clairement un frein et un obstacle pour les étudiants sénégalais qui souhaitent venir étudier en France. Compte tenu du revenu moyen au Sénégal, la plupart des parents ne peuvent pas assumer le coût des études de leur enfant en France. Les frais de scolarité, à eux seuls, s'élèvent en moyenne à 3 000 euros, auxquels il faut ajouter les dépenses courantes. Au total, un étudiant dépense environ 15 000 euros par an dans le public pour payer son inscription et subvenir à ses besoins. Pour ma part, j'étudie à l'Institut d'études politiques. Le montant de l'inscription et des frais de scolarité de mes camarades est calculé au prorata des revenus de leurs parents. Mais moi, je paie le tarif le plus élevé, 14 500 euros par an. C'était mon choix que d'étudier à l'IEP, mais je peux vous dire qu'il n'est pas facile, pour un étudiant venant de la classe moyenne sénégalaise, de payer 14 500 euros par an pour ses études. Sans l'une des bourses proposées par certaines institutions internationales et, dans une moindre mesure, nationales, la plupart des étudiants ne pourront pas faire face à l'augmentation des frais de scolarité. C'est un obstacle réel.

Il y aura toujours des jeunes gens qui veulent vraiment étudier en France et se donneront les moyens de le faire. Vous continuerez de recevoir des demandes, parce que nombreux sont ceux qui veulent absolument recevoir un enseignement de qualité. Quand on décide de quitter sa famille pour venir en France, ce n'est pas pour profiter de certaines opportunités, mais parce qu'on veut avoir accès à des connaissances qui devraient être universelles ; c'est parce qu'on veut recevoir des enseignements auxquels chacun, dans le monde, a droit. Vous aurez donc toujours, malgré ces obstacles, des combattants qui se donneront corps et âme pour payer ces frais de scolarité. L'idéal serait toutefois de garantir un égal accès à tous les étudiants. Les étudiants étrangers seront dans les mêmes classes, ils recevront les mêmes enseignements et seront évalués de la même façon que les autres, mais ils ne pourront pas bénéficier des mêmes dispositifs et ne paieront pas les mêmes frais de scolarité : qu'est ce qui peut l'expliquer, objectivement ?

Les étudiants étrangers qui sont en France travaillent énormément : ce sont eux qui, après les cours, à dix-sept ou dix-huit heures, vont travailler dans les chaînes de restauration rapide ; ce sont eux qui, sans attaches en France, sont obligés de travailler les samedis et les dimanches. Et on leur complique encore la vie en augmentant les frais de scolarité !

Madame Bénédicte Pételle, le CNOUS dit accueillir 30 % d'étudiants étrangers et je veux bien croire que ces chiffres sont exacts, mais je peux vous dire que seuls 15 % des étudiants sénégalais sont logés par les CROUS. La difficulté d'accès au logement est une réalité sociale à laquelle tout le monde est confronté, certes, mais il convient de trouver des solutions pour renforcer les dispositifs d'accueil des étudiants, par exemple en mobilisant également les bailleurs privés.

J'en viens à la question des comptes bancaires. De nos jours, il est à peu près impossible de vivre sans carte bancaire, or de nombreux étudiants ne peuvent pas ouvrir de compte, faute de domiciliation. Heureusement, il existe effectivement des associations qui leur fournissent une domiciliation provisoire. Notre fédération, comme les associations que nous réunissons, a fait de la solidarité et de l'accompagnement mutuel des piliers de son action. Nous faisons tout pour aider les étudiants qui ont besoin d'une domiciliation.

Enfin, quand j'ai parlé de la police, je faisais référence au commissariat de police qui se trouve dans le quartier de la cité universitaire, dans le 14e arrondissement. Ce commissariat est entièrement dédié aux questions des étudiants.

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Nous avons pris en compte vos remarques. J'ai bien noté qu'il fallait réfléchir à l'INE : c'est une tracasserie administrative, qui peut avoir de conséquences importantes sur la vie d'un étudiant étranger au moment de son installation.

Nous demanderons au ministère de nous indiquer le nombre de bourses attribuées aux étrangers au titre de la stratégie « Bienvenue en France », puisque vous nous dites que personne, dans votre entourage, n'en a bénéficié. Au sujet de l'OFII, vous avez parlé à juste titre de la communication non-verbale, qui est effectivement essentielle. Il importe évidemment de veiller à la qualité de l'accueil des étrangers. Nos collègues Stella Dupont et Jean-Noël Barrot, dans leur rapport d'information relatif à l'intégration professionnelle des demandeurs d'asile et des réfugiés, ont déjà préconisé un renforcement des moyens alloués aux services qui, dans les préfectures, gèrent l'accueil des étrangers. Des progrès sont en cours mais il faut continuer, parce qu'il suffit parfois d'une brebis galeuse qui ne fait pas son travail pour discréditer l'ensemble d'un groupe – c'est vrai aussi pour les députés.

Vous venez du Sénégal ; Léopold Sédar Senghor a été député français de 1945 à 1958, avant de devenir, en 1960, président de la République. Vous venez d'un pays fondateur, puisque Senghor est, avec Habib Bourguiba, le cofondateur de la francophonie. S'il y a des étudiants tunisiens et sénégalais en France, c'est parce que nous avons tissé des liens avec ces pays francophones, liens qu'il importe d'entretenir – ce pourrait être l'une des recommandations de notre rapport. Il convient de maintenir cette « exception francophone », en continuant à accueillir et à accompagner plus et mieux les étudiants francophones qui viennent dans notre pays.

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Nous avons souvent débattu de la discrimination, mais les réponses sont encore à trouver. Les démarches pour obtenir les papiers nécessaires étant très longues, j'imagine que certains étudiants se retrouvent en situation irrégulière, alors qu'ils ont déjà commencé leurs études. Savez-vous si certains d'entre eux ont dû retourner dans leur pays, soit parce que la préfecture ou la police les y ont contraints, soit parce qu'ils estimaient eux-mêmes que leur situation était devenue trop difficile ?

Vous avez évoqué les réseaux de solidarité. Il n'est jamais facile de partir et de se retrouver sans attaches : certains réseaux vous permettent-ils d'être en contact avec vos enseignants restés au Sénégal, ou avec d'autres universitaires de votre pays d'origine ? Des liens existent-ils entre les deux systèmes universitaaires ? Ou bien, une fois que vous êtes ici, ces liens sont-ils rompus ?

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Avant de répondre à Mme Victory, j'aimerais redire un mot de l'OFII : lorsque les étudiants s'y rendent, il n'est question que de leurs démarches administratives. Or il me semble que l'une des missions de cet office est aussi de faciliter l'intégration sociale des étudiants ; il faut absolument faire de cette institution un cadre pour l'intégration, et il faut que celle-ci soit totale.

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De nombreux députés ici présents souscrivent totalement à vos propos. L'OFII ne devrait pas se résumer à une salle d'attente dans laquelle on fait attendre les gens pendant trois ou quatre heures, dans le seul but de valider un document franco-français.

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Il faudrait que l'OFII propose des formations ou des événements favorisant les échanges culturels. Si l'on ne connaît pas l'Europe ou que l'on n'y est venu qu'en vacances, on a besoin de temps pour s'acclimater sur le plan culturel.

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Pour que le fonctionnement de l'OFII soit moins absurde, il faudrait certes accroître ses moyens, mais peut-être aussi travailler à une simplification des procédures. Pourquoi un document qui a été remis officiellement au consulat doit-il être validé une deuxième fois à l'OFII ?

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Cheikh Mbacké Toure, représentant de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF)

Pour répondre à Mme Victory, il est arrivé, même si ce n'est pas très fréquent, que des étudiants soient contraints de quitter le territoire français, parce qu'ils n'avaient pas obtenu leurs papiers à temps. La proportion d'étudiants sénégalais ayant des problèmes avec la police ou la justice, quant à elle, est inférieure à 1 % : nous n'avons pas de problème avec l'ordre public français. Si des OQTF ont été prononcées, c'est seulement en raison de la lenteur et de la lourdeur administratives. Il conviendrait de simplifier les procédures, de mettre davantage de moyens et de personnels et de fluidifier l'accompagnement des étudiants étrangers pour qu'ils soient en mesure de respecter les obligations administratives de l'État français.

Les liens que nous tissons avec les étudiants membres de nos associations et de la fédération sont forts. Ce sont des liens de solidarité. Nous maintenons un lien régulier avec ces associations pour savoir comment les étudiants s'intègrent et comment ils vivent ; nous recueillons leur avis régulièrement, en organisant des rencontres, des cafés, des échanges thématiques, des conférences sur la bonne manière de s'intégrer en France, de chercher un job étudiant, etc. Nous avons un dispositif bien structuré.

Lors de la crise liée au covid-19, plusieurs associations d'étudiants sénégalais se sont organisées et ont lancé des collectes en ligne au sein de la collectivité sénégalaise pour venir en aide aux étudiants en difficulté. Ceux qui vivaient dans la précarité ont ainsi reçu le minimum nécessaire pour vivre.

Nous avons de bonnes relations avec les universités sénégalaises, mais ces relations relèvent plutôt d'initiatives individuelles : ce sont les étudiants qui, d'eux-mêmes, décident de rester en contact avec le référent de leur université de départ. Lorsque j'ai fait mon premier échange avec l'IEP de Paris, je suis retourné au Sénégal pour partager mon expérience et expliquer comment il était possible de renforcer le programme et de simplifier l'intégration des étudiants sur le plan académique en France. Il pourrait être utile d'institutionnaliser ce genre de lien, afin de faciliter l'intégration académique des étudiants : ce pourrait être l'une des missions de Campus France. Il existe déjà des échanges universitaires entre la France et le Sénégal ; il existe aussi des échanges académiques entre les chercheurs sénégalais et les chercheurs français : il faut saluer toutes les initiatives qui vont dans ce sens, car elles sont au seul bénéfice de la recherche académique et d'un enseignement de qualité.

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Je vous remercie. Il existe effectivement des relations à tous les niveaux, qui ne se voient pas toujours sur le terrain. Lorsque j'ai fait ma thèse de doctorat, j'étais en cotutelle et je tiens à remercier les professeurs d'université, les directeurs de laboratoires et tous les acteurs qui, à tous les niveaux de l'administration française, s'efforcent de tisser des liens avec des pays, d'où nous arrivent des étudiants.

Nous sommes ravis de vous avoir reçu et je me félicite de la vivacité de nos échanges : vous représentez la parole des étudiants étrangers de France, et ce n'est pas rien !

La réunion s'achève à onze heures dix.