La séance est ouverte à 16 heures.
Présidence de Mme Valérie Bazin-Malgras, secrétaire.
La Commission d'enquête entend en audition Mes Aminata Niakate, présidente de la commission Égalité du Conseil national des barreaux, et Jérôme Karsenti, membre de la commission Liberté et droits de l'Homme.
Nous avons déjà organisé deux tables rondes réunissant des avocats défendant les uns des manifestants, les autres des policiers, et nous avons pu constater que leurs positions étaient radicalement différentes. Nous attendons donc avec beaucoup d'intérêt l'avis du Conseil national des barreaux (CNB), qui représente l'ensemble des avocats de France.
Cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de vous céder la parole, madame, monsieur, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mes Aminata Niakate et Jérôme Karsenti prêtent successivement serment.)
Bien que ce ne soit pas l'objet de votre commission d'enquête, je ne peux faire l'économie d'une réflexion d'actualité, en lien avec deux textes en discussion à l'Assemblée nationale. La proposition de loi relative à la sécurité globale présente les réponses de la majorité en matière de politique de maintien de l'ordre. Critiquée par un certain nombre de défenseurs des libertés, elle tend à augmenter les pouvoirs de la police municipale et de la police nationale, par la surveillance des manifestations par drone et la reconnaissance faciale des manifestants, et – corollaire étrange – à limiter les contrôles par l'interdiction de filmer les policiers dans une intention malveillante. Quant au projet de loi de programmation de la recherche, il vise à sanctionner l'intrusion dans une université, au risque d'empêcher des étudiants de débrayer, de manifester dans l'établissement, de s'opposer à des réformes de l'université.
Depuis presque trente ans, nous voyons se succéder des lois dites antiterroristes, de renforcement de la sécurité intérieure ou de surveillance qui tendent à accroître de façon considérable – je ne dirai pas encore inquiétante – les pouvoirs de police. De ce fait, alors que, pour des personnes de ma génération, manifester était un acte militant mais aussi festif, auquel on pouvait convier sa famille, où l'on pouvait retrouver des amis avec qui on partageait une communauté de vues, tel n'est plus du tout le cas. J'en ai encore fait l'amère expérience hier en allant manifester contre la proposition de loi relative à la sécurité globale. Au CNB, nous avons peur non de la police mais de ce qui peut arriver : une balle, une grenade de désencerclement, un mouvement de foule, etc.
Cela résulte d'une double évolution : la nette augmentation des violences policières – c'est-à-dire tant du nombre de blessés que de la gravité des blessures – et le développement d'un sentiment d'impunité des policiers du fait de la diminution des contrôles et sanctions en cas de dérive.
Contrairement à ce que l'on entend trop souvent dire, la transformation des politiques de maintien de l'ordre est bien antérieure au mouvement des Gilets jaunes, puisque des techniques de maintien de l'ordre, certes plus circonscrites, utilisées notamment dans les ZAD (les « zones à défendre »), préfiguraient ce à quoi nous assistons désormais constamment dans les manifestations.
Cette situation nous semble porter gravement atteinte à la démocratie. Nous considérons que l'expression libre des points de vue et le droit de manifester sont menacés par le sentiment d'insécurité pesant sur les manifestations compte tenu des politiques de maintien de l'ordre mises en œuvre.
Nous en avons relevé trois causes.
La première est l'intervention récente d'unités non spécialisées, notamment les brigades anticriminalité (BAC) et les brigades spécialisées de terrain (BST), qui n'ont ni la même formation ni les mêmes méthodes que celles mises en œuvre auparavant, ont recours à des stratégies de contact plutôt que, comme autrefois, de mise à distance et emploient des techniques violentes, tel le plaquage ventral – pensons à Cédric Chouviat, décédé du fait de cette pratique. Leur commandement n'est pas unifié, contrairement à celui des CRS qui leur permet de développer des stratégies communes : de petites unités qui viennent se greffer sur le commandement principal agissent de manière libre et désordonnée, sans aucun contrôle du nombre d'armes, de balles ou de grenades utilisées, ce qui n'est pas le cas non plus pour les CRS – ni pour les gendarmes.
La deuxième est la judiciarisation de la politique de maintien de l'ordre, c'est-à-dire le passage d'une police administrative à une police judiciaire. Ce problème était déjà évoqué dans le rapport, rédigé par Noël Mamère et Pascal Popelin, d'une précédente commission d'enquête sur le maintien de l'ordre qui avait enquêté sur la mort de Rémi Fraisse à la lumière d'un rapport commun des inspections générales de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGGN), non soupçonnables de parti pris à ce sujet.
La troisième cause est liée aux pratiques policières. Au plaquage ventral déjà évoqué, j'ajouterai les conditions du contrôle d'identité préventif, le risque que les fouilles non encadrées ne dégénèrent en conflit et la technique des nasses.
De plus, le nouveau schéma national du maintien de l'ordre maintient l'usage du LBD, dont le Défenseur des droits, dans la recommandation n° 2 de son rapport de décembre 2017, préconisait pourtant la suppression en raison des mutilations consécutives à son usage. Quant au remplacement de la grenade GLI-F4 par la GM2L, il ne répond pas à l'exigence de protection des droits de l'Homme, puisqu'il s'agit toujours d'un équipement classé parmi les matériels de guerre et susceptible de provoquer des dommages irréversibles sur les manifestants ou les citoyens en général. En outre, la grenade à main de désencerclement (GMD) est remplacée par une autre grenade dont on mesure mal les effets : on affirme qu'elle sera moins dangereuse, mais elle projettera de petits plots de plastique capables d'entrer dans la chair humaine : ce n'est donc pas une solution.
J'en viens à quelques pistes de réflexion.
Il convient de favoriser la formation au maintien de l'ordre des policiers non formés, notamment ceux des BAC, si leur intervention devait être maintenue. Une formation commune favoriserait l'unification des pratiques et des politiques.
Nous espérons un retour des politiques administratives mais, pour limiter les risques de judiciarisation abusive, nous proposons que les procureurs et les parquets soient plus fréquemment représentés dans les manifestations.
Nous proposons la suppression de toutes les armes et de tous les équipements classés matériels de guerre. D'autres modes de fonctionnement et types d'armes peuvent être utilisés. Les jets à eau, par exemple, sont tout aussi efficaces, sans risque d'entraîner des troubles ou des mutilations définitives.
Pour ce qui est des contrôles d'identité, nous privilégions l'utilisation du récépissé. C'est une voie que nous avons déjà suggérée par le passé et encore récemment au Parlement.
Enfin, il convient de renforcer les contrôles et les sanctions des policiers défaillants. Les services d'enquête de l'IGGN et de l'IGPN doivent être placés sous l'égide d'une autorité indépendante, qui pourrait être le Défenseur des droits : chargé du service de déontologie des policiers, il serait cohérent qu'il le soit également du contrôle de l'impartialité de l'enquête. Tous les avocats le savent, les enquêtes sont menées à décharge. Même si je ne pense pas que cette piste sera suivie, les enquêtes devraient être indépendantes et impartiales. Ce n'est pas faire injure aux parquets de dire qu'ils protègent par nature les forces de police. En cas de plainte, le parquet se fait d'abord l'avocat des policiers et n'instruit pas réellement son enquête à charge et à décharge. À ce problème, il existe une solution simple : de même que, en cas de diffamation, une plainte permet à une victime de saisir directement un juge d'instruction sans passer par le procureur de la République, de même, en cas de violences policières, un juge d'instruction indépendant, placé sous l'autorité du Conseil supérieur de la magistrature, devrait pouvoir systématiquement enquêter à charge et à décharge.
Le CNB est également soucieux de concilier l'exercice du droit de manifester et les objectifs légitimes de sécurité.
Alors que le contrôle d'identité est encadré par le droit, le CNB regrette qu'il n'existe aucune traçabilité de cet acte s'il n'est pas suivi d'une procédure : un acte essentiel de la procédure pénale, de nature à porter atteinte aux libertés, ne laisse aucune trace, privant ainsi les justiciables de possibilité de recours. C'est la raison pour laquelle le CNB soutient la mise en place d'un récépissé de contrôle d'identité afin d'établir les faits et de donner de la solennité à l'acte. Ce serait aussi un vecteur d'apaisement de la relation entre la police et les citoyens.
Le CNB n'a pas pris officiellement position sur les caméras-piétons, mais si sa préconisation concernant le récépissé de contrôle d'identité est rejetée, il pourrait proposer que les policiers en soient dotés en permanence pour les protéger et pour protéger les citoyens, à condition toutefois que les données captées soient accessibles à toutes les parties ou, à tout le moins, aux avocats. Nous n'avons pas tranché la question, nous y réfléchissons encore.
Enfin, selon nous, la pratique de la nasse doit être interdite. Entraver la sortie d'une manifestation est générateur d'affrontements et de violences à l'encontre de personnes qui ne demandent qu'à quitter l'endroit. Une pratique de dispersion est plus conciliable avec des objectifs de sécurité que l'enclavement des personnes dans un lieu dont ils souhaitent s'éloigner, lequel peut être source de tensions, de violences et d'affrontement.
La plupart des incidents lors des manifestations sont-ils le fait de membres d'unités non spécialisées, insuffisamment formés au maintien de l'ordre ?
. Sans aucun doute. Le fait d'être constamment devant nos écrans, connectés aux réseaux sociaux, présente au moins l'avantage de nous informer sur les manifestations. Or les éléments fournis par la presse, mais aussi par les avocats intervenant aux côtés des blessés permettent de comprendre que les incidents sont dus, dans la majorité des cas, aux forces non spécialisées que sont les BAC, qui transposent dans les manifestations le comportement – par ailleurs discutable, voire condamnable – qu'ils adoptent dans les quartiers sensibles, si bien que la manifestation est devenue une guerre de tranchées. Manifester n'est plus considéré par les policiers comme une liberté mais comme une transgression. Le fait que les policiers agissent selon une logique non plus de maintien de l'ordre pacifié, mais d'affrontement, appelle à son tour l'affrontement. La montée en pression résulte d'une pratique non plus distanciée, organisatrice et encadrante, mais d'affrontement.
Le dispositif de liaison et d'information entre les manifestants et les forces de l'ordre annoncé dans le nouveau schéma du maintien de l'ordre vous convient-il ? Comment améliorer les échanges d'informations ?
Les indications figurant dans le nouveau schéma restent sommaires, mais l'intention est bonne. L'amélioration de la transmission de l'information est un préalable indispensable. Nos mails sont parfois plus agressifs que nos échanges oraux, mais si l'on discute avec quelqu'un, il est plus facile de se comprendre et de se respecter. Plus on développera les logiques de discussion et d'échange avant et pendant les manifestations, plus on sera à même d'apaiser les tensions. Au vu des éléments de synthèse dont nous disposons, il nous est difficile de savoir ce qui sera mis en place et comment, mais nous ne pouvons que nous réjouir d'une telle annonce.
Équiper systématiquement les policiers de caméras mobiles serait-il de nature à apaiser les tensions entre manifestants et forces de l'ordre en protégeant les uns et les autres ? Si oui, qui doit avoir accès aux données ?
. Cela peut être source d'apaisement si les images sont captées en permanence, sans possibilité d'interrompre l'enregistrement à sa convenance – ce qui peut être très contraignant pour les policiers, qui font un métier difficile –, et accessibles à toutes les parties.
Quel regard portez-vous sur l'emploi des armes dites intermédiaires telles que le LBD40 dans les opérations de maintien de l'ordre ? J'ai cru comprendre que vous ne les appréciiez pas. Par quoi les remplacer pour faire face aux débordements ?
. Auparavant, les manifestants comme moi étaient effrayés à la vue de policiers équipés de matraques, mais ce n'étaient que des matraques. Le recours à des armes de guerre est révélateur d'une option politique : c'est la réponse à l'expression d'un droit, celui de manifester. De ce point de vue, la formulation même de votre question est significative : comment s'en passer ? Mais on avait toujours pu s'en passer jusqu'alors !
. Mais les politiques de maintien de l'ordre en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Belgique n'utilisent pas ces armes de guerre. La France est stigmatisée par des organisations internationales de protection des droits de l'Homme pour leur usage et pour leur existence même. Sans être un spécialiste des armes, je sais qu'il existe pour contenir les débordements des solutions qui ne sont pas utilisées en France.
Ces armes de guerre ont des effets dévastateurs. Je pourrais faire la liste des personnes qui, depuis deux ans, ont été gravement blessées par un tir de LBD – perte d'un œil, blessure définitive, invalidité permanente. On ne peut pas continuer comme ça ! Même en cas de débordement, l'utilisation d'armes n'est pas conforme au principe de légitime défense puisque ce n'est pas au recours à des armes qu'elle répond. Une police censée être exemplaire ne peut se comporter à la manière d'une formation militaire dans une guerre. C'est cette philosophie qu'il faut changer.
Les GM2L, par lesquelles le schéma national du maintien de l'ordre préconise de remplacer les grenades GLI-F4, ne contiennent certes pas de TNT, mais des éléments pyrotechniques et exercent un double effet lacrymogène et assourdissant – supérieur à 165 décibels. Or un niveau supérieur à 120 décibels peut provoquer des dommages irréversibles : la logique suivie n'est donc pas celle d'une transformation des pratiques de maintien de l'ordre.
Malgré les déclarations d'intention, l'usage d'armes de ce type reste une réalité. À notre sens, la seule solution est la transformation radicale des politiques de maintien de l'ordre après une réflexion sur la nature des manifestations et les moyens de les encadrer. J'ajoute que si l'on n'avait pas réduit les effectifs il y a quelques années, les policiers seraient suffisamment nombreux pour contrôler une manifestation sans user d'armes humainement dévastatrices.
L'avis du Conseil national des barreaux nous importait, car vous êtes souvent appelés à intervenir dans les procédures judiciaires qui suivent des débordements.
Avez-vous eu connaissance de faits discriminatoires en raison de l'origine, ou perçus comme tels, imputables aux forces de sécurité dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre ?
Alors que le nombre d'interpellations, parfois brutales, se multiplie, peu débouchent sur des poursuites judiciaires. Comment l'expliquez-vous ?
L'association Amnesty International, dont nous avons auditionné des représentants, considère que le délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences, introduit dans le code pénal en 2010, est défini par une formulation vague qui a facilité son utilisation par les autorités, avant ou pendant des manifestations, pour placer en garde à vue des personnes venues manifester et engager des poursuites au nom de motifs peu convaincants – poursuites qui n'ont très souvent débouché sur rien.
Des associations ont engagé un recours devant le Conseil d'État contre le nouveau schéma national du maintien de l'ordre. Selon vous, celui-ci porte-t-il atteinte à la liberté de la presse et à la liberté de manifester ?
. Nous avons eu connaissance de faits discriminatoires dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, à l'occasion de contrôles d'identité. Bien que le CNB ne soit pas l'avocat des justiciables, mais réfléchisse aux questions de justice et à l'organisation des barreaux, nous nous sommes prononcés en faveur de la délivrance d'un récépissé, notamment pour lutter contre le contrôle d'identité dit au faciès. Nous estimons la solennité du récépissé de nature à limiter le nombre de contrôles d'identité que certains ressentent comme discriminatoires.
De nombreux rapports relèvent ce genre de discrimination. L'un d'eux, émanant de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, fait état des résultats d'une étude réalisée entre octobre 2007 et mai 2008 par des chercheurs au Centre national de la recherche scientifique : les personnes perçues comme noires couraient 3,3 à 11,5 fois plus de risques et celles perçues comme arabes 1,8 à 14,8 fois plus de risques de faire l'objet d'un contrôle que celles perçues comme blanches.
Nous soutenons l'instauration d'un récépissé pour que l'acte de contrôle soit utilisé à meilleur escient, plus efficacement et moins arbitrairement – actuellement, il ne laisse aucune trace et prive de toute possibilité de recours, en particulier en matière pénale.
. Nous vivons dans une société de plus en plus clivée, où la police est perçue comme un ennemi, alors qu'elle est là pour maintenir l'ordre – j'aime à rappeler que le policier est un gardien de la paix ayant pour mission la pacification du territoire : il ne s'agit pas d'opposer les uns aux autres. Ne nous voilons pas la face : la proposition de loi relative à la sécurité globale prévoit certes que l'absence de malveillance dans l'intention de filmer fasse l'objet de contrôles a posteriori, mais, d'emblée, les policiers pourront confisquer les portables et placer en garde à vue ceux qui auront voulu les filmer. Or on ne peut pas, d'un côté, réduire les possibilités de contrôle des abus par le citoyen, et, de l'autre côté, ne pas mettre en place des contre-pouvoirs.
Nous avons rencontré de nombreux élus afin de soutenir l'instauration du récépissé de contrôle, mais aucune majorité ne semble se dessiner en ce sens. Des arguments de nature peu juridique nous sont régulièrement opposés. Le contrôle d'identité est tout de même le plus grand acte judiciaire à n'être contrecarré par aucun contre-pouvoir, à ne faire l'objet d'aucune vérification. Il reste donc invisible, sauf en cas d'outrage, de rébellion ou de violences, lesquels donnent lieu à l'établissement d'un procès-verbal par le policier.
Depuis des mois, voire des années, nous demandons ce qui s'oppose à ce que le contrôle d'identité, prévu par les dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale, donc encadré par des conditions précises, soit réalisé dans le cadre de garanties fixées par la loi. On nous répond par l'utilisation de la caméra-piéton, mais, pour avoir à connaître de nombreuses procédures concernant des incidents lors desquels une caméra ou des GPS étaient présents, je sais qu'il est souvent déclaré dans le procès-verbal soit que la caméra était éteinte, soit que le GPS était bloqué, soit que le champ de la caméra de surveillance était occulté par un panneau ou un arbre. On ne peut donc pas faire une absolue confiance à cette solution.
La caméra est un témoin transparent de la réalité : elle ne répond pas aux conditions prévues par la loi. En tant qu'avocat, je n'ai pas envie que les policiers en soient munis, de connaître leurs faits et gestes, que tout passant soit filmé : je souhaite avoir la garantie que le policier exerce ses missions dans le cadre de la loi et qu'en cas contraire, un recours sera possible. Or les dispositions de l'article 78-2 ne permettent aucun recours contre un contrôle d'identité préventif. Il est tout simplement incroyable, dans une démocratie comme la nôtre, de ne pouvoir faire valoir ce point de vue.
Le récépissé de contrôle n'est pas la panacée, car il ne répond qu'en partie à la question fondamentale des discriminations, mais c'est un commencement. On nous dit qu'il est trop compliqué d'imposer de nouvelles formalités à des policiers qui doivent déjà en accomplir beaucoup. Pourtant, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le dispositif d'attestation dérogatoire s'est mis en place avec une rapidité et une évidence sans pareille. Le récépissé de contrôle n'est pas plus difficile : il s'agit que les policiers remettent un récépissé et en conservent un double pour signaler tel contrôle, tel jour, à telle heure et pour tel motif. C'est la réponse que nous proposons pour éviter les contrôles abusifs et discriminatoires.
Je partage l'analyse d'Amnesty International. La définition de la participation à un groupement permet de mettre tout le monde dans le même sac et de poursuivre sans distinction. Or, à l'origine, la force du droit pénal réside dans l'identification de la personne ayant commis l'acte. Mais, de plus en plus, le périmètre s'étend et la notion même de groupement est élargie. On peut être considéré comme faisant partie d'un acte en réunion sans y avoir participé, simplement parce que l'on est censé avoir été dans le groupe. Ces poursuites non individualisées permettent de viser tout un chacun à partir du moment où l'on estime qu'il fait partie d'un groupement identifié comme tel.
Cela entraîne des contrôles préventifs destinés à empêcher l'accès à la manifestation. Lors des premières périodes d'état d'urgence, on a interpellé des gens manifestant à propos de la COP21 : on se servait de l'état d'urgence lié à la menace terroriste pour empêcher de manifester des militants opposés à la tenue de la COP21, alors que leur revendication sociale, classique, n'avait strictement rien à voir avec cette menace. Ainsi, par les politiques de maintien de l'ordre et en usant de plus en plus des états d'urgence successifs, intégrés progressivement au droit commun, on empêche le débat social de se tenir librement. À l'affaissement ou à la disparition des partis politiques, au discrédit des syndicats, qui ne sont plus considérés comme défendant les intérêts des travailleurs, à l'émiettement de la société, on ajoute le sentiment que l'on ne peut plus aller manifester à cause de contrôles préventifs discriminatoires ou empêchant telle personne ou tel groupement de se déplacer. Le contrôle de ces pratiques n'est possible qu'une fois la manifestation passée, de sorte que l'on assiste à un abandon du recours judiciaire, déjà laborieux quand on dispose de tous les éléments. L'usage du maintien de l'ordre prend parfois la forme d'un cadenassage du mouvement social, de l'empêchement d'expressions libres d'opposition à une loi ou à une disposition.
Dans certaines affaires, des vidéos ou des images prises par téléphone portable ont permis de comprendre ce qui s'était passé. Le ministre de l'Intérieur souhaite interdire la diffusion de vidéos de policiers. Pensez-vous que le port visible du numéro RIO (le référentiel des identités et de l'organisation) puisse être un moyen alternatif de garantir la sécurité des forces de l'ordre tout en permettant l'identification ?
On nous a dit – vous en avez parlé vous aussi – que la plupart des incidents lors des manifestations étaient le fait d'unités non spécialisées.
Le dispositif des sommations doit-il être modifié, dans la mesure où certains manifestants ne les entendent pas ou ne les comprennent pas ?
On reproche aux enquêtes de l'IGPN et de l'IGGN leur manque d'objectivité dans la mesure où ces instances appartiennent au corps qu'elles contrôlent. Cela peut-il être amélioré par l'adoption d'un système inspiré du modèle anglais, associant au corps d'enquête des personnes qui ne sont pas policiers ou gendarmes ?
. Je ne sais pas si l'interdiction de la captation d'images de policiers serait compensée par la visibilité du numéro RIO, mais le CNB est opposé à cette interdiction qui aurait eu pour regrettable effet d'empêcher l'émergence de l'affaire Benalla, par exemple. En revanche, l'apparition du numéro RIO peut utilement compléter le dispositif de maintien de l'ordre et être source d'apaisement en attestant la qualité de policier de l'intervenant.
L'identification peut aussi faciliter les sommations. Elles sont peu entendues, alors que les services de police sont équipés. Peut-être faut-il des mégaphones ?
Pourquoi pas ? Je ne sais pas si cela ne pose pas des difficultés eu égard aux données personnelles – bien que les forces de l'ordre en disposent déjà. Les réseaux sociaux sont aussi un outil dont elles pourraient se servir lors des manifestations.
Comme je l'indiquais dans mon propos introductif, l'IGPN et l'IGGN devraient être réformées. Quand on est à la fois juge et partie, on obéit à une logique de protection, même si je dois à la vérité de dire que, dans les derniers dossiers que j'ai eu à traiter, l'accueil, l'écoute et le professionnalisme des enquêteurs m'ont agréablement surpris : l'esprit et la manière de procéder ont un peu changé. Cela étant, en raison de la consanguinité, l'enquête ne peut pas être indépendante. J'ai suggéré le rattachement à une autorité indépendante. Pourquoi l'IGGN n'enquêterait-elle pas sur la police judiciaire, et l'IGPN sur la gendarmerie ? En revanche, des personnes qui ne seraient pas des enquêteurs auraient-elles capacité à agir dans ce cadre ? Qui seraient-elles, quel serait leur crédit ? Il faudrait y réfléchir. Je n'ai pas d'opinion à ce sujet ; la première garantie, c'est que l'enquête se fasse sous l'égide d'une autorité indépendante ou d'un juge d'instruction.
Je vous remercie de votre participation et de nous avoir fait connaître votre avis, qui est important.
La séance est levée à 16 heures 50.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jérôme Lambert, Mme George Pau-Langevin.