La séance est ouverte à 17 heures 30.
Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission.
Nous accueillons le vice-amiral d'escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère des Armées, accompagné du commissaire en chef Thierry Comelli et du capitaine de frégate Florian El-Ahdab.
Avant de vous laisser la parole, et conformément à l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui régit l'organisation des commissions d'enquête, je vous demande de lever la main droite et de jurer de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
(M. Philippe Hello, M. Thierry Comelli et M. Florian El-Ahdab prêtent successivement serment.)
Nous avions entendu préalablement les représentants des chefs d'état-major des trois armes. Je ne vous cache pas que cette audition nous avait un peu frustrés. Nous avions eu notamment quelques difficultés à obtenir des informations précises.
Je vous remercie de votre présence, qui a pour objectif d'éclairer notre commission. Celle-ci travaille principalement sur l'attentat du 3 octobre 2019 commis à la préfecture de police mais elle a souhaité élargir son champ de propositions à la problématique de la radicalisation dans les institutions régaliennes, mais aussi pour les emplois sensibles participant à la sécurité nationale.
Nous vous avons adressé un questionnaire écrit. Mais nous souhaiterions avoir une évaluation du phénomène de radicalisation – bien que la définition de cette notion puisse faire débat – au sein du ministère des Armées, disposer pour cela de chiffres aussi précis que possible, et savoir quelles sont les procédures de détection de la radicalisation et les procédures de traitement engagées une fois cette radicalisation connue.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous propose de faire un bref préambule puis de traiter les questions.
Je dois d'abord vous rappeler ma mission. Je ne voudrais pas vous décevoir, mais je ne suis pas chargé de la gestion individuelle des personnels militaires. Je suis directeur des ressources humaines (DRH) du ministère des Armées. Cela signifie que ma responsabilité ne s'exerce pas directement sur les personnels militaires. Je suis le DRH « groupe » du ministère. Je fixe les règles, je m'assure qu'elles sont bien mises en place et je cadre les politiques de ressources humaines. Ensuite, je gère directement les personnels civils.
Bien évidemment, par ailleurs, en tant qu'employeur, j'ai 4 000 personnes sous mes ordres, avec un réseau assez vaste en France, Outre-mer et à l'étranger. J'ai à cette occasion directement la responsabilité de ces questions lorsqu'elles concernent le personnel qui est sous mes ordres.
Civil et militaire. J'ai 20 % de militaires et 80 % de civils.
J'ai en revanche une autorité fonctionnelle sur l'ensemble des treize gestionnaires de corps militaires du ministère que sont les trois armées, les services de soutien – service de santé des armées (SSA), service des essences des armées (SEA), service du commissariat des armées (SCA), service d'infrastructure de la Défense (SID), direction générale de l'armement (DGA), Contrôle général des armées (CGA) – ainsi que quelques petits corps comme les greffiers militaires et les magistrats militaires, les gendarmes du ministère de l'Intérieur et les administrateurs des affaires maritimes (AAM) du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES).
Cette autorité fonctionnelle s'exerce d'abord en matière de politique ministérielle, vis-à-vis des gestionnaires RH militaires et civils du ministère. Je suis chargé de la conception et de la mise en œuvre des politiques de ressources humaines, du pilotage des effectifs et de la masse salariale, de la gestion des compétences et des flux.
Et elle s'exerce de manière élargie aux autres ministères où se trouvent des militaires – les gendarmes et les AAM – pour tous les aspects statutaires. Ces aspects recouvrent la définition des textes RH de nature législative ou réglementaire, les négociations ministérielles et interministérielles visant à mettre en place ces dispositions, et leur implémentation dans les systèmes d'information de ressources humaines.
J'ai également la charge d'administrer l'ensemble des systèmes d'information des ressources humaines, donc les données RH. Je suis le responsable de traitement pour le ministère.
En complément, j'assure des services avec mes opérateurs au profit des personnels – de l'ordre de 400 000 avec les gendarmes – et des ressortissants du ministère qui incluent les retraités et les familles – soit environ 1 million de personnes – pour tout ce qui est soldes, paies, pensions, retraites, actions sociales et reconversions.
J'anime également le dialogue social avec les instances syndicales, et la concertation militaire avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) et les associations professionnelles de militaires.
Je suis notamment le garant des différents codes qui régissent les statuts des militaires : code de la défense, code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, code du service national, et code des pensions civiles et militaires de retraite pour la période de transition jusqu'à la mise en place du système universel de retraite (SUR).
Je suis donc aussi le garant de la transposition de toutes les mesures de la fonction publique civile vers la fonction militaire – y compris dans le domaine de la sécurité.
À cet égard, la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) a travaillé notamment en 2017 et 2018 à l'élaboration du fameux article L. 4139-15-1 du code de la défense qui met en place une commission en miroir de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, à la différence près que la commission militaire n'est pas paritaire. Aucune organisation syndicale n'y siège.
Cette commission est juge de la compatibilité du comportement des agents publics avec leur fonction, lorsqu'ils occupent un emploi participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État ou relevant des domaines de la sécurité et de la défense. Cette commission a donc des objectifs assez larges et ne se limite pas à la radicalisation que nous abordons ce jour.
La radicalisation au ministère sera mon deuxième point. Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, cette notion demeure floue et complexe. Nous sommes dans un État respectueux de toutes les croyances et fidèle au principe de laïcité. Le législateur s'est toujours refusé à définir des notions de secte ou de religion afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d'opinion et de religion garanties par notre République.
La définition de la radicalisation n'est d'ailleurs pas non plus universelle et partagée entre les experts, les politiques, etc. La définition que l'on en donne est souvent née sous la pression des événements récents.
La réalité de la menace n'est pas toujours nommée. Il n'est pas tranché clairement sur le fait que l'on s'intéresse à toute forme de radicalisation ou seulement à la radicalisation dans ses effets les plus violents. Et les critères pour passer de l'une à l'autre sont difficiles à cerner.
Nous nous intéressons donc, au ministère des Armées, en premier lieu, aux prémices de cette radicalisation. Ce sont d'ailleurs les seuls faits pour lesquels nous pouvons être compétents en matière de traitement, que ce soit en opération extérieure ou sur le territoire national – c'est-à-dire dans la phase préalable à la commission d'actes violents.
Notons d'ailleurs qu'un guide de prévention de la radicalisation interministériel en a été publié mars 2016.
Nous considérons que cette notion renvoie d'abord à l'adoption d'une idéologie, dont la logique devient un véritable cadre de vie, d'action et de signification pour l'individu, à la croyance dans l'utilisation de moyens violents pour faire entendre sa cause et à une fusion progressive entre l'idéologie et l'action violente.
Dans notre acception, la prévention et la lutte contre la radicalisation ne se limitent pas à la radicalisation religieuse et plus particulièrement à l'islamisme. Mais force est de constater que l'actualité terroriste depuis 2012, et surtout depuis 2015, a contribué à focaliser nos réflexions et nos moyens de prévention et d'action sur ces derniers cas.
Cette prise de conscience a été assez tardive, comme dans le reste de l'État, même si nous disposons d'un certain nombre d'atouts sur lesquels je voudrais revenir, mais aussi, d'abord, de vulnérabilités potentielles.
Les flux d'entrée du ministère sont de l'ordre de 26 000 personnes par an, militaires et civiles, qui entrent et sortent. C'est une armée jeune, comme vous le savez, dotée d'un modèle assez pyramidal. Nous avons vocation à et souhaitons recruter ces personnels sans aucune discrimination, dans toutes les couches de la société et dans toutes les cultures. Il y a là forcément des facteurs de vulnérabilité assez spécifiques. Sur ces 26 000 personnes, 4 000 sont civiles. Le reste, ce sont des militaires – et pour la plupart des gens très jeunes, comme je le disais.
Je parle de vulnérabilités potentielles, mais je voudrais aussi souligner des atouts.
Les armées sont un creuset d'intégration sociale – par des valeurs que nous souhaitons afficher et vivre, et qui sont extrêmement fédératrices. Nous affichons aussi une volonté d'équité à tous les niveaux, et une volonté de progression sur le seul fondement des compétences et des qualifications. Ceci sans distorsion d'influences parallèles susceptibles de remettre en cause ces valeurs ou cette volonté d'uniformité, qui se traduit même dans la tenue.
Et puis, nous avons la chance d'avoir une discipline assez stricte qui permet aussi de maîtriser les risques.
Hors opérations, notre personnel est rarement armé, en dehors des équipes d'intervention visant à la sécurité et la protection de nos sites. Cela est un autre facteur de sécurité.
Les munitions sont fortement sécurisées, avec des cultures de manipulation très anciennes et très spécifiques.
Et nos enceintes militaires sont classifiées de manière très stricte en points sensibles ou en points d'intérêt vitaux, avec une normalisation très forte de leur protection.
La protection est aussi, depuis très longtemps, digitale. La sécurité des systèmes d'information est une réalité dans le ministère depuis des dizaines d'années. Elle a été renforcée récemment par la notion de protection des données à caractère personnel sensibles – comme les adresses, ou le caractère militaire d'une personne. Nous sommes extrêmement vigilants à cela, depuis les événements de 2015 notamment.
Plus récemment, le règlement général sur la protection des données (RGPD) européen vient encore renforcer cette dimension dans le traitement des données qui, comme je l'indiquais plus haut, est de ma responsabilité propre.
Enfin nous avons la chance d'avoir trois services de renseignement dont un service de contre-ingérence et de protection du secret. Nous avons des réseaux de référents pour la sécurité des systèmes d'information – nous avons des chaînes de protection très fortes dans toutes les unités, jusqu'à un maillage extrêmement. Mais des référents ont également été mis en place dans le domaine de la radicalisation, pour que les armées aient des correspondances directes avec la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD).
Nous sommes également capables de conduire des enquêtes de commandement, des enquêtes administratives – pas pour tous les personnels, mais pour la plupart d'entre eux s'agissant des militaires. Nous pouvons également effectuer des contrôles de sécurité et d'habilitations de sécurité, qui facilitent aussi la surveillance du personnel. Des échéances périodiques s'appliquent en la matière, notamment pour les habilitations.
Nous avons en sus pour enquêter cette commission ad hoc de l'article L. 4139-15-1 du code de la défense. Mais nous pouvons aussi statuer sur des cas supposés de comportements pouvant porter atteinte à la sécurité des infrastructures et des personnes.
Et puis nous avons beaucoup de personnels contractuels – les deux-tiers des militaires, et de plus en plus de civils. Ainsi, l'année dernière j'ai recruté 30 % de contractuels. Or il s'agit de personnels dont il est plus facile de se séparer lorsque nous rencontrons des doutes ou des difficultés – en évitant ou en limitant le contentieux, ce qui est important.
Les premiers cas de militaires qui ont été signalés comme radicalisés remontent à 2013 et 2015. Je ferai allusion aux volontaires qui sont partis en Syrie, quelquefois se battre du côté obscur, mais aussi à un projet d'attaque contre un sémaphore au cap Béar en 2015. Il s'agissait dans ce dernier cas d'un marin, qui avait été recruté relativement récemment. Enfin, il y a peu, à Dieuze, un militaire qui venait d'être recruté a été mis en cause dans une affaire d'agression.
Mais la plupart des cas de radicalisation avérés étaient le fait d'anciens militaires. C'était le cas de ceux qui sont partis en Syrie. En dehors du cas de Dieuze, nous avons jusqu'à présent très peu de cas signalés et identifiés de militaires en service radicalisés et ayant commis des actes de violence – je mets bien les deux conditions.
Je voudrais aussi insister à nouveau sur le fait que les armées constituent réellement un melting-pot social et culturel depuis des siècles. Elles n'ont jamais accordé la moindre importance à l'origine ethnique, religieuse ou culturelle de leurs combattants. Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les hommes et les femmes et ce qu'ils sont capables de réaliser.
Nos valeurs sont extrêmement fédératrices et intégratrices, y compris pour nos personnels civils. Les valeurs de la défense, d'engagement sont épousées très fortement aussi par les civils. Et je peux en témoigner, car je suis un peu le symbole de la synthèse entre les personnels civils et militaires du ministère et je dois veiller à leur cohésion autour des mêmes missions et des mêmes valeurs. Ce n'est pas qu'une déclaration, c'est une réalité.
Troisième point, je voudrais revenir sur les évolutions législatives et réglementaires, pour lutter contre la radicalisation.
Le corpus législatif et réglementaire a fortement augmenté après les événements de 2015 et plus particulièrement depuis 2016 avec la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, puis avec la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et le décret du 2 août 2017 modifiant le décret du 5 mars 2015 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste » (FSPRT).
Ces dispositions permettent, dans le respect des droits individuels, de consulter les systèmes de traitement de données et de diligenter des enquêtes administratives. La mise en œuvre du RGPD en 2018 n'a pas réellement rendu les choses plus difficiles ; simplement elle oblige à les normaliser et à les tracer de manière beaucoup plus précise.
L'ensemble des dispositifs de contrôle élémentaire et de sécurité intéressant les agents sont classifiés, ainsi que les documents afférents. Les opérations de détection, de criblage et d'enquête administrative sont donc extrêmement normées.
Ces dispositifs sont évidemment beaucoup plus approfondis pour le personnel militaire, car ils peuvent intervenir dès le recrutement à partir de l'enquête de sécurité de la DRSD et systématiquement pour les habilitations confidentielles défense (CD) et secret défense (SD), renouvelées respectivement tous les dix et cinq ans – mais aussi en lien avec tout événement susceptible de les remettre en cause.
Enfin, pour le personnel militaire comme pour le personnel civil, la question de la radicalisation se pose surtout en cours de fonction, après le recrutement.
La loi d'octobre 2017 a apporté une première réponse inédite en permettant la radiation d'un cadre militaire ou civil sans faute disciplinaire, eu égard à une menace grave pour la sécurité publique. Et en février 2018 un deuxième plan national de prévention de la radicalisation (PNPR) est venu compléter le maillage de détection et de prévention, au moyen de mesures précisées pour la disposition de l'application de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure et de l'article L. 4139-15-1 du code de la défense.
À ce stade nous considérons au ministère que le corpus réglementaire est, de ce point de vue, suffisant.
Nous n'avons d'ailleurs pas encore utilisé les dispositifs prévus aux articles L. 114-1 du code de la sécurité intérieure et L. 4139-15-1 du code de la défense. Mais nous sommes prêts à le faire, le cas échéant.
Nous avons un dialogue étroit et confiant avec la DRSD ainsi qu'avec les employeurs du ministère pour être très déterminés dans cette lutte, mais aussi pour agir avec discernement, discrétion et mesure. Mais il s'agit aussi de conserver la cohésion du corps social des armées autour des valeurs d'efficience au combat et, plus généralement, d'engagement des civils aux côtés des militaires. Il s'agit donc de traiter ces sujets avec beaucoup de circonspection et de recul. Mais je ne doute pas que vous en êtes pleinement conscients.
Tout dépend de quoi l'on parle.
Si l'on parle des signalements de personnes potentiellement radicalisées ou à suivre, ces informations sont détenues par la DRSD.
Ces signalements sont généralement informels, puisqu'il s'agit de laisser le moins possible de traces. Les fichiers existent dans les systèmes d'information de la DRSD. Soit nous constatons des évolutions de comportement, que nous signalons à la DRSD, soit c'est la DRSD qui nous les signale.
Nous suivons ensuite des individus qui peuvent être ou ne pas être fichés S. Un individu n'est d'ailleurs pas forcément fiché S pour des raisons de radicalisation religieuse, et ne l'est pas forcément directement pour des actions qui seraient de son fait. Un individu peut ainsi être fiché S parce qu'il vit dans un environnement familial potentiellement à risque.
Il est donc extrêmement difficile de vous dire, même avec la comptabilité des fichés S – si tant est que je puisse l'avoir – qui est radicalisé et qui ne l'est pas.
Je reviens à mon préambule : que veut dire « être radicalisé » ? Cela signifie-t-il commencer à avoir un comportement qui dérive ou être déjà sur le point de passer à l'acte ? Et comment estimer si quelqu'un va passer à l'acte ? Notre difficulté est là.
Globalement, cent à cent-cinquante personnes sont surveillées dans le ministère, pour ce qui est des militaires. Et environ trente à quarante personnes, réparties dans les trois armées, font l'objet d'une surveillance très attentive.
Je n'ai jamais eu encore à ce jour de proposition – transmise au cabinet du ministre ou directement à moi en tant que secrétaire de la commission de l'article L. 4139-15-1 du code de la défense – d'instruction de cas particuliers de personnels militaires ou de personnels civils.
Pour ce qui est des personnels civils, nous sommes confrontés à environ trente à quarante cas problématiques depuis 2015. Ces cas ne sont pas forcément liés à une radicalisation religieuse, mais tiennent le plus souvent à des questions de droit commun, ou à des questions d'intelligence économique ou de renseignement – liées à des puissances importantes comme la Russie ou la Chine. Certaines personnes peuvent ainsi avoir des relations familiales avec certains pays, ce qui justifie des mesures de surveillance de la part des services de renseignement. Ces derniers nous préviennent, mais le font quelquefois avec un délai qui n'est pas toujours compatible avec les mécanismes des concours et de la période de stage initial, que suit tout fonctionnaire lorsqu'il est admis à un concours de la fonction publique.
Ce problème pourrait aussi se poser dans le cas d'une suspicion de radicalisation. Mais jusqu'à présent aucun cas de ce type ne s'est présenté pour ce qui est du personnel civil. Nous avons en revanche des cas de droit commun.
Dans le cadre de vos services de renseignement, si vous apprenez qu'un de vos agents se convertit, une procédure particulière est-elle mise en œuvre pour prendre en compte cette information ?
Je tiens à être très clair. La pratique des fiches est terminée depuis le XIXème siècle. Nous n'avons aucun suivi de la religion des personnes au sein du ministère des Armées. Et nous nous astreignons à ne pas le faire.
En revanche, si un service de renseignement nous prévenait, ce serait moins parce que la personne a changé de religion que parce que son environnement familial, affectif ou sociétal a évolué et que nous devons donc être vigilants. Ce serait une forme de signalement. Et nous prendrions en compte immédiatement l'information.
Les armées sont un milieu extrêmement ouvert, et nous avons beaucoup de personnes musulmanes en leur sein de nos armées. Le simple fait de rencontrer une jeune femme de religion musulmane peut quelquefois inciter un homme sans conviction à se convertir pour pouvoir l'épouser – sinon, ce serait très compliqué pour lui du point de vue des relations avec la famille de cette jeune femme. Il est donc difficile de tirer d'une conversion des conclusions sur un phénomène de radicalisation. J'appelle donc à beaucoup de circonspection sur ce sujet.
Je parlais uniquement de personnes qui travaillent au sein de services sensibles ou de services de renseignement du ministère des Armées.
Pour ce qui est des services de renseignement, en cas de doute, ces services sont les premiers à connaître parfaitement les procédures. La DRSD pourrait faire un signalement ou prononcer un avis réservé ou restrictif sur une habilitation CD ou SD, par exemple – ce qui poserait un problème majeur d'employabilité pour un militaire, moins pour un civil. En effet, peu de civils ont une telle habilitation.
J'ai déjà été confronté pour ma part à des avis restrictifs, non pas pour des cas de changement de religion ou d'évolution liée à la religion, mais plutôt pour des motifs de relation avec des superpuissances militaires rivales. Cela nous amène, non pas nécessairement à vouloir nous séparer de la personne, mais en tout cas à prendre des dispositions provisoires consistant notamment à ne pas l'envoyer en opération extérieure, à la surveiller attentivement, et, éventuellement, à ne pas renouveler son contrat, s'il s'agit d'un contractuel.
Nous adoptons les mêmes dispositions dans les cas de personnes suspectes d'une potentielle radicalisation.
Vous évoquiez la loi Savary de 2016. Avez-vous recours aux services du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) pour les recrutements contractuels ?
Non.
Pour ce qui est des contractuels et des personnels civils en général, nous ne sommes pas tenus de faire des contrôles ou des enquêtes administratives. Ce n'est pas prévu légalement, et le Gouvernement ne le souhaite d'ailleurs pas.
Ce qui nous permet de mener des contrôles élémentaires de sécurité, c'est que nous positionnons des civils dans des locaux sensibles du point de vue de l'accès. C'est ce qui nous permet de faire des contrôles élémentaires de sécurité sur les personnels civils. Mais il existe des cas très différents.
Plus que les zones géographiques, ce sont les sites militaires qui déterminent les contrôles. Cela nous permet de résoudre la totalité des cas.
La prise de conscience a eu lieu dans les années 2013-2015. Et les contrôles élémentaires de sécurité sont faits par la DRSD. De plus, de manière systématique depuis fin 2016, dès que quelqu'un s'inscrit à un concours un processus de contrôle se déclenche. Un délai est nécessaire avant d'en obtenir le résultat. Il peut arriver que ce dernier n'arrive qu'après la réussite de la personne concernée au concours. Mais des mesures de suspension sont possibles durant la première année.
En général, nous mettons moins d'une année pour traiter ce genre de contrôles élémentaires de sécurité, qui sont assez rapides. Je ne peux vous affirmer en revanche qu'ils sont étanches.
Si une personne est admise à un concours, se trouve dans sa première année d'exercice de ses fonctions, et fait l'objet d'un avis négatif de la DRSD, que se passe-t-il ? Cette personne est-elle exclue ?
Si cette personne est fonctionnaire titulaire, nous la suspendons. Ensuite, nous sommes confrontés à un risque de contentieux. Nous avons ainsi quelques contentieux en cours pour des personnes pour lesquelles nous avons découvert des faits de droit commun qui n'étaient pas inscrits dans leur casier judiciaire.
Ces personnes sont entre trente et quarante, pour les civils. Pour les militaires, nous comptabilisons entre cent et cent-cinquante signalements depuis 2015, pour toutes les armées.
Pour ce qui est des ouvriers d'État, qui passent des examens professionnels, nous avons toute latitude pour attendre le résultat du contrôle élémentaire de sécurité avant de valider les examens.
Et concernant les contractuels au sens propre, nous avons la possibilité de faire durer leur période probatoire jusqu'à l'obtention du résultat du contrôle élémentaire de sécurité.
Le cas le plus délicat est celui des fonctionnaires, dans l'hypothèse où les résultats des contrôles n'arriveraient qu'après un an. Mais jusqu'à présent ce cas n'est pas présenté.
Nous distinguons par ailleurs deux situations. Nous regardons plus attentivement les fonctionnaires positionnés sur des métiers techniques et susceptibles de faire des choses assez sensibles, voire d'aller dans des services de renseignement. Nous avons en ce cas un système de contrôle systématique, qui intervient dès l'inscription au concours et non après l'admission.
Comment traitez-vous les prestataires ou les entreprises qui interviennent sur les sites ?
J'ai un important service informatique et suis donc amené régulièrement à surveiller ce que font les prestataires. Un officier de sécurité contacte la DRSD dès qu'il a le moindre doute, comme tout employeur.
Avant 2015, nous avions constaté que certains sous-traitants, notamment informatiques, employaient des gens issus de pays sensibles – indépendamment de la religion. Le monde de l'informatique rassemble, comme vous le savez, beaucoup de gens du Maghreb, d'Inde ou du Pakistan. Il faut donc se montrer vigilant.
Aujourd'hui il est impensable de laisser entrer ces personnes. Et cela pose d'ailleurs un problème aux sociétés informatiques.
Si vous aviez à évaluer l'état de la menace interne de radicalisation, diriez-vous qu'il s'agit d'un sujet maîtrisé, même si le risque zéro n'existe pas ?
C'est un sujet maîtrisé, mais nous y portons une attention majeure.
Les attaques à la préfecture de police ont contribué à remobiliser et à resensibiliser nos chaînes RH, notamment dans les armées, pour obtenir une vigilance maximale.
Je n'ai pas la prétention de dire que notre dispositif est étanche, en tout cas il est robuste et il est en amélioration constante depuis 2015. Cela, je peux l'affirmer.
Ce dispositif a-t-il été renforcé depuis le 3 octobre 2019 ? Avez-vous lancé un appel à la vigilance supplémentaire en interne ?
Depuis le 3 octobre 2019, nous avons simplement pris des mesures de sensibilisation, en lien avec le cabinet du ministre, à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique.
J'ai interrogé de nouveau formellement tous les DRH d'armées pour m'assurer que nous n'avions pas de cas qui nécessiteraient d'activer la commission de l'article L. 4139-15-1 du code de la défense. Nous avons donc refait un balayage complet de tous les cas potentiels.
Par ailleurs, depuis novembre 2019, nous bénéficions d'un guide interministériel élaboré par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et auquel le ministère des Armées a largement contribué, qui détaille les dispositions applicables au recours à cette commission.
Vous nous avez donné des éléments précieux, je vous en remercie. Je vous redis notre confiance et notre soutien.
La séance est levée à 18 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. François Pupponi
Excusés. - M. David Habib, M. Guy Teissier