Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du vendredi 30 octobre 2020 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CARENE
  • CLS
  • agglomération
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  • alcool
  • cancer
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  • tabac
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La réunion

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L'audition débute à dix heures trente-cinq.

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Nous continuons nos auditions des représentants des communes et des intercommunalités en accueillant les représentants de la communauté d'agglomération de la région nazérienne et de l'estuaire (CARENE). M. Claude Aufort est maire de la commune de Trignac, et vice-président de la CARENE. Mme Maribel Létang-Martin est conseillère municipale, adjointe au maire de Saint-Nazaire, et chargée de la santé et du suivi du contrat local de santé.

Comment les établissements publics de coopération intercommunale s'insèrent-ils dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de santé environnementale ? L'exemple de l'agglomération de Saint-Nazaire pourra apporter une réponse concrète et illustrée à cette question.

(M. Claude Aufort et Mme Maribel Létang-Martin prêtent serment.)

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Claude Aufort

Sur le plan de l'agglomération, les questions de santé sont apparues assez tardivement, d'abord par le biais de l'air. En 1995, dès l'instant où le plan climat-énergie territorial (PCET) est devenu le plan climat-air-énergie territorial (PCAET), nous avons vu apparaître la dimension de l'air dans les plans « énergie » territoriaux.

Dans leurs politiques, les communautés d'agglomération n'étaient pas très sensibilisées aux questions de santé. Nous considérions ces questions comme étant plutôt portées par l'État. Néanmoins, les élus ont été progressivement sensibilisés aux questions de santé liées à l'air, notamment à travers la participation aux assises européennes de la transition énergétique, qui se tiennent chaque année, principalement à Bordeaux. Certains ateliers concernaient en effet la santé environnementale.

Plus récemment, cette dimension de santé nous a conduits à adhérer à l'alliance des villes pour la qualité de l'air. Celle-ci réunit un certain nombre de villes, souvent des bassins industriels, touchés par la pollution de l'air et les questions de santé environnementale.

Nous avons été également questionnés par des associations. Celles-ci ont joué leur rôle, en étant parfois des trublions pour les politiques. Elles se sont en effet émues de certains rapports parus sur la surmortalité due au cancer à Saint-Nazaire et dans sa région, notamment dans les petites villes industrielles qu'elle comporte. Je suis maire de l'une d'entre elles, Trignac, particulièrement concernée par cette surmortalité.

Outre cette sensibilisation et ces questionnements, nous avons essayé de répondre à un certain nombre de politiques publiques, par exemple avec le plan de protection de l'atmosphère du schéma de cohérence territoriale (SCOT). Une partie du plan régional porte sur l'environnement, à une échelle plus large que nos actions en intercommunalité. Nous devons en tenir compte dans nos PCAET.

Nous avons également adhéré à l'association Air Pays de la Loire, l'une des associations régionales traitant de la qualité de l'air. Nous y avons pris des responsabilités : je siège notamment à son conseil d'administration au sein duquel je poursuis l'engagement de sa précédente vice-présidente. Ces associations travaillent en lien avec les intercommunalités, pour déterminer la qualité de l'air ambiant.

Notre travail avec Air Pays de la Loire nous a conduit à agir en ce qui concerne la qualité de l'air intérieur, notamment dans les écoles et certains lieux publics. Il s'agissait de notre point d'entrée dans cette question.

Aujourd'hui, la communauté d'agglomération s'est emparée de la politique de santé à son niveau, sachant que d'autres acteurs partagent cette responsabilité. Elle commence ainsi à l'intégrer dans ses politiques, notamment à travers les questions d'environnement. Cela peut sembler simple, mais cela relevait plutôt du domaine de l'État ou des contrats locaux de santé (CLS) et n'entrait pas nécessairement dans la vocation de la communauté d'agglomération. Nous faisons partie des rares intercommunalités à avoir intégré cette question de la santé dans le mandat qui vient de démarrer.

Nous avons impulsé des conférences de santé environnementale avec le sous-préfet. Nous en avons mené deux pour l'heure, afin d'expliquer les données qui avaient été communiquées, notamment celles relatives à la surmortalité. Nous répondons ainsi aux questions des industriels, des associations, et des élus locaux.

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Maribel Létang-Martin

Le CLS de la ville de Saint-Nazaire a débuté en octobre 2015 et se terminera normalement au 31 décembre 2020. Un CLS dure en principe trois ans, mais il est apparu nécessaire au fil du temps d'adjoindre au nôtre un certain nombre d'avenants. En outre, comme les élections municipales se tenaient en 2020, il a été décidé de le prolonger jusqu'au 31 décembre de cette année.

Parallèlement, la CARENE se posait déjà la question de la santé, notamment en raison d'un rapport produit par l'observatoire régional de la santé en septembre 2019. Celui-ci faisait ressortir un taux de surmortalité par cancer bien supérieur à la moyenne nationale pour les hommes de moins de 65 ans, ainsi que pour les femmes, dans une moindre proportion, mais avec une surmortalité plus importante. L'étude de l'observatoire a été rendue publique, ce qui a conduit les élus locaux – le maire de Saint-Nazaire, ainsi que l'ensemble des vice-présidents de la CARENE – à s'interroger sur la situation.

Dans un CLS, la santé environnementale est envisagée sous plusieurs angles. Elle intéresse tous les habitants, et tous les citoyens. Elle interpelle tous les élus, ainsi que les associations, les organisations syndicales et le corps médical. L'ensemble des partenaires s'interrogeant sur la situation de notre territoire, nous avons demandé la réalisation, sans tarder, d'une étude épidémiologique globale. Comment expliquer cette surmortalité ? Est-elle causée par l'industrie, les comportements, ou la conjonction de ces éléments ? L'est-elle par le trafic routier ou la qualité des eaux ? L'ensemble des facteurs doit être étudié. Ceux-ci doivent être mis en relation, pour que nous puissions comprendre ce qu'il en est. Il est important de comprendre pour agir et d'agir pour comprendre. L'un ne va pas sans l'autre dans les questions de santé environnementale.

Il nous importe également de ne pas oublier, en matière de santé environnementale, les principes fondamentaux qui ont contribué à la qualité de notre action, pendant cinq ans, au titre du CLS, en particulier l'amélioration de l'accès aux droits et à la santé. Nous portons un regard particulier sur les jeunes, ainsi que sur les publics les plus fragiles, les plus précarisés, dont on sait qu'ils mènent moins de démarches volontaires de santé. En effet, dans une situation où tout est difficile, on ne s'occupe pas prioritairement de la santé. Il s'agit pour nous d'un premier axe.

Le deuxième axe porte sur le développement de la prévention et la promotion d'une santé durable. La prévention va contribuer à l'accès aux droits. Il est important de préserver sa santé et de la faire perdurer dans le temps. L'ensemble des partenaires, que ce soit l'État, les régions, les départements, les agglomérations, les collectivités locales, doit se mobiliser pour développer des actions de prévention et promouvoir une santé durable.

Le troisième axe vise à renforcer les ressources du territoire. Il existe un certain nombre d'acteurs, qu'ils soient institutionnels, comme l'hôpital, ou associatifs. Sur notre territoire, nombre d'associations interviennent dans le domaine de la prévention. Sur l'agglomération de Saint-Nazaire, la mortalité en matière de cancer est également liée à la consommation de tabac et d'alcool, même si depuis les années 1970, celle-ci a beaucoup baissé.

Néanmoins, les dépistages ont lieu trop tardivement. La mutualisation de l'ensemble des ressources est pour nous une véritable question, que ce soit le secteur libéral, public, ou associatif, qui est riche d'initiatives et de propositions. Il convient de faire en sorte que le dépistage n'intervienne pas trop tard pour pouvoir prendre en charge le cancer.

Il ne s'agit pas de culpabiliser les Nazairiens et tous les habitants de la région, quant à la consommation d'alcool, de tabac, ou d'autres substances. La prévention ne consiste pas à interdire. Cela doit être dit : interdire les consommations de toutes natures aurait un effet inverse. Les lois de coercition ne sont jamais progressistes. Néanmoins, il est important de s'inscrire dans une démarche de prévention et d'aller vers les habitants et vers les jeunes, avec des propositions qui les sensibilisent et les amènent à réfléchir par eux-mêmes.

Il n'est pas aisé de mesurer tous les effets des actions que nous avons mises en place. Néanmoins, la prévention a un impact. Nous sommes dans une phase d'évaluation du CLS : nous pouvons mesurer les relations de plus en plus fortes qui existent entre les publics, qu'ils soient jeunes ou en situation de précarité et l'ensemble des quarante et un partenaires à la pointe de leur domaine s'étant investis dans le contrat (professionnels de santé, hôpital, associations, etc.). Parmi ces partenaires figure également la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) ou la maison départementale des adolescents, importante en matière d'accompagnement. Celui-ci est en effet indispensable dans la prévention. Il doit s'inscrire dans une écoute et dans un soutien, où l'autre n'est pas considéré comme une personne enfermée dans son monde ou dans son addiction, mais comme un citoyen à part entière, quels que soient son âge, sa condition sociale ou son parcours de vie.

En cela, le CLS induit des relations de plus en plus étroites. Avant mon implication récente dans la thématique de la santé, j'étais chargée de la culture, lors de mon précédent mandat de conseillère municipale de Saint-Nazaire. Mais la culture est universelle. Je suis donc très heureuse que nous nous dirigions vers la construction d'un contrat intercommunal de santé. C'est l'objectif que nous poursuivons. Parmi les dix communes de la CARENE, seul Saint-Nazaire dispose d'un CLS. Nous le vivons comme un point d'appui, comme un outil, avec son histoire et son expérience.

De premiers éléments objectifs sur la santé environnementale, au niveau de l'agglomération, nous ont déjà été communiqués. Les élus et les services vont échanger, afin de déterminer ce qui est important pour nos dix communes. Il ne s'agit pas de faire un copier-coller du CLS de Saint-Nazaire appliqué à l'ensemble des communes de la CARENE. Nous devons établir ce qui nous rassemble et ce qui nous distingue, par exemple, pour améliorer l'accès aux droits. Par la suite, nous discuterons bien évidemment avec nos partenaires, à commencer par l'État – le préfet de Loire-Atlantique, sur le volet de la politique de la ville, puisque les CLS y sont rattachés. Nous échangerons également avec l'agence régionale de santé (ARS), qui a également des objectifs en matière de santé. Nous devons croiser nos regards et nous accorder. C'est le plus important : il s'agit de nous mettre d'accord sur des orientations fondamentales. Chacun doit conserver ses prérogatives, mais nous devons nous rassembler sur des objectifs qui concernent l'ensemble de la population de la CARENE, et même au-delà. Nous travaillons en effet avec d'autres agglomérations.

Nous allons néanmoins commencer par la CARENE. Je n'étais pas conseillère communautaire au cours du précédent mandat, mais j'ai pu constater la capacité des communes à travailler ensemble dans ce cadre, quelle que soit leur couleur politique. Elles ont été capables de construire un plan local interurbain d'urbanisme et un plan interurbain de transport, que le parti communiste a voté. Je l'ai constaté lors de la réunion plénière de présentation. Il existe donc une capacité de mobilisation de ces acteurs.

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Je vous remercie pour cette présentation très détaillée de votre CLS, son contenu, vos objectifs, votre volonté d'étendre cette dynamique à l'ensemble de la communauté d'agglomération.

Parmi les communes de la CARENE, seule Saint-Nazaire dispose pour le moment d'un CLS. Cela confirme les propos de la représentante de l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : ces démarches contractuelles ne sont pas encore très répandues. Nous avons compris que vous souhaitiez faire en sorte que toute la CARENE soit mobilisée dans cette démarche.

À plusieurs reprises, M. Claude Aufort a dit que vous considériez initialement les démarches de santé environnementale comme relevant plutôt du domaine de l'État. Vous vous êtes mobilisés à la suite de la publication de données épidémiologiques, qui ont provoqué une prise de conscience.

Votre mobilisation est relativement récente, puisque votre CLS date de 2015. Il a été reconduit à plusieurs reprises. Comment analysez-vous cette expérience, qui me semble représentative de l'impact auprès du grand public du recueil et de la publication de données ?

De même, qu'en est-il du rapprochement entre les données épidémiologiques et les données sanitaires ? Quelle est votre vision, votre ressenti, votre vécu d'élu de terrain sur la façon dont ont été gérés l'information et le partage des données ? Comment améliorer la création de bases de données, qui permettent aux élus de terrain de mener des politiques de prévention en santé environnementale ?

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Claude Aufort

Cette question me semble très importante. La sensibilisation des politiques locales à ces questions m'apparaît multifactorielle. Nous avons besoin d'enquêtes bien faites, comme celles de Santé publique France, qui en a notamment mené une sur les risques professionnels. M. Yannick Haury, en tant qu'élu de Saint-Brevin-les-Pins, connaît bien ce bassin industriel. De nombreux cancers y sont liés, entre autres, à l'amiante. Nous sommes un peu tétanisés par la question des risques professionnels.

L'annuaire régional des cancers des risques professionnels doit pouvoir produire des données et nous interpeller, ce qu'a fait Santé Publique France, même si son étude n'était pas une enquête épidémiologique. L'agence nous communiquera prochainement une étude de zone, c'est-à-dire une étude portant sur les pollutions qui peuvent affecter la santé des habitants. Des études reprises par le sous-préfet et par les élus nous semblent importantes, car elles permettent un débat public.

Néanmoins, cette seule dimension est insuffisante. Les associations sont également essentielles. Elles nous agacent de temps à autre, mais elles viennent nous piquer au vif, par exemple, en affirmant que la qualité de l'air provoque les cancers. Nous ne partageons pas nécessairement cette analyse, car ce problème est multifactoriel. Mais cela nous conduit à nous poser des questions intéressantes. Les associations permettent ainsi, à partir d'un rapport d'expertise, de parvenir à un débat public.

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Maribel Létang-Martin

Leur questionnement permet également d'initier des études.

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Claude Aufort

Les associations peuvent en outre demander des focales particulières. L'usine Rabas Protec travaille par exemple pour Airbus. Elle produit des peintures destinées aux avions et émet du chrome. Le chrome 6 étant un cancérogène recensé par l'Union européenne, les associations nous ont demandé de mener une étude. Leurs demandes sont importantes, comme l'est la vision plus globale, plus rationnelle et plus scientifique, de Santé publique France.

Néanmoins, les élus doivent également se sensibiliser. J'évoquais l'alliance des villes pour la qualité de l'air. Les élus et la sous-préfecture doivent s'emparer de ces études scientifiques, et les associations doivent trouver leur place.

Afin d'éviter une césure entre les associations et le monde des élus, nous avons formulé un certain nombre de propositions. À la demande des élus locaux, le sous-préfet a commencé ce travail, et nous allons encore le préciser. Des conférences santé-air-environnement seront organisées. Les associations doivent absolument y participer, de même que le plus grand nombre possible d'industriels. Au sein d'Air Pays de la Loire, figurent des associations, des industriels, et des institutions, comme dans tous les bureaux d'études pour la gestion de l'environnement. Nous devons également y parvenir dans notre bassin. Au-delà d'un simple rapport d'experts, la santé pourra ainsi faire l'objet d'un débat public. Nous pourrons travailler de manière nuancée et ne pas nous cantonner aux représentations des uns et des autres, qui ne sont pas toujours justes.

Nous allons continuer dans cette voie. Nous avons échangé avec un représentant du conservatoire national des arts et métiers (CNAM) travaillant sur la question des controverses publiques, notamment en matière de santé. Il ne faut pas nier ces controverses, mais nous demander comment travailler avec elles, afin d'amener le maximum d'acteurs locaux à se préoccuper des questions de santé.

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En préparant cette audition, nous avons remarqué qu'un certain nombre de médias, notamment France Bleu, et d'articles de la presse locale avaient rapporté les propos de M. David Samzun, maire de Saint-Nazaire et président de l'établissement public de coopération intercommunale de la CARENE. À propos des études épidémiologiques, il a ainsi déclaré : « Cela ne nous suffit pas. On doit savoir où on s'empoisonne. Au travail ? Est-ce lié à l'air que l'on respire ? À autre chose ? Il faut savoir ». Il aurait été intéressant que M. David Samzun s'exprime devant cette commission d'enquête, étant donné qu'il est le seul maire à avoir mis en place un CLS. Nous regrettons qu'il n'ait pu le faire.

L'objectif de cette commission d'enquête est d'apporter des réponses et de proposer des solutions aux différents problèmes liés à la santé environnementale et aux maladies chroniques. Il est vrai que certains propos tenus par les représentants de l'État concernant ce dossier, et qui nous ont été rapportés, ont pu choquer. Ils faisaient du tabac et de l'alcool l'unique cause de la mortalité liée au cancer, deux fois supérieure à la moyenne nationale.

Mme Maribel Létang-Martin, a indiqué que des réunions sur la santé environnementale avaient eu lieu avec le sous-préfet et d'autres représentants. Le taux de cancers est anormal, mais vous avez affirmé que cela ne serait pas dû à la pollution, mais plutôt au tabac et à l'alcool. Avons-nous bien compris ? Ces propos sont assez étonnants, puisque les études n'ont pas encore été menées. Avez-vous déjà une opinion arrêtée sur ce sujet ? Jugez-vous qu'il n'y a pas de pollution industrielle ? Cela interroge quand même.

Comment faites-vous remonter les informations en cas de phénomènes préoccupants constatés sur le terrain ? Vers qui vous tournez-vous ?

Quels sont vos rapports avec les administrations et les services de la région en ce qui concerne les questions de santé environnementale ? Y a-t-il des échanges sur le plan national santé-environnement (PNSE) et sur les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ? De quels moyens disposez-vous à l'échelle communale et intercommunale pour traiter ces questions ?

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Maribel Létang-Martin

La question du tabac, de l'alcool et des addictions en général a toujours été prise en compte à Saint-Nazaire, en raison des décès qu'elles provoquent. Je n'ai cependant pas dit qu'il s'agissait de la seule cause de mortalité en matière de cancers. C'est la raison pour laquelle au-delà du tabac et de l'alcool, il convient de se pencher sur la question des industries, de l'air, du trafic routier, des eaux, etc. L'ensemble de ces facteurs doit être mis en relation par des études scientifiques, soit par une étude de zone globale, et non site par site, soit par une étude épidémiologique. Ces études seront des points d'appui pour nous.

Vous avez lu dans la presse l'intervention du maire de Saint-Nazaire, président de la CARENE, ainsi que de la députée de la circonscription, et du sénateur Yannick Vaugrenard ici présent. Ils ont demandé que l'État mette en place concrètement ces deux études : l'étude de zone globale sur les divers polluants et l'étude épidémiologique.

Nous ne demandons pas à en connaître les résultats en deux ou trois mois. Les études scientifiques exigent du temps. Il n'est pas possible de disposer de résultats en si peu de temps. Les chercheurs doivent pouvoir mener leur enquête tranquillement, avec leur méthodologie. Ils nous apporteront des éléments au fur et à mesure. Nous devrons les prendre en compte. Ils interpelleront l'ensemble des partenaires : l'État, la région, l'agglomération et ses communes.

Une étude est dynamique, et c'est ce qui nous intéresse. Il faut du temps pour mener une recherche, et il faut laisser les chercheurs s'y atteler tranquillement, en toute indépendance. Nous ne leur demandons pas de nous dire ce que nous avons envie d'entendre, mais de nous expliquer ce qui se produit dans notre bassin industriel et dans notre région, parce que je pense que la problématique excède les frontières de Saint-Nazaire. Il nous a été dit, et nous le prenons positivement, que l'étude de zone globale sera menée à une échelle de vingt kilomètres par vingt kilomètres, soit quatre cents kilomètres carrés. Cela représente presque l'intégralité du périmètre de la CARENE, même s'il sera peut-être nécessaire d'aller au-delà.

Voilà notre état d'esprit. Nous ne pensons pas que nous allons pouvoir tout résoudre par nous-mêmes et à notre échelle. Les élus ont besoin de comprendre, et la population avec eux.

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Claude Aufort

Quelque chose se joue dans les questions de pollution industrielle, même si l'ARS nous fait remarquer la prévalence de l'alcool et du tabac dans la formation des cancers. En effet, toutes les zones industrielles en France connaissent ce problème de surmortalité due au cancer. Cela s'explique sans doute, en partie, par la sociologie des comportements, mais il est possible de penser que ces mélanges de diverses substances peuvent peser sur la santé des personnes.

Vous nous avez demandé vers qui nous nous tournons lorsque nous faisons face à ce type de problème. Un territoire comme le nôtre échange fréquemment avec la sous-préfecture. Le CLS nous a également conduits à nouer un lien très particulier avec l'ARS. Des points réguliers ont lieu, avec des interlocuteurs attentifs aux questions qui se posent à nous, et avec qui nous pouvons discuter. Enfin, nous avons des liens avec les industries, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et l'État.

Nous discutons avec ces acteurs lorsque nous rencontrons des problèmes particuliers. Cela peut s'avérer plus ou moins aisé, mais, sur un territoire comme le nôtre, nous parvenons à ce que les échanges entre les élus, la population et les différentes institutions aient lieu.

De quels moyens disposons-nous ? Mme Maribel Létang-Martin vous répondra quant à ceux du CLS. La CARENE commence à peine à traiter des questions de santé environnementale. Un quart du temps de Mme Sandrine Laisné y est consacré. Ces questions prennent cependant une dimension plus importante désormais. Un emploi à mi-temps serait sans doute plus adapté, mais il n'en existe pas encore à la CARENE. Ce temps est donc pris sur celui de Mme Sandrine Laisné. Nous avons des besoins en moyens particuliers pour suivre ces questions. Il s'agit également d'un engagement important du vice-président, qui n'est plus uniquement chargé du PCAET, mais également des questions de santé.

Il est vrai que cela exige du temps de la part des élus, par exemple au titre de leur participation à l'alliance des villes pour la qualité de l'air ou à l'association Air Pays de Loire. Ils doivent pourtant le faire.

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Maribel Létang-Martin

Les actions sont prises en charge au titre du CLS. Différents abondements financiers proviennent, pour une part, du contrat de ville – c'est pourquoi j'évoquais le préfet de Loire-Atlantique –, et, pour une autre part, de la ville de Saint-Nazaire, en particulier pour un poste de l'atelier santé-ville et pour la coordination de l'ensemble des quarante-sept actions du CLS.

Nous disposons parfois de doubles financements. Il faut du reste arrêter de complexifier les financements, mais je ne vous l'apprends pas. En l'état, on affecte à tel point de coordination ou de relation avec telle action un dixième du coût du poste, etc. Pour travailler sereinement, si une question est jugée importante par tous les partenaires, les financements doivent suivre, et mettre tout le monde à l'aise.

Une partie ville figure nécessairement dans le poste précité. La ville prend actuellement entièrement en charge la coordination du CLS. Néanmoins, et il est important de le dire, cela implique des moyens réduits. Je ne parle pas du financement des actions, qui peuvent s'inscrire dans des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens pouvant relever pour partie du contrat de ville ou d'autres.

Nous devons disposer de l'ingénierie nécessaire pour construire notre contrat local intercommunal de santé. Il s'agit d'une véritable question. Nous accueillerions volontiers une aide substantielle de l'État en la matière. La volonté politique existe. Les partenaires du CLS de Saint-Nazaire, qui interviennent au-delà de la commune, sont très favorables à ce contrat intercommunal. Ils l'ont exprimé lors de l'évaluation du CLS, et sont prêts à se mobiliser.

Il ne faut cependant pas épuiser les institutionnels et les partenaires, qui ont tous une même volonté, et des objectifs communs. Nous avons besoin de soutien. La ville, comme la CARENE, consacrent des moyens à ces réflexions et à ces actions concrètes, mais nous devons nous sentir confortés et à l'aise. Je pense que c'est ainsi que nous pourrons encore mieux travailler.

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Ces problématiques se retrouvent dans d'autres territoires industriels en France. Je trouve choquant de stigmatiser la population, en accusant l'alcool et le tabac. On sait très bien que des entreprises comme Yara polluent dans votre territoire. Il est important de continuer à mener des recherches, comme vous le demandez du reste, et de ne surtout pas stigmatiser la population.

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Maribel Létang-Martin

Je partage tout à fait vos propos. L'intérêt d'une étude globale de zone – et nous espérons très fortement qu'une étude épidémiologique sera également mise en place – réside dans le fait qu'elle permettra des croisements avec d'autres sites, et notamment des sites portuaires comme ceux de Saint-Nazaire et sa région. Les recherches menées sur ces autres sites permettront d'enrichir les éléments de la nôtre.

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Vous souligner avec raison que ce qui se fait à Saint-Nazaire constitue un modèle du genre, qui pourra, par la suite, être reproduit dans d'autres zones portuaires rencontrant les mêmes difficultés. Il s'agit d'un problème de fond, qui est international, là où existent des activités maritimes et commerciales. Nous portons donc un grand intérêt à la suite de ces démarches.

Nous avons entendu que la volonté politique existe, et que vous avez lancé une dynamique à l'échelle intercommunale. Vous avez cependant besoin de vous sentir soutenus dans votre démarche. Il existe malheureusement un décalage inévitable entre l'urgence qu'il y a à intervenir pour protéger la population et les délais nécessaires aux études et recherches scientifiques. Celles-ci sont en effet indispensables pour ne pas se tromper de cible.

C'était l'objet de votre débat avec la rapporteure. Quelle est l'origine exacte de cette mortalité liée au cancer ? Plusieurs pistes sont possibles, et il ne faut pas se tromper. Il est vraisemblable qu'existe une conjonction de plusieurs facteurs, le fameux « effet cocktail », d'où la difficulté de définir des politiques publiques. Vous êtes également confrontés à la difficulté de gérer l'émotion, ce qui est nécessaire pour ne pas se précipiter sur des réponses toutes faites – alcool, tabac – alors que d'autres éléments entrent peut-être en jeu.

Nous vous remercions pour les éléments généraux et reproductibles ailleurs que vous nous avez présentés, ainsi que pour l'intérêt de la démarche que vous menez dans votre zone très particulière. Celle-ci connaît des problématiques très spécifiques, mais pourra constituer par la suite un modèle méthodologique pour d'autres zones impactées de la même manière.

L'audition s'achève à onze heures trente.