L'audition débute à onze heures trente.
Nous accueillons maintenant le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique, autrement dit le CRIIGEN. Le CRIIGEN a été fondé en 1999. Il se présente ainsi : « un comité apolitique et non militant de recherche, d'expertise, de conseil, de formation et d'information, indépendant des producteurs d'OGM et indépendant des industries agrochimiques et semencières. Il évalue les bénéfices des techniques du génie génétique et des produits chimiques de synthèse comme les pesticides et autres perturbateurs endocriniens. Sa structure transdisciplinaire lui permet d'aborder ces questions sous différents angles, scientifique, médical, juridique, économique et environnemental ».
Nous souhaiterions donc connaître l'appréciation du CRIIGEN sur la mise en œuvre des politiques de santé en France et sur les priorités qui doivent les animer.
(M. le docteur Spiroux de Vendômois prête serment.)
Mme la Présidente, je vous remercie de m'avoir convié à cette audition parce que cette problématique de santé environnementale m'est chère et chère également aux membres du CRIIGEN. Héraclite disait que « L'état de santé de l'homme est le reflet de l'état de santé de la Terre ». En regard de l'état de notre environnement, nous pouvons imaginer que notre santé n'est pas bonne. Hippocrate, quant à lui, affirmait que « L'aliment est ton premier médicament ». Malheureusement, si l'aliment est rempli de résidus chimiques toxiques, il ne sera pas un bon médicament. Je rappelle la définition de la santé environnementale portée par l'OMS depuis 1994 : « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux et psychosociaux, esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle, de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures ». Une très belle définition, dont nous constatons dès maintenant qu'elle n'est pas mise en œuvre. La charte de l'environnement, promulguée en 2005 sous forme de loi constitutionnelle énonce dans son premier article : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». Il n'en est pas ainsi dans la vraie vie.
La notion d'environnement n'est pas considérée par nos autorités publiques comme elle devrait l'être, parce que l'environnement est bien plus complexe que ce que l'on nous présente. L'environnement est composé d'abord de l'environnement biologique qui concerne les bactéries, les virus, etc. Nous savons ce que sont les virus et nous savons comment un simple virus peut déstructurer complètement une société ; nous le vivons actuellement. Les humains appartiennent à l'environnement biologique. L'environnement comprend également l'environnement chimique, à savoir les xénobiotiques, présent dans l'air, l'eau, le sol, l'alimentation, et qui nous empoisonnent sans bruit ; l'environnement physique avec le réchauffement climatique et, enfin, l'environnement socio-anthropologique. Ce dernier environnement est fondamental puisqu'en fonction des décisions sociétales, l'accès aux soins est plus ou moins facile, les traitements sont plus ou moins accessibles, etc. Et quoi qu'il en soit, un bidonville ne présente pas les mêmes pathologies qu'un hôtel particulier du seizième arrondissement. Nous constatons actuellement que les décisions sociétales face à la Covid ont un impact. Un autre environnement intègre cet environnement socio-anthropologique, l'environnement cognitif, qui concerne les moyens par lesquels nous appréhendons notre environnement, c'est-à-dire notre culture, les médias, la publicité, l'enseignement. En Europe, nous n'entretenons pas le même rapport avec notre environnement qu'un chasseur cueilleur bantou. Ces distinctions sont fondamentales, ainsi que les aspects comportementaux qui en découlent, parce que l'homme étant un animal adaptable, il peut se protéger ou se mettre dans des situations plus dramatiques.
Selon l'Agence européenne de l'environnement, l'Europe produit trois cents millions de tonnes par an de xénobiotiques. Ces produits se retrouvent dans notre environnement, dans l'air, dans l'eau et c'est ainsi que, selon Hallmann et al., en 2017, 75 % de la biomasse des insectes volants ont disparu en vingt-sept ans. Par ailleurs, le rapport de WWF de 2018 fait état d'une diminution de 66 % en quarante-quatre ans de la biodiversité animale. La même source indique en 2020 que 68 % des vertébrés ont disparu en moins de cinquante ans. Les causes sont naturellement plurifactorielles, tout comme celles des pathologies et nous reviendrons sur les genèses plurifactorielles des pathologies.
Les xénobiotiques et les perturbateurs endocriniens comprennent les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les composés perfluorés, les composés phénoliques, les composés polybromés, les dioxines, les PCB, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), certains métaux lourds (mercure, plomb, arsenic, etc.), les phytoestrogènes, les résidus de médicaments hormonaux, etc. Ce n'est pas pour rien que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a mis en œuvre un plan « résidus de médicaments dans l'eau ».
Des études publiées en 2017 par le centre américain de contrôle et de prévention des maladies (The Centers for Disease Control and Prevention CDC) ont montré que le sang d'importants pourcentages de la population contenait des xénobiotiques. Ce n'est pas tolérable. Le CDC a recherché deux cent quatre-vingt-sept xénobiotiques dans le sang de cordon chez des femmes enceintes : la présence de quarante-sept xénobiotiques a été détectée chez toutes les femmes enceintes testées et les mêmes produits se retrouvent dans le lait maternel. Ce n'est pas tolérable dans une société digne de ce nom.
Ces constats induisent une augmentation des maladies chroniques environnementales, des maladies neurodégénératives, des cancers, des allergies, du diabète, de l'hypertension, de l'asthme. Aux États Unis, l'espérance de vie en bonne santé diminue non seulement en raison des produits chimiques, mais également des difficultés d'accès aux soins qui relève de l'environnement socio-anthropologique que j'évoquais précédemment. Nous constatons également l'augmentation de pathologies touchant la reproduction chez les humains (cancers du testicule, pubertés précoces, malformations congénitales) et les hommes ont perdu 50 % de leurs spermatozoïdes en cinquante ans. Ce n'est pas tolérable.
En 2019, nous avons enregistré 382 000 nouveaux cas de cancers. En 2018, 157 400 décès étaient liés au cancer. En 2017, 1,2 million de malades ont été hospitalisés pour un cancer. Le nombre de cas de cancers a augmenté de 10 % en cinq ans. Ce n'est pas tolérable.
En 2005, un enfant sur cinq cents était atteint de cancer. En 2018, un enfant sur trois cent vingt est atteint de cancer. Ce n'est pas tolérable.
Souvent, lorsque je présente ces statistiques, on me renvoie que les cancers sont désormais plus facilement guéris. Certes, mais dès lors qu'on est obligé de les soigner, cela signifie qu'il est déjà trop tard, c'est-à-dire qu'il aurait été préférable d'éviter la mise en contact de ces enfants avec des produits chimiques toxiques.
Les pathologies dites « chroniques » sont des pathologies environnementales. D'ailleurs mon objectif consiste à faire en sorte que l'intitulé de ces pathologies chroniques devienne « pathologies environnementales ». Cela faciliterait les prises de conscience, notamment de nos politiques, parce que les pathologies chroniques sont souvent considérées comme normales lorsqu'on vieillit. Ces pathologies environnementales mettent en exergue l'incapacité des autorités publiques et des organismes d'évaluation des risques à protéger la santé de la population et de l'environnement.
Il n'existe aucune chaire d'enseignement en santé environnementale dans aucune des facultés de médecine de France. C'est inadmissible. Cette discipline devrait exister. Nos jeunes confrères, nos jeunes internes n'ont alors aucune notion relative aux perturbateurs endocriniens puisque leur cursus ne contient même pas une heure de formation sur ce sujet. En outre, les formations universitaires (les diplômes universitaires – DU – en santé environnementale) sont quasiment inexistantes. Les développements personnalisés continus (DPC), destinés aux médecins déjà installés, proposent vingt et une heures de formation par an, toutes disciplines confondues. Il est donc impossible de former nos confrères sur une problématique aussi vaste. Aucune formation à la santé environnementale ne figure dans le cursus des pharmaciens, des sages-femmes et des infirmières. Des cours d'initiation à la santé environnementale devraient être inclus dans l'ensemble des études supérieures de sorte que chacun ait la notion de l'impact qu'il produit.
Les pesticides, sujet qui fâche le plus, constituent un des chevaux de bataille du CRIIGEN. Le Grenelle de l'Environnement de 2008 a mis en place le plan Ecophyto. Ce plan avait pour objectif une diminution de l'utilisation des pesticides de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Le 7 janvier 2020, le ministère de l'Agriculture a annoncé les résultats suivants :
– augmentation de 24 % de l'utilisation des pesticides entre 2017 et 2018,
– augmentation de plus de 25 % de cette utilisation en dix ans.
Ces résultats ont été enregistrés malgré le lancement des plans Ecophyto II en 2015 et Ecophyto II+ en 2019. Finalement, la population française se nourrit d'une alimentation pauvre nutritionnellement et riche en résidus toxiques. Ce n'est pas pertinent.
La définition des perturbateurs endocriniens est trop restrictive. Un accord européen a été signé en 2017, mais il est trop restrictif parce qu'il impose non seulement qu'un perturbateur endocrinien perturbe le système endocrinien, mais encore qu'il y ait une relation directe de cause à effet. Cette notion n'est pas pertinente puisqu'elle restreint terriblement la problématique. Les perturbateurs endocriniens se trouvent partout, y compris dans le ventre des femmes enceintes. Dès lors, si un problème survient, nous ne pourrons pas mettre en exergue un produit par rapport aux autres et le lien direct de cause à effet ne sera pas respecté.
Les perturbateurs endocriniens présentent des caractéristiques chimiques particulières. Les petites doses peuvent être plus toxiques que les fortes doses. Surtout – et c'est le point le plus important –, leur dangerosité est maximale pendant la gestation et pendant la petite enfance et induit des impacts sur la puberté, la procréation à venir, l'âge mûr et sur les personnes âgées. Il importe donc de se protéger au maximum de ces perturbateurs endocriniens, en les supprimant de notre alimentation.
Souvent, dans les articles que nous lisons, dans ce que nous entendons à la radio ou à la télévision, voire dans le contenu de nos textes, la population est stigmatisée et les patients sont culpabilisés, notamment s'ils présentent un surpoids, une obésité, qui conduit à les accuser de trop manger. On omet bien sûr de préciser que l'alimentation industrielle contient des polluants, des perturbateurs endocriniens obésogènes, diabétogènes, et d'autres qui limitent la notion de satiété et qui conduisent à grignoter sans cesse. Les causes sont naturellement plurifactorielles puisqu'il n'est évidemment pas sain de manger trop ou trop salé ou trop sucré. Il n'empêche que l'alimentation présentée dans les publicités diffusées à la télévision ou ailleurs contient des polluants obésogènes.
Il en est de même pour la stéatose hépatique (« foie gras »). Initialement, cette pathologie se rencontrait uniquement chez les alcooliques. Désormais, elle est diagnostiquée chez les jeunes parce que les perturbateurs métaboliques favorisent le stockage de graisse au niveau du foie.
Lorsqu'une femme qui approche la quarantaine présente une hypofécondité ou une stérilité, il lui est reproché de ne pas s'en être préoccupée plus tôt. On oublie alors de préciser que, parmi les perturbateurs endocriniens, nombreux sont ceux qui limitent la possibilité de grossesse.
Lorsqu'un patient souffre d'un cancer du poumon, qu'il a fumé pendant ses études et fumait encore dix ans auparavant, on considère qu'il a bien cherché son cancer. Il n'empêche qu'un bon nombre de cancers du poumon sont diagnostiqués chez les non-fumeurs de toujours.
À titre d'autre exemple, un patient malade du Covid sera accusé de ne pas s'être suffisamment protégé, mais on oublie de dire que les produits chimiques toxiques que nous avons ingérés ou respirés, comptent des perturbateurs de l'immunité. Notre immunité diminue avec l'âge, mais elle diminue également à cause des perturbateurs immunitaires et nous contractons plus facilement des pathologies infectieuses.
« Il faut vous protéger », nous dit-on, mais comment nous protéger d'une pollution invisible ? La question reste entière. En toute logique, il appartiendrait à l'État de nous protéger, d'éviter que ces produits chimiques toxiques circulent. Il convient d'agir à la source et non seulement de trouver un remède, mais surtout d'éviter que ces produits polluent la planète. Il importe donc de ne pas confondre la pollution choisie et la pollution subie. Un fumeur choisit sa pollution puisqu'il est prévenu de l'impact cancérogène du tabac. En revanche, lorsque nous respirons l'air à Paris ou ailleurs, nous subissons la pollution et celle-ci est insupportable.
La toxicologie réglementaire s'avère incapable de nous protéger. En effet, elle ne tient compte ni de la bioaccumulation dans les organismes et dans l'environnement ni des mélanges et des « effets cocktail ». L'Ifremer a mené une étude qui démontre l'existence d'une bioaccumulation dans les lacs et dans les estuaires de la Méditerranée, dans la région de l'Étang de Berre, par exemple, et que les « effets cocktail » sont importants parce qu'ils sont presque toujours supérieurs à la somme des effets de chacune des molécules.
Par ailleurs, la toxicologie réglementaire n'intègre pas le fait que, parfois, les faibles doses sont plus toxiques que de fortes doses. Elle ne tient pas compte non plus des effets à long terme et des effets différés, ni des effets transgénérationnels d'origine épigénétique qui consistent en une modification de l'expression des gènes qui peut se transmettre de génération en génération. L'exemple le plus dramatique est celui du Distilbène. Nous sommes à la troisième génération des « enfants Distilbène » qui présentent des malformations néonatales, des troubles psychiques, etc.
La toxicologie réglementaire ne tient pas plus compte du fait que les rats-témoins des tests toxicologiques sont de faux témoins. En effet, le CRIIGEN a mené une très belle étude montrant que les aliments pour rats de laboratoire, prélevés dans cinq continents différents, sont pollués par des pesticides, des dioxines, des PCB, des métaux lourds et aussi des OGM, dans les régions où l'on cultive des OGM. Ces rats-témoins sont déjà potentiellement malades en raison de leur alimentation. Dès lors, lorsqu'on leur ajoute un peu de produits à tester, les différences statistiques ne sont pas suffisamment importantes pour être prises en compte.
Ensuite, l'épidémiologie classique n'est pas adaptée aux pathologies environnementales. L'épidémiologie est une science qui a été mise en place pour suivre une épidémie. Ainsi que le démontre la pandémie actuelle, une épidémie est constituée d'un agent causal et d'une pathologie bien déterminée. Il en est de même pour la grippe, pour l'ensemble des pathologies d'origines bactérienne et parasitaire : c'est très simple. S'agissant des produits chimiques toxiques – et d'autant plus s'ils se présentent en « cocktail » –-, la situation est plus complexe. Il conviendra d'adapter l'épidémiologie afin qu'elle devienne pertinente.
En outre, la toxicologie réglementaire est soumise à l'influence de l'industrie. Cette affirmation ne constitue pas une nouveauté.
Nous avons récemment appris qu'une nouvelle publication du CRIIGEN avait été acceptée dans Toxical Research. Il s'agit d'une approche transdisciplinaire pour un état des lieux et une réforme en profondeur de l'expertise réglementaire dans le domaine de la toxicologie et de la sécurité environnementale. Elle a en effet été écrite par un médecin, un généticien, un écotoxicologue, deux juristes, etc. Je vous invite à prendre connaissance de cette publication dès qu'elle sera publiée sur le site du CRIIGEN.
Je souhaite évoquer plus en détail le premier « effet cocktail », sur la base de l'exemple du Roundup, constitué de glyphosates et d'adjuvants. Le glyphosate est une molécule déclarée « active » par le fabricant qui a mené des études sur des rats pendant deux ans afin d'en démontrer les effets toxiques. L'agriculteur ou le jardinier du dimanche n'utilise jamais du glyphosate pur, mais du glyphosate auquel on a ajouté des co-formulants, c'est-à-dire soit le Roundup, soit d'autres herbicides à base de glyphosate. Nous avons démontré dans une dizaine ou une vingtaine de publications – et nous ne sommes pas les seuls – que les co-formulants sont plus toxiques que le glyphosate seul, alors même qu'ils ne sont pas testés. En 2016, j'ai collaboré à une publication qui démontrait que les co-formulants contenus dans une dizaine de Roundup différents représentaient à eux seuls des perturbateurs endocriniens. Cet exemple est valable pour l'ensemble des pesticides utilisés dans le monde. M. Marc Mortureux, ancien directeur de l'Anses, nous en a fourni une preuve écrite qui figure sur le site du CRIIGEN.
La dose admissible de glyphosate est déterminée à l'issue, d'abord, du calcul de la dose létale pour 50 % d'une population de souris. On calcule ensuite la LOAEL (Lowest Observed Adverse Effect Level), c'est-à-dire la plus faible dose à partir de laquelle des effets sont constatés, et la NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), c'est-à-dire la dose maximale pour laquelle aucun effet n'est observé. La NOAEL est ensuite divisée par dix parce que les rats ne sont pas des humains, et encore une fois par dix parce que la population humaine compte des sujets plus fragiles que d'autres. In fine, la NOAEL est divisée par cent afin d'obtenir la dose journalière admissible (DJA). Force est de reconnaître que cette division par cent ne repose sur aucun élément scientifique. Toutefois, en tenant compte du postulat selon lequel le mélange glyphosate plus co-formulants, c'est-à-dire le premier « effet cocktail » des pesticides, est bien plus toxique que le glyphosate tout seul, on conclut que la DJA, une DJA protectrice, devrait être de dix à mille fois inférieure à la DJA officielle. Ce constat vaut pour l'ensemble des pesticides autorisés dans le monde, et pour les « effets cocktail », en particulier. Nous sommes donc très mal protégés, même par les bases de la toxicologie réglementaire. Cela fait l'objet de formations que je dispense aux médecins s'agissant des pesticides et de la toxicologie réglementaire. Ils en sont tous stupéfaits.
En conclusion, une refonte totale de l'évaluation toxicologique s'impose, non seulement une refonte de l'organisation structurelle des agences, mais également une refonte des protocoles d'expérimentations toxicologiques parce qu'ils ne mettent pas en exergue les produits chimiques toxiques. En effet, si la toxicologie réglementaire en vigueur depuis soixante-dix ans était apte à nous protéger, nous n'assisterions pas à un tel développement des pathologies environnementales. Cette refonte doit être réalisée avec une impérieuse nécessité de transparence. J'insiste sur la transparence parce que les tests toxicologiques préalables à la mise en utilisation de produits chimiques toxiques tels que les pesticides notamment, sont réalisés par les fabricants eux-mêmes et les résultats sont transmis par les industries aux agences d'accréditation. En outre, les études réalisées sont considérées comme propriété intellectuelle de l'industriel et puisqu'elles ne sont pas communicables, il s'avère impossible d'étudier les résultats. C'est une catastrophe parce que cela manque de transparence, d'indépendance et ne fait l'objet d'aucun débat contradictoire.
Le XXe siècle a été celui de l'hygiène bactérienne, le XXIe siècle doit impérativement devenir le siècle de l'hygiène chimique.
Nous vous remercions pour cette présentation déjà très pointue et très sollicitante. Je me dis qu'en un quart d'heure, vous nous avez démoli le moral, et je me demande dans quel état sont les médecins au bout de trois jours, alors que vous avez développé votre propos avec preuves à l'appui ! Bien sûr, il s'agit d'une simple boutade. Je connaissais déjà votre démarche et votre position, ce qui n'est probablement pas le cas de l'ensemble des personnes qui nous écoutent et de certains de mes collègues.
Je souhaite d'abord revenir sur des questions vraiment très basiques. Comment fonctionne le CRIIGEN ? D'où tirez-vous de telles certitudes, sur le fond et sur la forme, quant à l'ensemble des failles du système ? La véritable question de fond consiste à s'interroger sur la crédibilité actuelle de la parole scientifique. Dès qu'une problématique surgit, les lobbies nous renvoient très aisément la balle en nous affirmant qu'il n'existe aucune démonstration scientifique suffisamment étayée qui nous permette de nous opposer à la production, sur la base de constats en matière de santé environnementale. J'en veux pour preuve l'audition des représentants de France Chimie au cours de laquelle ils nous ont réaffirmé leur position. Ils s'estiment extrêmement respectueux de la réglementation actuelle, de toute la réglementation et de rien que celle-là. Ils considèrent que le principe de précaution ne les concerne pas directement et veulent des démonstrations de lien de causalité.
Cette première et très longue question embarque les questionnements quant à la position des agences et la qualité de leurs expertises. Bref, que vaut actuellement la parole scientifique et à quoi pouvons-nous nous raccrocher ? Votre présentation contient de nombreuses références à des articles scientifiques et je souhaiterais que vous nous indiquiez ce qui, dorénavant, est absolument certain et sur lequel nous pourrions vraiment nous appuyer de sorte à fonder une critique, dénoncer la situation actuelle et la faire évoluer.
La première certitude réside dans le constat selon lequel les études préalables à une mise en circulation d'un produit ne sont pas visibles, ce qui interdit toute analyse et, par là même, tout débat contradictoire.
Par ailleurs le calcul de la dose journalière admissible des pesticides porte uniquement sur les molécules déclarées actives, sans tenir compte de la composition globale du produit. C'est inadmissible. C'est inadmissible. Nous l'avons démontré dans de très nombreuses publications.
À titre d'exemple relatif aux limites maximales de résidus (LMR), j'ai fait procéder à des dosages de mercure dans des poissons à l'île de la Réunion (marlin, thons et espadons). Il s'avérait qu'il suffisait de manger un steak de quarante grammes de marlin pour dépasser la dose toxique en mercure sur huit jours. En fonction des pays, les LMR et les doses toxiques journalières sont différentes. Certains organismes estiment que la dose de mercure à ne pas dépasser est de 0,7 microgramme par kilo de poids corporel par semaine ; curieusement, l'OMS évalue cette même dose à 1,6 microgramme par kilos deux fois par semaine. Comment peut-on justifier scientifiquement que des évaluations de ces doses varient du simple au double d'un pays à l'autre ?
Dans les aliments, dans les poissons, par exemple, on trouve du cadmium. Les doses admissibles seront différentes entre le maquereau et le thon. Manifestement, ces LMR sont calculées surtout en vue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché. Il est impossible d'expliquer scientifiquement que le même dosage d'un produit chimique toxique soit plus toxique dans un aliment que dans un autre.
Votre critique s'avère donc extrêmement ciblée sur le calcul des doses journalières admissibles. Il s'agit là de votre démonstration critique.
Sur quelles données fiables et stables pourrions-nous construire une politique de santé environnementale actuellement ? Il semble en effet, à vous entendre, que le ver soit dans le fruit dès le démarrage. Cela signifie que le montage même de la logique scientifique est dévoyé non seulement à l'intérieur de notre pays, mais également à l'échelle internationale. Sur quels repères scientifiques pouvons-nous nous appuyer actuellement ? Votre critique des DJA semble pertinente. Pour autant, sur quoi ou comment pouvez-vous enraciner votre certitude de l'existence de liens de causalité ?
Le lien de causalité directe est complexe à déterminer dans une genèse multifactorielle. J'ai abordé ce sujet lorsque j'ai évoqué l'épidémiologie. Lorsqu'il existe quarante à cinquante molécules toxiques dans le sang, la mise en exergue d'une molécule précise sera toujours opposée au constat de la présence des autres.
Par ailleurs, il conviendrait de se baser préférentiellement sur les études toxicologiques réalisées de façon indépendante et transparente. Dès lors, l'indépendance et la transparence autoriseront l'ouverture d'un débat.
Je pense que les universités, en France et ailleurs, disposent de laboratoires qui ne sont pas inféodés à l'industrie chimique. Tout au moins, j'ose l'espérer. Au-delà, le CRIIGEN prône la mise en place d'une Haute autorité d'expertise, ce qui permettrait de gérer correctement ces problématiques. Cette Haute autorité d'expertise pourrait être composée de députés des différents groupes parlementaires, de personnes responsables des missions d'expertise collective, des grands organismes de recherche nationaux, d'un représentant des organismes participant à l'évaluation des risques pour la santé et l'environnement et aussi de personnalités réputées pour leurs travaux de recherche dans le domaine de l'expertise, à savoir des personnalités qualifiées en droit du travail, de l'environnement et de la santé publique, des représentants des associations concernées par l'éthique et l'expertise et des représentants de chaque grande Union (Union des médecins, etc.). Les députés pourraient être nommés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, par exemple.
Une telle instance ouvrirait la possibilité d'entamer un véritable dialogue, en toute transparence, parce qu'il importe que les études qui ont permis la mise sur le marché des produits soient portées à la connaissance des scientifiques. Actuellement, ils n'y ont pas accès. Cette obscurité est tout à fait délétère à l'initiation de dialogues et chacun campe sur ses positions. À titre d'exemple, près de deux cents publications démontrent la toxicité des herbicides à base de glyphosate pour l'environnement et pour autant, leur utilisation est encore autorisée.
Un autre exemple concerne les néonicotinoïdes. Ils ont été interdits, puis de nouveau autorisés pour la betterave. La porte est donc ouverte pour l'élargissement de cette autorisation pour d'autres cultures. Les néonicotinoïdes sont des perturbateurs endocriniens et l'imidaclopride, notamment, perturbe les trophoblastes. Qu'est qu'un trophoblaste ? La rencontre d'un ovule et d'un spermatozoïde produit un œuf et cet œuf s'entoure de cellules trophoblastiques qui vont lui permettre momentanément de se nourrir et d'aller ensuite s'implanter dans l'utérus ; c'est ce qu'on appelle la placentation. Nous savons désormais que des perturbateurs endocriniens perturbent la placentation et c'est ainsi que nous constatons une augmentation du nombre des fausses couches, notamment, chez les humains.
Il importe donc de disposer d'une vision globale et non partisane si nous voulons enfin régler ces problématiques. Mon exposé n'est pas du vent. Le constat de l'augmentation de ces pathologies environnementales est-il tolérable ? Non, ce n'est pas tolérable. Sur ce point, notre société disjoncte. De quoi mourait-on avant Pasteur, avant Fleming et avant la découverte des antibiotiques notamment ? Les populations mouraient de malnutrition, mais également de manque d'antibiotiques, d'anti-infectieux, d'hygiène et bien sûr, de toutes les problématiques chirurgicales et liées au diagnostic des pathologies. Nous avons dépassé ce stade, mais nous constatons, depuis soixante-dix ans, l'émergence de pathologies qui ne peuvent être dues qu'aux produits chimiques toxiques, certes dans un cadre plurifactoriel, mais cette augmentation est manifeste.
Nos centenaires sont nés dans l'entre-deux-guerres. À cette époque, je peux vous assurer qu'aucun des xénobiotiques que je vous ai montrés précédemment n'était présent dans le ventre des femmes en gestation. L'impact de ces produits chimiques toxiques pendant la grossesse et aussi pendant l'allaitement commence à être colossal sur la survenue de pathologies. Sans être un oiseau de mauvais augure, j'affirme qu'au fil du temps, ces pathologies vont entraîner des décès et des pathologies lourdes. C'est déjà le cas, mais dans cinquante ans, on ne vivra pas aussi facilement jusqu'à 100 ans.
J'entends tout à fait vos constats. La constitution de cette commission d'enquête, la mise en place d'un groupe interministériel, le groupe santé environnement (GSE), l'élaboration des PNSE, etc., prouvent que la problématique de la santé environnementale interpelle et que les politiques, mais aussi la société civile et les administrations, se sont malgré tout mobilisés, tant bien que mal certes, mais mobilisés tout de même.
Je comprends de votre discours qu'en quelque sorte, l'ensemble du système est « contaminé » – c'est le mot qui me vient à l'esprit – contaminé par une volonté à la fois sournoise, déguisée, connue ou inconnue, de laisser la chimie nous envahir malgré, en définitive, la mise en œuvre des politiques publiques.
Vous nous dites que les scientifiques ont besoin de discuter et de s'exprimer pour prendre des décisions et faire des propositions. Cependant, à vous entendre, la qualité des scientifiques est extrêmement variable, puisque vous avez donné un coup de griffe aux laboratoires universitaires en affirmant que certains étaient inféodés à l'industrie. Votre discours est un peu déconcertant, lorsque l'on souhaite essayer de trouver des pistes d'amélioration. À vous écouter, on a l'impression que l'ensemble du système est contaminé. Vous nous avez démontré que même la pensée scientifique, l'approche scientifique, la logique scientifique, qui vise à définir des DJA, est déviée dès le démarrage et n'est pas du tout scientifique. Dès lors, à quoi pouvons-nous nous raccrocher ?
Cette question me ramène à ma question initiale, à savoir qui sont les chercheurs du CRIIGEN ? Comment avez-vous réussi à garder votre indépendance non seulement intellectuelle, mais également financière ? En effet, actuellement, le système de la recherche est malgré tout très dépendant du financement, qui vient donc en partie du privé.
Quelle est l'instance scientifique qui, selon vous, pourrait être la vigie de référence, complètement hors système ou moins touchée par les aléas du système et des financements ? Cela me préoccupe parce que, si je comprends bien vos propos, l'ensemble du système est pourri. Par où devons-nous commencer ? Devons-nous nous radicaliser et révolutionner le système ou, au contraire, rester à l'intérieur du système, le démonter et l'améliorer et faire en sorte d'avancer pas à pas ? Quelle serait la route à suivre ?
La première route à suivre réside dans l'enseignement. Il est essentiel que les décideurs et la population dans son ensemble sachent ce qui se passe. Il s'agit d'un grand changement de paradigme. Jusqu'au milieu du XXe siècle, voire entre les deux guerres, on savait repérer dans la nature ce qui était défavorable. On ne laissait pas un enfant jouer avec une vipère ou manger de la digitale pourpre en se promenant dans les sous-bois. Ce rapport à notre environnement est dévoyé parce qu'il est impossible de repérer les produits chimiques toxiques et invisibles que j'ai mentionnés, à savoir les perturbateurs endocriniens. La problématique de fond consiste en ce que nous ne sommes plus capables de nous protéger nous-mêmes.
La mise sur le marché de produits mal évalués génère des risques que nous payons un jour ou l'autre. Le premier plan nutrition santé préconisait de manger cinq fruits et légumes par jour. Ce plan n'abordait absolument pas la problématique des résidus de pesticides. L'ingestion journalière de cinq fruits et légumes couverts de pesticides est complètement délétère.
La formation de tous, de l'ensemble des corps, politique, scientifique, etc., est fondamentale pour prendre conscience de la situation. Le déni conduit à considérer qu'il est normal d'être malade. Non, ce n'est pas normal d'être malade. Les chiffres ne sont pas sortis d'un chapeau ; ce sont les chiffres officiels. Comment est-ce possible d'en arriver à une telle situation ?
Au-delà, je confirme que tout est anormal. La législation toxicologique dans son ensemble est complètement anormale puisqu'elle ne nous protège pas. Il existe d'excellents scientifiques partout, mais il existe également des scientifiques inféodés aux grands lobbies industriels. Je l'affirme. Certaines décisions politiques sont aussi inféodées, ce que confirment les volte-face au sujet des néonicotinoïdes.
Et donc, je vous confirme qu'il est indispensable de tout changer et de réorienter le système vers une prise de conscience drastique de la dépendance de la santé de la population à la santé de l'environnement.
À titre d'exemple, évoquons les normes qui, s'agissant des produits chimiques toxiques, sont une catastrophe parce qu'elles ne nous protègent pas. Je pourrais vous en dresser un catalogue colossal et vous l'envoyer. Je siège depuis près de vingt ans au conseil de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) de Seine-Maritime, en tant qu'expert en santé environnementale, mais je n'y vais plus qu'épisodiquement, pour les grandes affaires telles que celle de Lubrizol. Lorsqu'il s'agit de traiter des affaires moins graves, je suis toujours dépité parce qu'à chaque problème soulevé, on nous oppose les limites toxicologiques admises. Dès lors, je comprends l'impuissance de l'administration, puisque les normes officielles ne sont pas aptes à nous protéger. La population doit en être informée. Il vous appartient, à vous, les députés, de traiter cette question. Comment faire ? La politique de l'autruche conduit à accepter benoîtement que des enfants soient victimes de cancers, de malformations néonatales, etc. Je n'ai pas évoqué, dans mon exposé, les malformations congénitales émergentes, pour lesquelles d'ailleurs, il n'existe même pas de registre complet. En effet, il n'existe pas de registre complet pour les cancers ; il n'existe pas de registre complet pour les hypofécondités, etc. Si nous dressions de tels inventaires, nous constaterions que la situation est d'autant plus insupportable que ces pathologies sont des pathologies qui sont la conséquence de la présence de produits chimiques toxiques qui enrichissent certains groupes industriels et que nous payons non seulement de notre santé, mais également par les frais acquittés par notre Sécurité sociale puisqu'il faut bien soigner les malades. De nombreuses publications de certains scientifiques sont désormais consacrées au coût sociétal de ces produits chimiques. Pour autant, ces calculs ne sont pas exhaustifs. Par exemple, le coût du traitement d'un cancer du sein chez une femme enceinte de 25 ans est colossal. Cependant, si on calculait les autres coûts externalisés tels que l'évaluation de la souffrance endurée, des effets délétères sur la structure familiale, les enfants qui ne travaillent plus correctement à l'école et qu'il faut faire suivre par un psychologue, parfois la fuite du mari parce que la situation n'est pas facile de vivre dans ces conditions-là, etc. Si on calculait l'ensemble de ces coûts induits, ce serait insupportable et intenable pour notre société. C'est le médecin que je suis qui parle parce que j'ai vu tellement de cas de ce type-là que cela m'est quasiment insupportable.
Je le comprends et je reconnais qu'à titre personnel, à titre de citoyenne et à titre de députée, je partage complètement votre réaction scandalisée face à toutes ces souffrances ; ces souffrances provoquées par l'inconscience générale et ses répercussions à l'infini sur toute l'espèce humaine.
Cela dit, admettons que nous soyons mobilisés intellectuellement, émotionnellement, et que nous essayions de nous mobiliser politiquement. Vous affirmez qu'il nous appartient, à nous les politiques, de répondre aux questions. Non, parce que les politiques ne sont pas tous des scientifiques. Personnellement, j'ai suivi une formation littéraire et je suis dans l'incapacité de distinguer scientifiquement ce qui est bon de ce qui ne l'est pas. Dès lors, c'est à vous qui êtes scientifique que je demande par où nous devons commencer. Si j'ai bien compris le déroulement de votre présentation, le cœur du problème se situe au niveau des normes toxicologiques qui sont censées protéger la population et qui ne les protègent pas. Sommes-nous bien d'accord ?
Oui, nous sommes d'accord.
Je comprends donc que cette problématique est à l'origine de l'ensemble des règles du jeu alimentaire et de l'utilisation de tous les produits qui relèvent d'une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Que pouvons-nous faire ?
Que nous suggèreriez-vous de proposer afin de remettre en question ce qui semble être un peu la clé de voûte de l'ensemble du système des autorisations ? Commençons par là. À vous entendre, je m'interroge quant à la possibilité d'un retour en arrière ? Il semble en effet que nous soyons tellement pris dans un engrenage de recours à la chimie et à la pétrochimie que je ne vois pas très bien comment nous pourrions parvenir à mettre en place les modalités d'une cure de sevrage chimique, sachant que la chimie présente également des aspects positifs. N'oublions tout de même pas que les médicaments nous soignent.
Comment devons-nous nous y prendre ? L'unique point de départ que je parviens à identifier réside dans les normes toxicologiques. Si tel est le cas, comment faire ? Que pouvez-vous conseiller à la politique que je suis, à la présidente d'une commission d'enquête que je suis et à sa rapporteure ? Quelle proposition vous paraît essentielle et à l'origine de tout le reste ?
S'agissant de la question des pesticides, je proposerais en premier lieu de procéder à l'évaluation toxicologique des produits tels qu'ils sont utilisés. Ces produits pesticides, dont des millions de tonnes sont déversées sur la planète depuis des années et des années, n'ont jamais été testés dans leur formulation globale. Est-ce seulement imaginable ? En tous cas, c'est inadmissible et il en est ainsi pour l'ensemble des produits utilisés en mélange. Ces évaluations représenteraient un travail colossal, bien sûr.
Ensuite, il conviendrait de revisiter de façon pertinente l'ensemble des doses journalières admissibles afin de confirmer qu'elles sont vraiment raisonnables. S'agissant des normes de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), il importerait en particulier d'harmoniser les LMR de telle façon qu'elles soient propres à nous protéger et qu'elles ne soient pas variables d'un aliment à l'autre, d'un élément à l'autre, parce que c'est insupportable. En 2008, il a été décidé d'harmoniser les LMR pour les fruits et les légumes, au niveau européen. L'Europe a choisi le taux le plus élevé, alors que certains pays appliquaient des taux plus propres, parce qu'il était plus facile d'harmoniser vers le haut que de demander aux autres pays de faire des efforts afin de diminuer leurs taux. Ce sont de petites choses, mais de petites choses qui produisent des impacts colossaux en termes de santé publique.
Bien sûr, le retour en arrière sera complexe, mais est-il nécessaire de continuer à produire trois cents millions de tonnes de produits chimiques par an en Europe, de produits chimiques mal évalués de surcroît ? Que faire ? D'abord, il est essentiel d'évaluer correctement ces produits et de retirer ceux qui doivent être retirés. Des dizaines et des dizaines de pesticides auraient dû être retirées du marché depuis vingt ou trente ans. En outre, nous retrouvons encore actuellement des traces des produits retirés depuis plus de vingt ou trente ans dans l'eau, dans les nappes phréatiques, dans notre sang, dans nos cheveux, etc. La bioaccumulation dans l'environnement et la bioaccumulation dans nos corps représentent une catastrophe à venir, une bombe atomique à venir. Ce sera autre chose et c'est déjà autre chose que la Covid. Nous déplorons déjà cent soixante-quinze mille morts par cancer chaque année. En outre, désormais, le cancer n'est plus une « pathologie du vieux ». Arrêtons de dire des bêtises telles que « c'est une pathologie du vieux », « c'est dû au tabac, à l'alcool », etc. Je ne nie pas que le tabac et l'alcool entraînent des pathologies, mais le tabac contient des substances autres que la nicotine et l'alcool contient des pesticides.
Je reviens à vos propositions. Elles consistent donc d'abord à revisiter l'ensemble des doses journalières admissibles. Qui les définit ? Vous évoquez les LMR définies par l'EFSA, une Agence européenne. Comment la France peut-elle intervenir auprès de l'EFSA afin de faire évoluer les normes ? Il y a deux ans, j'ai collaboré à une démarche initiée dans ce cadre auprès de l'EFSA, qui siège en Italie. La situation a-t-elle évolué ? Dans le rapport de force intraeuropéen, quel est l'état des lieux et comment la France peut-elle être leader de la lutte contre les produits chimiques et conduire à une meilleure harmonisation ? J'essaie d'explorer les différentes pistes. Il convient donc d'abord de revisiter les DJA : qui les définit ? Ensuite, au sein de l'EFSA, comment porter un combat franco-français et le généraliser à l'échelle de l'Europe ? DJA et LMR, comment faisons-nous ? Comment nous y prenons-nous ?
Il convient d'abord de revisiter les études sur lesquelles sont basées ces données, qui sont réalisées par l'industrie. Elles ne sont pas transparentes et nous ne pouvons pas les analyser. Nous avons analysé à deux reprises des études relatives à des OGM, mais nous avons été obligés de nous battre devant les tribunaux allemands afin d'obtenir du l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (Bundesinstitut für Risikobewertung BfR) qu'il nous fournisse les données de ces études. Ces données n'étaient pas publiées sur Internet ; elles n'étaient pas enregistrées sur une clé USB. Elles figuraient sur des milliers de pages que nous avons dû transcrire manuellement afin de mener notre étude. C'est inadmissible, inadmissible ! Les études qui permettent la mise sur le marché des produits chimiques toxiques devraient être en libre accès. Dès lors qu'elles seront en libre accès, des structures comme la nôtre s'en empareront et les analyseront. Dans l'état actuel des choses, elles sont considérées comme relevant du secret industriel ou de la propriété industrielle du fabricant. Il est impossible de se battre contre ces grands groupes industriels. Il est essentiel d'obtenir cette transparence.
Vous me soumettez une solution et, dans le même temps, vous la sabordez. Vous me dites qu'il faut procéder à des études, mais que de toute façon, nous n'obtiendrons jamais la transparence parce que nous ne parviendrons jamais à avoir le dernier mot face aux industriels. Quelles études pourraient être menées par des laboratoires indépendants comme le vôtre ? Vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Vous vous présentez comme un laboratoire indépendant, à l'abri des influences financières et des besoins financiers. Comment fonctionnez-vous vous-même ? Êtes-vous un laboratoire de chercheurs ? Est-ce que vous travaillez sur des documents ou est-ce que vous faites vous-mêmes des expérimentations sur les animaux ? Comment travaillez-vous ?
Nous ne sommes pas un laboratoire. Le CRIIGEN est une association loi 1901. Nous travaillons avec des laboratoires et nous trouvons des financements pour des laboratoires sur les points bien précis que nous souhaitons étudier. Afin de limiter nos coûts, nous travaillons beaucoup sur la base de documents pour mettre en évidence les problématiques que je vous ai présentées. Vous imaginez bien que ce ne sont ni l'État ni l'industrie qui financent le CRIIGEN. Le CRIIGEN est soutenu et financé par des associations humanitaires ou des organismes qui s'intéressent aux problématiques de santé environnementale.
Quels seraient les laboratoires indépendants qui pourraient mener des études contradictoires ou travailler sur des documents des industriels afin de produire une analyse réellement critique ?
Ce n'est pas un problème si vous disposez d'un budget. Si vous faites une dotation pour une recherche précise au CRIIGEN, nous identifierons le laboratoire apte à mener une étude dans le domaine souhaité.
Je suis surpris que vous considériez que je saborde la solution. Il appartient aux États d'imposer à l'industrie de publier en libre accès les études permettant la mise sur le marché de leurs produits. Les associations comme celle que je préside sont impuissantes dans ce domaine qui relève de la responsabilité des politiques. Si la France, demain, décide que toutes les publications ayant permis la mise sur le marché des différents pesticides utilisés à l'heure actuelle sont à disposition de tous, ce sera un grand soulagement. Cette décision politique peut être prise. Je vous précise que l'Anses et l'EFSA disposent de ces études. Il appartient à l'État de les mettre en libre accès. Je vous assure que nombreux sont les laboratoires qui seraient prêts à travailler sur ces études.
L'Anses et l'EFSA disposent de ces études, mais elles sont bloquées par le système juridique qui empêche de passer outre le secret de fabrication, secret industriel. Elles ne peuvent donc pas communiquer à ce sujet. Une prise de position politique pourrait lever tout ou partie du secret de fabrication.
Il ne s'agit pas d'entrer dans les process de fabrication, mais d'identifier une molécule déjà testée, par exemple le glyphosate, et de demander à l'industriel Monsanto de produire les études qu'il a menées en vue de la mise sur le marché du glyphosate. La molécule ne relève d'aucun secret de fabrication, mais nous ignorons tout des études toxicologiques dont elle a fait l'objet en vue de sa mise sur le marché. L'industriel présente cette démarche comme une violation de son secret industriel ou de sa propriété intellectuelle, mais c'est une imposture. Cette molécule est présente dans l'eau, dans l'air, etc. En revanche, nous ne connaissons rien des études qui ont permis la mise sur le marché de cette molécule et des modalités selon lesquelles elles ont été réalisées. Nous n'avons aucun moyen de détecter des anomalies ou des manques particuliers.
Nous constatons en effet que les organismes internationaux n'arrivent pas tous aux mêmes conclusions, simplement parce qu'ils ne travaillent pas sur la base des mêmes documents. Je comprends et j'identifie là une piste de réflexion.
Par ailleurs, l'Anses devrait être particulièrement bien placée pour défendre les intérêts sanitaires de la population. Elle dispose de ces études et elle prend des décisions en fonction de ses études. Cependant, ce sont ces mêmes décisions que vous semblez critiquer. Vous sous-entendez donc que cette instance ne remplit pas sa mission de filtrage et de protection de la population.
Je le confirme parce que, dans le cas contraire, la planète et notre alimentation ne seraient pas polluées par un si grand nombre de produits toxiques.
Il y a en effet un problème à résoudre avec les agences d'accréditation et les agences de protection de la santé telles que l'EFSA, l'Anses, etc.
Où le problème se situe-t-il exactement ? Que pouvons-nous faire pour tenter d'y remédier ?
Le problème de base réside dans le défaut de transparence de l'évaluation toxicologique des produits. Les problèmes se déroulent ensuite en cascade.
Où exactement situez-vous ce défaut de transparence, à l'Anses ou de la part des industriels ?
Le défaut de transparence de l'industriel est accepté par l'Anses puisqu'elle n'est pas autorisée à diffuser les documents qu'elle possède. La loi le lui interdit.
Selon vous, le cœur du problème résiderait donc dans cette interdiction faite par la loi ou la réglementation de publier les études à partir desquelles ils délivrent les autorisations. Est-ce que ce constat constitue l'unique verrou ?
Oui puisque, s'il était levé, nous pourrions analyser les études qui ont permis la mise sur le marché, en débattre et démontrer qu'elles n'ont pas été réalisées dans de bonnes conditions ou elles n'ont pas été assez précises ou que sais-je encore ?
Je vous raconte une anecdote. Le CRIIGEN a démontré que l'ensemble des pesticides qu'il a testés – herbicides, fongicides, et autres –, tels qu'ils étaient utilisés par les agriculteurs, présentaient une toxicité de dix à mille fois, voire dix mille fois, supérieure à ce qui a permis de calculer la DJA. Cela signifie que si l'on procédait à une réelle analyse de la toxicologie, on diviserait par cent ou par mille la dose journalière admissible. Cela signifie également que les doses déversées dans les champs deviendraient inefficaces et remettraient en cause l'agriculture intensive, cette agriculture intensive qui nous produit à la fois des aliments riches en résidus de produits chimiques toxiques et pauvres nutritionnellement. J'insiste sur la pauvreté nutritionnelle parce que les plantes qui produisent beaucoup au moyen d'engrais et d'autres substances ne peuvent pas produire sainement en quantité et en qualité nutritionnelle. La problématique est identique pour ce qui concerne l'élevage. Dès lors, la population est nourrie avec des aliments pauvres nutritionnellement et riches en produits chimiques toxiques. La cascade est amorcée. In fine, de nombreuses pathologies dramatiques émergeront. Nous dénombrons plus de huit mille maladies orphelines en France. Ce n'est pas supportable.
Vous n'avez pas à me convaincre. J'ai conscience de la longue liste des conséquences terribles à travers l'alimentation, à travers l'air, à travers les produits chimiques toxiques répandus partout. Nous sommes bien d'accord à ce sujet. Toutefois, la commission d'enquête a pour objectif de trouver des pistes d'amélioration et de dresser un bilan de la situation. Vous nous dressez un bilan terrible de cette situation. J'avoue que je le partage. En revanche, j'ai besoin d'identifier des pistes par où commencer.
Nous avons évoqué la problématique des DJA et des LMR. S'agissant des DJA, nous avons compris que le problème trouvait sa source dans les études. En tant que politique, que puis-je proposer ? Je peux suggérer un amendement ou soumettre une proposition dans le cadre d'un rapport soulignant l'absolue nécessité de lever la notion de propriété intellectuelle liée à ces études et à ces documents. Il s'agit d'une action concrète que je peux mener.
Effectivement, ce serait un cadeau de Noël.
Cela ne signifie pas que je l'obtiendrai, mais au moins, je l'aurai dit et j'aurai expliqué les raisons de notre demande et les raisons pour lesquelles cette démarche est essentielle dans le processus.
Ensuite, nous avons évoqué la remise en question des modalités de calcul des DJA et des LMR. Cette problématique se situe au niveau européen. Vous n'avez pas répondu à ma question, à savoir : comment aborder l'EFSA, agence européenne, afin de « faire bouger les lignes » ? Qui prend les décisions relatives aux doses ? L'EFSA dispose-t-elle de ses propres laboratoires de recherche ? Comment cette instance procède-t-elle ? Je doute que les autres scientifiques ignorent les problèmes que vous nous avez exposés. L'EFSA compte de nombreux scientifiques et chercheurs dont je ne doute pas qu'ils connaissent la situation problématique liée aux LMR.
L'EFSA ne réalise aucune étude. Elle se base sur les études transmises par l'industrie afin de déterminer la dose journalière admissible. Si ces études ne sont pas réalisées correctement, le problème surgit ipso facto.
Permettez-moi de revenir sur un point qui me paraît fondamental, à savoir que les rats-témoins des études toxicologiques mondiales sont des rats déjà malades. Le CRIIGEN a mis ce constat en évidence dans une publication dont j'étais co-auteur. Je pense que ce fut une de nos plus belles publications, parce qu'elle remet en cause l'ensemble de la toxicologie réglementaire depuis soixante-dix ans. En effet, l'analyse sur cinq continents des croquettes spéciales pour rats de laboratoires révèle la présence dans cette alimentation de dioxines, de PCB, de métaux lourds, de pesticides et d'OGM pour les pays qui en cultivent. Cette alimentation n'est pas produite dans des champs spéciaux pour l'alimentation des rats. C'est l'alimentation qui est donnée par exemple aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, etc. Les rats-témoins sont nourris avec une alimentation pathogène. Lorsqu'on rajoute à cette alimentation déjà pathogène un produit que l'on veut tester, la différence statistique entre les pathologies qui surviendront chez les rats testés et les pathologies qui surviendront chez les rats-témoins sera faible. Ce constat sera donc balayé d'un revers de manche par les industriels qui affirmeront que la différence n'est pas suffisamment importante. Il n'en sera donc pas tenu compte et le produit sera mis sur le marché. Vous allez me dire : qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Moi, j'ai la solution. Le CRIIGEN propose – sous réserve d'obtenir plusieurs millions d'euros de financement – de constituer des lignées de rats biologiques sur plusieurs générations de sorte à éviter les phénomènes épigénétiques, de leur donner une alimentation biologique et de procéder de la même manière avec les rats qui seront testés en ajoutant le produit à tester. La différence éventuelle sera alors incontestable. Le constat sera à la fois transparent et utile, puisque l'impact du produit sur la santé des rats testés sera déterminé par rapport aux rats-témoins qui eux, mangeront uniquement une alimentation saine. L'alimentation donnée aux rats est identique à celle que nous mangeons, nous, les humains, sur la planète. Elle contient un fond toxique qui induit des pathologies. Souvent, on considère que les Américains, qui utilisent plus de pesticides que nous, ne sont pas plus malades que nous. Or c'est faux ; ils sont plus malades que nous, mais on noie le poisson en affirmant qu'ils sont malades parce qu'ils mangent trop, boivent trop, etc.
Il y a du travail à faire jusqu'au plus fin fond de la façon dont sont calculées les problématiques. Nous persistons à nous fonder sur une notion d'hygiène pasteurienne, bactérienne, virale, parasitaire, qui ne coïncide pas du tout avec l'hygiène chimique, complètement différente. C'est la raison pour laquelle je prône que le XXIe siècle soit centré sur l'hygiène chimique. Nous pensons le monde comme nous pensons le Covid. Cette culture ne convient pas aux problématiques chimiques.
Une refonte globale est indispensable et elle passe par l'enseignement supérieur afin que toute personne qui suit des études supérieures soit au courant de ce qui se passe dans l »a vraie vie » afin de prendre ensuite des décisions pertinentes.
Je crains que la formation revienne à la situation que nous connaissons avec les PNSE, à savoir que nous essayons de monter des politiques publiques sur des bases qui sont déjà viciées.
C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné la création d'un plan nutrition santé. J'ai récemment relu le projet de PNSE et j'ai constaté que les pesticides y sont évoqués uniquement dans les dernières pages. Certes, on peut toujours considérer qu'ils sont traités dans d'autres structures. Pour autant, si le PNSE ne mentionne pas plus en détail l'impact des pesticides sur la santé, leur évaluation, etc., il est inutile. Un PNSE 4 qui ne fait aucune mention des pesticides, qui n'évoque pas suffisamment les perturbateurs endocriniens, est un PNSE « mi-figue, mi-raisin » qui ne fera pas progresser la situation.
Notre organisation induit de telles situations : des heures et des journées passées par vous, par vos collaborateurs, par tous ces organismes, par ceux qui viennent présenter les dossiers, etc., pour aboutir à un pétard mouillé. Ce constat est triste parce qu'il représente du temps, de l'intelligence et de l'argent perdu.
Je crois qu'il faut accepter de mettre les pieds dans le plat. Au sein du CRIIGEN, j'avais été promoteur d'une étude menée à Rouen sur les résidus de médicaments, alors que j'étais président de la commission santé environnement des Unions régionales des médecins libéraux de Haute-Normandie. J'ai mené cette étude avec deux professeurs académiciens, passionnés par mon idée. Nous avons choisi vingt-cinq molécules et, avec des préleveurs asservis aux flux, nous sommes allés à la sortie du CHU, à l'entrée de la station d'épuration, au milieu et à la sortie. Nous avons réalisé des prélèvements pendant un mois de sorte à être sûrs de faire le calcul de ce qui rentrait et sortait de la station d'épuration. De mémoire (cela se déroulait en 2008), nous avons calculé que trois cent quatre-vingt-quinze kilos de ces médicaments rentraient dans la station d'épuration à Rouen chaque année et trois cent quatre-vingt-dix d'entre eux sortaient de la station d'épuration et étaient déversés dans la Seine. Mme Roselyne Bachelot avait élaboré un pré-plan « résidus de médicaments dans l'eau » qui a été validé par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cette dernière a émis l'idée de tester d'autres molécules. Nous avons trouvé des doses toxiques d'une substance qui n'était jamais testée. S'en est suivi un véritable branle-bas de combat et on s'est aperçu qu'une usine située à proximité polluait la nappe phréatique. Pour autant, ce sont des produits chimiques qu'on ne détecte pas partout. Nous fonctionnons dans une forme de pis-aller qui vise à nous donner bonne conscience. La récente publication de l'Ifremer nous montre que les effets cumulatifs des pesticides, y compris des pesticides présents à des taux inférieurs aux normes (0,1 microgramme par litre), sont toxiques et réellement toxiques.
Cela signifie que les autorisations de mise sur le marché nécessitent une plus grande rigueur. Peut-être m'opposerez-vous l'argument de l'impact économique. La santé publique a un impact économique. Si nous avons vocation à être les cobayes du bon fonctionnement de l'industrie, il appartient à nos politiques, français et européens, de nous le dire. Auquel cas, nous accepterons benoîtement de nous empoisonner au quotidien, en respirant notamment. L'air que nous respirons, la pollution aérienne, est responsable de soixante-cinq à soixante-huit mille morts chaque année, dues uniquement aux microparticules. Et nous l'acceptons, nous l'acceptons ! Si l'on considère qu'il est normal que nous soyons empoisonnés, qu'il est normal qu'un plus grand nombre de parents enterrent leurs enfants, dont acte. Au-delà, il nous appartient de mener la révolution. Il est nécessaire d'évoluer autrement que par le biais de demi-mesures. En regard de nos connaissances scientifiques, la majorité des pesticides devraient être supprimés et nous devrions être en agroécologie depuis trente ans ou quarante ans. Force est de constater que ce n'est pas le cas. L'augmentation de 2 à 3 % par an de l'agroécologie n'est pas glorieuse. C'est à ce niveau-là que l'environnement socio- anthropologique rentre en ligne de compte. Les primes de la PAC attribuées à une production riche en produits chimiques et toxiques et pauvre nutritionnellement devraient être transférées sur la mise en place d'une agroécologie qui permettrait de nourrir sainement la population.
Nous sommes dans la complexité, au sens littéral du terme qui signifie que tout est imbriqué. Effectivement, je pressens que vous serez un petit peu dépitée après cette audition. Si nous ne nous attachons pas à avoir une vision globale de la situation, nous avons l'impression de bien faire. Le lancement d'un nouveau produit impose d'en étudier les impacts environnementaux et sur la santé à court, moyen et long termes. À défaut, on accepte que les choses soient telles qu'elles sont. En tout état de cause, vous avez dû comprendre que ce n'était pas tout à fait mon état d'esprit.
Êtes-vous nombreux à soutenir ce type de position ? La sphère des scientifiques se mobilise-t-elle également ? La plupart des politiques ne sont pas des scientifiques. Certes, de nombreux médecins siègent dans l'hémicycle, mais ils ne sont pas obligatoirement formés à ces problématiques de santé environnementale. Dès lors, ils sont bien obligés d'aller chercher des informations et des conseils auprès des scientifiques. Est-ce qu'il y a aussi un mouvement, une prise de conscience dans le milieu scientifique et une mobilisation du monde de la science pour insister sur cette problématique ?
Je m'attache à faire connaître cette problématique dans le monde médical. J'encadre parfois des thèses de médecine générale et je constate que les jeunes internes qui terminent leur cursus n'ont jamais entendu parler de santé environnementale ou d'écologie humaine ou des perturbateurs endocriniens au cours leurs études. Ils sont ébahis lorsque je leur présente l'état des lieux. Je dispense également de la formation continue à mes confrères qui sont déjà installés, du développement professionnel continu (DPC), mais je regrette que ces formations soient limitées à vingt et une heures par an pour chaque médecin, toutes les disciplines confondues. Vingt-et-une heures pour former le corps médical en postuniversitaire : c'est pitoyable ! Comment est-ce possible ? Mes confrères qui viennent assister aux DPC que je dispense sur ces problématiques-là utilisent cet enseignement au quotidien dans leur cabinet.
En outre, de plus en plus d'associations de médecins s'intéressent au sujet : l'association Santé environnement France (ASEF), fondée par le docteur Pierre Souvet, l'association « Alerte des médecins sur les pesticides » (AMLP), fondée par le docteur Pierre-Michel Périnaud, etc. Ces associations émergent parce que ces médecins ont été formés. Le docteur Pierre-Michel Périnaud a découvert les problématiques des pesticides avec le CRIIGEN, par exemple.
Cela signifie que cette notion d'enseignement est fondamentale pour l'ensemble de la population et, surtout, pour la population des décideurs. Je souhaiterais vivement dispenser des formations sur la santé environnementale aux députés et je suis disposé à me déplacer pour ce faire.
Il est capital que les décideurs sachent ce qui se passe, mais les informations en libre accès sur Internet sont très contradictoires, ce qui favorise le déni. Il s'avère complexe de prendre des décisions, alors « on laisse tomber », sans pour autant manifester une volonté de continuer à polluer l'environnement.
Vous m'avez indiqué que vous aviez parcouru le projet de PNSE 4. Je présume que vous avez noté qu'il propose des formations.
Oui, bien sûr, je l'ai noté.
La démarche a été lancée, notamment sous l'autorité du professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens des universités. La situation évolue donc un peu. Nous réfléchissons au sein du GSE à la définition des grands axes d'une formation adaptée à chaque auditoire. Nous commencerons par former les étudiants en médecine et nous nous orienterons vers le monde des professionnels. Ensuite, nous tenterons d'élargir le champ de cette formation et, surtout, de la rendre obligatoire. La dynamique qui est malgré tout lancée.
Je m'en réjouis et j'aurais abordé ce sujet dans ma conclusion. Le thème de la formation, vous l'avez compris, me tient à cœur. Je serais très heureux que vous puissiez faire en sorte que la formation en santé environnementale soit obligatoire pour le corps médical déjà installé. Il serait également souhaitable d'augmenter le temps de cette formation de sorte qu'elle dure entre quatre jours et une semaine.
Sans vouloir me faire de la publicité, j'ai récemment obtenu la création d'un diplôme universitaire (DU) en santé environnementale à l'université Henri Mondor. Cette formation démarrera au mois de janvier 2020. J'en suis l'organisateur et j'ai bénéficié du soutien du Professeur Jean-Paul Méningaud, qui est à la fois un ami et quelqu'un de très bien. Il m'a soutenu dans ce projet de création d'un DU, court puisqu'il se déroulera sur six mois, soit six journées de formation. J'espère qu'un jour, nous aurons les moyens de créer une formation de deux ans de sorte qu'elle soit plus constructive.
Je reste positif parce que je suis un optimiste convaincu et forcené.
Oui, je suis optimiste. Dans le cas contraire, j'aurais baissé les bras. J'essayais de monter un DU en médecine environnementale depuis plusieurs années. Je suis ravi d'y être parvenu. Tout n'est pas négatif. Et je me réjouirais que vous puissiez m'aider à faire en sorte d'augmenter le nombre de DPC pour les médecins déjà en exercice. Il serait nécessaire que ces formations à la santé environnementale durent au moins trois jours, voire une semaine, et qu'elles soient indemnisées à peu près correctement parce qu'elles impliquent une diminution des revenus des médecins pendant leur durée.
C'est ce que nous avons lancé dans le cadre des GSE. Le professeur Jean Sibilia s'est acquitté de la tâche de répertorier l'ensemble des enseignements, car ils existent, mais ils sont très dispersés. Ils ne proposent pas toujours le même contenu, qui a souvent été adapté à la discipline, à la spécialité médicale. Il conviendrait de créer un tronc commun de formation auquel s'ajouteraient des modules de spécialisation.
La dynamique est lancée et j'y suis particulièrement attentive parce que j'ai bien conscience qu'il est nécessaire de procéder à une forme d'acculturation.
Que pensez-vous de cette labellisation, ou certification, de « laboratoires de bonnes pratiques », qui implique que l'Anses confie des études uniquement aux laboratoires qui ont reçu cet agrément, notamment l'Institut Pasteur de Lille ?
Je ne serai pas le mieux placé au CRIIGEN pour vous parler des laboratoires de bonnes pratiques.
Le comité d'éthique de l'Anses s'était mobilisé sur cette problématique. Le directeur général de l'Anses nous a expliqué qu'en France, peu de laboratoires sont capables de procéder à ce travail d'étude. Récemment, nous avons auditionné le Professeur Robert Barouki, un éminent chercheur, qui nous a indiqué que le laboratoire de l'Inserm n'ayant pas ce label, il ne peut pas procéder à des études au nom de l'Anses.
Vous nous avez indiqué précédemment que certains laboratoires universitaires n'étaient pas inféodés à l'industrie. Je voulais savoir si vous disposiez de quelques informations à ce sujet, mais il semble que ce ne soit pas le cas.
Je ne dispose pas de suffisamment d'informations à ce sujet, qui n'entre pas du tout dans mon domaine de compétence. En tout état de cause, dès lors que les études seront transparentes, elles ouvriront un dialogue contradictoire relatif aux conditions d'analyses, etc. Toutefois, la restriction du nombre de laboratoires aptes à procéder à des études toxicologiques me semble une idée complètement farfelue a priori, parce qu'il ne faut tout même pas croire que la plupart des laboratoires ne travaillent pas correctement. Les laboratoires compétents sont nombreux et chacun est responsable de ce qu'il produit.
Je vous remercie pour la richesse de ce débat que nous aurions pu prolonger encore, bien sûr, sur des points plus particuliers tels que les molécules non réglementées. Nous ne les avons pas évoquées, mais nous avons récemment auditionné les représentants qui travaillent sur la qualité de l'air et ils nous ont indiqué que leurs missions étaient bridées et qu'ils ne pouvaient pas travailler sur des molécules non réglementées. In fine, comme vous me l'avez signifié précédemment, nous trouvons uniquement ce que nous cherchons. Lorsqu'on ouvre le panel des recherches, on découvre des choses qu'on n'a peut-être pas envie de savoir. Les molécules non réglementées relèvent de ce registre-là. Je suppose que vous me confirmerez qu'il existe dans ce domaine des pistes de propositions afin d'élargir le panel des molécules prises en compte par la réglementation officielle et détecter davantage de choses.
Nous sommes d'accord sur ce point.
Vous m'avez également livré quelques pistes de propositions. Je vous remercie pour votre engagement et pour l'ensemble des informations que vous nous avez données. Votre langage et votre passion sont ceux d'un militant et je le comprends puisque vous êtes médecin et que vous êtes censé sauver la vie.
Des politiques travaillent également pour sauver le vivant et maintenir une qualité de vie à tout ce qui existe sur la planète et je pense en faire partie. Je me dois de garder une certaine distance parce que je suis présidente de cette commission d'enquête, mais j'ai noté des pistes pertinentes de propositions que nous pourrons faire remonter et officialiser. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités.
Je tiens également à vous remercier non seulement de m'avoir accueilli pour cette audition, mais également pour la démarche que vous avez initiée.
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L'audition s'achève à treize heures dix.