Mercredi 17 janvier 2018
La séance est ouverte à seize heures quarante.
(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)
La commission des affaires sociales procède à l'audition du professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique.
Notre ordre du jour appelle l'audition du professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique.
Permettez-moi, Professeur, de vous présenter d'abord mes meilleurs voeux pour cette année 2018, dont je sais qu'elle sera particulièrement riche pour le Comité consultatif national d'éthique. Je vous remercie également pour votre disponibilité dans cette semaine où je sais votre agenda très chargé, après la communication gouvernementale de ce matin sur l'ouverture des états généraux de la bioéthique et à la veille de la conférence de presse annonçant leur ouverture.
Professeur de médecine, j'ai dirigé pendant très longtemps, des agences de recherche sur les maladies infectieuses, et ai notamment été délégué interministériel sur Ebola.
J'ai été nommé président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), il y a tout juste un an, et j'ai rapidement découvert que, dans l'agenda du comité figurait une nouvelle fonction qui lui avait été dévolue en 2011 par la dernière loi de révision de la législation sur la bioéthique, à savoir l'organisation d'états généraux de la bioéthique en vue de la prochaine révision de la loi.
Il faut distinguer deux phases. La première est celle des états généraux de la bioéthique, qui s'ouvrent officiellement demain, avec la conférence de presse que je donnerai à 14 heures. Ils se tiendront jusqu'à fin juin ou début juillet et se termineront par une réunion globale de restitution, sous l'égide du Président de la République. Nous rentrerons alors dans la seconde phase, celle de la discussion de la loi de révision.
Le CCNE, qui est davantage une instance de réflexion qu'une structure opérationnelle, s'est donc vue confier la tâche d'organiser ces états généraux, ce qui se traduit selon nous par les enjeux suivants : comment construire une intelligence collective qui engage les citoyens, en évitant de réduire les états généraux aux seuls débats d'experts ? Comment empêcher les discussions de se focaliser sur l'opposition stérile entre points de vue extrêmes et irréconciliables, pour parvenir à capter les attentes de la société civile, ce qui ne va pas de soi car, si les citoyens se sentent très concernés par un certain nombre de sujets, ils en sont aussi assez éloignés lorsqu'il s'agit de sujets difficiles ?
Dans la perspective de construire cette intelligence collective, il faut prendre conscience que la loi englobe deux problématiques. La première touche aux avancées de la science, de plus en plus rapides : ayant, en tant que scientifique, mené toute ma carrière dans l'interface entre recherche fondamentale, recherche clinique et recherche appliquée, je suis frappé par l'accélération actuelle du temps de doublement des connaissances ; on avait coutume de l'évaluer à cinq ans, mais je pense qu'il est plutôt aujourd'hui de l'ordre de trois ans et demi. Cette vitesse de progression nous oblige à nous interroger sur les conséquences induites pour la société.
En second lieu, les lois de bioéthique traitent également de questions, qui découlent certes du progrès scientifique mais sont d'abord des enjeux sociétaux – je pense notamment à la procréation médicalement assistée et à la fin de vie.
Dans cette double optique, notre mission s'avère extrêmement complexe – sans doute la plus complexe qui m'ait jamais été confiée. Pour la mener à bien, notre proposition d'agenda s'appuie sur deux préalables.
Il s'agit premièrement de définir le périmètre des états généraux. Dans la mesure où, à la différence des autres grands pays, dans lesquels l'évolution de la bioéthique se fait au fil de l'eau, les lois de bioéthique ne sont révisées en France que tous les sept ou huit ans, il nous a semblé que le champ des débats devait être aussi large possible, afin d'englober l'essentiel des grandes questions scientifiques qui intéressent la société et qu'a dû évoquer devant vous ce matin la directrice générale de l'Agence de la biomédecine, à savoir la reproduction et le développement embryonnaire, les cellules souches, la génétique et la génomique, le don et les transplantations d'organes. S'y ajoute la question nouvelle de l'intelligence artificielle et de la robotisation en médecine, qui n'était pas traitée dans la dernière loi, pas plus que n'était abordée la question des données de santé et du big data, les neurosciences et la stimulation cérébrale. Il nous faut aussi inclure dans ce périmètre la question des interactions entre l'environnement et la santé, sujet particulièrement important pour nos compatriotes d'outre-mer, et enfin les deux grands problèmes sociétaux que sont la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA), ainsi que toutes les problématiques ayant trait à la fin de vie, la question primordiale étant de savoir si l'on doit modifier la loi Claeys-Leonetti.
Nous entendons donc aborder l'ensemble des grands sujets, parmi lesquels des thématiques nouvelles particulièrement importantes, soit parce qu'elles innovent comme l'intelligence artificielle et la robotisation, soit parce qu'il s'agit de champs où la recherche progresse de manière spectaculaire, comme la génomique, la génétique ou les neurosciences, soit enfin parce que les enjeux en termes de santé publique sont considérables – je pense à l'environnement.
Pour explorer ce périmètre, nous avons parallèlement défini cinq outils.
Le premier de ces outils consiste en un site web propre aux états généraux, distinct de celui du CCNE. Ce site fournira des informations ainsi que l'agenda des différentes réunions. Il permettra également aux citoyens ou aux associations d'y défendre leurs positions sans qu'il s'agisse d'un véritable lieu de débat, ce que nous ne serions pas capables de gérer. La nature de ces contributions reste encore à définir.
Nous entendons également nous appuyer sur les espaces éthiques régionaux, instances placées sous l'égide des centres hospitaliers régionaux et pilotées par les médecins et les soignants. Dans le cadre des états généraux, ces espaces vont s'ouvrir et s'emparer de tel ou tel sujet faisant partie du périmètre que je vous ai indiqué. Une soixantaine de champs d'interrogation et de débats ont ainsi été planifiés entre fin janvier et fin avril sur la PMA, la fin de vie, l'intelligence artificielle, les neurosciences, le don du sang, les nouveaux enjeux de la transplantation.
Une partie de ces animations sera plus spécialement destinées aux jeunes, puisque les questions de bioéthique concernent avant tout, selon moi, les générations futures. Des débats seront donc organisés avec des étudiants en médecine ou en écoles d'infirmières, de jeunes philosophes ou de jeunes juristes, mais également avec des étudiants dans les disciplines artistiques, dont le regard neuf ne peut que nous enrichir.
Chaque espace éthique régional a choisi le thème dont il allait débattre, à charge pour le CCNE d'identifier les sujets qui n'avaient pas été retenus – par exemple, les neurosciences – pour inciter les espaces qui ne l'auraient pas fait à s'en emparer.
Dans ce cadre, une grande liberté sera laissée à ces instances régionales pour organiser leur réflexion, à ceci près que nous ne souhaitons pas qu'elle se résume à un débat d'experts. Le débat doit être aussi ouvert que possible ; les experts sont là pour amorcer des pistes de réflexion et canaliser les contributions et les idées de nos concitoyens. On sait que certains de ces débats, sur les sujets les plus clivants, risquent d'être houleux. Pour qu'ils se déroulent du mieux possible, le format retenu est celui d'échanges par groupes d'une vingtaine ou une trentaine de personnes, plus efficaces que des assemblées de plusieurs centaines de personnes. Nous avons décidé en revanche de cadrer précisément le rendu des travaux, et chaque espace éthique régional restituera, sous forme d'un document-type au CCNE, le compte rendu des débats. Mis en ligne au fur et à mesure, ces comptes rendus nous serviront également à produire la synthèse finale.
En troisième lieu, nous allons organiser plus de cent cinquante auditions dans les deux mois qui viennent pour entendre les sociétés savantes, les médecins, les chercheurs, ainsi que le milieu associatif au sens très large du terme. Ces auditions devront être motivées par un bref document de synthèse dans lequel sera exposée la problématique dans laquelle s'inscrit l'audition et quels sont les enjeux en matière de révision de la loi. Ces auditions ne seront pas publiques mais leur calendrier sera consultable sur le site web comme le seront les contributions auxquelles elles pourraient donner lieu.
J'ai conscience que le CCNE est voué à recevoir beaucoup de coups dans cette affaire. Quoi que nous fassions, on jugera que nous en faisons trop ou pas assez. Ce que je voudrais éviter, c'est que le milieu associatif, dont je fais grand cas pour avoir beaucoup travaillé avec les associations lorsque je m'occupais du SIDA, ne soit pas entendu. Je tiens à ce que l'on puisse répondre à toutes les sollicitations. Cela étant, il est évident que nous écouterons les personnes auditionnées sans pour autant faire nôtres toutes leurs propositions et toutes leurs demandes.
Nous nous appuierons en quatrième lieu sur un comité citoyen, ainsi que le veut la loi. Ce comité d'une vingtaine de personnes est sélectionné selon les mêmes règles qu'un jury citoyen, de manière à représenter la société française dans sa diversité. Il se réunira au cours de cinq week-ends, avec pour première fonction d'être critique sur le process des états généraux, et de signaler, le cas échéant, les débats qui ont manqué de clarté ou ont été lacunaires. Il produira lui aussi un rapport, l'idéal étant qu'il puisse également nous faire part de ses critiques en temps réel afin que nous puissions, le cas échéant, infléchir la dynamique des états généraux.
Nous aimerions également que ce comité, en cours de constitution et dont les premières réunions devraient avoir lieu le 10 et le 11 février prochains, joue, sur un sujet spécifique qu'il aura retenu, un rôle proche de celui d'un jury citoyen classique, c'est-à-dire qu'il élabore un projet qu'il nous présentera lors de la réunion finale.
Enfin, nous ferons appel aux scientifiques, qui sont aussi des citoyens et sont concernés au premier chef par ces questions de bioéthique. Nous avons déjà pris langue avec nombre d'entre eux, notamment avec les comités d'éthique des grandes institutions de recherche, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut Pasteur, en leur demandant quels étaient leurs priorités et leurs enjeux.
Le scientifique français se sent en général brimé par rapport à ses homologues anglo-saxons, car il souffre d'une réglementation qui limite son champ de recherche. Ainsi, alors qu'il est possible, aux États-Unis et dans la majorité des pays, de travailler sur l'embryon jusqu'à J14, cela n'est autorisé en France que jusqu'à J7. Or on apprend beaucoup de chose entre J7 et J14, pas nécessairement sur l'embryon lui-même, mais sur son environnement, ce qui est un élément essentiel à ce stade. De même, les chercheurs ont sur les techniques de stimulation cérébrale ou le don d'organes des requêtes et des questions précises. Après une première réunion, le 29 novembre dernier, ces comités d'éthique devraient de nouveau se réunir mi-avril.
J'ajouterai pour conclure un mot sur la clôture de ces états généraux, dont je redis avec la plus grande franchise qu'ils constituent une entreprise très difficile à mener à bien. J'ai parlé d'une soixantaine de débats, mais leur nombre est voué à doubler voire à tripler d'ici la fin des travaux, ce qui représente un énorme travail d'animation. Afin de garantir leur publicité, j'ai pris contact avec la présidente de l'ordre des pharmaciens, qui m'a donné son feu vert pour que des annonces soient apposées dans les officines. Elles seront également distribuées dans les laboratoires d'analyses.
In fine, le CCNE rendra un rapport de synthèse aussi neutre que possible, auquel sera également associé le rapport du comité citoyen. Ils seront remis à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dans les premiers jours de juin et rendus publics à la mi-juin. La réunion de clôture des états généraux se tiendra début juillet. Ensuite, le CCNE rendra un avis dans lequel nous ferons part au législateur de nos recommandations, qu'il s'agisse des éléments de réforme prioritaire ou de ce que nous considérons indispensable à l'éclairage du débat public.
J'interviens ici comme référent de la commission pour le CCNE, et vous remercie en son nom de votre présentation et du temps que vous avez accepté de me consacrer il y a quelque temps pour me présenter votre bel organisme et vos travaux. Je m'associe également aux voeux qu'a formulés la présidente, pour souhaiter à vous-même et à l'ensemble de l'équipe du CCNE une belle année 2018 ; une année de débats, car je souhaite que les états généraux de la bioéthique, qui vont s'ouvrir dans quelques jours, permettent l'expression la plus large possible des convictions de chacun, avant que s'engage le travail parlementaire.
Vous avez parlé de construire une intelligence collective ; j'irai plus loin et serai plus ambitieux en parlant de sagesse collective. Je voudrais, si vous m'y autorisez, que mon propos cet après-midi, soit en quelque sorte une adresse à l'ensemble de mes collègues de la commission sur la façon dont nous devons aborder ce type de débat.
La bioéthique, ce n'est pas neutre, cela engage la société française dans la durée et sur des principes qui sont importants. La bioéthique, c'est une volonté de trouver un équilibre entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable, un équilibre entre la liberté individuelle, la dignité des personnes mais aussi les espoirs de la recherche médicale ou les dangers d'une science qui, parfois, pourrait heurter les consciences. Partant, il me semble que ce débat sur la bioéthique doit être abordé au travers de quatre prismes, qui peuvent certes se recouper et être complémentaires mais doivent permettre de bien définir ce dont nous parlons.
Le premier de ces prismes est le prisme scientifique. Quels sont les éclairages que la science peut apporter ? Jusqu'où la technique et la recherche scientifique sont-elles capables d'aller ? Jusqu'où doivent-elles ne pas aller ? Est-il est bon que des moyens thérapeutiques soient, dans telle ou telle situation, appliqués à des fins qui ne sont pas forcément thérapeutiques ? Ce sont autant de sujets du débat scientifique qui doivent éclairer le débat parlementaire.
Le deuxième prisme est juridique, et le juriste que je suis ne saurait s'en abstraire. Pour chaque problématique, il va nous falloir remonter à la source du droit. On va sans doute parler de droit à mourir ou de droit à avoir un enfant : de quelle source du droit ces droits, s'ils existent, découlent-ils ? Comment, par ailleurs, peut-on légiférer sur des découvertes futures qui sont par nature incertaines ?
Le troisième prisme, qui orientera sans nul doute plus que les autres notre débat parlementaire, est un prisme politique et sociétal : quel type de société voulons-nous construire ? À quel modèle souhaitons-nous adhérer au travers des choix que nous allons faire en matière de bioéthique ? Doit-on adhérer à un modèle qui préserve avant tout la liberté de l'individu et qui fasse de l'individu le seul à décider de ce qui doit être éthique ou non ? Doit-on au contraire privilégier un modèle fondé sur la liberté collective, et comment ce modèle est-il conciliable avec la naturelle liberté des individus ?
Voilà trois prismes de nature, me semble-t-il, à éclairer le débat public et le débat parlementaire.
Il en existe un quatrième, moral, philosophique et religieux, qui, à mon sens, doit être exclu du débat public. Il relève de l'intime : chacun a ses convictions et sa propre morale. Chaque individu peut exprimer un jugement – c'est bien, ce n'est pas bien – ou prendre une position, quelle qu'elle soit, mais la pire des choses serait de mélanger ces quatre débats, en particulier lorsque nous discuterons des textes relatifs à la bioéthique. À une question scientifique, juridique ou politique et sociétale, il ne faudrait pas apporter des réponses morales, et, il ne faudrait pas apporter des réponses sociétales à un débat scientifique.
Même si j'ai bien conscience que les champs en question ne sont pas « étanches », j'invite l'ensemble de mes collègues à se situer correctement : lorsque nous aurons un débat de société, il ne faudra pas le détourner et en faire un débat moral. Évidemment, chacun d'entre nous entrera dans la discussion avec la force de ses convictions, de ses croyances, et de ses appartenances, mais l'essentiel est bien que nous ne nous trompions pas de débat.
Toute confusion des genres serait préjudiciable alors que les enjeux sont majeurs, et que nous cherchons à définir un modèle de société. Dans notre pays, comme sans doute dans notre assemblée, nous ne détestons pas les querelles picrocholines, et nous aimons bien mettre parfois de la morale ou elle n'a pas sa place, et du droit où il n'est pas véritablement nécessaire. Prenons-y garde, et mesurons les enjeux de nos débats. C'est ainsi que nous-mêmes et nos décisions pourront être utiles.
Pour cadrer ces débats, je souhaite que le CCNE puisse nous accompagner et nous faire profiter de son expérience et des enseignements qu'il tirera des états généraux de la bioéthique.
Mes chers collègues, en raison des contraintes horaires de notre invité et du caractère exceptionnel du sujet que nous traitons, je vous propose, une fois n'est pas coutume, de donner la parole aux seuls orateurs des groupes, pour cinq minutes. Monsieur Delfraissy, nous reviendrons sur ce sujet avec vous, et les nombreux autres députés qui souhaitent évidemment vous poser de multiples questions.
Pour ma part, je suis très sensible à votre projet d'associer les jeunes au débat. Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, nous disait, ce matin, combien il est nécessaire que les jeunes soient impliqués, en ajoutant que les questions éthiques doivent aussi être posées lorsqu'ils s'engagent dans des formations pour accéder à certaines professions – cela vaut d'ailleurs ensuite pour la formation continue. De façon générale, nous nous penchons peu sur les questions éthiques mais les jeunes, en particulier, évitent souvent ce genre de sujets essentiels.
PMA, GPA, fin de vie, diagnostic prénatal, médecine prédictive, neurosciences, intelligence artificielle ou big data suscitent un débat éthique légitime autour d'une question : ce qui est possible techniquement est-il souhaitable, humainement, et, si l'on répond positivement, sous quelles conditions ?
Il revient à la société entière de nous guider sur ces sujets. Comme l'a justement rappelé le Président de la République, la bioéthique appelle un vrai débat philosophique dans la société. Il doit être ouvert à toute la population afin que les nouvelles pratiques permises par les progrès constants des sciences et de la médecine soient conformes aux choix éthiques de notre société. Le défi est de taille, car les attentes sont fortes et les interrogations nombreuses.
Les députés du groupe La République en Marche ont dû faire des choix parmi les thèmes qu'ils souhaitaient aborder aujourd'hui. Delphine Bagarry, Annie Chapelier, Albane Gaillot et Corinne Vignon se sont particulièrement engagées dans ce travail de synthèse.
Monsieur Delfraissy, dans le cadre des états généraux, comment entendez-vous associer la représentation nationale au processus de consultation citoyenne ?
Dans son avis du 15 juin 2017 relatif à l'assistance médicale à la procréation, le CCNE s'est montré favorable à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Pour autant il est défavorable à la gestation pour autrui et il exprime de nombreuses inquiétudes à ce sujet. Si le législateur suit les recommandations du CCNE, ne pensez-vous pas que cela risque de créer une forte disparité entre les couples d'hommes et de femmes quant à la possibilité d'accéder à la parentalité ? Comment intégrerez-vous cette problématique dans les états généraux ?
Selon le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, les données génétiques et biométriques doivent être rangées parmi les données personnelles de santé considérées comme des données sensibles. Lors de ses auditions sur ce texte comme rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires sociales, Albane Gaillot a notamment dialogué avec une association qui prône le développement d'un label éthique pour les acteurs qui traitent les données de santé. De son côté, dans son propre avis, le Conseil d'État souligne l'absence de considérations et de réflexions éthiques.
Aujourd'hui, il faut faire des choix politiques qui permettent de structurer des normes juridiques plus solidement compte tenu des évolutions informatiques liées aux données de santé. Selon vous, comment peut-on appréhender la question de l'éthique dans le cas de la protection des données personnelles de santé ? La loi doit-elle prévoir un cadre éthique en vue d'une meilleure responsabilisation des acteurs ?
L'avis du CCNE du 16 octobre dernier s'intitule Santé des migrants et exigence éthique. Avez-vous étudié et mesuré les enjeux éthiques liés à la question des tests osseux destinés à attester de l'âge des mineurs non accompagnés ? Comptez-vous aborder ce type de questionnement dans le cadre des états généraux ? Que pensez-vous de l'idée de mettre en place un sas de repos physique et mental pour les mineurs non accompagnés avant l'évaluation de leur minorité ?
Dans le débat entre les défenseurs du droit à l'accès aux origines et les partisans de l'accouchement sous X, il est frappant de constater que l'opposition entre l'intérêt de l'enfant et celui de la femme semble indépassable. Les uns mettent en avant l'importance de connaître leurs origines ou d'y avoir accès pour se construire ; les autres insistent sur le caractère protecteur pour l'enfant, et sur la réduction potentielle des risques d'abandon clandestin, voire d'infanticide. Les enfants nés sous X réclament souvent une possibilité de savoir, voire de créer un lien, alors que l'accouchement sous X est présenté comme un droit des femmes : la mère vit un drame et se trouve dans une situation de détresse qui pourrait engendrer une situation encore bien plus difficile.
Pour mettre fin à l'opposition de ces deux camps, certaines propositions visent à faire évoluer encore davantage le dispositif de l'accouchement sous X vers un accouchement dans la discrétion – il serait en particulier possible de lever le secret à partir de la majorité de l'enfant. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur ce sujet ?
Mon intervention portera principalement sur les deux derniers avis rendus par le Comité consultatif national d'éthique.
L'avis du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l'assistance médicale à la procréation s'inscrit dans le champ des états généraux de la bioéthique qui seront lancés demain, et de la révision des lois de bioéthique. L'avis du 16 octobre dernier sur la santé des migrants ne relève pas de questions de bioéthique, mais il répond à une exigence éthique.
Le groupe Nouvelle Gauche est très mobilisé en faveur de la revendication de liberté et d'égalité d'accès aux techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) ; il se réjouit donc que le CCNE, s'appuyant sur la reconnaissance de l'autonomie des femmes et la relation de l'enfant dans les nouvelles structures familiales, propose d'autoriser l'ouverture de l'insémination artificielle avec donneur (IAD) à toutes les femmes. Il considère en effet que l'ouverture de l'AMP à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant de l'orientation sexuelle. Cependant, le Comité suggère de distinguer la situation différente des couples de femmes et des femmes seules, en maintenant le principe actuel de gratuité des dons et en étudiant les modalités – remboursement refusé ou différencié – pour que l'assurance maladie ne supporte pas les charges financières correspondantes.
Si nous partageons l'avis selon lequel il ne saurait être question de remettre en cause la solidarité nationale et la gratuité du don d'éléments du corps humain, une prise en charge différente entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes ou les femmes seules ne risque-t-elle pas d'avoir pour effet de réserver l'accès à l'AMP dite « sociétale » à des femmes aisées ?
J'en viens à l'avis du CCNE relatif aux migrants. Ces derniers séjournent sur le sol français pour des durées très inégales. Ils sont dans une situation de précarité pour ce qui concerne l'accès aux soins et placent leurs problèmes de santé au second plan par rapport à leur projet migratoire. Le CCNE « fait le constat d'une situation complexe pour laquelle les solutions mises en oeuvre par l'ensemble des acteurs publics ne sont pas à la hauteur des enjeux d'aujourd'hui et de demain ». Il estime qu'il n'existe « aucune difficulté insurmontable dans une prise en charge honorable et digne des migrants ».
Sur le territoire national, chaque département gère le suivi de l'accès aux soins des migrants selon ses choix et ses orientations politiques en matière de prise en charge. La situation diffère donc souvent d'une collectivité locale à l'autre. Afin de garantir une éthique en matière de santé des migrants, quelles préconisations feriez-vous en faveur d'une meilleure coordination de l'ensemble des acteurs concernés ?
Avec l'accord de Mme la présidente, je partagerai le temps de parole du groupe Les Républicains avec M. Gilles Lurton.
Au Parlement, lors de chaque grand débat sur la fin de vie, le constat est unanime : il est absolument nécessaire de développer les soins palliatifs. Malgré la mise en oeuvre de trois plans triennaux consacrés à leur développement, 80 % des personnes malades n'y ont toujours pas accès. L'offre de soins palliatifs se heurte en effet à plusieurs écueils : celui des disparités territoriales, celui du développement trop centré sur l'hôpital, et celui, plus culturel, du manque de formation spécialisée en France – notre pays compte seulement quatre professeurs spécialisés en soins palliatifs !
Quel premier bilan tirez-vous du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement en fin de vie ? Il prévoyait notamment de répondre au manque en matière de formation.
Alors que la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « Claeys-Leonetti », donne la possibilité d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès, mise en oeuvre selon une procédure collégiale, dans les faits, la mise en place de cette procédure se révèle très compliquée : les médecins se retrouvent souvent seuls, faute de collègues formés disponibles à toute heure, et la possibilité d'accorder une sédation au patient leur donne parfois l'impression d'accéder à une demande d'euthanasie masquée, ce qui n'est pas sans leur poser un certain nombre de problèmes éthiques. Que répondez-vous aux médecins gênés par les procédures collégiales, et que préconisez-vous pour en favoriser le développement ?
Le rapport d'activité du CCNE pour la période 2012-2016, évoque les éventuels verrous à lever pour les scientifiques en matière de bioéthique. Qu'entendez-vous par là ?
Les organes artificiels en 3D ou 4D, cités dans le rapport, peuvent-ils constituer une solution à long terme, notamment pour les greffes d'organes ?
Les questions liées à la PMA et la GPA feront l'objet de débats sans doute animés dans notre assemblée. Le Comité consultatif national d'éthique a-t-il émis un avis sur ce sujet ?
Le groupe Mouvement démocrate et apparentés (MODEM) salue le travail effectué par le CCNE. Nous partageons l'un des principaux objectifs du Comité : faire participer les citoyens à la réflexion éthique et leur permettre de comprendre les enjeux de certaines avancées scientifiques dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Cette dimension est cruciale à nos yeux tant les sujets relatifs à la bioéthique peuvent être sensibles pour nos concitoyens. Nombre de questions se posent dès aujourd'hui sur le plan scientifique, juridique et humain.
Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, le débat ne devra surtout pas être confisqué, et nous mettrons tout en oeuvre afin que les Français puissent non seulement s'exprimer mais également être véritablement entendus. Il s'agit d'une priorité du Gouvernement ; nous la soutenons. Les choses ne peuvent d'ailleurs pas se passer autrement si nous souhaitons que les débats se déroulent de manière apaisée et qu'ils soient constructifs. Dans cette perspective, pouvez-vous nous indiquer comment le CCNE s'apprête à organiser la concertation en lien avec les territoires ?
Dans le cadre des états généraux de la bioéthique, la procréation médicalement assistée occupera-t-elle naturellement une large place ? Au-delà de cette question importante, pouvez-vous nous indiquer les sujets émergents que le CCNE a pu identifier ?
Permettez-moi de vous interroger maintenant sur des problématiques plus spécifiques à la Guadeloupe où la sensibilisation et la participation du grand public à ces questions demeurent également un enjeu majeur et un défi que nous devons relever.
C'est notamment le cas concernant les problématiques d'infertilité. En raison du faible nombre de donneuses d'ovules afro-antillaises, beaucoup de couples se trouvent dans l'obligation de partir à l'étranger. Doit-on communiquer spécifiquement sur le don d'ovules aux Antilles et dans le Pacifique ? La question vaut aussi pour le don de sperme ? Il faut rappeler que, dans le contexte local, les campagnes nationales ont peu d'impact, et le don de gamètes est très peu envisagé.
Doit-on inciter les jeunes de vingt à trente ans à la préservation de gamètes, en l'absence de projet parental pour préserver leur fertilité ? De très nombreux transmetteurs de la drépanocytose sont demandeurs d'un diagnostic préimplantatoire qui ne peut actuellement être effectué dans les Antilles ou dans le Pacifique. Ils sont contraints de renoncer. Pourquoi ne pas développer au sein du centre de médecine de la reproduction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, conjointement avec le centre de la drépanocytose, une structure qui permettrait une prise en charge de l'ensemble des couples caribéens présentant un risque ?
En Guadeloupe, comment sensibiliser des couples qui, pour des raisons culturelles ou religieuses, refusent l'interruption médicale de grossesse, alors même que des malformations ou pathologies lourdes sont diagnostiquées en amont ?
Par ailleurs, alors que, dans les Antilles et dans le Pacifique, près de 50 % des adultes sont en situation de surpoids ou d'obésité, comment assurer une sensibilisation et une prise de conscience de la population ? Comment aider à l'éducation d'une population soumise à une consommation excessive et non équilibrée dans un contexte d'incitation majeure, notamment publicitaire ? Comment aider à l'établissement d'une charte éthique pour la production industrielle de produits moins sucrés et moins gras ? Enfin, comment aborder de manière efficace les conséquences de l'obésité sur la santé d'une population fortement touchée par le diabète et l'hypertension artérielle ?
Au nom de La France insoumise, je tiens à vous remercier pour votre intervention. La commission aura certainement le plaisir de vous recevoir une fois encore à l'automne : en tant que président du CCNE, vous êtes directement concerné par la révision des lois de bioéthique qui devrait avoir lieu dès cette année. Vous vous êtes d'ailleurs prononcé en faveur d'une telle révision et vous avez annoncé que les états généraux se tiendront au plan régional jusqu'au mois de juin. C'est sur la base de vos propositions que nous devrions être saisis avant la fin de l'année.
Les sujets sont nombreux, comme les questions à vous poser. J'en garde donc en réserve pour une prochaine rencontre. La dernière révision des lois de bioéthique, en 2011, n'a pas été à la hauteur des enjeux en ce qui concerne le respect de la dignité humaine en fin de vie, et ce sera aujourd'hui l'objet de mon intervention.
Certes, et on l'a dit avant moi, la sédation profonde et continue est désormais possible pour certains patients – cela doit leur permettre d'éviter de souffrir avant de mourir –, mais la décision est conditionnée à l'accord des médecins : elle n'est pas pleinement et exclusivement de la responsabilité des patients. Comme de nombreux Français, vous avez certainement été touché par l'histoire d'Anne Bert, cette écrivaine atteinte de la maladie de Charcot, qui provoque une paralysie progressive de l'ensemble de la musculature squelettique des membres. Militant activement pour le droit de choisir sa fin de vie, elle avait interpellé les candidats à l'élection présidentielle de 2017. Elle jugeait la loi largement insuffisante, constat que nous partageons. En septembre dernier, elle a annoncé sa volonté de mettre fin à ses souffrances et d'être euthanasiée. Elle a donc traversé la frontière pour rejoindre un centre de soins palliatifs à l'étranger : française, elle a fermé définitivement les yeux en Belgique, le 2 octobre 2017.
En évoquant ce sujet, j'ai à l'esprit les milliers de patients victimes des mêmes souffrances qui aimeraient décider d'en finir dignement, mais en sont empêchés sur le territoire national. Selon moi, le droit à mourir dans la dignité est un droit fondamental et j'aimerais profondément que le législateur permette de le respecter. Il est temps d'avoir ce débat au sein de notre assemblée. À l'occasion d'une prochaine « niche » parlementaire attribuée à mon groupe, Caroline Fiat aura ainsi l'honneur de présenter une proposition de loi visant à permettre une fin de vie digne. Notre texte décrit les procédures et les conditions d'application de ce droit, il améliore les conditions de désignation de la personne de confiance, il dépénalise la participation des médecins et il adapte leur code de déontologie tout en introduisant une clause de conscience. Ce sera l'occasion de réaliser une avancée majeure pour le respect de la dignité humaine.
Dans son avis n° 121, datant de 2013, le CCNE s'était prononcé en faveur d'un tel droit. En tant que président de ce comité, pourriez-vous confirmer que sa position n'a pas changé et nous donner votre sentiment sur la proposition de loi que je viens d'évoquer ? Votre avis pourrait être particulièrement éclairant. Il pourrait même permettre, peut-être, de convaincre les députés de la majorité, qui rejettent régulièrement les propositions dès lors qu'elles sont issues de nos rangs – ce qui donne l'impression que ce n'est pas la proposition elle-même qui compte, mais la personne ou le groupe dont elle émane. Votre avis aurait donc un intérêt particulier.
Je crois que mon exposé liminaire a déjà apporté un éclairage sur un certain nombre de points, mais je pourrai y revenir, bien sûr.
Au préalable, je voudrais insister sur ce que j'ai qualifié tout à l'heure d'inquiétude – et je dois dire qu'elle n'est pas totalement apaisée à l'issue de vos questions. L'enjeu des états généraux de la bioéthique consiste à se donner un temps d'intelligence collective, ou de démocratie citoyenne, sur les sujets de santé – car il ne s'agira pas seulement de la PMA et de la fin de vie. Nous serons tous responsables de cet exercice qui est très difficile à organiser, et nous en sommes tous conscients. Vous êtes des partenaires importants, car vous constituez des relais avec les citoyens et vous allez probablement aussi participer à certains débats dans vos régions. Les journalistes sont focalisés sur les aspects sociétaux, autour de la PMA et de la fin de vie, probablement parce que ce sont des sujets plus politiques, mais nous devons tous faire très attention à ce que le débat soit plus large. J'ai été le premier, et je l'assume, à inscrire à l'agenda des états généraux une réflexion sur la PMA sociétale et la fin de vie, c'est-à-dire, disons-le, le suicide assisté, mais il faut ouvrir davantage cette fenêtre en pensant aux nouvelles générations.
Il y a en effet d'autres enjeux majeurs, tels que les nouvelles techniques de génomique : que pourra-t-on faire sur les gamètes avec les « ciseaux génétiques » ? À partir du moment où une famille a une maladie dont le gène est connu, l'exciser sur l'embryon doit-il être considéré comme un nouvel acte thérapeutique dans les années 2018-2020 ou, au contraire, comme le début d'un eugénisme susceptible d'introduire des modifications sur d'autres aspects ? C'est une question importante, comme d'autres, notamment celles qui concernent les neurosciences. Ma demande est très simple : il faut ouvrir une fenêtre, en parlant bien sûr de la fin de la vie et de la PMA sociétale, mais aussi d'autres sujets. Les enjeux juridiques que vous avez évoqués sont essentiels, mais nos concitoyens ne les perçoivent pas bien, tant ces questions sont difficiles. L'évolution de la loi ne dépend pas du CCNE, mais de vous, et ce sont les décisions du Conseil d'État et de la Cour de cassation qui nous font avancer dans certains domaines. Je le répète : dans la réflexion, délicate, qui est à mener, il faut mettre en lumière d'autres sujets dont la perception n'est pas évidente pour nos concitoyens.
J'en viens plus directement à vos questions.
En ce qui concerne la PMA et la GPA, il y a un avis du CCNE : il me semble que nous avons adopté au mois de juin dernier une position assez claire. Ce qui ne l'était pas totalement, mais cela pourrait être précisé à la faveur du débat qui vient, est la question des conditions financières. Si la PMA était ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes, vers quel modèle financier irait-on ? L'avis du CCNE n'est qu'un avis parmi d'autres, il ne doit pas primer lors des états généraux : le CCNE doit au contraire s'effacer. Il est là pour porter le débat citoyen, pour essayer de faire en sorte qu'il soit aussi constructif que possible. Nous avons donné notre avis, et nous le referons plus tard, mais notre position ne doit pas l'emporter. Elle est importante, mais pas unique : il ne s'agit pas seulement d'un débat d'experts ; on doit faire remonter ce que pense l'ensemble de la communauté.
La question des données génétiques est extrêmement importante dans le cadre des nouvelles techniques de génomique. On peut trouver sur internet des offres de tests concernant le génome entier – prétendument – pour deux cents dollars et je ne crois pas me tromper en disant que cela pourrait être aussi le fait de start-up françaises dans deux ou trois ans, pour cinquante euros. Vous imaginez bien les enjeux que cela représente… En sortant d'une boîte de nuit, on ne demandera plus à voir un test HIV, mais une étude genome-wide, pour savoir si l'on va plus loin ou non. Tout cela se fait hors circuit médical, sur internet. On choisit de s'intéresser à des gènes particulièrement associés à certaines pathologies, mais il reste beaucoup de zones d'ombre et les gens, affolés, reçoivent leurs résultats à domicile sans vraiment comprendre de quoi il retourne. Ils vont ensuite consulter des médecins qui n'ont jamais prescrit de tels tests. Cela ne fait que commencer en France, mais c'est déjà monnaie courante aux États-Unis dans des milieux un peu privilégiés : on a son test genome-wide.
La science évolue beaucoup et elle va nous interpeller plus vite qu'on ne le croit sur d'autres sujets que ceux de nature sociétale. Que fait-on ? Le permet-on ? Comment s'organise-t-on pour les consultations de génomique ? Comment intègre-t-on ce sujet dans le plan « France médecine génomique 2025 » qui est en train d'être lancé ? Quels aspects éthiques prend-on en compte ? Il y a toute une série de grandes questions à se poser.
Je suis sensible aux interrogations concernant la santé des migrants. C'est un sujet auquel le CCNE s'est intéressé, dans un avis que vous pourrez consulter, mais il n'entre pas tout à fait dans le champ des états généraux de la bioéthique. On peut l'y raccrocher à travers un sujet que je n'ai pas évoqué mais qui va probablement se faire jour d'une manière ou d'une autre : celui de la médecine du futur, qui avance à grands pas – avec la médecine connectée, les grandes plateformes et les robots. Dans ce contexte, quel sera le consentement du patient ? Quelles seront les règles éthiques si l'on n'est pas opéré par un chirurgien, mais par un robot, par exemple lors d'une intervention neurochirurgicale ? Va-t-on signer un consentement à l'égard d'intervention d'un robot ? J'avoue ne pas savoir… S'il y a un lien avec les migrants, c'est que les populations les plus défavorisées seront les plus à la peine dans ce nouveau modèle : les migrants, comme d'autres patients, seront les moins informés, et une partie des actes seront probablement payants dans un premier temps.
Oui, la question de l'anonymat du don de gamètes se pose, et elle figure à l'ordre du jour des états généraux. Un certain nombre d'associations qui m'ont écrit demandent la levée de l'anonymat : il faut les écouter. Une position a été adoptée il y a quelques années, mais la France d'alors n'est plus celle d'aujourd'hui. Il y a une vraie question, à mes yeux, à partir du moment où une demande existe. Quand on n'est pas soi-même issu d'un don de gamètes, je trouve qu'il est très difficile de prendre des décisions un peu restrictives à l'égard de personnes connaissant mieux que quiconque le problème. J'attends pour ma part, et c'est l'un des intérêts des états généraux que de permettre d'écouter ce qu'ont à dire certaines associations qui ont réfléchi au sujet et ont entendu leurs propres adhérents : elles vont peut-être nous permettre de mieux construire la pensée sur ce point.
En ce qui concerne la fin de vie, quel bilan peut-on faire ? Après la loi dite « Claeys-Leonetti » et les décrets d'application, que s'est-il passé dans les unités hospitalières et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? Dans le grand hôpital de la région parisienne où j'exerce, celui de Bicêtre, il existe de très fortes disparités dans la manière dont les équipes se sont emparées de la question. Le plus souvent, on a avancé quand ce ne sont pas les médecins qui s'en occupent, mais les soignants – il faut appeler un chat un chat. Il y a aussi de grandes différences entre les services de réanimation pédiatrique, chirurgicale et neurochirurgicale, ainsi qu'entre les EHPAD. Au sein du même établissement hospitalier, on trouve des positions différentes selon que la hiérarchie médicale, pour résumer, a laissé le débat s'installer ou non. Il y a par ailleurs de grandes disparités entre les EHPAD – c'est un sujet connu. Une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est en cours, à la demande de la ministre de la santé, afin de dresser un premier bilan. Est-il possible de le faire alors que moins d'un an s'est écoulé depuis les décrets d'application ? Je n'apporterai pas de réponse aujourd'hui, car j'attends de voir ce qui va se passer. Mais je sais, en tant que praticien, qu'il existe de fortes variations entre les structures.
Vous m'avez interrogé sur la question des procédures, notamment la prise de décision collégiale. Veut-on aller plus loin que la loi « Claeys-Leonetti » ? Je pense que le débat doit avoir lieu et j'ai souhaité que ce soit le cas, mais cela entre-t-il dans le cadre d'une loi de bioéthique ou dans un autre ? Le sujet relève bien de l'éthique, mais on ne peut pas dire, malheureusement, qu'il y ait un progrès scientifique à prendre en compte. On peut se poser la question, mais c'est vous qui apporterez la réponse – même si nous allons essayer de vous éclairer autant que possible. Je crois que la France est divisée sur ce sujet, peut-être plus qu'on ne le croit et pas seulement suivant des lignes politiques, mais aussi culturelles. Globalement, vous savez que les médecins ne sont pas très favorables : c'est compliqué pour nous, même si on avance. Par conséquent, laissons le débat citoyen s'instaurer.
Nous allons aborder tous les sujets émergents, autour de l'intelligence artificielle, du big data, de la robotisation, de la santé et de l'environnement ou encore des nouvelles techniques génomiques, dans le cadre des débats au niveau régional et des discussions avec les scientifiques.
Je suis très sensible à la question concernant l'outre-mer : c'est le maillon faible, comme souvent.
Je peux pourtant vous assurer que j'y tiens. Je connais assez bien certains territoires d'outre-mer et les difficultés qui se posent pour un exercice de ce type. Un travail sur la fin de vie ainsi que sur la santé et l'environnement devrait être réalisé à la Martinique, mais je ne suis sûr que l'on aille jusqu'au bout sur le dernier point, pour des raisons locales, mais ce sera le cas ailleurs. La Guadeloupe, vous le savez mieux que quiconque, se trouve dans une situation difficile après ce qui s'est passé dans son CHU. Afin qu'un débat puisse avoir lieu, le CCNE va être obligé d'apporter directement un financement, indépendamment du CHU. Il y aura aussi des débats à La Réunion. Il existe néanmoins des zones non couvertes, en particulier celle de la Guyane : nous allons donc regarder ce que l'on peut faire. C'est vraiment un territoire auquel il faut s'intéresser, pour de multiples raisons. Je suis attentif à votre message et j'ai d'ailleurs fait de ces préoccupations une priorité pour le petit groupe qui s'occupe du sujet : nous allons faire un travail plus spécifique pour l'outre-mer.
J'en termine avec l'enjeu de la future loi, en rappelant d'abord que le CCNE n'est qu'une instance de proposition – il s'agit d'un organe consultatif. Après le travail d'écoute de nos concitoyens qui va avoir lieu, nous rendrons un avis sur un certain nombre de priorités. Il y aura ensuite deux grandes possibilités : soit s'en tenir à une loi du même type que celle issue des travaux de 2009-2011, c'est-à-dire une révision procédant paragraphe par paragraphe, ce qui reste nécessaire pour tout un ensemble de sujets ; soit adopter une vision plus ambitieuse sur le plan politique, en considérant que la France exerce un leadership international dans de nombreux domaines scientifiques, y compris en matière d'éthique – on regarde ce que disent les Français. Des événements très curieux se déroulent actuellement dans le monde, notamment en Asie du Sud-Est : en Chine, des essais débutent sur des embryons reconstitués qui interpellent vraiment la communauté scientifique. Aux États-Unis, le comité national d'éthique vient de « sauter » avec l'administration Trump : il n'y a donc plus de contrôle dans ce pays à l'heure actuelle. Le Canada reste très fort, comme les pays d'Europe du Nord, mais la France a aussi une vraie visibilité. On peut donc faire de la loi à venir un exercice peu plus ambitieux – peut-être pas une lanterne qui éclaire le monde, car ce serait ridicule, mais un texte ouvrant des pistes sur les sujets nouveaux, ce qui permettrait de renforcer la visibilité que notre pays mérite d'avoir dans la période actuelle.
Je tiens à vous remercier au nom de tous mes collègues. Nous sommes appelés à nous revoir assez rapidement, je l'ai dit, et je ne doute pas que de nombreuses questions soient déjà prêtes pour nos rendez-vous suivants. (Sourires.) Notre commission sera très active sur ce sujet et j'aurai l'occasion de voir avec la présidente de la commission des lois comment nous pouvons faire en sorte que les travaux soient les plus complets possibles dans cette assemblée – je vous en tiendrai informé.
La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.
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Présences en réunion
Réunion du mercredi 17 janvier à 16 heures 40
Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, Mme Gisèle Biémouret, M. Bruno Bilde, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Marc Delatte, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Patricia Gallerneau, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Caroline Janvier, Mme Charlotte Lecocq, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Jeanine Dubié, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, Mme Nicole Sanquer, M. Adrien Taquet
Assistait également à la réunion. – M. Xavier Breton