COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Mercredi 6 janvier 2021
La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
La commission spéciale procède à l'audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits.
Mes chers collègues, nous auditionnons Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, dans un temps contraint, puisque nous disposons d'une heure. Je vous demande donc, madame la Défenseure des droits, de bien vouloir limiter votre intervention liminaire à cinq minutes.
Il nous a paru intéressant d'avoir votre point de vue sur ce projet de loi, tant sur le contexte que sur le texte – ces deux entrées sont généralement celles de nos auditions. Suivront ensuite quelques interventions des rapporteurs et des groupes, puis vous pourrez répondre.
Je vous remercie, monsieur le président. Parce qu'il s'agit d'un travail collectif, je suis venue avec une partie de mes équipes. Mon intervention sera un peu plus longue que cinq minutes, j'en suis désolée, mais j'ai tout de même certaines choses à vous dire au préalable.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie vraiment d'avoir sollicité mes observations sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, que vous êtes chargés d'examiner. Ce texte nécessite un examen attentif et scrupuleux pour lequel la contribution du Défenseur des droits me paraît effectivement utile.
Comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis, le présent projet de loi concerne pratiquement tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garantis, dont les plus éminents d'entre eux – la liberté d'association, la liberté de conscience et de culte, la liberté de réunion, d'expression, d'opinion, de communication, la liberté de la presse, la libre administration des collectivités territoriales, la liberté d'enseignement, la liberté du mariage, la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle. Il modifie ainsi quatre de nos grandes lois relatives aux libertés, celle de 1881 sur la liberté de la presse, celle de 1882 sur l'instruction primaire obligatoire, celle de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, et celle de 1907 concernant l'exercice public des cultes.
En tant que Défenseure des droits, je pense que nous devons interroger, au-delà de leur opportunité, le caractère nécessaire et proportionné des mesures envisagées. C'est d'ailleurs sous cet angle que le Conseil d'État a examiné le texte initial. À cet égard, il convient de souligner qu'à l'issue de cet examen, quelques garanties supplémentaires ont pu être apportées au projet de loi. Cependant, tous les risques d'atteinte aux libertés ne sont pas levés. Avant d'analyser précisément quelques-unes de ces dispositions, je voudrais appeler votre attention sur deux problèmes généraux que pose le texte.
En premier lieu, l'objectif de renforcement des principes républicains passe uniquement par des dispositions de caractère répressif.
Le texte accumule des dispositions très hétérogènes sur des sujets aussi variés que la part réservataire des héritiers, les certificats de virginité, l'instruction à domicile ou la protection des agents chargés du service public. Plutôt que d'apprécier chaque problématique dans sa spécificité et d'élaborer des solutions globales nécessairement complexes à ces questions, le texte ajoute des contraintes et des sanctions supplémentaires, comme si c'était là une condition nécessaire et suffisante pour faire vivre et renforcer nos principes républicains. Je note d'ailleurs que plus d'un tiers des articles vise à renforcer les dispositifs de contrôle et près d'un quart définit des peines d'emprisonnement.
Si le but est de garantir le respect des principes républicains, on ne peut donc, à titre liminaire, que regretter l'absence de dispositions relatives à la mixité sociale, pourtant présentes dans une version antérieure du texte, ainsi qu'à la lutte contre les relégations et les discriminations, qui sont souvent le terreau sur lequel se développent les idéologies radicales amenant au séparatisme.
Le second problème que pose le texte est son caractère disproportionné.
Alors que l'exposé des motifs évoque un entrisme communautariste, pour l'essentiel d'inspiration islamiste, le projet de loi n'en fait pas mention et vise finalement des catégories beaucoup plus larges – les personnels des services publics, les associations subventionnées, les établissements d'enseignement privé, les associations cultuelles, entre autres. Tantôt le projet de loi semble viser une catégorie très spécifique de la population, ce qui peut poser problème au regard des principes d'égalité et de non-discrimination – j'y reviendrai –, tantôt, pour ne pas le faire explicitement, il prévoit des interdictions et des sanctions d'application tellement vastes qu'elles sont hors de proportion avec la difficulté qu'il s'agit de traiter.
Il semble ainsi qu'à l'instar de précédents textes de loi, en particulier de ceux relatifs aux différents états d'urgence depuis 2015, la réponse apportée pour atteindre un objectif d'intérêt général, répondre à une demande sociale ou faire vivre des valeurs passe uniquement par de nouveaux interdits, de nouveaux contrôles ou de nouvelles sanctions. Faute d'imagination peut-être, faute d'outils adaptés, faute de dialogue avec la société civile, l'action publique se replie alors dans la facilité apparente de la restriction des libertés.
Ce texte porte donc le risque de conforter une tendance générale au renforcement global et en partie disproportionné du contrôle de l'ordre social, tendance plusieurs fois dénoncée par le Défenseur des droits comme par d'autres institutions chargées de défendre les droits et les libertés.
Sans examiner l'ensemble des dispositions, je souhaiterais illustrer mon propos en insistant sur celles qui me semblent susceptibles de poser problème car non nécessaires et disproportionnées, et appeler votre attention sur sept points – la liberté d'association, la protection des agents chargés d'un service public, les certificats de virginité, les réserves de polygamie, le nouveau délit de mise en danger, l'instruction à domicile et la liberté de culte.
S'agissant de la liberté d'association, le texte me paraît introduire deux atteintes dangereuses.
La vie associative, à laquelle j'ai consacré de nombreuses années d'engagement, est un pilier de citoyenneté dans notre pays. Le dynamisme de nos associations repose sur la mobilisation des citoyens pour des causes dans lesquelles ils se reconnaissent et qui correspondent à leurs convictions propres. Et même lorsqu'elles sollicitent un soutien des pouvoirs publics, locaux ou nationaux, sous forme monétaire ou en nature, elles n'ont pas vocation en tant que telles à refléter les options d'un gouvernement, les priorités de l'État ou les préférences politiques d'une majorité municipale.
Bien sûr, les associations, comme toute personne morale, ainsi que leurs membres, doivent respecter la loi, ce qui est heureusement déjà prévu. En conditionnant l'attribution de subventions à la signature d'un contrat d'engagement républicain, l'article 6 du projet de loi met toutefois les associations dans une position où on leur demande de s'engager positivement et explicitement, dans leur finalité comme dans leur organisation, sur des principes qui sont ceux de la puissance publique. C'est courir le risque de dénaturer en partie le statut des associations, qui sont des tiers essentiels entre le citoyen et la puissance publique.
De surcroît, les principes contenus dans ce contrat – principes de liberté, d'égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de dignité de la personne humaine, de sauvegarde de l'ordre public – ne sont pas explicités et devront être définis par un décret en Conseil d'État. Or leur contenu et leur interprétation en la matière sont parfois incertains.
Je n'en donnerai qu'un exemple : quelles sont les limites de la sauvegarde de l'ordre public ? On peut tout à fait entendre qu'une association doit respecter l'ordre public, mais peut‑on demander aux associations de s'engager à le sauvegarder ? On confierait ainsi au pouvoir réglementaire la possibilité de définir le cadre s'appliquant à n'importe quelle association demandant des subventions, à n'importe quelle collectivité publique, ce qui, d'une part, introduit une forte insécurité juridique pour l'ensemble de ces acteurs et, d'autre part, porte un risque d'atteinte à la libre administration des collectivités locales.
Enfermer le recours aux subventions publiques dans un tel dispositif ferait enfin courir le risque que certaines d'entre elles privilégient par exemple des financements étrangers. A minima, notre avis est donc de renoncer au terme de « contrat », et de préciser dans la loi elle‑même les engagements dont le respect est attendu pour bénéficier de subventions publiques, sans renvoyer pour cela à un texte de nature réglementaire.
Par ailleurs, l'article 8 prévoit qu'il sera possible, pour dissoudre une association, de lui attribuer la responsabilité d'agissements commis par un de ses membres, agissant en cette qualité, si elle en avait connaissance et s'est abstenue de les faire cesser. Mais le moyen introduit, qui s'apparente à un renversement de la charge de la preuve, paraît excessif. En effet, les dirigeants d'association, même de bonne foi, peuvent légitimement éprouver des difficultés à identifier des agissements répréhensibles, d'autant que leurs moyens sont souvent limités.
Le dispositif ferait également courir le risque que des associations soient l'objet de tentatives de déstabilisation de la part de gens qui, prenant la qualité de membre ou se faisant passer pour tel, agiraient d'une façon qui mettrait l'existence de l'association en difficulté.
Cet article gagnerait donc à être resserré sur les agissements imputables à l'association elle-même et à ses dirigeants, au nom de l'association.
J'en viens au deuxième point, relatif aux dispositions visant à protéger les agents chargés d'un service public. Le nouveau délit, défini par l'article 4, interroge quant à son articulation avec l'article 433-3 du code pénal. Il reprend en effet les termes du dernier alinéa de cet article s'agissant des comportements susceptibles d'être sanctionnés, à savoir « le fait d'user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation » à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, mais dans un but différent. Il s'agit ici « d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». Il se différencie également du délit défini au premier alinéa par le comportement visé, et en ce que ce comportement est sanctionné uniquement lorsqu'il a un but précis, défini par le texte.
Il n'apparaît pas nécessaire d'insérer ce nouvel article dans une multiplicité de textes déjà compliqués, rendant la loi pénale peu lisible, peu accessible, notamment au regard du principe de l'égalité des délits et des peines à valeur constitutionnelle.
Bien plus tôt, il aurait été bienvenu, comme l'a d'ailleurs suggéré le Conseil d'État, d'engager une réflexion pour donner plus de lisibilité et de cohérence aux incriminations relatives aux menaces, intimidations ou violences contre des personnes, en particulier contre des agents publics, qui ont droit à une légitime protection.
Par ailleurs, je m'interroge sur la pertinence de l'introduction d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français pour les étrangers et sur ces motifs, en particulier au regard de la rédaction initiale, qui faisait référence aux croyances ou convictions de l'auteur de l'infraction. Le cumul des dispositions laisse penser à l'instauration d'un dispositif pénal ciblé sur une catégorie de population, et, à cet égard, susceptible d'être discriminatoire et de porter atteinte au principe d'égalité.
Les dispositions relatives à la dignité de la personne humaine méritent aussi d'être examinées avec attention. J'en citerai deux.
Tout d'abord – c'était le troisième point que je voulais aborder –, l'extension de la réserve de polygamie. Le texte prévoit la généralisation de la réserve à l'ensemble des titres de séjour. Je souhaite à cet égard vous alerter sur les effets concrets que cela pourrait avoir sur certains étrangers justifiant d'une ancienneté de séjour particulièrement significative sur notre territoire.
Actuellement, la loi prévoit déjà que la carte de résident ainsi que, dans de nombreux cas, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » ne peuvent être délivrées aux étrangers polygames. La carte de résident peut également être retirée pour ce motif. Ces réserves de polygamie n'ayant été introduites qu'à compter de 1993, des étrangers polygames et leurs épouses, titulaires de cartes de résident délivrées dans les années 1980, se sont vu, après cette modification de la loi, refuser le renouvellement de leur carte de dix ans.
La loi interdisant également qu'il puisse leur être délivrée une carte « vie privée et familiale », des exceptions ont pu être envisagées pour ces étrangers qui, par hypothèse, justifiaient d'une ancienneté de séjour particulièrement significative. Il a notamment été admis par voie de circulaire, qu'ils puissent se voir délivrer des cartes « salariés », même sans autorisation de travail. En généralisant cette réserve à l'ensemble des titres de séjour, l'article 14 du projet de loi interdirait de telles exceptions.
Or le retrait du document de séjour à tout étranger en situation de polygamie est susceptible d'entraîner des conséquences très larges au regard du respect de la vie privée et familiale. Ainsi, des étrangers résidant régulièrement en France depuis plusieurs dizaines d'années se verraient privés du jour au lendemain de tout droit au séjour ainsi que des autres droits afférents, notamment sociaux.
J'en viens au quatrième point que je souhaitais aborder avec vous, la disposition relative aux certificats de virginité. Ces certificats représentent bien entendu une atteinte au respect de l'intégrité et de la dignité des femmes qui sont amenées à les demander. Néanmoins, la pénalisation envisagée dans l'article 16 ne me paraît pas opportune, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, des sanctions disciplinaires peuvent d'ores et déjà être prises à l'encontre des médecins. Ensuite, ces sanctions pourraient être étendues à l'ensemble des professionnels de santé. Enfin, cette pénalisation risquerait de stigmatiser des médecins, infirmières ou sages-femmes, soucieux de protéger des patientes aux prises avec une pression extérieure forte, et les priverait de la possibilité d'engager une discussion d'information et d'éducation. Un travail de prévention des violences psychologiques et physiques, accompagné d'efforts d'éducation, paraît beaucoup plus approprié, notamment par la mise en œuvre effective des cours d'éducation sexuelle, dont l'obligation figure aujourd'hui dans les textes mais qui ne sont pas encore réellement enseignés dans nos écoles. C'est d'ailleurs ce que recommandent les sociétés françaises de pédiatrie et de pédiatrie médico-légale.
Dans le cinquième point, je souhaitais appeler votre attention sur l'article 18. Cet article crée une nouvelle infraction de mise en danger de la vie d'autrui, par diffusion d'informations « relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne, permettant de l'identifier ou de la localiser, dans le but de l'exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, ou aux biens ».
Deux aspects méritent d'être soulignés, en ce qu'ils distinguent nettement cet article de l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. D'une part, cet article incrimine la diffusion d'informations de nature essentiellement privée, et ne relevant pas d'un sujet d'intérêt général. D'autre part, il vise à protéger tout individu contre le risque de mise en danger, associé à la diffusion d'informations permettant de l'identifier ou de le localiser.
J'appelle cependant votre attention sur la référence aux atteintes à l'intégrité psychique. Il s'agit en effet d'une notion mal définie, au contenu large, susceptible d'étendre considérablement le champ de l'incrimination. Le flou qui l'entoure pourrait être de nature à créer une autocensure chez les éditeurs ou des journalistes, qui craindraient de voir engager leur responsabilité par cette nouvelle infraction. Nous sommes donc d'avis de la retirer du texte.
Le sixième point que je souhaitais aborder avec vous a trait aux dispositions prévues par l'article 21 pour limiter et encadrer l'instruction dans la famille. Avec cet article, l'instruction à l'école devient la règle et l'instruction à domicile, l'exception, pour laquelle un régime d'autorisation est substitué au régime de déclaration.
Tout au long de son histoire, l'école de la République s'est développée sur la base de la seule obligation d'instruction, assortie de contrôles, qui a d'ailleurs permis la cohabitation de l'école publique, gratuite et laïque, de l'enseignement privé sous contrat d'association, de l'enseignement privé hors contrat et de l'instruction en famille, ce qui n'empêche pas qu'une priorité soit accordée aux établissements d'enseignement, notamment par la loi, depuis 1998.
La possibilité d'une instruction dans les familles figure dans la loi Ferry de 1882. Il n'y a donc pas d'incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents des modalités pratiques de l'instruction, toujours dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Je formulerai trois réserves sur la nouvelle disposition.
D'abord, quant à l'objectif visé : en effet, la place de cette disposition dans le projet de loi interroge sur la possibilité qu'elle soit motivée par des seuls impératifs sécuritaires. On peut se demander si elle ne devrait pas plutôt l'être au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant.
La deuxième réserve concerne l'opportunité de la disposition. D'une part, et sous toute réserve, l'étude d'impact n'apporte aucun élément clair, et toujours aucune visibilité sur le risque de prosélytisme au sein de l'instruction dans la famille. D'autre part, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance vise déjà à clarifier et resserrer l'encadrement des contrôles pédagogiques de l'instruction dans la famille.
Il apparaît donc plus opportun de commencer par faire le bilan du renforcement des modalités du contenu des contrôles introduits par cette loi, à moins que ce projet d'interdiction ne soit un aveu de l'échec et de l'insuffisance des contrôles a posteriori et des accompagnements qui étaient prévus jusqu'à présent.
La troisième réserve vise la compatibilité de la disposition avec la liberté d'enseigner des parents. Bien que la valeur constitutionnelle de cette liberté ait été reconnue et qu'elle découle de la liberté d'élever ses enfants conformément à ses croyances religieuses et morales, reconnues notamment par la Convention internationale des droits de l'enfant et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, elle se trouve très amoindrie par cet article.
En outre, aucune donnée n'est précisée s'agissant des critères qui seront utilisés par les services académiques pour mesurer la capacité des parents à assurer l'instruction en famille, qui n'est d'ailleurs évoquée que dans le quatrième motif permettant d'accorder une autorisation. Si je comprends et partage la nécessité de prévenir les risques de déscolarisation ou de soustraction des enfants à l'obligation d'instruction, je tiens à rappeler que l'ensemble des mesures prises dans ce but doivent être subordonnées, dans leur conception comme dans leur application, à la considération de l'intérêt supérieur de l'enfant. À cet égard, si je puis me permettre, plutôt que de déployer autant d'efforts pour limiter et encadrer l'instruction en famille de 35 000 enfants, il me paraît urgent de trouver des solutions pour les plus de 100 000 jeunes qui sortent de notre système scolaire sans aucune qualification.
J'en viens, dernier point, aux articles relatifs au libre exercice des cultes. Plusieurs articles du projet de loi me semblent de nature à renforcer un climat de méfiance à l'égard des associations cultuelles, dont la quasi-totalité ne pose aucun problème. Alors que la loi de 1905 a été adoptée dans un esprit d'apaisement, le projet de loi introduit un dispositif d'encadrement renforcé des associations cultuelles.
Tout d'abord, en plus de la déclaration auprès du préfet du département pour obtenir la personnalité morale, les associations cultuelles devront désormais établir une seconde déclaration pour bénéficier des avantages propres à leur catégorie. De surcroît, non seulement le préfet pourra s'y opposer dans les deux mois, mais il pourra également retirer le bénéfice des avantages s'il constate que l'association ne remplit pas ou plus les conditions prévues par les articles 18 et 19 ou pour un motif d'ordre public. Enfin, cette déclaration devra être renouvelée tous les cinq ans. Au-delà du lourd formalisme que cela représente, le dispositif créera une nouvelle catégorie d'association relevant de la loi de 1905, qui ne bénéficiera pas des avantages propres aux associations cultuelles, avantages dont les contours semblent flous en l'état actuel du texte. Par ailleurs, le projet de loi prévoit, aux articles 30 à 33, des exigences comptables particulières pour les associations à objet cultuel. Cette singularité, juridiquement inexplicable, n'est pas de nature à renforcer la confiance. Enfin, le cas des cultes en outre-mer, visé aux articles 47 et 48, est si particulier qu'il devrait être traité comme tel. Une étude d'impact approfondie pour tenir compte des particularités des dispositifs juridiques applicables est indispensable avant toute réforme.
Enfin, je m'interroge au sujet de l'article 44, qui prévoit d'insérer dans la loi du 9 décembre 1905 un article qui autorise le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, à prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence. De telles mesures figurent déjà dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT. Dès lors, l'introduction de ces nouvelles dispositions dans la loi du 9 décembre 1905 plutôt que dans le code de la sécurité intérieure pose question et mériterait d'être justifiée. Il conviendrait de préciser l'articulation entre les deux textes, notamment pour ce qui concerne les propos ou les activités qui provoquent à la violence ou à la haine.
Ce texte traite pratiquement de tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garantis. Ces libertés sont au cœur des principes républicains qu'il s'agit, selon le titre du texte, de conforter. Elles n'en sont ni un accessoire ni un regrettable désagrément. Or, certaines dispositions, en affaiblissant ces libertés, pourraient affaiblir les principes républicains eux-mêmes plutôt que les conforter et les promouvoir.
Madame la Défenseure des droits, je n'ai pas voulu vous interrompre et je vous ai laissée parler plus de vingt minutes parce que vous aviez préparé un texte mais il nous sera à présent compliqué de mener une audition normale en laissant s'exprimer les uns et les autres. Je demanderai à nos collègues d'être concis pour que vous ayez le temps de nous répondre, même rapidement. Une autre audition, en effet, nous attend à dix-neuf heures. Si vous en êtes d'accord, madame Hédon, nous transmettrons votre texte aux députés de la commission, ainsi qu'à tous les députés qui le demandent.
En vertu de la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur des droits présente chaque année au Président de la République, au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat, un rapport qui rend compte de son activité générale. Cette loi ouvre également le droit, constitutionnellement garanti, au Premier ministre, au président de l'Assemblée nationale ou au président du Sénat, de consulter le Défenseur des droits sur toute question relevant de son champ de compétence. Par conséquent, les avis que vous formulez permettent d'alimenter nos débats et notre réflexion. Je me permettrai quelques remarques avant de vous poser deux questions.
Tout d'abord, il me semble que, dans son avis, le Conseil d'État a considéré que la quasi-totalité des articles du projet de loi prévoyait des moyens proportionnés aux objectifs poursuivis. Je reprends en tout cas le terme du Conseil d'État, qui a un sens juridique, mais peut-être lui donnez-vous une autre connotation.
Vous évoquez le caractère répressif du projet de loi – vous n'êtes pas la seule, d'ailleurs – ainsi que l'esprit d'apaisement de la loi de 1905. C'est probablement ce que nous devons retenir cent quinze ans plus tard mais ce n'est sans doute pas la lecture qui en fut faite lors de sa promulgation. Relisons ensemble son article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » À l'époque, la loi de 1905 fut plutôt perçue comme un outil répressif pour l'exercice des cultes. D'ailleurs, les deux tiers des articles de cette loi concernent la régulation de l'organisation des cultes, à proprement parler, ce qui fut vécu comme une ingérence. Le titre V concerne la police des cultes. Quant à la notion d'ordre public, elle est rappelée à quasiment tous les articles.
J'aimerais à présent que vous éclairiez plusieurs points. Pourriez-vous ainsi préciser vos propos au sujet de la polygamie ? Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) comporte de nombreuses dispositions qui interdisent la polygamie. En particulier, vous l'avez rappelé, la polygamie empêche d'obtenir une carte de résident ou de séjour temporaire. Au fond, il m'a semblé comprendre qu'il s'agissait, par ce projet de loi, de poser un principe général au chapitre III de ce titre Ier plutôt que de se contenter de dispositions perlées au gré des articles du CESEDA.
Je comprends de vos propos qu'on ne pourrait pas condamner une personne polygame, présente sur le territoire français depuis longtemps et intégrée socialement, sous peine de menacer son intégration. Je crois qu'une telle affirmation, si je l'ai bien saisie du moins, mérite un débat.
Par ailleurs, votre autorité administrative indépendante peut être saisie en cas d'atteinte à des libertés que notre projet de loi entend aussi préserver : la liberté de culte et les principes républicains, qui figureront dans un contrat d'engagement – liberté, égalité, fraternité, non‑discrimination, sauvegarde de l'ordre public. Il peut être porté atteinte à ces libertés en raison de certaines dérives, comme le repli communautaire ou des logiques séparatistes. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Enfin, que pensez-vous de l'article 27, qui impose aux associations concernées de déclarer préalablement leur qualité cultuelle au représentant de l'État dans le département ? Y voyez-vous une atteinte à la liberté d'exercice ou d'organisation du culte ? Aujourd'hui, le constat se fait plutôt au cours de la vie de l'association, par l'intermédiaire du rescrit administratif ou fiscal, pour cinq ans également.
Je suis rapporteure pour le chapitre relatif à la dignité de la personne humaine, qui prévoit des dispositions pour lutter contre les discriminations, en particulier celles qui frappent les femmes. M. Boudié a eu raison de le rappeler : vous recevez, de par votre mission, des informations et des signalements de cas de discrimination. C'est pourquoi votre avis sur ces articles nous importe.
Rappelons au passage que les mesures du projet de loi concernant la réserve héréditaire visent à protéger certains héritiers et à assurer une forme d'égalité au sein de la fratrie. Les pensions de réversion ouvrent le droit à une partie de la retraite au conjoint survivant dans le cas d'un mariage monogame, puisque c'est celui qui est reconnu en France. La mesure concernant les certificats de virginité tend également à garantir le respect de la dignité de la personne. On sait bien que la pratique n'est pas reconnue en France mais elle existe et on connaît les risques qu'elle fait encourir. Il en va de même pour les mariages forcés qui portent atteinte au principe du libre consentement. L'esprit de ce projet de loi est de renforcer le niveau d'exigence pour faire évoluer les pratiques culturelles et religieuses, en accompagnant la transition. Le durcissement des textes comporte des risques et nous en sommes conscients, mais il présente l'intérêt de faire comprendre que nous devons vivre ensemble dans le respect des principes de la République. Qu'en pensez-vous ?
Ma question concerne l'instruction en famille, visée à l'article 21. Défenseure des droits, vous êtes aussi Défenseure des droits des enfants. L'article 21, tout comme les articles 22, 23 et 24 qui traitent de l'enseignement privé, tendent à assurer aux enfants le droit à une instruction de qualité, qui réponde à des normes minimales, quel que soit le mode d'instruction choisi par les parents. Avez-vous été saisie à ce sujet ? Ainsi, au Québec, l'État a revu les dispositifs d'instruction en famille à la suite de la plainte d'un enfant qui n'avait pas bénéficié, chez lui, de l'instruction qu'il aurait dû recevoir.
Par ailleurs, vous nous conseillez de nous occuper plutôt des jeunes décrocheurs que de l'instruction en famille. C'est ce que nous faisons puisque nous avons adopté une mesure qui rend obligatoire la formation pour les jeunes de 16 à 18 ans. Du reste, pour ce qui est du décrochage, ne négligeons pas un phénomène que nous avons du mal à évaluer mais qui existe : le retrait du collège de filles et de jeunes filles. En l'espèce, ce ne sont plus des jeunes de 16 à 18 ans qui sont concernées, mais de 14 à 16 ans. En âge d'être instruites, elles le sont à leur domicile. J'aimerais avoir votre avis sur ce sujet.
Je voudrais vous interroger sur l'article 18, pour lequel vous avez émis quelques réserves. Concernant les éditeurs, nous pouvons vous rassurer. La loi du 29 juillet 1881 relève du droit spécial et, à ce titre, ses dispositions l'emportent sur celles du code pénal. Les mesures prévues à l'article 18 ne s'appliqueraient donc pas aux éditeurs.
Vous avez suggéré de retirer la notion d'atteinte à l'intégrité psychique. Rappelons que cet article a été rédigé après le terrible assassinat de Samuel Paty. Les associations que j'ai auditionnées ont identifié de nombreux cas de personnes, y compris des adolescents et en particulier des jeunes filles, dont le numéro de téléphone, l' e-mail, l'école, des photos intimes, les lieux où on pouvait les trouver, ont été révélés et diffusés, pour porter atteinte à l'intégrité, non pas physique, mais psychique de la personne. C'est une vraie violence psychologique qui se trouve ainsi exercée à l'encontre de personnes particulièrement vulnérables. Au regard de ces éléments que je vous communique, maintenez-vous votre position ?
Je voudrais par ailleurs avoir votre avis sur une disposition, qui n'est pas dans les textes aujourd'hui, mais à laquelle nous réfléchissons. Il arrive qu'un dépositaire de l'autorité publique profère des propos discriminatoires ou commette un délit à caractère raciste. La qualité de cette personne n'est pas considérée comme une circonstance aggravante alors qu'elle est un étendard des principes républicains. Devons-nous faire évoluer notre législation ?
En tant que Défenseure des droits, vous êtes une autorité administrative indépendante, ce qui vous confère une liberté de parole absolue. En tant que parlementaires, nous avons, de notre côté, la liberté absolue de commenter cette parole.
Concernant les associations, le fait d'exiger d'une association qui demande de l'argent public, à savoir une partie de la richesse du pays collectée par la puissance publique pour la répartir au nom de l'intérêt général, qu'elle respecte les principes qui fondent cet intérêt général et l'action publique, ne me semble pas une contrainte absolue. C'est, somme toute, ce que nous demandons au travers du contrat d'engagement républicain. Le terme de contrat est en discussion mais, au fond, nous voulons simplement que soit respectée cette exigence minimale, dès lors que de l'argent public est en jeu. Quant au financement des associations cultuelles, la principale contrainte à laquelle elles seraient soumises serait de déclarer les dons étrangers de plus de 10 000 euros, pour assurer leur traçabilité, ce qui ne paraît pas scandaleux.
Au-delà de ces quelques remarques, je suis surtout ennuyé par le fait que nous ne partagions pas, me semble-t-il, la même définition de la liberté et la manière de garantir, par la loi, la liberté. Pour moi, cela passe par la sanction de ceux qui veulent priver les autres de liberté. Quand on interdit les certificats de virginité, on garantit la liberté de la jeune femme en empêchant autrui de la soustraire à la liberté de disposer de son corps. Quand on renforce la lutte contre la polygamie, on préserve la liberté de ces femmes qui doivent bénéficier d'avantages clairement définis. Quand on légifère pour préserver la réserve héréditaire, on garantit les droits de ces femmes, aujourd'hui privées d'héritage.
Ce texte, loin d'être répressif, garantit la liberté de catégories de personnes aujourd'hui menacées. On nous oppose le droit à la différence et, par conséquent, la différence des droits. Le texte fixe-t-il le curseur à un bon niveau ?
Je partage, madame, un grand nombre de vos positions. Au nom du groupe Les Républicains, je souhaite vous interroger sur les conséquences que ce texte emporte pour nos libertés et la restriction des droits qui en découle. Nous avons auditionné de nombreux représentants des cultes et des courants philosophiques. Tous regrettent, vous l'avez rappelé, la limitation de l'exercice de leur liberté de culte, de leur liberté d'association. Ils ont même l'impression d'être les victimes collatérales d'un texte dont la volonté initiale, vous l'avez dit également, était de lutter contre le séparatisme islamiste, l'islam politique, la radicalisation, qui menacent notre République et troublent l'ordre public. Or, ces menaces ne sont pas citées, ce qui provoque des dommages collatéraux et altère gravement nos libertés et nos droits. On le sait bien, la loi, qui doit être de portée générale, doit éviter de pointer une religion en particulier, en l'espèce la religion musulmane, plus exactement sa pratique extrême ou son dévoiement politique.
Pensez-vous qu'il existe une meilleure façon de rédiger ce texte afin de moins restreindre la liberté des associations et des cultes qui ne posent aucun problème, tout en ciblant la véritable menace ?
Par ailleurs, la liberté d'instruction, instaurée par les lois Ferry, a valeur constitutionnelle. Or, il est prévu, à l'article 21 du projet de loi, de passer d'un régime de déclaration de l'instruction en famille, à un régime d'autorisation accordée pour quatre motifs, à l'exclusion des convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Le passage d'un régime de déclaration dans lequel la liberté est la règle à un régime d'autorisation dans lequel la liberté devient l'exception ne serait-il pas inconstitutionnel ou inconventionnel ?
Madame la Défenseure des droits, vous êtes dans votre rôle avec une telle déclaration à charge. Mais, pour vous, est-ce que la République va bien ? Constatez‑vous l'existence d'un séparatisme en France, comme ces élus de terrain que nous venons d'auditionner et qui nous faisaient part de reculs insupportables ? La Défenseure des droits que vous êtes n'est-elle pas sensible au fait qu'il faille renforcer les droits de ceux pour lesquels les principes républicains sont mis à mal ?
S'agissant de la fermeture des lieux de culte, les dispositions actuelles sont régies par la loi de 2017, qui a fait suite à l'état d'urgence de 2015. Ne considérez‑vous pas que c'est protéger ceux qui pourraient subir une influence néfaste, que mettre hors d'état de nuire les auteurs de propos inqualifiables contre la République ?
De la même façon, considérez-vous que la scolarisation à 3 ans soit une avancée permettant de mieux protéger les enfants ? Est-ce qu'un régime d'autorisation n'est pas également une très bonne garantie ? Je ne suis pas opposé à la scolarisation à la maison, mais, pour avoir été maire, je peux vous dire que ce sujet interpelle, parce qu'elle n'était pas toujours le rendez-vous attendu.
Quant aux associations, dès lors qu'il y a de l'argent public, c'est la moindre des choses qu'un contrôle puisse s'exercer. Une institution républicaine ne fonctionne bien que si l'on peut regarder ce qu'il advient de l'argent public. Il faut vérifier si les règles comptables ont été observées et s'il n'y a pas eu de dévoiements. Une fois encore, pour avoir été élu local, je sais qu'ils existent. Il convient seulement de repérer ces distorsions, qui ne sont pas acceptables et jettent l'opprobre sur les autres associations, alors que le monde associatif est généreux, indispensable et assure la cohésion sociale.
Enfin, si des éléments peuvent paraître répressifs, d'autres nous semblent essentiels, notamment ceux concernant le renforcement des principes républicains des associations. Pensez-vous que, grâce au contrat prévu, elles pourraient avoir un rôle majeur dans le renforcement des principes républicains, alors que, selon un récent sondage de l'IFOP, 30 % de Français de moins estiment que les associations jouent un rôle dans l'affirmation de la République ?
Madame la Défenseure des droits, je vous remercie pour votre longue intervention, nourrie et critique. La complexité du problème appelle en effet des positions argumentées, que je partage en grande partie. J'aimerais d'ailleurs avoir la confirmation que votre avis sera bien rendu public vendredi.
Vos réserves sur les articles 6, 27 et sur d'autres font écho à nos doutes : en multipliant les contraintes, ne risque-t-on pas de porter atteinte à la liberté d'association ? Une telle crainte n'a rien de laxiste, mais relève d'un souci d'équilibre. Le législateur doit entendre vos observations.
Dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, reprenant une idée de l'Observatoire de la laïcité, notamment, il semblerait intéressant de donner un statut aux aumôniers en milieu carcéral, en s'inspirant de ce que fait le service des armées. Dans la mesure où nous sommes soumis à la censure de l'article 40 de la Constitution, nous ne pouvons pas déposer d'amendement en ce sens. Nous pouvons néanmoins mener un travail de conviction pour que le Gouvernement introduise dans son texte un dispositif qui me paraît essentiel pour lutter contre la radicalisation en prison. Pourriez-vous nous aider en le soutenant ?
S'agissant de l'article 16, je préfère toujours la pédagogie à la condamnation pénale. J'ai quelques réserves, plus généralement, sur les dispositions du chapitre III relatives aux atteintes à la dignité.
Concernant l'instruction en famille, nous devrions profiter du texte pour afficher le plus clairement possible la nécessité qu'aucun enfant n'échappe au radar de l'école et que tous soient identifiés dans les différentes communes, de sorte que l'instruction en famille ou dans les écoles soit absolument garantie, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Madame la Défenseure des droits, je vous remercie pour la qualité et la densité de vos propos, qui interpellent et dont je partage la majeure partie. Je ne sais ce que vous répondrez à la question de M. Vigier, mais pour ma part je pense que la République va très mal. La liberté est remise en cause, tout comme l'égalité, la fraternité, le droit à l'instruction, le droit au travail, le droit au logement ou encore la laïcité. Le fanatisme religieux augmente. La vraie question est : ce texte permet-il de régler les problèmes ou risque‑t‑il de les aggraver ? Quelles sont les priorités ?
Même si vous n'êtes pas directement un observatoire, les réclamations que vous recevez vous donnent une bonne vision de la situation. Quelles sont les discriminations que vous voyez augmenter ? Êtes-vous saisie au sujet des mariages forcés ou des certificats de virginité ? De quels éléments factuels disposez-vous ? J'aimerais que les faits soient quantifiés, afin d'entrer dans la discussion de manière rationnelle. Si les faits mentionnés existent, sans aucun doute, quelle est leur dynamique ? Sont-ils en augmentation ou régressent-ils ? Je regrette parfois que, dans le débat, ils fassent office de rayon paralysant qui balaie tout – et notre système médiatique est tel que l'on viendra toujours nous opposer un cas. Mais, à ce poste privilégié, que voyez-vous réellement monter ?
Quel regard, par ailleurs, portez‑vous sur le fait de demander à des associations de s'engager par contrat sur des principes ? Il faut défendre le droit, sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi, mais demander à des gens de s'engager sur des principes, cela risque de laisser place à l'interprétation et à l'arbitraire.
Madame la Défenseure des droits, je vous remercie pour votre apport et votre expertise. Contrairement à certains collègues, je n'ai pas trouvé gênant que vous preniez un temps raisonnable pour vous expliquer devant notre commission. J'invite d'ailleurs notre assemblée à bien examiner vos remarques, qui nous montrent que nous touchons à des points particulièrement sensibles et que cela mérite de bien y réfléchir et de faire le tour des problèmes posés. Pour répondre à la question de M. Vigier, nous pensons, quant à nous, que la République ne va pas bien. Il serait intéressant de se demander pourquoi. Vous avez sans doute des choses à nous dire sur la difficulté à faire valoir ses droits dans notre République, question à laquelle ce texte ne suffirait sans doute pas à répondre.
Quel est votre avis sur l'article 1er ?
Enfin, le texte ne fait-il pas courir le risque qu'un nombre important de libertés ne soient soumises à autorisation, ce qui, en renversant l'ordre des choses, serait problématique ?
Vous imaginez bien que la défense de la dignité humaine est l'une de mes préoccupations, et ce depuis très longtemps. Mes propos ne signifiaient en rien, évidemment, que je suis pour la polygamie ou pour les certificats de virginité. Mais il faut voir l'impact des décisions prises sur les familles et sur les personnes concernées. Le texte prévoit la suppression des pensions de réversion pour les veuves polygames, ce qui lèse les femmes. La question, c'est quel est l'impact, dès lors que l'on retire le droit de séjour à des personnes en France depuis des dizaines d'années. Cela demande réflexion. Le systématisme n'est pas forcément la bonne réponse.
Les certificats de virginité sont exceptionnels. C'est une fois de plus le corps des femmes qui est un enjeu, comme par hasard. Il y a des médecins qui font au mieux leur travail dans ce genre de circonstances. Plusieurs ont pris la parole publiquement sur ces questions, en disant que les examens n'étaient jamais faits. On peut l'espérer car ils seraient parfaitement condamnables. Il existe déjà des dispositions législatives qui permettraient de les condamner. Je ne vois donc pas l'intérêt d'ajouter cette question au texte et d'en faire un enjeu sur la place publique en ce moment.
S'agissant des questions cultuelles, le risque, c'est que, la loi de 1905 devenant plus compliquée, les associations soient tentées de se rabattre sur celle de 1901. Je ne suis pas sûre que ce ne soit pas contreproductif.
Concernant l'instruction des enfants, je suis évidemment absolument favorable à l'obligation de scolarité dès l'âge de 3 ans. Cela fait partie des éléments en faveur desquels je milite depuis de longues années. Mettre le plus tôt un enfant à l'école est un moyen de lutter plus efficacement contre les inégalités. Mais la loi offre la liberté d'enseigner à la maison, qui doit aussi être respectée. Je ne suis pas sûre qu'il soit nécessaire de passer à une autorisation préalable. Le texte pose en réalité une question essentielle : celle des contrôles. Le plus important, c'est bien de pouvoir contrôler si l'éducation est effective.
Pour ce qui est des violences psychiques et de la haine sur les réseaux sociaux, je trouve que, une fois de plus, on apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Évidemment qu'il y a un problème de haine sur les réseaux sociaux. Mais il existe déjà des lois pour cela. La question est, une fois encore, celle du contrôle et du suivi. Je ne suis pas sûre qu'un nouvel article de loi permette de renforcer la protection et le contrôle.
À propos du contrat d'engagement républicain, toute association doit évidemment respecter l'ordre public et la loi. En revanche, je ne suis pas sûre que la question de la sauvegarde de l'ordre public relève de son domaine.
À votre question de savoir si la République va bien, monsieur Vigier, je réponds : non. Nous sommes un bon observatoire pour vous dire que cela ne va pas bien en matière d'accès aux droits et de discriminations. Ces difficultés m'inquiètent d'autant plus qu'elles minent la confiance dans la République et la démocratie. Je suis particulièrement attachée à la question de la fraternité, que nous avons parfois tendance à oublier et qui doit être remise en avant. Nous sommes un observatoire des dysfonctionnements, je vous le redis. À ma connaissance, nous n'avons pas reçu de plaintes concernant des certificats de virginité ou des cas de polygamie ; en revanche, nous en recevons beaucoup à propos de discriminations et de difficultés à les prouver. Mais si nous en recevons beaucoup, nous n'en recevons pas suffisamment encore, parce que nous ne sommes pas saisis de bien des situations, ce qui m'inquiète.
L'article 18, comme précisé dans l'avis, nous semble répondre à l'essentiel du problème posé. Néanmoins, à la suite de l'intervention de Mme Avia, nous nous demandions s'il ne vaudrait pas mieux remplacer « intégrité psychique » par « harcèlement », pour plus de clarté.
La séance est levée à dix-neuf heures cinq.
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du mercredi 6 janvier 2021 à 18 heures
Présents. – M. Saïd Ahamada, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, M. Yves Hemedinger, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, Mme Anne-Christine Lang, M. Gaël Le Bohec, M. Ludovic Mendes, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. François Pupponi, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet