La réunion est ouverte à 16 heures.
Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.
La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques, dans le cadre de la mission d'information sur l'égalité économique et professionnelle (Mmes Marie-Pierre Rixain et Laurence Trastour-Isnart, corapporteures).
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l'Assemblée à l'adresse suivante :
Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'audition de M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques.
Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous accueillir. Le sujet que vous portez est particulièrement précieux pour la délégation aux droits des femmes.
Cette audition intervient dans le cadre de la mission d'information « Travailler, entreprendre, gouverner : accélérer l'égalité économique et professionnelle », que Mme Trastour-Isnard et moi-même menons depuis cet automne. Dans ce cadre, nous nous attachons à décomposer les mécanismes à l'œuvre derrière les inégalités économiques et professionnelles, à travers trois grands axes : l'entrepreneuriat, l'accès au marché du travail et la gouvernance économique. Nous entendons dresser un panorama général, assorti de propositions très concrètes – notamment sur les plans législatif et réglementaire – susceptibles de permettre à notre pays de franchir un nouveau cap en matière d'égalité économique et professionnelle.
Depuis quarante ans, la part des jeunes femmes a fortement progressé dans les disciplines où elles étaient auparavant minoritaires, telles que le droit, la médecine ou la gestion. Elles n'ont, en revanche, que peu investi les filières scientifiques et techniques. Ainsi, les filles, qui connaissent en moyenne une meilleure réussite scolaire que les garçons, continuent de s'orienter vers des filières professionnelles moins rentables sur le marché du travail.
En France, les femmes ne représenteraient que 28 % des salariés dans les secteurs du numérique. Pire, alors qu'il y a trente ans, les femmes occupaient 30 % des fonctions techniques, cette part est divisée par deux aujourd'hui. Les femmes sont actuellement surreprésentées parmi les fonctions support. Très peu d'entre elles sont ingénieures ou techniciennes.
Ce déséquilibre se constate également à la tête des entreprises innovantes. Depuis 2008, seulement 5 % de ces entreprises ont été fondées par une équipe féminine et 10 % par une équipe mixte. 85 % des start-ups ont donc été créées par une équipe entièrement masculine. Cette répartition se retrouve dans la ventilation des investissements réalisés par la banque publique d'investissement (Bpifrance) en 2020. En effet, 79 % des investissements concernent des start-ups fondées par un ou des hommes, 19 % concernent des start-ups fondées par une équipe mixte et seulement 2 % concernent des start-ups fondées par une ou des femmes.
Ces chiffres sont évidemment préoccupants car, selon le conseil d'orientation pour l'emploi, près de la moitié des emplois devraient être profondément bouleversés par les technologies d'automatisation et de numérisation dans les quinze années à venir. Ce bouleversement concernera a fortiori des emplois occupés par des femmes. Ces technologies transforment les emplois, mais elles créent également les emplois de demain. Il est donc essentiel que les femmes disposent des mêmes opportunités, atouts et compétences que les hommes pour les concevoir et en bénéficier pleinement.
Cet impératif est identifié depuis plusieurs années, et récemment encore par Mme Chiara Corazza dans son rapport Les femmes au cœur de l'économie et par nos deux collègues Céline Calvez et Stéphane Viry dans leur rapport sur Les femmes et les sciences.
Cet état des lieux soulève plusieurs problématiques, et en premier lieu celle de l'enseignement supérieur. Comment expliquer et surtout, comment attirer davantage de jeunes femmes vers ces formations ? Je pense ici à certaines initiatives vertueuses. Par exemple, après un effort considérable en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, Sophie Vigier a offert une attractivité nouvelle à l'école 42. Je pense évidemment également au secteur du jeu vidéo, où les studios de création ne comptent que 15 % de femmes, et qui fait régulièrement l'objet de dénonciations de la part de victimes de violence sexiste et sexuelle.
Ensuite, cet état des lieux soulève la problématique du financement des entreprises, et plus particulièrement des entreprises innovantes. Depuis la signature de la charte Sista en octobre 2019, avez-vous constaté une amélioration des objectifs visés ? Faut-il aller plus loin en contraignant davantage les acteurs de l'investissement afin d'accélérer la meilleure représentativité de l'économie à laquelle nous aspirons ? Faut-il plutôt commencer par les opérateurs de l'État, devant être exemplaires ? Je pense évidemment ici à Bpifrance.
Enfin, pourriez-vous nous détailler les actions de votre ministère pour lutter contre l'illectronisme, touchant 17 % de la population ? Il s'agit d'un véritable sujet de formation et d'adaptation des compétences à un marché de l'emploi en pleine mutation. Sur ce point, j'ajouterais également que la Délégation a organisé, le 25 novembre dernier, un colloque sur la lutte contre les violences économiques dans le couple. Nous avons constaté combien la numérisation des activités du quotidien pouvait également aggraver les inégalités entre les femmes et les hommes en cas de maîtrise insuffisante des nouvelles technologies ou de difficultés pour y accéder.
Merci. Comme l'a rappelé madame la présidente, les femmes sont chroniquement sous-représentées dans le secteur du numérique, alors qu'elles représentent environ la moitié des diplômés en sciences et ingénierie. Elles représentent aujourd'hui seulement 25 % des codeurs, alors que le secteur informatique est en pleine croissance. Le secteur numérique est donc essentiellement un monde d'hommes. Dans le cadre des précédentes auditions, les membres de Galion Project me disaient le caractère souvent excluant de la culture tech pour les femmes alors que les entreprises auraient besoin d'équipes mixtes pour être plus performantes.
Le secteur numérique est pourtant une opportunité importante pour progresser vers davantage de mixité au sein de ce secteur économique. En France, les nouvelles technologies pourraient augmenter le taux d'activité des femmes de 0,5 %. Je rejoins en ce sens l'ensemble des questions posées par Mme la présidente. Comme vous le savez, le Women Forum a récemment publié un rapport sur la place des femmes dans les métiers des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques (STEM). Dans un rapport vous ayant été remis en février 2020, un certain nombre de recommandations ont été formulées, telles que :
– développer les offres de stage dans ce domaine ;
– élargir les missions des référents égalité des académies ;
– créer un fond STEM dans l'enseignement supérieur ;
– mettre en place des indicateurs de parité ;
– conditionner les financements publics à destination des STEM (avec, par exemple, la mise en place de quotas).
Quelle est votre position sur ces recommandations ? Quelle évolution constatez‑vous à ce sujet depuis l'année dernière ? Que pensez-vous de la mise en place d'un objectif chiffré d'au moins 40 % de femmes dans les universités ainsi que dans les écoles publiques et privées spécialisées dans ce domaine ? Une politique de quotas parmi les incubateurs d'entreprises doit-elle être mise en place ? Les chiffres du baromètre SISTA/Boston Consulting Group (BCG) sont en effet inquiétants. Seuls 5 % des start-ups ont été fondés par une équipe exclusivement féminine depuis 2008. En outre, celles-ci ont 30 % de chances en moins de trouver des financeurs. Elles reçoivent en moyenne 2,5 fois moins de fonds que les start-ups montées par des hommes.
Quel est votre avis sur ces sujets ? Comment pouvons-nous améliorer cette réalité ? Quelles sont vos recommandations ?
Merci. En premier lieu, je voudrais revenir sur l'importance de la place des femmes, qui constitue un sujet d'égalité évident. Deux autres sujets me semblent absolument indispensables.
Tout d'abord, un grand nombre de décisions (relatives au recrutement, à l'attribution de bourses scolaires, etc.) sont aujourd'hui prises par des algorithmes. Or, il a été historiquement démontré que des algorithmes conçus par des hommes reproduisent des biais masculins. Les conséquences du faible nombre de femmes dans le secteur de la tech s'étendent donc à l'ensemble de la société.
Par ailleurs, une question d'intérêt général émerge, même pour les entreprises du secteur. Les études indiquent la plupart du temps que les équipes mixtes – mais également plus diverses – sont plus performantes. Être composée d'une diversité de profils est dans l'intérêt même de la French Tech.
La photographie est contrastée. Indéniablement, la représentation féminine est extrêmement faible au sein de la tech, et du numérique en particulier. Les start-ups comptent environ 30 % de femmes parmi leurs salariés. Néanmoins, les postes techniques occupés par des femmes sont de l'ordre de 10 %. La tendance n'est pas à l'amélioration. En outre, les postes à responsabilité sont, eux aussi, assez faiblement féminisés. Un baromètre intéressant, publié par l'initiative Sista au cours de l'année dernière, indiquait que 10 % des fonds distribués par les fonds de capital-risque français revenaient à des équipes mixtes et seulement 2 % revenaient à des équipes exclusivement féminines. Le système est notamment entretenu par la surreprésentation des hommes dans les équipes des fonds d'investissement.
Néanmoins, il existe un effet de génération. Par exemple, grâce à l'initiative du Parental Act, des entreprises ont volontairement financé un mois de congé parental aux deux parents. En outre, parmi les startuppers des dernières générations, l'approche de cette question est extrêmement différente.
Notons également que la situation française semble meilleure – ou plutôt moins terrible – que celle des écosystèmes américains, européens, etc. Depuis plusieurs années, sous ce gouvernement, la question des femmes dans l'écosystème occupe une place extrêmement importante dans l'agenda du secrétariat d'État au numérique.
Je dénombre trois sujets particulièrement importants relatifs à la place des femmes dans l'écosystème. Le premier sujet est l'éducation car l'éloignement des femmes des métiers du numérique débute extrêmement tôt, dans les esprits des parents comme dans ceux des professeurs. Une feuille de route très importante concernant l'enseignement numérique est pilotée par Jean-Michel Blanquer. Elle s'incarne par le fait que, depuis 2019, une heure et demie d'enseignement technique et numérique est dispensée à tous les élèves de seconde. La feuille de route de Jean-Michel Blanquer concerne la sensibilisation à ces biais genrés, dans le cadre de la formation des professeurs. Cette sensibilisation prendra du temps, mais elle est indispensable. Par ailleurs, des mesures peuvent être prises localement, dans la lignée du travail de Sophie Vigier à l'École 42. Néanmoins, ces mesures ne sont pas généralisables dans un monde où les petites filles se détournent très tôt du numérique. Les actions doivent être menées à la fois en aval et en amont.
Le deuxième sujet d'une grande importance est relatif aux role models. Nous projetons la réussite dans le secteur du numérique sur des personnages masculins. Avec la mission French Tech, nous nous attachons à mettre en avant des modèles féminins de réussite. Il est indispensable que nous mettions ces role models en avant afin que des petites filles et des petits garçons se projettent dans une réussite féminine.
Le troisième sujet que nous portons concerne nos schémas de fonctionnement et une forme de contrainte que nous devons exercer, de manière incitative ou coercitive. Pouvoir forcer l'accélération du système semble absolument indispensable. L'initiative Sista est excellente, soutenue par Bpifrance et par le secrétariat d'État au numérique. L'objectif est d'accroître le pourcentage de fonds alloués à des équipes mixtes ou exclusivement féminines à 25 % d'ici 2025 et 30 % d'ici 2030. Cette évolution sera progressive. Les fonds doivent s'engager, avec un relevé de compteur chaque année. L'engagement de l'État était très important. En effet, Bpifrance, engagée dans l'initiative, est investisseur dans la plupart des fonds d'investissement. La réussite des objectifs ne signerait pas la fin des efforts, mais serait déjà une excellente progression.
En dix ans, l'Allemagne est parvenue à doubler la proportion de femmes dans les formations techniques. Il n'existe pas de fatalité quant à la place des femmes dans les sciences. Néanmoins, ce sujet doit faire l'objet d'une attention constante. La chancelière allemande Angela Merkel a elle-même porté et suivi ce sujet.
Un début de progression est déjà visible selon les chiffres de Sista. En un an, la part de start-ups fondées par des équipes féminines ou mixtes a augmenté de quatre points, passant de 17 % à 21 %. L'écart moyen de financement s'est réduit de huit points entre les équipes fondatrices masculines et féminines. En outre, en 2019, les fonds ayant signé la charte Sista étaient trois fois plus nombreux à prendre en compte le genre dans les dossiers d'investissement qu'ils reçoivent.
L'augmentation du nombre de start-ups fondées par des équipes féminines et mixtes ne marque évidemment pas la fin du chemin. Néanmoins, si ces progrès se confirment et se répètent, cette évolution sera non négligeable. Ces efforts doivent être poursuivis sur plusieurs années. Je remarque un réel changement en deux ans. L'absence ou le faible nombre de femmes sur les photos des startuppers réalisant des levées de fonds est aujourd'hui une source de gêne, ce qui n'était pas le cas il y a deux ans. Je suis plus inquiet quant à la diversité des origines sociales que sur la mixité.
À titre personnel, je suis plutôt favorable à des mesures coercitives. Il faut compter les femmes pour que les femmes comptent. La loi Copé-Zimmermann a prouvé que ce type de mesures fonctionnent. Des débats peuvent avoir lieu sur les temps de mise à niveau et les entreprises concernées.
Merci. Je partage votre idée qu'il existe un enjeu d'usage, crucial pour certains enjeux fondamentaux. En outre, il existe évidemment un enjeu d'égalité de revenus.
Nous voyons un vivier de petites filles intéressées par les activités liées au numérique mais celles-ci seront confrontées à des remarques désagréables, se renforçant à mesure qu'elles grandissent. Ces expériences sont vécues jusque dans les entreprises, avec des phénomènes allant du sexisme aux violences sexuelles. Dans des lieux où l'on compte moins de 30 % de jeunes femmes, des phénomènes de sexisme se manifestent inévitablement. Avant même de fixer des quotas ou des mesures contraignantes, pouvons-nous réfléchir au moyen de rendre les établissements, et notamment les écoles techniques, plus accueillants pour les femmes ?
Les objectifs fixés par les chartes Sista concernent la ventilation de la masse d'investissement mais également des enjeux plus en amont, tels que la lutte contre les biais sexistes et, notamment, la composition des comités d'investissement ou des comités de sélection. Je ne suis pas forcément favorable à l'idée que la loi fixe des objectifs en matière d'investissement. En revanche, nous pouvons peut-être, en tant que législateurs, demander qu'un minimum de femmes soit présent dans ces comités d'investissement, a fortiori ceux émanant de la puissance publique. Nous savons en effet que les femmes disposent de 30 % de chances en moins d'obtenir des financements. Cet écart constitue un vrai problème. En outre, les questions sont genrées. Avant d'établir des objectifs d'investissement, pourrions-nous fixer en amont un objectif chiffré de présence féminine dans ces comités d'investissement et de sélection ?
Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, disait, lors de son audition par notre Délégation, qu'un plan d'action est nécessaire pour obtenir les résultats ambitieux des chartes Sista et France Invest. Avec les membres de la délégation présents à cette audition, nous sommes restés sur notre faim quant à la définition du plan d'action à déployer d'année en année. Des mesures simples, ou plus engageantes, peuvent être mises en place. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que nous souhaitons instaurer un plan d'action.
Dès l'école primaire, les filles peinent à participer à ces ateliers. En connaissez-vous la raison ? Existe-t-il, au niveau des établissements scolaires, des mises en place spécifiques afin d'accompagner les enseignants à encourager les filles à s'investir dans les domaines du numérique et du codage ? Si on ne remédie pas à cet écart dès l'école primaire, celui-ci se creuse encore davantage au collège puis au lycée.
Sans évoquer des quotas, comment atténuer les différences de salaires à compétences égales dans les entreprises ? Quel est votre avis sur la possibilité, peut-être dérangeante, de partir de grilles de salaire à la sortie des écoles ?
Concernant l'illectronisme, le budget est passé de 350 000 euros en 2017 à 250 millions d'euros cette année. L'accélération sur le sujet est donc notable et se concrétise par le financement de 4 000 postes de conseillers numériques pendant deux ans, financés par l'État dans tous les territoires. D'autres éléments sont déployés tels que le pass numérique. Je pense que l'action de l'État est reconnue par l'ensemble des acteurs du secteur de la médiation numérique. Ma difficulté est aujourd'hui de disposer des 4 000 conseillers numériques sur le terrain.
Par ailleurs, un sujet concernant les écoles techniques de formation existe en effet. Il me semblerait normal que nous puissions connaître le nombre de femmes dans chaque école et chaque formation. Je ne suis pas certain que cet indice existe. Il faudrait probablement en parler avec Frédérique Vidal. En termes de transparence, l'obligation de publier le nombre de femmes me semble une bonne idée dans un but comparatif. Comme le disent les acteurs de l'initiative Sista, il faut compter les femmes pour que les femmes comptent. Fixer des quotas dans les formations semble aujourd'hui compliqué. Néanmoins, davantage de transparence serait déjà une bonne avancée. Ce sujet concernant les établissements se réglera par la transparence et par une vigilance de la part des chefs d'établissement. Ce sujet se réglera en fait par la masse de femmes. Les conseils d'administration ont montré que, le jour où le pourcentage de femmes s'élève à 40 %, celles-ci osent prendre la parole car il n'existe plus la même pression sociale. Nous devons parvenir à une proportion entre 10 % et 30 % de femmes dans chaque formation.
Je constate une progression concernant l'investissement. Des décisions plus dures devront éventuellement être prises si nous observons un arrêt de cette progression. Pour répondre plus précisément au sujet des comités d'investissement, il me semble qu'un problème de base juridique se pose pour mener une action plus large que la puissance publique. S'agissant de Bpifrance en tant que telle, les équipes sont très féminines, notamment les équipes innovation de Paul-François Fournier. Nous pourrions fixer une règle concernant les équipes du LGPI et de Bpifrance mais je crois qu'il s'agit déjà de bons élèves en la matière. Une évaluation plus quantitative pourra éventuellement être réalisée.
Concernant le plan d'action d'année en année, je dénombre deux sujets. Tout d'abord, vous avez évoqué l'initiative Sista et l'obligation de résultat en fin de parcours. Par ailleurs, cette obligation de résultat doit être crédibilisée. Il en est de même pour la diversité. Une formation réelle des différents niveaux de management doit avoir lieu concernant ces biais, ce que promeut Sista. Cette formation prend du temps. Un plan de sensibilisation et de formation doit être défini, avec une feuille de route. Le travail réalisé par le collectif Sista me semble assez intéressant en la matière car il porte à la fois sur l'objectif final et sur le parcours pour y parvenir.
J'ai parlé du sujet de l'éducation avec Jean-Michel Blanquer. Ce sujet me semble double puisqu'il concerne les parents et les professeurs. L'avenir se joue dès maintenant. En effet, nous injectons davantage de numérique à l'école et nous formons les professeurs dans ce but. Dans le cadre de la formation des professeurs, inclure une sensibilisation sur les biais de genre est indispensable. La question est plus compliquée concernant les parents et les role models occupent une place importante.
Je crois que le sujet des différences de salaires n'est pas relatif à l'entrée dans les entreprises. L'écart des salaires se creuse plutôt en raison des congés maternité. Les femmes perdent de la vitesse et sont parfois réorientées vers d'autres postes. Les acteurs du Parental Act ont attaqué le problème de la différence en insistant sur l'importance de rendre le congé paternité obligatoire. Il faut évidemment forcer les hommes à effectuer un congé aussi long que celui des femmes. Nous connaissons tous les tenants du problème. Une durée d'un mois est déjà significative. Le sens de l'histoire est probablement de parvenir un jour à la même durée de congé du deuxième parent. L'exemple des pays scandinaves prouve qu'en cas de durée de congé similaire entre les hommes et les femmes, il n'existe pas d'écart de salaires.
Merci. Vous connaissez mon engagement par rapport aux algorithmes et aux biais de genre puisque nous avions été quelques-uns et quelques-unes à signer une tribune à ce sujet l'année dernière.
L'auditabilité des algorithmes est-elle une voie possible ? Pouvons-nous garantir cette voie dans le temps ?
La qualification des bases de données constitue également un axe important. Entre 18 % et 20 % des pages Wikipédia sont consacrées aux femmes. Devons-nous requalifier ces bases de données, généralement très ouvertes et massives ? Comment pouvons-nous créer une parité entre les hommes et les femmes dans les bases de données ? L'une des voies possibles est la féminisation des titres et des fonctions.
M me Fiona Lazaar. Merci. Monsieur le ministre, j'aimerais profiter de votre présence pour vous interroger sur la question du harcèlement. Nous pouvons parler de « sextorsion », de revenge porn, de comptes ficha, de slut-shaming – autant de termes barbares traduisant une réalité inquiétante touchant un grand nombre de personnes de tout âge. Je suis particulièrement inquiète pour la jeunesse. Avec le confinement, ces violences ont progressé de 57 % l'année dernière selon l'association e-Enfance. Elles peuvent causer des conséquences dramatiques qui doivent nous alerter et appeler une réaction sans ambiguïté.
La loi pénalise déjà ces comportements. Le harcèlement en ligne et la divulgation de photos intimes sans consentement sont lourdement punis. Cependant, dans la pratique, les auteurs de ces délits sont rarement condamnés tandis que les victimes sont le plus souvent désemparées. Ces comportements peuvent conduire au pire.
Des associations se sont donc mobilisées avec force ces dernières années. Je veux saluer leur engagement car elles jouent un rôle essentiel pour écouter, orienter les victimes et dénoncer les comptes malveillants, en lien avec les plateformes gouvernementales et les acteurs du numérique. Je pense, en particulier, à e-Enfance, Stop Ficha ou à Net Ecoute, entre autres.
Ces acteurs pointent, d'une voix, des enjeux essentiels et sur lesquels j'aimerais attirer votre attention, monsieur le ministre. Premièrement, il faut renforcer la prévention auprès des jeunes mais aussi auprès des adultes. Il paraît indispensable de renforcer l'éducation au numérique mais aussi aux enjeux de la vie sexuelle et affective. Nos forces de l'ordre doivent, elles aussi, s'emparer de ces enjeux afin de mieux accueillir et accompagner les victimes.
Deuxièmement, nous devons progresser en matière de modération des contenus. Souvent, le mal est déjà fait lorsque les contenus illicites sont retirés. Les plateformes doivent être responsabilisées sur ce sujet. Il s'agit de l'un des enjeux du Digital Services Act, proposé par la commission européenne et devant être adopté en 2022.
Monsieur le ministre, je voudrais que vous puissiez rappeler les dispositifs mis en place à destination des victimes et des jeunes et nous éclairer sur les actions que compte mener le Gouvernement afin de mieux protéger notre jeunesse face aux dangers des réseaux sociaux.
J'ai beaucoup travaillé sur la question du proxénétisme en ligne et de la prostitution des jeunes enfants. Les plateformes numériques ont considérablement augmenté les conduites sexuelles à risque, plus particulièrement chez les jeunes femmes. Ces dernières sont moins conscientes des impacts dévastateurs éventuels et des contenus et informations qu'elles y diffusent.
Par ailleurs, le drame de l'adolescente Alisha cette semaine nous rappelle tristement comment les enjeux de la prévention et de la régulation des plateformes sont cruciaux afin d'éviter la reproduction d'un tel drame.
Certaines plateformes, générant plusieurs centaines de millions d'euros, se rendent complices de proxénétisme lorsqu'elles ne suppriment pas des contenus illicites portés à leur connaissance. Il n'existe pas d'obligation de signalement auprès des autorités publiques lorsqu'une mineure se livre à la prostitution sur un site Internet. Cette obligation existe pourtant concernant la pédopornographie, la traite des êtres humains et le proxénétisme. Est-il possible d'envisager une meilleure régulation des sites et des plateformes utilisées par les jeunes afin de mieux les protéger, notamment grâce à une obligation de signalement ?
Vous avez d'ores et déjà répondu à ma première question, concernant la maîtrise du numérique par les femmes. La technologie progresse beaucoup plus rapidement que la maîtrise du numérique par les différentes générations. Un fossé s'est creusé depuis plusieurs années. L'utilisation de l'outil numérique est de plus en plus demandée à nos concitoyens. Pour certaines femmes, ce fossé constitue un frein pour l'insertion dans la vie active et, parfois, pour qu'elles retrouvent un emploi. Je pense particulièrement aux femmes seniors, doublement pénalisées par leur âge et leur manque de maîtrise de l'outil numérique.
Ma deuxième question concerne les violences conjugales, et plus particulièrement une disposition sur l'accès des jeunes au numérique votée en juillet dernier. À l'occasion du Safer Internet Day, vous aviez annoncé, avec votre collègue Adrien Taquet, le lancement d'une plateforme pour lutter contre l'exposition des enfants à la pornographie en ligne. Les jeunes confrontés à ces contenus gardent une image dégradée des relations intimes et, évidemment, des femmes. Cette plateforme à venir permettra aux parents de bénéficier de conseils et d'outils pour mettre en place un contrôle parental et aborder ce sujet sans tabou avec leurs enfants. Je salue la mise en place de cette plateforme.
La question d'une meilleure régulation des espaces numériques se pose. Ce sujet doit être approfondi. Nous avions abordé avec vous des pistes intéressantes telles qu'une disposition visant à responsabiliser les sites Internet éditeurs de ces contenus. Grâce à la loi concernant les violences conjugales, il ne suffit plus de cocher la case « j'ai plus de 18 ans ». Nous avions également évoqué l'idée d'une présence automatique du contrôle parental sur les ordinateurs. Une grande concertation a eu lieu avec les acteurs du numérique. Un contrôle parental systématique permet de protéger un plus grand nombre de jeunes contre ces images d'une violence inouïe.
J'aimerais connaître les avancées en la matière, tout d'abord concernant le premier dispositif. Existe-t-il un respect du dispositif par les sites Internet pornographiques, dont beaucoup sont à l'étranger ? Avez-vous regardé comment cette loi était appliquée ? Avez-vous poursuivi votre discussion avec les acteurs du numérique afin que nous puissions protéger nos jeunes contre la pornographie, qui reste un jeu d'adulte ?
Plus particulièrement en ce qui concerne l'intelligence artificielle et le machine learning, les algorithmes ne sont pas auditables, ce qui constitue une difficulté. Aujourd'hui, toute une partie de l'intelligence artificielle n'est pas explicable. La seule manière de vérifier s'il existe des biais est de tester. L'action doit être menée de ce côté-là. Dans certains cas pouvant donner lieu à des discriminations telles que le recrutement, les entreprises devraient être obligées de tester leurs algorithmes ou de les faire tester par des organismes indépendants. Une telle mesure signifie tout de même une progression significative de la justice, de l'État et des organismes de certification. Très souvent, le niveau de complexité déployée, notamment par les grandes entreprises américaines du numérique, est extrêmement élevé.
Concernant les bases de données, je ne suis pas forcément favorable à leur requalification. Par exemple, si l'on réunit dans une base de données l'ensemble des progressions ayant eu lieu dans une grande entreprise française, il est probable que l'algorithme soit influencé par des biais masculins. Cette influence doit être détectée et corrigée. En revanche, je ne crois pas que pour corriger l'algorithme, il faille modifier la base de données. Je ne pense pas qu'il faille corriger, dans la base de données de Wikipédia, le fait qu'historiquement, davantage d'hommes ont été connus car les femmes étaient brimées. Plutôt que corriger l'histoire, nous devrions nous assurer que la vision biaisée de l'histoire ne perdure pas. Je suis plus favorable à la correction des conséquences qu'à la correction des bases de données.
Par ailleurs, au sujet de la violence et du harcèlement, j'aimerais vraiment que nous distinguions ce qui est public sur les réseaux sociaux et ce qui est privé. Pour les publications publiques, il est impératif d'augmenter les contraintes qui pèsent sur les plateformes en termes de modération. Pour la haine en ligne, cette idée est au cœur de ce que nous avons voté en première lecture sur le projet de loi relatif aux principes républicains. Cette idée est également au cœur du Digital Services Act, présenté par l'Europe et très soutenu par la France. Pour toutes les publications publiques, les plateformes doivent être capables de modérer les contenus.
Néanmoins, nous devons veiller à définir clairement ce que nous appelons réseau social. Je crains que nous ne puissions pas agir pour les boucles WhatsApp, par exemple, hormis en augmentant le niveau de prévenance des parents, des éducateurs et des adultes autour. En effet, nous n'allons pas mettre toutes les boucles privées sous surveillance de l'État afin de lire ce que les adolescents s'envoient. Nous basculerions dans une autre société si nous considérions qu'il faut surveiller toutes les conversations privées. L'unique manière d'agir est la prévention et la sensibilisation des parents et éducateurs, souvent extrêmement démunis car les enfants utilisent mieux le téléphone portable qu'eux. Nous devons être prudents.
Dans le cas de la jeune Alisha, j'ai cru comprendre que son ex petit-ami a publié des photos d'elle dénudée sur Snapchat. Ce type de publication est interdit. La modération de Snapchat doit agir. Ce même petit-ami est vraisemblablement accusé de l'avoir tuée, sans que les réseaux sociaux occupent a priori un rôle direct dans ce drame.
Lorsque la publication de photos intimes cause le suicide de la victime, le rôle des réseaux sociaux est direct.
Des sites diffusent, au quotidien, des annonces d'offres de services de jeunes femmes et de jeunes hommes et, en particulier, de personnes mineures.
Evidemment, dans ces cas-là, les obligations de modération et de contrôle relèvent des très grandes plateformes sur lesquelles pourraient se développer du proxénétisme. Je vous rejoins quant à l'intérêt de ce sujet.
Il existe plusieurs éléments : ces obligations de modération et – ce qui constitue un problème pour l'ensemble des pays développés – la nécessité de progresser sur des sujets extrêmement concrets de chaînes police-justice. Pour tous les sujets de revenge porn, de haine en ligne et de cyberharcèlement, il est indispensable que nous puissions enregistrer les plaintes en ligne. Les fonctionnaires de police ne sont pas forcément tous formés sur la différence entre les applications. Nous avons absolument besoin d'améliorer nos process police-justice. Ainsi, Éric Dupond-Moretti porte cette question de la plainte en ligne. Un parquet numérique, pour l'instant limité, a été spécialisé et doit monter en compétences. Il existe un sujet d'accueil, d'accompagnement et de jugement, posant de nombreuses questions. Les candidats au harcèlement seront dissuadés le jour où celui-ci sera amplement sanctionné.
Concernant l'illectronisme, il ne me semble pas que ce phénomène touche davantage les femmes que les hommes. Néanmoins, deux biais existent : celui de l'âge mais également de la sociologie. Parmi les populations fragiles en termes d'illectronisme, les mères célibataires, sans-emploi et défavorisées constituent le profil type. En déployant des conseillers ou des médiateurs numériques, nous agissons aussi en direction de ces populations.
Par ailleurs, je crois que la situation n'a pas beaucoup changé concernant l'accès des mineurs à la pornographie. Un certain nombre d'associations se sont tournées vers le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui est l'autorité indépendante en charge. Une procédure d'investigation, et de sanction le cas échéant, est en cours. Il faut se raccrocher à cet élément. L'autorité indépendante doit prendre sa décision.
S'agissant de la généralisation du contrôle parental, le Président de la République s'était engagé, en cas de manque de transparence sur les chiffres et d'absence progrès, à prendre une mesure législative. Un observatoire a été constitué sur les chiffres du contrôle parental. Nous pourrons vous communiquer ces chiffres, publiés il y a environ trois mois. Nous devons relever les compteurs tous les six ou douze mois. Malgré un léger retard dû à la crise de la Covid-19, notre suivi a bien progressé sur le sujet. Si les chiffres ne progressent pas, nous devrons passer par des mesures plus coercitives.
Merci, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, la prochaine réunion de la Délégation aura lieu mercredi 17 mars, en visioconférence, pour une table ronde relative à l'évolution de la place des femmes sur le marché du travail et dans la gouvernance économique. J'ai également le plaisir de vous annoncer que nous aurons l'honneur d'échanger, jeudi 18 mars, avec Mme Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, au cours d'une visioconférence.
La réunion s'achève à 17 heures 45.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.