Audition de M. François Cornut-Gentille, député.
La séance est ouverte à 16 heures 45.
Présidence de M. Xavier Breton, président.
Nous recevons un membre de notre mission d'information, notre collègue M. François Cornut-Gentille qui va nous présenter les conclusions son ouvrage paru en janvier 2021 et intitulé Savoir pour pouvoir. Sortir de l'impuissance démocratique. J'ai eu l'occasion de le lire : sa réflexion est particulièrement stimulante dans son analyse du système actuel. Cette audition est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale et fera également l'objet d'un compte rendu.
Les réflexions synthétisées dans ce livre s'intègrent aux travaux que nous menons dans cette mission d'information. L'abstention semble avoir deux causes distinctes : les modalités de vote et un désintérêt profond des citoyens envers la chose politique. La crise démocratique que nous traversons est reconnue par tous, par le pouvoir exécutif comme par les partis d'opposition. Depuis une cinquantaine d'années, les réflexions institutionnelles me semblent orientées exclusivement vers deux thématiques. Or ces dernières sont hors sujet et accessoires. Tout d'abord, la population serait lassée de ne constater aucun changement, la politique ne modifierait plus rien. Deux présidents de la Ve République, Nicolas Sarkozy, puis Emmanuel Macron — dans la première version de son quinquennat — considéraient que le chef n'avait pas les moyens de poursuivre les actions qui découlent de son choix. Par ailleurs, d'autres estiment qu'il existe un problème de représentation et proposent d'avoir recours au scrutin proportionnel (MoDem et RN) ou au tirage au sort (Jean-Luc Mélenchon) pour y remédier. Les sociologues, les politiques et les élus qui réfléchissent depuis vingt-cinq à trente ans sur cette crise démocratique estiment que celle-ci résulte d'un déséquilibre des pouvoirs. Or, je pense que cette question qui nous obnubile depuis la Révolution est désormais hors sujet. Nous sommes confrontés à une crise systémique et à un problème institutionnel. En effet, dans le débat public tel qu'il se déroule, les partis politiques ne proposent plus d'offres crédibles et intéressantes. Il existe un déplacement du débat institutionnel, qui est dépossédé de son contenu.
Je suis député depuis longtemps ; j'ai vu quantité de majorités arriver au pouvoir pleines d'espoir et je suis constamment frappé par l'échec des politiques menées. Il s'agit de promulguer toujours plus de lois aux intitulés merveilleux, mais au contenu moins enthousiasmant. Ce contraste touche toutes les majorités. L'opposition dénonce ce phénomène qu'elle reproduit une fois arrivée au pouvoir. Une réelle impuissance publique est à l'œuvre. Il existe également le « dégagisme » évoqué depuis 2017, dont il est de nouveau question avec Éric Zemmour. On ne se met plus d'accord sur quoi que ce soit, sauf sur le fait de « dégager » les élus.
Nous connaissons une alternance politique à chaque élection nationale depuis 1978. Les politologues y voyaient le signe de la vitalité de notre démocratie. Cependant, il s'agissait peut-être des prémices de la lassitude actuelle : les électeurs n'étant jamais satisfaits, le basculement demeure permanent. L'idée selon laquelle les personnalités que nous élisons n'agiraient plus une fois au pouvoir est certes éminemment répandue, mais elle ne correspond pas à la réalité. J'ai essayé de comprendre pourquoi, si l'envie de changement est grande, elle n'aboutit jamais. Quelle est la fatalité de cette impuissance publique ? Elle est perçue comme une trahison, les promesses n'étant pas tenues.
En réalité, nous bloquons sur des obstacles assez lourds que nous n'avons pas identifiés. Quels sont ces obstacles ? Il me semble que nous n'avons pas mesuré les conséquences d'un constat pourtant unanime : nous avons changé de monde. Les changements ponctuels sont visibles (Internet, baisse de l'autorité). En réalité, tout a changé, dans tous les domaines. Être professeur ou médecin ne correspond plus à la même réalité qu'il y a vingt ans. De nouveaux problèmes se posent à nous. Or nos outils demeurent anciens. Le rapport sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de trois de ses missions centrales en Seine-Saint-Denis, que j'ai co-écrit avec Rodrigue Kokouendo, est révélateur de ce phénomène. Les problèmes d'insécurité dont nous parlons depuis trente ans n'ont pas trouvé de solution. L'exécutif de droite envoyait des CRS. La tradition de gauche dénonce un manque de fonctionnaires dans les commissariats. Si nous disposions des outils, les problèmes des quartiers sensibles auraient été résolus.
Si mon analyse est juste, il est nécessaire d'identifier, domaine par domaine, les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Or, nous ne pouvons pas agir en ce sens, car l'explosion médiatique a changé le positionnement du politique. Selon les constitutionnalistes, le pouvoir exécutif est trop fort. Pourtant, en dépit des pouvoirs qui lui sont attribués dans la Constitution, l'exécutif ne dispose que d'une légère marge de manœuvre. Le débat public, il y a quarante ans, était monopolisé par les institutionnels, car il existait peu de chaînes de télévision et de radios et aucune n'était indépendante. Le pouvoir parlait depuis un piédestal. Désormais, avec l'explosion des chaînes audiovisuelles et d'Internet, nous constatons que le pouvoir est faible. Un ministre est en concurrence avec un militant « gilet jaune » pour être interviewé sur BFM. La lecture de cette problématique ne peut demeurer uniquement institutionnelle. Le pouvoir accède difficilement aux médias, ce qui oblige les leaders à se présenter en « marques ». Emmanuel Macron s'est conçu comme une marque. Marine Le Pen a été la marque des invisibles. Jean-Luc Mélenchon s'est constitué comme la marque de la colère du peuple. Les constitutionnalistes ne perçoivent pas ces mécanismes, qui sortent du champ juridique. Au moment où le monde change à grande vitesse, le débat politique est devenu schématique.
La révolution des médias a eu deux effets. Le premier a été la simplification du message. Le ministre qui n'est pas invité à la télévision peut perdre son poste. Il doit établir des projets creux pour disposer d'une audience. Le second effet a été l'explosion du clivage gauche/droite. Auparavant, les questions politiques étaient structurées par cet arrière-fond. Cela permettait à chacun de savoir où il se situait sur l'échiquier politique. La simplification est une évolution négative. Toutefois, l'explosion du clivage gauche/droite n'est pas nécessairement vaine. De nombreux sujets sont entrés dans le débat public et impliquent la construction d'une nouvelle grille d'analyse. Qu'est-ce que le clivage gauche/droite au regard de la transition écologique ? Il existe, dans l'opinion, la volonté de discuter de davantage de sujets, une envie de démocratie plus forte. En parallèle, la simplification réductrice ne permet pas de disposer des moyens pour débattre de ces sujets.
L'offre politique reste insuffisante. Les partis politiques qui n'ont pas accédé au pouvoir répètent « il n'y a qu'à » « il faut qu'on ». Tous pointent du doigt des éléments probants. Or, ils proposent une injonction et non une solution. Par conséquent, les citoyens peuvent exprimer un mécontentement, mais pas une adhésion. Il s'agit pourtant là de l'essence même d'une offre politique. Les partis de gouvernement font face à une double difficulté : ils doivent être audibles tout en restant dépendants de leurs outils. Les CRS et les services de police actuels sont totalement inadaptés aux problèmes des quartiers sensibles. Cependant, un ministre de l'Intérieur ne peut pas user de cet argument. Il est préférable, pour lui, d'évoquer le manque de moyens. Les partis dits « raisonnables » n'ont pas le recul nécessaire pour décrire le travail essentiel à une réforme en profondeur de l'État. Nous demeurons face à une offre politique insatisfaisante. J'ai beaucoup analysé l'échec de la révision générale des politiques publiques (RGPP), de la modernisation de l'action publique (MAP) et de CAP 22. Il s'agissait de bricolages sans intérêt. L'offre politique n'est pas crédible, les uns demeurant dans l'injonction, les autres ne disposant pas des outils nécessaires.
Aux prémices de ma réflexion, j'envisageais une évolution des tâches de l'Assemblée nationale qui, outre son travail législatif d'évaluation et de contrôle, devrait effectuer des diagnostics, c'est-à-dire identifier les nouveaux problèmes et mesurer l'inadaptation des outils politiques. Mon étude sur la Seine-Saint-Denis préfigure cette réflexion. Néanmoins, j'ai pris conscience que ces diagnostics, s'ils nous font défaut, ne peuvent être pris en charge par l'Assemblée nationale. En effet, l'ordre du jour est saturé par l'étude des projets de loi et le vote du budget. Par ailleurs, l'Assemblée nationale, le gouvernement exécutif et donc la majorité demeurent sous la pression de l'action immédiate. Par conséquent, je propose de supprimer le Conseil économique social et environnemental (CESE), qui n'a que peu d'intérêt. En revanche, il serait utile de disposer de représentants du peuple, d'élus au suffrage universel chargés de ce travail de diagnostic. Il s'agira, pour ces derniers, d'identifier les problèmes et les difficultés dans tous les domaines et de démontrer l'inadaptation de nos réponses. Ce travail intéresserait les Français et les médias. Il en découlerait un débat fort autour des réponses possibles. Les partis populistes amélioreraient ainsi leur offre, tandis que les partis de gouvernement ne seraient plus prisonniers de leurs outils.
Nous avons perdu, dans l'incantation politique et la technocratie, notre capacité à représenter. À l'Assemblée nationale, nous sommes prisonniers du jeu des majorités. Cette assemblée d'élus aurait pour rôle d'exprimer les problèmes, de présenter les enjeux et de procéder à la rédaction d'un cahier des charges des difficultés à résoudre. Elle serait entendue, aurait de l'impact et transformerait le débat public. L'originalité de cette proposition repose sur une innovation très forte : la création d'une nouvelle assemblée qui permettrait d'améliorer le débat tout en conservant le modèle exécutif de la Ve République.
Je ne crois pas en la proportionnelle. Cette discussion a cinquante ans de retard. Les Français sont relativement indifférents au fait que certains partis soient moins représentés que d'autres. L'offre politique ne correspond plus à la réalité. Il ne s'agit pas d'un problème de dosage.
Cette approche est transpartisane, elle est une réflexion gaulliste sur la Ve République. Le débat politique est plus nécessaire que jamais ; or il est de plus en plus confus.
Les réflexions de M. François Cornut-Gentille sont stimulantes par rapport à notre sujet d'étude. Elles nous invitent à dépasser les modalités techniques d'organisation des scrutins. Cette assemblée d'élus s'inscrirait-elle dans une logique représentative ? Les candidats présenteraient-ils un programme ? L'objectif serait-il d'obtenir un diagnostic partagé ? Subsistera-t-il une expression de sensibilités différentes face au diagnostic ? Quelle place aurait cette assemblée dans la démocratie ?
Le diagnostic constituera un cahier des charges. Il s'agira de montrer les contradictions et les difficultés à résoudre. Une fois ce constat effectué, le débat politique sera crédible. Si nous prenons l'exemple de l'environnement, deux camps s'affrontent : celui du nucléaire et celui du renouvelable. Un diagnostic sur ce sujet démontrerait les contradictions entre ces deux camps et proposerait un enjeu acceptable par la population. Les écologistes indiquent que la transition énergétique est la solution aux problèmes environnementaux. Or il ne s'agit pas d'une solution, mais d'un problème. Comment organiser une telle transition ? Le diagnostic permettrait une prise de recul nécessaire pour engager de nouveaux débats. Puisque nous ne pouvons pas débattre ici, nous devons créer une nouvelle institution. Par ailleurs, ces cahiers des charges intéresseraient les journalistes, car ils pourraient interroger les partis politiques et les gouvernements.
L'idée étant neuve, je ne souhaite pas batailler sur la durée des mandats. Je considère que la fonction politique, aujourd'hui, n'est pas assumée. Le plus important est que ces représentants devront être élus au suffrage universel. Nous devons attirer en politique des individus d'un certain niveau, tandis que le niveau des débats actuels en écœure certains. Il s'agit de ramener à la politique des individus qui n'y pensent pas aujourd'hui.
S'agissant du clivage, je pense que la fonction fait l'homme. À titre d'exemple, l'expérience des maires les amène à sortir du catéchisme électoral de leur parti politique. En Seine-Saint-Denis, je ne proposais rien, mais la force du diagnostic m'a conduit à être à la fois à la une des journaux Le Monde et Le Figaro sans l'intervention d'une agence de presse. Aujourd'hui, les parlementaires surenchérissent pour obtenir un retentissement médiatique. S'ils comprennent que leur visibilité tient à la force de leur propos, ces représentants tiendront leur rôle. Ce système ne méconnaîtrait pas les clivages, mais pourrait proposer des options différentes.
François Mitterrand disait « Il faut laisser du temps au temps ». Le débat politique est réduit aujourd'hui à quelque chose de très binaire pour aller vite. Or il n'est pas possible de répondre en quelques secondes aux questions qui nous animent ici jour après jour par un oui ou par un non. L'immédiateté et l'absence de nuance dans le débat public posent problème. Je salue l'appel passé récemment dans le journal La Croix, qui rappelait que le débat doit s'établir dans la nuance et le respect de tous. Or tout concourt à présent à ce que chacun donne une réponse très radicale. La radicalité est d'ailleurs le credo de la campagne électorale qui débute actuellement.
En 2008, je travaillais dans le cabinet du député-maire de la ville de Caen, qui venait d'être élu. Trois mois après son élection, un habitant lui a dit être déçu de ne constater qu'il ne se passait rien et qu'il n'y avait ni travaux ni construction. Il a fallu expliquer à cet habitant que les travaux nécessitaient du temps et diverses démarches telles que les appels d'offres. La citoyenneté s'apprend et se mérite. Se sentir citoyen, c'est se sentir totalement impliqué dans la décision que l'on prend. Comment rattache-t-on les parcours citoyens à la décision politique ? Je ne pense pas que la solution soit technique et que le recours à la proportionnelle diminuerait l'abstention. Ainsi, alors que les élections régionales sont fondées sur un scrutin proportionnel, la participation électorale est demeurée faible. Cette impuissance démocratique tient à ce temps dont nous ne disposons plus pour débattre de manière précise et coordonnée.
L'immédiateté justifie la création d'une nouvelle assemblée, car les assemblées existantes seront toujours sous pression. Nous ne pourrons pas disposer, à l'Assemblée nationale, du recul nécessaire à l'amélioration du débat public, car nous sommes sous pression constante. Il existe une ambiguïté sur l'utilisation du terme « participation », avec une erreur d'interprétation sur la demande, qui vise principalement à comprendre ce que nous disons. Les partis politiques sont devenus des marques, qui critiquent radicalement le réel, mais n'expliquent pas comment changer les choses. Les idéologies critiquaient le réel tandis qu'elles indiquaient un chemin pour les modifier. Comment retrouver un moment critique fort qui indique le chemin à prendre ?
Je partage le diagnostic de notre collègue, mais la solution proposée me semble inopportune, car elle accroîtrait l'abstention. Lorsque nous sommes sur le terrain, nous nous rendons compte que la participation est en grande partie due à la lisibilité du scrutin. Les élections européennes de 2019 ont connu une participation de 50 %. Or il s'agissait d'un scrutin à circonscription nationale, contrairement à celui de 2014. Je n'évoque pas les dernières élections municipales, car nous vivions alors une crise sanitaire. Beaucoup d'électeurs n'ont pas compris l'enjeu des élections régionales et départementales. Nombreux sont ceux qui ne savaient ni pour qui ni pourquoi voter. Il existe trop de scrutins et d'échelons, si bien que le citoyen ne s'y retrouve plus. Or vous nous proposez un « échelon » supplémentaire. Quel serait le mode scrutin de votre assemblée ? Nous pensions que les électeurs ne votaient pas en raison du cumul des mandats. Désormais, les députés sont difficilement identifiables localement, car ils ne cumulent plus ce mandat avec celui de maire. L'interdiction du cumul a-t-elle été une erreur ?
Merci, cher collègue, de vous attaquer aux causes profondes de l'abstention, qui ont, à mon sens, davantage de valeur que les questions relatives aux modalités de vote. Ces interrogations, si elles peuvent répondre en partie au problème de l'abstention, ne la résoudront pas entièrement. Nous sommes confrontés à une fatigue de la démocratie représentative telle que nous la connaissons. Or, ce phénomène requiert des innovations. Votre proposition constitue une innovation. J'ai le sentiment que le rôle de cette nouvelle assemblée serait celui qu'avaient les partis politiques qui, auparavant, rassemblaient des adhérents et des militants pour évoquer des problèmes rencontrés. Les élus se nourrissaient de ces échanges pour proposer des solutions.
Ces dernières années, nous assistons à l'effondrement de l'engagement dans les partis politiques. Il n'existe plus de partis politiques dans lesquels existeraient une forme de transmission interne et des débats avec des sensibilités différentes. Dans notre Constitution, il est indiqué que les partis politiques concourent à l'expression du suffrage. Devons-nous tracer une croix sur les partis politiques tels que nous les connaissions ? D'autres innovations dans la méthode et dans nos institutions seraient-elles nécessaires pour créer un lien de confiance entre le système démocratique et nos concitoyens ?
Concernant les causes de l'abstention, nous nous accordons tous sur la pauvreté du débat médiatique et à la complexité du système institutionnel français, auxquels j'ajouterais la faillite de l'éducation. Je me rends chaque année dans une école de ma circonscription dans le cadre du Parlement des enfants. Je suis toujours frappé par le faible niveau de connaissances des élèves, bien que le professeur ait préparé des questions.
Je distingue l'abstention dans les élections pour les institutions du pouvoir central et pour les scrutins locaux. Lors des élections présidentielles et législatives, le taux de participation demeure élevé. La question du quinquennat se pose. S'agissant des élections locales, l'abstention reste forte. Incontestablement, le « millefeuille » crée les conditions de cette abstention.
J'apprécie cette idée de diagnostic. Le problème de l'abstention demeure important pour les élections régionales et départementales. Pour les municipales et présidentielle, la participation reste correcte. Or, à mon sens, dans ces deux échelons, le citoyen réussit à établir un diagnostic. A contrario, au niveau départemental et régional, nous sommes confrontés à un déni de démocratie. Les citoyens ne comprennent pas les compétences des régions. La visibilité et la compréhension du vote et de l'enjeu s'avèrent fondamentales, tandis qu'elles expliquent en creux l'abstention. Toutefois, le diagnostic est presque politique. Peut-on réaliser un diagnostic objectif pour prendre des mesures et des décisions à court ou à moyen terme ? Vous avez évoqué le climat : le diagnostic existe, il est d'ailleurs relativement partagé. Ce que nous en faisons devient très vite politique. Comment cette assemblée pourra-t-elle objectiver un plan d'action à court ou moyen terme ?
Nous pensons tous que notre intuition et notre opinion constituent un diagnostic. Concernant les retraites, par exemple, mon parti politique propose de reculer l'âge de la retraite. Si vous ne prenez qu'un aspect, le côté financier, vous déplacez simplement l'âge du départ en retraite. La suggestion d'un diagnostic correspond en réalité à la vente d'une solution. Un diagnostic complet concernant l'âge de départ à la retraite nous obligerait à nous interroger sur les démarches des entreprises qui poussent leurs salariés vers le départ à 58 ans. Or si nous reculons le départ en retraite à 65 ans, beaucoup de nos concitoyens auront recours à l'assurance chômage qui financera les retraites. Un diagnostic pose de multiples questions. Face aux problèmes actuels (réchauffement climatique, insécurité, immigration), nous ne disposons que d'une ébauche de solution. Cependant, la pression médiatique nous impose de transformer ces embryons d'idées en propositions concrètes. En percevant les contradictions sous-jacentes à un même problème, nous alimenterons le cahier des charges. Il ne s'agit pas d'aller directement à la solution. Le diagnostic représente un véritable travail de fond.
Les idéologies de gauche et de droite constituaient des aides au diagnostic. Depuis deux siècles, nous nous demandons quelle orientation donner à la société : progressiste ou conservatiste. Les partis politiques se sont structurés à partir de cette question. Désormais, il ne s'agit plus d'une orientation de la société, mais de questions complexes pour lesquelles il devient nécessaire de dégager des options crédibles. L'assemblée du diagnostic permettra de structurer des options politiques à partir desquelles les partis politiques pourront prospérer. Cette assemblée esquissera des options et de nouveaux partis politiques pourront en naître. Aujourd'hui, il subsiste une culture de gauche et une culture de droite fournissant un éclairage aux individus ayant des affinités à travailler ensemble. Toutefois, cela ne permet pas de fournir un cap précis. Or la politique n'est pas la somme de plusieurs propositions. Elle doit permettre d'aider les populations à comprendre où nous en sommes et où nous souhaitons aller. Le diagnostic offre des repères quant à ce qui est souhaitable ou faisable. Les partis politiques assumaient autrefois une fonction essentielle. Nous devons nous donner les moyens de recréer ces débats.
Nous nous accordons concernant le « millefeuille » territorial. Localement, la complexité actuelle s'avère catastrophique. Nous pourrions maintenir un certain nombre de niveaux administratifs si nos concitoyens les identifiaient.
Il existe un problème concernant le cumul des mandats, mais nous ne reviendrons pas en arrière. Il est nécessaire de repenser tous nos instruments d'action publique, aussi bien les instruments nationaux que ceux des collectivités. Ainsi, concernant le problème des mineurs non accompagnés, nous ne disposons d'aucune solution. Nos outils sont inutiles. L'État ne sait pas comment réagir, les conseils départementaux non plus. Ce problème est donc sans cesse renvoyé d'un étage à l'autre. Il est essentiel de repenser tous les niveaux, non pas en partant des compétences actuelles, mais en considérant, de l'extérieur, les problèmes de la population. Ainsi, nous serons en mesure de redéfinir les niveaux de collectivités.
En redéfinissant l'action de l'État à tous les niveaux, je transformerais le Sénat en Assemblée des territoires. Je placerais au Sénat ès qualités tous les présidents de régions, de départements et des représentants des intercommunalités. Ainsi nous disposerions de trois assemblées complémentaires. Le fait majoritaire demeurerait à l'Assemblée nationale ; l'action locale serait discutée par les praticiens eux-mêmes au Sénat et nous créerions une assemblée qui définirait les enjeux et permettrait d'observer les problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis longtemps.
Merci pour ces échanges intéressants et cette réflexion stimulante qui dépasse les modalités techniques des scrutins électoraux.
La séance est levée à 17 heures 50.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. Jean-René Cazeneuve, M. François Cornut-Gentille, Mme Marion Lenne, Mme Jacqueline Maquet, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, M. Stéphane Travert, M. Charles de la Verpillière