La séance est ouverte à onze heures trente.
Chers collègues, nous allons pouvoir commencer cette réunion. Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à nos collègues britanniques, John Spellar, Mark François, Madeleine Moon et Gavin Robinson. Nous sommes très heureux de les retrouver aujourd'hui car nous gardons un excellent souvenir de notre réunion à Londres il y a une quinzaine de jours.
Du côté français, outre Natalia Pouzyreff et moi-même, se joindront à nous à différents moments de la journée Jean-Charles Larsonneur, Stéphane Trompille, Jean‑Pierre Cubertafon et Jean-Jacques Ferrara. Au déjeuner, nous serons rejoints par M. Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense nationale et des forces armées.
Encore une fois, chers collègues britanniques, je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue et je vous renouvelle nos remerciements pour la qualité de votre accueil à Londres, il y a deux semaines. Sans plus tarder, je cède la parole à ma collègue Natalia Pouzyreff, qui va entrer dans le vif du sujet.
Le travail que nous entreprenons ensemble est la preuve de la vivacité de la coopération entre la France et le Royaume‑Uni. L'actualité, parfois étouffante, qui entoure la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, ne doit pas nous empêcher d'avancer sur des sujets pour lesquelles il existe une volonté forte de travailler ensemble, de part et d'autre de la Manche.
C'est le cas dans le domaine de la défense qui nous réunit aujourd'hui. Outre les valeurs que nous partageons, la France et la Grande-Bretagne sont liées dans leurs statuts de principales puissances militaires sur le continent européen. Par les synergies qu'elle apporte, la coopération en matière de défense est une garantie forte de sécurité pour nos deux pays.
Aujourd'hui, la Grande-Bretagne et la France sont confrontées à un même contexte d'augmentation du niveau de la menace, liées à la résurgence de l'usage de la puissance dans les rapports entre États et à l'essor et à la dissémination des systèmes d'anti-accès (A2/AD). Plus largement, c'est l'ensemble du bloc occidental qui traverse un moment de remise en cause de sa suprématie militaire.
Ce constat, partagé depuis un certain nombre d'années déjà, a guidé le choix d'un renforcement de notre coopération militaire lors des accords de Lancaster House du 2 novembre 2010, dont les orientations ont été régulièrement rappelées depuis. Parmi les nombreux projets conjoints engagés, l'initiative One‑MBDA a été décidée pour structurer une véritable filière commune dans le domaine des missiles, selon une logique de dépendance mutuelle. Le programme Futur missile anti-navires/Futur missile de croisière, dit FMAN/FMC, dont la phase de concept conjointe a été lancée en mars 2017, est l'une des traductions de l'initiative One‑MBDA.
Ce programme constitue une opportunité pour nos deux pays à plusieurs titres. Pour nos forces, il est l'occasion de rehausser une arme stratégique dans un contexte de durcissement de la menace. Pour nos acteurs industriels, cette nouvelle génération de missiles est un projet ambitieux du point de vue technologique, qui permet de creuser la distance avec leurs principaux concurrents et de conforter l'excellence industrielle de l'Europe. Enfin, pour nos deux pays, un tel programme conjoint permettra de partager les coûts et, surtout, de préserver la souveraineté nationale et notre pleine liberté d'action.
Avant de donner la parole à notre premier intervenant, permettez-moi de rappeler brièvement le déroulement de notre journée. Les auditions se tiendront à huis clos. Néanmoins, elles feront l'objet d'un compte rendu public. Après l'audition du délégué général pour l'armement, M. Joël Barre, nous nous retrouverons pour un déjeuner de travail à 13 heures. Puis nous poursuivrons nos travaux cet après-midi avec l'audition, à 14 heures, de l'amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine, et, à 15 heures 30, l'audition d'Antoine Bouvier, président-directeur général de MBDA. Chaque audition débutera par un propos liminaire de la personne auditionnée, d'une quinzaine de minutes, suivi d'une phase de questions-réponses au cours de laquelle se succéderont les interventions des parlementaires britanniques et français.
Sans plus tarder, je laisse la parole au délégué général pour l'armement, que je remercie chaleureusement pour sa présence devant nous aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs les parlementaires, permettez-moi aussi de vous remercier pour votre invitation à venir témoigner devant vous de l'importance du programme FMAN/FMC, que Mme la députée vient d'introduire. Je suis évidemment très honoré de m'exprimer devant vous à l'occasion de ce que j'ai compris être une première mission d'information entre les parlements de nos deux pays. Comme vous le savez, au sein de la direction générale de l'armement (DGA), nous sommes évidemment attachés à la coopération franco‑britannique dans le domaine de la défense.
Le programme FMAN/FMC a pour objectif de fournir à nos forces armées des capacités anti-navires et des capacités de frappe dans la profondeur renouvelées pour répondre au besoin dans la durée. En France, nous avons décidé, dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, promulguée par le président de la République le 13 juillet dernier, le lancement de ce programme en 2024 pour être au rendez-vous de la fin de vie des systèmes actuels – capacités anti-navires Exocet et de frappes dans la profondeur SCALP-EG – à l'horizon 2030.
Il s'agit, à cette échéance, de faire face aux évolutions de la menace, en particulier dans le domaine des systèmes A2/AD, éléments très dimensionnants pour la pénétration de nos systèmes de missiles.
D'après moi, le programme FMAN/FMC témoigne d'abord d'une volonté politique de coopération entre nos deux pays, découlant du traité de Lancaster House de 2010, et s'inscrit dans la lignée de ce que nous avons déjà fait ensemble, notamment les missiles SCALP et Storm Shadow.
Il s'agit aussi d'une coopération industrielle puisque le traité de Lancaster House a permis d'engager une démarche de rationalisation du secteur des missiles, qui est un secteur stratégique en raison des enjeux forts de souveraineté qui s'y rattachent et que nous partageons des deux côtés de la Manche.
Aujourd'hui, il me semble que nous pouvons nous féliciter de l'avantage opérationnel procuré à nos armées par ces armements de pointe, ainsi que de la liberté d'action qu'ils nous ont permise. Nous en avons d'ailleurs fait l'expérience il y a quelques semaines seulement, dans le cadre des opérations communes conduites en Syrie.
La France et le Royaume-Uni ont conduit depuis plusieurs années des réflexions sur le futur de ces capacités. Nous avons, dès novembre 2011, conclu un arrangement technique qui a engagé une première étude technico-opérationnelle conjointe, au terme de laquelle ont pu être affinés les besoins auxquels doivent correspondre ces systèmes et identifiés les concepts susceptibles d'y répondre. C'est ainsi que, dès cette étude préliminaire, nous avons identifié les premières caractéristiques communes aux deux capacités, anti-navires et frappe dans la profondeur, à savoir le besoin essentiel de survivabilité des missiles dans leurs missions face aux défenses anti-aériennes, en progrès constant, mais aussi le besoin d'une portée accrue de ces missiles, qui permet de garantir la survivabilité de la plateforme qui les transporte et qui doit procéder à leur tir face à des missiles adverses dotés, eux aussi, d'une portée accrue.
Par la suite, une nouvelle impulsion politique a été donnée par la déclaration d'intention du sommet franco-britannique d'Amiens, en mars 2016, qui définit l'objectif de réaliser ensemble une étude de concept pour un programme futur de missile anti‑navires et de missile de croisière. Lors du sommet d'Amiens, il avait été décidé de lancer cette étude dans un délai d'un an : avec nos homologues du ministère de la Défense britannique, nous avons tenu ce calendrier, puisque nous avons pu établir l'arrangement technique qui a défini le cadre de ces activités en mars 2017. La DGA a alors pu notifier le contrat relatif à cette étude à la société MBDA, pour le compte de nos deux nations. Ce contrat, d'une durée de trente-six mois, est d'un montant de 100 millions d'euros, financés à parts égales par le Royaume-Uni et la France.
Cette étude de concept a pour objectif d'approfondir la compréhension des possibilités offertes par différentes architectures de missiles, qu'ils soient supersoniques manœuvrant ou subsoniques et plus furtifs, puis de faire émerger une solution capable de satisfaire l'ensemble des spécifications liées aux besoins anti-navires et aux besoins de frappe dans la profondeur, soit sous la forme d'un unique vecteur (un missile qui répondrait à l'ensemble des capacités), soit, si cela n'est pas possible de manière aussi « simple », sur la base d'une famille de vecteurs qui présenteraient un haut niveau de communalité, de modularité et de réutilisation possible de leurs différents composants. Pour ce qui concerne la France, il s'agit d'intégrer ces missiles sur nos bâtiments de surface et, en premier lieu, nos frégates, ainsi que sur les Rafale et les avions de patrouille maritime.
Dans ce cadre, nous avons franchi avec succès un premier jalon – l' Initial Review – au début de l'année 2018. En somme, après une première période de travail commun, nous sommes parvenus à sélectionner plusieurs concepts d'architecture. Le prochain jalon est la revue principale d'architecture, dénommée Key review, prévue en février 2019, qui permettra d'apposer un deuxième filtre et de sélectionner, parmi les concepts retenus cette année, les plus prometteurs d'entre eux. Les concepts qui seront alors choisis feront ensuite l'objet « d'études système » plus approfondies, en vue de la fin de la phase de concept prévue en 2020, qui constituera du côté britannique l'« Initial Gate ». Pour ce qui nous concerne, nous prévoyons le lancement de la réalisation du programme en 2024.
Cette étude de concept, dont la prochaine étape est donc la « Key Review » de février 2019, permettra également d'établir les feuilles de route de maturation des technologies requises pour les différents concepts que nous étudions. Il est important de souligner que la réalisation de ces missiles du futur ne pourra se faire qu'au prix d'un important effort d'innovation technologique, que nous avons déjà engagé au sein de la DGA. En effet, depuis quelques années déjà, nous soutenons la recherche sur les technologies de rupture qui seront nécessaires pour répondre pleinement aux exigences recherchées sur ces programmes. Nous le faisons à travers notre programme d'études amont, notamment dans le domaine de la survivabilité, en particulier de la supervélocité, c'est-à-dire des missiles supersoniques manœuvrant. Cette performance technique, associée à une portée plus importante que celle des systèmes actuels, est effectivement à même de présenter des avantages et d'exposer le moins possible les plateformes qui mettront en œuvre ces systèmes de missiles, de manière à apporter un avantage décisif pour percer les défenses adverses futures et prévisibles, dont le renforcement est constant.
J'en profite pour souligner que nous allons pouvoir amplifier cet effort à travers l'augmentation des crédits alloués aux études amont au sein du ministère des Armées. La LPM 2019-2025 prévoit une augmentation significative des crédits en la matière, de 750 millions euros annuels aujourd'hui à un milliard d'euros par an à l'horizon 2022, soit une augmentation de 30 %. Cette hausse est très significative. Cette montée en puissance se retrouve d'ailleurs dans l'ensemble du budget d'investissement qui nous a été alloué par la LPM 2019-2025.
Les technologies nécessaires aux futurs missiles anti-navires et de frappe dans la profondeur sont donc liées à la survivabilité : il s'agit de l'aéropropulsion, de la furtivité ainsi que des technologies qui permettent le guidage terminal du missile sur sa cible – guidage électromagnétique, optique, bimode, etc. Il nous faut également progresser en matière de navigation des missiles à longue portée, avec des durées de vol importantes ainsi qu'éventuellement en environnement contesté, c'est-à-dire en présence de brouillage des constellations satellitaires utilisées pour le guidage de ces missiles. Nous devrons également améliorer les technologies relatives aux techniques utilisées pour la préparation de missions, et ce de manière à faciliter l'emploi de ces systèmes et à garantir leur opérationnalité. Il nous faudra également mettre au point les liaisons de données et les moyens de connectivité indispensables à la réalisation de ces missions de frappe à longue distance.
Sur le plan industriel, je voudrais souligner que, après la rénovation à mi-vie des missiles SCALP et Storm Shadow, déjà décidée, après le lancement du missile anti-navires léger que nous conduisons de manière bilatérale, et pour lequel il a été procédé au deuxième tir de développement au mois d'avril dernier, le programme FMAN/FMC s'inscrit naturellement dans le cadre de la démarche de rationalisation initiée par les accords de Lancaster House. Celle-ci vise à disposer d'une industrie missilière indépendante, compétitive et qui nous est indispensable pour garantir la satisfaction des enjeux de souveraineté qui sont les nôtres en matière de liberté d'action et d'avantage opérationnel dans le domaine des missiles.
Comme vous le savez, les accords de Lancaster House ont institué une dépendance mutuelle qui constitue un fondement essentiel du schéma de coopération entre nos deux pays pour ce programme. Aujourd'hui, notre industrie missilière est franco-britannique. MBDA est une société franco-britannique qui dispose de pôles d'excellence partagés par les deux nations et de l'ensemble des compétences nécessaires pour réaliser les programmes de missiles ambitieux dont nous parlons aujourd'hui. Du point de vue de la DGA, l'existence de cette capacité industrielle franco-britannique est essentielle et nous y sommes très attachés.
Certains peuvent penser que l'approvisionnement sur étagère pourrait être envisageable pour nous doter de ce genre de missiles. Certes, cela pourrait être une solution moins coûteuse, puisque cela permettrait d'éviter les coûts de développement nécessaires à la mise au point de ce genre de systèmes. Il n'empêche que ce point doit être mis en balance avec les conséquences d'un tel choix en termes de perte de compétences industrielles, nécessaires pour maintenir notre souveraineté et notre autonomie stratégique. Vous savez combien les compétences industrielles peuvent rapidement être perdues, et qu'il est beaucoup plus difficile de les reconstituer. Nous devons donc prendre en compte cette exigence de maintien de nos compétences industrielles. De plus, sur le plan de l'autonomie stratégique, qui est l'un de nos objectifs, si nous achetions sur étagère ce genre de missiles, nous accepterions de facto une réduction de notre souveraineté en matière de liberté d'action et de liberté d'exportation de nos missiles, ainsi que des plateformes porteuses. Il s'agit donc d'un enjeu essentiel.
Je terminerai en rappelant, une nouvelle fois, que le programme FMAN/FMC représente l'aboutissement d'une démarche engagée il y a plus de vingt ans par la France et le Royaume-Uni afin de disposer d'une industrie missilière de très haut niveau, compétitive et souveraine, et qui a permis de nombreuses coopérations dont le SCALP et le Storm Shadow, mais aussi l'Aster dans le domaine des missiles sol-air, le Meteor dans le domaine des missiles air-air ou encore le Sea Venom/missile anti-navire léger (ANL) dans le domaine des missiles anti-navires. Au stade actuel, je pense que le programme FMAN/FMC constitue le programme le plus structurant et le plus dimensionnant de notre coopération franco‑britannique dans le domaine des missiles. Il s'agit donc d'un pilier majeur de notre relation en matière de défense. En ce qui concerne la DGA, nous avons à cœur de le consolider et de le réussir ensemble.
Merci, Monsieur le délégué général, pour ce propos liminaire très complet. Beaucoup a été dit, mais nous sommes bien entendu réunis ici pour vous poser des questions complémentaires. Chers collègues, n'hésitez pas à reprendre la parole au fur et à mesure de notre réunion afin d'approfondir certains points. Pour ouvrir le bal, je donne la parole à Mark François.
(Traduction). Merci. Au nom de toute la délégation britannique, je tiens à dire que ce fut un grand plaisir de vous recevoir à Londres et que nous sommes ravis de nous retrouver ensemble à Paris aujourd'hui. Nous tenons également à vous féliciter pour votre victoire lors de la Coupe du monde (sourires). J'ai une question d'ordre général pour commencer. Du point de vue des équipements et des capacités, quelle est l'importance de la relation de coopération entre la France et le Royaume-Uni ?
J'ai souligné l'importance des accords de Lancaster House et de la déclinaison qui en a été faite depuis leur signature, en 2010. Cela a donné lieu, dans le domaine de l'armement, au développement d'actions de coopération significatives. Au-delà du programme FMAN/FMC, nous avons des projets de coopération dans le domaine de la guerre des mines. Les Britanniques et les Français souhaitent en effet renouveler leurs capacités en la matière, grâce à des nouvelles technologies et l'emploi de drones en particulier. Nous conduisons ensemble actuellement un projet de démonstrateur. Nous poursuivons également notre coopération dans le domaine des technologies de l'aviation de combat, conformément à la réorientation décidée ensemble lors du sommet de Sandhurst en janvier dernier. Le programme ANL est également en cours de réalisation. Comme l'a indiqué Mme Pouzyreff, le Royaume-Uni et la France sont de loin, en termes d'armement, les deux premières puissances européennes. Il est donc naturel que nous cherchions à coopérer ensemble pour répondre à des enjeux stratégiques qui sont grandement communs.
(Traduction). Du point de vue industriel, quelle est l'importance de MBDA, en tant qu'entreprise, pour la défense de l'Europe, ainsi que pour nos deux pays ?
MBDA, c'est « le » missilier européen. Les capacités de ses concurrents en Europe apparaissent en effet très limitées. Elles sont quasiment inexistantes en France et au Royaume-Uni. En Allemagne, la société Diehl peut parfois entrer en compétition avec MBDA. Néanmoins, on peut vraiment dire que MBDA est le missilier européen. Il s'agit d'un acteur de rang mondial, comme le montrent ses résultats économiques à l'exportation, de même que les systèmes qu'il a été capable de réaliser pour nos deux pays.
Enfin, MBDA constitue un modèle unique, car le domaine des missiles est le seul dans lequel deux pays européens – en l'espèce le Royaume-Uni et la France – ont réussi à mettre en place une structure industrielle qui partage un certain nombre de ressources – ses centres d'excellence – en acceptant une mutuelle dépendance. À mes yeux, la façon la plus efficace de conduire une coopération au niveau européen est justement de parvenir à trouver des accords, inévitablement politiques dès lors que l'on touche à des domaines de souveraineté, mais aussi industriels, afin de mettre en place cette dépendance mutuelle. L'existence de tels accords est un gage d'efficacité économique et de moindre coût pour les programmes que nous lançons. La société MBDA incarne un grand succès que la DGA ne peut que saluer.
(Traduction). Le cas échéant, quels enseignements la DGA a‑t‑elle retirés de sa coopération avec notre ministère de la Défense et notre agence spécialisée ( Defence Equipment and Support,‑ DE&S) ? À l'inverse, pensez-vous que nous avons tiré des enseignements à votre contact ?
On apprend toujours de la coopération avec nos partenaires. Encore une fois, je crois que le modèle de MBDA est unique et qu'il faut nous féliciter de l'avoir mis en place ensemble. Nos agences respectives, DE&S et la DGA, sont très attentives à son évolution. Nous avons mis en place une organisation de coopération étatique qui fonctionne parfaitement. Votre ministère chargé des acquisitions de défense et la DGA ont institué un « high-level working group » qui se réunit périodiquement. Nous nous retrouvons sur beaucoup de choses, à la fois sur les objectifs stratégiques et sur la recherche d'une efficacité économique et industrielle maximale. Sans doute, de ce point de vue, votre perception nous est utile. En caricaturant à peine, nous, les Français, avons tendance à privilégier la dimension stratégique à la dimension économique, et vous nous rappelez de temps en temps aux dures réalités de l'économie.
Merci, Monsieur le délégué général, pour cette présentation des contours, du cadre politique et du calendrier du programme FMAN/FMC. Je me félicite que vous l'inscriviez dans une durée et dans une dépendance mutuelle assumée politiquement.
Ma première question porte sur les plateformes sur lesquelles vous envisagez l'intégration du FMAN/FMC ? Quels sont notamment les enjeux relatifs à l'intégration de ces missiles sur ces plateformes ? Je pense tant aux aéronefs qu'aux bâtiments de surface, côté britannique et côté français.
Deuxièmement, en lien avec l'actualité, l'annonce de la Air combat strategy, et donc du Tempest, peut-elle avoir un impact sur la conduite du programme FMAN/FMC et, le cas échéant, quel pourrait-il être ?
En ce qui concerne la France, le programme FMAN/FMC est destiné à nos bâtiments de surface que sont les différents types de frégates : les frégates multimissions (FREMM), les frégates de taille intermédiaire, lancées en 2017, et les frégates Horizon. En ce qui concerne les avions, ce programme vise à équiper le Rafale, puisqu'il prend la suite du SCALP qui l'équipe actuellement ; nous envisageons également une adaptation de la capacité anti-navires à l'avion de patrouille maritime du futur. Côté britannique, il me semble que la capacité anti-navire du programme FMAN/FMC vise à équiper les frégates de type T26. Je ne suis néanmoins pas un grand spécialiste des matériels britanniques.
Permettez-moi de vous demander de préciser votre vision de l'architecture de ces systèmes futurs, notamment s'agissant de l'« open architecture » et de l'importance de la connectivité. Qu'il s'agisse du SCAF ou du Tempest, l'un des enjeux essentiels est de garantir que les plateformes qui feront partie de ces systèmes puissent non seulement être interopérables, mais également communiquer sans faille afin de pouvoir les utiliser conjointement. Cela nécessite donc d'avoir des systèmes ouverts. Dans ce contexte, les Français ont tendance à percevoir le système F-35 comme un système fermé. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Vous avez raison, Madame la députée, il s'agit d'une question essentielle, comme l'ont d'ailleurs montré les opérations que nous avons récemment menées en Syrie, conjointement avec les forces britanniques et américaines. L'interopérabilité, et donc la connectivité nécessaire pour l'assurer, est un paramètre essentiel des capacités militaires que nous recherchons. Nous devons produire un système ouvert, c'est-à-dire effectivement capable de se connecter à différents types de porteurs ou différents types de systèmes d'armes. Il doit aussi être compatible avec l'ensemble des systèmes dont pourraient disposer nos alliés, en particulier notre allié américain. Les Britanniques sont sans doute mieux placés que nous pour garantir l'interopérabilité avec les matériels américains, en particulier le F-35. Nous n'achèterons pas de F-35, mais comme il est opéré par nos alliés britanniques, il nous faut nous assurer de l'interopérabilité avec le F-35 et les systèmes dont disposeront les Américains à l'horizon 2030, et au-delà. Il faut le faire de manière ouverte et souveraine, c'est-à-dire en garantissant que les Européens soient entièrement maîtres des technologies employées afin de se prémunir de toutes restrictions, d'emploi comme d'exportation. Ce sujet fait partie des éléments que nous étudions dans le cadre du SCAF.
(Traduction). Je souhaite à présent évoquer les problèmes qui pourraient survenir à l'avenir et que l'on pourrait peut-être prévenir. Vous savez notamment que le Harpoon britannique arrivera en fin de vie en 2023, et que nous ferons face à un trou capacitaire dans nos capacités anti-navires. Quels ont été vos échanges avec notre ministère de la Défense s'agissant d'une solution d'achat sur étagère, qui pourrait être privilégiée par la Grande-Bretagne, pour faire face à ce trou capacitaire ? Comment réagiriez‑vous si notre ministère de la Défense vous indiquait être prêt à explorer cette voie ? Y a-t-il déjà eu des discussions à ce sujet ? Est-ce source de tensions entre nos deux pays ? Une telle décision vous paraîtrait-elle incompatible avec le programme FMAN/FMC ?
Je ne me souviens pas avoir moi-même abordé le sujet du trou capacitaire lié au retrait du Harpoon avec mes homologues britanniques lors de nos réunions officielles. Ce sujet a néanmoins été évoqué entre nos équipes lors des réunions de travail. Je résumerai notre sentiment de la manière suivante.
Premièrement, les Britanniques feront en effet face à la question d'une rupture de capacités sur le missile anti-navires à horizon 2023 avec la fin de vie du Harpoon. Nous comprenons parfaitement le fait que vous devez combler ce trou capacitaire. Nous souhaitons toutefois que la décision que prendront les autorités britanniques pour ce faire ne mette pas en péril notre coopération sur le FMAN/FMC. De notre point de vue, il s'agit du premier critère de choix que nous souhaiterions vous voir prendre en compte.
En somme, il ne faudrait pas que vous décidiez de remplacer le Harpoon par un missile qui serait encore disponible à l'horizon 2030 avec une performance qui satisferait le besoin à cet horizon. Cela dit, je ne crois pas que cela existe. Autrement dit, en 2023, sauf erreur de ma part, vous n'aurez pas accès à un missile de même performance que celle que nous recherchons pour 2030. Cela signifie que la décision qui sera prise portera forcément sur une période de relativement courte durée, disons dix ans, et pour des performances qui ne sont pas celles que nous visons à terme. Je le répète, il ne faudrait pas remettre en cause l'objectif de construire ensemble le missile FMAN/FMC avec les performances que nous visons à l'horizon 2030.
Deuxièmement, nous avons un missile, l'Exocet, et bien entendu, nous sommes tout à fait prêts à vous le proposer afin de combler ce trou capacitaire, en lieu et place du Harpoon !
(Traduction). À l'écoute de vos réponses, je me demande, M. Barre, si votre formation initiale n'était pas davantage tournée vers la diplomatie que vers l'industrie car elles étaient fort diplomatiques ! Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui pourrait mettre en péril cette coopération ? Vous estimez que, peu importe la solution retenue pour faire face au trou capacitaire, qu'il s'agisse de l'Exocet ou autre, cette solution ne doit pas mettre en péril notre coopération. Quels sont les autres points qui pourraient mettre en danger notre coopération ? Selon vous, notre coopération pourrait être mise en danger si nous nous tournions vers un missile qui n'est pas produit par MBDA ?
Nous craignons que le remplacement du Harpoon auquel il vous faudra procéder en 2023 vous conduise à choisir un missile, quel qu'il soit, qui reporte du côté britannique le calendrier de mise en service que nous visons pour le FMAN/FMC. Pour l'instant, nos calendriers sont parfaitement alignés : nous voulons tous deux disposer d'une capacité FMAN/FMC en 2030. Il ne faudrait pas que le fait que vous mettiez en service un missile anti-navires post-Harpoon en 2023 repousse, pour le Royaume-Uni, l'horizon d'aboutissement de ce projet. Si tel était le cas, nous nous retrouverions avec des calendriers de besoins décalés. Or, comme je l'ai dit tout à l'heure, la première condition pour qu'une coopération fonctionne est d'avoir des calendriers aussi proches que possible entre les différents partenaires. C'est là, à mon avis, le risque essentiel.
(Traduction). Merci pour votre réponse très éclairante. Je ne crois pas qu'une décision ait été prise pour le moment, ni même envisagée, au Royaume‑Uni. J'ai néanmoins toujours jugé préférable d'anticiper les difficultés potentielles avant qu'elles ne surviennent. Lors de notre réunion conjointe à Londres, les représentants de notre ministère de la Défense ont évoqué l'autonomie stratégique et les « lignes rouges », notamment en ce qui concerne l'échange d'informations sensibles. Selon vous, quelles sont ces lignes rouges ? Quelles difficultés sont apparues lors de la phase de concept dans la mise en œuvre de la coopération entre nos deux gouvernements ? Certaines choses vous paraissent‑elles problématiques à l'heure actuelle ?
C'est un sujet auquel mon homologue britannique et moi-même avons effectivement été attentifs, ces derniers temps, pour permettre que l'étude de concept soit aussi efficace que possible. Dans cette étude de concept, il faut comparer plusieurs solutions de missiles en termes de capacités de pénétration des défenses ennemies, dont la performance ne cesse de croître avec le temps. Grossièrement, il y a deux schémas de missiles de pénétration de haute performance envisagés : le missile supersonique manœuvrant, c'est‑à‑dire un missile qui va vite et qui manœuvre en arrivant sur les défenses ennemies, ou bien le missile furtif, c'est-à-dire un missile qui est indétectable le plus longtemps possible, mais qui est nécessairement subsonique. Jusqu'à présent, nous, les Français, avons beaucoup travaillé sur le supersonique manœuvrant tandis que vous, les Britanniques, avez surtout travaillé sur le subsonique furtif. Ces travaux ont généré des données sensibles.
Nous avons pour difficulté le fait que nous devons réaliser cette étude de concept de manière la plus objective et la plus complète possible en ayant, les uns et les autres, des données sensibles à protéger, mais que nous devons échanger de la manière la plus efficace possible. Voilà ce qu'on appelle les « lignes rouges ».
Nous sommes convenus, avec mon homologue britannique, de surveiller effectivement cette éventuelle difficulté au fur et à mesure de l'avancement de l'étude. Jusqu'à présent, elle ne nous a pas empêchés de travailler. Néanmoins, de manière honnête et réaliste, plus on avance dans la comparaison des différents concepts, plus la difficulté croît et plus il faut mettre de la bonne volonté de chaque côté pour la résoudre.
Monsieur le délégué général, avant tout merci pour vos réponses, qui ont notamment permis de répondre aux questions et préoccupations de nos homologues britanniques. Compte tenu des porteurs qui vont être retenus, en particulier dans l'aérien, il y a des contraintes selon que les missiles seront employés sur le F-35, que les Britanniques vont continuer à acquérir, sous Rafale ou, si l'on va plus loin, sur le Tempest. Parviendrons-nous donc à trouver une solution commune ?
Deuxièmement, je souhaite aussi revenir sur la question de l'opposition entre une solution furtive subsonique et une solution supersonique manoeuvrante. Je sais que vous ne pourrez pas répondre à cette question mais j'ai cru comprendre qu'une famille de missiles puisse être envisagée, ce qui répondrait à nombre de nos préoccupations, en termes de calendrier ainsi qu'en termes d'expertise. Pouvez-vous me donner votre sentiment à ce sujet ?
Le fait que les Britanniques aient le F-35 et nous le Rafale, et que demain nous travaillons au SCAF côté français et au Tempest côté britannique, n'est pas en soi un problème, mais une contrainte. Cela contraint le gabarit et les interfaces du missile pour l'emporter sous l'avion. C'est une contrainte avec laquelle il faut vivre et qui n'est pas en soi dirimante au stade de l'étude, ni même au moment du choix.
Ensuite, vous mettez le doigt sur la clé de l'étude de concept que nous conduisons. Allons-nous converger ou non sur une solution supersonique manoeuvrante et/ou une solution subsonique furtive ? À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous répondre. L'industriel y travaille et nous suivons cela avec la plus grande attention. Vous le dites, ce n'est pas la question la plus simple, puisque les deux concepts ne sont pas du tout identiques. Il faut que l'on essaye de déboucher, les uns et les autres, sur le meilleur optimum possible dans le champ de nos contraintes respectives. La « Key Review » de février 2019, qui est la prochaine étape du développement du programme, est un rendez‑vous important, parce qu'elle permettra d'avoir une nouvelle sélection des concepts qui sont étudiés – actuellement, nous avons sept concepts en lice. Nous poursuivrons l'analyse de manière aussi objective que possible afin de réduire cette liste. La possibilité d'aboutir à une famille regroupant tel ou tel avantage de plusieurs concepts sera également étudiée. Avec seulement dix-huit mois de travail derrière nous, je ne peux pas vous en dire plus à ce stade.
Je me permets néanmoins de revenir sur l'excellente question de mon collègue. On voit que le couple plateforme-mission a son importance. Si j'ai bien compris, sur le Rafale, c'est plutôt la capacité de frappe dans la profondeur et de remplacement du SCALP que l'on cherche à mettre en œuvre. En matière de plateforme aéroportée, la capacité anti-navires pourrait plutôt être portée par un autre type de porteur, à savoir l'avion de patrouille maritime du futur. Le missile anti-navires pourrait de plus être adapté aux bâtiments de surface, eux-mêmes déjà équipés de missiles de frappe dans la profondeur de longue portée, qu'il s'agisse du MdCN côté français ou du Tomahawk côté britannique. Nous pourrions donc disposer de ces deux types de vecteurs, dont le développement pourrait avancer en parallèle afin d'assurer la modularité, mais dont la mission ne serait pas forcément la même en fonction de la plateforme.
Peut-être me suis-je mal exprimé mais je vous confirme que la capacité anti-navires du futur missile est aussi destinée au Rafale et au SCAF. Aujourd'hui, le Rafale est équipé non seulement du SCALP, pour la frappe en profondeur, mais aussi de l'Exocet dans sa version air-mer pour la capacité anti-navires. Nous voulons donc renouveler cette capacité air-mer sous Rafale avec le FMAN, de la même manière qu'elle existe aujourd'hui. Nous mettrons aussi une capacité anti-navires, mais non une capacité de frappe dans la profondeur, sur l'avion de patrouille maritime.
La meilleure solution ne serait-elle pas de privilégier une famille où l'on retient le supersonique manoeuvrant pour la capacité anti-navires et le subsonique furtif pour les actions dans la profondeur ?
Encore une fois, je crois qu'il faut que l'étude se fasse et que l'on compare les différents paramètres. Je n'ai pas de pronostic, encore moins d'intuition dans le domaine. Permettez-moi de rappeler qu'aujourd'hui, dans le cadre de cette étude, nous sommes encore en train d'affiner le besoin opérationnel. Tout ce dont nous parlons en effet aujourd'hui dépend d'abord de la définition par nos armées d'un besoin opérationnel précis. Nous disposons aujourd'hui de documents préliminaires. Il faut que, pendant toute la phase du concept, nous parlions certes des concepts, mais aussi que l'on arrive à un besoin opérationnel plus finement défini. Aujourd'hui, et c'est l'ingénieur et non le diplomate qui parle : je n'ai pas les éléments pour me prononcer.
(Traduction). Avant tout, merci pour l'ensemble des éléments dont vous nous avez fait part jusqu'à présent. Vous avez indiqué dans votre propos liminaire, que le calendrier était marqué par la « Key Review » de février 2019, par la fin de la phase de concept en 2020 puis par le lancement du programme en 2024. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la période 2020-2024 ? Selon vous, que va-t-il se passer durant ces années ? La signature d'un protocole d'entente entre nos deux pays vous paraît-elle pertinente ? Que devrait-il contenir ? Pensez-vous qu'il sera amené à évoluer sur la période ? Ou alors pensez‑vous que cette phase se déroulera sur le fondement d'un document plus ferme sur le plan juridique ?
En France, le processus d'acquisition est régi par une instruction ministérielle relative à la conduite des programmes d'armement, qui distingue un certain nombre de stades et de phases, au sein de ces stades. Aujourd'hui, nous sommes en train de conduire une phase de faisabilité : la phase de concept conjointe, qui court jusqu'en 2020. Ensuite, conformément à notre processus interne français, après la phase de faisabilité, nous établissons un dossier de choix, c'est-à-dire que nous proposons à notre ministre l'étude, détaillée cette fois-ci, d'un ou plusieurs systèmes qui feront l'objet d'une phase de design. En 2020, nous entrerons dans une telle phase de design, pour une durée de l'ordre de quatre ans. À l'issue de cette phase, nous proposerons, en 2024, le lancement du développement et de la réalisation du produit de manière à être au rendez-vous de 2030. Voilà comment est orchestré notre processus de préparation et de conduite des programmes.
Au Royaume-Uni, une Initial Gate est l'équivalent de ce que j'ai appelé notre dossier de choix. Fin 2020 ou début 2021, nous sommes alignés : du côté français, nous avons à proposer un dossier de choix et, du côté britannique, vous avez à franchir une Initial Gate. Ensuite, nous nouerons les accords nécessaires au lancement de la phase de design, puis en 2024, à la phase de réalisation du projet.
(Traduction). Vous nous avez présenté votre processus d'acquisition et vous avez indiqué que nous nous approchions de la phase de design. Un peu plus tôt, vous nous avez aussi parlé de MBDA en des termes très élogieux. Je voulais savoir si vous étiez néanmoins ouverts à une mise en concurrence avant l'entrée dans la phase de design. Selon vous, MBDA est-elle la seule entreprise à même de remplir tous les critères que nous établirons ensemble ? Ou pensez-vous que regarder ce que fait la concurrence, notamment Raytheon et Thales, est une bonne solution ?
La réponse est non. Je ne crois pas que nous mettrons en compétition MBDA à l'issue de la phase de concept. Premièrement, comme je l'ai déjà souligné, MBDA est le seul missilier européen. Nous l'avons construit ensemble, et cet acteur représente un atout stratégique majeur pour nos deux pays. C'est donc à MBDA qu'échoit le rôle de développer ces missiles. Il n'y a pas d'alternative en Europe. Si nous voulions faire une compétition qui ait du sens, il faudrait la faire avec un industriel américain. En tant que délégué général pour l'armement, je n'y suis pas favorable.
Deuxièmement, au fur et à mesure de l'avancée d'un programme de cette ampleur, on acquiert du savoir-faire, on partage des technologies et des données sensibles. Aussi, on ne peut pas remettre en cause le choix initial après avoir franchi de telles étapes. Pour ces deux raisons, nous n'imaginons pas mettre MBDA en compétition pour la phase de design.
(Traduction). Qu'il me soit permis de vous saluer, Monsieur le délégué général, pour cette réponse particulièrement honnête et franche. Avez-vous déjà échangé avec vos homologues à Londres sur ce sujet et, le cas échéant, ont-ils les mêmes certitudes que vous sur nos options d'acquisition ?
Effectivement, nous n'en avons pas encore discuté de manière ferme et définitive. Cela fait un an que je suis délégué général pour l'armement ; je vais rencontrer prochainement, à la fin du mois d'août, mon troisième interlocuteur britannique.
J'encourage Monsieur le délégué général et son nouvel homologue à se poser la question et à s'exprimer aussi clairement que ce qui a été exprimé ici.
Quels sont, selon vous, les principaux avantages économiques, financiers, stratégiques et industriels de la conduite de ce programme d'armement en bilatéral ? Quelle est l'importance de ce programme pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) française ?
Deuxièmement, quelles sont les conséquences potentielles du Brexit sur la conduite de ce programme bilatéral et, plus largement, sur l'initiative One‑MBDA ? Pour vous, un nouvel accord intergouvernemental sera-t-il nécessaire pour la mise en œuvre des accords de Lancaster House, par exemple pour ce qui concerne les questions douanières ?
J'ai évoqué l'intérêt de la coopération dans mon intervention liminaire. De manière plus générale, la coopération dans le domaine des armements répond à un certain nombre d'objectifs. Le premier est politique. La construction de l'Europe de la défense passe notamment par la coopération sur les systèmes d'armes, et il s'agit selon moi d'un axe fort de la LPM 2019-2025.
Deuxièmement, il existe un objectif opérationnel. Quand on construit ensemble des systèmes d'armes tels que ces missiles extrêmement sophistiqués, ils sont plus facilement interopérables. Lorsque les Britanniques, les Américains et les Français ont frappé en Syrie, il y a quelques semaines, l'opération a été facilitée par l'interopérabilité entre nos forces.
Ensuite, il y a un intérêt économique, ne serait-ce que parce que nous partageons les coûts de développement. Dans le cadre de la phase de concept que nous conduisons actuellement, nous avons notifié un contrat de cent millions d'euros à MBDA, dont le montant a été partagé en deux parts égales, cinquante millions pour les Britanniques et cinquante millions pour les Français. Nous avons partagé le coût de l'étude comme nous serions amenés à partager le coût du développement ultérieur. Enfin, le coût de série dépend du nombre de missiles réalisés. Si on fait le même missile pour les forces britanniques et les forces françaises, on en construira davantage, ce qui réduira le prix unitaire du missile.
Dernier avantage, cette coopération permet de répondre à l'enjeu industriel, incarné par MBDA, qui constitue notre acteur industriel commun dans le domaine des missiles.
Ce programme, comme tous les autres programmes de coopération d'armement avec le Royaume-Uni que j'ai évoqués, fait l'objet d'un accord bilatéral. Ceci est logique dès lors que nous nous situons dans le domaine de la souveraineté nationale. Si nous poursuivons en commun notre aventure sur le programme FMAN/FMC, il faudra évidemment passer les accords de coopération bilatéraux complémentaires, puisque, actuellement, notre accord se limite à la phase de concept conjointe.
En tant que délégué général pour l'armement, je considère que le Brexit est d'abord une question politique. Le Gouvernement français s'est déjà exprimé pour dire qu'il fallait poursuivre la coopération dans le domaine de la défense avec le Royaume-Uni. Je n'ai rien à ajouter, si ce n'est que je m'en félicite parce que, effectivement, nous faisons des choses importantes dans le domaine de l'armement. En revanche, j'avoue être incapable de vous répondre sur l'éventuel impact de la réglementation douanière post-Brexit, qui d'ailleurs n'est pas encore définie aujourd'hui. Si problème il y avait, nous le traiterions, à mon avis, dans le cadre d'un accord bilatéral. Je pense que tout problème de ce genre est soluble.
(Traduction). Merci pour l'optimisme de votre réponse. Dans la plupart des cas, il s'agit d'une simple question de volonté politique et de volonté de se concentrer sur les principaux sujets. Nous reconnaissons les difficultés que vous pouvez avoir dans vos échanges avec vos homologues britanniques face à l'importance du « turn-over » au sein de notre ministère de la Défense. Néanmoins, à quelle fréquence ont lieu les échanges avec notre ministère et la DE&S ? Par ailleurs, les réunions bilatérales de suivi de l'état d'avancement du programme sont-elles fréquentes ?
D'abord, pour chaque programme, nous avons une organisation conjointe. Par exemple, pour le programme FMAN/FMC dont nous parlons, un bureau commun de conduite du programme regroupe nos équipes régulièrement et en tant que de besoin. Ensuite, la DGA et le ministère chargé des acquisitions militaires britannique, ainsi que le DE&S entretiennent des contacts plus généraux. Au total, je dirais que je participe tous les trois mois à une réunion avec mes homologues britanniques, le ministre des acquisitions militaires d'un côté et le président-directeur général du DE&S de l'autre côté.
(Traduction). Ma dernière question porte sur la question de l'« exportabilité » des missiles. Dans quelle mesure cette dimension pèsera-t-elle dans la décision finale ? Dans quelle mesure essayons-nous d'aligner, non seulement nos besoins techniques, mais également les critères qui feront que la solution développée sera exportable ?
Vous avez tout à fait raison de soulever ce point. Je pense en effet qu'il n'y a pas de coopération possible et efficace entre nos deux nations sur tel ou tel système d'arme, y compris celui dont nous parlons aujourd'hui, si nous ne nous mettons pas d'accord sur des règles communes d'exportation. Nous avons chacun un système de contrôle des exportations et il faut que, dans les accords de coopération, l'on s'accorde sur ces règles de manière à avoir une politique commune en la matière. C'est très important.
(Traduction). Permettez-moi de solliciter une petite clarification. Les systèmes que nous envisageons sont des systèmes lancés d'aéronefs ou de surface. Mais imaginons-nous les mêmes systèmes sur ces deux types de plateforme, marines et aériennes, ou envisageons-nous deux systèmes différents ? Quid des lancements depuis des sous-marins ?
En qui concerne le FMAN/FMC, nous ne travaillons pour l'instant que sur les lancements depuis des plateformes marines et aériennes. La France dispose en effet d'une version sous-marine de l'Exocet, le SM39, que nous aurons à remplacer. Nous étudierons en temps utile si nous pourrons dériver une application sous‑marine à partir de ce que nous aurons fait dans le cadre du programme FMAN/FMC. Pour l'instant, nous n'avons pas engagé les études et les travaux nécessaires.
À terme, qu'il soit court, moyen ou long, d'autres pays auraient-ils vocation à rejoindre ce programme franco-britannique ?
Hormis la France et le Royaume-Uni, aucun pays en Europe ne dispose à ce jour de capacités de frappe dans la profondeur. D'autres pays pourraient donc rejoindre le programme, mais cela dépendra de la réflexion dans d'autres pays voisins. Cela dit, je crois que, tel qu'il est parti, le programme FMAN/FMC sera réalisé en franco‑britannique. Encore une fois, ce programme est devenu le cœur de notre coopération en matière de systèmes d'armes. Je crois qu'il est important que nous menions à terme la phase de concept conjointe, que nous franchissions avec succès la « Key Review » en février 2019 et, qu'en 2020, nous prenions ensemble la décision de continuer, avec MBDA, pour la suite du programme.
Merci pour vos réponses. Il me semble que notre audition montre combien, du côté de la DGA du moins, il existe une volonté claire et un engagement de poursuivre la coopération franco-britannique. Je vous propose de lever notre séance. Merci encore aux représentants de la DGA.
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.