Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 4 mars 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. le docteur Laurent Treluyer, directeur, Mme Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du directeur, et Mme Elisa Salamanca, responsable du département Web, Innovation, Données, de la direction des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

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Nous poursuivons nos auditions sur la souveraineté numérique et les données de santé. Après avoir échangé avec les représentants du Health Data Hub et du Ouest Data Hub, au mois de février dernier, nous recevons aujourd'hui trois représentants de la direction des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).

L'AP-HP rassemble 39 hôpitaux qui accueillent chaque année plus de huit millions de patients. Elle agit en faveur de la transformation numérique de notre système de santé au service d'une meilleure prise en charge des patients. L'utilisation du logiciel Orbis, par exemple, facilite la dématérialisation des informations de santé et leur échange entre praticiens. L'AP-HP possède également un entrepôt de données de santé : celui-ci constitue un outil de recherche et d'expérimentation des technologies de pointe, comme l'intelligence artificielle et le big data. L'AP-HP est donc directement concernée par les enjeux de protection des données et des systèmes d'informations face aux cyberattaques.

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Je souhaite vous interroger sur trois points en particulier.

Je souhaiterais tout d'abord que vous nous présentiez un état des lieux de la politique du numérique de l'AP-HP : nous aimerions disposer d'une vision claire des principales initiatives mises en œuvre dans ce cadre. Notre mission d'information portant sur le thème de la souveraineté numérique, j'aimerais savoir comment vous appréhendez cet enjeu et comment vous l'intégrez à vos choix technologiques. Cela nous permettra d'échanger sur les principaux choix techniques effectués et leurs motivations. Enfin, pour être complet sur la transformation numérique de la santé, je voudrais savoir comment ces évolutions sont perçues par les acteurs de la santé et de quelle façon il est possible de les mobiliser au service de cette politique.

Ma deuxième question concerne la collecte et la gestion des données de santé. Plusieurs initiatives sont à l'œuvre en la matière, et l'une d'entre elles a été fortement médiatisée : le Health Data Hub. En 2019, le directeur de l'AP-HP, M. Martin Hirsch, s'était inquiété de ce que « le Health Data Hub puisse fragiliser l'expertise des centres hospitaliers sur leurs données ». Je voudrais savoir si ces inquiétudes sont levées, d'une part, et, d'autre part, recueillir votre avis sur le recours, par le Health Data Hub, à une solution américaine, le cloud Azure de Microsoft, pour héberger les données. Je souhaiterais également vous entendre, en comparaison, sur le fonctionnement concret de l'entrepôt de données de l'AP-HP.

Enfin, l'actualité récente est marquée par des cyberattaques contre les systèmes d'information des établissements de santé. Face à la sophistication de la menace cyber, comment est-il possible, selon vous, de garantir un niveau de protection maximale à nos infrastructures numériques, en particulier dans le domaine de la santé ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

L'AP-HP est un établissement universitaire qui couvre Paris et sa petite couronne : il réunit 39 établissements et plus de 100 000 personnels médicaux et non médicaux. Nous avons défini cinq axes pour le développement de nos systèmes d'information – ces axes ont été renforcés en 2015 dans les schémas directeurs pour la période 2015-2020.

Le premier axe consiste à établir un système d'information orienté sur le patient. L'objectif d'Orbis est de permettre à l'ensemble des professionnels de santé de l'AP-HP d'utiliser le même outil et d'accéder au même dossier patient informatisé sur l'ensemble de l'AP-HP. Ce logiciel couvre des fonctions extrêmement larges : le dossier médical, la prescription, les urgences et le dossier social. Nous avons déployé cet outil dans 80% de nos services et au sein de l'ensemble de nos établissements. Ce déploiement a commencé il y a près de dix ans et devrait prendre fin en 2022. Cet outil, maintenant largement déployé au sein de l'AP-HP, permet un meilleur suivi des patients tout au long de leurs parcours. À titre d'exemple, un malade arrivant aux urgences de Lariboisière, transféré à la Pitié Salpêtrière en réanimation, puis admis en soins de suite dans un autre hôpital, dispose du même dossier patient tout au long de son parcours et bénéficie d'un suivi extrêmement précis de ses données médicales. Plus de 10 millions de patients et 80 000 utilisateurs sont aujourd'hui référencés dans Orbis.

Nous avons également informatisé l'ensemble de nos plateaux médico-techniques. Un outil commun à l'ensemble de l'AP-HP permet à tous les radiologues et les cliniciens de consulter les radios, les scanners et les imageries par résonance magnétique (IRM) réalisés dans tous les établissements de l'AP-HP. Nous avons également mis en place un système d'échange avec nos collègues des autres établissements publics et privés, à l'échelle régionale. Nous avons également informatisé l'ensemble des parcours de soins en biologie. Ce travail de refonte est long, et nous menons également un important travail de mutualisation. En médecine nucléaire, par exemple, nous utilisions par le passé quatre logiciels différents : nous avons acquis un seul logiciel pour l'ensemble des douze services de médecine nucléaire de l'AP-HP. Ce travail de refonte, de mutualisation, de consolidation de nos dossiers patients a lieu en continu.

Nous avons également travaillé sur les parcours et les territoires de santé. Nous avons implanté de nouveaux outils comme la messagerie de sécurité de santé, qui permet en particulier de fluidifier les relations avec les médecins traitants. Nous expérimentons et déployons également le dossier médical partagé (DMP), ainsi que des outils régionaux comme Terr-eSanté.

Nous avons également voulu fortement améliorer la relation avec les patients. Pour cela, nous avons mis en place un portail « patient » : 15 000 patients étaient inscrits au 15 janvier 2020, ils sont plus de 160 000 désormais. Grâce à ce portail, les patients peuvent s'inscrire dans nos établissements, préparer leur parcours administratif grâce à la préinscription administrative, prendre rendez-vous, procéder aux règlements de leurs soins ainsi qu'accéder à l'ensemble de leurs comptes rendus et de leurs ordonnances. Ce service a connu une montée en puissance très importante tout au long de l'année 2020. Nous déployons également de nouveaux services sur le portail : il sera prochainement intégré dans l'espace numérique de santé.

Nous avons également refondu toutes nos activités de gestion financière, logistique et patrimoniale. Nous évoluons ainsi vers la dématérialisation des bulletins de paie. La fonction publique hospitalière, contrairement à la fonction publique d'État, n'a pas l'obligation de dématérialiser les fiches de paie. Le directeur général a décidé d'évoluer vers la dématérialisation. Nous avons également refondu l'ensemble de nos logiciels de facturation : nous utilisions par le passé un seul outil, qui était implanté dans nos 39 hôpitaux. Nous utiliserons désormais un seul outil mutualisé pour l'ensemble de nos hôpitaux et relié à Orbis. Nous avons également investi dans les outils de gestion des ressources humaines.

Nous menons également un travail important sur nos infrastructures, nos systèmes d'information, l'architecture et l'hébergement. Ces travaux sont très conséquents et grandement consommateurs de ressources et de compétences.

Notre dernier axe « recherche » porte sur les systèmes d'information qui aident la recherche. Cet axe représente un investissement important. Le directeur général a ainsi souhaité implanter dès 2015 un entrepôt de données de santé, qui collecte l'ensemble des données de santé de l'AP-HP et les met à disposition des chercheurs. L'AP-HP est également opérateur national pour la banque nationale des données de maladies rares, et opérateur du projet SeqOIA sur la bioinformatique. Elle est également opérateur et maître d'œuvre du système d'information de dépistage populationnel (SIDEP), un des trois grands projets pour le suivi de la crise COVID.

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Elisa Salamanca, responsable du département Web, Innovation, Données, de la direction des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

La création de l'entrepôt de données de santé a été engagée à la fin de l'année 2015. Il se compose de structures organisationnelles et de gouvernance ainsi que d'infrastructures technologiques. Je vous présenterai, pour ma part, les choix technologiques opérés pour développer ces différentes infrastructures.

L'entrepôt de données de santé repose sur la collecte des données, puis sur leur consolidation : il s'agit de leur mise en forme, leur mise en qualité, leur standardisation. Interviennent ensuite les outils mis à disposition pour traiter les données, c'est-à-dire l'infrastructure de calcul.

Nous distinguons en la matière trois grands cas d'usage. Le premier, et le plus connu des cas d'usage, concerne la mise à disposition des données de soins à des fins de recherche ou d'appui à la recherche clinique. Le second cas d'usage concerne le pilotage : il s'agit d'utiliser les données médicales pour piloter l'activité hospitalière. Enfin, le dernier cas d'usage bénéficie à l'innovation : il consiste à réutiliser les données pour faciliter l'innovation numérique, par exemple par le développement d'algorithmes d'intelligence artificielle ou par la création d'interfaces d'accès standardisées aux données de l'AP-HP.

Nous avons choisi l' open source pour développer l'entrepôt des données de santé pour des raisons assez diverses. Tout d'abord, aucun outil sur étagère n'était capable de traiter notre projet dans sa globalité. Nous nous sommes donc appuyés sur l'outil i2b2 (Informations for Integrating Biology & the Bedside) : ce logiciel permet de créer des cohortes de patients. Il s'agit d'un outil open source développé par un hôpital aux États-Unis, qui est aujourd'hui utilisé par environ 250 hôpitaux dans le monde. Le recours à l' open source permet de bénéficier d'une très grande communauté. Nous avons souhaité nous insérer dans cette communauté internationale de l' open source, pour deux raisons principales : d'une part, aucun outil propriétaire n'était disponible sur le marché pour répondre à l'ensemble de nos besoins ; d'autre part, nous souhaitions maîtriser les outils que nous mettions en place et jouir d'une certaine indépendance. En matière de stockage de bases de données par exemple, nous utilisons PostgreSQL plutôt qu'Oracle. La maîtrise des coûts entre évidemment également en jeu : les solutions open source sont parfois moins chères que les solutions propriétaires. Enfin, nous estimions qu'utiliser l' open source nous permettait d'atteindre une meilleure capacité d'adaptation et d'être plus agiles dans le déploiement de nos outils.

Comment s'est construit l'entrepôt de données de santé ? La base de données de l'AP-HP contient à ce jour les données de plus de treize millions de patients. Nous avons mis en place la plateforme Jupiter, qui permet aux équipes de recherche de travailler sur les cohortes d'intérêt. Chaque espace de travail dispose des outils de data science classiques comme Python et R, et a accès à notre cluster de calcul qui est capable de conduire tout type de traitement sur les données : il permet de procéder aussi bien à des biostatistiques classiques qu'à de l'apprentissage automatique grâce à la puissance de calcul mise à disposition.

L'AP-HP a fait le choix, dès 2015, d'opter pour une infrastructure on-premise et non en cloud. Ce choix répondait à deux considérations : d'une part, la communauté médicale avait exprimé le souhait de maîtriser les données de l'AP-HP ; d'autre part, nous n'avons pas ressenti, jusqu'à présent, le besoin technique de recourir à des infrastructures cloud extérieures. La puissance de calcul que nous sommes capables de mettre à disposition de nos équipes de recherche est largement suffisante pour couvrir les besoins des projets en cours. Plus d'une centaine de projets ont été déposés auprès de nos instances et une centaine de projets sont aujourd'hui en cours sur nos infrastructures. La mise à disposition des données à des fins de recherche bénéficie donc d'une stack logicielle open source.

En revanche, en ce quoi concerne l'utilisation des données de santé pour le pilotage de l'activité hospitalière, nous avons eu recours à un outil existant sur le marché. Il était à la fois plus efficace et moins coûteux de s'appuyer sur cet outil, qui répondait complètement à nos besoins. Nous avons donc choisi une solution propriétaire d'IBM. Nous utilisons cette solution pour produire des indicateurs que nous restituons aux cliniciens, aux cadres de services médicaux, à la direction générale et aux directions des groupes hospitalo-universitaires.

Les choix opérés en matière de solutions technologiques nous laissent donc aujourd'hui la capacité de créer des interfaces entre plusieurs solutions. Par exemple, en matière de services d'information pour la recherche, nous souhaitons créer une boucle de rétroaction, c'est-à-dire alimenter la recherche clinique avec les données de soin et vice-versa. Nous travaillons ainsi à la fois avec des éditeurs de logiciels et avec des solutions open source, pour ouvrir un large spectre d'outils à nos chercheurs et couvrir l'intégralité de leurs besoins.

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Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

L'AP-HP a organisé une gouvernance de la donnée, principalement centrée aujourd'hui sur l'entrepôt de données de santé, mais qui a vocation à s'étendre à l'ensemble des données de vie réelle produites au sein de notre centre hospitalier universitaire (CHU). L'entrepôt de données de santé ne couvre en effet qu'une partie des données de santé, car les données qui y sont stockées sont structurées et directement exploitables.

La gouvernance s'organise en trois niveaux. Le niveau de terrain, d'abord, est extrêmement important. Il rassemble, au sein des départements hospitalo-universitaires (DHU), des data scientists en poste au sein des unités de recherche clinique. Ces unités sont dirigées par des professeurs d'université et des praticiens hospitaliers qui ont pour mission de piloter la recherche clinique de l'AP-HP. Le niveau de terrain rassemble également des représentants des médecins des départements d'information médicale (DIM) qui interviennent sur le versant pilotage. Ces comités d'utilisateurs font remonter les préoccupations du « terrain », et inversement, diffusent les bonnes pratiques mises en œuvre.

Au cœur de la gouvernance se trouve le comité scientifique et éthique (CSE) de l'entrepôt de données de santé. Il est dirigé par Mme Marie-France Mamzer, professeure d'éthique médicale à l'université de Paris. Il rassemble une trentaine de membres. Il a été refondé il y a moins de deux ans pour être plus représentatif et plus adapté à sa fonction : il rassemble désormais non seulement des médecins, mais aussi des praticiens de la recherche (chefs de projets ou biostatisticiens par exemple), des personnels paramédicaux, puisqu'ils utilisent aussi bien que les médecins les données de l'entrepôt de données de santé, des représentants des patients et, enfin, des invités extérieurs. Les invités extérieurs n'ont pas de droit de vote mais ils apportent une expertise complémentaire à celle des cliniciens, notamment dans le domaine des mathématiques appliquées. Le CSE réunit ainsi des représentants de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) ou de l'université de Paris dans ce domaine. Le CSE est ainsi le « cœur du réacteur ». Il a pour mission, dans un certain nombre de cas, de donner accès aux données.

Au sommet de cette gouvernance se trouve un comité de pilotage de la donnée au sein de l'AP-HP. Il est très majoritairement composé de médecins directement intéressés par le sujet, représentants de la commission médicale d'établissement et de ses sous-commissions recherche et numérique. Il est co-présidé par le vice-président « recherche » du directoire de l'AP-HP et par une directrice générale adjointe de l'AP-HP. Ce comité poursuit une vocation décisionnelle : il se réunit chaque trimestre afin de décider des arbitrages et des orientations pour l'ensemble de la politique de la donnée à l'AP-HP.

Comment accède-t-on aux données de l'entrepôt de données de santé ? On distingue quatre cas de figures. Si le périmètre de l'accès souhaité est celui de l'équipe de soins, c'est-à-dire de l'unité fonctionnelle au sein du service, l'accès pour ces personnels est direct et sans formalisme particulier. L'accès se fait via les outils et les portails que Mme Elisa Salamanca a décrits précédemment.

Si le périmètre déborde celui de l'équipe de soins, c'est-à-dire qu'il se situe toujours au sein de l'AP-HP mais qu'il va au-delà de l'unité fonctionnelle, ce cas de figure est celui d'une recherche multicentrique. Le porteur du projet de recherche est tenu d'adresser ce projet pour examen et validation au CSE. Ce comité se réunit mensuellement : sa validation est la condition pour qu'un espace sécurisé d'accès aux données, individualisé et propre à la recherche en question, soit ouvert sur le portail Jupiter avec les outils afférents.

Dans le troisième cas de figure, un projet de recherche, quel que soit son périmètre, associe un partenaire extérieur public ou privé. Dans ce cas, notre commission médicale d'établissement a récemment formalisé les règles d'accès aux données. Ce partenariat est possible à la condition que le CSE ait validé le projet, c'est-à-dire suivant la même procédure que dans le deuxième cas de figure.

Enfin, dans le quatrième cas de figure, la demande d'accès concerne les données de l'entrepôt de données de santé de l'AP-HP, en plus des données de santé d'autres établissements de santé. S'applique alors la procédure classique : le porteur de projet doit bénéficier d'une autorisation délivrée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sous réserve d'examen. Ce cas de figure sort du cadre de référence de l'entrepôt de données de santé de l'AP-HP, qui est celui de l'engagement au respect de la méthodologie de référence dite MR-004 de la CNIL, qui permet les trois cas de figure précédents.

Dans tous les cas, la règle est que les données de santé de l'AP-HP ne sortent pas de l'environnement de l'AP-HP. Le cas exceptionnel dans lequel les données en sortiraient est, le cas échéant, soumis à la validation du comité de pilotage. Ce cas s'est présenté une seule fois, il y a deux ans, dans un projet conduit avec l'Inria : les données ont été temporairement exportées, pour des raisons de puissance de calcul, au centre de l'Inria de Sophia Antipolis. Aucun autre cas ne s'est présenté jusqu'à présent.

Je souhaiterais enfin mentionner les productions réalisées à partir de l'usage de ces données. Il faut distinguer les données de l'entrepôt de données de santé de l'ensemble des données massives de l'AP-HP, lesquelles sont aujourd'hui le plus fréquemment utilisées dans de grands projets de recherche et développement. Nous menons ces projets avec des partenaires privés, soit de projets européens, soit de projets nationaux, de type projets structurants pour la compétitivité, comme par exemple l'action de recherche hospitalo-universitaire en santé (RHU) qui est gérée par l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou par Bpifrance au titre des investissements d'avenir. Nous pourrons évidemment vous transmettre, si vous le souhaitez, la liste des travaux en cours et des objectifs visés ainsi que la liste des publications d'ores et déjà réalisées à partir des données de l'entrepôt de données de santé.

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Comment votre entrepôt de données et l'ensemble de votre gouvernance s'inscrivent-ils dans le projet Health Data Hub ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Il nous semble important que des centres de données régionaux se créent dans les CHU. Il existe une notion de proximité s'agissant des données. Nous constatons tous la difficulté de mettre ensemble des données d'origines diverses dans un monde peu standardisé et non normalisé. Il est illusoire de rassembler dans un même entrepôt de données de santé, par exemple, l'ensemble des données de biologie et de vouloir en tirer de la valeur. Nous avons donc souhaité mettre en place la proximité avec la donnée et la proximité des outils avec nos chercheurs. Considérant la taille de l'entrepôt de données de santé de l'AP-HP, celui-ci réunit aujourd'hui suffisamment de données pour conduire l'ensemble des recherches qui nous sont demandées. Il est un des plus importants et des plus riches entrepôts de données de santé en ce qui concerne la quantité et la qualité de la donnée.

Nous entretenons des liens forts avec le Health Data Hub, car nous conduisons des projets communs de collaboration. Plusieurs de nos personnels sont financés par le Health Data Hub pour un certain nombre d'études. Nous menons donc une discussion permanente avec lui. Même si notre place est très minoritaire dans sa gouvernance, nous sommes néanmoins membre de son conseil d'administration.

Cette articulation n'est pas toujours simple, mais nous y travaillons de manière importante. Nous nous rencontrons régulièrement et nos équipes nourrissent de nombreux échanges. Nous avons par exemple récemment partagé avec le Health Data Hub nos travaux sur le langage naturel. Il s'agit donc d'un processus de travail permanent. Il est vrai, cependant, que notre communauté médicale nourrit une attention particulière quant au transfert de données médicales vers des tiers. Cela fait partie des sujets sur lesquels le Health Data Hub est extrêmement prudent. Ce sujet fait débat au sein du comité de pilotage, et une attention particulière lui est accordée.

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Nous avons récemment auditionné les représentants du Ouest Data Hub, hub interrégional qui fonctionne de manière similaire au vôtre, au regard, à la fois, de l'infrastructure technologique et de la gouvernance de la donnée. Le Health Data Hub, lui, adopte une architecture tout à fait différente. Il constitue donc une couche supplémentaire qui s'ajoute à vos infrastructures, avec un cloud. Comment les deux structures peuvent-elles se marier de façon efficace ? Est-il possible de garder votre gouvernance et votre structure propres tout en contribuant au Health Data Hub ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Je répondrai à votre question en abordant tout d'abord le cloud. Nous ne sommes pas opposés au cloud : nous sommes très attentifs à ce sujet, et nous réfléchissons aujourd'hui à des solutions de cloud souverain. Nous menons ces discussions avec des fournisseurs de cloud. Pour le moment, notre infrastructure supporte la charge de nos besoins en matière de puissance de calcul. Nous savons cependant que nous devrons faire face, à l'avenir, à des demandes de puissance de calcul supplémentaires auxquelles nous ne pourrons répondre. Nous pourrons alors avoir besoin de recourir à des puissances de calcul extérieures, soit via des instituts publics comme l'Inria, soit via des hébergeurs de cloud privés. Il n'y a pas d'opposition au cloud de notre part. Nous sommes face à un vrai sujet technique. Nous menons actuellement des projets pilotes, des expérimentations et des collaborations avec différents fournisseurs de cloud.

Il est nécessaire de penser l'articulation dans la gouvernance. Nous menons actuellement des discussions sur la valorisation des données et un certain nombre de débats sont en cours. Nous défendons le fait qu'il faut différencier nos études. Dans le cas des études de recherche par exemple, les chercheurs formulent certaines de leurs demandes au niveau de l'AP-HP, mais conduisent également des études nationales, pour lesquelles le Health Data Hub a toute sa place. Nous n'allons pas collecter dans notre entrepôt les données de santé de l'ensemble des CHU de France : c'est le travail du Health Data Hub. Les rôles dépendent donc vraiment du périmètre de recherche. Il faut considérer l'articulation comme une complémentarité et non comme une opposition. Nous avons toujours insisté sur le fait que le Health Data Hub intervenait en complémentarité de nos activités. Un entrepôt de données de santé est composé de plusieurs couches et il est normal qu'il existe des couches régionales. Il est évident que chaque groupement hospitalier de territoire (GHT) ne va pas construire son entrepôt de données de santé, en raison des investissements et des compétences importantes requises. Nous ne sommes donc pas en opposition avec le Health Data Hub : il s'agit de construire une complémentarité entre différentes couches, en fonction des besoins de nos cliniciens et de nos chercheurs.

Les débats qui ont cours actuellement concernent par exemple le point de savoir comment nos entrepôts de données de santé régionaux pourraient facilement accéder au système national des données de santé (SNDS). Nous devons travailler avec eux à ce sujet. Ce sont des sujets techniques, qui posent encore des difficultés. Nous devons trouver les bonnes solutions.

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Vous avez opéré un choix très marqué d'utilisation des logiciels open source, notamment en ce qui concerne l'utilisation des données de santé pour la recherche. Ces choix logiciels sont-ils compatibles avec les choix d'autres CHU ou d'autres hubs régionaux d'utiliser des outils sur étagère ? Ou au contraire, cela va-t-il donner lieu à une convergence vers des outils communs ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Il s'agit de vrais choix stratégiques. Je ne crois pas à l'existence d'une solution unique pour l'ensemble du territoire. Il peut y avoir des choix stratégiques différents. Nous devons nous y adapter. Si d'excellents outils étaient mis sur le marché et qu'il était plus simple et moins coûteux de recourir à des logiciels sur étagère, nous le ferions.

Nous avons opéré le choix de l' open source, au départ, car nous n'avions pas les outils nécessaires quand nous avons démarré le projet de l'entrepôt de données de santé. En ce qui concerne le pilotage, en revanche, nous avons recouru à des logiciels du marché. Nous opérons donc des choix très pragmatiques. L' open source fonctionne bien, nous sommes satisfaits de nos solutions et nos chercheurs le sont aussi. Mais nous n'avons jamais décidé de n'utiliser que de l' open source : ces questions pourront se reposer au comité de pilotage si de nouveaux outils efficients et simples émergeaient sur le marché.

Ces expérimentations font partie de l'activité d'un hôpital universitaire comme l'AP-HP, notamment dans nos collaborations avec l'Inria. Nous avons créé un véritable laboratoire de recherche sur les données, en commun avec l'Inria, qui a été inauguré hier. Il est normal qu'un établissement comme l'AP-HP prenne un peu d'avance sur ce type de sujet.

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Je vous ai interrogé, dans mon propos liminaire, sur la cybersécurité. Disposer d'une équipe de développeurs en interne, capables d'utiliser et de développer les solutions dont vous avez besoin à partir de logiciels en open source, constitue-t-il une force pour la protection et la sécurité de vos données ? Cela vous apporte-t-il une réactivité supplémentaire ? Était-ce aussi une composante des choix stratégiques que vous avez opérés dès le départ ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Il s'agit ici davantage de souveraineté que de sécurité. Les grands fournisseurs de cloud américains ont une expertise manifeste et importante en matière de cybersécurité. Évidemment, les hackers sont en train d'essayer de s'infiltrer dans le cloud. On entend dire que le cloud est sécurisé et qu'à l'inverse, les infrastructures on-premise ne le sont pas. Tout cela est un peu plus compliqué : il y a en réalité beaucoup plus de valeur dans le cloud que dans chaque établissement de soin.

L' open source est un choix stratégique de développement. Nous intégrons la cybersécurité dans nos choix de développement le plus en amont possible, selon le principe de security by design et de privacy by design. Il n'est pas simple de disposer des deux aspects, à la fois la sécurité et la confidentialité, dès le démarrage. Nous nous efforçons de le faire avec le responsable de la sécurité des systèmes d'information (RSSI) et la déléguée à la protection des données (DPO) de l'AP-HP. Les éditeurs ont du mal à incarner cette vision : les audits d'intrusion et de sécurité montrent que les éditeurs ont encore du travail à faire pour se mettre à jour à ce sujet.

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Vous vous efforcez d'intégrer la partie cybersécurité très en amont, suivant le principe de security by design. Comment faites-vous ? Utilisez-vous des solutions ou des expertises déjà existantes, par exemple développées par des start-up ? Travaillez-vous vous-mêmes à la création de solutions de cybersécurité ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

La partie développement est une faible partie de notre activité. En matière de systèmes d'information, nous développons des solutions quand nous constatons un manque dans les solutions du marché. Par exemple, nous avons développé le portail pour les patients car nous avons considéré que les solutions disponibles sur le marché n'étaient pas facilement intégrables ou n'offraient pas les services qui nous intéressaient. S'agissant du développement du portail pour les patients, nous avons opté d'emblée pour la security by design et la privacy by design. Cela signifie que les équipes de développement, le RSSI et la DPO sont intégrés dans le cycle de développement. S'agissant de l'entrepôt de données de santé, nous intégrons également ces enjeux plus en amont. Cela n'est pas simple. Nous intégrons donc les enjeux de sécurité dans notre cahier des charges et dans notre expression de besoins.

La cybersécurité couvre un sujet beaucoup plus large que celui de nos propres développements. Les dernières attaques montrent que les hackers n'ont pas attaqué un logiciel du marché : ils se sont introduits par des portes dérobées, par des vulnérabilités de logiciels d'infrastructure. Ils n'ont pas attaqué un dossier patient informatisé. Ils sont entrés par une porte, qui était ouverte pour un tas de raisons, et se sont introduits plus avant dans le système. Il faut y réfléchir.

Nous avons mis en place beaucoup d'outils de sécurité. Nous possédons une bonne sécurité périmétrique : cela signifie qu'entrer et sortir de l'AP-HP est compliqué. Nous avons recours pour cela à des outils classiques du marché : nous avons, par exemple, investi, sur le volet antivirus, dans Vade Secure, qui est une entreprise lilloise. Nous possédons quelques très bons acteurs français en la matière mais nous avons du mal à les valoriser. Vade Secure fait partie des leaders mondiaux sur le sujet. Nous avons opéré un vrai choix afin de soutenir une entreprise française. S'agissant de la cybersécurité, l'AP-HP recourt à des outils classiques, conduits des audits – cela est très insuffisant de mon point de vue, mais ce sujet est devenu très prégnant depuis deux ans.

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Je souhaitais vous interroger sur le code des marchés publics. Lors de son audition, Mme Stéphanie Combes nous a expliqué qu'aucun appel d'offres n'avait été lancé pour le Health Data Hub, mais que si un appel d'offres avait été lancé, Azure de Microsoft aurait été la seule solution en mesure de répondre. Vous expliquez, de votre côté, que vous cherchez à élargir le spectre des solutions à utiliser. Comment composez-vous avec le code des marchés publics pour atteindre cet objectif sans pour autant vous mettre en difficulté juridique ? Procédez-vous systématiquement à un allotissement ? Passez-vous des petits marchés ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Oui, nous faisons de l'allotissement. Auparavant, nous passions de gros marchés de 20 ou 25 millions d'euros. L'allotissement nous a permis de diversifier nos fournisseurs et de disposer d'une expertise beaucoup plus pointue, en recourant à des entreprises spécialisées plutôt qu'à un opérateur très généraliste qui sous-traite.

Le code de la commande publique est une contrainte. Nous sommes passés par une centrale d'achat pour acheter Vade Secure. Il existe trois centrales d'achat public dans le domaine de la santé : l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), le Réseau des acheteurs hospitaliers (RESAH) et la Centrale d'achat de l'informatique hospitalière (CAIH). Ces centrales d'achat passent des appels d'offres. Une grande partie de nos achats se font par leur intermédiaire afin de bénéficier de leur expertise juridique et technique.

Le code de la commande publique interdit de favoriser une entreprise française ou européenne. La situation est différente dans les autres pays : Joseph Biden, dès son investiture, a renforcé le Buy America Act et a obligé les organismes fédéraux à acheter américain. Aux États-Unis, l'achat public constitue une vraie politique, pour des raisons économiques et pour des raisons de souveraineté. Nous ne possédons pas, en France, ces outils-là. Quand nous lançons un appel d'offres, nous pouvons essayer d'y inclure des éléments qui permettront d'orienter les réponses, mais en réalité, toutes les entreprises peuvent être compétitrices.

En matière de cybersécurité, nous sommes opérateurs de services essentiels et nous avons par conséquent déclaré des systèmes d'information essentiels. Nous pouvons donc exiger que certains éléments soient référencés auprès de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Cela nous permet, en partie, d'orienter nos commandes. Mais c'est encore compliqué et cela cause également des problèmes en matière de coûts.

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L'AP-HP a atteint une masse critique assez importante. Vous devez également, je l'imagine, rencontrer vos homologues des CHU ou des centres hospitaliers européens de taille similaire à la vôtre. Ont-ils, eux aussi, les mêmes difficultés en matière de commande publique ? Ou bien la France est-elle la seule à limiter les marges de manœuvre en raison du code de la commande publique ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Nous sommes clairement confrontés aux mêmes sujets que nos collègues français. En matière de comparaison avec nos collègues européens, je ne connais pas les situations et les législations applicables en matière de commande publique en Europe. Nous collaborons avec différents collègues européens dans une organisation rassemblant neuf grands CHU européens, mais nous n'avons pas abordé ensemble la question de la commande publique.

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Existe-t-il des solutions techniques françaises ou européennes qui seraient utilisées par des centres hospitaliers européens et dont vous ne disposez pas ? Autrement dit, un écosystème se crée-t-il autour de vos activités en France et en Europe ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Nous ne savons pas orienter notre commande publique afin de favoriser le développement d'un écosystème français ou européen. Cela constitue, à ma connaissance, un sujet important. Il est plus difficile de discuter avec un donneur d'ordre américain qu'avec un donneur d'ordre français. Je suis très souvent contacté par des commerciaux représentant des donneurs d'ordre américains. Les commerciaux sont sous pression et il est, à la vérité, impossible de discuter avec le vrai donneur d'ordre. Nous avons certainement une plus grande capacité à agir si le donneur d'ordre est en France ou en Europe.

Il s'agit également de savoir comment nous pouvons faire émerger des idées de nos CHU et les valoriser. L'antivirus Vade Secure est le fruit du travail de chercheurs sur l'intelligence artificielle en France. Ils ont cherché à mettre en place une rupture technologique autour de leur outil, s'agissant notamment du phishing, et ont créé une vraie compétence. Ils ont ouvert un bureau en France, à Lille, et un bureau à Boston, et génèrent maintenant un chiffre d'affaires confortable. Il est important de savoir comment nous pouvons les aider. Il est plus facile, pour nous, d'avoir un donneur d'ordre en France qu'aux États-Unis. L'Europe est très ouverte en la matière, à la différence des autres pays comme la Chine, les États-Unis ou la Russie.

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Je souhaite revenir sur les logiciels que vous utilisez. Avez-vous opéré ces choix technologiques car votre fonctionnement est décentralisé ? L'AP-HP rassemble 39 établissements. Vos choix technologiques dépendaient-ils de ce fonctionnement décentralisé, notamment du point de vue de la standardisation des données ?

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Elisa Salamanca, responsable du département Web, Innovation, Données, de la direction des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Ces éléments ne sont pas complètement corrélés. Le Dr Laurent Treluyer l'a expliqué : nos systèmes d'information sont partagés – c'est le cas, par exemple, du dossier patient informatisé. Nous avons donc commencé par nous appuyer sur ces logiciels et sur les données qu'ils contenaient pour constituer l'entrepôt de données de santé de l'AP-HP. Les solutions techniques mises en place pour exploiter les données découlent de cette stratégie de mise en réseau. Nous étions soucieux de créer une offre de service centrale pour tous nos utilisateurs. Mais je ne pense pas que cette question ait guidé nos choix au début.

La question s'est en revanche posée en matière de gouvernance : il s'agissait de savoir comment gérer ces 39 hôpitaux, qui possèdent tous une culture de gestion de la donnée différente et entre lesquels existe toujours, forcément, une compétition interuniversitaire. Les questionnements sur la centralisation et la décentralisation ont donc été plus importants en matière de gouvernance et de règles d'accès aux données. Ces questionnements persistent aujourd'hui. Face aux initiatives historiques de certains de nos hôpitaux – à titre d'exemple, un entrepôt de données de santé existe dans l'un des hôpitaux de l'AP-HP depuis plus de dix ans –, il s'agit pour nous de savoir comment offrir le même niveau de service à tous les chercheurs.

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S'agissant de la gouvernance, vous avez mis en place un comité scientifique et éthique réunissant des médecins, des chercheurs, des paramédicaux, des représentants de patients. Disposer d'une telle instance était-il important en matière de management et de culture au sein de l'AP-HP, notamment pour favoriser l'acceptation de l'entrepôt de données de santé et son utilisation ?

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Elisa Salamanca, responsable du département Web, Innovation, Données, de la direction des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Cela était essentiel. Ce comité a été parmi l'un des premiers points abordés, lorsque nous avons lancé le projet en 2015. Nous avons rassemblé la communauté médicale et les représentants de patients afin qu'ils se donnent des règles communes pour partager ces données. Sans ces règles communes, notre entrepôt de données de santé n'aurait pas pu connaître un tel essor.

Ces questions sont encore aujourd'hui présentes : nous avons dernièrement refondu les règles d'accès de notre entrepôt de données de santé ; cela a été discuté avec les collégiales médicales de l'AP-HP et la présidente du CSE. Ces sujets sont essentiels. Ils permettent de faire émerger un débat sur ce qu'est un entrepôt de données de santé, quelles règles nous lui fixons et quels objectifs sont poursuivis avec l'utilisation de ces données. Il est normal de discuter régulièrement de ces sujets car cela constitue une des conditions d'acceptation du projet. Des chercheurs vont déposer des demandes d'accès aux données de l'entrepôt parce que des règles d'accès ont été partagées et que les utilisateurs sont en phase avec la manière dont les données sont utilisées. La gouvernance était essentielle pour que le projet puisse se développer.

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Dès le départ, nous avons défini non seulement des règles d'accès à la donnée, mais aussi d'information et d'utilisation des données. Nous avons également récemment rediscuté des règles de publication. Ces éléments sont extrêmement importants pour nos médecins et pour nos professeurs des universités et praticiens hospitaliers (PUPH). Nous avons voulu intégrer dans cette gouvernance des lieux de discussion. Nous n'aurions pas pu mener à bien ce projet sans cette gouvernance et sans le travail du professeur Marie-France Mamzer, qui a été essentiel. Nous ne pouvons pas nous en passer. Nous avons d'ailleurs été le premier entrepôt de données de santé à être autorisé par la CNIL, et ce point a été souligné par la CNIL dans son autorisation.

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Quelles discussions menez-vous aujourd'hui sur la valorisation des données et qu'en attendez-vous ? La construction d'un entrepôt de données de santé et sa maintenance ont évidemment un coût. Comment est-il possible de valoriser les données collectées ?

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Cette question fait partie des débats qui ne sont pas complètement clos avec le Health Data Hub. Pour nous, valoriser ne signifie pas vendre la donnée, car nous n'en sommes pas propriétaires. Il n'existe pas de propriété de la donnée. Nous sommes dépositaires des données de santé de l'AP-HP.

Il convient, pour pouvoir la valoriser, de disposer d'une certaine masse critique de données. Il faut également que la donnée atteigne un certain niveau de qualité. Les équipes de Mme Elisa Salamanca travaillent à ce que la donnée soit formatée, standardisée, facilement utilisable. Ce travail d'extraction et de mise à disposition de la donnée est un travail extrêmement important, qui doit être valorisé.

Nous travaillons dans un CHU. Nous collectons des données, certes, mais qu'en faire ? Si la donnée alimente la recherche en matière d'algorithmes d'intelligence artificielle, il est encore besoin de tester ces algorithmes. La compétence de notre CHU consiste donc à produire de la donnée, à la valoriser, puis à tester cette valeur. Notre rôle n'est pas de créer des algorithmes d'intelligence artificielle – nous pouvons le faire, mais nombre de start-up peuvent également le faire. En revanche, qui va tester l'algorithme d'intelligence artificielle pour savoir s'il est correct ? Enfin, nous nous interrogeons pour savoir comment intégrer ces outils dans le parcours clinique d'un patient. Il faut intégrer les algorithmes dans les outils existants et dans le parcours de soin des patients. Ce sont ces éléments que nous souhaitons valoriser.

Il n'est donc pas question de dire : « Nous possédons dix millions de scanners et nous vendrons trois euros chaque scanner pour atteindre un revenu de trente millions d'euros ». Cela n'est pas le sujet. Au contraire, il s'agit de valoriser les activités d'un CHU avec toutes ses compétences : à la fois les compétences informatiques, de data scientists, de valorisation de la donnée et les compétences en recherche clinique. L'AP-HP réunit des personnes qui produisent de la donnée et des chercheurs cliniques. Cette confrontation permanente, qui s'incarne dans la notion de campus, crée de la valeur.

Nous voulons conserver notre avance en la matière et pour cela, nous avons besoin d'investissements. La question, pour nous, est de savoir comment intégrer de plus en plus de données. La France accuse un énorme retard dans la collecte de données, par exemple des données de pathologies numériques, car nous ne numérisons pas nos labs, à la différence des autres pays européens. Notre capacité d'intégration et de valorisation de la donnée est en revanche excellente. Mais nous avons des besoins supplémentaires pour intégrer de nouvelles données, les valoriser et travailler ensemble pour avancer encore davantage.

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Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

J'abonde dans le sens des propos du Dr Laurent Treluyer. Pourquoi est-ce qu'un CHU investit-il autant de temps et d'argent dans un entrepôt de données de santé, et dans ses données de vie réelle en général ? Cela conditionne l'attractivité du CHU pour nos médecins et chercheurs, et donc l'amélioration de la prise en charge des patients. Dans un second temps, il s'agit d'améliorer la soutenabilité de tous ces dispositifs que nous créons autour des systèmes d'information.

Il faut faire fi de cette croyance selon laquelle nous sommes assis sur un tas d'or et que nous pouvons vendre les données brutes. Les laboratoires pharmaceutiques sont largement revenus de ce type d'expérience. La donnée brute n'a aucune valeur : elle n'a de valeur que qualifiée par l'expertise clinique et outillée par des algorithmes ou des instruments issus de la mathématique appliquée.

L'AP-HP a largement travaillé avec les acteurs industriels sur l'intelligence artificielle et la valorisation des données de santé, dans l'élaboration du contrat stratégique de filière des industries et technologies de santé. Cela a donné lieu à un travail assez intéressant. Les équipes qui gèrent la propriété intellectuelle en matière de recherche et les collaborations y ont travaillé. Nous sommes partis d'assez loin avec les industriels sur le sujet de savoir comment, pourquoi et de quelle manière valoriser la donnée de santé. Nous étions les seuls représentants publics hospitaliers. Parmi les acteurs publics, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) était également présent dans ce groupe sur l'intelligence artificielle. Nous sommes arrivés à des positions relativement conciliables. Nous avons conclu que nous pouvions tirer un parti mutuel de la valeur de cette donnée de santé. Ces débats sont complexes, et il est important qu'ils aient pu exister et qu'ils existent encore.

La collaboration avec les acteurs privés se fait de manière très concrète dans des projets de recherche et développement en santé qui sont largement fondés sur des données massives et des données de vie réelle. Le dernier et le plus probant de ces projets est le projet AI DReAM, dont le coût total s'élève à 55 millions d'euros et qui est financé par Bpifrance. Il réunit pour les hôpitaux l'AP-HP, Gustave Roussy, l'Institut Curie et l'hôpital Saint-Joseph à Paris. Il est piloté par GE Healthcare avec d'autres acteurs industriels. Ce projet travaille sur l'image avec cinq cas d'usage. Nous avons, dans ce projet, réussi à créer une infrastructure pour la donnée image à trois niveaux :

– les entrepôts de données au sein de chacun des établissements de santé, avec la possibilité pour l'établissement de continuer à travailler sur la donnée acquise et outillée, pour d'autres usages que ceux prévus par le projet ;

– une plateforme constituée par l'industriel GE Healthcare, qui produit de l'algorithme et qui procède, par exemple, à de l'automatisation de contouring d'images ;

– le dernier niveau consiste à verser au catalogue du Health Data Hub des jeux de données standardisés issus du projet – il s'agit d'un engagement pris envers Bpifrance. Ce type de valorisation est donc possible.

D'autres formes de valorisation sont également possibles : l'AP-HP a noué depuis plus de deux ans un partenariat avec la start-up française d'intelligence artificielle Owkin. Le partenariat est fondé sur l'apport mutuel. Owkin entraîne ses modèles sur des données de santé de l'AP-HP et à l'issue de cet entraînement, la valeur créée par ces modèles et par les produits logiciels qui en découlent est partagée selon un ratio 50-50. Ce type de modèle de valorisation existe dans le cadre de collaborations.

Nous travaillons enfin à l'idée de créer une offre de services qui permettrait de proposer des prestations, en particulier à l'industrie pharmaceutique, sur la base des trois piliers suivants : de la donnée de haute qualité, de l'expertise clinique et un environnement clinique adapté pour le calcul sur les données.

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Quels sont vos projets-phares, et comment pouvons-nous, parlementaires, vous aider dans la conduite de ces projets ? Vous manque-t-il des outils législatifs et réglementaires pour poursuivre les travaux que vous avez entamés ?

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Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Le Dr Laurent Treluyer a évoqué la difficulté d'effectuer le chaînage avec les données du SNDS, notamment celles issues de nos recherches cliniques prospectives. Au cours de la crise, nous avons créé une cohorte massive de patients porteurs du virus SARS-CoV-2 et cela n'a toujours pas abouti. Il nous semble que la CNIL se situe aujourd'hui dans une pratique de surinterprétation du règlement général sur la protection des données (RGPD). Suivant le ratio bénéfices-risques, cela condamne beaucoup de recherches en santé. J'ai conscience que ce que je dis est délicat, mais je ne sais pas l'expliquer autrement. S'agissant des données de soins de patients pris en charge par l'AP-HP, les patients sont informés par tous moyens que leurs données de soins peuvent être réutilisées à des fins de recherche. Ils sont également informés du fait qu'ils ont le droit de s'y opposer. Pourtant, lorsque la CNIL statue sur un projet de recherche, elle demande des choses impossibles, comme de réinformer individuellement chacun des patients dont les données de soins sont prêtes à être réutilisées dans une recherche. Cela constitue un obstacle important.

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Quelle est la profondeur des données dont vous disposez au sein de l'entrepôt de données de santé ? Il est compréhensible qu'il soit besoin de réinformer un patient si celui-ci a donné son accord, il y a dix ans. La profondeur des données peut donc générer le besoin de réinformer les patients.

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Dr Laurent Treluyer, directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Nous disposons de données de plus de dix ans, et nous pouvons accéder à des données jusqu'à quinze ans en arrière. Il est difficile de réinformer des patients d'il y a quinze ans : un certain nombre d'entre eux sont décédés ou bien nous ne possédons plus leurs coordonnées à jour.

L'autorisation de la création de l'entrepôt de données de santé accordée par la CNIL prévoit la possibilité de montrer que l'AP-HP a fait tous les efforts possibles pour se conformer au RGPD. L'entrepôt de données de santé a été agréé par la CNIL dans ces conditions. Nous entretenons de vrais débats avec la CNIL : cela est normal et notre collaboration est plutôt bonne sur l'ensemble des sujets.

Le SNDS ne dépend pas seulement de la CNIL. Je dispose de beaucoup de données nominatives personnelles, et j'ai l'impression qu'accéder à des données pseudonymisées ou anonymisées est impossible. Il faut, pour cela, mettre en place des dispositifs de sécurité extrêmement importants. Il existe une hypersensibilité sur le sujet qui nous rend les choses compliquées. Les CHU n'ont pas été extrêmement favorisés dans la facilitation des accès au SNDS et dans le décret qui en découle.

S'agissant de la souveraineté, la commande publique est un vrai choix politique. Nous devons atteindre un équilibre dans l'ouverture par rapport aux États-Unis, à la Chine et à la Russie qui sont nos principaux compétiteurs en matière numérique. Ces pays opèrent des choix très différents des nôtres. Restons-nous toujours très ouverts ou pouvons-nous aider nos entreprises à émerger ? L'un des facteurs pour encourager cette émergence est la commande publique. Le président Joseph Biden a clairement exprimé que le budget annuel de 600 milliards de dollars de la commande publique serait utilisé pour soutenir les entreprises américaines. Nous ne devons pas être exclusifs, car nous ne pouvons pas acheter européen en tout domaine, mais nous devons pouvoir favoriser, dans nos choix, le soutien aux entreprises européennes. Sur le long terme, il est plus facile et plus intéressant que nos donneurs d'ordre soient en France pour créer une vraie collaboration de plusieurs années avec eux. Ces débats se présentent sans cesse à nous.

Notre budget est trop faible, et nous avons du mal à trouver des fonds. L'entrepôt de données de santé a été construit car le directeur général a décidé d'allouer des fonds à ce projet. Nous avons ensuite bénéficié de dons et d'aides. Il est compliqué d'investir. Or l'investissement conditionne notre capacité à faire. Cela fait partie des débats que nous avons eus avec le Health Data Hub : il est de l'intérêt du Health Data Hub, de notre intérêt et de l'intérêt de la France de constituer un véritable réseau de hubs régionaux. Nous avons vraiment besoin de votre aide dans ces débats.

Enfin, la France souffre de son absence au niveau européen. L'Europe va investir beaucoup d'argent dans les sujets d'innovation et de santé. Comment accéder à ces budgets ? Nous sommes très mauvais dans l'accès aux subventions européennes. Nous étudions actuellement comment construire une stratégie d'influence en la matière, et notamment constituer des consortiums avec nos collègues. Nous devons absolument y arriver. Nous laisserons passer des montants importants, si nous ne sommes pas organisés dès maintenant pour répondre aux projets européens.

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Hélène Coulonjou, directrice déléguée auprès du directeur des systèmes d'information de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Lorsque la directive européenne sur la commande publique a été transcrite en France, Bercy avait oublié que les établissements de santé étaient des acheteurs et ne les avait par conséquent pas consultés. L'organigramme de la direction du budget ne comprend aucun bureau pour les hôpitaux. Or, le montant des achats des établissements de santé en France est considérable.

Au-delà du retour sur investissement que pourrait dégager une stratégie d'influence auprès des institutions européennes, je note également l'intérêt d'une synergie avec nos collègues européens. L'intérêt mutuel sur la donnée, et la donnée de santé en particulier, est absolument majeur.

La séance est levée à 11 heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 4 mars 2021 à 9 heures 30

Présents. – MM. Philippe Latombe, Denis Masséglia, Jean-Luc Warsmann