Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 30 mars 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • kalray
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  • puce
  • souveraineté
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  • technologique
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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

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Nous auditionnons M. Éric Baissus, président-directeur général de Kalray, entreprise française et européenne spécialisée dans la production de microprocesseurs. Elle est un spin-off créé en 2008 au sein du Commissariat à l'énergie Atomique et aux énergies renouvelables (CEA). Nous avons souhaité répondre favorablement à votre demande d'audition au regard de l'origine de votre entreprise qui démontre la capacité de la France à soutenir la création technologique et son positionnement stratégique sur un certain nombre de marchés critiques en développement. Nous sommes très intéressés par votre vision de ce que pourrait être une forme de souveraineté numérique et technologique française et européenne à court ou moyen terme.

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En guise d'introduction, je souhaiterais évoquer avec vous trois sujets. Nous aimerions d'abord savoir comment vous définissez la notion de souveraineté numérique française et européenne. Ce concept revêt une forte dimension technologique, qui est aussi au cœur de votre activité puisque vous produisez des microprocesseurs intelligents.

Nous aimerions donc mieux connaître votre secteur d'activité. Quel est votre niveau de dépendance vis-à-vis des pays non-européens, en termes de composants par exemple, et comment les acteurs français et européens se positionnent sur votre marché par rapport à leurs concurrents internationaux. Nous sommes conscients que la maîtrise de la puissance de calcul est un enjeu décisif dans un nombre important de domaines comme l'industrie 4.0 ou le quantique.

Je souhaiterais également que vous puissiez nous présenter votre entreprise, en insistant sur son parcours original, qui dit quelque chose de notre système de recherche et développement technologique français. Le CEA y a joué un rôle important. Nous aimerions savoir comment vous jugez, en France, le niveau de soutien des pouvoirs publics à la création et au développement d'entreprises technologiques. Nous aimerions également vous entendre sur les difficultés que vous avez pu rencontrer, par exemple pour vous financer, lors de certaines phases de votre croissance. Vous êtes en effet bien placé pour partager avec nous l'existence d'éventuels obstacles à lever sur ce point.

Enfin, je souhaiterais aborder la question de la formation aux compétences numériques, notamment dans votre secteur d'activité. Comment jugez-vous le niveau des formations existantes ? Identifiez-vous des manques ? Avez-vous des difficultés à recruter des ingénieurs français pour réaliser, par exemple, les tâches les plus techniques ? Je soulève ces différents points qui renvoient aussi à la nécessaire féminisation des métiers du numérique, le sujet étant régulièrement revenu lors de nos précédentes auditions.

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Je tiens à vous remercier de me donner cette opportunité de partager notre expérience. Je vous propose, après avoir présenté notre société, de partager deux éléments importants. Il s'agit d'un nouveau marché au cœur de la problématique de la souveraineté numérique et de l'accès à des composants permettant d'avoir de très grandes puissances de calcul. Cette industrie est au cœur de nos industries de demain, au cœur de pans de l'industrie européenne très importants. Ce marché est extrêmement stratégique et fait l'objet d'enjeux géopolitiques monstrueux, en particulier entre les États-Unis et la Chine.

Nous sommes une spin-off, c'est-à-dire un essaimage du CEA. Nous sommes une deep tech, qui est issue d'un laboratoire, qui a une avance sur la concurrence, mais qui doit maintenant devenir leader mondial. Je vais partager notre parcours, pour pouvoir vous expliquer nos réussites et nos challenges de demain.

J'aimerais vous expliquer qui nous sommes et, personnellement, comment je me suis retrouvé à la tête de Kalray. Je suis ingénieur de formation. J'ai commencé ma carrière dans les années 90 chez Texas Instrument, une société américaine, dans un grand centre de développement basé dans le sud de la France. C'est dans ce contexte que j'ai appris à développer des processeurs. J'ai passé dix ans à apprendre ce métier.

Ensuite, j'ai créé ma propre société. Là, j'ai commencé à apprendre un nouveau métier, qui est le monde de l'entrepreneuriat. J'ai cédé cette société à Alcatel Lucent. Suite à ce rachat, j'ai passé quelques années dans la Silicon Valley. Quand je suis revenu en France, en 2014, j'ai eu l'opportunité de rencontrer Kalray. Kalray a été créée en 2008 par des personnes qui venaient du CEA et de STMicroelectronics. Kalray était en redressement judiciaire. Des actionnaires qui me connaissaient m'ont demandé de transformer cette société en une société qui puisse avoir son mot à dire sur le marché. C'est ce à quoi nous nous attelons avec toute l'équipe, depuis six ans.

Aujourd'hui, Kalray a un positionnement très intéressant sur un marché qui a de l'avenir. Nous avons maintenant une technologie mature, le temps est venu d'appuyer sur l'accélérateur pour la déployer commercialement, tout en continuant à investir en R&D.

Nous sommes une société qui développe un nouveau type de processeur, qui a vocation à « adresser » le marché des systèmes intelligents ou de l'intelligence artificielle embarquée. Pourquoi ce marché est-il aussi important ?

Je vais prendre l'exemple de la voiture autonome. Une voiture autonome est une voiture bardée de capteurs qui filment la route et qui envoient un flot d'informations. Il faut extraire de ce flot de données des informations pertinentes (un panneau de signalisation, un feu rouge, un piéton qui traverse…). Pour faire cela, nous avons besoin d'un nouveau type de processeurs, les processeurs intelligents, qui analysent en temps réel ce flot d'informations, souvent en utilisant des algorithmes d'Intelligence artificielle, pour pouvoir diriger la voiture.

Il s'agit d'un nouveau marché, qui correspond à un besoin de nos sociétés modernes, qui génèrent de plus en plus de données. Certains rapports montrent que ce flot de données a été multiplié par dix en deux ans. Dans beaucoup de cas, ce flot de données n'a de valeur que si on l'analyse tout de suite. L'exemple de la voiture est pertinent.

Cette problématique est valable pour un très grand nombre d'industries, qui sont importantes pour la France et pour l'Europe : le marché automobile, le marché des data centers, le marché des télécoms, de la 5 G, le marché de l'aérospatial. L'un de nos actionnaires est Safran, avec qui nous travaillons à implanter nos processeurs dans les moteurs d'avion de demain pour analyser à la volée ce qui se passe dans le moteur et améliorer de 30 % à 50 % la consommation du moteur.

Un autre pan de l'industrie est aussi très intéressant : l'industrie 4.0. Il y a une volonté de rapatrier dans notre pays des usines, mais cela nécessite des usines qui sont beaucoup plus automatisées. Pour cela, il est nécessaire d'avoir des technologies qui vont analyser à la volée les chaînes de production pour prendre des décisions.

Enfin, un marché est évident : le marché de la défense. La défense a besoin de technologies comme celle-ci pour pouvoir fournir les solutions les plus performantes possible.

Aujourd'hui, Kalray est une société qui emploie à peu près une centaine de personnes. Nous sommes basés à Grenoble. Nous avons développé un type de processeur breveté qui amène des capacités de calcul et qui permet d'être au cœur de ces nouvelles technologies. Nous sommes le seul acteur aussi avancé en France et en Europe et nous nous confrontons à de gros mastodontes, qui sont essentiellement américains, israéliens et, de plus en plus, chinois.

Comment le « Petit Poucet » Kalray peut-il avoir la moindre chance par rapport à ces mastodontes ? Si vous regardez l'histoire du monde des processeurs, vous constatez qu'à chaque vague, à chaque nouveau besoin, émergent de nouveaux acteurs. La première vague est celle des processeurs pour les ordinateurs et les serveurs. Intel, le mastodonte américain, détient aujourd'hui 95 % du marché mondial.

La deuxième vague a été la vague des processeurs pour téléphones portables. L'Europe était très en avance dans les années 90 et la plupart des centres de développement des puces pour téléphone portable étaient en Europe. Il se trouve que, petit à petit, l'Europe a abandonné ce marché parce qu'il était très orienté consommateurs, end-users, BtoC. Petit à petit, les fleurons européens ont arrêté d'investir dans ce marché, estimant qu'ils ne pouvaient pas y conserver un rôle de leaders. Les leaders de ce marché des téléphones portables sont de nouveaux acteurs. Ils étaient de nouveaux acteurs dans les années 90 et sont devenus aujourd'hui des poids lourds : Qualcomm, Samsung, Apple.

Dans ce nouveau marché de l'Intelligence artificielle embarquée, du edge computing, les cartes sont rebattues, ce qui constitue une opportunité pour un acteur comme Kalray et, plus largement, pour la France et pour l'Europe de prendre le leadership. Pourquoi ? Parce que ce marché nécessite des technologies que l'Europe a aujourd'hui, qui sont proches de l'embarqué et qui sont poussées par des donneurs d'ordres français et européen.

Kalray est une deep tech, comme je vous l'ai dit. En dix ans, nous avons investi 100 millions d'euros pour créer notre produit. Nous sommes encore au balbutiement commercial puisque notre chiffre d'affaires est autour d'un million d'euros. Pourquoi seulement un million d'euros ? Parce que nous vendons nos microprocesseurs à des acteurs qui sont en train de les tester et de développer leurs propres produits. Pour cela, ils n'ont pas besoin d'acheter des milliers de puces. En revanche, une fois que ces clients se déploieront sur le marché, ils développeront leurs produits avec nos processeurs, ce qui générera de plus en plus de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, nous avons essentiellement deux marchés : le marché des data centers et le marché de l'embarqué (aérospatiale, automobile). Nous avons également comme actionnaire l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi.

Kalray est au cœur de cette problématique de souveraineté, et ce, pour plusieurs raisons. La souveraineté numérique est essentiellement la souveraineté technologique. Être souverain, cela veut dire être libre d'accéder à cette technologie. Nous nous en apercevons tous les jours quand nous parlons à nos clients. L'accès libre à ces technologies est crucial pour déployer leurs produits. Les acteurs de la défense sont soucieux d'avoir la liberté d'accès à ces technologies.

Deuxièmement, la souveraineté numérique, c'est avoir l'accès à la compétence. On parle de technologies qui sont complexes. Il est important, pour avoir cette souveraineté numérique, de comprendre ces technologies, de les maîtriser, d'avoir de l'expertise locale.

Enfin, la souveraineté numérique, c'est contrôler ce que font ces technologies. Si l'on ne sait pas ce qui se passe dedans, cela pose un vrai problème de souveraineté.

Chez Kalray, nous sommes au cœur de ces problématiques, puisque nous sommes l'un des rares acteurs aujourd'hui à fournir ces puces de calcul intensif. Si Safran, Renault, le fonds Definvest, créé par la direction générale de l'armement (DGA), investissent dans Kalray, c'est pour s'assurer que ces technologies seront accessibles dans les cinq, dix, quinze ans qui viennent.

Dans notre approche, nous poussons un modèle ouvert (open source, open hardware), afin de créer un écosystème autour de nous et de permettre à nos clients d'avoir une garantie d'accès à ces technologies, quel que soit notre futur.

Enfin, nous avons un rôle en vue de préserver la compétence. Nous sommes l'un des rares acteurs à développer des puces de calcul intensif. Nous formons notre personnel. Nous avons créé une compétence que nous essayons d'élargir petit à petit, pour l'utiliser pour nos propres besoins et afin qu'elle soit disponible plus largement.

Sur le marché de l'intelligence embarquée, l'acteur le plus important est Nvidia, une société américaine. Quand vous utilisez une technologie de Nvidia, vous utilisez un langage propriétaire, qui a été développé par Nvidia : CUDA. Par conséquent, tous les acteurs qui utilisent les technologies de Nvidia développent un historique en utilisant un langage propriétaire. Si demain, ils passent à un autre fournisseur que Nvidia, ils devront tout redévelopper. Nvidia a une stratégie de « locker », en imposant aux différents acteurs de l'industrie d'utiliser un langage propriétaire. Je pense que, dans ce contexte de souveraineté numérique, il est très important d'aider nos industriels à disposer d'un accès ouvert à ces technologies, en particulier en sponsorisant des technologies ouvertes.

Kalray est une société fabless, qui n'a pas d'usine. Aujourd'hui, aucune usine en Europe n'est capable de fabriquer nos processeurs. Seuls Intel, TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Compagny) et Samsung en sont capables. Nous travaillons avec TSMC. Nous dépendons d'usines de fabrication qui ne sont pas sur le sol européen.

Il est très difficile de financer une société de semi-conducteurs comme Kalray. Jusqu'à il y a un ou deux ans, il était quasiment impossible de financer une telle société en Europe, car ce type de société était considéré comme trop risqué. Heureusement, il existe une vraie prise de conscience de l'importance de cette industrie. Dans notre cas, nous avons levé autour de 100 millions d'euros. Nous investissons 15 millions d'euros par an. Nous avons encore un chiffre d'affaires relativement faible. Ce ne sont pas des sociétés faciles pour des investisseurs parce qu'elles demandent un investissement à long terme, avec des risques associés.

Je tiens à signaler l'effort qui est fait par la Bpifrance pour que les deep techs françaises puissent devenir les champions de demain.

Sur la formation et sur la compétence, aujourd'hui, nous sommes à la croisée des chemins. Il existe encore de la compétence en France dans les semi-conducteurs parce qu'il y en avait il y a une vingtaine d'années. En revanche, je pense que, si l'on n'investit pas massivement aujourd'hui dans ce secteur, petit à petit, cette expertise va partir. Il est donc très important d'investir, de faire que l'on ait des acteurs qui soient des leaders pour créer aussi des offres d'emplois et enclencher un cercle vertueux offre-demande.

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Vous avez beaucoup parlé des Américains, de Nvidia notamment, et de leur mode de fonctionnement avec un langage propriétaire qui permet de « locker » les industriels qui utilisent leurs technologies. Qu'en est-il des Chinois aujourd'hui ? Leur vendez-vous des puces ? On a beaucoup dit que la Chine copiait, puis développait. Où en sont-ils dans la R&D pour ces technologies ? Le marché automobile ne sera pas le seul à être intéressé par ces puissances de calcul, notamment en Intelligence artificielle embarquée. L'industrie de l'armement en a besoin, avec les drones, les avions, etc. L'industrie de défense chinoise est en train de se développer à grande vitesse.

Deuxième question, puisque nous parlons de puissance militaire, où en sont les Russes ? Ont-ils des compétences dans ce domaine ?

Quel est le risque pour vous d'être copié ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Nous connaissons très bien le marché chinois, mais beaucoup moins le marché russe. Cela veut-il dire que les Russes sont moins actifs ? En tout cas, nous ne travaillons pas avec eux.

Aujourd'hui, les militaires ont compris qu'ils ont besoin de s'appuyer sur des acteurs civils pour récupérer ces technologies, compte tenu des investissements nécessaires. C'est la raison pour laquelle la DGA investit dans Kalray.

Dans cette stratégie, la Chine investit massivement pour créer ses leaders nationaux dans le monde du semi-conducteur. En gros, elle investit cinquante à cent fois plus que ce que nous faisons en Europe. Elle investit dans tous les domaines : la fabrication des puces, le design, etc. Les Chinois ont une stratégie de création de leaders nationaux en réservant le marché national à leurs leaders.

On se trompe quand on croit que nous sommes en avance. La Chine a quasiment rattrapé son retard. Bien sûr, il faut faire attention à ne pas être copié, mais la problématique n'est plus là : il faut faire en sorte que, dans cinq à dix ans, il y ait des champions européens. Pour cela, il faut que l'on ait des champions civils parce que seuls les marchés civils permettront de financer les investissements associés.

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Aujourd'hui, les Américains fonctionnent avec des licences pour la plupart. Les Chinois, eux, n'ont pas de licence. Sont-ils capables d'inonder le marché de leurs produits, ce qui rendrait la solution intermédiaire (la vôtre) difficilement commercialisable ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

La Chine, quand elle dépend de licences étrangères, développe sa propre technologie. La chance de la Chine réside dans la taille de son marché. Elle accepte que ses leaders nationaux ne soient pas aussi avancés que ce qui existe à l'étranger, en misant sur le fait que, petit à petit, ils rattraperont leur retard.

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Où les puces sont-elles fabriquées ? Faut-il recréer une industrie de la fonderie en Europe ou s'appuyer sur des pays tiers ? Existe-t-il un risque de voir les secrets industriels copiés en les confiant à des fondeurs non-européens ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Aujourd'hui, nous utilisons des usines basées à Taiwan, chez TSMC, le plus gros fabricant au monde. Nous envoyons aux usines un fichier qui représente la position des transistors dans la puce. La puce compte 9 milliards de transistors. Les risques d'être copiés par ce biais sont donc très faibles.

Il existe quelques usines en France et en Europe, mais pour des process de gravure qui sont très larges. Ces usines peuvent fabriquer des petits composants, des composants de puissance, mais ne sont pas capables de fabriquer des processeurs comme les nôtres, avec de fortes capacités de calcul. Aujourd'hui, nous sommes obligés d'utiliser des usines basées à Taiwan. L'autre acteur qui croît énormément est aujourd'hui Samsung en Corée. Il n'existe pas d'acteur en Europe.

Quelles sont nos recommandations ? Pourquoi les acteurs aujourd'hui sont-ils Intel et TSMC ? C'est essentiellement parce qu'ils ont un marché. Comme leurs usines tournent, ils ont les moyens de les financer. TSMC va investir une dizaine de milliards cette année.

Ma recommandation est de travailler sur ces deux sujets : rapatrier des usines en Europe et faire en sorte qu'un écosystème utilise ces usines.

Si je prends l'exemple des vaccins, qui est d'actualité, il faut avoir des usines qui sont capables de les produire et des sociétés qui sont capables de les développer.

Chez Kalray, nous sommes ceux qui vont développer les puces et utiliser les usines. Il faut supporter cet écosystème si l'on veut avoir un vrai rapatriement, une vraie souveraineté.

Concernant les usines, deux approches sont possibles :

– soit faire un leader européen, ce qui nécessiterait un très fort investissement ;

– soit inciter des fabricants actuels (Intel, TSMC, Samsung) à mettre en place des chaînes de production en Europe. Cela nous permettrait de valoriser leur expertise, de créer un pôle de compétences, de garantir des acteurs à la pointe du progrès.

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Vous dites aujourd'hui que Kalray est une partie d'une solution technologique future. Comment cet écosystème travaillerait-il ensemble ? Est-ce que vous construisez la puce dans votre coin et l'industriel s'en sert et s'adapte autour de votre puce ? Ou est-ce vous qui avez la connaissance de ce que les capteurs récupèrent comme informations, nécessitent comme calculs pour pouvoir ensuite l'envoyer vers le « cerveau » de la voiture qui prend la décision ? Le législateur ou l'État a-t-il un rôle de structuration à jouer ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Quand on développe un processeur, il faut qu'il soit un minimum générique, pour pouvoir être programmé. Cependant, ce composant matériel doit être adapté à un marché. Nous travaillons dans notre coin à rendre notre processeur générique et nous travaillons aussi avec les donneurs d'ordres (Safran, Renault…), pour être sûrs que notre offre est pertinente.

Il est important de travailler main dans la main avec le donneur d'ordres. Je pense que les projets collaboratifs sont très importants pour que tout l'écosystème travaille ensemble.

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Y a-t-il des standards dans votre métier ? Participez-vous à leur élaboration ? Vous travaillez avec Renault, mais Mercedes, Audi, Jeep auront-ils les mêmes standards ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Nos produits sont assez génériques pour être utilisés par plusieurs acteurs du marché. Ensuite, chaque client les programme différemment. D'ailleurs, la plupart des clients veulent profiter de l'effet de volume pour avoir de meilleurs prix.

Ensuite, il est important d'avoir des standards pour permettre à nos clients de ne pas dépendre uniquement de nous. Nous poussons notre technologie pour en faire un standard ouvert. Si nous voulons devenir un leader demain, il faut que notre technologie soit déployée le plus massivement possible et donc en faire un standard.

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Je souhaiterais aborder la partie financement. Vous avez dit que la Bpifrance vous a soutenus. Je voudrais revenir aux difficultés que Kalray a connues dans sa vie d'entreprise. Comment ces difficultés sont-elles perçues par l'écosystème, par les acteurs publics et privés ? Aux États-Unis, on dit qu'il faut dix échecs pour une réussite. Est-ce valable aussi en France et en Europe ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

C'est le jour et la nuit entre être un investisseur aujourd'hui et il y a vingt ans. Les progrès sont énormes ! Aujourd'hui, on est plus tourné vers l'innovation, l'écosystème est bienveillant pour permettre à des start-up de se développer. En termes de culture, le changement est réel. Il y a vingt ans, le monde des laboratoires et le monde de l'entrepreneuriat se haïssaient. Aujourd'hui, non. Le CEA invite les entrepreneurs à venir voir les technologies qui sont développées pour lui et qui pourraient servir à créer une société. Il faut continuer à supporter cette démarche, car on voit que l'innovation est issue du monde des start-up, puis doit être transformée en leader mondial.

En termes de financement, il est inutile de vous cacher que la vie de Kalray a été très difficile. Pendant quatre à cinq ans, je disais à mes collaborateurs que je n'étais pas certain de pouvoir payer leurs salaires le mois suivant. Nous avons levé 100 millions d'euros, ce qui est énorme par rapport à notre parcours. La plupart de nos concurrents ont levé 400 à 500 millions d'euros. Nous avons eu la chance de faire une très belle introduction en bourse, puisque nous avons levé 50 millions d'euros. Pourquoi est-il si difficile d'avoir des financements privés ou publics dans le marché des semi-conducteurs ? Parce que l'Europe considérait qu'elle n'avait aucune chance de réussir sur ce marché et l'avait abandonné. Aujourd'hui, il existe une prise de conscience et il existe des aides et des supports en France et en Europe. Je pense que ces soutiens sont nécessaires pour créer dans notre industrie des champions nationaux et européens.

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Aujourd'hui, pensez-vous que l'intégralité des partenaires financiers arrivent à s'aligner correctement ? Si Bpifrance apporte son soutien, les partenaires financiers suivent-ils ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Je pense que Bpifrance effectue un travail remarquable. Ensuite, l'investisseur privé est naturellement moins intéressé par les investissements stratégiques, car il veut avant tout un retour sur investissement, avec le moins de risques. Comment peut-on abonder ou favoriser l'investissement privé ? Je pense qu'il ne faut pas que l'investissement soit uniquement public, parce que le public seul a du mal à repérer les bons entrepreneurs, les sociétés qui ont la capacité de devenir des champions. En tout cas, le lien entre investissement privé et investissement public est très important. De grands progrès ont été réalisés. Il existe certainement des mécanismes d'abondement pour favoriser les investissements privés dans des sociétés de la deep tech qui sont des sociétés plus difficiles à financer, avec des retours sur investissement plus longs.

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Vous êtes un spin-off. Est-ce le bon modèle ? Est-ce comme cela que l'on va créer les entreprises de demain ? Comment faire pour arriver à en créer plus, selon vous ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Les spin-off sont un réservoir formidable de technologies. Il s'agit pour moi d'un mode de déploiement assez intéressant. Notre pays investit, l'Europe investit énormément dans les laboratoires. Pour valoriser toutes ces technologies, il faut les commercialiser et faire des champions nationaux et européens. Je pense donc que le modèle de spin-off est très intéressant. Il a beaucoup évolué, mais il doit encore être amélioré.

Aujourd'hui, en France, on croit encore que vous pouvez créer une société, quand vous avez une technologie. J'ai tendance à dire que, quand vous avez une technologie, vous n'avez fait que 20 % du travail, vous devez encore déployer un effort considérable pour transformer une technologie en une société commerciale pérenne, leader de son marché. L'effort à fournir est largement sous-estimé. D'ailleurs, beaucoup de financements aujourd'hui sont plus liés à de la technologie (même si les mentalités sont en train d'évoluer) qu'au positionnement produit, à la mise au point d'une offre mature, à l'accès au marché.

Vous mentionnez le rôle de l'État. J'ai senti dans les plans de relance un changement culturel : on insiste de plus en plus sur les débouchés, le travail avec les donneurs d'ordres et moins sur la rupture technologique. Jusqu'à présent, on demandait de montrer en quoi une technologie est différente. C'est bien d'avoir une technologie différente, mais la différence en soi n'a pas de valeur. Il faut avoir une différenciation sur le marché.

C'est pour moi très important. Spin-off, oui, mais avec un environnement qui va favoriser la transformation d'une technologie en un vrai acteur commercialement viable.

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Pour vous, ce n'est pas suffisamment fait. Est-ce lié à la formation ? Comment mixer les deux mondes, financier et technologique ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Une société comme Kalray est la conjonction d'une compréhension technique et d'une compréhension business.

Nous avons un retard culturel, car la France a toujours valorisé les compétences technologiques par rapport aux compétences marketing. Cela dit, cette culture est en train de changer. Les écoles d'ingénieurs proposent de plus en plus de formations à la création de start-up et, inversement, les écoles de commerce sont de plus en plus orientées vers la high tech. Je pense qu'un rapprochement de ces deux mondes est crucial. Il est important que ces deux mondes se parlent et travaillent ensemble.

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L'Europe prend-elle le bon chemin aujourd'hui ? Sentez-vous que l'Europe a décidé de prendre son destin numérique en main ? Commence-t-on à reparler de l'Europe comme étant un futur grand compétiteur, dans votre domaine et au-delà, dans le monde numérique ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Aujourd'hui, il existe une prise de conscience, mais elle est récente, elle date d'il y a un an. La crise du Covid a accéléré cette prise de conscience, au niveau de la France et de l'Europe. Comment est-ce perçu par l'international ? Comme des mots. Tant qu'un champion national ne remporte pas de marché, ce ne sont que des mots.

Comment transformer ces mots en actions ? Je suis confiant. En tout cas, je suis très positif. Il faut encore travailler pour transformer ces mots et cette énergie en action. Nous, Kalray, proposons notre collaboration pour constituer un champion national, voire mondial. Aujourd'hui, nous en sommes loin.

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Y a-t-il des points que nous n'avons pas encore évoqués et qui vous semblent importants ?

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Éric Baissus, président-directeur général de Kalray

Si je dois résumer les points importants, il y a un nouveau marché, qui sera extrêmement stratégique dans un contexte de souveraineté numérique. Ce nouveau marché est au cœur de nos industries traditionnelles. Sur ce marché B to B, l'Europe a ses chances. Je pense que nous n'avons pas le choix. Si nous voulons notre souveraineté numérique, nous avons besoin d'être sur ce marché de l'Intelligence artificielle embarquée et du edge computing. Nous le pouvons. Il faudra transformer les mots en actions. De nombreuses actions sont en cours. Je suis donc très positif et confiant. Nous sommes très excités de voir comment nous pouvons faire de l'Europe un leader sur ce marché.

La séance est levée à 11 heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 30 mars 2021 à 10 heures

Présents. – MM. Philippe Latombe, Jean-Luc Warsmann