La réunion

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Jeudi 28 juin 2018

La séance est ouverte à huit heures quarante.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition commune des associations d'élus des collectivités territoriales.

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Nous terminons nos travaux avec une audition commune des associations d'élus des collectivités territoriales, à qui je souhaite la bienvenue au nom de la commission d'enquête. Il s'agit plus précisément : de l'Assemblée des départements de France (ADF), représentée par M. André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire, M. Yoann Charlot, directeur adjoint de cabinet, M. Jean-Michel Rapinat, directeur des affaires sociales, et Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère pour les relations avec le Parlement ; de l'Association des maires de France (AMF), représentée par Mme Isabelle Maincion, vice-présidente, maire de La Ville-aux-Clercs, Mme Nelly Jacquemot, responsable du service action sociale, éducation et culture, Mme Sarah Reuilly, conseillère santé et petite enfance, et Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement ; de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), représentée par M. Dominique Dhumeaux, vice-président, maire de Fercé-sur-Sarthe, et M. Frédéric Cagnato, stagiaire.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Cette audition est donc ouverte à la presse et diffusée en direct sur un canal de télévision interne et sera consultable en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Je vais donner la parole à un représentant de chaque association pour une intervention liminaire d'une durée maximale de cinq minutes, puis nous passerons aux échanges avec le rapporteur, Philippe Vigier, et les membres de la commission d'enquête.

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

La problématique de la désertification médicale, en milieux rural et urbain, nous interpelle depuis fort longtemps.

Bien décidée à prendre cette question à bras-le-corps, l'Assemblée des départements de France a créé une commission de travail avec la ferme volonté d'être force de propositions sur ce sujet. De nombreuses collectivités ont mis en place, sur l'ensemble du territoire national, des expériences de soutien à des installations de cabinets privés et différentes mesures d'accompagnement – notamment auprès des facultés – favorisant la venue de nouveaux médecins. Car aujourd'hui, lorsqu'un médecin libéral prend sa retraite, il ne trouve pas de remplaçant pour reprendre sa patientèle. Certains n'attendent même plus l'âge de la retraite pour partir : dépassés par la désertification médicale de leur département, ils ne peuvent faire face à la surcharge de travail et s'en vont prématurément. Une telle désertification a, bien entendu, des conséquences sur l'environnement d'une commune – les pharmacies sont, par exemple, appelées à fermer.

C'est la raison pour laquelle, j'ai créé en Saône-et-Loire, en septembre 2017, un centre départemental de santé (CDS). Nous avons nous-mêmes recruté les médecins et organisé la répartition dans le territoire de quatre pôles de santé et de 45 antennes, chacune d'entre elle étant rattachée à un pôle.

Le recrutement des médecins a débuté en octobre, après le vote par l'Assemblée départementale du dispositif. Je peux aujourd'hui affirmer que ce centre départemental de santé rencontre un certain succès. Le contrat proposé a séduit les médecins, tout comme la souplesse d'action sur le territoire. La Saône-et-Loire est le sixième plus vaste département de France par sa superficie. L'objectif est de traiter le problème de la désertification médicale, à la fois dans les zones urbaines et rurales.

Avant la mise en place de ce dispositif, la Saône-et-Loire, comme les autres départements, avait bien entendu adopté un certain nombre de mesures, telles que des aides financières ou des constructions de locaux, destinées à favoriser la venue de nouveaux médecins. Les autres départements ont maintenu ces mesures, certains d'entre eux travaillent même directement avec les facultés de médecine pour accompagner les étudiants et les inciter à se rapprocher de leur territoire.

L'expérience de la Saône-et-Loire permettra de régler, d'ici à la fin de l'année, et en attendant que les choses s'améliorent, le problème de la désertification médicale. Grâce à une dynamique de recrutement, les 45 antennes et les quatre pôles de santé seront bientôt opérationnels. J'ajouterai que beaucoup de médecins viennent du Sud de la France, puisque nous avons lancé un recrutement plus intense dans cette région.

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Isabelle Maincion, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs

Monsieur le président, je vous remercie de recevoir l'Association des maires de France. La question de la désertification médicale est pour moi une question particulièrement importante, car je suis conseillère régionale de la région de France qui a, malheureusement, la plus faible démographie médicale, à savoir la région Centre-Val-de-Loire.

Je rappellerai tout d'abord que la répartition des médecins dans un territoire est une compétence non pas des communes, mais de l'État. Cependant, depuis près de vingt ans, de nombreux maires et présidents d'intercommunalités se sont ingérés dans cette compétence en essayant de favoriser le maintien, voire la venue de nouveaux médecins, les territoires s'étant paupérisés en matière de démographie médicale.

De nombreuses initiatives ont été soutenues par des communes, certaines d'entre elles ayant même été réalisées contre l'accord des agences régionales de santé (ARS) – anciennement directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS).

Depuis la dernière loi et l'appui de Mme la ministre, de nombreux allégements ont été adoptés et des dispositifs ont été validés – je pense notamment aux consultations avancées.

Par ailleurs, une compétition accrue s'est installée entre les territoires, chacun proposant des solutions pour faire venir les médecins : des conditions financières avantageuses, l'ouverture de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), etc. Nous devons donc faire face à une sérieuse concurrence au sein de notre territoire – une concurrence qui m'attriste. Par ailleurs, si je suis favorable à l'installation de médecins étrangers en France, énormément de cabinets proposent des services aux maires, dont nous savons d'avance ce qu'il en adviendra dans les trois ans.

L'AMF a décidé de mutualiser sa commission santé avec France Urbaine, souhaitant ainsi favoriser les complémentarités entre les métropoles, les villes et le milieu rural. Le réseau d'hôpitaux locaux et de centres hospitaliers universitaires (CHU) est indispensable au maillage territorial ; or des communes où de jeunes médecins s'installaient il y a encore vingt ou trente ans sont aujourd'hui désertées. Il est donc indispensable de proposer des postes attractifs aux jeunes médecins pour pallier cette désertification médicale. L'hôpital de Vendôme, par exemple, a accueilli de nombreux internes ces dernières années ; de jeunes médecins ont ainsi pu, par exemple, s'installer dans une maison médicale en exercice mixte – en hôpital et en maison de santé.

Je rappellerai aussi que les élus souhaitent être associés aux groupements hospitaliers de territoire (GHT), les réponses étant territoriales et non uniquement administratives. S'agissant des internes, il nous faut être vigilants, car au sein du GHT de Loir-et-Cher, par exemple, ils ont tous été captés par l'hôpital de Blois, de sorte que les hôpitaux de Romorantin et de Vendôme, à rayonnement plus local, n'ont plus la possibilité de recruter. Or la découverte de l'exercice médical en milieu rural est indispensable à la formation des internes.

C'est la raison pour laquelle le lien avec les hôpitaux et les universités est primordial. Je citerai d'ailleurs le magnifique travail réalisé par la Conférence des doyens, à savoir la création d'une maison universitaire ; un atout permettant de faire découvrir aux internes l'exercice médical en milieu rural et favoriser ainsi leur installation.

Un excellent travail est mené au sein du département avec les communes, et certaines régions accompagnent financièrement l'installation de MSP. Mais je pourrais aussi, si vous le souhaitez, évoquer les écueils auxquels nous sommes confrontés.

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Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe

Monsieur le président, je vous remercie d'accueillir notre association, et lui permettre ainsi d'exposer sa position sur cette question. Je compléterai votre présentation en ajoutant que je suis maire d'un petit village de 600 habitants dans la Sarthe.

J'établirai tout d'abord un état des lieux du monde rural, et évoquerai les difficultés qui accaparent et oppressent nos concitoyens. La question de la désertification médicale en France n'est pas nouvelle, mais elle s'aggrave depuis deux ou trois ans, laissant les habitants de communes rurales de plus en plus démunis face à la numérisation des actes de la vie quotidienne et à la disparition des services publics, notamment en matière de santé. C'est la raison pour laquelle votre commission et les propositions qui en découleront sont très importantes ; elles montrent que l'État a compris le désarroi de nos concitoyens, qui s'exprime notamment par l'abstention ou le vote en faveur de partis extrémistes. Il serait judicieux de redresser la barre et de leur proposer des solutions cohérentes afin qu'ils se sentent à nouveau des citoyens à part entière.

Comme cela vient d'être dit, chaque département cherche à mettre en place des solutions favorisant l'installation de jeunes médecins : certains recrutent directement des médecins, d'autres accompagnent des étudiants dès la première année, des communes salarient des médecins ou financent des MSP et des intercommunalités soutiennent des médecins faisant leurs études en Roumanie pour les fidéliser ensuite.

Cependant, toutes ces solutions ne fonctionnent qu'à moitié : un grand nombre de MSP sont ouvertes sans médecins, des médecins étrangers « picorent » et changent de cabinet médical tous les quatre mois, et les mairies ne pourront pas salarier autant de jeunes médecins qu'il serait nécessaire. La commune de La Ferté-Bernard, par exemple, peine aujourd'hui à remplacer les médecins salariés qui partent à la retraite.

Toutes ces initiatives entraînent parfois des aberrations : des habitants de ma commune sont obligés de se rendre à Paris en train pour consulter un ophtalmologue, et des Parisiens vont chez le dentiste d'une petite commune, parce qu'il est beaucoup moins cher. Ce qui se dessine à travers ces exemples, c'est bien la consultation à distance dans des cabines déshumanisées. Sachant que les pharmacies, qui sont censées accompagner ces cabines, sont elles aussi menacées : l'Ordre des pharmaciens prévoyant la fermeture de 1 700 officines.

Alors si certaines initiatives sont efficaces pour des spécialistes, pour la médecine générale, en primo-consultation, le remède est pire que le mal. Les parlementaires devront donc faire preuve d'un vrai courage politique pour inciter les étudiants ayant passé leurs épreuves classantes nationales (ECN), et qui voient leur rêve de devenir spécialistes s'évanouir, à s'installer dans des territoires sous-dotés en médecine générale, au nom de l'équité – comme cela existe dans d'autres professions.

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Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence. Les parlementaires ont bien conscience des difficultés que vous évoquez. D'autant que, comme cela a été dit, les départements, les communes et les intercommunalités n'ont pas la compétence de recruter des médecins, alors même qu'ils sont obligés de pallier le manque de politique nationale. Je vous remercie donc de votre engagement. M. Dhumeaux a employé des mots touchants qui reflètent bien la réalité.

Pensez-vous que les mesures annoncées par le Gouvernement sont à la hauteur des enjeux pour les dix prochaines années ?

Monsieur Accary, selon vous, est-il envisageable de généraliser le centre départemental de santé tel que vous l'avez créé ? Pouvez-vous, même si c'est un peu tôt, nous donner votre budget prévisionnel ? Vous avez indiqué que de nombreux médecins venaient du Sud de la France ; en avez-vous recruté suffisamment ?

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Monsieur le président, je souhaiterais rebondir sur les propos de M. le rapporteur qui interroge les représentants des associations sur les mesures annoncées par le Gouvernement. Je vous rappelle que cette commission a pour objet, non pas de parler de ce que fait le Gouvernement, mais de dresser un état des lieux des politiques passées en matière de santé. Je souhaiterais que le débat soit réorienté conformément à son objet.

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Monsieur Jacques, non seulement un certain nombre d'injonctions ont été adressées aux ARS, que je me permets d'évoquer, mais la règle, à l'Assemblée nationale, est la liberté d'expression. Vous pourrez prendre la parole tout à l'heure, et si nous n'avons pas le même avis, eh bien tant mieux car, comme disait l'un de nos anciens collègues, « si nous pensions tous la même chose, nous ne penserions plus rien » ! Je vous demande de respecter la liberté d'expression de tous les membres de cette commission et en particulier la mienne.

Un certain nombre d'annonces ont été faites au moins d'octobre par le Premier ministre dans son discours de Châlus, notamment sur les pratiques et les consultations avancées. Nous pouvons donc, neuf mois après, en faire un premier bilan afin de déterminer l'efficacité de ces solutions.

L'objet d'une commission d'enquête est, non pas de décider d'une politique de santé, mais de formuler des propositions sur lesquelles une large adhésion est toujours la bienvenue. Je le répète, vous devez respecter la liberté d'expression de chacun.

Par ailleurs, mais vous étiez absent, monsieur Jacques, j'ai expliqué l'autre jour que, lors de la mise en place de la politique de vaccination initiée par Roselyne Bachelot, je faisais partie des élus de la majorité qui avait dénoncé ce fiasco. Garder sa liberté de parole, même contre sa majorité, nous honore, alors je vous en prie, nous ne sommes là ni pour plaire ni pour déplaire, mais pour trouver des solutions.

Ma troisième question concerne le rôle de l'hôpital, que seule Mme Maincion a évoqué. Et enfin, le fonctionnement actuel des ARS est-il satisfaisant dans les territoires ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

S'agissant des mesures annoncées, elles ne sont, a priori, pas suffisantes – et je le dis de façon objective – par rapport aux problèmes rencontrés et à l'efficacité attendue sur le terrain. Je n'ai pas entendu, dans les propos du Premier ministre, de solutions susceptibles d'apporter une amélioration, en tout cas en Saône-et-Loire.

S'agissant du centre départemental de santé, nous avons travaillé sur cette idée pendant un an et demi avant de la proposer. Il s'agit d'un dispositif extrêmement souple et donc très attractif. Nous proposons aux médecins un contrat de trois ans avec le département, et la possibilité, soit de le renouveler, soit de s'installer en libéral.

Nous avons lancé le recrutement en octobre, les étudiants thésés étaient donc déjà en fonction. Mais j'espère bien en recruter cette année. Maintenant, j'ai bien conscience qu'il ne s'agit pas de la solution miracle, mais elle pallie un déficit de médecins et évite la concurrence entre les collectivités, des communes débauchant des médecins d'autres communes – nous assistions à une véritable surenchère de propositions attractives.

Ce dispositif permet aux médecins libéraux de s'installer où ils le désirent dans le département ; je complète ensuite le maillage territorial avec les médecins du centre départemental de santé. Ce dispositif, je le répète, a été mis en place en attendant l'adoption d'une politique nationale, la moitié des médecins de Saône-et-Loire – environ 660 médecins généralistes – pouvant prétendre à la retraite d'ici à deux ou trois ans.

Les médecins que nous avons recrutés ont commencé d'exercer au mois de janvier. Les patients n'ayant plus de médecins référents depuis plusieurs années, les premières consultations sont plutôt longues, les médecins reprenant tout à zéro.

L'objectif de ce centre est double : d'une part, il répond à une attente des habitants du département et, d'autre part, il soulage les médecins généralistes. En effet, il est important de préciser que ce centre est très bien perçu par les médecins libéraux, qui sont complètement débordés.

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Comment a réagi le conseil départemental de l'Ordre des médecins ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Ce dispositif a fait l'unanimité ! Mais j'en avais évidemment parlé aux médecins libéraux, au conseil régional de l'Ordre des médecins, au directeur de l'ARS, et consulté tous les interlocuteurs concernés, parmi lesquels l'assurance maladie.

Pendant un an et demi, je suis allé à la rencontre d'un grand nombre de médecins généralistes, d'étudiants et de médecins à la retraite, afin de définir un dispositif le plus complet possible dans le cadre légal qui m'est imposé.

L'autorisation de créer un centre de santé a été donnée plusieurs mois après la création de celui de Saône-et-Loire, qui a été lancé au mois de septembre 2017.

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Quel était votre budget ? Avez-vous dû construire des locaux ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Non, pas du tout. J'ai lancé un recrutement au mois de juin, le lendemain du second tour des législatives, afin qu'aucun amalgame ne soit fait. En même temps, j'ai écrit à tous les maires du département et aux présidents des communautés de communes pour leur demander s'ils avaient des locaux vacants pouvant accueillir un cabinet médical.

Ce ne sont pas de locaux dont nous avons besoin, mais de médecins. J'ai donc eu suffisamment de locaux pour répartir les 45 antennes et les quatre pôles de santé sur l'ensemble du territoire.

J'ai réalisé un plan sur trois ans et mon budget, qui comprend le recrutement, le secrétariat, le matériel, est de 2 millions d'euros. Mais mon modèle économique sera équilibré dès le recrutement du trentième médecin généraliste.

Avec ce type de modèle, je défends la thèse départementale. Car si une agglomération a les moyens de créer un centre de santé, ce n'est pas le cas des petites communes. Le centre de santé départemental rayonne sur l'ensemble du territoire.

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Je ne connais pas le budget de votre département, mais tous les départements n'ont pas les moyens de mener une telle politique.

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Je considère ce centre de santé comme un investissement et j'ai fait en sorte qu'il ne soit pas à la charge du contribuable. Il s'agit donc d'un modèle économique qui peut être dupliqué par n'importe quel département. Alors bien entendu, c'est un modèle assez complexe, un montage est nécessaire, mais il est peut être très vite équilibré.

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Isabelle Maincion, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs

Le temps médical disponible des médecins continuera de diminuer les dix prochaines années, c'est mathématique – Mme la ministre l'a elle-même indiqué. Les mesures gouvernementales me paraissent donc bien faibles au vu de l'enjeu.

Elles ont cependant un mérite : les jeunes médecins peuvent expérimenter l'exercice libéral et l'exercice salarié. En revanche, le deuxième plan régional de santé (PRS2) de la région Centre-Val-de-Loire n'est pas du tout à la hauteur des attentes et des souhaits de Mme la ministre.

Des représentants de l'AMF ont rencontré les directeurs des ARS, estimant qu'un dialogue devait être lancé, un grand nombre de communes et de département se plaignant des agences. Or nous avons été surpris de découvrir que la plupart des directeurs et directrices des ARS ne connaissaient pas les territoires ; c'est pour moi une chose inimaginable. Ils se plaignent de ne pas avoir de contacts avec les élus et ces derniers se plaignent régulièrement des décisions « arbitraires » prises par les ARS, notamment celles qui concernent les fermetures d'hôpitaux ou qui freinent l'expérimentation des MSP.

Je rappelle en effet que les maisons de santé, les centres de santé et les dispositifs regroupés, comme la plateforme alternative d'innovation en santé (PAIS), expérimentée en Loir-et-Cher, sont tous des modèles qui ont été pensés, créés et expérimentés malgré l'avis défavorable des ARS.

Mme la ministre a émis le souhait que les directeurs d'ARS nouent un dialogue avec les territoires ; or ce n'est toujours pas le cas. Quand on parle des collectivités, on ne parle ni des départements, ni des maires, ni des régions, alors que tous participent aux financements. Je pourrais vous citer, dans le cadre des centres de santé, le nombre de communes, de communautés et d'intercommunalités dont l'exercice budgétaire est déficitaire, alors même qu'elles doivent débourser des sommes colossales – 300 000 euros par an pour ma commune – pour faire fonctionner un centre de santé.

Mais, encore une fois, ce sont des choix politiques que les élus assument, car il nous faut pallier la carence en médecins et donc prendre des initiatives pour répondre le mieux possible aux attentes de la population.

Les enjeux sont immenses et les remèdes proposés ne sont pas à la hauteur.

J'ajouterai que les modes d'exercice ne peuvent être proposés que par les médecins. La construction des projets ne peut se faire qu'avec les médecins et les professionnels de santé – paramédicaux, infirmiers, pharmaciens, etc. Les enjeux de territoire sont essentiels.

Lorsque les contrats locaux de santé (CLS), qui participent à la construction des dynamiques territoriales de santé, existent dans les territoires, ils sont bien plus efficaces dans ceux qui mènent des projets depuis fort longtemps, comme en Normandie ou en Bretagne. Les CLS sont un outil dont il faut laisser la liberté d'utilisation à chacun, afin de l'adopter au territoire concerné – le modèle choisi pour les Alpes, par exemple, ne sera pas le même que pour la Sarthe ou le Berry.

Je souhaite également dire – et je parle également au nom de France Urbaine qui n'a pu être présente ce matin – combien l'impact de la désertification médicale est important dans les banlieues. À un tel point que des locaux qui étaient occupés par des médecins sont maintenant vides.

Encore une fois, s'il n'y a pas de volonté politique au niveau national, nous n'y arriverons pas. Certes, des élus locaux ont eu du courage, mais ils n'ont pas été forcément soutenus par les parlementaires. Nous savons tous que, dans les dix prochaines années, nous, les élus locaux, devrons gérer cette pénurie de médecins. Un discours qui fait peur à nos concitoyens.

C'est peut-être le moment d'évoquer d'autres modes d'exercice, tels que les compétences déléguées aux infirmiers et aux pharmaciens, ou la télémédecine – qui est un outil. Les médecins eux-mêmes le disent, l'exercice de la médecine a complètement changé ces dernières années.

À titre personnel, j'ajouterai qu'il existe en France un désamour pour l'exercice libéral, quel qu'il soit, puisqu'il en va de même pour la profession de vétérinaire, dont le maillage territorial a disparu. De sorte que, si une maladie telle que l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) se déclare, nous ne pourrons la contenir aussi bien que par le passé. Il est donc primordial de modifier l'exercice libéral en envisageant son évolution, la partie administrative étant devenue trop pesante.

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Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe

Ces vingt dernières années, les gouvernements successifs ont à peu près tout essayé. Alors pourquoi ne pas envisager de nouvelles solutions ? À partir du moment où un Gouvernement s'empare du sujet et cherche des solutions, cela me convient.

En revanche, la question des ARS est un vrai problème, qui freine bon nombre de projets. Je puis vous citer l'exemple de trois communes qui souhaitaient ouvrir une maison médicale sans médecin, mais avec un grand nombre de paramédicaux – infirmiers, kinés, etc. Un projet qui, selon l'ARS, n'était pas viable. Eh bien cette maison a été ouverte, sans aide, dans la petite commune sarthoise de Saint-Saturnin, qui avait davantage de moyens financiers que les deux autres. Et quelques mois après son ouverture, deux médecins ont postulé. Ce qui montre que, lorsque tout est en place – les locaux, les paramédicaux –, les médecins arrivent tout naturellement.

Or les ARS empêchent ce type de projet ; c'est une aberration. Un grand nombre de projets n'aboutissent pas du fait de leur rigidité. Il serait donc essentiel d'assouplir le fonctionnement des ARS et d'y intégrer des élus et des étudiants – avant la 6e année – qui pourraient ainsi faire valoir leurs positions et formuler des propositions.

Mme Maincion estime que les élus locaux vont devoir se débrouiller seuls les dix prochaines années ; je pense que le problème sera réglé avant. J'ai en effet rencontré et échangé régulièrement avec des étudiants de 4e, 5e et 6e années, pour comprendre leur situation et leurs choix. Je suis intimement convaincu que si un travail était mené avec eux, si nous leur permettons de faire le choix de la médecine générale en milieu rural – milieu qu'ils ne connaissent pas et qui mériterait d'être intégré dans leur parcours universitaire –, le problème serait résolu plus facilement.

Un étudiant de 6e année doit effectuer un stage de six semaines, me semble-t-il, en milieu rural. Or un grand nombre d'entre eux ne le réalise pas, au motif que, s'ils partent, ils perdront le petit boulot qu'ils ont en ville pour financer leurs études. C'est une réalité dont nous devons tenir compte. Un grand nombre d'étudiants de 6e année effectuent des gardes dans des maisons de retraite ou sont sapeurs-pompiers pour compléter les 245 euros qu'ils gagnent par mois pour 30 heures effectuées par semaine dans un CHU. Je suis persuadé que si un tel travail était mené, ce n'est pas dix ans qu'il faudrait attendre, mais seulement six, car après trois ans d'internat ils pourraient s'installer dans la commune rurale qu'ils auraient choisie.

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Monsieur Accary, s'agissant du centre de santé départemental que vous avez créé, et qui est une très bonne initiative, avez-vous pu estimer le temps médical que vous avez fait gagner aux médecins et que vous offrez, donc, à la population ?

Vous l'avez tous dit, l'exercice de la médecine a changé et le médecin de campagne tel qu'il existait il y a encore quinze ou vingt ans, qui travaillait 70 heures par semaine, n'existe plus. Le temps médical disponible a été réduit par l'augmentation des tâches administratives.

S'agissant des ARS, nous avons bien compris que des dysfonctionnements perturbaient les nouvelles initiatives, Mme la ministre l'a relevé la semaine dernière lors de son audition. Elle nous a dit que les missions proposées par les ARS devaient être revues et que le lien avec les territoires, que Mme Maincion juge non efficient, devait être renforcé ; il nous faut des ARS qui accompagnent plus qu'elles ne sanctionnent.

Enfin, monsieur Dhumeaux, s'il n'y a jamais eu autant de médecins en France, le pays ne compte que des zones déficitaires en termes de présence médicale, à part peut-être dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. Nous devons donc imaginer une organisation différente pour proposer une offre médicale satisfaisante à la population.

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En effet, ne miser que sur les médecins ne suffira pas. Le transfert de compétences aux infirmiers ou aux pharmaciens, par exemple, ne peut que favoriser les choses, d'autant que le besoin de nos concitoyens est, non pas de voir un médecin, mais d'être soignés.

Monsieur Accary, quel salaire avez-vous proposé aux médecins recrutés par le département ?

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Vos différentes associations peuvent-elles collecter les actions menées sur le terrain par les collectivités et les évaluer ? Il serait en effet intéressant de disposer d'un relevé des bonnes pratiques.

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

S'agissant du temps médical, nous serons sur une moyenne de trois consultations et demie par heure. Aujourd'hui, les médecins en effectuent plutôt trois, puisqu'il leur faut refaire tous les dossiers médicaux.

Mais les médecins départementaux ne font que de la médecine. C'est d'ailleurs l'un de nos arguments : « Venez en Saône-et-Loire pratiquer le métier pour lequel vous avez été formés » ! Toutes les tâches administratives sont déléguées. Cet argument a convaincu un grand nombre de médecins libéraux, ravis de pratiquer la médecine d'il y a vingt ans. Je vous garantis qu'ils y prennent beaucoup de plaisir. D'ailleurs, ils nous font de la publicité auprès des médecins qui viennent postuler.

Le salaire de nos médecins varie de 4 600 à 7 000 euros nets par mois, selon l'expérience et les heures supplémentaires effectuées. Je me suis référé, pour déterminer les salaires, à la grille hospitalière – et non pas à la grille départementale, dont les salaires ne sont pas attractifs.

C'est bien parce que j'ai évalué, lors de mon arrivée au sein de l'assemblée départementale, les dispositifs existants, que j'ai imaginé ce centre départemental de santé. J'ai en effet constaté que des dépenses inutiles avaient été réalisées en matière d'accompagnement. Des actions que je n'ai pas arrêtées pour ne pas envoyer un signal négatif à la médecine libérale, mais qui n'apportent pas grand-chose.

Il est bien évidemment que, dans quelque temps, nous évaluerons les retombées du centre de santé départemental. Si dans deux ans, nous constatons que c'est une catastrophe, nous arrêterons. Mais je suis très optimiste. Je rappelle, car c'est important, que je n'ai pas opposé le salariat et le libéral ; ce n'est pas du tout le sens de notre démarche. Il s'agit de deux modes d'exercice complémentaires. Et ce centre est une solution temporaire, en attendant que la situation s'améliore, la mission du département n'étant pas de recruter les médecins ; nous répondons à une situation d'urgence.

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Quelle est la durée du contrat que vous proposez ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Les médecins signent un contrat de trois ans. À l'issue de ces trois ans, ils peuvent soit le renouveler, soit s'installer en libéral.

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Vous ne leur faites donc pas signer une clause de non-concurrence ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Non, nous espérons même qu'ils s'installeront en libéral ! Ce contrat permet à un jeune médecin, qui n'ose pas s'installer directement en libéral, de définir si l'endroit lui plaît et si la clientèle est intéressante.

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Isabelle Maincion, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs

Les collectivités ont énormément de bonnes idées ! En revanche, un dispositif qui fonctionne pour un territoire ne fonctionnera pas forcément dans un autre. Je vous citerai deux exemples que je trouve très emblématiques.

Le département de l'Aveyron a totalisé, voilà trois ou quatre ans, le plus grand nombre d'internes installés. Les médecins et l'Ordre départemental des médecins, dont le président est très actif, ont travaillé en lien avec l'université pour faire découvrir le département aux étudiants et ainsi favoriser leur installation.

Autre exemple, un médecin urgentiste de l'hôpital de Blois a convaincu les médecins libéraux de travailler avec les urgences. Aucun local n'a été nécessaire, chacun est resté chez soi, mais c'est bien la collectivité qui a financé la partie administrative et la prise en charge des appels, ce qui a permis d'accueillir les consultations non programmées et de désengorger de 20 % les urgences. Le département et les communautés de communes ont tous contribué à sa mise en oeuvre. Malheureusement, ce dispositif se fragilise du fait des restrictions budgétaires.

Je dirai à M. Dhumeaux que nous arrivons effectivement, aujourd'hui, à sensibiliser les futurs étudiants, mais le nombre de départs annoncés est tel que pour remplacer un médecin qui travaillait de 60 à 70 heures par semaine, ce n'est pas un, mais deux ou trois médecins dont nous aurons besoin. C'est la raison pour laquelle, il est indispensable de libérer du temps de consultation à nos médecins. Et pour ce faire, le ministère de la santé et la sécurité sociale ont un rôle important à jouer.

Les compétences déléguées et les centres de santé sont aussi de bonnes solutions. Je pourrais vous communiquer des exemples de centres de santé qui prennent en charge les migrants grâce à des financements d'État, même s'ils ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes.

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Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe

L'AMRF dispose d'une base de données de projets et d'expériences réalisés dans différents départements et communes qui permet d'avoir une vision exhaustive de ce qui peut se faire en milieu rural.

Nous avons tenté, dans la Sarthe, de mettre en place le modèle PAÏS, expérimenté en Loir-et-Cher, mais il n'a pas fonctionné – alors que ces deux départements sont proches sur de nombreux points. Le projet, porté par un médecin bientôt à la retraite, n'a pas réussi à convaincre, alors que cette solution était très pertinente.

Je reviendrai sur les propos de Mme Maincion qui a dit que nous ne disposerons pas de suffisamment de jeunes médecins pour remplacer ceux qui partiront à la retraite. Nous devons prendre en compte le fait que, dans les facultés, la médecine générale est totalement dénigrée ; rien n'est fait pour convaincre un jeune de s'orienter vers la médecine générale.

Pourquoi avoir limité l'accès en première année de médecine aux lycéens qui ont obtenu un baccalauréat S avec mention ? Pensez-vous vraiment qu'il s'agisse d'une bonne décision ? Par ailleurs, un jeune qui se classe parmi les 500 premiers aux ECN et qui choisit la médecine générale est systématiquement dénigré par le médecin chef du CHU ; c'est une réalité. Le monde médical devrait donc balayer aussi devant sa porte et revaloriser la profession de médecin généraliste.

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Vous avez évoqué vos actions et établi un constat. D'ailleurs, Mme Maincion a eu raison de le rappeler, nous avons un déficit non pas en médecins, mais en temps de médecine disponible. En effet, d'ici à dix ans, la population française va augmenter et les besoins en soins aussi. Imaginons que vous soyez aux affaires demain, face à cet état des lieux, quel serait votre plan ? Quelles seraient les premières mesures d'urgence que vous adopteriez ?

Deuxième question : êtes-vous ou non favorables à l'idée de réguler la profession de médecin, comme c'est le cas pour d'autres professions de santé ? Si oui, quels sont vos arguments pour mettre en place un tel outil ?

Ma troisième question concerne les aides financières, que vous avez évoquées, allouées par les départements, les ARS, les caisses d'assurance maladie, les intercommunalités, etc. Avez-vous pu consolider, vous, associations d'élus, l'ensemble de ces aides ? Car nous avons beaucoup de difficultés à en définir le périmètre, la Cour des comptes s'interrogeant d'ailleurs sur cette question.

Enfin, dernière question : que pensez-vous d'un nouveau transfert de compétences en matière de santé ? Une politique nationale définirait les enjeux – prévention, pathologies à prendre en charge, etc. – et elle serait ensuite déclinée localement.

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Monsieur Accary, avec un salaire maximum de 7 500 euros pour 35 heures, vous offrez à ces médecins une vraie qualité de vie. Un médecin libéral gagne environ 8 000 à 9 000 euros ; soit un différentiel de 1 000 euros. Si deux médecins libéraux mutualisaient leurs tâches administratives, nous retrouverions à peu près votre modèle. Ne serait-ce donc pas le bon format ? Ne conviendrait-il pas de l'initier pour que les médecins l'expérimentent, puis laisser les choses se faire ?

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Comment se passent les soins non programmés ? Sont-ils réalisés par des maisons de garde ? Comment désengorgez-vous les urgences ?

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Je ferai pour ma part un constat, car en tant que pharmacienne je connais bien le problème de la démographie médicale.

La désertification médicale va s'aggraver dans les dix prochaines années. Notre rôle est donc de définir une vraie stratégie, qui a largement été oubliée ces dernières années ; le défi est bien d'attirer les futurs médecins dans des territoires peu attractifs. Cela passe d'abord par une communication positive, puisque nous avons énormément de peine à accueillir des internes, notamment en milieu rural.

Cela passe ensuite par un accompagnement de ces internes pour leur faire découvrir le territoire. Je peux témoigner, puisque je suis élue de Saône-et-Loire, que tout est bien plus simple quand nous organisons un cocktail pour les accueillir dans une bonne ambiance.

Cela passe enfin par la création de liens avec toute la communauté médicale. Car il n'est pas toujours facile d'établir une bonne ambiance entre les médicaux et les paramédicaux ; un interne ne restera pas s'il y a des tensions. Les jeunes, aujourd'hui, ont besoin que l'ambiance soit bonne.

Vous l'avez dit, monsieur Dhumeaux, il serait peut-être intéressant de rémunérer les internes pour qu'ils viennent découvrir le milieu rural. Vous avez raison, ils ne peuvent pas se permettre de perdre leur job.

Par ailleurs, la délégation d'actes me paraît essentielle, certains pouvant facilement être réalisés par des pharmaciens ou des infirmiers.

S'agissant des cabines de consultation, j'y suis opposée car elles sont déshumanisantes. En revanche, que la télémédecine soit passée dans le droit commun à la faveur du dernier projet de loi de finances (PLF) est une avancée importante. Pour avoir développé dans mon officine la télédermatologie – de la télé expertise –, je puis vous affirmer que cela rend un immense service aux personnes qui ne peuvent consulter un spécialiste avant des mois. En 48 heures, le diagnostic est posé et le patient peut commencer un traitement.

La télémédecine est différente de la cabine, puisque le patient est accueilli dans un espace confidentiel par un professionnel de santé qu'il connaît bien. Dès septembre, les téléconsultations démarreront et même si ce n'est pas la panacée, il s'agit d'une bonne solution.

Comme vous tous, j'ai également une opinion assez négative des ARS, ayant conduit un contrat local de santé pendant quatre ans. Le rôle de l'ARS devrait être, non pas de nous mettre des freins, mais de nous accompagner. Par ailleurs, des élus devraient effectivement siéger dans les ARS car lorsqu'un hôpital ferme, ce sont les premiers à être interpellés.

Enfin, monsieur Dhumeaux, vous l'avez cité en exemple, des paramédicaux de ma circonscription se sont regroupés en vue d'ouvrir deux maisons de santé. Si, pour l'instant, aucun médecin n'est prévu, ils espèrent en convaincre. Or l'ARS refuse ce projet faute de médecin ! Cela est très dommageable. C'est la raison pour laquelle j'ai été ravie d'entendre Mme la ministre dire, lors de la discussion du dernier PLF, qu'elle donnerait davantage de possibilités aux collectivités pour innover. Mais attention : il conviendra d'innover de façon territorialement adaptée, car ce qui s'applique à un territoire n'est pas forcément adapté à un autre. Laissons aux professionnels de santé et aux élus qui connaissent leur territoire la liberté de construire un projet en fonction de leurs besoins.

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Loin de moi l'idée de dire que rien n'a été fait jusqu'à présent. Malheureusement, de nombreuses solutions expérimentées ne fonctionnent pas.

Je suis élue du département rural du Gers, je connais donc bien l'Aveyron ; de la même façon, nous essayons de mettre en place des solutions. Parfois, nous avons l'impression que les médecins nous prennent pour des idiots. Ce sont d'ailleurs eux qui, la plupart du temps, bloquent les projets.

Voilà plusieurs années que j'essaie d'expliquer que la délégation de tâches est une bonne solution, notamment dans les territoires comptant de nombreuses personnes âgées. Les urgences accueillent un grand nombre de personnes âgées qui sont laissées pendant des heures dans le couloir sur des brancards ; c'est intolérable. Les médecins vont devoir comprendre qu'ils doivent eux aussi donner leur part à la société. Je ne fais pas de généralité, mais je puis vous citer l'exemple d'une collectivité où les élus sont victimes d'un chantage pour maintenir un médecin dans une maison de santé.

Je suis donc favorable à une régulation, car même si des solutions existent, elles ne fonctionneront pas dans tous les territoires.

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Tout d'abord, je voudrais vous rassurer, je n'ai aucunement l'intention d'être aux affaires nationales demain, le département est ma seule motivation !

Ensuite, comme je l'ai fait dans mon département, il est nécessaire de réaliser un diagnostic de la situation ; j'ai d'ailleurs dépassé les frontières de mon département, la Saône-et-Loire ne disposant pas de faculté de médecine. Je suis favorable à une régulation : tous les territoires ne disposant pas des mêmes ressources, il serait regrettable que seuls ceux qui ont les moyens de mettre en place des politiques dynamiques puissent le faire – je pense aux métropoles. L'État doit avoir une vision nationale et accompagner les territoires.

Le transfert de compétences doit se faire à l'échelle du département. C'est ce que j'ai essayé de faire avec le centre de santé, le département pouvant équilibrer les choses sur tout son territoire.

En ce qui concerne les aides financières, il est indispensable de les régulariser. Si j'ai lancé ce centre départemental de santé, c'est pour une raison précise. Je puis vous citer un exemple concret de deux petites villes que 20 kilomètres séparent. L'une est plus désertifiée médicalement parce que les médecins se sont installés dans celle qui leur fait bénéficier d'avantages fiscaux pendant cinq ans. Résultat : les habitants qui ne peuvent pas se rendre dans la ville voisine, surpeuplée en médecins – nous n'avons ni métro ni bus, simplement des routes départementales –, n'auront pas accès aux consultations. L'État doit donc remettre de l'ordre dans ses dispositifs financiers.

Un transfert de compétences en ce domaine, oui, mais partiel.

Monsieur Jacques, je n'ai jamais parlé de 7 500 euros, mais de 7 000 euros maximum, si le médecin effectue des heures supplémentaires et travaille 39 heures. En moyenne, les médecins recrutés touchent entre 6 000 et 6 500 euros nets par mois.

En leur proposant un tel salaire, je n'ai pas d'abord pensé à leur qualité de vie, mais aux habitants de Saint-Léger-sous-Beuvray et de Saint-Christophe-en-Brionnais qui n'avaient plus de médecin depuis dix ou quinze ans. Ensuite, nous avons voulu tirer les leçons des solutions qui ont échoué et tenir compte de la souffrance des médecins libéraux dans les territoires ruraux, pour leur proposer une solution attractive.

La désertification médicale concerne aussi bien le milieu urbain que le milieu rural. J'ai également embauché six médecins généralistes à Chalon-sur-Saône – ville de 60 000 habitants ; en peu de temps, leur agenda a explosé.

De même, quand je suis arrivé à Saint-Léger-sous-Beuvray avec un médecin sous le bras, les habitants étaient heureux – tout comme le pharmacien –, tous n'ayant pas la possibilité de parcourir 10 kilomètres pour aller consulter dans la ville la plus proche.

Pour le centre de santé départemental, j'ai ouvert le recrutement en octobre et les dix premiers médecins ont démarré leurs consultations en janvier. Aujourd'hui, le dispositif étant connu, les médecins signent plus facilement ; tout va donc très vite.

Concernant les consultations, les médecins réservent chaque jour quelques heures pour les urgences – les personnes sans rendez-vous. Les pôles fonctionnent de 8 heures à 20 heures, tous les jours, et les médecins effectuent des permanences dans les antennes, en fonction des besoins. Nous allons également établir un système de garde. Cependant, je n'ai pas voulu les asphyxier dès leur arrivée – de peur qu'ils repartent –, j'ai donc demandé à l'Ordre des médecins d'attendre que trente ou quarante médecins aient pris leur fonction pour répartir les gardes. Mais les médecins le savent, les gardes sont prévues dans leur contrat.

Enfin, quand nous aurons recruté suffisamment de médecins, nous rétablirons la consultation à domicile – peut-être dès la fin de l'année.

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Isabelle Maincion, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs

Quelles sont les solutions ? Tout d'abord, il conviendrait de remettre l'hôpital au coeur du dispositif, de nombreux médecins hospitaliers étant disponibles pour assurer des consultations avancées dans les territoires ; nous sommes en train d'y travailler. Et certains signes nous font penser que la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) et la Fédération hospitalière de France (FHF) y sont plus favorables que par le passé.

L'hôpital structure énormément les territoires ; l'absence de structure hospitalière est un facteur aggravant pour la démographie, les médecins libéraux n'ayant plus la possibilité d'hospitaliser des patients.

De nouveaux métiers sont en train d'émerger, il convient donc de les laisser prendre leur place. Grâce aux délégations de compétences, les infirmiers, les pharmaciens et d'autres métiers auront des compétences particulières au sein des officines, par exemple. Ces nouveaux métiers sont déjà identifiés, il serait peut-être temps d'en assurer la formation.

Il conviendrait également de favoriser les organisations territoriales, toutes les solutions n'étant pas transposables d'un territoire à un autre.

S'agissant de la répartition, s'il n'y a plus de zones surdotées, certaines sont encore correctement dotées par rapport à des zones totalement désertifiées. La loi qu'a fait voter Marisol Touraine interdisait l'installation des médecins dans les zones correctement dotées ; cette loi qui n'a jamais fait l'objet de décret, c'est le serpent de mer qui n'a jamais émergé. Quand les pouvoirs publics auront-ils le courage d'appliquer cette mesure ?

S'agissant des zonages, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statiques du ministère de la santé (DREES) nous a expliqué récemment les critères pris en compte pour évaluer les zones – dotées, sous-dotées ou en grande souffrance. Or ces évaluations sont réalisées à partir de données datant, au mieux, de 2015, et aucune prospective n'est effectuée en tenant compte de l'âge des médecins – généralistes et spécialistes –, alors que l'on connaît déjà les territoires où des départs massifs sont prévus ; pourquoi cette donnée n'est-elle pas prise en compte ?

Par ailleurs, lorsque nous souhaitons anticiper les départs – l'arrivée de nouveaux médecins ne se fait pas du jour au lendemain –, l'ARS, fort de sa supériorité intellectuelle sur les pauvres élus locaux que nous sommes, nous l'interdit.

Enfin, la régulation doit être nationale. Car la concurrence entre les territoires est telle que l'on ne sait même plus qui finance quoi ; les élus ne se disent pas tout. Je suis en charge, dans ma collectivité, du contrôle de gestion – nouveau métier dans les collectivités –, je puis donc vous affirmer que lorsqu'on évalue les coûts, ils sont bien supérieurs à ce que l'on peut imaginer. Il y a là matière à régulation.

L'AMF et France Urbaine ont demandé les bilans des investissements publics de l'État en matière de santé ; nous n'avons aucune visibilité des financements et de leurs effets réels. Il s'agit là d'une demande récurrente qui pourrait être partagée par les autres associations d'élus.

La santé doit rester une compétence nationale afin d'assurer l'égalité entre les territoires. Des territoires, je le répète, qui sont en concurrence.

Il faut le comprendre et l'accepter, les jeunes font le choix de vivre dans les grandes villes. Et ce pour plusieurs raisons : le travail du conjoint, le cadre de vie, l'école des enfants, etc. Mais il est important de leur faire également comprendre que leur lieu de travail ne sera pas obligatoirement leur lieu de vie.

Enfin, et j'insiste sur ce point, la concurrence entre les territoires me dérange beaucoup. S'il n'y a pas un minimum de régulation, les écarts entre les collectivités resteront très importants.

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Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe

La commune de La Ferté-Bernard a salarié trois médecins d'un cabinet médical où est organisée une permanence de soins ; des soins de premières urgences pour désengorger les urgences du centre hospitalier. Un dispositif qui fonctionne très bien.

S'agissant des cabines, mes propos ne concernaient que les cabines isolées. Des cabines mises à disposition avec des soins infirmiers et un pharmacien pour la consultation d'un spécialiste sont évidemment des solutions à envisager.

Alors, quelles solutions me paraissent nécessaires ? Je suis intimement convaincu que nous devons mettre le paquet sur les externes – des 4e, 5e et 6e années. Hier, à 18 heures, les 9 250 étudiants ont eu leurs résultats et vont devoir, avant la fin août, décider dans quel CHU et dans quelle spécialité ils feront leur externat ; c'est là que tout se joue et qu'il faut les contacter. Après, c'est trop tard. Ce sont eux que nous devons accompagner. Nous devons leur faire prendre conscience que la médecine en milieu rural est une solution qui leur permettrait de vivre de façon très agréable et sans que leur spécialité soit dénigrée par leurs collègues.

Je suis favorable à la régulation. Nous devons limiter le nombre de médecins dans certains territoires et donc ne pas conventionner ceux qui s'installent dans des zones trop dotées. Il conviendrait peut-être de commencer sur une durée de quatre ou cinq ans afin de voir comment évoluent les choses, mais oui, il faut le faire, jusqu'à ce que le problème soit résolu.

Je suis sapeur-pompier de profession. Quand je vois le mal que nous avons à mettre en place des protocoles pour nos infirmiers, du fait du blocage des médecins, sur des gestes aussi simples que poser une perfusion ou donner un calmant à une personne qui a une fracture, je me dis que ce n'est pas gagné. Les médecins ne sont pas prêts à déléguer, il faut le savoir. Il conviendra donc, là aussi, de passer par la loi.

Enfin, je ne suis pas favorable à un transfert de compétences. Une équité doit être organisée sur l'ensemble du territoire. L'égalité est déjà mise à mal, avec l'éducation notamment, il ne faut donc pas en rajouter. L'État doit s'occuper de la santé, les habitants des petites communes n'ayant pas à payer plus cher que les autres les actes de santé.

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Monsieur Accary, vous n'avez pas répondu sur la régulation. Mais auparavant, je poserai encore trois questions.

Concernant les GHT, puisque vous représentez les territoires, que la guerre entre le public et le privé doit cesser et que nous devons être capables de disposer d'une instance de santé à l'échelle départementale ou public et privé se retrouveraient pour mettre en place des parcours de soins, êtes-vous disposés, AMF, ADF et AMRF, à vous coordonner et à éviter une concurrence de territoires ?

Je suis élu d'un territoire dans lequel des bourses ont été données à des jeunes qui souhaitaient faire des études de médecine ; dans le département voisin, aucune n'avait été distribuée, de sorte que certains se sont domiciliés dans ce département pour en obtenir une.

Enfin, s'agissant du logement des internes – dont on nous a beaucoup parlé – les collectivités ne peuvent-elles pas s'entendre pour trouver une solution ? De même, lorsque les internes réalisent leur stage dans une faculté loin de leur domicile, ils ont besoin d'être aidés financièrement, tous ne disposant pas de voiture quand il n'y a ni train ni car.

Que pensez-vous d'une harmonisation des aides apportées par les collectivités ?

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André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF)

Je suis bien évidemment favorable à une telle harmonisation. Si j'ai choisi de créer un centre de santé à l'échelon départemental, c'était aussi pour faire cesser la concurrence qui existait entre les collectivités pour faire venir des médecins. Je ne critique pas les élus en disant cela, je connais moi aussi le désespoir des habitants qui n'ont plus de médecin. Mais la régulation doit être nationale, la santé étant une question régalienne. Il est cependant indispensable d'accorder une certaine souplesse aux territoires dans le choix des dispositifs.

En revanche, laissons la liberté de s'installer aux médecins ! Un centre de santé départemental permet, justement, de réguler les choses en envoyant un médecin sur un territoire qui n'en a pas.

Enfin, si un grand nombre de médecins que nous avons recrutés viennent du Sud, c'est bien parce que j'ai procédé à une régulation, sans l'imposer.

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Isabelle Maincion, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs

S'agissant de la coordination entre élus, j'y suis bien évidemment favorable. Mais les ARS disposent de toutes les données pour mettre en place un système harmonisé. Maintenant, s'il faut reprendre ce qu'elles devraient avoir fait, nous pouvons, à nous tous, les solliciter. Il est évident que sur une même région, deux départements ne toucheront pas les mêmes aides – les ARS connaissent les montants grâce au guichet unique.

Une harmonisation est souhaitable.

Concernant le logement des internes, Mme la ministre l'a dit, l'accueil des internes est indispensable ; mais je ne pense pas que cela pose problème. De nombreuses solutions existent.

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Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe

Je suis également favorable à un travail conjoint avec les autres associations. Je suis favorable à tout ce qui peut faire évoluer les choses pour que nos concitoyens soient mieux soignés.

La concurrence entre les territoires est un vrai problème. Nous sommes à deux ans des municipales, de nombreux élus n'hésitent pas à utiliser la question de la désertification médicale comme un levier électoral. Un travail commun à l'échelon départemental est une idée séduisante, pour éviter notamment le débauchage de médecins d'un territoire à un autre.

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Madame Maincion, sachez que le sénateur Hervé Maurey a interrogé les ARS sur cette question. Elles se sont dites incapables de fournir un état des lieux des différentes aides apportées.

Je vous remercie de votre engagement.

L'audition se termine à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 8 h 30

Présents. – Mme Gisèle Biémouret, Mme Josiane Corneloup, M. Alexandre Freschi, M. Jean-Michel Jacques, Mme Mireille Robert, M. Philippe Vigier

Excusés. – M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Stéphanie Rist