L'audition débute à onze heures cinq.
Nous entamons notre seconde table ronde de la matinée, qui portera essentiellement sur l'hydrogène dans la mobilité. Nous nous interrogerons aussi, plus largement, sur le rapport entre mobilité et espace urbain et sur la manière dont la mobilité de demain influera sur l'aménagement du territoire et sur la différence des usages de l'automobile.
Nous recevons aujourd'hui : M. Laurent Antoni, responsable du programme « hydrogène et piles à combustible » au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), accompagné de M. Stéphane Laveissière, chargé d'affaires publiques ; M. Christian Hector, directeur général des services techniques à la communauté d'agglomération Sarreguemines Confluences pour nous présenter la station autonome de rechargement appelée « FaHyence », accompagné de M. Jean-Bernard Barthel, vice-président en charge de la transition énergétique ; M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), accompagné de Mme Louise d'Harcourt, chargée des affaires parlementaires, et M. Jacques Lévy, géographe, spécialiste des questions de mobilité et d'aménagement du territoire.
Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d'information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous entendons donner à la population de notre paysage énergétique, en termes de production ou de consommation, d'ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d'énergie renouvelable ; la mobilité, qui vous concerne directement ; les économies d'énergie, en particulier dans les bâtiments ; la manière dont les grands groupes de l'énergie et de l'automobile se projettent dans l'avenir ; les territoires, dans un monde où la production d'énergie sera beaucoup plus décentralisée qu'aujourd'hui ; enfin, la fiscalité, notamment comment sortir de son lien étroit avec le pétrole.
Dans la table ronde précédente, nous avons évoqué l'empreinte carbone sur l'ensemble du cycle de vie. Quel est le bilan des véhicules à pile à combustible par rapport à celui des véhicules à batterie ?
L'amélioration des technologies et des stratégies d'amorçage a permis d'abaisser le prix de l'hydrogène à la station de 30 % en cinq ans. Quelles nouvelles baisses de prix peut-on attendre à court, moyen et long terme ?
Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, le CEA-LITEN est un institut du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Composé de 950 personnes, il développe les nouvelles technologies dans le domaine des énergies alternatives, notamment le solaire avec le photovoltaïque, les batteries et l'hydrogène, comme acteurs énergétiques, du matériau à l'intégration des systèmes.
S'agissant de véhicules « propres » ou, pour le dire plus justement, à très faible émission ou à très faible impact environnemental, il convient de considérer quatre types de véhicules en termes d'électromobilité : les véhicules hybrides, les véhicules hybrides rechargeables, les véhicules à batterie et les véhicules électriques à hydrogène. On pense trop souvent aux seuls véhicules électriques à batterie. Or le véhicule électrique à hydrogène est aussi, comme son nom l'indique, électrique. Il convient d'autant plus de le préciser que ce sont les deux seuls véhicules qui soient à zéro émission à l'usage, donc de nature à résoudre la problématique du changement climatique et celle de la qualité de l'air, directement liée à la santé publique.
Ces deux technologies, à batterie et à hydrogène, doivent être considérées comme complémentaires et non concurrentielles, quel que soit le type de véhicule. Il a beaucoup été question des véhicules lourds, mais il faut aussi prendre en compte les véhicules électriques à hydrogène pour les particuliers. Il importe donc que les lois et réglementations traitent de manière équitable les véhicules électriques à batterie et les véhicules électriques à hydrogène.
Les véhicules électriques à hydrogènes doivent être privilégiés pour des usages intensifs, pour des transports longue distance, pour des transports de charges lourdes et si l'on veut conserver la flexibilité de la recharge, c'est-à-dire la même durée courte pour « faire le plein » qu'avec les véhicules thermiques.
Les véhicules électriques à hydrogène, ce n'est pas seulement le futur, c'est déjà aujourd'hui. Il faut développer la production de masse et abaisser les coûts, mais la technologie est mature.
Pour accélérer ce développement, je vois trois principaux axes.
Le premier axe est le déploiement des infrastructures. Pour les véhicules électriques à batterie, le coût de l'infrastructure doit inclure non seulement la borne de recharge, mais également le transport du courant, les sous-stations et la connexion au réseau électrique, que l'on a parfois tendance à omettre, et le développement des charges intelligentes pour réduire l'impact sur le réseau. À cela s'ajoute l'intégration dans un foncier urbain de plus en plus contraint. C'est facile dans les pavillons, mais, en ville, comment recharger un grand nombre de véhicules électriques à batteries ? La recharge rapide, est une solution, mais elle n'est pas sans effet sur la durée de vie des batteries. Le véhicule électrique hybride rechargeable permet de réduire la taille des batteries et de répondre aux inconvénients de la recharge rapide et de l'engorgement potentiel des bornes de recharge électriques en milieu urbain.
La connectique et le protocole de recharge des stations d'hydrogène sont déjà normalisés au niveau international. Il n'y a pas de problème d'interopérabilité. Je peux acheter un véhicule au Japon et le recharger en France, ailleurs en Europe ou aux États-Unis. Cependant il faut adapter la réglementation afin de faciliter l'implantation des stations d'hydrogène sans affecter le niveau de sécurité, en particulier en cas de production locale autour de la station, de nature à réduire l'impact environnemental du transport de l'hydrogène décarboné. Plus généralement, il est nécessaire de pérenniser la feuille de route nationale qui a été publiée le 1er juin par le ministère de la transition écologique et solidaire.
Le deuxième axe est l'amélioration des performances globales des batteries et des piles à combustible.
Pour les batteries, il faut gérer l'emploi des matériaux critiques en termes de ressources et de géopolitique, notamment le cobalt. Il s'agit de développer de nouvelles technologies s'affranchissant des matériaux critiques ou en diminuant fortement la sensibilité. Du côté de l'hydrogène et des piles à combustible, le seul matériau critique est aujourd'hui le platine, utilisé comme catalyseur. Au cours des dix dernières années, on a déjà réduit de plus de 70 % la quantité de platine entrant dans la conception d'un véhicule. En laboratoire, celle-ci a été réduite de 90 % par rapport à il y a dix ans, et les premiers catalyseurs sans platine sortent des laboratoires.
Le recyclage des batteries et des piles à combustible est un sujet de recherche et développement, mais des industriels comme Umicore ou la Société nouvelle d'affinage des métaux (SNAM) savent déjà recycler les batteries, à un coût certes élevé. Côté hydrogène, il s'agit essentiellement de récupérer le platine grâce à une technologie déjà éprouvée. Umicore annonce pouvoir récupérer de 90 % à 95 % du platine présent dans une voiture.
Enfin, il ne faudrait pas gagner en performance et perdre en sécurité. Il faut garder au moins le même niveau de sécurité que les véhicules actuels, ce qui passe aussi par la recherche et le développement.
Toutes ces actions nécessitent une recherche nationale à un excellent niveau. Le CEA travaille activement sur l'ensemble de ces barrières scientifiques et technologiques en collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et en lien direct avec les industries françaises. Le CEA a pour objectif de se maintenir à un niveau d'excellence et de contribuer à la compétitivité de l'industrie française dans ces domaines. La pérennisation de l'excellence de la recherche française dans le domaine des batteries, de l'hydrogène et des piles à combustible devrait se concrétiser par la mise en place de programmes dédiés par l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans ces deux domaines.
Le troisième axe vise à favoriser l'émergence de deux filières industrielles et de recherche d'excellence dans les domaines des batteries et de l'hydrogène, dans un cadre européen favorable. La Commission européenne a lancé, dans le courant de l'année dernière, une initiative visant à identifier et favoriser la création de neuf chaînes de valeurs critiques pour l'Europe. Cela se traduira notamment par la facilitation de la mise en place d'usines de production de masse de ces chaînes de valeurs. Parmi elles figurent les batteries et les technologies de l'hydrogène. Dès lors, il nous paraît important que la France soutienne ces deux initiatives, comme elle vient de le faire, courant novembre, pour la filière microélectronique, sachant qu'aujourd'hui, la production de batteries s'effectue essentiellement en Asie et en Chine. Cela commence également à apparaître dans le domaine de l'hydrogène, avec notamment la Chine qui se réveille très fortement.
La Commission européenne soutient aussi depuis des années les activités de recherche et d'innovation dans ces deux domaines. Une alliance européenne des batteries a été annoncée l'année dernière. M. Šefčovič, vice-président de la Commission européenne, a annoncé, lors de la dernière assemblée générale « hydrogène, piles à combustible », que l'Europe devrait faire de même pour soutenir et même augmenter le soutien au développement de la filière hydrogène en termes de recherche et développement dans le cadre du programme-cadre Horizon Europe. Pour permettre aux acteurs français de la recherche de bénéficier au mieux du soutien européen, il convient, en application du principe d'additionnalité, que la France mette en place, comme ses homologues européens, des programmes de recherche coordonnés au niveau national et doté de plusieurs dizaines de millions d'euros.
En conclusion, les seuls véhicules à zéro émission ou à très faible impact sont les véhicules électriques à batteries et les véhicules électriques à hydrogène. Pour les véhicules électriques à batteries, les véhicules hybrides rechargeables peuvent apparaître comme une solution appropriée pour réduire très sensiblement les émissions de gaz à effet de serre, tout en préservant une activité industrielle en France, sachant que les batteries sont plutôt importées d'Asie, contrairement aux moteurs thermiques qui sont toujours fabriqués en France et ailleurs en Europe.
Les deux technologies, à batterie et à hydrogène, doivent donc être soutenues et reconnues de manière équivalente dans les lois et règlements mis en place par les pouvoirs publics. La concurrence internationale, notamment asiatique, est rude, mais les acteurs français de la recherche et de l'industrie sont encore au niveau. Pour réussir le passage à la production de masse de ces deux technologies et maintenir notre capacité d'innovation, il nous paraît indispensable d'établir des feuilles de route claires entre l'État, l'industrie et les acteurs de la recherche, accompagnés de budgets pluriannuels adaptés, à la fois pour l'industrialisation et pour garantir l'innovation pour les générations à venir. Le CEA est heureux d'y contribuer, voire d'accepter ses efforts pour la réussite de la transition écologique.
La communauté d'agglomération de Sarreguemines Confluences totalise 66 000 habitants et 38 communes. Depuis onze ans, nous travaillons avec M. Barthel sur la mobilité durable à partir d'un plan climat réalisé en interne. Dans le cadre d'une démarche pragmatique, nous nous sommes dotés des compétences nécessaires pour réaliser nous-mêmes les bilans carbone. Les stations, réalisations et infrastructures que je vais décrire ne nous ont rien coûté zéro en termes d'études. Elles résultent de travail en interne ou de travail effectué en partenariat avec des acteurs locaux.
Nous avons retenu trois volets de mobilité durable : un volet électrique « batteries » ; un volet gaz naturel compressé et de préférence biométhane, pour la mobilité lourde, et un volet électrique « pile à combustible », pour résoudre les problèmes de temps de recharge et d'autonomie, ainsi que les difficultés, pour les entreprises, de gérer la mobilité électrique avec des utilitaires pas toujours stationnés dans les dépôts, notamment les véhicules utilisés par des collaborateurs et remisés à domicile.
La station que nous avons réalisée est la première en Europe à produire, compresser et distribuer sur place de l'hydrogène vert. Comme le disait M. Antoni, nous avons respecté les protocoles existants. Nous avons également utilisé un protocole visant à réduire la température de l'hydrogène à moins 20 degrés, afin de pouvoir distribuer de l'hydrogène à des véhicules allemands en 700 bars, alors que les dix utilisateurs de notre territoire utilisent du 350 bars pour leurs véhicules hybrides à batteries et à pile à combustible. La station est ouverte au public. Ces dix véhicules n'appartiennent pas à la flotte de la communauté d'agglomération mais sont des véhicules professionnels utilisés par des entités différentes.
Nous n'avons rien à vendre, ni hydrogène, ni infrastructures, ni mobilité. Les mobilités sont complémentaires. Nous ne rencontrons plus de difficultés technologiques. Les matériels existent, des entreprises savent les fabriquer, mais nous rencontrons un problème de dimensionnement des entreprises par rapport à l'enjeu. McPhy, un producteur d'électrolyseurs et de compresseurs d'hydrogène, exploite pour nous la station et en assure la maintenance, car nous n'avons pas les compétences pour le faire. Les techniciens viennent d'Italie ou de Grenoble pour dépanner la station, ce qui est difficile à gérer. En revanche, un gazier a installé notre station gaz pour véhicules lourds et en assure la maintenance, à l'instar de Total avec ses stations de distribution de carburant.
Nous avions approché des majors pour nous aider dans ce projet mais nous n'avons pas été entendus. Air Liquide a des stations à Paris pour des grosses flottes, Engie aussi, même pour le méthane ou le biométhane. Leur modèle, c'est Paris. Bordeaux est déjà trop petit, Strasbourg, est bien trop petit et Sarreguemines n'est même pas sur la carte… Nous avons besoin que les majors acceptent d'assurer la maintenance, comme un gazier ou un producteur de pétrole gère des stations.
Notre station peut produire 40 kilogrammes d'hydrogène par jour, car nous étions confiants en la capacité d'avoir de nouveaux clients. Nous distribuons 1,5 à 2 kilogrammes par jour. Les clients viennent s'approvisionner quotidiennement, ils n'utilisent plus la batterie, seulement l'hydrogène. Ils font le plein en quelques minutes et repartent aussitôt, aptes à parcourir leurs 150 kilomètres. Plutôt que d'immobiliser leur véhicule pour recharger les batteries, ils préfèrent venir faire le plein d'hydrogène. D'autres véhicules de marques étrangères qui roulent entièrement à l'hydrogène, excepté la petite batterie assurant l'interface entre la motorisation et la pile à combustible, viennent faire le plein.
Nous rencontrons le même problème de maintenance avec nos véhicules, qui nous ont été vendus par Symbio, fabricant de piles à hydrogène. Si le constructeur Renault se dit intéressé par l'hydrogène, les concessions ne le sont pas du tout. Notre problème n'est pas de trouver des clients, mais de réaliser les infrastructures. Nous avons une infrastructure de véhicules électriques pour 2 500 habitants pour la ville de Sarreguemines, et nous en aurons bientôt une pour 2 500 habitants pour la communauté d'agglomération. Quand des infrastructures avec de bonnes conditions de recharge existent, les véhicules arrivent. Si l'on peut faire entretenir une Zoé dans un garage à Sarreguemines, pour les véhicules à l'hydrogène, les techniciens de Renault, bien que formés, ne souhaitent pas intervenir et n'ont pas les moyens disponibles pour le faire. Si nous avions de bonnes conditions d'entretien et de maintenance de la station et de bonnes conditions d'entretien et de maintenance des véhicules, nous aurions pu avoir 20 Kangoo à l'hydrogène sur le territoire, mais nous n'engageons pas de développement car les dépannages sont longs. Même si Symbio et McPhy font des efforts, ils n'ont pas la structure nécessaire pour être efficaces. Or tel n'est pas le cas avec la station de gaz ouverte depuis plusieurs mois. Les bus et les bennes à ordures ménagères roulent au gaz, et nous avons trouvé un modèle économique.
L'effort industriel ne servira à rien si des territoires ne suivent pas. Plutôt que de « start-up nation », je préfère parler de « start-up territoires ». Ainsi, le territoire de Saint-Julien-en-Quint, avec lequel nous sommes liés, s'est lancé dans l'aventure avec l'association communale de production d'énergies vertes (ACOPREV), avec la participation du CEA. Nous avons envie d'agir mais nous n'avons pas en interne les ressources en temps nécessaires pour ce faire.
Au cours des dernières années, j'ai consacré, avec la bénédiction de nos élus, un tiers de mon temps à ce dossier, mais, avec 150 personnes sur le terrain tous les jours, on n'attend pas principalement le directeur des services techniques que je suis sur cette mission. Nous avions un chargé de mission dans le cadre de notre label « territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), mais nous ne sommes plus aidés. Une association comme l'ACOPREV est basée sur le bénévolat. Nous pouvons trouver des clients mais nous avons besoin de support pour développer cette activité. Des entreprises sont d'accord pour acquérir au prix de 40 000 euros un véhicule à hydrogène plutôt qu'un véhicule à batterie, parce que cela correspond à leur démarche de qualité et de performance environnementale, sans même s'interroger sur le prix de vente de l'hydrogène, de même, que l'on trouve facilement des acquéreurs des véhicules à mobilité lourde au gaz, mais nous avons besoin de main-d'oeuvre. En investissement, nous avons été aidés par un programme européen par le biais du consortium Fuel Cells ans Hydrogen, à hauteur de 50 % pour l'ensemble du projet FaHyence, nom donné en référence au passé industriel et à la faïencerie de Sarreguemines, mais il nous manque du temps. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls, des territoires ruraux en manquent aussi.
Quels services les infrastructures de recharge pour les batteries et pour l'hydrogène peuvent-elles rendre au réseau électrique ? Comment effacer les pointes ? Comment faire de la recherche intelligente ? Comment produire de l'hydrogène au bon moment, voire utiliser l'ensemble des capacités de production puis de restitution de l'électricité au bon moment ? On parle plutôt d'intelligence autour de la station ou autour des batteries par un opérateur agrégateur. Ce volet est chez nous transfrontalier. L'interopérabilité des branchements étant assurée la mobilité transfrontalière durable est pour nous également possible.
La Plateforme automobile regroupe l'ensemble de la filière, constructeurs, équipementiers, soit environ 4 000 entreprises industrielles de fournisseurs qui représentent une part importante de l'innovation de l'automobile. Dans le cadre du comité stratégique de la filière automobile, elle représente également l'ensemble de l'aval de la filière, c'est-à-dire tous les services, les concessionnaires étant aussi appelés à jouer un rôle important dans la transition.
En mai dernier, nous avons signé le contrat stratégique de la filière automobile 2018-2022. Nous vivons une période à la fois fascinante et inquiétante de transformation extraordinairement profonde avec la transition écologique, énergétique, digitale et sociétale, incarnée par un véhicule propre, connecté, autonome et partagé. Au travers de ce contrat et de la démarche engagée avec tous les acteurs, nous sommes entrés résolument dans une logique d'acteurs de cette transition. Nous n'avons pas le choix, cela fait partie des attentes de la société, pour des raisons écologiques, énergétiques, compte tenu de l'évolution du rapport à la voiture et des besoins croissants en matière de mobilité. Nous sentons bien qu'au travers des évolutions technologiques, la frontière traditionnelle entre transport public collectif et transport individuel privé tend à s'estomper. Une des caractéristiques de l'époque actuelle, c'est, pour réussir cette transition, l'obligation de travailler ensemble : public, privé, acteurs traditionnels de la filière automobile et des transports, ainsi que nouveaux acteurs. La philosophie de ce contrat de filière est la mobilisation collective et l'ouverture en vue de réussir cette évolution.
Dans ce cadre, nous traiterons des aspects technologiques et énergétiques, mais à moyen terme, la plus grande contribution s'inscrira dans la volonté d'être acteurs des nouvelles mobilités par une combinaison intelligente de tous les modes. En tant que filière automobile, nous ne sommes pas encore clairement identifiés par les élus locaux comme des acteurs des nouvelles mobilités. C'est l'un des travaux importants que nous allons mener cette année, en association avec tous les acteurs, pour contribuer aux réflexions au niveau d'agglomérations et de territoires. Nous voulons être des apporteurs de solutions, aux côtés d'autres acteurs, car nul ne peut revendiquer être le seul acteur. Les défis sont considérables. Nous devons jouer collectif. C'est pourquoi nous travaillons avec un certain nombre de territoires et collaborons et échangeons beaucoup sur les nouvelles technologies avec le CEA-LITEN.
Dans cette transition, nos horizons temporels sont les suivants.
À très court terme, dans les deux années à venir, nous devons réussir le décollage du véhicule électrique et du véhicule hybride rechargeable. Les deux sont nécessaires car ils correspondent à des types d'usage différents. Je ne suis pas sûr que le véhicule électrique soit la seule solution d'avenir mais à court terme, cette technologie mature est adaptée pour répondre à certains types d'usages. Le cadre réglementaire oblige les constructeurs à vendre beaucoup plus de véhicules électriques et hybrides rechargeables dans les deux ans qui viennent. Nous nous sommes engagés à multiplier par cinq les ventes de véhicules électriques d'ici à 2022 par rapport à 2017. C'est un enjeu très concret pour le secteur de l'automobile qui investit des milliards d'euros. Quantité de nouveaux véhicules vont être mis sur le marché. Le grand enjeu est de les vendre. Nous avons besoin de cohérence et d'un écosystème favorable.
À moyen terme, à l'horizon 2030, il est prévu de diviser par un peu plus de deux les émissions de CO2 des véhicules neufs par rapport à leur niveau actuel. C'est une transition extrêmement rapide au regard de la lourdeur de cette industrie. Au-delà de 2030, nous devons nous ouvrir à toutes les options technologiques possibles. Nous souhaitons que le cadre réglementaire et législatif respecte le principe de neutralité technologique. Notre collègue du CEA invitait à traiter pareillement le volet batteries et le volet hydrogène. J'irai plus loin. Il est important qu'on nous fixe des objectifs, et nous avons le devoir de nous mobiliser pour les respecter, qu'il s'agisse des enjeux globaux de baisse des émissions de CO2 ou des enjeux locaux de pollution de l'air, mais ils doivent être formulés sous la forme la plus neutre possible pour ne pas fermer a priori des pistes technologiques dont on ne peut aujourd'hui garantir le succès mais qu'il serait dommage de ne pas pouvoir développer. L'histoire a montré qu'il fallait se méfier de l'idée d'une solution miracle pour régler toutes les questions et répondre à tous les usages. Il faut trouver un juste équilibre entre ceux qui, a priori, critiquent le véhicule électrique à batteries, alors qu'il répond pleinement à certains types d'usages, et ceux qui considèrent que c'est la seule solution.
Au-delà de la problématique des batteries, pour lesquelles nous entrons dans une massification du marché, avec l'enjeu considérable de notre capacité à développer une filière européenne de batteries maîtrisée technologiquement, l'hydrogène est une piste extrêmement prometteuse dans laquelle des constructeurs et de grands équipementiers comme Michelin, Faurecia ou Plastic Omnium s'investissent fortement. En termes de parts de marché d'ici à 2030, cette technique concernera probablement moins le véhicule particulier que des créneaux d'usage intensif et lourd, mais c'est une piste importante. Il faut résoudre les problèmes de coûts et de construction d'infrastructures. Une de nos craintes est de pouvoir atteindre les objectifs ambitieux qui nous sont fixés et que nous partageons bien volontiers, car nous dépendons d'écosystèmes complexes. Nous avons déjà des inquiétudes sur la montée en puissance des infrastructures de bornes de recharge pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables. L'hydrogène et le gaz sont des pistes intéressantes à titre temporaire ou définitif. La difficulté réside dans la capacité à développer à grande échelle des infrastructures de nature à convaincre les consommateurs que les conditions sont réunies pour qu'ils puissent faire tel ou tel choix. Dès l'année prochaine, il faudra vendre trois fois plus de véhicules électriques qu'aujourd'hui. En ce début d'année, les consommateurs seront-ils assez nombreux à être convaincus que c'est le bon moment pour basculer ? Nous avons besoin d'une cohérence d'ensemble.
D'autres sujets technologiques peuvent être intéressants, d'autres types de combustion décarbonés peuvent être développés. Traditionnellement, l'industrie automobile investit énormément en matière de recherche et développement. Sur les cinq premières entreprises en tête de classement en matière de dépôt de brevet, trois relèvent de l'automobile. C'est la seule possibilité de survie pour l'industrie automobile. Il faut laisser le spectre ouvert, mais opérer des choix parmi les technologies, car le déploiement à grande échelle nécessite des investissements très lourds, et il n'est pas certain que le pays soit en capacité de suivre à grande échelle toutes les pistes envisageables.
La parole est à M. Jacques Lévy, géographe qui a beaucoup travaillé sur les questions de mobilité. Il considère que les techniques de la mobilité sont fondamentalement politiques et qu'un modèle de mobilité est toujours aussi un modèle d'urbanité. Je crois adhérer par avance à bon nombre de ses propos.
Le passage du mot « transport » au mot « mobilité » traduit d'ailleurs bien la prise de conscience du fait que les acteurs principaux sont les humains mobiles. Le mouvement des Gilets jaunes et, précédemment, le mouvement des Bonnets rouges ont montré l'hypersensibilité d'une partie de la population à toute augmentation du coût de la mobilité automobile. Dans les deux cas, ils ont été capables de s'opposer victorieusement à des décisions politiques qui pouvaient paraître légitimes, parce qu'elles étaient élaborées dans le cadre de la démocratie représentative et parce qu'elles correspondaient à un bon équilibre entre la liberté de mouvement et d'autres considérations, notamment celle qui vous anime, à savoir le développement durable.
Contrairement à d'autres dimensions de la transition énergétique, comme l'isolation des bâtiments qui ne posent pas de problèmes de principe politiques et sociétaux, les questions de mobilité sont liées à des systèmes de pensée et à des visions de la vie réussie. Le choix des modèles d'habiter est plus accessible qu'avant. De nouvelles possibilités d'arbitrage sont apparues, y compris pour des catégories de personnes aux revenus relativement modestes. La différence entre habiter au centre d'une grande ville et habiter dans le périurbain tend à devenir économiquement neutre dans la mesure où le supplément de dépense entraîné par la mobilité privée est compensé par l'économie réalisée sur le prix du foncier. Des équivalences mises en évidence il y a une vingtaine d'années se sont confirmées dans le temps.
Contrairement à une légende, la pauvreté est moins forte dans le périurbain. Les gradients d'urbanité périurbains sont ceux où il y a le moins de pauvres, parce qu'on peut aussi économiser sur le foncier dans la zone centrale, notamment grâce au logement social.
Je dirai donc un peu caricaturalement que ça se joue donc surtout dans la tête de nos concitoyens. Les solutions techniques règlent un aspect du développement durable qu'est l'émission de CO2, mais d'autres aspects comme la biodiversité et la santé publique ne sont pas ou peu pris en compte. La santé publique l'est en partie dans la mesure où les carburants ne sont plus polluants, mais le changement de carburant ne modifie en rien l'organisation de l'espace. Si l'on veut desservir un espace à faible densité, on doit avoir un réseau viaire très consistant, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'environnement naturel.
En outre, la mobilité est un pôle du modèle d'habiter lié à d'autres comme le pôle fixe, le pôle résidentiel et le pôle de l'emploi. Le système fonctionne de façon cohérente, l'un n'allant pas sans l'autre. Le rapport à l'espace public est décisif en matière de choix. Les gens qui préfèrent habiter dans les zones centrales aiment bien l'espace public, qu'ils soient fixes ou mobiles, alors que ceux qui décident d'habiter dans le périurbain sont plutôt en rupture avec ce qui leur semble être une promiscuité ou une coprésence avec des populations indésirables. Autant de critères reliant la mobilité et ce qui n'est pas la mobilité, c'est-à-dire les autres choix en matière d'habitat.
Par conséquent, c'est davantage par le débat, par un travail de lente évolution culturelle qu'on peut espérer faire bouger les choses que par des mesures exclusivement techniques. Il est partiellement faux de dire que les pauvres gens du périurbain aimeraient bien avoir les mêmes services et les mêmes aménités que dans les centres villes, dans la mesure où ils ont fait des choix et où une partie du mode de vie urbain inspire leurs motivations négatives. Ils ne souhaitent pas habiter en ville. Ils n'ont pas été déportés dans le périurbain.
Il faut avoir le courage de dire que faire évoluer la société prendra du temps et passera par le débat politique. C'est aussi un plaidoyer pour faire du « grand débat national » un dispositif permanent de mise en relation des initiatives de la scène politique et de la dynamique de la société. Nous avons nombre de dispositifs concrets pour écouter la société, ses mouvements, ce qu'elle accepte de changer, ce qu'elle refuse de changer ou sa division. La possibilité de choix en matière de modèle de mobilité et de mode d'habiter en général, la possibilité nouvelle de choix offerte à plus de gens se sont traduits par une sorte de sélection des espaces. Le clivage entre une partie de la société qui se « démotorise », valorise la marche à pied et les transports publics et l'autre partie pour qui l'automobile est un choix de vie très fort montre la nécessité du travail sociopolitique à réaliser.
Concernant l'action sur les transports, Marc Mortureux a raison de dire que le couple individuel-collectif et le couple privé-public, qui paraissent identiques, ne le sont pas. Un des enjeux est d'intégrer d'une façon ou d'une autre le transport individuel dans la sphère de la mobilité publique. À côté du covoiturage et de l'autopartage, qui existent déjà, le véhicule autonome, qui profitera des innovations énergétiques, représentera un élément très intéressant. En dissociant le mouvement du conducteur, il ouvrira des scénarios de collectifs d'usage, par exemple entre voisins qui amènent leurs enfants à l'école sans les conduire eux-mêmes, et un champ de relations beaucoup plus ouvertes et créatives entre l'individuel qui peut être collectif sans être nécessairement sociétal et le public. Ces marges de manoeuvre pourraient avoir des effets économiques intéressants. L'histoire a montré que les automobilistes avaient accepté de payer une grande partie du prix du transport qu'ils n'acceptaient pas de payer sous forme de transport public. Le véhicule autonome peut maintenir la mobilisation économique des usagers de l'automobile tout en facilitant le déplacement du transport individuel vers la sphère de la mobilité publique.
Aujourd'hui, il n'est question de l'hydrogène que pour alimenter la pile à combustible. On parle peu d'une autre utilisation, la méthanation, qui consomme du CO2 pour faire du méthane utilisé comme carburant bio-GNV.
L'expérience de Sarreguemines établit la connexion entre la station d'hydrolyse et le smart grid. Quels sont les bons endroits pour positionner les stations d'hydrolyse ? Il ne faudrait pas inverser le problème en voulant produire de l'hydrogène vert à tout prix. S'il fallait construire plus de centrales nucléaires à cet effet, on n'aurait pas gagné grand-chose. Comment intégrer l'hydrolyse dans le smart grid ?
On voit des constructeurs faire des choix d'investissement différents. Les constructeurs nationaux, Renault et PSA, sont plutôt tournés vers la batterie. Des équipementiers comme Faurecia proposent des solutions hydrogène et des constructeurs étrangers comme Hyundai ou Toyota ont fait le pari de l'hydrogène. J'ai eu l'impression, en visitant le Mondial de l'auto, que pour PSA et Renault, la seule solution était l'électrique à pile en excluant l'électrique à l'hydrogène.
Élu rural, je considère qu'on ne différencie pas assez le rural de l'urbain. On ne sait pas proposer de vision à nos concitoyens. On discute de la mobilité en général, de la trottinette au partage de véhicules, mais il faudrait être beaucoup plus précis en fonction des lieux où habitent les gens. De même, on évoque un pic de demande d'électricité au moment des départs en vacances. À mon sens, on n'utilise pas une voiture électrique pour partir en vacances. En matière d'usage, des éléments sont à clarifier et des visions à donner.
La méthanation nous intéresse, puisque nous avons opté pour la mobilité lourde au méthane. Du point de vue industriel, la rupture technologique est bien moindre pour le gaz que pour l'hydrogène ou l'électricité en mobilité lourde – camions, bennes, bus et transport logistique. C'est intéressant quand il y a de l'hydrogène fatal dans une industrie. Au regard des quantités disponibles, nous ne pouvons utiliser l'hydrogène en direct pour la mobilité. La mobilité lourde au gaz est facile à mettre en oeuvre rapidement, puisque les moteurs existent déjà. La démarche de Paris a contraint les constructeurs à développer rapidement leur production et la concurrence commence à naître. Nous avons acheté nos bus chez Iveco et nos bennes chez Scania, faute d'offre équivalente des constructeurs français.
Quand nous avons démarré l'électrolyse, il y a dix ans, il s'agissait d'acheter deux compteurs marins, l'un pour l'électrolyseur, l'autre pour la compression, de brancher de l'électricité et de l'eau pour assurer la mobilité électrique hydrogène partout, y compris en milieu rural pour améliorer l'autonomie et faire des pleins rapidement. Mais avec le smart grid auquel nous sommes venus plus récemment, nous avons un électrolyseur capable de produire 40 kilogrammes par jour et il faut qu'il tourne, pour la mobilité ou pour un autre usage.
Nous nous demandons s'il est installé au bon endroit. Nous l'étudions avec Enedis dans le cadre du projet Smart Border Initiative. Nos amis allemands qui rencontrent beaucoup plus de problèmes d'intermittence et de contraintes locales de réseaux sont très intéressés pour travailler avec nous sur ce sujet car, à l'endroit de la station, il n'y a pas de contrainte de réseau. Un équilibre devra être trouvé. Notre station est installée à un endroit où une consommation est possible, à l'entrée de la zone industrielle, tout près de la zone commerciale et de l'entrée des grands axes, comme une station de carburant normale. Il faut trouver l'adéquation entre les contraintes du réseau, la production d'hydrogène et la cogénération d'électricité. Pour la cogénération et pour réinjecter de l'électricité, il faut trouver quelqu'un pour utiliser la chaleur. Nous n'avons pas encore assez suffisamment avancé sur ce sujet pour répondre à la question. Nous avons un type d'utilisation qui peut correspondre, c'est-à-dire une grosse station d'épuration, mais elle n'est pas forcément au bon endroit pour distribuer de l'hydrogène pour des véhicules.
Concernant la méthanation et le positionnement des électrolyseurs de production d'hydrogène décarboné, il faut garder à l'esprit que l'hydrogène est un vecteur d'énergie. De ce fait, il peut intégrer les énergies renouvelables par le lien avec le réseau et stocker les énergies renouvelables. De ce point de vue, l'hydrogène par l'électrolyse est intéressant. Le positionnement doit être lié à la localisation des lieux de production d'énergie renouvelable. Une étude européenne réalisée l'an dernier, portant sur plusieurs cas, dont un en France, près d'Albi, et d'autres en Allemagne et dans d'autres pays, a montré que réaliser une production massive d'hydrogène à côté de grands parcs d'énergie renouvelable avait du sens. En outre, on peut prévoir une connexion au réseau capable de fournir un service de support comme peuvent le faire aujourd'hui les batteries de puissance pour contribuer à la stabilisation et à la résilience du réseau. Les électrolyseurs ont aujourd'hui une puissance suffisante, à l'échelle du mégawatt et non plus à l'échelle du kilowatt, comme c'était le cas il y a encore cinq ou dix ans. Un tel service au réseau peut permettre, comme à Albi, de réduire de 40 % à 60 % la durée de retour d'amortissement. On peut ouvrir un volet économique en étant proche des grandes productions d'énergie renouvelable grâce à une connexion réseau pour stocker l'énergie intermittente et offrir un service de résilience du réseau électrique.
Vous faites bien état de connexion au réseau électrique dans la mesure où on reproduit de l'électricité à partir de l'hydrogène ?
Non, mais en me demandant quand produire l'hydrogène. Si je veux amortir mon électrolyseur, il doit tourner un maximum d'heures. Autant utiliser de l'électricité décarbonée avec le mix français. Il ne faut pas avoir honte de se servir de cette énergie décarbonée pour produire de l'hydrogène. Mais je dois parfois aussi m'effacer. Soit en me branchant, soit en m'effaçant, je peux apporter un service comme on peut le faire avec la batterie.
Afin de décarboner les usages, on peut utiliser l'hydrogène comme matière première de valorisation du CO2. Encore faut-il que l'on puisse capter massivement le CO2 pour faire massivement du méthane de synthèse à partir d'hydrogène. Des initiatives en ce sens existent en France, comme « Jupiter 1000 », mais aujourd'hui, ne devrait-on pas plutôt se servir du gaz naturel directement sur le lieu de production en cas de besoin ou le réinjecter dans le réseau de gaz naturel qui pourrait ensuite le distribuer vers des applications industrielles ou de transport ? Il ne faut pas faire de la méthanation spécifiquement pour du transport mais plus largement pour l'injection vers le réseau de gaz naturel.
Concernant le choix des constructeurs, vous avez souligné à juste titre que les visions coréenne, japonaise et maintenant chinoise ou française ne sont pas équivalentes. Il faut considérer non seulement l'aspect transport mais aussi l'approche de la problématique énergétique des différents pays. Le Japon a fait le pari de l'hydrogène. Ce n'est pas un choix de Toyota ou de Honda, c'est un choix du Japon dans sa politique énergétique globale, afin de redynamiser son industrie, et pas uniquement dans le transport, de se désensibiliser de sa dépendance géopolitique en matière de ressources en énergie et d'exercer un impact environnemental positif. La Corée vient d'annoncer, le 17 janvier, une politique énergétique ambitieuse visant à la fois la mobilité et l'énergie. Les Coréens ont commencé par les grosses stations de piles à combustible pour fournir de l'énergie électrique au réseau coréen. Avec le plan hydrogène, la France vise à la fois la décarbonisation à hauteur de 10 % de l'hydrogène industriel, le transport et le stockage avec intégration des énergies renouvelables, aspect en l'occurrence moins sensible en raison de notre mix électrique.
Quant au développement des stations et de l'infrastructure hydrogène, une révision de la directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs, dite directive AFI, est prévue en 2019. Avec 30 stations, la France a affiché un objectif très modeste. Le plan national hydrogène vise plutôt 100 stations pour 2023, 400 à 1 000 stations d'ici 2028. En vue de créer une dynamique industrielle, il serait bon d'investir pour développer la maintenance et de revoir un peu nos ambitions à la hausse.
Je partage ce qui vient d'être dit au sujet des constructeurs. L'époque actuelle est caractérisée par l'incertitude. Dans ce secteur hyperconcurrentiel où il est déjà compliqué d'ajouter un élément à 10 euros dans une voiture, tout le monde se demande quelles seront les bonnes technologies. Tout choix fait par les uns ou par les autres est un pari et peut être une question de survie. Quand des équipementiers s'engagent résolument dans l'hydrogène, c'est un pari.
Pour avoir évolué dans le public et dans le privé, je peux dire qu'une des difficultés est la méfiance qui règne entre les différents types d'acteurs. Il y a beaucoup de questionnements sur la capacité réelle à traduire concrètement toutes les ambitions affichées, car les enjeux d'infrastructure sont considérables. L'enjeu à très court terme est de réussir le décollage du véhicule électrique. On s'interroge aussi sur l'évolution du coût des batteries et des piles à combustible, sur les différents scénarios possibles pour la production d'hydrogène et sur les circuits de distribution. Nous avons la chance en France d'avoir production d'électricité décarbonée qui donne du sens au développement de l'électromobilité au travers de la batterie ou de l'hydrogène, et c'est un atout que nous peinons à valoriser. Attirer en France une usine de fabrication de batteries aurait plus de sens que dans d'autres pays.
S'agissant des constructeurs, il est difficile de dire qu'il existe une approche française, parce que Renault et PSA n'ont pas exactement la même. Renault, qui a depuis longtemps misé fortement sur le véhicule électrique à batterie, a gagné une expérience intéressante qu'il a l'intention de capitaliser et de développer. PSA, qui développe des véhicules hybrides à batteries rechargeables et proposera une gamme ouverte, s'intéresse aussi clairement à la pile à combustible. Il peut y avoir des hybrides entre pile à combustible et batterie. Mais au-delà du développement de la technologie et de quelques flottes, comment créer les conditions d'un développement massif de ces technologies ? J'ai été frappé d'entendre l'ex-patron de Renault-Nissan, qui prévoyait tout de même 50 milliards d'euros d'investissements dans les quatre années à venir, dire que, malgré sa taille, son groupe était obligé de faire des choix et ne pourrait pas tout développer ! Sur le plan de la technologie et de la recherche, il faut rester le plus ouvert possible à toutes les technologies, mais pour opérer des déploiements, il faut faire des choix.
Au niveau européen, nous nous sommes fixé des objectifs exigeants et justifiés de baisse des émissions de CO2, mais non accompagnés d'obligations précises de la part des différents pays pour créer les conditions de vente et d'utilisation de ces véhicules. Or un certain nombre de pays européens n'auront absolument pas les infrastructures nécessaires pour développer l'électromobilité. Les objectifs étant globaux, un pays comme le nôtre devra aller encore beaucoup plus loin que le niveau moyen fixé en Europe afin de compenser, ce qui laisse planer un doute sur la capacité à les atteindre.
Monsieur le rapporteur, je partage votre avis sur la nécessité d'une clarification sur les différents espaces concernés. En raison de la faible culture géographique dans les médias et sur la scène publique en général, on mélange souvent l'espace périurbain et des espaces beaucoup plus éloignés des villes. L'espace périurbain se situe à l'intérieur des aires urbaines. C'est une partie relativement moins dense, de l'ordre de 100 à 500 habitants au kilomètre carré, qui représente 25 % de la population. Au-delà, il y a d'abord une zone grise dénommée « espaces multipolarisés », car polarisée par plus d'une agglomération, puis ce qu'on pourrait éventuellement encore appeler le rural, avec les communes isolées, qui représente 4 % de la population. Autant c'est dans le périurbain qu'il y a le moins de pauvres, autant la pauvreté remonte dans les aires les plus éloignées des villes. On y trouve de faibles revenus et de faibles taux d'emploi. Ce sont souvent des gens qui ont renoncé au marché de l'emploi, parce qu'ils ont été chômeurs de longue durée, qui pratiquent des échanges non monétaires avec le milieu local et qui ont une faible charge foncière du fait de la disponibilité de logements issus de la ruralité.
Si l'on veut réintégrer le transport individuel à la mobilité publique dans le périurbain, la problématique du dernier kilomètre est très intéressante. On peut inciter les gens à utiliser davantage les transports publics jusqu'au bout du réseau, mais à condition de leur proposer un type de mobilité leur offrant le confort du véhicule privé tout en les intégrant dans un système où il y a un peu moins de production de véhicules, moins de voirie, donc une économie d'espace profitable. Il faudrait donc beaucoup de véhicules faisant relativement peu de kilomètres, et très disponibles, en tenant compte de la pendularité, tandis que, dans les communes isolées, on a globalement moins de mobilité pendulaire et besoin de moins de véhicules mais pour plus de kilomètres.
Il faut réfléchir de façon plus analytique, en associant la dimension proprement technique de l'espace. La densité et l'existence de centralité sont des paramètres essentiels. Le mouvement des gilets jaunes est très politique. Il rassemble des gens de ces deux aires, très différents par certains aspects mais qui se rejoignent sur d'autres. On retrouve ce qu'on a pu voir en matière de cartographie des mouvements populistes, dans toute l'Europe et même dans tout l'Occident. On doit aussi travailler sur des modèles politiques individualisés. C'est dans la rencontre entre les contraintes techniques et les attentes sociopolitiques qu'il faut proposer des politiques publiques précises, qui ne se trompent pas de cible, faute de quoi nous perdrons notre temps et notre argent.
Je fais partie de ceux qui habitent cette ruralité des villages isolés. Je mesure la différence entre vivre dans ces territoires et les autres, et constate qu'on oublie largement la mobilité ferroviaire. De petites lignes régionales peinent faute d'investissements forts, et nous en débattrons lors de l'examen de la LOM. Pour ces territoires où l'on n'a d'autre choix que d'utiliser la voiture, souvent pour 50 kilomètres aller et 50 kilomètres retour, ce serait un atout de pouvoir utiliser les lignes ferroviaires au moins jusqu'au bord des agglomérations, puis un véhicule pour parcourir le dernier kilomètre. Or, on montre peu d'intérêt pour la mobilité ferroviaire : on n'en parle quasiment pas dans nos tables rondes.
J'ai vécu treize ans en Suisse, pays qui a réalisé une expérimentation intéressante. On y a sauvé beaucoup plus de « petits » trains. Une partie de l'espace périurbain, au sens large, est desservie par des lignes ferroviaires, ce qui a aussi contribué à l'étalement urbain. Ce sont souvent les femmes qui utilisent le train et les hommes qui utilisent la voiture, pour des raisons diverses que vous pouvez imaginer…
Bien sûr ! Cela résulte de l'importance du travail à temps partiel. Un aspect conservateur de la Suisse est que le travail à temps partiel est massivement pratiqué par les femmes. Cela libère les routes pour ceux qui utilisent la voiture.
Par ailleurs, après le rapport Spinetta, on a beaucoup parlé du périmètre des petites lignes. Là aussi, il faut être précis. Je vous invite à emprunter de temps en temps la ligne R du Transilien et vous constaterez le déficit d'investissement de la partie banlieue dont la SNCF s'est rendue responsable pour des logiques qui la dépassent en partie. Si l'on veut investir dans le transport public ferroviaire, il faut appliquer le principe du nombre d'euros par habitant. Faut-il sauver une ligne qui n'a que 50 passagers par jour, alors qu'on ne créerait même pas une ligne de bus ? Les habitants des villes ne se plaignent pas que l'on ne construise pas un tram ou un métro à la place de leur ligne de bus. Ils considèrent comme normal qu'en dessous d'une certaine demande on privilégie le bus. Il faudrait désidéologiser le débat et cesser de défendre le maintien d'une ligne de chemin de fer que les gens ne veulent plus prendre. Il existe des effets de spirale, mais c'est surtout le fait que le confort de la motorisation a détourné une partie de la demande vers l'automobile. Quel est le mix entre les attentes des mobiles, c'est-à-dire de tout le monde, et la réponse technique possible ? Entre Toulouse et Auch, il existe une zone de développement périurbain considérable. On prend souvent le Gers pour un département rural, alors que la moitié de sa population vit dans des aires urbaines. Il serait intéressant d'y créer une ligne périurbaine pour attirer les gens qui vivent dans l'aire urbaine de Toulouse. En revanche, dans d'autres endroits, mieux vaudrait utiliser des bus qui seraient probablement, grâce à l'hydrogène, moins polluants que les locomotives diesel actuellement utilisées.
Je reviendrai sur les propos de M. Hector concernant son expérience à Sarreguemines et le manque de personnel formé à la maintenance, grave problème pour les nouvelles technologies. C'est à l'État d'adapter le circuit de formation scolaire et professionnel pour former la main-d'oeuvre aux nouvelles technologies. Il faudrait non seulement créer des filières spécialisées, mais aussi enseigner les nouvelles technologies dès les cursus généraux.
Vous avez raison. On parle souvent de développer les nouvelles filières, mais encore faut-il avoir préparé la formation.
Nous n'avons pas abordé l'évolution de la demande des clients potentiels de la mobilité. Lorsque les technologies seront avancées, plus un client n'achètera un bus et une station pour faire fonctionner l'ensemble. Les derniers appels d'offres concernent des ensembles. On commande à un groupement ou à un consortium deux bus sur telle ligne pour tel cadencement, le système de production d'hydrogène et la station pour remplir les réservoirs, à charge pour moi d'engager les chauffeurs.
C'est vrai aussi pour les trains, notamment en milieu rural. L'hydrogène a aussi un rôle à jouer lorsque l'électrification nécessite des investissements lourds. Au lieu d'électrifier une ligne à grands frais, on pourra jouer la carte de l'hydrogène, moins coûteuse que les batteries et ainsi décarboner la ligne. On demandera aussi à un consortium de fournir le train, la station de production d'hydrogène et l'interface.
Pour la production d'énergie renouvelable, nous avons aussi la chance d'avoir en France le système des certificats d'origine. Nous avons de l'électricité verte. Nous ne la fabriquons pas sur place mais nous avons les certificats d'origine. On peut faire des interfaces avec le réseau. On s'efface au moment où ça intéresse le réseau.
L'audition s'achève à douze heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 31 janvier 2019 à 11 heures
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bruno Duvergé
Excusés. - M. Guy Bricout, M. Julien Dive