L'audition débute à neuf heures trente-cinq.
Bonjour à toutes et à tous. Merci d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information relative aux freins à la transition énergétique. Je rappelle que, créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale en juillet 2018, elle est entrée en fonction en septembre 2018 et a depuis réalisé une vingtaine d'auditions et organisé une série de déplacements.
Notre mission est notamment composée d'un président, de trois vice-présidents – je serai d'ailleurs remplacé vers dix heures et demie par Marie-Noëlle Battistel – et d'un rapporteur, Bruno Duvergé, à qui je donnerai la parole avant de vous entendre.
Les auditions de notre mission d'information sont ouvertes à la presse et enregistrées.
Nous n'avons pu répondre à toutes les demandes d'audition. C'est pourquoi nous avons mis en ligne, le 6 mars dernier, une plateforme de consultation sur le site internet de l'Assemblée nationale, sur laquelle vous pourrez compléter vos interventions si vous estimez vous être insuffisamment exprimés. Suivant une démarche inédite, elle est ouverte à tous, aux citoyens comme aux professionnels, jusqu'à mi-avril, et depuis quinze jours, elle a déjà recueilli quelque deux mille contributions. Vous avez la possibilité de vous y exprimer sur les sept thématiques - la mobilité durable, l'économie d'énergie, le rôle des groupes industriels, le développement des nouvelles énergies renouvelables, les pratiques usuelles, la fiscalité et l'organisation territoriale de la transition énergétique - autour desquelles sont articulées nos auditions. C'est pourquoi nous avons souhaité vous auditionner ce matin sur la chaleur renouvelable.
Nous recevons ce matin : M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ; M. Rémi Chabrillat, directeur « production et énergies durables » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ; M. Jean Riondel, président et directeur technique de la start-up Minigreenpower, et M. Pierre du Baret, directeur général et directeur commercial ; Mme Julie Purdue, déléguée générale adjointe d'Amorce, association de collectivités territoriales et des professionnels ; Mme Catherine Trautmann, vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, et M. Constant Espargilière, conseiller technique.
Vous disposerez chacun d'un temps de parole limité à cinq ou six minutes, car nous devrons en avoir terminé à onze heures, pour enchaîner avec une autre audition.
Madame, messieurs, bienvenue à toutes et tous. Je rappellerai que les travaux de notre mission sont articulés autour de sept thèmes : la vision du paysage énergétique de notre pays d'ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d'énergie renouvelable, dont la chaleur fait partie ; les mobilités ; les économies d'énergie ; l'appropriation de cette transition par les territoires avec une énergie devenant décentralisée ; la fiscalité et la transformation des grands groupes d'ici vingt à trente ans.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, la Fédération des services énergie environnement (FEDENE) réunit des sociétés de services énergétiques. Elle conçoit, met en oeuvre et exploite dans la durée des solutions contribuant à la transition énergétique, notamment dans deux domaines : l'efficacité énergétique, dont nous parlerons peu aujourd'hui, et l'énergie renouvelable, en particulier la chaleur renouvelable. Nos entreprises décident du montage de projets lorsque les conditions sont réunies. Nous connaissons les conditions à réunir pour engager des projets et avons une vision opérationnelle du sujet.
L'importance de la chaleur est souvent sous-estimée dans les débats politiques ou médiatiques relatifs à la transition énergétique. Pourtant, alors que la dernière programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) soutient clairement l'objectif de la décarbonation, on trouve en France les énergies carbonées dans deux domaines : la chaleur, qui représente un peu moins de 50 % des consommations, et les transports, qui en représentent un peu moins d'un tiers, sachant que l'électricité, qui représente environ 25 % des consommations énergétiques, est aujourd'hui décarbonée à 80 %.
Quand nous montons des projets et observons les freins ou les obstacles au développement de la chaleur, nous constatons que les résultats sont mauvais. Nous ne nous inscrivons pas dans la trajectoire fixée il y a quelques années en matière de développement des énergies renouvelables dans le domaine thermique. Nous en sommes à environ la moitié du rythme prévu, et la question est de savoir pourquoi. En tant qu'entreprise, nous partons des clients. Quand on développe un projet de chaleur renouvelable, sur ses fonds propres ou au travers d'un prestataire comme les entreprises de la FEDENE, on s'engage sur une longue durée, de l'ordre de huit, dix ou quinze ans. Quand on monte une centrale biomasse, un réseau de chaleur ou un dispositif de valorisation énergétique des déchets, on prend des engagements de très long terme. Pour ce faire, il faut avoir un intérêt à agir, et la dimension économique est un élément important.
Jusqu'aux années 2014, ce développement a été soutenu, grâce au fonds chaleur, qui a très bien fonctionné et qui, à l'époque, était reconnu comme l'outil le plus efficace pour développer divers projets de chaleur renouvelable : réseaux de chaleur, utilisation industrielle, chaufferie biomasse pour le tertiaire. Le rythme s'est inversé en 2014 par suite de la chute du prix des énergies fossiles. Entre 2014 et aujourd'hui, le prix de la molécule de gaz livrée a baissé de 10 euros, tandis que la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), sous l'effet de la contribution climat énergie (CCE), regagnait 8 euros, de sorte que la compétitivité relative des projets de chaleur renouvelable est encore obérée de 2 euros environ par mégawattheure (MWh).
On aurait pu penser que les aides apporteraient une compensation et rétabliraient cette compétitivité relative. Certes, l'ADEME a revu ses grilles pour améliorer le niveau d'aide. À l'époque, nous nous étions demandé, avec l'ADEME, comment aller un peu plus loin au regard des règles européennes, et nous avions travaillé sur un concept d'avance renouvelable complémentaire. Mais cette idée nous est revenue comme un boomerang, dans la mesure où cette avance renouvelable venait en déduction des aides. Une compétitivité obérée conjuguée à une baisse réelle du niveau d'aide ne favorise pas le développement des projets. On le mesurera mieux aux résultats dans les années qui viennent parce que le temps de maturation des projets est lent.
Nous le voyons déjà un peu dans les statistiques de l'ADEME. La première ressource de chaleur renouvelable est la biomasse, suivie de la valorisation énergétique des déchets. Or le volume annuel des projets énergie renouvelable financés par le fonds chaleur, qui reste l'outil privilégié et le plus efficace, est passé d'environ 300 000 tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2010 à environ 60 000 TEP en 2017. Les projets biomasse ont largement décru faute de compétitivité et la tendance se poursuit.
Dès lors, comment rétablir la tendance ? Nous souhaitons transmettre deux messages.
En premier lieu, nous relevons l'incohérence entre les objectifs poursuivis ou l'importance des différents sujets et les moyens publics mobilisés. Des rapports de la Cour des comptes et de la direction du Trésor montrent clairement que les projets de nature à économiser les plus gros volumes de CO2 par rapport aux euros investis, sont de très loin les projets de chaleur renouvelable. Mais comme ils ont besoin de moins d'argent, on leur en donne moins ! Votre collègue Julien Aubert a d'ailleurs demandé la création d'une commission d'enquête visant à comprendre cette attitude illogique et inefficiente.
En second lieu, il s'agit de projets territoriaux de développement. N'oublions pas qu'un projet de chaleur renouvelable est un investissement local visant à valoriser des ressources locales, tels que la biomasse, les déchets ou la géothermie, afin de produire de la chaleur en substitution d'importation d'énergie fossile, donc générateur d'emplois. Ce sont de vrais projets d'économie circulaire et de croissance verte. Au regard des objectifs quantitatifs de production de chaleur renouvelable et de leur intérêt termes de croissance verte, on est au sommet du podium, tandis qu'en termes d'allocation de ressources, ce sont les derniers du peloton sans ajustement réel en fonction des résultats. L'augmentation du fonds chaleur annoncée n'est pas suffisante. Le niveau d'aide par projet doit être relevé pour favoriser l'émergence de projets, sachant que les décisions prises aujourd'hui n'auront d'effet que d'ici deux à trois ans.
La bonne nouvelle, c'est que ce ne sont pas des freins, mais des décisions inappropriées prises dans la gestion du dossier, ce qui est facile à corriger. La mauvaise nouvelle, c'est que beaucoup des moyens financiers ont déjà été obérés par les choix arrêtés les années précédentes, et qu'on va devoir vivre dans un environnement plus contraint en termes de ressources publiques disponibles pour relancer le sujet. Nous pensons qu'il y a urgence à changer de cap. Si cette ambition est clairement affichée dans l'introduction de la PPE, on n'en retrouve pas la traduction dans les chiffres.
Vous avez raison de préciser que les projets de chaleur renouvelable sont des projets de territoire, ce qui permet de mettre en lumière l'exemple de l'Eurométropole de Strasbourg qui, depuis 2009, a réduit de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre et porte un projet fort de géothermie.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de nous accueillir ce matin. Nous sommes en pleine période chaude sur la question de la géothermie, puisque nous avons saisi avant-hier le ministre de la transition écologique et solidaire, M. de Rugy, au côté de l'organisation France urbaine, du sujet que je vais présenter à l'Assemblée nationale à travers vous, lequel ne concerne pas seulement un territoire ou une région, même si nous sommes les plus avancés dans cette technologie d'énergie renouvelable.
L'Eurométropole de Strasbourg a décidé, en septembre 2017, de se doter d'un schéma directeur des énergies pour atteindre l'objectif ambitieux d'un fonctionnement à 100 % en énergies renouvelables et de récupération en 2050. Nous avons pour ce faire déterminé les énergies renouvelables prioritaires. La première est la géothermie profonde. L'éolien n'est pas envisageable, faute de vent dans la vallée rhénane. Nous transportons, à partir du port de Strasbourg, les éoliennes fabriquées à côté de chez nous, mais nous nous contentons de les voir passer. Concernant les énergies de récupération, à partir d'une expérience de plus de trente ans du partage de la chaleur produite par notre usine d'incinération, nous avons aujourd'hui un projet de partage de chaleur avec une aciérie dans le port allemand voisin de Kehl. Quant à l'énergie solaire, nous partons de très loin puisque nous ne l'avions pas jusqu'à présent privilégiée, mais pour atteindre notre objectif, nous devons prévoir un mix énergétique favorable. C'est pourquoi nous souhaitons développer l'ensemble de ces procédés.
Nous avons considéré que nous devions d'abord adopter un comportement et une consommation sobres par une baisse drastique, de 67 %, des consommations d'énergie. C'est beaucoup. Cela peut être obtenu par un travail sur l'habitat, le transport et l'industrie et cela passe par une transition vers les modes de production d'énergie renouvelable.
Avec le soutien de l'ADEME, nous avons mis en service une centrale biomasse sur le territoire portuaire.
L'hydroélectricité est aujourd'hui notre première source d'énergie renouvelable, mais elle est fragilisée par les basses eaux du Rhin.
Nous développons massivement le solaire, au travers des panneaux photovoltaïques. Nous avons déjà réalisé une expérimentation de solaire lacustre et créé un cadastre solaire en vue d'optimiser le niveau d'ensoleillement. Une manifestation permettra prochainement au public d'exprimer des choix et de s'associer à la démarche.
Je citerai enfin la géothermie profonde, qu'il ne faut pas confondre avec la géothermie sur nappe pratiquée à Paris. La nôtre descend de 3 000 à 5 300 mètres, pour un des puits, à l'emplacement de notre ancienne raffinerie, et donne accès à des eaux de 150 à 200 degrés. Cette eau extrêmement chaude est chargée en lithium. Nous avons deux puits en cours de construction. Avec ces quatre puits, nous pourrions fournir la quasi-totalité des besoins nationaux en lithium. Cela montre qu'une énergie renouvelable peut apporter une valeur ajoutée stratégique, au moment où nous avons besoin de ce produit rare, nécessaire à nos technologies.
À titre d'exemple, le projet d'Illkirch-Graffenstaden, commune importante du sud de l'agglomération, mené par Électricité de Strasbourg, pourrait produire 28 000 MWh de chaleur et 22 000 MWh d'électricité par an et éviter l'émission dans l'atmosphère de 11 000 tonnes de CO2, ce qui est un résultat tout à fait optimal. Le bureau d'études islandais Verkis, qui nous conseille, estime que le développement des projets de géothermie devrait nous permettre de couvrir jusqu'à 35 % des besoins de chaleur en 2050.
Pour la métropole. Mais, en creusant des puits, la faille rhénane étant longue, on peut faire de la géothermie ailleurs que dans notre territoire métropolitain. Les essais n'ont d'ailleurs pas été réalisés sur le territoire métropolitain, mais dans la commune de Soultz-Sous-Forêts, en lien avec l'entreprise industrielle Roquette.
Cette filière est vectrice d'un développement important d'emplois qualifiés et de savoir-faire exportables. Les Allemands observent notre expérimentation et notre développement afin de nous solliciter pour réaliser des puits de géothermie de leur côté. Ils peuvent en bénéficier également, et pas seulement dans la vallée rhénane. Si cette filière est soutenue, elle peut aussi offrir des débouchés à ceux qui connaissent l'exploitation souterraine du gaz ou du pétrole.
Les récentes annonces du Gouvernement dans le cadre du projet de PPE, qui a déclaré vouloir cesser tout soutien à la production d'électricité issue de la géothermie profonde, font peser sur nous – et sur le modèle économique à la base de nos calculs pour la construction de ces puits – une menace et nous mettent complètement en suspens. Nous pourrons réaliser les puits dont la construction est engagée, mais les deux autres sont remis en question. Nous reconnaissons que le prix de rachat 246 euros le MWh, fixé aux termes d'un accord visant à inciter les industriels à s'engager dans la filière avec un certain degré de sécurité, est élevé. Aujourd'hui, la sécurité est réelle, le retour sur investissement rapide, mais il faudrait trouver des modalités de lissage pour ne pas arrêter brutalement des projets considérés comme étant d'un niveau économique suffisant. Abaisser les tarifs de rachat serait une solution. Cela inciterait les opérateurs à fournir plus de chaleur et répondrait aux impératifs d'économie du Gouvernement tout en préservant la filière.
La problématique des filières d'énergie renouvelable, c'est leur modèle économique. Je peux dire aujourd'hui, après avoir travaillé sur ces sujets au niveau européen, que nous ne sommes pas assez sensibles à l'intégralité de ce qui est nécessaire pour créer le meilleur écosystème possible pour les énergies renouvelables, à savoir, le soutien à l'innovation, un déploiement rapide, des mesures réglementaires favorables, le recours à la commande publique. C'est pourquoi nous avons décidé, avec l'Eurométropole, de nous orienter vers un portage de l'investissement dans les tuyaux de nos réseaux de chaleur pour soulager la portée de l'investissement des concessionnaires qui fourniront cette énergie et favoriser ainsi l'équilibre des coûts. Nous porterons la part du fardeau. Nous pouvons le faire. Ce sera très coûteux, mais la durée d'amortissement des réseaux à construire pour acheminer la chaleur fatale peut atteindre quarante ans. Or on ne peut pas demander à un concessionnaire sur vingt ans de porter le même investissement sur une période aussi courte.
C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup plaidé auprès du ministre pour qu'on ne nous impose pas des dispositions qui nous fragiliseraient et qui fragiliseraient la filière et pour qu'il ouvre des discussions avec nous en vue de trouver les meilleures solutions en termes de prix, de retour d'investissement et d'efforts partagés.
Quant au projet industriel avec l'aciérie de Kehl, dont les fours électriques particulièrement efficaces consomment en une journée le potentiel électrique de la ville de Stuttgart, il pourrait fournir une grande partie de notre besoin, en produisant une chaleur comparable à celle de la géothermie, à 200 degrés. Nous sommes en discussion. L'opération peut être « gagnante-gagnante » avec le Land, le ministère, l'ADEME, son équivalent allemand, et un accord de garantie auquel nous sommes en train de travailler.
En ce qui concerne la source la plus importante, l'usine d'incinération, après avoir été longtemps à l'arrêt pour des raisons liées à l'amiante, elle va redémarrer prochainement et pourra fournir 20 000 équivalents logements. Nous ne pouvons pas basculer la géothermie uniquement sur la chaleur puisque nous avons cherché à récupérer cette énergie fatale.
Un opérateur énergétique a découvert, en développant une action de mutualisation et de coopération d'écologie industrielle, de l'hydrogène fatal sur le territoire portuaire. Nous installerons prochainement la première pompe qui alimentera des véhicules du Parlement européen. Ce qui est dommage, c'est que ce sont des Mercedes !
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci pour cette invitation à m'exprimer au nom de l'association Amorce, qui représente l'ensemble des collectivités territoriales, de la petite commune à la région.
Amorce est mobilisée pour l'accompagnement des collectivités, notamment en matière de chaleur, car elles ont un rôle majeur à jouer à plusieurs niveaux. Elles peuvent verdir les consommations de leur patrimoine. La chaleur représente un enjeu majeur puisque, comme l'a rappelé M. Roger, le premier poste de consommation de la chaleur, ce sont les bâtiments, à hauteur de 80 %. La collectivité peut aussi jouer un rôle en matière de production et de valorisation des énergies renouvelables et de récupération sur son territoire par la géothermie, le solaire, la biomasse et les énergies fatales. Elle peut en faciliter la distribution via ses réseaux de chaleur, d'électricité et de gaz, ce qui est le sujet de votre table ronde suivante.
La prise de conscience de l'importance de la chaleur s'est opérée en France via la loi de transition énergétique, après le niveau européen. Pour la première fois, une directive, celle relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, adoptée en décembre dernier contient un article sur la chaleur. Cet enjeu majeur est maintenant reconnu à tous les niveaux.
Au regard des objectifs français, nous avons pris du retard. Avec la FEDENE et les acteurs des différentes filières – solaire, géothermie, chaleur fatale –, nous avons organisé conjointement, à la fin de l'année dernière, la semaine de la chaleur renouvelable. Nous avons essayé de porter, en lien avec l'ADEME qui nous a soutenus dans cette démarche, le message de cette prise de retard. Nous en sommes aujourd'hui à environ 300 kilowattheures d'énergie primaire par mètre carré et par an (kWhepm2an) de chaleur collective et 300 kWhepm2an de chaleur individuelle, soit 600 kWhepm2an, contre les 900 kWhepm2an nécessaires pour atteindre l'objectif de 38 % de consommation finale d'énergie prévu pour 2030 par la loi relative à la transition énergétique. Comme nous n'atteignons pas non plus les objectifs de réduction de consommation d'énergie, l'effort de production d'énergie renouvelable devra être accru. D'ailleurs, le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie, tout en maintenant les objectifs pour 2030, infléchit les objectifs pour 2023 et 2028. On repousse encore un peu l'effort.
Nous partageons avec la FEDENE la nécessité de faire un état de lieux de ces objectifs. Il conviendrait de définir plus précisément quels sont, dans ces 38 %, les objectifs pour la chaleur collective et pour la chaleur individuelle, notamment par segmentation, pour que chacun d'entre nous perçoive mieux quels sont ses objectifs précis.
À l'échelle du territoire français, comment partage-t-on l'effort ? Certes, notre réunion ne porte pas sur les réseaux de chaleur, mais pour illustrer mon propos, il est tout de même intéressant de le savoir. L'objectif est aujourd'hui de multiplier par cinq la quantité de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux entre 2012 et 2030. Au regard du potentiel maximal de développement des réseaux de chaleur en France, il apparaît possible, en Ile-de-France, de le multiplier par deux, mais pas par cinq. Autrement dit, pour atteindre l'objectif, l'effort sur les réseaux de chaleur doit être plus important sur les autres territoires, en fonction de leurs spécificités.
L'ADEME a commencé à faire cet exercice mais, à l'heure où les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) sont en cours de finalisation et où des plans climat sont bien engagés, il serait bon de clarifier ces éléments.
Avec la FEDENE, nous considérons aussi qu'il importe de rendre les projets plus attractifs. Nous constatons le ralentissement du rythme des opérations de construction de réseaux de chaleur. S'ils se développent indéniablement, c'est plus sous la forme d'extension de gros réseaux ou de création de petits réseaux que de créations dans des villes moyennes ou grandes. Nous avons besoin d'un dispositif d'accompagnement stable, plus visible et renforcé.
Avec le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU), ici représenté par Marie Descat, l'association Amorce réalise chaque année une enquête sur le prix de la chaleur. L'année dernière, pour la première fois, nous avons constaté que les réseaux de chaleur « vertueux », c'est-à-dire alimentés par plus de 50 % d'énergie renouvelable et de récupération, étaient devenus plus coûteux que les réseaux fonctionnant à l'énergie fossile. Il est difficile pour des collectivités de continuer à aller dans le bon sens quand cela devient économiquement compliqué.
Je ne reviendrai pas sur la stabilité des règles du fonds chaleur dont il a déjà été question. Concernant la visibilité, nous continuons à demander à l'ADEME qu'un niveau d'aide prévisionnel soit indiqué dès l'étude de faisabilité afin de fluidifier les réalisations. Le renforcement de l'accompagnement est indispensable pour l'émergence de nouveaux projets, car se pose aujourd'hui, pour les porteurs comme pour les usagers, la question de leur attractivité économique. Des études intéressantes sur les modalités d'aide ont été réalisées l'année dernière par différentes missions, notamment celles du Comité de gestion des entreprises d'électricité (CGEE) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
J'évoquerai enfin des mesures ponctuelles. Nous considérons que le potentiel des énergies renouvelables doit être mieux valorisé dans les plans locaux d'urbanisme. Par ailleurs, Amorce avait proposé, il y a quelques années, l'opération « une ville égale un écoréseau », ouvrant droit au financement à 80 % ou 90 % d'une étude de faisabilité réalisée sur un temps donné, au lieu des 70 % fournis par l'ADEME. De mémoire et sous le contrôle de M. Rémi Chabrillat, une étude de faisabilité sur trois débouche sur la création d'un réseau de chaleur.
Tout à fait !
Enfin, nous travaillons sur le raccordement des bâtiments publics de l'État aux réseaux de chaleur vertueux, lorsqu'il en existe à proximité.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de donner à notre start-up provinciale, installée à Hyères, dans le Var, l'occasion de présenter devant la représentation nationale les difficultés que nous rencontrons au jour le jour.
Cela fait vingt-cinq ans que j'évolue dans le secteur de l'énergie et dans l'entreprenariat. Les vingt premières années, j'ai contribué, en tant qu'expert international, au lancement des plus grosses cogénérations du monde à base de turbines à gaz, principalement pour des clients américains ou anglo-saxons, le plus souvent dans des pays en guerre comme l'Iran, le Nigéria, l'Angola, l'Algérie et Israël.
Il y a cinq ans, j'ai créé à Hyères, avec mon associé, la start-up Minigreenpower. Nous sommes aujourd'hui trente et venons de recevoir le premier prix de l'excellence opérationnelle décerné par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) dans la catégorie PME, qui compte quatre millions de sociétés.
Dès 2013, mon intuition était que l'énergie de demain serait faite en circuit court, avec des petites unités locales, entièrement automatisées, commandées à distance et à base d'énergie renouvelable. Aujourd'hui, c'est devenu une certitude.
En France, on n'a pas de pétrole mais on a de l'or vert. Nous avons inventé et breveté des mini-centrales vertes carbone zéro qui produisent de la chaleur, de l'électricité à partir de résidus végétaux de mauvaise qualité et de déchets de bois locaux. Nous couplons GreenTech et numérique au service de l'environnement, nous fournissons une solution d'énergie propre et rentable aux industriels et aux collectivités locales. Notre technologie est unique au monde. Nous l'avons mise au point grâce au big data.
Nous jouons sur les deux leviers de la transition énergétique : les déchets et l'énergie. En France, nous disposons de 6 millions de tonnes de déchets verts par an, peu ou pas valorisés, et de 10 millions de tonnes de bois de classe B qui partent principalement à l'étranger, faute de valorisation en France. Avec ces résidus, nous pourrions chauffer 4 millions de foyers et créer 4 000 emplois pérennes sur le territoire. Malheureusement nous subissons des freins importants, d'ordre réglementaire, administratif et financier.
Pour ce qui est des freins réglementaires, l'application de la réglementation est plus dure qu'ailleurs en Europe. Nous avons une centrale qui tourne depuis deux ans en Italie, une autre en Angleterre. Nous commençons à réaliser des tests sur des plastiques et des ordures ménagères dans ces pays. Rien de cela n'est possible en France, aucune centrale ne fonctionne industriellement. Concernant la valorisation des déchets, la majorité du bois de classe B produit en France est exportée vers la Belgique, l'Allemagne, la Suède, l'Italie et l'Espagne pour produire de l'énergie, parce que la réglementation y est plus simple.
En ce qui concerne les freins administratifs, le fonds chaleur a été augmenté pour faciliter le développement de la chaleur verte. Malheureusement, il est inaccessible aux nouvelles technologies, même éprouvées. Il faut plusieurs années avant d'être qualifié alors que nos centrales fonctionnent déjà en Europe. À ce jour, nous n'avons perçu aucune aide du fonds chaleur. Les cogénérations produisent 80 % de chaleur et 20 % d'électricité. Les subventions aujourd'hui octroyées sont très insuffisantes pour les petits projets, alors qu'il faudrait attribuer la majorité de ces aides aux petits projets qui, par définition, font appel à des circuits courts. D'autres filières comme la méthanisation sont bien plus subventionnées, alors que la filière bois-énergie à laquelle nous appartenons est plus mature et plus rentable.
Autre frein administratif, la commande publique. En Allemagne, en Espagne et dans les pays voisins, les commandes publiques aident à lancer les nouvelles technologies. Ce n'est pas le cas de la France. Les décrets sur les projets d'innovation qui ne seraient pas soumis à appel d'offres ne paraissent pas. Ce serait pourtant la solution. Par ailleurs, nous avons difficilement accès aux subventions européennes. Pourquoi les start-up italiennes, espagnoles, allemandes obtiennent-elles beaucoup de subventions, alors que les start-up françaises en ont très peu par rapport à ces pays-là ?
À cela s'ajoutent des freins financiers importants. Les financements sont très insuffisants pour une start-up qui produit des infrastructures de l'énergie. Nous sommes dans la même cour que ceux qui font du numérique, des jeux vidéo ou des robots pour alimenter les chiens. Les financements publics sont très faibles au regard des enjeux. Les financements privés, comme le capital-risque, sont très insuffisants lorsqu'on est entre la preuve de concept et le décollage commercial. Depuis quatre ans, nous sommes scotchés dans cette « vallée de la mort », c'est-à-dire incapables de décoller faute financements adéquats, alors que notre technologie est reconnue dans le monde entier.
Les banques françaises ne nous aident pas non plus. Aujourd'hui, nous avons 600 000 euros de créances d'État sûres. Pourtant, aucune grande banque n'a accepté de nous consentir un prêt de trois à quatre mois, garanti à 100 % par des créances d'État, qui nous permettrait de payer les salaires dans les semaines à venir. Nous avons besoin d'un engagement des services de l'État pour créer de l'emploi, de l'énergie, de la richesse.
(Présidence de Mme Marie-Noëlle Battistel.)
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de nous accueillir de nouveau dans le cadre des travaux de votre mission d'information.
Je rappellerai tout d'abord qu'un tiers environ des consommations sont à relativement basse température. Mme Trautmann évoquait la géothermie et la chaleur de récupération à 200 degrés. Beaucoup d'usages chaleur en France sont accessibles aux énergies renouvelables. Les consommations d'énergie à haute température destinées à des usages industriels de cuisson, par exemple, pour le ciment, difficiles à atteindre avec la géothermie, le solaire et la chaleur de récupération, représentent une part minoritaire. Il y a un potentiel considérable de développement d'énergies renouvelables, lesquelles, pour ce qui est de la chaleur, disposent d'un panel de technologies matures, éprouvées, proches de la compétitivité. Pascal Roger évoquait le prix du gaz. Je suis surpris de ne pas en avoir entendu parler dans les recommandations ou les attentes de certains intervenants, mais ils l'ont cité en creux.
Les énergies renouvelables thermiques sont un sujet de compétitivité à court et moyen terme, car nous disposons de technologies matures aux coûts de fonctionnement et de combustibles faibles, avec la biomasse, ou nuls, avec le solaire et la géothermie. Pour cette dernière, encore faut-il être descendu à 1 500 mètres en Ile-de-France et 3 000 à 4 000 mètres dans la vallée du Rhin. Une ressource gratuite ou moins onéreuse, dans le cas de la biomasse, nécessite toutefois des coûts d'investissement plus élevés. En conséquence, comme Pascal Roger le disait, il convient de gérer des engagements pour des périodes de temps relativement longues et les articuler autour de soutiens ou des mécanismes capables de gommer en partie le surinvestissement pour bénéficier à plein des économies de fonctionnement. C'est le principe du fonds chaleur, outil d'aide à l'investissement pour les projets des collectivités et des entreprises, les investissements particuliers étant soutenus au travers des mécanismes de crédits d'impôt fondés sur le même principe.
Le sujet de base, c'est la compétitivité intrinsèque avec les concurrents pour les 50 % de chaleur très majoritairement produits à partir d'énergie fossile : fioul et, plus particulièrement, gaz. Pascal Roger l'évoquait tout à l'heure, le prix du gaz a baissé lourdement après la crise de 2008-2009 et le développement de la production des gaz de schiste aux États-Unis, avec quelques années de décalage, en 2013, et n'a depuis que partiellement remonté. Pour prononcer un gros mot dans la période actuelle, on a clairement un sujet de taxe carbone. Si on veut développer la chaleur renouvelable sur la durée, on doit faire face à la compétitivité des énergies renouvelables par rapport au prix du gaz qui s'est effondré. Tout le monde se félicitait, il y a dix-huit mois, que la loi de finances initiale pour 2018 ait prévu une trajectoire visible, « anticipable », intégrable d'augmentation de la composante carbone de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN).
Lors de notre audition à l'ouverture de ces travaux, en septembre, Fabrice Boissier, mon directeur général, et moi-même avons dit : si l'on souhaite développer visiblement et massivement la chaleur renouvelable sans être obligé de jongler en permanence avec des ajustements de niveaux d'aide et d'augmenter encore plus régulièrement les crédits publics affectés, les acteurs doivent pouvoir anticiper le prix du gaz et constater qu'il y a un intérêt, moyennant les aides existantes ou à développer, à mettre en place des solutions de chaleur renouvelable. Nous avions dit aussi que ceci impliquait impérativement un accompagnement et une compensation des mécanismes de nature à amortir le choc, voire de préserver de ces augmentations les plus vulnérables, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations de dépendance. Nous en sommes toujours là. Si on ne se pose pas cette question, on rate la cible ou, plus exactement, on évite de la regarder.
Le frein essentiel est donc d'ordre économique. Nous avons des technologies qui fonctionnent et se développent. Nous les accompagnons. Je ne peux laisser dire que le fonds chaleur est inaccessible aux nouvelles technologies.
J‘ai fait figurer des éléments d'ordre de grandeur sur les documents que je vous ai remis. Quand on fait du biogaz que l'on injecte au réseau cela fait du gaz utilisé pour produire de la chaleur. La biomasse représente un énorme enjeu. Dans la géothermie et le solaire, le combustible ne coûte rien, pour le biogaz un peu car il faut acheter le bois. Même s'il est globalement moins cher que les combustibles fossiles, pour les très gros consommateurs de gaz qui ont accès à des prix très bas, ce n'est pas évident. Le bois a été le premier combustible concurrencé par la baisse du prix du gaz. On voit bien que les objectifs importants fixés pour la biomasse ne seront pas faciles à atteindre.
Le tableau des résultats du fonds chaleur conforte des propos de Julie Purdue. L'an dernier, nous avons financé plus de 500 projets, avec un budget qui a déjà commencé à augmenter, ce qui est une bonne nouvelle. Mais au bout du compte, cela ne produira que 225 000 TEP par an, soit l'équivalent du chauffage de 220 000 à 250 000 logements. C'est un résultat intéressant mais pour atteindre les objectifs de la PPE, il faudrait, suivant les hypothèses, faire deux à trois fois mieux.
Enfin, vous m'avez demandé de citer un exemple. J'ai retenu celui du réseau de chaleur de Saint-Chély-D'apcher, en Lozère, pendant des installations de l'Eurométropole évoquées par Catherine Trautmann. Le réseau de Saint-Chély-D'apcher, commune d'un peu plus de 4 000 habitants, a été mis en service en 2015, après un engagement de la collectivité et une très forte mobilisation du maire. Composé d'un réseau de 7 kilomètres alimentant bâtiments publics, logements sociaux, quelques copropriétés, le lycée et d'une chaufferie biomasse de 2,9 MWh, il a nécessité 6 millions d'euros d'investissement, dont la moitié sous forme d'aides à parité de l'ADEME et de la région.
Dès le début et par anticipation, la contrainte avait été fixée d'installer la chaufferie à proximité du grand site industriel local d'ArcelorMittal. En 2018 a été mise en service une récupération de chaleur sur les fours de recuit de l'usine. La chaufferie biomasse est calibrée pour produire 12 gigawattheures (GWh) par an, et 12 GWh sont également récupérés chez ArcelorMittal. Cela ne fait pas deux fois trop de chaleur parce que le réseau n'était pas à 100 % renouvelable et parce que ArcelorMittal récupère une partie de la chaleur, environ 9 GWh, pour ses usages propres, 3 GWh pouvant être réinjectés sur le réseau. Cela représente 4 millions d'euros d'investissement, dont un peu plus de 2 millions d'euros apportés par la région et l'ADEME.
Cet exemple repose sur un fort engagement de la collectivité, une anticipation et la présence d'un tiers investisseur. Ce montage peut être intéressant pour accompagner des industriels qui considèrent que ce n'est leur métier de produire de la chaleur. Le tiers investisseur prend le risque à leur place. On en revient aux moyens de financement, en l'occurrence de l'ADEME et de la région. Mais pour revenir à mon premier sujet, les freins sont le prix du gaz, la compétitivité relative et le niveau des soutiens publics. Les moyens affectés à l'ADEME ont été augmentés mais le soutien n'est pas encore tout à fait au niveau souhaitable.
Merci à toutes et à tous pour vos interventions. Vous avez été un certain nombre, dont M. Roger, de la FEDENE, à nous faire part de votre sentiment d'inadéquation entre les objectifs de la PPE et les moyens mobilisés pour les atteindre, ce qui a conduit à une diminution importante du nombre de projets qui est passé de 300 000 à 60 000. Imputez-vous cela uniquement à l'insuffisance du complément de rémunération et de maturité de la filière ?
Madame Trautmann, vous avez l'également évoqué pour vos projets, dont le premier nous semble financé et suffisamment encadré mais le suivant mis en péril par l'absence de soutien dans le cadre de la nouvelle PPE. À combien évaluez-vous le montant de ce complément de rémunération ? Vous parliez des 246 euros prévus préalablement et vous évoquiez la possibilité de trouver un juste équilibre. À combien l'estimez-vous ?
Monsieur Chabrillat, la taxe carbone revient régulièrement dans les débats. Elle est nécessaire à l'atteinte des objectifs, mais elle doit être suffisamment équilibrée et compensée pour être acceptée et efficace. La réussite de la transition énergétique ne se fera évidemment qu'avec tous et pas les uns contre les autres. C'est ce point d'équilibre que nous devons trouver. Avez-vous sur ce point des éléments à apporter ?
Nous avons été marqués par notre visite récente à la communauté urbaine de Dunkerque. Elle conduit une politique énergétique très intégrée dont la pièce maîtresse est un schéma de flux pour tout le territoire, identifiant toutes les sorties positives des différentes entreprises, comme ArcelorMittal pour le CO2 et le laitier des fours, et les entreprises à même de les réutiliser localement. Est-ce que vous utilisez de telles méthodes ? Est-ce que les territoires commencent à s'intéresser à une vision globale des choses ?
Utiliser la chaleur fatale de grosses industries, comme une aciérie, comporte des risques, celle-ci pouvant s'arrêter. La pérennité du modèle est-elle un problème ?
J'évoquerai enfin l'utilisation du biogaz et la compétition entre les utilisations de certaines énergies. Le scénario de l'association NégaWatt privilégie l'usage des pompes à chaleur électrique plutôt que du biogaz pour le chauffage et réserver le biogaz à la mobilité. Prévoyez-vous une augmentation de l'usage du biogaz pour la production de chaleur ?
Comme nous sommes en phase de construction et que les 246 euros le MWh sont un prix d'objectif, calculé en fonction d'une récupération sur huit ans, il faut, pour changer le prix, modifier tous les paramètres. C'est un prix pour l'électricité, mais si on veut plus de chaleur, tout bouge. Aujourd'hui, nous pensons que nous sommes aux alentours de 150 euros, mais je ne peux vous donner de prix précis aujourd'hui. Cela étant, nous sommes préoccupés par l'homogénéisation des tarifs pour les concessionnaires, les industriels et les habitants. Les prix peuvent varier en fonction des prix de la biomasse ou de la chaleur récupérée. La géothermie est chère à cause du processus industriel. Elle est présente dans le sous-sol, mais les coûts d'exploitation et d'investissement sont beaucoup plus élevés que pour d'autres sources d'énergie.
Nous souhaitons qu'on se mette autour de la table. L'intérêt de la France, c'est d'avoir un modèle économique viable, puisque d'autres régions, comme l'Aquitaine et le centre de la France, sont intéressées, sans négliger la capacité d'exportation de notre expertise. Il importe donc de maintenir la dimension recherche et la dimension production. Même si certaines technologies sont matures, toutes les questions que vous nous avez posées supposent encore, dans l'exploitation et le fonctionnement industriel, une part d'évaluation économique et de recherche. Il faut assortir la phase de transition d'un accompagnement de la recherche.
Le risque industriel existe. Nous l'avons vécu comme un choc lorsqu'il y a eu des grèves, donc un risque social, dans notre usine d'incinération. Un certain nombre d'entreprises qui utilisaient en vapeur environ 10 % de la ressource à un prix très bas, en fonction d'un accord ancien, ont souffert. Après en avoir discuté, nous avons décidé que le schéma énergétique devrait comprendre les processus de sécurisation. Ce n'est pas fait du tout, nous sommes en cours de discussion. Nous étudions aussi la récupération d'énergies fatales d'un certain nombre d'industries du port autonome de Strasbourg. C'est un risque pour les industriels qui intègrent un processus vertueux d'utilisation d'énergie fatale, mais c'est aussi un risque pour nous au regard de la fourniture qui peut tout à coup s'interrompre. Quand on atteint des niveaux aussi élevés que ceux que j'évoquais, c'est important.
Par ailleurs, une source d'énergie renouvelable comme un puits de géothermie n'est pas éternelle. L'arrivée de l'eau dans les veines du sous-sol finit par se tarir. Il faut aussi, et c'est un élément important dont on parle peu, intégrer les processus de renouvellement du procédé industriel et de la ressource. Nous le constatons sur le Rhin : si on n'a plus d'eau, on n'arrivera pas à la renouveler, ce qui provoquera des difficultés pour la nappe phréatique et la production d'hydroélectricité. Alors qu'on pensait avec l'hydroélectricité être tranquilles pour toujours, le réchauffement climatique induit d'autres problèmes.
On est en train de se rendre compte qu'il ne faut pas, dans le mix énergétique, pousser trop loin la biomasse pour garantir un bon équilibre carbone. C'est un calcul à intégrer dans la recherche de l'homogénéité du coût, parce que le consommateur voudra un prix, quelle que soit l'origine ou la source.
Je répondrai à la question posée par M. le rapporteur au sujet de la pérennité et des garanties. Catherine Trautmann le disait, des chaufferies sont nécessaires ne serait-ce que pour gérer le secours ou les phases d'entretien et de réparation. Pour tous les réseaux de chaleur mis en place par des exploitants privés ou publics, on ne dimensionne pas la solution renouvelable à 100 % des besoins mais à 50 % ou 60 %, tout simplement parce que la courbe de consommation ne révèle une forte pointe que pendant trois jours par an. Dans la mesure où une chaufferie biomasse coûte significativement plus cher en investissement qu'une chaufferie à gaz, on a intérêt à prévoir une chaufferie gaz dimensionnée à la pointe pour gérer les quelques jours d'ajustement annuels, mais tout le monde sait le faire.
La question est de savoir comment, économiquement et sur la durée, gérer le coût que pourrait représenter le tarissement de la solution renouvelable de récupération de la chaleur pour laquelle on a investi. Depuis plus d'un an, nous avons commencé à y réfléchir avec nos collègues de Hauts-de-France à partir d'exemples comme celui d'ArcelorMittal. Dans un premier temps, est venue l'idée d'un fonds de garantie, mais après avoir exploré un panel de solutions un peu plus large, nous travaillons sur des mécanismes financiers capables de couvrir le risque. On pense à la disparition de l'industrie qui alimente le réseau de chaleur, mais il peut aussi arriver que le voisin alimenté par l'industriel disparaisse, en sorte que celui-ci n'ait plus de débouché. Il existe des solutions assurantielles compliquées à monter pour des raisons de nature de risque, mais le sujet est identifié. Les professionnels, notamment ceux de la FEDENE, nous en avaient saisis, il y a plusieurs années. Ils participent d'ailleurs à nos travaux.
Pour rejoindre un des propos de Mme Catherine Trautmann, nous avons mis en place un fonds de garantie pour la géothermie, qui a été dimensionné au développement des projets en Ile-de-France. Tant qu'on n'a pas creusé à 1 500 mètres, on n'est pas assuré de la présence de la ressource. On sait que le Dogger, avec ses formations empilées comme des assiettes, existe mais on n'est jamais sûr d'obtenir le résultat escompté à l'endroit précis où l'on creuse. Au travers de l'ADEME, un fonds de garantie a donc été mis en place, avec un apport initial de l'État et les cotisations de ceux qui y font appel. La collectivité ou l'entreprise qui veut faire un puits cotise. Si elle trouve la ressource, c'est-à-dire la température et le débit prévus, la garantie n'intervient pas, sinon la garantie intervient pour partie. La région et nous couvrons à 90 %.
Oui. J'ai cité cet exemple pour expliquer le mécanisme.
C'est aussi une garantie de long terme. Le débit doit se maintenir sur la durée. Il y a une deuxième tranche. C'est un système de cautionnement mutuel qui fonctionne bien. Le taux d'échec est faible et rarement intégral. On n'abandonne pas, on remonte un peu et en creusant en biais, on finit par trouver, mais le surcoût est pris en charge.
Enfin, nous avons retenu dans nos visions l'hypothèse d'une part assez importante de biogaz pour la mobilité. Nous ne sommes pas en contradiction avec NégaWatt. Nous avons fait des choix un peu différents, mais nous prenons aussi en compte le développement des pompes à chaleur, notamment pour le logement individuel. À terme, la mobilité pourra être largement basée sur le biogaz – en 2060, un certain nombre d'entre nous ne sera plus là pour le voir.
J'évoquerai le prix des combustibles. S'agissant de la TICGN, sans même parler de la trajectoire d'augmentation, il y a aujourd'hui beaucoup d'exemptions, notamment pour des industries. On ne peut donc pas parler de problème social. C'est un frein réel au développement de solutions biomasse, car le rapport de compétitivité n'est pas le même.
Nous sommes porteurs d'une technologie particulière qui donne accès à des biomasses peu chères, à coût faible ou nul. Nous n'avons pas de problème de prix du combustible, ou plutôt, nous avons une position relative intéressante dans un contexte de faible prix de gaz. Nous avons plutôt à faire face à des problèmes d'accès au marché dans des technologies innovantes. Ce n'est pas que nous n'avons pas accès au fonds chaleur, mais les délais d'accès sont trop longs. Pour promouvoir une nouvelle technologie, on doit suivre le processus « nouvelle technologie émergente » (NTE). Il faut au moins un an et demi pour obtenir une validation et devenir éligible au fonds chaleur.
Avec le système NTE, nous aidons directement des projets chaque année. Le dispositif a été spécifiquement conçu et mis en place pour cela, il focntionne.
Après le dépôt du dossier, le temps que l'objet soit construit puis évalué, il s'écoule un an et demi, durée pendant l'entreprise porteuse de la technologie ne peut pas déposer d'autre demande au titre du fonds chaleur. Le temps de vie d'une start-up n'est pas le même que celui des processus d'aide existants. Une start-up vit ou meurt dans un délai de six mois à un an, en fonction de son accès au marché. Nous trouvons très intéressant tout ce que fait l'ADEME, ce n'est pas une critique. Le fonds chaleur est un très bon outil dont nous aimerions bénéficier, mais le délai nécessaire nous semble aujourd'hui préjudiciable.
Je répondrai à la question relative à la communauté urbaine de Dunkerque. Ce travail de spatialisation des flux s'intégrait dans une démarche de schéma directeur des énergies. Nous avons comptabilisé une vingtaine de collectivités, le plus souvent des agglomérations, ayant engagé cette démarche volontaire. L'intérêt est une meilleure connaissance des caractéristiques du territoire, et cela devrait s'intégrer dans le plan climat, outil obligatoire pour animer et coordonner la transition énergétique. Cela consiste en un diagnostic du territoire et en la définition d'un certain nombre d'objectifs de développement énergétique à moyen et long terme. Le diagnostic revêt une importance essentielle pour la planification. Certaines contributions ne vont pas assez loin. Des agglomérations ont établi parallèlement un schéma directeur des énergies, parce qu'elles n'étaient pas allées suffisamment loin dans le plan climat. Pour bien faire ces diagnostics, il faut des données réelles de consommation, ce qui est parfois compliqué. Il y a eu une avancée avec l'article 179 de la loi de transition énergétique, relatif à la mise à disposition des données des réseaux d'énergie, mais des limites liées aux données de consommation empêchent d'aller suffisamment loin.
Après que la collectivité a mis en place la planification énergétique, on en revient aux coûts de mise en oeuvre et à la contribution climat énergie. Nous demandons que cette recette retourne aux territoires pour mettre en oeuvre leur transition énergétique.
Il existe un potentiel important en termes de ressources, qu'il s'agisse de la biomasse ou de l'énergie fatale gaspillée. Par conséquent, les démarches de mutualisation, qu'elles soient entreprises au niveau d'une plateforme industrielle ou au niveau d'un territoire, sont extrêmement porteuses. Pour la chaleur renouvelable, il n'y a pas de problème de ressources ni même de mécanisme.
Le mécanisme du fonds chaleur fonctionne. Le moteur a bien fonctionné mais il est en panne d'essence en raison des effets de la chute du prix des énergies fossiles sur la compétitivité relative. On en est aujourd'hui à dire : qu'est-ce qui va décider un client à se lancer dans un projet de cette nature ? Ce client dit : si je veux me lancer dans un projet de chaleur renouvelable, je dois m'engager financièrement sur quinze, vingt ou vingt-cinq ans ; quelle sera ma contrepartie, au-delà d'être climatiquement responsable ? Si vous êtes une collectivité, vous avez des contraintes budgétaires, si vous êtes un industriel, vous évoluez dans un contexte de compétitivité, si vous êtes une personne physique desservie par un réseau de chaleur, vous avez tout simplement un problème de pouvoir d'achat. Qu'est-ce qui peut inciter des gens à s'engager dans des projets longs, dans un contexte dépourvu de perspective de croissance du prix des énergies fossiles ? Aux époques du pic pétrolier et du pic gazier, on pensait que les énergies allaient devenir rares, donc de plus en plus chères, ce qui incitait à se décider sans tarder afin de générer des économies.
De même, concernant la fameuse contribution climat énergie, on prévoyait que ça allait augmenter indéfiniment, et nous sommes aujourd'hui, comme on dit, dans un scénario flat. Pour que les gens décident de s'engager, le mode de calcul aujourd'hui retenu par l'ADEME tendant à dire qu'il faut être 5 % moins cher que le gaz n'est plus suffisant. Il faut aussi que le prix du gaz reflète bien la réalité du marché. Nous avons engagé une réflexion avec l'ADEME en vue de définir le prix de référence du gaz à retenir pour le calcul des opérations. Il ne faut pas attendre car les projets mettent du temps à surgir.
Nous avons été très heureusement surpris en lisant l'introduction de la PPE. Elle énonce deux objectifs. Le premier est la décarbonation, laquelle concerne chaleur et transport, qui représentent les trois quarts des consommations énergétiques en France. Le second objectif est un « coût collectif maîtrisé ». C'est la réaction aux problématiques qui se sont exprimées dans la rue. On ne peut pas faire n'importe quoi à n'importe quel prix, ce qui était un peu une tendance des dernières années. Tout naturellement, dans ce chapitre introductif, deux typologies de solution sont mises en avant : la chaleur renouvelable et les économies d'énergie ayant une rentabilité intrinsèque possible, ce que les auteurs appellent la « rénovation technologique et comportementale ». Le discours politique et médiatique reste axé sur l'électricité renouvelable et l'isolation des bâtiments. Enfin, la programmation pluriannuelle dit que cela coûte trop cher et qu'il convient de se concentrer sur les opérations efficientes et efficaces. Nous étions très contents de lire cela. Mais, en découvrant le contenu de la PPE, on s'aperçoit qu'elle ne tient pas compte de cette inflexion. Les chiffres sont identiques, l'allocation des moyens n'est pratiquement pas abordée et la suspension de la contribution climat énergie n'est pas traitée dans ce document.
Vous aurez compris de l'ensemble de nos interventions que le sujet n'est ni quoi faire ni comment, mais quels moyens mettre à disposition pour que ça se passe. C'est facile, car il y a beaucoup d'argent sur la table. C'est une simple question de réallocation des moyens. Il est devenu difficile de parler de taxation carbone, mais il faut continuer à parler de valorisation carbone. Cela correspond à une importante préoccupation de nos concitoyens sur des problématiques climatiques. Les gens sont bien conscients qu'il existe un risque, qui pourrait avoir demain un coût très élevé. Compte tenu du principe pollueur-payeur, à un moment donné, il faudra bien tenir compte de cette valorisation carbone, peut-être pas sous forme d'une taxe. Il faudra la gérer de façon astucieuse, mais il ne faut pas abandonner ce sujet. Nous espérons que le Grand débat aura été l'occasion de le faire. La FEDENE a produit une douzaine de fiches d'information sur ces thématiques, afin que les gens disposent de ces éléments.
Nous mesurons clairement l'importance du financement face à un problème de compétitivité. Monsieur Roger, contrairement à vous, je n'ai pas le sentiment que nous soyons dans une dynamique où l'on en ait beaucoup. Soit on aide, soit on taxe plus lourdement les énergies fossiles. Comme il est difficile d'échapper à cette alternative, il faut trouver d'autres méthodes pour soutenir l'investissement. L'enjeu, c'est de soutenir l'investissement de la valorisation pour trouver un business model pérenne.
Il y a un problème de visibilité. Pascal Roger a indiqué que la question était de savoir ce qui peut amener le client à faire un choix. Les facteurs économiques purement rationnels sont une chose, mais plus on a de visibilité et plus on peut accepter un équilibre économique tendu. Cela vaut aussi pour le prix du carbone.
L'engagement de la collectivité, l'engagement du territoire, la réflexion, une politique territoriale ambitieuse, dont a parlé Mme Trautmann, donnent de la visibilité. Un réseau de chaleur à base d'énergie renouvelable est un outil structurant, un outil d'aménagement, un outil d'équilibre et de péréquation sociale.de nombreux enjeux peuvent être portés par une planification à un niveau opérationnel. Les schémas directeurs, quel que soit leur nom, sont extrêmement intéressants.
Avec ces politiques, nous souhaiterions démontrer que le coût de l'énergie a baissé pour le consommateur et que, par conséquent, il peut accepter de payer plus cher la contribution énergie.
C'est un enjeu important pour l'acceptabilité sociale de la trajectoire carbone.
Je vous remercie toutes et tous pour vos présentations et vos réponses qui vont alimenter un pan de notre mission d'information relative aux freins à la transition énergétique.
L'audition s'achève à onze heures.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 9 h 30
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles
Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Luc Fugit