Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures trente.

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Je vous propose de poursuivre nos auditions dans le cadre de la mission d'information sur l'incendie de Lubrizol Normandie Logistique à Rouen, mission qui nous a été confiée par la Conférence des Présidents, et qui nous permet, au fil des auditions, de tirer des enseignements et de faire un retour d'expérience à la suite de cet évènement majeur.

Aujourd'hui, nous auditionnons Monsieur le préfet Alain Thirion, qui est le directeur général de la Sécurité civile et de la gestion des crises et qui est accompagné de membres de son équipe.

Ma première question porte sur le code de sécurité intérieure qui prévoit différentes autorités concrètement responsables d'un côté de l'alerte et des autorités de déclenchement. Selon vous, cette pluralité et, souvent, le chevauchement même de leurs compétences, ne risquent-ils pas d'aboutir à une dilution des responsabilités qui pourrait – c'est là où le risque se niche – créer une forme d'inertie ? Cette façon dont nous organisons la gestion de crise vous semble-t-elle opportune aujourd'hui ?

Ma deuxième question concerne plus particulièrement les autorités de déclenchement qui ont le libre choix des moyens d'alerte et d'information. L'obligation de résultat et non de moyens qui prévaut en la matière vous semble-t-elle pertinente aujourd'hui ? Faudrait-il au contraire prévoir des consignes très claires et l'organisation d'un protocole strict qui viserait à faire respecter par les autorités de déclenchement les moyens qu'elles pourraient utiliser à cette fin ?

Enfin, nous avons beaucoup parlé du camion NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique) qui a été dépêché de Nogent-le-Rotrou, une unité de la Sécurité civile placée, Monsieur le préfet, sous votre autorité. On nous a rapporté quelques défaillances sur la capacité de mesure de ce camion. Il est dépêché au moment même de l'évènement et les mesures qu'il doit faire sont essentielles, à la fois pour prendre les bonnes décisions et pour agir en connaissance de cause, notamment sur la question de l'analyse chimique. Pourriez-vous nous éclaircir sur ce point en infirmant ou confirmant ce que l'on a pu nous dire à ce propos ? Il est important d'aller jusqu'au bout de cette analyse, d'autant plus que l'on nous dit qu'un autre camion qui serait basé près d'Aix-en-Provence était plus opérationnel. Qu'est-ce qui détermine le choix ? Est-ce la distance ? Ce type de camions fait l'objet de vérifications permanentes, selon une logique de maintenance. Ce point a été relevé à plusieurs reprises lors de différentes auditions.

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Nous connaissons tous l'existence des sirènes qui sonnent les mercredis midis au début de chaque mois, mais peut-être est-il temps de réfléchir aux modalités d'alerte de la population et à une mise à jour de ces solutions. Avez-vous des propositions, au-delà du sujet du cell broadcast qui a beaucoup animé nos réflexions depuis l'incendie de Lubrizol ? Une directive européenne nous oblige d'ici à 2022 à utiliser des techniques pour prévenir la population en cas d'incident. Monsieur le ministre de l'Intérieur, lorsque nous l'avons auditionné au mois de décembre, ne semblait pas encore au bout de sa réflexion sur le choix que nous devons faire en tant qu'État, sur le fait que le cell broadcast soit la solution privilégiée par l'État français. Quel est le coût éventuel de ce dispositif ? Tout le monde dit que c'est assez onéreux, mais personne ne nous a donné à ce stade une somme précise.

Il y a quelques années, l'application Système d'alerte et d'information des populations (SAIP) était mise en place. Elle avait vocation à être téléchargée par l'ensemble des citoyens et était censée les prévenir en cas d'alerte attentats ou autres. Pourtant, à chaque fois que des attentats ont eu lieu, elle ne semblait pas fonctionner correctement. Pourriez-vous nous faire un point d'étape sur la modernisation de ce système d'alerte ? Quelles sont les prochaines étapes ? Quels sont les manques identifiés ? Selon un rapport du sénateur Vogel réalisé en 2017, 78 % des sommes allouées au service SAIP concernaient la partie sirène, qui correspondait à un budget de 80 millions d'euros.

Enfin, l'un des grands éléments qui ressort de cette problématique d'incendie à Rouen est celui de la culture du risque des Français, notamment ceux qui se trouvent près des sites industriels, sur les risques qui sont sur leur territoire et à proximité. Auriez-vous des propositions, des recommandations et des suggestions pour améliorer cette situation ?

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Préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Comme l'avait indiqué Monsieur le ministre de l'Intérieur, après des accidents, des évènements de ce type, une mission de retour d'expérience (RETEX), d'évaluation, est régulièrement mise en place. Cette mission a été lancée. Elle concerne le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) ainsi que l'Inspection générale de l'administration (IGA) et doit nous permettre de nous améliorer sur notre manière de prendre en compte tous les volets de la crise.

La direction générale de la sécurité civile ne s'occupe que de sécurité civile. Le dossier Lubrizol présente plusieurs aspects qui dépassent largement ce cadre. La direction générale a en fait une double mission : une mission de prévention et de préparation pour réduire les risques (naturels ou industriels) qui passe par la mise au point d'un certain nombre de plans et d'exercices. Nous mettons en place, par exemple, des plans triennaux d'exercices destinés à faire en sorte que nous nous mettions en position et que nous nous préparions. Cela participe au développement et à la valorisation d'une culture du risque. Pour ce site, le plan triennal concernant les différents exercices a été validé au cours de l'année 2019. Il comprend un volet qui porte sur le risque industriel, justement parce que dans les préfectures, dans les services de l'État, sous l'autorité des préfets, avoir une bonne connaissance du risque passe aussi par la mise en situation, et ce n'est pas un hasard. Le chiffre a été donné par le préfet de département : dans un département comme la Seine-Maritime, qui est très exposé, en moyenne, entre sept et huit exercices sont organisés tout au long de l'année, ce qui n'est pas rien.

Si notre première mission est de prévenir et de préparer, notre deuxième mission consiste à gérer la crise et donc le risque. Cela passe par le souci de la détermination d'un certain nombre de périmètres, la mobilisation d'un certain nombre de moyens (locaux, zonaux et nationaux) et nécessite une bonne articulation. Il faut également « traiter la crise », faire en sorte de régler le danger, l'évènement, et assurer la protection de la population. En fait, ce sont deux choses un peu différentes.

Il faut d'abord traiter cet incendie puis assurer la protection de la population, l'alerter, la sensibiliser et faire en sorte que l'information passe par une partie de la population qui parfois n'est pas exposée, mais qui se pose un certain nombre de questions. Nous sommes dans une société qui, par sa rapidité à sortir de l'information, peut générer aussi des risques, dont celui de la panique, ce qu'il faut prendre en compte. Bien entendu, la direction générale de la sécurité civile ne gère pas en direct l'ensemble de ces crises. Elle travaille en liaison très étroite avec les acteurs locaux, principalement les préfets, et avec les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui sont en général les premiers soldats à être confrontés aux évènements.

Sur le contenu et le mode opératoire, c'est le dispositif « organisation de la réponse de sécurité civile » (ORSEC) classique qui est mobilisé, qui fonctionne, qui a été d'ailleurs actionné, et ce sont trois outils principaux : le plan particulier d'intervention (PPI), qui renvoie d'ailleurs au plan d'opération interne (POI) de l'entreprise, et les plans communaux de sauvegarde. Il doit y avoir une articulation entre l'ensemble de ces outils. Cela renvoie au dispositif général, notamment aux dispositions de l'article L. 742-2 du Code de la sécurité civile. Objectivement, le dispositif tel qu'il est prévu fonctionne plutôt bien. Dans certaines circonstances, un chevauchement aurait peut-être pu se produire. Peut-être des interrogations auraient-elles pu intervenir. En l'occurrence, cela n'a pas été le cas. L'appréciation faite par le directeur départemental du service d'incendie et de secours, puis par le préfet, est que la coordination avec les autorités municipales s'est faite assez naturellement. Je le précise, car ce n'est pas le cas partout. Je n'ai pas senti de doutes sur qui fait quoi et à quel moment il fallait faire intervenir l'un ou l'autre. D'abord le POI est enclenché, puis nous sommes arrivés au niveau du PPI assez naturellement. Le plan ORSEC a été actionné par le préfet. Les éléments se sont finalement « emboîtés » assez facilement, ce qui prouve que les professionnels sur le terrain, auxquels je tiens ici à rendre hommage, ont une très bonne connaissance de la réalité des risques et que nous sommes dans un département où la connaissance et la pratique de ces risques sont une réalité. Ce n'est pas forcément le cas partout. Les exercices qui ont lieu régulièrement – au cours de l'année 2019, il y en avait déjà eu dans les départements – ont montré qu'ils étaient prêts à faire face à cette situation.

L'évènement est à la fois classique et exceptionnel : classique, parce que c'est un feu d'hydrocarbures ; il peut s'en produire un peu partout. Nous en avons eu d'ailleurs il y a trois semaines, au cours du mois de décembre. On ne peut pas dire que la nature de l'évènement est exceptionnelle. En revanche, c'est un feu d'hydrocarbure de grande ampleur sur un site Seveso en milieu urbain. Ces éléments sont extrêmement importants parce que la proximité de la ville de Rouen et le fait que nous aurions pu avoir un certain nombre de dérapages importants (des explosions, des extensions, des phénomènes de souffle) montrent que globalement, les actions qui ont été conduites sur le terrain ont été de nature à répondre à ce qui s'est passé, même si l'origine de l'incendie n'a pas encore été déterminée. L'enquête judiciaire le déterminera.

L'action qui a été conduite, décidée par le préfet sur la base d'une analyse qui a été faite par le directeur du SDIS, a été finalement assez claire. Il fallait contenir, maîtriser, traiter. Il s'agit de la gestion de l'évènement. Lorsque l'on dit « contenir », cela signifie ni extension (cinq installations classées pour la protection de l'environnement ICPE) sont implantées juste à côté du site de Lubrizol) ni explosion (la population n'est pas loin) ni souffle (qui aurait pu poser un certain nombre de difficultés). Contenir ce phénomène hors normes – nous avons eu des chaleurs extrêmement élevées et des flammes très importantes – les acteurs locaux y sont arrivés dans un temps court. Cela démarre entre 2 heures et 3 heures. À 10 h 30, le phénomène est contenu. À 13 heures, il est maîtrisé et ne s'étend plus. À partir de 15 heures, nous pouvons considérer qu'il est traité, c'est-à-dire que les trois risques principaux liés à la nature de l'évènement (risque d'explosion, risque thermique et risque toxique) sont pris en compte, même si concernant le risque toxique, un certain nombre de questions a été posé sur la nature du nuage, son importance, son contenu et les dangers par rapport à la population.

Ce risque est, en partie, nourri par une réalité qui a duré plusieurs jours : les odeurs. Celles-ci ont été persistantes. La population a été inquiète et forcément, elle s'est demandé si les informations qui lui étaient données correspondaient bien à la réalité du risque. Les analyses effectuées par la cellule mobile d'intervention chimique (CMIC), puis par le véhicule de détection, d'identification et de prélèvement (VDIP), ont permis de répondre au préfet dans la journée et de lui indiquer qu'il n'y avait pas de toxicité aiguë sur la base de ce fameux nuage, que se trouvait à peu près à 200 mètres d'altitude et s'étendait sur près d'une vingtaine de kilomètres.

Concernant ce VDIP, trois outils ont été utilisés pour analyser la nature des produits, vérifier leur conformité avec la nature de l'établissement et ce qui a été déclaré dans le cadre de l'installation classée, et les éléments de toxicité. La CMIC est un instrument local utilisé par le SDIS et qui a commencé à faire un certain nombre d'analyses. Il est apparu rapidement qu'il était nécessaire d'apporter des moyens supplémentaires et un outil permettant d'amener une analyse complémentaire. C'est la raison pour laquelle nous avons fait appel à un VDIP, complété ensuite par un outil du laboratoire central de la préfecture de police qui a été apporté par hélicoptère pour confirmer les analyses qui ont été faites. Nous avions procédé rapidement à un certain nombre d'analyses et, pour en confirmer le contenu, nous avons jugé qu'il était mieux de ne pas prendre de risque et d'avoir un complément par l'intermédiaire des analyses du laboratoire central. Les VDIP, vous en avez dans toutes les formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), qui sont sur trois sites : Brignoles, Nogent-le-Rotrou et le site corse. Dans ce cadre-là, chacun a un VDIP. Les trois outils sont les mêmes. Nous avons pensé qu'il était plus judicieux d'utiliser celui de Nogent-le-Rotrou et de le faire venir le plus vite possible. Il est arrivé d'ailleurs dans un délai assez court, vers 10 heures 30.

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Jean-Bernard Bobin, Chef du service de la planification et de la gestion des crises

Nous l'avons déclenché à 6 heures.

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Alain Thirion

Un élément essentiel de réponse et d'efficience en matière de sécurité civile est la notion de réponse capacitaire ; cela a été évoqué par le directeur départemental des services d'incendie et de secours. Les moyens du département face à un incendie de cette importance ne sont pas suffisants. Il y avait besoin de renfort. La coordination qui s'est faite au niveau zonal, puis l'apport des moyens nationaux par l'intermédiaire du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), auront permis une bonne articulation et de mobiliser des moyens totalement considérables. Jusqu'à 16 kilomètres de réseaux ont été mis en place. Plutôt que d'être dans une logique d'attaque d'incendie qui aurait été extrêmement compliquée au regard de sa nature, nous avons d'abord circonscrit l'incendie, puis nous avons mis en place un système de « Top mousse ». C'est la serpillière humide que vous utilisez quand vous avez une casserole qui s'enflamme sur votre cuisinière. Vous mettez en place un dispositif puis vous faites intervenir le « dispositif top mousse » et cela fait à la fois éteindre l'incendie et réduire la température, car il existe un risque thermique. C'est ce qui a été utilisé et qui a fonctionné.

En termes de moyens, le renfort des autres SDIS a été particulièrement utile, comme l'ont été les moyens en émulseur. On a évoqué le déficit en eau. Nous n'avons jamais manqué d'eau. Mais la demande en eau était telle que nous étions au-delà de la capacité du réseau. En émulseurs en revanche, alors que les moyens ont été totalement considérables, il n'y a jamais eu de rupture, parce que les SDIS et les moyens nationaux sont intervenus pour répondre aux besoins.

S'il n'y avait pas eu cette réponse capacitaire complémentaire, nous n'aurions pas été en mesure de faire ce choix tactique qui a été efficace puisqu'il n'y a pas eu de mort, de panique, de blessé, d'explosion, ou d'immeuble détruit. Vous qui connaissez bien les lieux puisque vous êtes allés sur place, nous aurions pu avoir tout cela. Si nous prenons des exemples passés, sans parler d'AZF ou de ce qu'il s'est passé à Sandoz dans les années 1980, certains phénomènes industriels en matière de sécurité civile ont donné lieu à des catastrophes extrêmement importantes.

Au sujet de la coordination, le préfet est en poste à partir de 3 heures. Nous sommes complètement dans la boucle à partir de 5 heures. La première information du COGIC intervient à 3 heures 15, quasiment 20 minutes après l'installation et la mise en place des sapeurs-pompiers. Les premiers moyens, c'est-à-dire l'envoi du VDIP, sont décidés à 5 heures 45, 20 minutes après que j'ai été alerté. L'activation du PPI, c'est-à-dire le moment où l'on sort du cadre du POI de l'établissement, intervient à 5 heures 30, donc quasiment au même moment.

Cette articulation est très utile parce qu'elle démontre bien les trois fonctions fondamentales du niveau national par rapport au niveau local. C'est une mission d'expertise. Plusieurs analyses et expertises ont été faites : l'analyse de Météo France (le nuage, comment il évolue, quelle est son importance, quelle est sa hauteur), et le volet santé, ce sont l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui ont porté ces éléments. Ce sont des appuis nationaux qui se sont mobilisés quasiment à partir de 5 heures ou 6 heures du matin.

Au-delà de l'expertise, il convient d'évoquer les deux fonctions suivantes :

- la fonction soutien, avec les moyens complémentaires qui sont mobilisés. On ne peut pas mettre tous les moyens partout dans tous les départements. Il doit y avoir une logique de poupées russes et une montée en puissance de l'ensemble de ces moyens. C'est exactement ce qu'il s'est passé.

- la fonction d'appui, c'est-à-dire avec la zone et le préfet de département. Il doit y avoir de la coordination pour que l'on ait les bonnes réponses au bon moment concernant la sécurité civile.

Ceci étant dit, nous nous sommes posé des questions sur certains dispositifs. C'est particulièrement le cas de la problématique de l'alerte et de celle de l'information. Je les distingue parce que ce sont deux éléments différents et parce que cela concerne deux publics différents. Nous devons alerter les maires et la population concernée. Nous devons également informer les maires et la population concernée, y compris ceux qui sont dans un rayon un peu plus large. Le préfet a expliqué comment il avait procédé. En ce qui concerne les maires, cela a d'abord été une série de coups de téléphone sur le premier périmètre qui a été établi, puis dans un deuxième temps, il a utilisé le dispositif départemental de Gestion de l'alerte locale automatisée (GALA), qui est un moyen technique intéressant, pour prévenir l'ensemble des maires du département. Il y a pu y avoir une incompréhension sur le fait que nous n'avons pas utilisé le même type d'information pour les uns ou pour les autres, mais globalement, les informations qui ont été données par les conférences de presse, par les tweets, par les communiqués de presse, auraient dû permettre d'avoir une information relativement complète. En même temps, le système n'est pas complètement satisfaisant parce que le dispositif GALA doit être capable de donner des informations plus précises. Peut-être faut-il que nous formalisions le processus et la procédure. Un travail doit être accompli au niveau de cet outil.

En ce qui concerne la communication, la désinformation ou la mauvaise information, ce qu'il s'est passé au niveau des réseaux sociaux doit nous interroger sur la manière avec laquelle nous devons informer la population.

L'information a eu lieu. Le préfet y a passé du temps et a utilisé différents outils. Il n'y a pas eu de panique, mais cela n'a pas rassuré la population, qui s'est posé un certain nombre de questions.

Il faut que nous soyons plus performants sur ces questions. Nous sommes donc en train d'y réfléchir. Au niveau de la Sécurité civile, nous formalisons une pratique que nous avions commencé à développer sur d'autres sites, notamment dans le cadre des risques naturels, qui est l'association avec les volontaires internationaux en soutien aux opérations virtuelles (VISOV). Ils suivent les réseaux sociaux, ce qui permet d'avoir une cartographie des appels dans le cadre des réseaux sociaux, en quelque sorte, une cartographie des interrogations. On peut même avoir une cartographie des types de questions qui sont posées. Peut-être faut-il que nous ayons des outils de réponses qui soient mieux utilisés, mieux adaptés. Au regard des nombreuses questions pratico-pratiques qui ont été posées, il ne faut pas hésiter à mettre en place des foires aux questions qui permettent de répondre pratiquement aux questions qui se posent. C'est un travail de fond sur lequel nous pouvons avancer. C'est une piste. Une mission d'inspection va être menée. Par conséquent, peut-être d'autres solutions entreront-elles dans ce cadre. Mais d'une manière générale, la communication est devenue un outil de gestion de la crise. Il faut complètement l'intégrer à la nature des communications et des informations qui circulent, y compris celles qui sont mal intentionnées. Nous avons vu par exemple circuler des photos d'animaux qui ne correspondaient absolument pas à ce qu'il s'était passé ! Manifestement, un travail doit être effectué à ce niveau.

Au sujet de l'alerte, je ne reviens pas sur le débat que vous avez eu sur le fait de savoir s'il fallait utiliser les sirènes, si le préfet a bien fait de les utiliser après. Le fait de se dire : « J'utilise les sirènes parce qu'on va me faire le reproche de ne pas le faire, et je le fais à 8 heures parce qu'avant, le réflexe de la population sera de sortir, alors que le message qui est lié à la sirène est de rester à l'abri et d'écouter la radio », je le comprends parfaitement. Si j'avais été à la place de mon collègue, j'aurais peut-être réagi de la même manière, d'autant que les messages qui sont liés aux sirènes peuvent être contradictoires. En ce qui concerne les barrages hydrauliques, si la sirène fonctionne, cela veut dire qu'il faut partir. Là encore, un travail doit être effectué autour des sirènes. J'ai bien en tête que ce n'est pas forcément un outil extrêmement moderne, mais en certaines circonstances, cela peut s'avérer utile, parce que cela a au moins le mérite d'exister. Je suis convaincu qu'il faut avoir une multiplicité des canaux. Le maintien du dispositif des sirènes, qui est équipé dans plus de 80 % du territoire aujourd'hui, donne plutôt satisfaction.

Il n'y a pas très longtemps, nous avons connu des phénomènes de risques naturels assez sérieux, notamment dans le sud de la France. Nous avons utilisé les sirènes à Nice, ce qui était une première. Nous les avons même utilisées deux fois. La réaction vis-à-vis de la population a été très bonne. L'utilisation de l'outil d'alerte est à mettre en perspective avec la culture du risque, c'est-à-dire qu'il faut que nous ayons les outils qui soient adaptés à la réalité de notre culture.

Le cell broadcast service renvoie effectivement à la décision qui a été prise au niveau européen en 2018, sur laquelle nous travaillons. L'année dernière, avant même Lubrizol, nous avons lancé une étude qui doit nous permettre d'en évaluer les coûts. Nous n'avons pas d'évaluation extrêmement précise sur l'installation de ce dispositif, qui doit être faite par les opérateurs. Les premiers chiffres qui ont été donnés parlent de 11 à 12 millions d'euros, ce n'est pas rien. En termes d'investissement, il faut aussi que nous fassions un travail vis-à-vis des opérateurs, parce qu'un travail actif leur est demandé en actionnant sur les zones bien déterminées les personnes concernées. Après, il y a la nature du message que nous pourrions faire passer. Le cell broadcast a un avantage, celui d'offrir la possibilité d'envoyer un message alors que la sirène, soit vous l'entendez, soit vous ne l'entendez pas. Quand vous regardez votre téléphone, vous voyez le message. À la différence du SMS, vous pouvez aller jusqu'à 1 300 signes. Cela peut permettre de dire des choses assez précises, c'est un complément.

Mais je constate que tous les pays où des dispositifs similaires ont été mis en place (les États-Unis, la Hollande) n'ont pas abandonné les autres systèmes et notamment les sirènes. Il n'existe pas de système miracle. Il faut une pluralité de réponses. Nous ne pouvons pas avoir un système d'alerte qui soit déconnecté de la réalité et de la nature des risques.

Sur la culture du risque, je suis complètement d'accord avec vous. Un travail de fond doit être réalisé dans notre société, parce qu'elle ne sera jamais sans risque, que ce soit naturel ou industriel. Tout ce que nous pourrons faire pour sensibiliser la population sur la nature des risques sera précieux. Cela passe à la fois par la mise en place de dispositifs d'alerte et d'information, mais aussi par un travail au niveau des entreprises, parce que la culture du risque s'apprend aussi en entreprise, au niveau des salariés. Les entreprises qui font des efforts pour recruter des sapeurs-pompiers, y compris volontaires, ont une culture du risque souvent plus développée. Avoir des sapeurs-pompiers dans l'entreprise est un atout. Tout ce que nous pouvons faire au niveau de l'école, des épreuves de secourisme, des gestes qui sauvent, dans le prolongement d'ailleurs de l'engagement du Président de la République, doit nous permettre d'améliorer cela. Dans certains territoires, un travail se fait en la matière, la population est plus attentive que ce que l'on pense. On le voit par exemple dans le sud de la France avec les phénomènes d'inondation. Au Japon, il existe la « Journée japonaise » où tout le monde fait l'inventaire de l'ensemble des gestes, que ce soit dans l'école, dans l'entreprise ou ailleurs. Il faut se diriger vers ce type de culture.

Avec le réchauffement climatique, les risques naturels sont encore plus élevés, plus intenses, plus fréquents et plus violents que ceux que nous avons vécus. Dans ce domaine, le travail de fond que nous faisons avec l'Éducation nationale et que nous voulons faire avec les entreprises doit nous permettre d'améliorer la situation. Les travaux que vous faites, les conclusions que vous en tirerez, pourront nous aider, parce qu'il y a derrière une vérité, c'est que la sécurité civile est plus qu'une politique publique. C'est une politique qui a des valeurs et qui est au coeur de notre contrat républicain. Il y a la notion d'engagement, que l'on retrouve au niveau des sapeurs-pompiers ; ils ont été formidables sur le terrain. Ceux de l'entreprise aussi. Les uns et les autres ont eu quelques gestes déterminants, notamment sur les produits qui ont été écartés. Tous les efforts fournis pour faire en sorte que notre culture de sécurité civile soit proportionnée à la réalité de nos valeurs républicaines seront précieux et nous renforcerons dans la force et la puissance de notre contrat républicain.

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Il semblerait dans nos auditions que le dossier d'information sur le risque majeur de la ville de Rouen n'avait pas forcément été au-delà de ce territoire et que d'autres communes étaient concernées par ce risque. Selon vous, est-il envisageable d'imaginer un document d'information communal sur les risques majeurs (dicrim) qui soit intercommunal afin que la population puisse en disposer chaque année ?

Deuxièmement, une mission d'inspection va avoir lieu. Il ne s'agit donc pas de devancer ses conclusions. Je partage votre avis : la sécurité est la première valeur de la République parce que personne ne peut accepter de vivre en insécurité, ne serait-ce que pour y placer sa famille. Je ne reviendrai pas sur s'il était bien ou pas d'actionner les sirènes, etc. Même si elles avaient été actionnées, personne n'aurait compris ce que cela voulait dire. C'est tout de même un sujet puisque même en Irak, il y a quelques heures, les sirènes ont été actionnées pour les bombardements. Cela veut donc dire que c'est une bonne technique et la population a tenté de se mettre à l'abri. Les sirènes sont un bel outil.

En revanche, j'ai été maire d'une commune avec un site Seveso 2, mais j'ai un questionnement qui reste sans réponse. Le réseau de service public de radio, qui s'appelle France Bleu maintenant, a pour mission légale d'être à la disposition des services de l'État pour passer ses messages en coupant tout autre type de communication.

Dans mon dispositif d'alerte, il a été dit : « Si vous entendez les sirènes ou la voix du maire avec son porte-voix dans les rues – je caricature à peine – écoutez le réseau France Bleu. Une fois que vous avez les informations, faites ce que vous devez faire ». La radio France Bleu, concernant l'accident industriel de Rouen, a parfaitement joué son rôle d'information en matière de communication journalistique et je ne critique pas les journalistes, mais je crois qu'il n'a pas émis de message officiel de la part de la préfecture et n'a pas coupé ses informations et autres outils de communication. La chaîne fonctionnait et diffusait des informations sur l'incendie, sur son évolution. Je n'ai pas connaissance de message officiel.

Il s'agit maintenant de faire un retour d'expérience. Sachant qu'évaluer les risques dans un périmètre éloigné d'un nuage toxique est un exercice difficile, surtout que l'on n'entend pas les sirènes à 25 kilomètres, peut-être est-il bon que l'État retrouve et actionne de nouveau ses vieux moyens parfois inutilisés ou oubliés afin que les gens puissent entendre une information et une communication officielle et pas des opinions ou des commentaires.

Deuxième chose, faut-il dans les PPI ou dans les DICRIM faire en sorte par protection, afin que tout le monde puisse être informé du risque éloigné et peu probable, que ces gens sachent que lorsque l'on est à 25 kilomètres de Rouen – il ne s'agit pas de fermer toutes les entreprises à risque parce que l'on n'aura plus beaucoup d'emplois – il faut avoir le réflexe d'écouter la « radio officielle » ? Dans ma commune, qui était dans le périmètre éloigné de la centrale nucléaire de Civaux, c'est ce qu'on nous dit de faire. Là, je n'ai pas eu le sentiment que la radio du service public ait été « réquisitionnée » pour informer la population. Même à 3 heures du matin, nous pouvons lancer les sirènes et si tout le monde sait que « Sirène égale radio », les gens iront chercher l'information. Je ne connais pas le processus de validation d'un message avant qu'il soit diffusé. Je ne sais pas comment France Bleu est organisée pour répondre à 3 heures du matin pour passer un message, mais je sais en revanche qu'ils ont des régimes d'astreinte. Il ne s'agit d'accuser personne, mais de faire progresser tout le monde. Si nous pouvions nous servir de cet accident industriel pour dire : « Sirène égale radio locale du service public », ce serait une sacrée avancée.

Sur les DICRIM intercommunaux, peut-être faut-il avoir des périmètres éloignés un peu plus larges et faire en sorte que tout le monde sache ce que cela signifie.

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La définition de la détermination du périmètre, au fil des heures, s'est étendue compte tenu de la météo. Les trois, quatre ou cinq communes périphériques de Rouen ont eu des informations assez rapides et précises ; je pense notamment aux informations de fermeture et de nettoyage des écoles. Dans un grand nombre de communes de moins de 1 000 habitants en revanche, un peu plus éloignées de Rouen dans un périmètre de 25 à 40 kilomètres, l'information n'est pas arrivée très facilement. La connaissance même de la situation de Rouen a été assez imprécise, ce qui fait que les élus se sont trouvés en difficulté avec un message de précautions à prendre et de mesures à mettre en oeuvre pour lesquelles l'information est arrivée de manière tardive. Le périmètre a été déterminé d'une manière très scientifique et rigoureuse, mais au fil du temps, ce que l'on peut facilement comprendre. N'avons-nous pas des possibilités de modéliser par anticipation des périmètres potentiels et de préparer les petites communes à une circonstance comme celle-ci ? Nous avons constaté l'impréparation d'un certain nombre de personnes pour se mettre en marche au regard de la situation qui a évolué très vite. Pouvons-nous anticiper ces définitions de périmètre sur des zones de plusieurs niveaux ?

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Sur les « Journées à la japonaise », il me semble que dans les territoires d'outre-mer, il a été mené une opération de ce type par rapport à un risque cyclonique. Avez-vous un retour d'expérience ou des éléments à nous donner sur ce type de solutions ? Il faut envisager un exercice chaque année qui mobiliserait, peut-être pas l'ensemble du territoire national, mais certains départements, avec un focus de la presse nationale et locale dans les territoires les plus à risque, au niveau naturel ou technologique, pour que cette culture du risque puisse évoluer positivement.

Sur le Service national universel (SNU), pensez-vous qu'il puisse être pertinent d'utiliser cet espace qui va progressivement monter en puissance pour concerner l'ensemble des générations à horizon 2023 ? Je sais que certains éléments sont liés au risque terroriste, mais en existe-t-il sur le risque naturel ou technologique pour former les jeunes ?

Vous abordiez la problématique de Météo France. A priori, ce panache de fumée modélisé l'aurait été avec des informations qui concernaient uniquement Lubrizol, c'est-à-dire 5 000 tonnes de produits. Nous avons su quelques jours après qu'il n'y avait pas 5 000, mais 9 000 tonnes de produits. Le panache de fumée a-t-il été remodelé compte tenu de ces nouvelles informations ? Je ne sais pas si cela change quelque chose au final.

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Concernant les véhicules qui ont été sollicités pour opérer quelques mesures, des défaillances se sont-elles produites ?

Sur la culture du risque, je rejoins parfaitement M. le rapporteur sur le SNU et notamment pour savoir si, d'ores et déjà, vous êtes sollicités, des modules concernent la prise en compte du risque industriel et des comportements, des attitudes à avoir lorsqu'on est confronté à une gestion de risque. On pourrait d'ailleurs élargir aux risques naturels. Il existe aujourd'hui des réserves communales de Sécurité civile. Avez-vous l'intention de les développer ? Serait-il utile de le faire ? Comment pourrions-nous le faire ? Le système repose beaucoup sur du bénévolat.

Nous avons auditionné notre collègue, M. Yves Blein, en sa qualité de président de l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (AMARIS). Il avait mis en oeuvre dans sa commune une réserve communale de sécurité civile, cela semble un excellent vecteur de diffusion des comportements à adopter, mais aussi de moyens à mobiliser au moment des crises. Systématiquement, ceux qui évoquent les exercices à la japonaise – ce qui n'a pas été votre cas – les rejettent en faisant comprendre que nous ne sommes pas japonais.

Qu'est-ce qui pourrait nous empêcher d'organiser des exercices grandeur nature qui amèneraient sans doute à ce que nous adoptions des comportements utiles et même parfois contributifs aussi ? Il s'agit sans doute d'éviter les risques de panique, comme vous l'avez rappelé, mais nous savons aussi que quand on adopte la bonne attitude, le bon comportement, on est soi-même une aide aux secours.

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Je suis députée de l'Oise et j'avais 43 communes impactées par Lubrizol dans ma circonscription. En premier lieu, je remercie notre préfet de l'Oise, qui est intervenu immédiatement, et tout le réseau des agriculteurs qui ont été réactifs. Il y a eu une chaîne de solidarité très claire. J'étais directrice d'école avant d'être élue au moment et à l'endroit des attentats de Charlie Hebdo. Avec les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS), on n'empêche pas et on n'anticipe pas. Nous pourrions faire tous les PPMS et tous les exercices que nous voulons, je sais par expérience que les choses ne s'empêcheront guère. C'est bien de se préparer. Les Japonais font leurs exercices de tremblement de terre. Nous sommes des descendants de Mai 1968, et nous ne sommes absolument pas japonais ! C'est bien d'apprendre à se protéger, mais nous avons ce souci...

En revanche, je partage votre avis sur France Bleu. Comment est-il possible de retrouver un automatisme de la sorte ?

Sur le SNU, certes, tout ce que nous pouvons faire sera à faire, mais nous devons surtout instaurer un accompagnement immédiat après les faits. Cela a pu manquer, pas forcément chez moi. Il faut une vraie cellule d'accompagnement pour chacun. S'il y a eu une vraie dose de solidarité chez moi, il y a quand même eu quelques personnes perdues et mal en point pour faire les dossiers. Quand il arrive quelque chose d'énorme, nous ne savons parfois plus comment réagir.

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Alain Thirion

La logique d'amélioration continue doit être intrinsèque à notre mode de fonctionnement parce que le risque évoluera également en fonction de notre société. Nous, en tant que service public, devons veiller en toutes circonstances à être performants par rapport à ces évolutions. C'est la raison pour laquelle il ne faut absolument pas nous contenter de ce que nous avons fait en regardant nos plans et en s'imaginant que nous n'avons plus grand-chose à faire. Il s'agit de rester extrêmement humble par rapport aux risques naturels ou industriels, parce qu'il peut y avoir des dérapages, des grains de sable qui peuvent aboutir à des choses terribles.

Monsieur Jolivet, vous avez parfaitement raison de souligner qu'il faut que nous rentrions dans des logiques territoriales. Aujourd'hui, incontestablement, la démarche de base sur l'ensemble de la prise en compte du risque est la commune. Il faut adopter des logiques beaucoup plus grandes au niveau des territoires en intégrant tout ce qui est lié à l'intercommunalité qui n'a pas encore complètement sa place dans la loi de 2004, et peut-être faudra-t-il définir son positionnement qui peut être d'appui ou de préparation. Nous avons un certain nombre de petites collectivités. Il faut les aider. Les structures intercommunales sont là pour cela. Quand nous faisons des éléments de bilan, notamment sur les plans communaux de sauvegarde qui fonctionnent plutôt bien dans ce pays, cela couvre entre 75 et 80 % du territoire. Là, nous avons plus de difficultés. C'est là où des communes n'ont pas forcément beaucoup de moyens et où nous n'avons peut-être pas suffisamment formalisé les plans communaux de sauvegarde qui sont parfois un peu compliqués. Quand je vois le mémento de la sécurité civile sur les plans communaux de sauvegarde, il est parfait, mais c'est une encyclopédie universaliste du plan communal de sauvegarde. Pour certaines communes, il faut peut-être des outils un peu plus simplifiés. Nous pouvons et devons veiller à faire en sorte que vis-à-vis des collectivités, nous aidions à l'ingénierie parce que ces outils auront tendance à se généraliser. Incontestablement, il faudra que nous ayons des approches beaucoup plus intercommunales, peut-être même départementales, voire zonales.

C'est la raison pour laquelle nous avons lancé au cours du mois de décembre un dispositif – vous connaissez les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) – qui ira vers ce que l'on appelle les schémas nationaux d'analyse et de couverture des risques (SNACR). La logique est de mettre en perspective à la fois la réalité du risque et la réponse capacitaire. Cela permet de savoir si nous sommes bien en phase et comment nous pouvons, par agrégation, optimiser les moyens dans tous les sens du terme. Cela peut faire des économies dans certains cas, ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Cela peut aussi nous permettre de savoir quels sont les efforts que nous devons faire, sur quel territoire, sur quels risques et à quel niveau. Un travail de fond doit se faire. Une dynamique est lancée aujourd'hui, qui montre bien que la réponse est là : il faut que nos territoires soient appropriés à la réalité des risques. Ce n'est pas forcément le cas des territoires administratifs tels qu'ils sont déterminés aujourd'hui.

Il est vrai que quand nous actionnions les sirènes, cela signifie « mise à l'abri » et pas « Confinement », ce n'est pas tout à fait la même chose, et « Écouter la radio ». Effectivement, si vous n'avez pas de message à la radio, le système est moyennement opérant. Il existe des conventions au niveau national, notamment avec Radio France, qui sont actives, y compris avec des médias télévisuels.

Il faut aller au-delà. Il faudrait systématiser. Cela pourrait être considéré comme une obligation du service public de faire en sorte, y compris pour les opérateurs privés, que des messages puissent être donnés à l'ensemble de la population. Il faut qu'une information neutre et objective soit exprimée par l'intermédiaire de l'ensemble de ces médias. C'est valable pour les médias, mais aussi pour l'ensemble des services. Il faut que la communication soit univoque et centralisée.

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(Hors micro) Et peut-être avec un seul émetteur.

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Alain Thirion

En effet. Ce travail est indispensable face à la profusion de messages qui circulent dans tous les sens, y compris les rumeurs parfois les plus folles. Sur les réseaux sociaux, nous avons vu des images d'une usine chinoise en train de brûler, que l'on a assimilée à Lubrizol. Une partie de l'inquiétude de la population provient soit de la mauvaise information, soit du fait qu'elle n'entend pas suffisamment l'information officielle et qu'elle ne sait pas exactement ce qu'il se passe. Donc elle est inquiète. La généralisation des conventionnements, pas uniquement de France Bleu, de Radio France, ou des télévisions publiques, a du sens parce que c'est une mission de service public qui va bien au-delà de la nature de ce que remplissent ces missions.

Au niveau local, j'ai cru comprendre que la préfecture a passé toute une série d'informations, de communiqués de presse, de message. Je n'ai pas écouté la radio, je suis allé sur place avec le ministre. J'ose espérer qu'elle a repris l'ensemble de ces messages. Cela mérite d'être vérifié. Je ne peux pas vous donner d'information précise.

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Le thème est « Ceci est un message officiel », mais la radio ne doit émettre que ces messages et en redondance. En d'autres pays, il y a une seule chaîne, c'est la chaîne qui est dédiée, que tout le monde connaît, et le message est redondant. Toutes les émissions s'arrêtent et tous les messages sont identiques et « sirène égale radio ». Aux États-Unis, cela fonctionne ainsi. Chez nos collègues allemands, c'est également le cas. En Italie, notamment dans la plaine du Pô, c'est le cas. Il y a une seule radio, mais elle n'émet plus ses émissions, ses jeux, n'est plus dans son rôle journalistique. La sirène déclenche le message officiel sur la « radio d'État » et c'est le préfet qui en a l'initiative. L'idée est que tout le monde soit au courant et ait la même information. On peut dire : « Les enfants à l'école ne craignent rien », et se préserver des fausses informations qui circulent sur Facebook.

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Alain Thirion

Si je comprends bien, c'est la formalisation du message qui est diffusée par les canaux officiels. Effectivement, le fait de faire passer ce type de message est vraiment une question qui se pose.

En ce qui concerne les différents périmètres, Mme Vidal, vous soulevez deux questions différentes. La première porte sur la manière de transmettre un message sur les territoires concernés. Cela va au-delà du périmètre, ce sont des territoires. L'outil, nous l'avons. Il s'appelle GALA. Il fonctionne plutôt bien. Il a été utilisé, mais dans un deuxième temps. Il peut là aussi y avoir un travail de protocolisation sur le contenu des messages. Nous devons être capables de dire ce qu'il se passe, ce que vous devez faire, combien de temps cela va durer et quelles sont les communes qui sont concernées. Ce travail peut se faire par l'intermédiaire d'une circulaire. Cela fait partie des premières leçons que nous avons commencé à tirer du phénomène de Lubrizol. Il faut utiliser ce produit, c'est incontestable. Si demain, nous avions d'autres outils d'alerte, nous aurons la même logique, c'est-à-dire qu'il faut travailler sur l'outil et en avoir plusieurs – le cell broadcast en est un – mais il faut aussi travailler sur le contenu du message, et définir à qui nous le faisons passer. Ce qui est valable dans le département l'est aussi dans les départements voisins parce que nous avons eu des inquiétudes et des remontées d'informations de départements pour lesquels, objectivement, le risque était nul ou extrêmement faible.

Mais comme il n'y avait pas d'information, l'inquiétude s'est développée. Nous avons même eu un contact avec l'ambassadeur de Belgique en France, puisqu'il s'inquiétait de savoir si la Belgique était touchée ! Il faut à tout prix structurer l'organisation de notre information. Nous étions très mobilisés sur la gestion stricte de la crise et cet élément d'information, nous l'avons laissé au préfet de département, comme nous le faisons classiquement. Si cela concerne plusieurs départements, peut-être un travail de structuration doit-il être réalisé, y compris au niveau de l'information et du message.

Deuxièmement, la « Journée à la japonaise » a été mise en oeuvre une fois, en Guadeloupe. Elle n'a pas été complètement évaluée. Cela fait partie des travaux. Comme vous l'avez senti, je suis assez attaché à cette démarche. La réflexion concernant le projet de loi sur les risques outre-mer intègre cette notion de « Journée à la japonaise ». Les risques naturels là-bas sont très élevés. Par conséquent, on se dit qu'il faut à tout prix rentrer dans cette logique. En métropole, pourquoi pas ? Cela a du sens que, sur l'ensemble du territoire, nous adoptions cette logique. Après tout, une journée par an, ce n'est pas grand-chose. Faut-il le faire sur tous les territoires ou d'abord ceux qui sont les plus exposés ? Les cas diffèrent entre un risque sismique, comme nous l'avons eu en Ardèche, un risque de submersion ou industriel. Il faut adapter la nature et le contenu des formations. Mais que l'on puisse réfléchir à un contenu et travailler sur cette question-là est plutôt une bonne idée.

Existe-t-il des obstacles ? Quand on veut, on peut... Nous devons pouvoir y arriver. Peut-être faut-il le faire par étapes. Je ne suis pas pessimiste. Au contraire, on constate une sensibilité plus forte sur les questions de Sécurité civile au sein du territoire. Les choses changent. Par exemple, faire fonctionner une sirène à Nice il y a dix ans n'était même pas envisageable. Aujourd'hui, nous l'avons fait deux fois en l'espace de 15 jours. On observe une prise de conscience qui est à connecter avec une autre réalité : la population est très informée, même si elle ne l'est pas toujours bien. L'information va très vite. Nous devons faire passer un certain nombre de messages qui doivent nous permettre de développer cette culture de sécurité civile qu'au fond, tout le monde appelle de ses voeux.

Sur le SNU, plusieurs démarches ont d'ores et déjà été lancées, auxquelles nous avons associé un certain nombre de SDIS ; je pense à celui de Loire-Atlantique. Pour le moment, nous sommes très ciblés sur le secourisme. Faut-il aller au-delà ? Pourquoi pas ? Le SNU va être une machine assez lourde, va concerner beaucoup de monde. Il faut que nous réfléchissions à notre capacité à tenir la distance. Une fois que nous aurons mis en place ces outils, nous n'aurons pas à le faire une fois, deux fois, il faudra le faire tout le temps et avec tout le monde. Nous devons développer cette culture de sécurité civile dans le cadre du SNU. Nous y avons pensé, un certain nombre de démarches ont été conduites dans ce cadre-là. Nous ne pouvons pas envisager un SNU dans ce pays sans évoquer les questions de sécurité civile. Après, qu'y mettons-nous ? Combien de temps ? Comment ? Nous sommes dans une phase d'ajustement. Quand nous serons dans une phase industrielle, cela nécessitera une montée en puissance. Nous devons intégrer les conséquences que cela aura sur les organisations.

En ce qui concerne Météo France et l'analyse qui a été faite, j'avais en tête qu'ils avaient l'ensemble des éléments, qu'ils les ont complétés. Ils ont été capables, au cours de la journée dans l'après-midi, de fournir une analyse assez précise sur l'évolution du nuage, sa densité et la manière dont il allait évoluer sur l'ensemble des territoires. Cela a été très précieux. Ces experts sont à nos côtés et Météo France est arrivé au COGIC à 6 heures du matin. Cela nous permet de savoir qui il faut prévenir, quel type de message nous pouvons faire passer, et quels sont les risques liés à l'évolution météo. Dans ce domaine, nous avons d'ailleurs des outils d'anticipation et de cartographie qui nous permettent, pour des risques naturels, d'anticiper avec une précision extrêmement fine ce qui va arriver sur les différents territoires. C'est un élément de la performance de la Sécurité civile dans ce pays. Si nous n'avions pas ces experts, nous serions aveugles. Nous les améliorons encore.

Sur les campagnes de feux de forêt, nous avons davantage de démarrages de feu, mais avec un feu moyen de 300, 350 hectares. Pourquoi ? Parce que nous avons des phénomènes de guet. Nous savons exactement ce qu'il va se passer et nous intervenons extrêmement rapidement. C'est aussi un élément que nous pouvons indiquer sur Lubrizol. Le risque a été jugulé rapidement parce que nous sommes intervenus rapidement, que les moyens ont été mobilisés rapidement et que les réponses tactiques qui ont été mises en place l'ont été en fonction de la nature de l'évènement. Plus on attend, plus le phénomène prend de l'ampleur et plus on perd la maîtrise du phénomène, ce qui est plus compliqué ; je vous renvoie à l'actualité.

Quant au VDIP, il a fonctionné, mais pas aussi bien que nous l'aurions voulu. J'aurais aimé que le VDIP arrive le plus vite possible, ce qui a été le cas. Il a été capable rapidement de déterminer la liste des produits chimiques qui ont été utilisés. Mais là encore, nous devons être capables, en « protocolisant » le mode opératoire, d'aller plus vite encore que ce qui a été fait. Des marges de progression existent. Par la suite, nous avons fait plusieurs tests sur les autres VDIP. Si cela arrivait maintenant, nous aurions été peut-être un peu plus diligents, même si les éléments d'information ont été fournis au préfet en tout début d'après-midi. Il faut toujours rester humble par rapport aux risques, qu'ils soient naturels ou technologiques et industriels, parce que nous pouvons être confrontés à des phénomènes de très grande ampleur et l'actualité le montre. Le VDIP de Brignoles est exactement le même. Nous ne l'avons pas fait venir de là-bas parce que cela aurait pris forcément un peu plus de temps. Nous avons utilisé un dispositif du Laboratoire central de la Préfecture de Police en les faisant venir en hélicoptère pour confirmer les analyses du VDIP et gagner du temps.

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Êtes-vous en train de dire que par anticipation, nous aurions pu savoir selon la provenance des vents quelles communes seraient impactées en cas d'accident sur tel site, et faire la même chose avec d'autres sites ? Nous en avons autour de Rouen, sur Quevilly notamment. Pouvons-nous anticiper avec Météo France et les cartographies et dresser au préalable un profil de communes qui, en cas d'accident, selon les vents, selon leur vitesse, selon leur orientation, seraient touchées et prévenues en amont d'une procédure qui serait établie pour pouvoir se mettre en ordre de marche automatiquement ?

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Alain Thirion

J'aimerais bien que nous puissions tout anticiper, mais par nature, la catastrophe qui intervient sur un site industriel est imprévisible. Il y a un élément nouveau en matière de sécurité civile qui date d'une quinzaine d'années. Auparavant, nous avions l'alerte et nous gérions la crise, non pas en la subissant, mais en la suivant. Aujourd'hui, nous souhaitons être capables, par la qualité de nos experts, d'avoir des outils de modélisation qui nous permettent de savoir comment les choses vont évoluer. Nous sommes capables de savoir comment va évoluer un cyclone, son intensité. Il en est de même pour les inondations. Nous pré-positionnons des moyens quand des inondations vont arriver et que le phénomène météo va avoir un impact dessus. Nous sommes même capables d'alerter la population dans un certain nombre de cas en disant : « Restez chez vous », « Faites attention », etc. Nous pouvons le faire également pour les feux de forêt, où nous savons avec précision comment les choses vont pouvoir évoluer et comment nous pouvons intervenir. La modélisation que Météo France a préparée dans la journée de cet évènement nous a permis de répondre à un certain nombre d'interrogations. Par exemple, le nuage ne devait pas aller sur Rouen. Nous étions capables de montrer que l'évolution des vents nous était favorable. Ensuite, à quelle hauteur était-il ? Quelle était sa densité ? Par voie de conséquence, la question qui était posée par le préfet est : « Quid de la toxicité ? ». Nous avons pu lui donner plusieurs éléments.

Ce qui est plus compliqué à évaluer – mais cela ne relève pas de la Sécurité civile – ce sont les conséquences éventuelles de certaines pluies sur la pollution et les zones touchées. Météo France arrive parfois aux limites de ses capacités, mais pour le reste, nous avons été assez rapidement capables de savoir que nous avions un nuage de 25 kilomètres, qu'il était à peu près à 200 mètres, de déterminer la nature des vents, à quelle vitesse il allait évoluer et sa dispersion. Cet effort des experts est extrêmement précieux. Nous avons prévenu les départements concernés. Nous sommes passés par la zone de défense. Nous avons même prévenu la zone de défense du Nord, puisqu'elle a été touchée également.

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Monsieur le préfet, disposez-vous de moyens d'analyse prédictive ? Aujourd'hui, un certain nombre d'organismes, notamment Météo France, ont cette capacité avec le big data et l'intelligence artificielle.

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Alain Thirion

Nous avons un certain nombre d'experts (Météo France, INERIS, etc.) qui travaillent pour nous, soit directement, soit par l'intermédiaire de conventions. Pour l'essentiel, ils nous font des analyses extrêmement précieuses, avec un bémol. Ils connaissent très bien ce qu'il s'est passé avant. Nous allons signer une convention particulière avec Météo France dans ce cadre-là. Nous pensons qu'il y a un travail à faire autour du réchauffement climatique. Il faut que nous soyons capables d'étudier et d'analyser les conséquences et l'impact du réchauffement climatique sur l'ensemble des territoires et d'en tirer des cartographies. Ce travail est nouveau parce qu'il ne repose pas du tout sur le passé. Il n'est pas dans une logique de projection de ce qu'il s'est passé, mais dans l'analyse des conséquences liées à l'augmentation des températures et à la multiplication des phénomènes.

Ce travail est lancé et doit nous permettre, sur toute une série de domaines, d'en tirer des conséquences sur l'évolution des risques. Aujourd'hui, les feux de forêt se déclenchent surtout dans le sud de la France. En 2019 pour la première fois, nous avons connu des feux de chaumes qui se sont propagés jusque dans le Nord et dans l'Oise. Jusqu'à 17 000 hectares ont brûlé au nord de la Loire. C'est totalement nouveau. C'est lié très clairement à l'accélération du réchauffement climatique. Soit nous restons dans la position d'aujourd'hui et nous allons connaître une situation difficile, soit nous anticipons et nous pouvons dire que demain, il faudra peut-être installer un Pélicandrome dans l'Oise ou dans le Nord – nous sommes en train d'y réfléchir – pour projeter sur différents endroits nos moyens aériens, qui, comme vous le savez, sont situés à Nîmes, lorsque nous nous trouverons face à des phénomènes auxquels, jusqu'à présent, nous n'étions pas confrontés.

C'est valable aussi sur notre plan de formation. Les services d'incendie et de secours du nord de la Loire ne sont pas vraiment spécialisés dans les feux de forêt, et pour cause. Nous avons parfaitement compris qu'il fallait que nous rentrions dans une certaine logique pour les préparer à la formation. C'est là où il doit y avoir une anticipation, à la fois opérationnelle, mais aussi concernant les évolutions que connaîtra l'ensemble de notre territoire.

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Monsieur le préfet, nous vous remercions à la fois de votre contribution et des réponses que vous avez apportées aux questions.

L'audition s'achève à seize heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 15 h 30

Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. François Jolivet, Mme Annie Vidal