Mercredi 25 septembre 2019
La séance est ouverte à onze heures.
Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de M. Frédéric Monot, responsable du département scientifique « Environnements, écosystèmes, ressources biologiques » (EERB) au sein de l'Agence nationale de recherche (ANR).
Mes chers collègues, nous allons poursuivre nos auditions d'aujourd'hui. Nous recevons maintenant monsieur Frédéric Monot, responsable du département scientifique de l'Agence nationale de la recherche (ANR).
On a beaucoup parlé de l'ANR, en Guadeloupe et en Martinique. La question de son rôle est un sujet central. Je vous informe que vous êtes filmé et que votre audition est retransmise en direct sur le canal de l'Assemblée nationale.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes qui sont auditionnées par la commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
M. Frédéric Monot prête serment.
Je vous présenterai d'abord le fonctionnement de l'ANR. Créée en 2005, l'ANR est une agence chargée de mettre en place le financement de la recherche sur projets suivant la programmation arrêtée par son ministère de tutelle, le ministère de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation (MESRI). C'est un établissement public à caractère administratif depuis 2006.
C'est la seule agence publique de financement de la recherche sur projets qui soit multidisciplinaire : elle couvre l'ensemble du spectre scientifique, à l'exception du secteur spatial, des recherches sur le cancer, qui reviennent à l'Institut national du cancer (INCA), et des recherches sur le VIHSida, qui reviennent à l'ANRS.
Le décret du 24 mars 2014, révisant celui du 1er août 2006, a renforcé les missions de l'ANR, qui sont au nombre de cinq.
La première de nos missions est de financer et promouvoir le développement des recherches fondamentales et appliquées, l'innovation technique et le transfert de technologie ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé.
La seconde mission est de mettre en oeuvre la programmation arrêtée par le ministère chargé de la recherche. À l'heure actuelle, la programmation est issue de la réflexion menée dans les comités de pilotage de la programmation, organisés par le MESRI et l'ANR. Ces comités ont pour but d'associer les communautés scientifiques à la programmation.
Dans ces instances siègent des représentants du MESRI et de l'ANR, des alliances thématiques de recherche – Aviesan, Allenvi, Ancre, Allistene et Athéna –, du CNRS, de la conférence des présidents d'université (CPU), de la recherche privée, via les pôles de compétitivité, et des ministères concernés. Par exemple, le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation ou le ministère de l'économie et des finances participent au pilotage du comité de programmation sur les sciences de l'environnement.
L'ANR met ensuite en oeuvre la programmation arrêtée par le MESRI, notamment au travers de l'appel à projets générique de l'ANR, qui représente actuellement 85 % des financements sur projets de l'ANR. Je détaillerai également comment sont mis en place l'offre de financement ainsi que le processus de sélection.
La troisième mission de l'ANR est de gérer les grands programmes d'investissement de l'État dans le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche, lesquels dépendent du secrétariat général pour l'investissement, service du Premier ministre.
La quatrième mission est de renforcer les coopérations scientifiques au plan européen et international.
Enfin, la cinquième mission est d'analyser l'évolution de l'offre de la recherche et de mesurer l'impact des financements alloués par l'agence.
J'en reviens à la mise en oeuvre de la programmation. Des comités de pilotage de la programmation se tiennent actuellement deux fois par an, la première fois sur l'aspect international, la deuxième fois sur l'aspect national. À l'issue de ces comités, un plan d'action, révisé annuellement, est élaboré en cohérence avec les priorités nationales et les initiatives européennes de financement de la recherche.
Le plan d'action de l'ANR constitue la feuille de route qui intègre les orientations prioritaires de recherche de notre pays. Il permet de mettre en oeuvre les orientations et priorités du MESRI qui coordonne l'action interministérielle entre les différents ministères concernés.
Il se structure en quatre composantes transversales qui font chacune l'objet d'un budget spécifique. Chaque composante dispose d'instruments de financement, d'appels à projets et de programmes particuliers. La composante principale « Recherche et innovation » correspond à l'appel à projets générique (AAPG). Elle est actuellement structurée en 49 axes de recherche, 36 d'entre eux correspondant à des domaines disciplinaires, les 13 autres correspondant à des enjeux transversaux pluri- ou transdisciplinaires. Ces 49 axes de recherche couvrent l'ensemble des disciplines scientifiques.
Au sein de l'ANR, nous avons cinq départements. Je représente le département scientifique « Environnements, écosystèmes, ressources biologiques » (EERB), mais il y en a quatre autres. Nous sommes chargés de la mise en oeuvre de ce plan d'action.
À chaque axe correspond un comité d'évaluation scientifique et ce sont les chercheurs, qui, au moment de soumettre un projet, choisissent l'axe de recherche qui correspond aux objectifs et au contenu scientifique du projet qu'ils proposent.
La composante « recherche et innovation » est la plus importante de l'ANR. Les autres composantes du plan d'action sont d'abord la composante « Construction de l'espace européen de la recherche (EER) et attractivité internationale de la France » ainsi que la composante « Impact économique de la recherche et compétitivité (IERC) », qui a pour objet de stimuler le partenariat avec les entreprises et le transfert des résultats de la recherche publique vers le monde économique, à travers des appels spécifiques comme les laboratoires communs (LabCom) ou comme les « chaires industrielles », chaires co-construites et cofinancées entre laboratoires publics et entreprises. Il faut citer également le financement des instituts Carnot, qui vise à développer la recherche contractuelle entre les structures publiques de recherche et les partenariats privés.
La dernière composante s'intitule « Actions spécifiques hors appels à projets génériques ». Elle inclut plusieurs instruments.
Le premier est l'appel Flash. Il vise à soutenir un besoin urgent de recherches dont la pertinence scientifique est en lien avec un événement ou une catastrophe d'une ampleur exceptionnelle. C'est un instrument d'urgence. Un des derniers appels Flash est « ouragans 2017 : catastrophe, risque et résilience », lancé fin 2017 suite aux épisodes météorologiques extrêmes d'août et septembre 2017 ayant sévi aux Antilles.
D'autres sujets nécessitent la mise en compétition d'équipes développant des approches concurrentes pour lever des verrous scientifiques ou technologiques. L'ANR a donc imaginé un dispositif particulier : les appels Challenge. Un exemple est le Challenge ROSE : Robotique et capteurs au service d'Ecophyto. Il concerne l'agriculture numérique, qui permet d'éviter l'emploi des pesticides.
D'autres appels spécifiques peuvent être mis en place en dehors du calendrier normal de l'appel générique. Ces appels correspondent à des priorités nouvelles décidées par l'État ou à des problématiques scientifiques proposées par un financeur externe. C'est le cas de l'appel à projets de recherche conjoint « recherche, développement et innovation - sargasses », cofinancé par les collectivités territoriales de Guadeloupe, Martinique et Guyane, par l'ADEME et par des agences de financement brésiliennes.
De ces quatre composantes, l'appel à projets générique est de loin la plus importante, tant en budget qu'en nombre de projets. Non moins de 1 133 projets ont été financés par ce canal en 2018, sur les 1 471 projets financés par l'ANR. Pour information, l'ANR a financé un total de 18 500 projets de recherche depuis sa création.
L'appel à projets générique est un appel ouvert : il n'y a pas de thème imposé et ce sont les chercheurs qui conçoivent et proposent leurs projets. Si vous le voulez, je reviendrai plus tard sur le processus d'évaluation et de sélection. Par le passé, il y avait coexistence d'appels « blancs » et d'appels programmatiques, plus ciblés. Il n'y maintenant plus d'appels programmatiques, mis à part les appels spécifiques que j'ai mentionnés, tels les appels Flash ou Challenge, mais un appel générique décomposé en axes de recherche cherchant à couvrir l'ensemble des disciplines scientifiques.
Je vous remercie pour cette présentation de l'ANR. J'aurais bien aimé que vous puissiez continuer sur le processus de sélection et sur le processus d'évaluation, s'agissant notamment des projets relatifs à la dépollution et à la décontamination des sols.
La procédure de sélection est basée sur trois points. D'abord, il convient de rappeler que c'est un processus qui répond à de grands principes. Il respecte les principes internationaux que sont l'excellence, l'impartialité, la transparence, la confidentialité et la déontologie. Ensuite, c'est une sélection compétitive ; on fait très attention à l'équité de traitement. Enfin, c'est une évaluation qui est conduite par les pairs, à savoir des scientifiques français et étrangers extérieurs à l'agence.
J'en viens à la procédure d'évaluation et de sélection elle-même, qui est certifiée ISO 9001. Je peux la décrire en trois points : la procédure, les acteurs, les critères d'évaluation.
Premièrement, la procédure. L'appel à projets générique est une sélection basée sur un processus en deux étapes. Il est organisé selon un rythme annuel. Au cours de la première étape, une sélection est réalisée sur la base d'une pré-proposition de quatre pages. Ces pré-propositions sont sélectionnées après évaluation par le comité d'évaluation scientifique, sur la composition duquel je reviendrai. L'an dernier, il y a eu à peu près 7 000 propositions déposées, dont 2 500 à 3 000 ont été sélectionnées. Au cours de la deuxième étape, les auteurs des projets présélectionnés vont soumettre un projet complet de vingt pages, c'est-à-dire une proposition détaillée. L'évaluation sera faite cette fois par les experts et par les comités d'évaluation scientifique ; ce sont eux les acteurs de la seconde étape de l'évaluation.
Les comités d'évaluation scientifique sont au nombre de quarante. Ils correspondent aux 49 axes de recherche de l'appel à projets générique. Ces comités sont présidés par un président référent, recruté par appel à candidature et formé ensuite par l'ANR sur les questions de procédure. Ainsi, le président référent est un scientifique extérieur qui garde son indépendance scientifique. Quant aux membres du comité, ce sont des personnalités qualifiées, françaises ou étrangères, qui appartiennent au comité de recherche. Ils sont nommés par l'ANR, sur proposition du président, pour chacun des comités.
Pour l'évaluation des projets complets soumis à la deuxième étape, ces membres font appel à des experts extérieurs supplémentaires, qui sont donc des spécialistes français ou étrangers du domaine concerné par le projet. Ils évaluent en toute indépendance les propositions détaillées. Pour le résumer ainsi : dans une première phase, la sélection est effectuée uniquement par le comité d'évaluation scientifique ; dans une deuxième phase, le comité d'évaluation scientifique s'appuie également sur des expertises externes.
En 2018, ont été ainsi mobilisés plus de 1 000 membres, dont 30 % sont des étrangers. Ils ont conduit 14 000 évaluations au total. Sur ces 14 000 évaluations, il y a eu 8 000 expertises externes, c'est-à-dire que plus de 60 % des évaluations ont été réalisées par des scientifiques étrangers.
Aux différentes étapes, qu'il s'agisse du choix des membres ou des experts, l'ANR prête une attention forte au respect des règles de déontologie, notamment à tout ce qui concerne les liens d'intérêts.
Après vous avoir parlé de la procédure et des acteurs, j'en viens aux critères d'évaluation. Nous avons trois critères principaux. Le premier, c'est la qualité et l'ambition scientifique du projet, critère discriminant. Il est nécessaire d'obtenir la note « 1 » sur ce critère pour qu'un projet puisse être retenu. Ensuite, le deuxième critère a trait à l'organisation et à la réalisation du projet. Le troisième critère concerne l'impact et les retombées du projet.
Voilà sur quelle base les projets sont évalués par le comité, les critères étant connus des déposants lorsqu'ils soumettent leur projet. Un débat scientifique s'engage au sein de chacun des comités, sur chacun des projets, pour arriver à un consensus sur la décision finale des comités quant au classement des projets. En fonction du budget disponible, les projets seront financés ou rejetés. L'aspect budgétaire intervient ainsi, évidemment, lorsqu'on en vient au financement des projets.
Les évaluations font la synthèse des débats. Elles font état des efforts et des faiblesses de chaque projet retenu par le comité. Elles sont ensuite envoyées au coordinateur de chacun des projets soumis. Ainsi, chacun des projets non financés a été jugé par les comités, et non par l'ANR. Ce sont bien les comités qui évaluent le projet, ce n'est pas l'agence. Il y a des projets non retenus qui sont jugés meilleurs que ceux qui sont finalement financés car, évidemment, la contrainte budgétaire intervient.
À l'heure actuelle, notre taux de sélection s'établissant à 15 %, nous sommes conscients de ce qu'il y a des projets excellents qui ne sont malheureusement pas financés.
Vous terminez bien ! Je vous avais volontairement demandé de détailler le processus de sélection et d'évaluation. S'il y a d'excellents projets qui ne sont pas financés, puis-je vous demander si le sujet du chlordécone, le sujet de sa dépollution et de sa décontamination, sont une priorité pour l'ANR ?
Je vais déjà vous dire combien de projets nous été soumis sur le sujet du chlordécone et combien ont été acceptés.
À l'heure actuelle, nous lançons un appel à projets générique, où le chlordécone ne figure pas explicitement. Pour l'instant, il n'a pas figuré non plus au nombre des appels Flash dont je vous parlais tout à l'heure, l'avant-dernier de ces appels portant sur les ouragans. Mais il serait tout à fait possible d'ouvrir un appel Flash sur le chlordécone. La décision appartient au MESRI, lequel peut nous envoyer l'instruction d'ouvrir un appel Flash sur le sujet chlordécone.
Cela étant dit, des projets ont aussi été soumis au fur et à mesure des différents appels à projets de l'ANR, dont certaines des composantes ou certains des axes de recherches pouvaient très bien traiter ce sujet-là. Ainsi, après quelques recherches, je puis vous dire que, depuis sa création en 2005, l'ANR a financé 13 projets sur le chlordécone et le paraquat. Sur ces treize projets, dix ont portés sur la chlordécone.
Soit dit en passant, j'ai tendance à mettre le mot chlordécone au féminin : « la chlordécone ». Veuillez m'en excuser. Je sais qu'on utilise ici plutôt le masculin. Mais les deux sont acceptés.
Mais je reprends : sur ces treize projets, dix ont portés sur la chlordécone ; trois projets ont porté sur le paraquat. En fait, les trois projets qui traitaient du paraquat portaient également sur d'autres molécules, pour en mesurer les différents effets xénobiotiques. Cette observation vaut également pour trois des projets ayant une composante chlordécone. Sur ces treize projets, sept sont par contre exclusivement concentrés sur le chlordécone.
Sur ces treize projets, le budget total financé par l'ANR s'est élevé à 5,7 millions d'euros, dont 4,6 millions d'euros sur la chlordécone et 1,1 million d'euros sur le paraquat. Au niveau du timing, trois projets ont été financés avant le premier plan chlordécone, deux pendant ce premier plan, deux pendant le second plan et trois au cours du troisième plan. Ainsi, ils se sont échelonnés au cours du temps de manière à peu près régulière.
Les thématiques qui ont été étudiées dans ces projets sont, d'une part, tous les aspects liés à l'environnement : évaluation de l'exposition, la contamination, les effets sur les plantes et les animaux, la recherche d'outils d'évaluation de la qualité sanitaire environnementale, l'environnement impacté. Cela concerne cinq projets. D'autre part, huit autres projets ont porté sur les effets sur la santé humaine : effet de l'exposition, recherche sur les mécanismes d'action au niveau moléculaire ou cellulaire, aspects liés à la toxicité, notamment les effets sur les cancers du foie, de la prostate, ainsi que le chlordécone envisagé en tant que perturbateur endocrinien. Conformément aux missions de l'ANR, ces projets de recherche étaient général des projets de recherche fondamentale.
Treize projets sur la chlordécone, cela peut paraître faible, mais cela représente treize projets retenus sur un total de 46 projets déposés depuis 2005. Le taux de sélection s'établit ainsi à 28 %, ce qui est supérieur au taux de sélection moyen de l'ANR. Ce taux de sélection moyen était de 26 % en 2005. Il a ensuite décru régulièrement, du fait de la baisse de la dotation budgétaire, jusqu'à atteindre 11 % en 2014 et 2015, pour remonter actuellement à 16 %.
Il faut faire attention au chiffre moyen calculé pour le chlordécone, car le faible nombre des projets retenus rend cette moyenne statistiquement peu significative. Cela étant dit, le taux de sélection de ces projets demeure tout de même à un taux élevé par rapport à l'ensemble des projets déposé à l'ANR. Mais je ne crois pas qu'il faille raisonner en ces termes.
Ce ne sont pas des projets qui ont été financés directement par l'ANR. Les projets qui ont été financés par l'ANR sont d'abord le projet « Ti-Moun », qui s'appuyait sur l'accord Ti-Moun. Il portait sur l'impact de l'alimentation maternelle sur le déroulement de la grossesse et le développement de l'enfant en Guadeloupe, et comportait notamment l'étude de l'interaction entre les effets nocifs et les aspects protecteurs de l'alimentation.
Ensuite, il y a eu un projet, en 2008, qui s'appelait Chlordexo, sur la pollution des sols et des eaux par le chlordécone aux Antilles, ainsi que sur ses conséquences sur les cultures et les organismes aquacoles. En 2010, il y eut un projet Machloma sur les mécanismes d'accumulation, d'élimination et de perturbation du système nerveux et endocrinien induit par l'exposition au chlordécone dans les Antilles françaises, ainsi qu'un autre projet sur l'impact du chlordécone sur l'hépatite chronique active. Un autre projet a ensuite porté sur la contamination par le chlordécone du biofilm épilithique en rivière, en s'appuyant sur la recherche de bio-indicateurs. Rappelons au passage que le biofilm épilithique est celui qui se développe sur les rochers ; il peut justement servir de bio-indicateur.
En 2013, un autre projet a porté sur la distribution du chlordécone dans la prostate et sur les perturbations moléculaires induites en lien avec la promotion tumorale ; il s'agissait d'un projet de recherche fondamentale. En 2016, un projet, qui n'est pas encore terminé, a été retenu. Il porte sur des stratégies innovantes pour sécuriser les systèmes d'élevage dans les zones contaminées par la chlordécone. Une approche modèle a été développée dans les Antilles, qui pourrait être applicable dans les zones contaminées à l'échelle mondiale.
Sur les aspects liés à la toxicité, on retrouve des équipes de l'Inserm et du CNRS. Ce sont des équipes qui sont bien déjà impliquées sur tous les aspects de perturbateurs endocriniens et qui sont reconnues en France. Sur les aspects d'évolution, je ne saurais être aussi précis. Beaucoup d'études ont porté sur les aspects écotoxicologiques, permettant de juger de l'impact environnemental de la chlordécone sur les plantes et sur les animaux. Un nouveau projet a été retenu cette année, qui porte sur la caractérisation de la chlordécone et des molécules dérivées de la dégradation de la chlordécone. Ces recherches portent sur des aspects analytiques complexes.
Quant aux résultats des projets de recherche, ils appartiennent aux chercheurs, qui seront mieux à même que moi d'en faire état. Je ne suis pas le scientifique le mieux placé pour parler des résultats de ces projets.
Au cours des auditions que nous avons réalisées en Martinique, deux ou trois constantes se sont dégagées, que je veux partager avec vous.
Premièrement, nous avons été frappés par l'éclatement des initiatives, qui passe à côté de la transversalité du problème. La recherche manque de cohérence sur un drame pourtant précis et clair, géographiquement parlant, humainement parlant, économiquement parlant et sanitairement parlant.
Deuxièmement, il n'y a pas de fonds dédiés à ce drame. A contrario, je prends l'exemple du glyphosate, dont le fonds cible des hommes. La chlordécone concerne quant à elle une géographie précise et une population précise. Il y a donc toutes les raisons de développer une approche globale, systématisante et transversale. Plutôt que d'attendre le dépôt de projets, l'ANR pourrait décliner un cahier des charges permettant, sur quatre ou cinq sujets clés que je vais citer, de prendre des initiatives de recherche.
Je prends un exemple précis : le sol. Il est pollué pour une durée de plusieurs centaines d'années – certains parlent de 700 ans. Par le sol, le drame de la chlordécone arrive dans le corps de l'humain, dans le poisson, dans la vache, le boeuf, dans les fruits et dans les légumes… Il y a unanimité en Martinique et en Guadeloupe pour développer l'innovation relative à la dégradation de la molécule de manière naturelle, de manière chimique ou de « manière bio », si on peut le dire ainsi. Est-ce qu'on ne pourrait pas organiser un appel à projets dédié, doté de moyens conséquents et comprenant un cahier des charges ciblé ?
J'en viens à la question de la prise en charge de l'individu en tant que tel, en matière de santé en matière de consommation. Ces sujets recouvrent un problème tel que celui du développement du cancer de la prostate. Est-ce qu'un suivi extrêmement précis, dans la continuité, ne serait pas préférable à la situation actuelle ?
Les appels à projets génériques de l'ANR mentionnent des priorités qui sont toutes reliées à des plans nationaux, par exemple sur les sciences humaines et sociales, l'intelligence artificielle ou l'antibiorésistance. C'est le ministère de la recherche qui indique, à chaque fois, quelles sont les priorités stratégiques – elles sont actuellement au nombre de six. Il peut s'agir d'un abondement financier sur certains projets qui sont déposés dans le cadre de l'appel à projets générique, ce qui permet d'augmenter dans certains cas le taux de sélection sur certains axes de recherche. Par exemple, un projet qui fait de la recherche sur l'intelligence artificielle alors qu'il est lié à un autre projet pourra bénéficier de cet abondement. Par contre, à l'heure actuelle il n'y a rien sur la chlordécone.
Serait-il intéressant, selon vous, de cibler cette solution-là, basée sur une priorité stratégique ?
Je ne sais pas si c'est la bonne solution. Par exemple, le problème des sargasses qui fait l'objet d'un appel spécifique est cofinancé par les régions de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, par l'ANR, par l'ADEME et par des agences de financement brésiliennes. On a là une thématique bien précise sur laquelle les porteurs de projets ont déposé des projets. Les comités de sélection ont eu lieu hier et demain.
Effectivement. Je voulais juste vous donner un exemple.
Le plan national de prévention et de lutte contre les sargasses, qui avait été élaboré dans un cadre interministériel, réunissait les ministères des outre-mer, de la transition écologique et solidaire, des solidarités et de la santé, etc. Des pistes de recherche sur les sargasses avaient été identifiées qui avaient conduit à bâtir un appel à projet spécifique sur cette thématique-là. Cet exemple est différent d'une priorité stratégique qui est davantage un abondement.
Il est clair que l'ADEME est impliquée dans la dépollution des eaux et des sols que vous évoquez, puisque des appels à projets annuels sur la gestion des sites pollués sont financés par cette agence dans le cadre du programme GESIPOL. L'ANR peut instruire le dossier, mais ce n'est pas à elle de décider puisque ce sont les ministères qui lui donnent les ordres. On pourrait très bien concevoir des appels cofinancés par d'autres agences, comme l'ADEME, sur des problèmes spécifiques comme la dépollution des eaux et des sols, sachant que l'ANR finance plutôt des aspects fondamentaux. Par exemple, les aspects mécanistiques et de mise en oeuvre pourraient être traités par un financement de l'ADEME.
Je veux revenir un instant sur l'appel à projets sur les sargasses qui comprend quatre thématiques, dont une relative à la collecte et la valorisation des algues. Cette thématique-là n'est financée que par certains financeurs – la région Martinique et l'ADEME. Cet exemple montre qu'il peut y avoir des complémentarités et des agences qui ne financent qu'une partie de ces appels à projets. Il peut s'agir aussi d'un appel Flash, comme on l'a vu pour l'appel à projets Ouragans.
Tels sont les instruments qui peuvent être mis en place par l'ANR, sur décision de notre ministère.
C'est donc le ministère qui doit déclencher l'opération.
Le chlordécone est tout de même un cas exceptionnel puisqu'il a entraîné une pollution des sols et de graves problèmes en matière de santé publique. Du reste, il serait intéressant de disposer du rapport sur le cancer de la prostate ou sur d'autres problèmes. Ces rapports sont-ils rendus publics ?
Il y a un résumé public. On peut éventuellement demander aux chercheurs si leurs rapports peuvent être rendus publics. Normalement, le rapport appartient à l'ANR et on ne le rend pas public, sauf en cas de demande particulière et si tous les partenaires sont d'accord. Sur ces aspects-là, qui sont très fondamentaux, les chercheurs vont au contraire faire des publications.
Je crois que oui, mais je vérifierai.
Comme un projet est en cours, je ne sais pas s'il a déjà fait l'objet d'une publication. Par exemple, un colloque a eu lieu sur les perturbateurs endocriniens avec l'ANSES, au mois de juillet dernier.
Vous nous confirmez donc qu'à ce jour vous n'êtes saisi par aucune autorité de tutelle d'un programme de recherche sur la décontamination des sols pollués au chlordécone.
Si l'État est défaillant, s'il ne fait pas la démarche, pouvez-vous être saisi par quelqu'un d'autre, ou faut-il systématiquement l'autorisation du ministère de tutelle concerné ?
Notre ministère de tutelle est le MESRI. On n'agira pas sans son autorisation. Par contre, il est possible de saisir directement le ministère de la recherche pour lui demander que l'ANR finance des projets sur ces aspects-là.
Certains aspects peuvent remonter via les comités de pilotage de la programmation où sont présents principalement des représentants du domaine de la recherche publique, ainsi que des représentants des différents ministères techniques, comme celui de la transition écologique et solidaire. S'agissant de la chlordécone, on envoie chaque année au MESRI un bilan des projets qui ont été financés sur la chlordécone, et qui sert à alimenter le bilan qui est fait sur le plan Chlordécone. On le fait également sur le plan national santé environnement de la même manière.
Parmi tous les projets dont vous avez été saisi sur le chlordécone, combien venaient directement du ministère ?
Les projets ont été soumis par des porteurs de projets.
Ma question est très précise : parmi ces projets, y en a-t-il un qui avait été demandé directement par le ministère de la recherche ou un autre ministère ?
Aucun, puisque cela ne répond pas du tout à la procédure de sélection. Les projets sont d'abord évalués scientifiquement. Les projets qui ont été financés sont donc issus du processus d'évaluation-sélection de l'ANR. On ne subit aucune pression, on laisse les scientifiques juger de la qualité des projets, et c'est la qualité des projets qui prime.
Des chercheurs soumettent des projets.
L'État peut-il demander directement qu'une recherche soit lancée sur un sujet ? L'État vous a-t-il déjà saisi pour vous demander de faire de la recherche sur une problématique particulière ?
Comme l'appel à projets générique est un processus bottom-up, ce sont les chercheurs qui soumettent des projets. Les axes de recherche couvrent en fait l'ensemble des disciplines scientifiques. Par contre, l'État peut nous dire que tel aspect est prioritaire – c'est ce que j'ai dit pour l'intelligence artificielle. À ce moment-là, il nous donne un abondement pour que davantage de projets soient financés sur cette thématique.
Jusqu'à présent, on n'a eu aucune revendication sur le chlordécone spécifiquement.
Effectivement. Si c'est une priorité stratégique, il faudra alors mobiliser la communauté des chercheurs pour qu'elle dépose des projets. L'autre processus est celui d'un appel à projets spécifique.
Supposons que Mme la rapporteure conclue que la chlordécone est une priorité stratégique, comment faut-il procéder ensuite ?
Il faut intervenir au niveau gouvernemental.
Des appels à projets ont déjà été également émis via différents ministères.
Tout à fait.
Si on parvient à convaincre ces quatre ministères d'intervenir auprès du Premier ministre pour demander que le chlordécone soit une priorité stratégique, le processus s'enclenche-t-il ?
La priorité stratégique sera affichée au niveau de l'appel à projets générique. Si le chlordécone est déclaré comme priorité stratégique, les chercheurs se mobiliseront peut-être davantage pour soumettre des projets. À chaque fois, cela vient en fait des chercheurs.
On est face à une douloureuse situation pour 800 000 personnes, notamment les agriculteurs et les pêcheurs, et l'économie est freinée. Comme vous l'avez dit en toute honnêteté, on est soumis à l'initiative des chercheurs. Autrement dit, si ceux-ci ne déposent pas de dossier ou déposent des dossiers suivant leurs centres d'intérêt, on aboutit exactement à ce qui se passe aujourd'hui, à savoir que le patchwork de ce qui est proposé peut être assez incohérent par rapport au temps de la souffrance, au temps de la recherche nécessaire et au temps de la remise en ordre d'une situation plus normale sur le plan écologique et sanitaire. C'est exactement ce que nous avons constaté un peu partout. C'est pourquoi nous vous demandons des conseils.
Vous considérez donc qu'il conviendrait que le chlordécone soit déclaré comme une priorité stratégique, de telle sorte qu'on puise déclencher un processus de recherche mieux financé et plus lisible dans une programmation pluriannuelle qui pourrait être en lien avec les volontés de développement de ces deux pays sans chlordécone.
C'est une possibilité.
Une priorité stratégique court souvent sur plusieurs années et doit se rattacher à un plan national. C'est le cas ici puisque le plan Chlordécone existe. Il y a donc un cadre approprié. Mais ce n'est pas l'ANR en tant qu'agence de financement qui va le faire.
Vous arrive-t-il de recommander à votre ministère de tutelle d'inscrire en priorité une thématique que vous considérez fondamentale ?
En général, cette initiative ne vient pas trop de nous, mais des alliances de recherche. Bien sûr, nous participons à la discussion lors des comités de pilotage de la programmation, mais nous ne devons pas nous afficher en tant que chercheur mais en tant que coopérateur. L'initiative peut aussi être prise par les pôles de compétitivité ou les différents ministères techniques, et elle peut être appuyée par les régions. Par exemple, la présidente du conseil départemental de la Guadeloupe avait recommandé de financer des projets de recherche sur les sargasses auprès du ministère de la recherche. Ce n'est pas l'ANR qui agit sur la programmation, elle n'est plus impliquée dans le processus de programmation.
Connaissez-vous un autre sujet que celui du chlordécone qui expose depuis de si nombreuses années autant de Français à une pollution ?
Je ne suis pas un spécialiste de la pollution, mais les aspects liés aux produits phytosanitaires, quels qu'ils soient, sont également prégnants.
On parle de la chlordécone pour laquelle 750 000 personnes subissent une pollution qui va durer 700 ans. Avez-vous connu un cas similaire ?
Personnellement, non.
Monsieur Monot, nous attendions vraiment votre audition.
Dans le cadre du plan Chlordécone IV, il est annoncé par les différents ministères un volet recherche de grande ampleur. En êtes-vous informé ? Vous nous dites que c'est votre ministre de tutelle qui doit vous donner les priorités. Au-delà, elle doit aussi actionner les différents appels à projets, soit Flash, soit génériques.
Serait-il opportun de lancer différents appels à projets Flash sur la dépollution et la décontamination ?
S'agissant de votre première question, comme je vous l'ai dit nous ne sommes pas directement impliqués dans la programmation.
La programmation est du ressort des ministères ou des chercheurs.
Vous n'êtes pas impliqué dans la programmation, mais vous avez bien dit que vous êtes toujours rattaché à un grand plan national.
Sur les priorités.
C'est pire que cela ! Cela veut dire qu'il y a un plan chlordécone qui affiche une priorité recherche mais que l'ANR n'est pas saisie.
On n'est pas saisi, mais on fournit chaque année au ministère le bilan des projets qui sont financés par l'ANR. Cela concerne le plan Chlordécone et le plan national santé environnement. Il existe des plans nationaux sur de nombreuses thématiques. Dans le domaine de l'environnement par exemple, les recherches portent sur le climat, les régions côtières, etc. Il existe des plans pour lesquels l'ANR n'a pas de priorités stratégiques énoncées. Nous sommes une agence de financements ; nous ne faisons pas de recherche nous-mêmes et nous ne sommes pas impliqués dans la programmation. Celle-ci est arrêtée par le MESRI, notre ministère de tutelle. Ensuite, nous sommes chargés de la mettre en oeuvre.
On pourrait imaginer que le Gouvernement décrète, comme il l'annonce, que le chlordécone est une priorité pour les années à venir, et qu'il demande à son agence de mettre en oeuvre un appel à projets spécifique et des moyens spécifiques.
Parler d'appel à projets Flash serait le signal le plus catastrophique que l'on pourrait donner en Martinique et en Guadeloupe. Si on fait cela, on est mort… Le mot « Flash » risque d'agacer tout le monde.
Actuellement, le chlordécone n'est pas considéré comme une priorité stratégique. Aussi va-t-il s'inscrire dans des processus liés aux aléas des initiatives de la recherche. Mme Benin évoquera certainement tout à l'heure les recherches en cours sur la remédiation des sols, dont le caractère sporadique et éclaté ne permet pas de visibilité et ne crée pas les conditions de sortie de crise dans un délai précis. Voilà pourquoi nous vous remercions pour cette information selon laquelle un ministre peut demander – celui de l'agriculture, de la santé, de la recherche, ou des outre-mer – d'en faire une grande priorité nationale. Je suppose que si deux ministres au moins que je connais bien expriment leur désir d'en faire une grande priorité nationale, cela permettra d'engager le processus pour que le ministère de la recherche l'inscrive en tant que plan stratégique. Cette procédure est davantage politique qu'autre chose, mais il faut bien prendre des initiatives politiques.
Les initiatives proviendront bien du Gouvernement. Elles passeront pour nous via le ministère de la recherche.
De toute façon, nous avons prévu d'auditionner Mme la ministre de la recherche.
Il y a aujourd'hui beaucoup de chercheurs sur le territoire de la Guadeloupe et de la Martinique qui oeuvrent sans financement de l'ANR, sans financement des institutions mais grâce au financement des différentes collectivités majeures. Cela montre combien ces chercheurs ont pris le problème de la pollution au chlordécone à bras-le-corps dans ces deux territoires. Alors qu'ils veulent faire un travail de fond sur la remédiation des sols, la dépollution et la décontamination, ils nous ont indiqué clairement qu'ils ne pouvaient pas le faire en situation réelle en Guadeloupe et en Martinique par manque de financement. C'est donc à nous qu'il revient de saisir les différents ministres pour leur demander d'en faire une priorité afin de déclencher des appels à projets génériques.
Effectivement, les appels à projets flash ne sont sans doute pas l'instrument idéal, au moins d'un point de vue psychologique. En revanche, si le plan Chlordécone IV prévoit des actions de recherche bien identifiées et si leur réalisation nécessite, via le ministère, l'affichage d'une priorité stratégique sur l'appel à projets générique de l'ANR, il est évident que nous nous tiendrons à l'écoute des communautés, des chercheurs et des instances politiques.
J'avais jusqu'à présent l'impression que les chercheurs n'étaient pas très concernés par la question du chlordécone mais, en vous entendant, je comprends qu'en fait cette question n'était pas présentée comme une priorité – peut-être votre conseil scientifique n'en parlait-il même pas. Cela me conduit à avoir la conviction que, s'il y a des fonds pour faire de la recherche scientifique sur la pollution au chlordécone, nous aurons des chercheurs.
À titre personnel, je dirai que lorsque se pose une problématique telle que celle de la pollution à la chlordécone, nécessitant d'aborder des fronts de science – par exemple, quels sont les effets de la molécule sur la santé, et comment elle se dégrade –, on trouve forcément des chercheurs pour s'y atteler, à condition qu'il y ait des financements pour cela, évidemment.
Pour ce qui est de notre processus de sélection, il est basé sur la qualité scientifique des projets. Quand on regarde bien, il n'y a eu que quarante-huit projets déposés en quatorze ans, ce qui est finalement assez peu, et je rappelle que nous avons financé treize de ces projets – en comptant ceux portant sur le paraquat. Cela montre que la communauté scientifique ne s'est pas encore vraiment saisie de ce sujet, à l'exception de certaines équipes, notamment celles ayant pu trouver un financement auprès d'autres instances que la nôtre – je pense par exemple à des études épidémiologiques réalisées sur des cohortes – ou de certains organismes de recherche tels que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Pour ce qui est du rôle de perturbateur endocrinien que peuvent avoir le chlordécone et le paraquat, nous travaillons en concertation avec l'ANSES, ce qui permet une certaine complémentarité. Comme vous le voyez, des recherches sont d'ores et déjà menées, mais on peut penser que des financements spécifiques permettraient à l'ANR de faire en sorte qu'elles soient mieux coordonnées qu'aujourd'hui.
Il y aurait des recherches à mener dans une multitude de domaines, qu'il s'agisse de la dégradation de la molécule, voire de sa disparition progressive, de son impact sur la santé, de l'étendue de la contamination des sols, mais aussi de l'eau et des poissons – donc des conséquences sur la pêche –, des modes de pénétration et de transfert, ainsi que des types de cultures à privilégier… Comment expliquer que, cinquante ans après le déclenchement de ce drame – tout a commencé au début des années 1970 –, une question aussi grave ne soit toujours pas reconnue comme une priorité stratégique ?
J'insiste sur le fait que nous faisons face à un problème d'une complexité diabolique. La molécule de chlordécone a la forme d'une cage entourée d'une dizaine d'atomes de chlore, ce qui la rend particulièrement difficile à dégrader. En Martinique, nous n'avons actuellement le choix qu'entre trois solutions : soit décaper 12 000 hectares de terres en profondeur, soit répandre des produits chimiques afin de tenter de dégrader la chlordécone, ce qui comporte le risque de polluer encore davantage, soit vivre avec… Il faut absolument que la science nous offre d'autres perspectives ! Comment expliquez-vous qu'en 2019, la recherche sur le chlordécone ne soit toujours pas considérée comme une priorité stratégique ? Vous dites vous-même que la communauté scientifique ne s'est pas emparée du sujet, ce qui fait que le sort des îles concernées dépend des initiatives que peuvent prendre les chercheurs, avec tout le côté aléatoire que cela comporte. Nous avons d'ailleurs l'intention d'interroger les ministres sur ce point, afin d'obtenir des réponses à une question essentielle pour les communautés guadeloupéenne et martiniquaise.
Si l'Assemblée décidait que l'étude de la pollution, de ses conséquences et de ses modes de traitement devait constituer une priorité, comment cette priorité pourrait-elle être mise en oeuvre par l'ANR ? Cela ne se traduirait-il que par le lancement d'un appel à projets ?
Il peut s'agir d'une priorité affichée au niveau de l'appel à projets générique, qui viendrait s'ajouter aux priorités portant déjà sur les six thématiques que sont l'autisme, les maladies rares, l'antibiorésistance, les recherches en sciences humaines et sociales (SHS), les technologies quantiques et l'intelligence artificielle. L'intérêt de considérer que tous les aspects relatifs aux impacts environnementaux, sanitaires et économiques de la chlordécone font l'objet d'une priorité stratégique serait de pouvoir mener des projets portant aussi bien sur les impacts économiques que sur l'agriculture, la dépollution ou les aspects sanitaires…
Pour 2019, le budget voté en loi de finances s'élève à 738,6 millions d'euros. Le budget qui a été voté en conseil d'administration pour 2018 s'élevait, une fois les mises en réserve obligatoires effectuées, à 672 millions d'euros. Une partie de ce budget est utilisée en dehors des appels à projet. Ainsi, 30 millions d'euros sont allés au financement de l'Institut national du cancer (INCa), 50 millions d'euros ont été versés au titre de préciput des aides versées aux établissements hébergeant des projets ANR pour la couverture de leurs frais généraux, et 62 millions d'euros sont venus financer les laboratoires Carnot. Tout le reste est soumis à des appels à projets, éventuellement dans le cadre de cofinancements – nous en avons par exemple avec l'agence de l'innovation de défense (AID), ainsi qu'avec l'agence française pour la biodiversité (AFB). Au total, le budget de l'ANR consacré aux appels à projets en 2018 s'est donc élevé à 518 millions d'euros.
J'ai obtenu hier, lors du conseil d'administration de l'AFB, que son président Philippe Martin demande par courrier au ministère de la recherche d'accorder une priorité à question du chlordécone.
Pouvez-vous nous indiquer quel montant global représentent les treize projets que vous avez accompagnés ?
Le montant du financement de l'ANR pour ces treize projets est de 5,7 millions d'euros – 4,6 millions d'euros pour la chlordécone et 1,1 million d'euros pour le paraquat. Il s'y ajoute des fonds propres, notamment pour ce qui est des coûts de fonctionnement des établissements publics.
Vous avez dit que, si le ministre décidait d'accorder la priorité à la recherche sur le chlordécone, il faudrait abonder un nouveau fonds afin de sanctuariser les crédits destinés à financer cette recherche. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
L'une des solutions consiste à prélever ces fonds sur le budget de l'ANR…
Dans certains cas, un autre ministère ou une autre agence peuvent être mis à contribution : c'est le cas, par exemple, de l'AFB, qui contribue au financement du plan Écophyto.
Monsieur Monot, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Votre audition a donné lieu à une discussion très intéressante et très enrichissante et j'espère qu'avec le Gouvernement, nous allons enfin changer de méthode pour aborder cette question extrêmement préoccupante.
La réunion s'achève à douze heures cinq.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 11 heures
Présents. – Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Charlotte Lecocq, M. Serge Letchimy, M. François Pupponi, Mme Nicole Sanquer
Excusé. – Mme Véronique Louwagie