Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du jeudi 30 juillet 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Jeudi 30 juillet 2020

La séance commence à quatorze heures.

Présidence de M. Patrick Hetzel, président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre, accompagné de Mme Catherine Bismuth, directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la répression des fraudes à la Caisse nationale d'assurance maladie, de M. Pierre Peix, directeur délégué aux opérations à la Caisse nationale d'assurance maladie, et de M. Julien Autret, conseiller parlementaire au cabinet du Premier ministre.

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Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir une seconde fois M. Nicolas Revel, dans ses nouvelles fonctions de directeur de cabinet du Premier ministre. Il est accompagné aujourd'hui, comme lors de sa précédente audition, de deux responsables de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), Mme Catherine Bismuth, directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la répression des fraudes et M. Pierre Peix, directeur délégué aux opérations, ainsi que de M. Julien Autret, conseiller parlementaire au cabinet du Premier ministre.

Monsieur le directeur de cabinet, nous vous avons entendu une première fois le 16 juin dernier en tant que directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie. Au cours de cette audition, il est apparu que la CNAM dispose, par rapport aux autres caisses de sécurité sociale, d'un nombre relativement faible de données sur la fraude à l'assurance maladie, et qu'elle a du mal à mettre en place des dispositifs anti-fraude efficaces, en raison notamment du nombre très élevé d'actes médicaux référencés.

Depuis, nous avons auditionné le directeur général de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Vincent Mazauric, ainsi que les ordres professionnels de santé et le nouveau directeur de la sécurité sociale, M. Von Lennep. Nous avons également procédé à deux déplacements, l'un à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), et l'autre au service administratif national d'identification des assurés (SANDIA), à Tours. Plusieurs éléments nouveaux ont été portés à notre connaissance ; nous souhaitons nous en entretenir avec vous.

Par ailleurs, votre nouveau poste de directeur de cabinet du Premier ministre vous donne une vision globale de la lutte contre la fraude ; nous voudrions recueillir votre appréciation sur le pilotage de cette lutte au niveau interministériel – son organisation a très récemment connu des évolutions, y compris de nature réglementaire – et connaître les intentions de la nouvelle équipe gouvernementale en la matière.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite, madame, messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Nicolas Revel, Mme Catherine Bismuth, M. Pierre Peix et M. Julien Autret prêtent successivement serment.)

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Vous avez souhaité échanger à nouveau avec moi dans le cadre de cette commission d'enquête, d'abord en ma qualité d'ancien directeur général de la CNAM. Je ne le suis plus et un nouveau directeur général, M. Thomas Fatome, a été nommé hier en conseil des ministres ; en attendant sa prise de fonctions, M. Pierre Peix assure l'intérim.

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Nous savions que M. Fatome serait nommé, mais nous ne l'avons pas encore auditionné car sa nomination n'est intervenue officiellement qu'hier en conseil des ministres ; nous attendions qu'elle soit entérinée juridiquement.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Je n'en répondrai pas moins aux demandes de précision faisant suite à la première audition du mois de juin dernier. Vous souhaitez également m'entendre en tant que directeur de cabinet du Premier ministre, pour échanger à propos de la politique gouvernementale en matière de politique de lutte contre la fraude sociale. J'essaierai de répondre à vos questions, mais je ne suis en poste que depuis quelques semaines, et vous connaissez déjà le cadre élaboré préalablement au changement de Premier ministre. Dans le cadre de mes fonctions, je n'ai en outre pas vocation à me substituer aux autorités ministérielles, et encore moins à m'exprimer au nom de chaque ministère ayant à connaître, dans son champ de compétence, de la question de la lutte contre la fraude, à quelque titre que ce soit. Je centrerai ainsi mon propos sur le sujet de la coordination interministérielle.

Je souhaite exposer la portée, la finalité et le début de mise en œuvre de toutes les dispositions qui, ces dernières années, ont fait évoluer la lutte contre la fraude pour la renforcer : les différents projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), mais surtout la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude et, plus récemment, le décret du 15 juillet 2020, venu rénover le dispositif de coordination interministérielle anti-fraude en transformant la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), avec laquelle nous entretenions des relations de travail très suivies, en une mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) plus resserrée et qui se veut plus opérationnelle. Son objectif est toujours de coordonner l'action des différents ministères pour combattre la fraude aux finances publiques – fraude fiscale, fraude douanière, fraude aux prestations et aux cotisations sociales.

Afin d'être plus opérationnels, nous voulons construire, selon une logique de task force comparable à ce que nous avons fait – avec des résultats satisfaisants – pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), des thématiques de coordination concrète entre les services, sur des objets précis correspondant à des enjeux bien identifiés de lutte contre la fraude. Dix groupes opérationnels nationaux anti-fraude ont été créés ; chacun est piloté par une direction chef de file, en partenariat étroit avec la MICAF qui assure une forme de supervision et de coordination générale. Deux des thématiques retenues concernent la question de la fraude sociale : un groupe opérationnel, consacré à la fraude à la résidence et piloté par la direction de la sécurité sociale (DSS), réunit l'ensemble des organismes de protection sociale mais aussi les services d'enquête judiciaire concernés ; un autre dédié au travail illégal et à la fraude fiscale connexe est piloté par la direction générale du travail (DGT). Ce dispositif se veut plus concret et plus pragmatique. Plutôt qu'une structure qui coordonnerait les actions de loin, on a instauré un cadre de travail opérationnel permettant de rassembler autour d'une même table l'ensemble des acteurs concernés par une certaine thématique. Mis en place au niveau national, il a vocation à se décliner au niveau territorial dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui doivent être renforcés ; ce sera également le rôle de la MICAF que d'y contribuer.

Ces évolutions sont très récentes, puisque le décret n'a que deux semaines, mais elles s'appuient sur un diagnostic posé sur les forces et les limites du dispositif antérieur. Nous n'en sommes qu'au lancement de cette nouvelle mission de coordination interministérielle ; il n'est pas encore temps d'en faire le bilan, mais elle s'emploie à traiter les bons sujets, de manière directement opérationnelle, en mettant au premier plan l'ensemble des acteurs administratifs, sociaux, judiciaires concernés par chacune des thématiques. Ce dispositif n'a pas été inventé par le nouveau Gouvernement, qui n'a pris ses fonctions que très peu de temps avant la parution du décret ; il a été construit avant mon arrivée, mais je porte sur lui un regard tout à fait positif, dans la mesure où il me paraît résulter d'une analyse pragmatique qui conduit à responsabiliser les acteurs.

Je souhaitais intervenir sur des sujets que nous n'avions pas abordés lors de ma précédente audition ; je me suis déjà longuement exprimé sur l'assurance maladie au mois de juin.

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Nous avons besoin de précisions à propos d'informations nouvelles qui nous sont parvenues. Lundi 27 juillet, le directeur de la sécurité sociale nous a indiqué que le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) comportait 73,7 millions de numéros d'inscription au répertoire (NIR), alors qu'il devrait théoriquement y en avoir 71,3 millions, et qu'il ne pouvait expliquer cet écart de 2,4 millions – des travaux sont en cours à ce sujet. Quelle appréciation portez-vous sur cette situation, et pourquoi ne peut-on pas disposer de chiffres totalement fiables à ce sujet ?

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Les chiffres dont j'ai connaissance sont un peu différents. Les vôtres viennent du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM).

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Il est en soi révélateur que nous ne parvenions pas à nous mettre d'accord sur les chiffres ; c'est bien ce qui nous inquiète. Malgré l'existence d'organismes disposant de services statistiques, en particulier l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) mais aussi la direction de la sécurité sociale, pourquoi a-t-on autant de mal à avoir des chiffres fiables ?

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Il y a différents fichiers, donc différentes sources – notamment le recensement fait par l'INSEE du nombre de résidents de plus de seize ans, le RNCPS, et le nombre de cartes Vitale enregistrées –, qui comptabilisent des réalités différentes ; il est logique qu'ils aboutissent à des chiffres différents.

En juin dernier, nous avions longuement expliqué comment, au cours des dernières années, le nombre de cartes Vitale actives au titre du régime général géré par la CNAM – qui ne gère pas la totalité des régimes de base obligatoires – était devenu inférieur au nombre d'affiliés. En revanche, nous avions constaté l'existence de cartes Vitale actives surnuméraires au sein d'autres régimes qui doivent encore travailler pour en réduire le nombre ; même si ce n'est normalement pas du ressort de la CNAM, nous avions identifié les régimes concernés et partagé avec vous des chiffres à ce sujet. Cette réalité n'a pas changé. Nous avions aussi indiqué qu'une carte Vitale qui reste enregistrée n'est pas nécessairement liée à la consommation de soins : son existence même ne traduit pas en soi une dépense frauduleuse. Un certain nombre d'investigations l'ont prouvé s'agissant du régime général, mais c'est également vrai pour les autres régimes.

Même après avoir exclu du calcul un certain nombre de situations contribuant à expliquer ce phénomène – les pensionnés ou rentiers vivant à l'étranger, qui par définition échappent au recensement au moment où il est réalisé, les assurés affiliés auprès de la caisse des Français de l'étranger (CFE), les frontaliers étrangers, les travailleurs détachés restant salariés en France, ou encore les porteurs de carte de moins de seize ans, qui sont plus de 360 000, et sont de plus en plus nombreux –, il restait en février 2020 environ 2,5 millions de cartes Vitale surnuméraires par rapport au nombre de personnes de plus de seize ans résidant en France.

À la faveur du travail de nettoyage effectué dans les autres régimes concernés – qui prend un peu plus de temps que pour le régime général –, ce nombre s'est réduit en juillet 2020 à 535 922, comme vous l'a dit Franck Von Lennep. L'écart se résorbe, mais je voudrais insister sur le fait qu'une carte Vitale peut être surnuméraire tout simplement parce qu'elle n'a pas été immédiatement supprimée après un décès ou un départ à l'étranger ; elle ne signifie pas forcément que nous faisons face à un assuré consommant de manière indue, dans un cadre frauduleux.

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Les chiffres que vous rappelez sont identiques à ceux que le directeur de la sécurité sociale a évoqués lundi. Cependant, quand nous comparons le nombre de cartes Vitale par tranche d'âge et les données de recensement de population de l'INSEE, après traitement et sans tenir compte de la catégorie des 12-16 ans, le surplus de cartes est non pas de 152 000 mais d'un peu plus de 1,4 million. Nous attendons donc de connaître les modes de calcul qui permettent d'obtenir ce résultat, car même en tenant compte des catégories que vous avez mentionnées, nous n'aboutissons pas au même chiffre.

Peu importe d'ailleurs de savoir qui est plus proche de la vérité, car la vraie question reste de comprendre pourquoi il est si difficile d'obtenir des données claires par tranche d'âge auprès des organismes de sécurité sociale, en particulier la CNAM.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Nous allons vous transmettre les chiffres les plus précis possibles, en mode consolidé, à partir des données de la direction de la sécurité sociale (DSS), même si je suppose que Franck Von Lennep vous les a déjà donnés. Un tableau permet de partir des résultats du recensement, que ce soit pour février ou pour juillet 2020.

En février 2020, la France comptait 54 millions de résidents de 16 ans et plus. Les personnes titulaires d'une carte Vitale à bon droit bien que non recensées sont les pensionnés et rentiers vivant à l'étranger – 1 160 000 –, les assurés auprès de la caisse des Français de l'étranger (CFE) – 200 000 –, les frontaliers étrangers travaillant en France – 10 000 –, les détachés restant salariés en France – 210 000 –, les porteurs de cartes de moins de 16 ans – 150 000. Cette dernière catégorie représente désormais 365 000 personnes.

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Ne faisiez-vous pas état du nombre de personnes de 16 ans et plus recensées ?

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

J'essaie simplement d'expliquer comment il peut y avoir un nombre de cartes Vitale en circulation supérieur au chiffre du recensement. Au demeurant, comme vous le savez, il est possible de demander une carte Vitale pour un enfant de moins de 16 ans. Cette disposition récente est de plus en plus utilisée, par les familles recomposées notamment.

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Ils seraient un peu plus de 300 000, dites-vous.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

J'ai mentionné le chiffre actuel de 365 000, mais je vous faisais auparavant lecture des chiffres de février 2020. D'autres situations ont été agrégées qui concernent 20 000 individus. Je vous donne ces détails pour vous faire comprendre que ce sont bien près de 55 750 000 personnes qui peuvent légitimement détenir une carte Vitale dans notre pays. En février 2020, 58 300 000 cartes Vitale étaient en circulation, ce qui laisse un différentiel de 2 550 000.

Six mois plus tard, pour chaque catégorie, les chiffres sont sensiblement les mêmes. Le nombre de résidents est estimé à 54 291 000 ; les porteurs de carte de moins de 16 ans sont désormais 365 000, et les travailleurs détachés sont un peu plus nombreux. Le nombre de personnes pouvant détenir une carte Vitale passe de 55 750 000 à 56 264 078, et le nombre de cartes en circulation de 58 300 000 à 56 800 000. Par conséquent, le différentiel s'en trouve lui-même réduit : il passe de 2 550 000 à 535 000 – il n'en reste pas moins positif.

Il faut rappeler que pendant un certain nombre d'années, une nouvelle carte Vitale était envoyée aux assurés à chaque changement de régime. Ces conditions de déploiement qui valaient au début des années deux mille ont fort heureusement évolué, et nous avons tenté, au sein du régime général, de résorber le stock surnuméraire ainsi créé. Les autres régimes ont eux aussi progressivement réagi, quoiqu'un peu plus tardivement. Un travail de nettoyage reste à effectuer pour trois régimes particuliers que j'avais mentionnés lors de ma précédente audition, mais compte tenu de leurs spécialités professionnelles, le risque fraudogène est négligeable.

J'y insiste à nouveau : le fait de détenir deux cartes Vitale dont l'une n'a pas été désactivée ne signifie pas nécessairement que celle-ci sera indûment utilisée.

La seule condition pour obtenir un remboursement des frais de santé par l'assurance maladie est de justifier d'une résidence stable et régulière en France – le principe est issu de la loi établissant la protection universelle maladie, dite « Puma ». L'assurance maladie a engagé depuis trois ans de nouveaux contrôles : une campagne annuelle vise à identifier les assurés dont nous doutons de la qualité de résident stable grâce au croisement de nos fichiers avec ceux du ministère des finances. Si la suspicion se confirme, un courrier est envoyé pour vérifier la présence de la personne, qui est radiée en cas de non-réponse. À l'issue de la dernière campagne, nous avons ainsi procédé à plus de 100 000 radiations.

Très clairement, nous revenons à une situation normale. La fraude à l'assurance maladie est essentiellement liée à d'autres types de comportement. Ce qui pèse vraiment statistiquement, ce n'est pas la fraude à la résidence.

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Lundi dernier, le directeur de la sécurité sociale a été auditionné par notre commission d'enquête. Il estime que, au minimum, 2,4 millions de personnes perçoivent des prestations indûment, sans qualifier ces cas de fraude. Pourquoi a-t-il fallu attendre que notre commission d'enquête demande la comparaison du nombre de personnes touchant des prestations et du nombre de personnes recensées pour se rendre compte d'un tel écart ? Le pilotage n'est pourtant pas un fait récent.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

J'ai mentionné deux catégories : les personnes résidant en France et celles répondant aux critères d'affiliation. Que ce dernier chiffre soit inférieur au nombre de cartes Vitale actives n'est pas une découverte. Nous savons depuis plusieurs années qu'il y a un stock de cartes surnuméraires à résorber. Ce travail a été fait par le régime général, et lorsque je me suis présenté devant vous le mois dernier le nombre de cartes en circulation avait depuis longtemps été ramené en deçà du nombre d'affiliés.

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J'ai sous les yeux le compte rendu de votre audition du 16 juin : vous avez mentionné le chiffre de 59 millions d'assurés de plus de 16 ans pour 58,4 millions de cartes Vitale. Comment expliquez-vous l'écart avec le chiffre de l'INSEE de 54,2 millions de personnes de 16 ans et plus recensées ?

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Il faut bien distinguer la population générale et les affiliés au régime général : l'INSEE recense les résidents sans connaître leur régime d'affiliation. Le nombre de résidents de 16 ans et plus est celui que je vous ai indiqué. J'insiste à nouveau sur le fait que des personnes non résidentes à la date du recensement sont assurées à bon droit, parce que la législation l'autorise. Bien qu'un pensionné ou rentier vivant à l'étranger ne soit plus recensé comme résidant en France, la législation prévoit qu'il puisse continuer d'être pris en charge par l'assurance maladie si lors de sa venue sur le territoire il est amené à avoir des dépenses de santé. Je vous ai détaillé les différentes catégories correspondant à cette situation.

En outre, par définition, il y a toujours un delta frictionnel de quelques milliers de personnes correspondant aux cas de résidents affiliés mais non recensés : il peut s'agir des étudiants étrangers qui quitteraient la France à l'issue d'un séjour d'étude sans avoir été enregistrés, ou des Français qui s'expatrient et conservent une affiliation quelque temps parce qu'ils ne sont pas radiés immédiatement.

Les trois notions évoquées – nombre de résidents, nombre d'affiliés, nombre de cartes Vitale actives –, bien que non équivalentes parce qu'elles ne correspondent pas aux mêmes catégories juridiques, convergent en réalité.

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Lorsque nous avons visité le SANDIA, nous avons appris que le NIR d'une personne décédée n'était pas immédiatement supprimé et pouvait donc subsister quelque temps dans le registre national des prestations sociales. Néanmoins, après réception de la déclaration de décès, le RNCPS doit normalement afficher le chiffre zéro pour chaque prestation si on entre le numéro de l'affilié défunt. Nous avons donc bien conscience de l'existence d'un différentiel frictionnel.

Et nous n'affirmons pas qu'un stock surnuméraire de cartes Vitale est un élément fraudogène en soi. Ce support n'est toutefois pas de haute sécurité, et nous avons pu le vérifier auprès de la DCPAF : il peut être falsifié ou utilisé par usurpation d'identité pour la délivrance indue de médicaments ensuite revendus à l'étranger dans le cadre d'un trafic. À ces procédés peut s'adjoindre l'utilisation d'ordonnances falsifiées ou de complaisance. Ce type de fraudes concernerait environ 200 000 personnes ; ce n'est donc pas un phénomène de masse. Pour autant, il est le plus souvent le fait de réseaux de contrebande et les bénéfices ainsi extorqués sont susceptibles de financer d'autres activités criminelles.

Ces éléments ayant été rappelés, il va de soi que moins il y a de cartes Vitale surnuméraires, moins le risque de fraude est important, et nous nous réjouissons du travail engagé en ce sens et des résultats déjà obtenus. Le Gouvernement entend-il lutter en priorité contre ce type de fraudes multiples, qui ont un fort impact sur les finances publiques et peuvent parfois même menacer la sécurité nationale ? C'est en tout cas ce que nous préconisons.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Je ne vous répondrai pas en tant que directeur de cabinet du Premier ministre parce que je considère que le directeur de cabinet du Premier ministre ne s'exprime pas au nom du Premier ministre et ne détermine pas à lui seul la politique du Gouvernement. J'accompagne le Premier ministre dans l'exercice de ses fonctions et c'est à lui et aux ministres compétents qu'il reviendrait de répondre de manière officielle à la question que vous avez posée.

Je vais donc essayer de vous répondre comme ancien directeur de la CNAM. Toute forme de fraude appelle évidemment une réponse. Je pense, et c'est une des singularités de cette branche, qu'il y a une fraude ou des comportements fautifs, tout n'étant pas de la fraude et de l'escroquerie pénale. En réalité, on est face à une palette de phénomènes qui couvrent un très grand nombre de situations, de réglementations, d'éléments de nomenclature tarifaire différents.

Le trafic et l'escroquerie en bande organisée sont pour les pouvoirs publics un enjeu majeur. Ces dossiers sont d'autant plus redoutables pour nous que la fraude est très souvent disséminée sur le territoire national. Sommes-nous face à un facteur aggravant qui fait appel à la falsification de cartes Vitale ? Je ne crois pas que ce soit le mode opératoire le plus souvent utilisé. Il y a incontestablement de la falsification de prescriptions et du nomadisme qui font qu'à un moment donné il y a de la surdélivrance. Il y a aussi de la surprescription de la part de professionnels qui se livrent à ce genre de pratique pour diverses raisons. Ils ne sont pas forcément complices, mais ils peuvent être embarqués dans ce processus-là. Oui il y a effectivement du trafic de médicaments.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir connu des cas de falsification de la carte Vitale. Il peut y avoir falsification de supports parce qu'on peut imiter la carte, mais jamais la puce. On n'a jamais été victime d'une fraude qui aurait fait appel à un flux électronique parce que jusqu'à présent la puce n'a jamais été trafiquée, comme on peut parfois fabriquer de la fausse monnaie. Je ne suis pas sûr que ce soit là que se situe la zone de risque.

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Sauf en cas d'usurpation et de vol de carte Vitale.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Absolument. Des affaires d'usurpation ou de vol de carte Vitale existent certainement.

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Catherine Bismuth, directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la CNAM

On trouve essentiellement de l'usurpation d'identité et des faux papiers d'identité.

En 2018, nous avons repéré des fraudes pour 0,9 million d'euros et en 2019 pour 1,2 million d'euros. Nous renforçons nos actions de détection et d'investigation dans ce domaine.

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La DCPAF et les services policiers et judiciaires chargés de ce type de répression nous ont indiqué qu'il y avait une professionnalisation avérée en matière d'usurpation d'identité et d'utilisation de documents falsifiés ou authentiques mais utilisés de manière frauduleuse, et qu'elle devenait de plus en plus difficile à détecter. Je suis sûr que vos services, comme ceux d'autres organismes de prestations sociales, adaptent et devront toujours adapter leurs modes de contrôle, de détection et de lutte contre cette fraude.

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Catherine Bismuth, directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la CNAM

Nos échanges avec les autres organismes de protection sociale nous permettent de recevoir des signalements et ainsi de les traiter. Ce sont à la fois nos propres moyens de repérage dans nos bases et tous nos échanges d'informations avec nos partenaires qui sont à l'origine de notre progression dans la détection et l'investigation.

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Je souhaite vous interroger sur un sujet d'actualité que l'on n'a pas évoqué lors de votre première audition puisque la situation n'était pas encore connue : la fraude ou la suspicion de fraude issue du dispositif de chômage partiel qui a été utilisé depuis le début de la crise sanitaire. Il y a deux ou trois jours, la ministre du travail Mme Borne a indiqué que 25 000 contrôles avaient d'ores et déjà été opérés et qu'il y avait environ 1 400 suspicions pour un peu plus de 700 entreprises concernées. Ce chiffre reste à affiner car des contrôles se poursuivent.

Comment le Gouvernement et les pouvoirs publics entendent-ils limiter ce risque pour le dispositif de chômage partiel longue durée prévu par la loi ?

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Je vais, bien évidemment, m'inscrire dans les termes de la réponse qui vous a été apportée par la ministre du travail Mme Élisabeth Borne.

J'ai bien compris que votre question ne visait nullement à remettre en cause l'importance et la nécessité de ce dispositif qui s'est avéré très protecteur pour limiter les dégâts de la crise liée à l'épidémie de covid-19. Mais, lorsqu'on est face à un dispositif qui se déploie à une telle échelle, puisque des millions de salariés ont été concernés, il y a par définition des risques. Je rends hommage au travail des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et de l'agence de services et de paiement (ASP) qui, après avoir géré ce dispositif qui les a mis sous une pression extrême puisqu'il a porté sur des sommes très importantes et qu'il a fallu ouvrir tout à coup les droits à l'activité partielle, ont depuis engagé des contrôles a priori et a posteriori là aussi en grand nombre. À ce stade – ce sont les chiffres que Mme Borne a partagés dans sa communication – les services de l'État ont réalisé 135 000 contrôles a priori et 25 000 contrôles a posteriori, conduisant à 1 400 suspicions, dont 700 suspicions de fraude et 700 suspicions d'escroquerie. L'objectif est de parvenir à 50 000 contrôles a posteriori d'ici à la fin de l'été. La réponse, c'est le contrôle et pas le démantèlement du dispositif compte tenu de son immense nécessité, et c'est aussi d'y consacrer les ressources, ce qui mobilise beaucoup des services qui l'ont déjà été. Les entreprises doivent savoir que des contrôles auront lieu et qu'ils se poursuivront dans la durée. Il va de soi qu'en cas de fraude ou d'escroquerie avérée il y aura des sanctions.

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La Belgique a très souvent été citée en exemple, lors de nos auditions, pour l'importance et l'efficacité des moyens consacrés à la lutte contre la fraude étaient très importants et très efficaces, notamment la biométrie et les échanges de données entre les différents services via la banque Carrefour de la sécurité sociale. Pourquoi ne fait-on pas la même chose en France ? Pourquoi ne nous rapprochons-nous pas d'autres pays qui apparemment obtiennent des résultats ? Il existe en France des entreprises qui ont des systèmes permettant de diminuer le nombre de fraudes, comme on l'a vu cette semaine s'agissant des papiers d'identité. Quel est votre avis sur la biométrie, les banques de données, les échanges entre services ? On a le sentiment que chacun travaille dans son coin. C'est peut-être pour cela que nous sommes amenés à vous redemander souvent des chiffres et des éléments précis. En tant que parlementaires, nous avons du mal à comprendre qu'on ne puisse pas obtenir de chiffres précis. Compte tenu de l'état des finances publiques de l'État, il est nécessaire de tout faire pour résorber ces anomalies.

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Nicolas Revel, directeur de cabinet du Premier ministre

Au risque de me répéter, je vous dirai qu'il y a beaucoup de chiffres et que la question est de savoir sur quel périmètre et quelle période ils portent. C'est là que, très souvent, on se retrouve avec une pluralité de chiffres différents mais qui correspondent à des mesures différentes. Je comprends que cela puisse être un peu perturbant, voire contrariant. Cela ne signifie pas nécessairement que les choses ne sont pas normales, mais juste que la réalité est un peu complexe.

Je vais essayer de répondre précisément au sujet des technologies susceptibles de fiabiliser davantage nos processus. Plusieurs pistes permettent de l'envisager. Pour votre part, vous parlez d'une carte Vitale biométrique. Nous y avons réfléchi, d'autant qu'une proposition de loi sénatoriale porte sur ce sujet. J'avais d'ailleurs été auditionné par la rapporteure et amené à partager avec elle une première interrogation, celle du coût et de l'intérêt de cette évolution technologique.

Le coût serait réel, puisque, au-delà du coût de fabrication d'une carte Vitale biométrique, il s'agit ensuite de gérer la transition du parc. Le montant n'est pas le même suivant qu'elle est réalisée sur dix ou quinze ans ou en quelques années seulement.

Pour notre part, nous avons un autre projet : la carte Vitale dématérialisée avec une authentification forte, car c'est cela qui est important. La Caisse nationale d'assurance maladie et le GIE SESAM-Vitale ont lancé une expérimentation à Lyon et à Nice. Le dispositif suppose un enrôlement de l'assuré, afin de vérifier que c'est bien lui. L'autre avantage, c'est que les droits de l'assuré sont actualisés en temps réel, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisqu'ils sont mis à jour lorsque l'assurée décide de le faire dans un lecteur de carte Vitale, en officine de pharmacie notamment.

Ce dispositif de carte Vitale dématérialisée fait que le terminal, qui est un smartphone, va chercher les droits en ligne en temps réel, ce qui permet une prise en charge strictement ajustée à la situation à date instantanée : on sait si l'assuré a encore des droits ouverts, s'il est ou s'il n'est plus en affection de longue durée, s'il a une complémentaire santé solidaire ou non, etc. On a là un dispositif qui synchronise les données de manière extrêmement fiable.

L'autre élément, ce sont les croisements de données. L'assurance maladie est très régulièrement approchée par des organismes, des entreprises, des équipes de recherche qui disent vouloir faire parler les données, faire du big data, pour trouver la fraude. Mais c'est un peu plus compliqué que cela. Et Dieu sait que l'assurance maladie est curieuse et ouverte, parce que si les algorithmes pouvaient nous mâcher le travail, ce serait formidable, la vie serait beaucoup plus simple. Je ne dis pas que c'est impossible et nous avons déjà travaillé, lorsque les volumes étaient suffisamment importants, à essayer d'identifier des profils pour lesquels il y a un risque de comportement fautif ou frauduleux plus important. Mais il est très difficile de le porter à l'échelle car, comme je l'avais déjà indiqué au mois de juin dernier, les dépenses d'assurance maladie se répartissent entre des centaines et des milliers de dispositifs différents, de professions différentes, d'actes médicaux différents, de régimes de prestation en espèces différents. Chacun porte un nombre d'actes de prestations de remboursement qui n'est pas nul. Il faut inventer l'algorithme spécifique sur telle dépense de soins infirmiers, telle dépense de médicament. On ne peut pas faire masse de tout cela.

C'est donc un élément sur lequel l'assurance maladie travaille. Elle a aussi dans ses moyens d'investigation bien d'autres leviers, plus humains, de remontée de signaux faibles et de signalement de situations particulières qui permettent ensuite de tirer des fils, et souvent d'identifier les affaires les plus intéressantes.

L'audition s'achève à quinze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du jeudi 30 juillet 2020 à 14 h 00

Présents. - M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel, M. Alain Ramadier

Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier