Examen pour avis, ouvert à la presse, et vote du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (n° 3221) (Mme Marion Lenne, rapporteure)
La séance est ouverte à 14 heures 35.
Chers collègues, je vous prie d'excuser l'absence de la présidente qui m'a demandé de la suppléer pour cette séance. L'ordre du jour appelle l'examen pour avis et le vote du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Notre commission a décidé de se saisir pour avis il y a deux semaines, et je salue notre rapporteure Marion Lenne pour le travail considérable qu'elle a accompli dans cette très courte période. Je me réjouis également de la bonne entente qui s'est établie avec le rapporteur au fond de la commission des affaires culturelles Yannick Kerlogot, présent avec nous ce jour.
Ce projet de loi comporte une dimension internationale incontestable, il sera d'ailleurs défendu en séance conjointement par Jean-Yves Le Drian et Roselyne Bachelot. Il répond à un engagement du président de la République, figurant dans le discours qu'il a prononcé à Ouagadougou le 28 novembre 2017 et dans lequel Emmanuel Macron a présenté les grands axes de la relation souhaitée avec l'Afrique pour les années à venir.
L'adoption d'une loi est nécessaire pour procéder à la restitution de biens détenus dans les collections de nos musées nationaux. Ce projet de loi est ainsi le premier acte de mise en œuvre d'une nouvelle politique avec l'Afrique. Il s'agit donc bien, par ce texte, d'engager une nouvelle démarche à l'égard de pays anciennement occupés par la France, et plus particulièrement de renouveler notre politique culturelle vis-à-vis de l'Afrique. Il ne s'agit pas de vider nos musées des collections africaines mais d'engager un nouveau partenariat qui servira la connaissance et la réappropriation des patrimoines dans les pays dont ils sont originaires. L'enjeu est également de dynamiser les politiques muséales et de tourisme culturel en Afrique, qui en sont à leurs débuts.
Il me semble d'ailleurs justifié d'étudier l'extension de cette démarche aux pays d'Asie et d'Océanie et d'inciter nos voisins européens à suivre notre démarche. Une coordination européenne ne pourrait qu'être profitable.
Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi pour commencer d'avoir une pensée émue pour notre présidente Marielle de Sarnez avec laquelle Didier Quentin, Christian Hutin et moi-même avons visité, lors d'une mission parlementaire en Éthiopie et à Djibouti, le musée national d'Éthiopie où se trouve Lucie. Autour d'une scénographie moderne et efficace, nous avions pu essentiellement rencontrer des élèves, qui ont donc accès à l'éducation culturelle.
Mon collègue Yannick Kerlogot, rapporteur de la commission des affaires culturelles, et moi-même avons entendu une vingtaine de personnes au cours des quinze derniers jours. Comme vous le savez, la démarche engagée par la France a suscité d'importants débats et c'est pourquoi nous avons souhaité entendre tous les acteurs concernés : ambassadeurs, directeurs de musée, administrations centrales, experts et historiens d'art, collectifs d'antiquaires mais aussi des associations et fondations basées en France ou en Afrique. Tous ont répondu positivement à nos invitations, mis à part Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, auteurs du rapport sur la restitution des biens culturels « vers une nouvelle éthique relationnelle », remis au président de la République en décembre 2018, pour des raisons logistiques, l'un étant aux États-Unis et l'autre en Allemagne, et de redondance, ceux-ci ayant déjà été auditionnés en 2018 par le groupe d'études sur le patrimoine de l'Assemblée nationale.
Leur rapport faisait suite à l'engagement pris par le président de la République dans son discours de Ouagadougou en 2017, où il présentait les grands axes du renouveau souhaité pour notre relation avec l'Afrique, et où la culture occupait une place centrale, sur laquelle je vais revenir. Emmanuel Macron décrivait la restitution – temporaire ou définitive – du patrimoine africain à l'Afrique, et notamment à la jeunesse africaine, comme une priorité pour les années à venir. C'est dans ce contexte que 26 œuvres, prises de guerre du général Dodds qui constituent le « trésor de Béhanzin », vont regagner le Bénin, et que le sabre attribué au chef religieux et militaire El Hadj Omar Tall, « confisqué » ou pris à l'issue de combats par le général Archinard, va être restitué au Sénégal, où il se trouve déjà depuis son prêt au musée des civilisations noires de Dakar.
Je souhaitais tout d'abord revenir brièvement sur le dispositif juridique qui nous occupe aujourd'hui. Pour pouvoir procéder à ces restitutions, le véhicule législatif a permis de déroger aux principes du code du patrimoine et tout particulièrement au principe d'inaliénabilité des collections publiques. En effet, les œuvres qui font partie des collections nationales bénéficient, en tant que composante du domaine public, de cette protection. Ce principe ayant une valeur législative, il était possible d'y déroger par loi. Je précise que le code du patrimoine prévoit une procédure dite de déclassement des œuvres, qui permet une sortie du domaine public et lève donc l'obstacle de l'inaliénabilité : or dans ce cas, il faut que soit constatée une « perte d'intérêt public » des œuvres, qui n'avait pas lieu d'être pour les biens culturels qui nous occupent aujourd'hui. Le droit international offre aussi une voie pour les restitutions, dans le cadre de la convention de l'UNESCO de 1970 sur l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites de biens culturels, mais cette convention n'est pas rétroactive et ne s'applique donc pas à tous les biens arrivés en France pendant la période coloniale.
Pour toutes ces raisons, le passage par la loi était donc nécessaire.
Les œuvres en question n'ont pas été choisies au hasard, loin de là. Le présent projet de loi est l'aboutissement d'une longue procédure d'instruction et d'analyse, qui va du dépôt d'une demande officielle par l'État demandeur auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, jusqu'à la restitution. Les demandes doivent être ciblées et documentées, à la suite de quoi un travail de recherche d'origine est conduit, afin de pouvoir établir l'historique d'appropriation des objets et déterminer si nous sommes bel et bien face à des transactions inéquitables ou contraintes. Dans le cas du Bénin, le musée du Quai Branly Jacques Chirac, actuel détenteur des œuvres, a ainsi écarté deux objets au cours de ses recherches, du fait de la persistance d'incertitudes sur leurs origines. À ce sujet, un point important doit être signalé : les musées français se distinguent en Europe par le caractère abouti et public de leurs inventaires, qui permettent en théorie à tous les États du monde d'avoir accès aux collections et ouvrent ainsi la voie à des demandes potentielles de restitution. Les collections du Quai Branly Jacques Chirac sont intégralement disponibles en ligne, celles du Louvre le seront à 60% d'ici mars 2021.
Les demandes de restitution sont donc rigoureusement traitées, et mobilisent toute l'expertise scientifique et historique nécessaire. J'ajouterai sur ces demandes que le ministère des affaires étrangères nous a confirmé qu'elles étaient arrivées à ce stade en nombre limité : sept en tout, en comptant le Bénin et le Sénégal. Il nous faut donc bien distinguer les campagnes médiatiques des demandes en bonne et due forme.
Après avoir exposé le processus de restitution en tant que tel, je souhaiterais insister sur un point qui importe tout particulièrement à notre commission : les restitutions s'inscrivent dans le cadre plus global de la coopération culturelle franco-africaine, dont le président de la République a souhaité le renouveau dans son discours de Ouagadougou. Il s'agit de promouvoir une approche partenariale, d'égal à égal et co-construite. C'est pourquoi les propositions consistant à instaurer une conditionnalité au retour des œuvres me semblent incompatibles avec le projet que nous portons : une fois les œuvres restituées, il ne nous appartiendra plus de nous ingérer dans la politique muséale de nos partenaires. En revanche, la demande de coopération et d'expertise dans ce domaine est forte et notre action extérieure devra rester au rendez-vous. À titre d'exemple, l'Agence française de développement (AFD) s'est vue confier le financement du projet de musée d'Abomey, qui doit accueillir à terme les œuvres restituées au Bénin. Il s'agit d'un projet global, qui peut se lire indépendamment de la restitution, mais dont il faudra pouvoir s'assurer de la viabilité – un musée étant structurellement déficitaire, le gouvernement béninois devra confirmer son engagement de soutien financier – et surtout du bénéfice pour les populations locales. Concernant le Sénégal, il s'agit d'un de nos principaux partenaires dans le monde pour ce qui est des questions culturelles, avec une importance très forte des échanges humains.
Pour conclure sur les enjeux de coopération, j'ajouterai que les enjeux patrimoniaux sont un axe de valorisation pour les années à venir. La formation aura toute sa place, pour contribuer au développement des capacités de gestion patrimoniale de nos partenaires africains, un programme de bourses sera par ailleurs lancé l'année prochaine par le ministère des affaires étrangères.
Les restitutions d'œuvres d'art soulèvent un autre enjeu international ou plutôt européen. En effet, près de 90 % du patrimoine africain seraient hors du continent aujourd'hui, et pour l'essentiel dans les grands musées européens. Nos voisins – je pense notamment à l'Allemagne, à la Belgique, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure au Royaume-Uni – ont suivi de près la démarche engagée par la France en matière de restitution, et les musées européens coopèrent de longue date sur un ensemble de sujets. La dimension européenne de la question méritera d'être creusée à l'avenir, l'Europe apparaissant comme un niveau propice pour faire avancer le débat.
Pour conclure, je tiens à rappeler combien le débat sur les restitutions d'œuvres d'art est complexe et soulève énormément d'interrogations toutes plus stimulantes les unes que les autres. C'est un débat qui nous invite aussi à l'humilité : il n'y a pas de définition unique de l'œuvre d'art, objet symbolique, spirituel, vivant, magique du patrimoine ou encore du rôle du musée, et les définitions qui nous sont familières ne sont pas nécessairement celles de nos partenaires africains, d'où l'importance d'avoir un dialogue riche et régulier ensemble.
Enfin, s'il y a bien un point qui a fait consensus lors des auditions, c'est la nécessité de renforcer l'accessibilité du patrimoine africain : c'est pourquoi en dehors des restitutions, de nombreuses voies pourront être explorées, comme les prêts, les dépôts et toute autre piste susceptible d'encourager la circulation des œuvres, européennes comme africaines.
Comme l'a rappelé le président de la République dans son discours de Ouagadougou, la culture, c'est aussi ce qui doit nous permettre de changer les regards que nous portons l'un sur l'autre. Pour toutes ces raisons je vous invite à adopter ce projet de loi visant à la restitution d'œuvres d'art à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
Je tenais d'abord en mon nom et au nom de La République en Marche saluer très amicalement et très chaleureusement Marielle de Sarnez et je sais l'investissement qui a été le sien sur ce sujet qui lui est très cher. Je souhaite aussi féliciter Marion Lenne et les équipes qui l'ont accompagnée dans la réalisation de ce rapport. Je veux me féliciter de l'occasion qui nous est donnée de pouvoir examiner ce projet de loi, qui regarde directement les attributions de notre commission. Je m'étais très tôt intéressé à ce sujet et j'avais pris contact avec le président de l'Assemblée nationale afin que notre commission soit saisie pour avis. Je tiens à le signaler puisqu'au départ ce projet de loi devait être uniquement étudié au sein de la commission des affaires culturelles, dont je salue le rapporteur.
Je pense que nous serons tous d'accord pour souligner l'importance de la diplomatie culturelle, et donc des discussions entre les commissaires aux affaires étrangères de notre Assemblée sur ce texte, en amont de son examen en séance.
Vous évoquez, madame la rapporteure, dans votre rapport une réalité surprenante : près de 90% des œuvres connues appartenant au patrimoine culturel africain se trouveraient actuellement en Europe. N'étant ni conservateur de musée, ni historien, je me garderai bien de tout raisonnement hâtif qui pourrait me conduire à des généralités dont on sait qu'elles ne reflètent jamais la complexité de l'Histoire. Il n'en reste pas moins que je me permettrai de dire que cette situation n'est pas acceptable. Elle n'est pas acceptable car – et cela répond directement à la vocation universaliste des musées français – une telle stagnation des œuvres empêche de facto les populations africaines d'accéder librement à des objets en provenance directe de leurs cultures et de leurs civilisations.
La culture ne devrait pas, ne doit pas être l'apanage d'un État ou d'un autre, parce qu'elle permet de créer des ponts entre nos sociétés et permet la compréhension mutuelle des individus malgré leurs différences. La culture doit être partagée. En permettant la circulation des œuvres, nous contribuons pleinement à renforcer une vision des relations internationales chère à la France.
À cet égard, notre groupe salue le dépôt de ce projet de loi, qui concrétise les engagements du président de la République, pris notamment à l'occasion du discours de Ouagadougou. Les États africains sont et resteront des partenaires importants pour la France, et nous saluons toute initiative de nature à développer cette relation privilégiée et constante.
En remettant ces œuvres au Bénin et au Sénégal, la France fait montre d'amitié et de confiance à l'égard de ces pays, mais elle fait également et surtout le choix de permettre l'accès à leur patrimoine culturel à des populations qui, comme vous, comme moi, ont le droit de revendiquer une part de leur identité et de leur histoire.
Madame la rapporteure, cette remise de biens culturels constitue clairement la première étape d'une démarche bien plus vaste qui consiste à renforcer la coopération culturelle entre la France et les pays d'Afrique. Vous avez évoqué la coopération à venir dans vos propos, aussi pouvez-vous revenir sur la nature et les moyens mis en œuvre au service de cette coopération ?
Je tiens aussi à avoir une pensée émue, amicale et chaleureuse pour Marielle de Sarnez. Je tiens à remercier et féliciter Marion Lenne qui a eu l'amabilité de rappeler un de nos souvenirs communs : cette mission que nous avons effectuée il y a presque trois ans où nous avions effectivement eu la chance de voir les restes de Lucie. Nous y sommes retournés depuis et nous avons eu la chance d'aller en Érythrée où nous avons pu admirer de nombreuses œuvres et notamment, sur le port de Massawa, une inattendue et étonnante croix de Lorraine. Cette croix se trouvait là en raison de la présence d'un bataillon français aux côté des Britanniques lors de l'une des premières victoires des Alliés contre les forces de l'Axe, en l'occurrence les Italiens, en 1941.
Le sujet d'aujourd'hui est évidemment un sujet sensible. Nous avions tous été très sensibles au discours du président de la République prononcé le 27 novembre 2017 à Ouagadougou. Cette journée est une journée d'hommage à Jacques Chirac et ayant été son collaborateur je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour le musée des arts premiers du Quai Branly. Dans le discours du président de la République actuel, il était question de restitutions temporaires ou définitives. Nous traitons aujourd'hui de la restitution de 26 œuvres du trésor de Béhanzin au Bénin et de ce fameux sabre au Sénégal.
Comme Français, je suis, comme la plupart d'entre vous j'imagine, très heureux de voir dans des musées étrangers des œuvres françaises. Je me souviens à ce sujet d'un entretien il y a une trentaine d'années avec les autorités japonaises. Après avoir accueilli la Joconde du temps de François Missoffe, les Japonais souhaitaient pouvoir exposer quelques temps le tableau La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix. Le président de l'époque, François Mitterrand, et le Premier ministre Jacques Chirac étaient tous deux d'accords pour prêter le tableau aux Japonais et ce fut chose faite malgré les oppositions des conservateurs du musée. Ce tableau a récemment été mentionné dans de nombreux articles à la suite des propos du ministre de l'Éducation nationale au sujet « des tenues républicaines ». On ne sait d'ailleurs si la jeune femme dénudée, qui incarne la Liberté sur le tableau d'Eugène Delacroix, arbore une tenue qui correspond à la notion de « tenue républicaine ».
Je crois qu'il est important que les œuvres dont nous parlons aujourd'hui soient restituées. Une chose intéressante à ce sujet est qu'il y ait pu y avoir des polémiques malgré les demandes de restitution arrivées en nombre limité. Il ne faut donc pas croire qu'il y ait une demande générale. Ce qui est important, c'est que l'on trouve les bons équilibres pour que ces œuvres – et c'est peut-être pour cela que certains de nos amis africains sont relativement timides – puissent être restituées. Cela peut vouloir dire soutenir les capacités de présentation des œuvres culturelles dans les pays demandeurs afin qu'elles bénéficient des meilleurs conditions d'accueil possibles. Il ne faut pas non plus engendrer une ingérence dans les affaires culturelles et muséales des pays africains, en revanche il nous revient de proposer des coopérations pour essayer d'aider ces pays à présenter les œuvres le mieux possible.
Comme dernier point, je souhaite rappeler au souvenir de cette commission que la présence de ces œuvres dans certains musées, à commencer par les nôtres, ont permis peut-être aussi de les conserver. Je pense notamment aux œuvres qui ont pu être détruites de par le monde comme à Palmyre par exemple. Il nous faut donc trouver la mesure et les justes équilibres propres au sujet que nous traitons aujourd'hui.
Le moment venu, dans le débat, les Républicains approuveront ce projet de loi.
Au nom du groupe MoDem, je veux vous remercier pour vos mots de sympathie et d'accompagnement prononcés à l'égard de Marielle de Sarnez, auxquels bien évidement je me joins. Je pense qu'il ne faut pas se voiler la face, ce projet de loi revêt avant tout une dimension symbolique. Mais ce texte est aussi et surtout de nature à ouvrir une refondation profonde de notre histoire et de nos rapports avec les pays auxquels nous lie un passé colonial. Félicitons-nous aussi du chemin parcouru en quelques années sous l'impulsion du président de la République. Nous nous souvenons que Jean-Marc Ayrault, alors ministre des affaires étrangères, avait balayé les demandes de restitution formulées par le Bénin en 2016, en se réfugiant derrière la complexité des règles du code civil et du code du patrimoine. Vous avez cité à plusieurs reprises le discours de Ouagadougou de 2017 du président de la République lors duquel il avait déclaré que le patrimoine africain devait être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, et que d'ici cinq ans, les conditions devaient être réunies afin de permettre des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. Il faut donc reconnaitre, je veux ici le souligner, un courage politique inédit du président de la République qui transparaît dans virage radical opéré lors de son discours.
De fait, ce texte n'apporte qu'une réponse immédiate, ponctuelle et très partielle à l'ambition du président et ce texte ne répond pas à ce stade à l'ambition exprimée, et que je partage. C'est la raison pour laquelle nous appelons non seulement à son adoption mais surtout à amplifier ce mouvement et à le rendre beaucoup plus ambitieux. Devra-t-on répéter à chaque fois ce mécanisme en écrivant et en votant un nouveau texte de loi ? Ce texte nous invite en effet à réfléchir à une loi cadre qui initierait une réforme du régime juridique de la restitution afin de le rendre plus lisible, plus fluide, et moins dépendant des aléas et des volontés politiques. Ce serait là la première pierre de la coopération nouvelle que nous appelons de nos vœux. C'est ainsi que nous pourrons répondre aux questions que pose ce texte au sujet du renforcement des musées africains, de la formation des conservateurs et des restaurateurs, de la facilitation des prêts, de la circulation et du dialogue de musée à musée, etc. Nous devons dépasser la notion de restitution pour fonder une politique partenariale sincère et équitable construite sur une confiance réciproque avec des États et des musées africains.
J'attire enfin votre attention sur l'indispensable suivi des œuvres restituées. Nous voyons les risques qui peuvent exister de perdre la trace de ces œuvres dans des pays soumis parfois à une instabilité politique importante et croissante. Des institutions comme l'UNESCO nous semblent particulièrement adaptées pour ce suivi.
Pour le groupe MoDem il semble urgent et nécessaire que nous nous saisissions de cette question. Nous pouvons le faire au moyen d'une mission dédiée ou d'un groupe de travail transpartisan qui, sur la rédaction d'un texte cadre, établirait une procédure claire et simplifiée pour de futures restitutions. Ce projet de loi aurait dû être l'occasion de poser les jalons d'une nouvelle doctrine de la politique française pour l'Afrique à travers la culture. Une doctrine à l'origine d'une nouvelle ère pour le chapitre, souvent critiquable, de la Françafrique.
Je tiens enfin à rappeler la portée universelle de ces œuvres. Quiconque s'est rendu au musée Jacques Chirac du Quai Branly a pu ressentir la profondeur humaine des objets dont nous parlons. C'est le sens même de la philosophie humaniste qui nous anime depuis des siècles : rendre accessible au plus grand nombre le legs artistique, culturel et spirituel de notre histoire, devenue nos histoires. L'initiative que nous nous apprêtons à voter aujourd'hui est décisive à bien des égards mais elle ne peut rester au stade de l'ébauche. C'est pourquoi nous appelons ici à lui donner sa pleine dimension.
Je me souviens que les débats sur les différentes et précédentes restitutions en 2002 et en 2010 avaient été très vifs et je vous remercie aujourd'hui de cette approche très apaisée et pondérée du sujet. Je crois effectivement que toute entorse au principe d'inaliénabilité des collections publiques doit s'accompagner d'une ambition de coopération culturelle avec les pays concernés. En l'occurrence, je salue le fait que les restitutions engagées s'inscrivent dans un renouveau de la politique culturelle de la France en Afrique et je tiens aussi à saluer l'importance du rayonnement culturel français sur ce contient. Pour ces raisons le groupe des députés socialistes approuve votre excellent rapport, et votera donc le projet de loi.
Au nom du groupe Libertés et Territoires, je souhaite ajouter un message de soutien à madame la présidente Marielle de Sarnez et saluer le travail de celles et ceux qui ont participé à ce rapport. Notre pays possède des collections publiques d'une infinie richesse d'un point de vue historique, artistique et culturel. Elles sont le témoin de notre histoire et de nos échanges avec le monde, nous pouvons être fiers de la protection que notre législation garantit à ces collections publiques, qui démontre la conscience que nous avons de leur caractère précieux comme de leur fragilité. Le Conseil d'État le rappelle à juste titre, les biens culturels des collections publiques des musées de France font l'objet d'une triple protection garantie par la loi : à la fois, au titre de leur qualité d'éléments des collections des musées de France, de leur appartenance au domaine publique mobilier et de leur qualité de trésors nationaux. Dès lors ces biens sont inaliénables, imprescriptibles, insaisissables et leur exportation définitive du territoire est interdite. Depuis 1970 et l'appel du directeur général de L'UNESCO, Amadou-Mahtar M'Bow, pour le retour d'un patrimoine culturel irremplaçable à ses créateurs, un mouvement d'ouverture s'est créé en France et en Europe. La question des restitutions s'est alors posée, cependant les demandes se sont toutes soldées par des refus au nom de cette inaliénabilité. La dernière en date remonte à 2016, à destination du Bénin. Un an plus tard, en 2017, le président de la République a rompu avec cette tradition et a souhaité que toutes les formes possibles de circulation des œuvres soient considérées : des restitutions, des expositions mais aussi des échanges et coopérations. Aujourd'hui, la quasi-totalité du patrimoine matériel de l'Afrique subsaharienne est conservé hors du continent africain. Restituer ces œuvres, ce n'est ni renier le passé, ni se déposséder, c'est au contraire regarder le passé en face et accepter que les annexions patrimoniales aient participé au système colonial. Il faut voir dans la restitution de ces biens culturels une occasion de construire une nouvelle relation entre nos pays, l'opportunité de participer au récit de l'histoire humaine et à sa transmission au-delà de nos frontières afin de rendre à la jeunesse africaine son droit au patrimoine. Enfin, restituer ces biens ne signifie pas ouvrir la voie à une jurisprudence qui nous contraindrait à replacer chaque objet dans son environnement géoculturel d'origine. Cet argument revient à nier la longue histoire des circulations entre l'Europe et l'Afrique, y compris au travers des coopérations muséales. Il est essentiel que des objets du patrimoine africain demeurent dans nos musées comme il est important également que d'autres cultures soient représentées dans les collections africaines. Ainsi, le mouvement de restitution des collections africaines et extra-européennes doit être progressif et s'accompagner d'un immense et rigoureux travail sur leur provenance, leurs conditions d'acquisition et le projet attaché derrière leur restitution. Pour toutes ces raisons, notre groupe salue l'objectif de ce projet de loi, qui intervient pour mettre en œuvre des engagements pris par la France dans le cadre de la politique de coopération culturelle qu'elle conduit avec les Etats africains. Pour ceux qui s'en inquièteraient, nous insistons sur le fait que la République du Bénin et la République du Sénégal disposent des moyens appropriés – ou les préparent– pour assurer la conservation future des biens culturels. C'est le cas notamment du projet de musée au Bénin, pour lequel la France apporte son assistance. Par ailleurs, le délai d'un an pour la remise des biens culturels, nous semble tout à fait de nature à assurer la mise en œuvre de coopérations bilatérales permettant de garantir leur conservation à l'issue du transfert. Le groupe Libertés et territoires, souhaite insister néanmoins sur la nécessité d'accompagner chaque transfert d'un accord de coopération culturelle avec le pays demandeur. Cet accord doit prévoir un programme de coopération scientifique et d'accompagnement passant par la conservation des biens culturels, la formation des équipes et le financement. Dans cette perspective, le groupe Libertés et Territoires soutient par ailleurs le recours à un traité international bilatéral ou à une loi-cadre, permettant de répondre à l'ambition annoncée que nous partageons.
Je veux d'abord évidemment m'associer aux mots qui ont été prononcés pour Marielle de Sarnez. Je crois qu'à chaque réunion de notre commission, nous pensons à elle et c'est pour cela qu'à chaque réunion, depuis que cette session extraordinaire a commencé, nous avons bien sûr un mot pour elle. Au nom du groupe EDS, je voudrais tout d'abord me satisfaire de ce projet de loi. Il se trouve que j'accompagnais le président de la République avec d'autres collègues à Ouagadougou, et que j'avais accueilli avec surprise – car je n'avais pas vu le projet de discours du président de la République – les mots forts qu'il avait prononcés sur la nécessité de restituer ces collections. C'est évidemment important pour les Africains, mais également pour les afro descendants en Europe. Plus qu'un symbole, c'est faire œuvre de justice.
Alors évidemment, cela soulève beaucoup d'interrogations. Ce n'est pas parce qu'il y a un projet de loi aujourd'hui que l'on a répondu à toutes les questions. C'est pour cela que l'ensemble des professionnels va travailler dans l'avenir à que ces restitutions se fassent dans les meilleures conditions possibles. Certains ont peur que l'on ouvre une boîte de Pandore, d'autres disent que le critère de spoliation est difficile à définir. Je crois que pour le Benin c'est assez évident, on a même souvent cité ces œuvres qui ont été sauvées du feu par les soldats, mais elles viennent du Palais Royal d'Abomey et il y a clairement une nécessité de restituer. La Côte d'Ivoire est en train d'établir une liste d'œuvres, et au-delà du sabre au Sénégal, il y a une volonté du Sénégal de dire qu'il faut tout restituer. Il y a donc ce débat sur la spoliation, qui pose la question de la définition au cas par cas de la spoliation. Donc il faut travailler. Et il est important que les chercheurs continuent à travailler afin d'identifier l'origine et les conditions d'acheminement de ces œuvres sur le territoire français.
En tout cas, je veux dire avec mes collègues qu'il n'y a pas de volonté en France de conditionner la restitution des œuvres à la capacité des musées africains de les accueillir. Ce n'est pas le cas. Ces restitutions se feront dans le cadre de bonnes coopérations bilatérales en matière culturelle qui sont vouées à se renforcer, et c'est très bien, afin qu'au-delà des restitutions il y ait une circulation des œuvres d'arts, car c'est cela les coopérations en matière culturelle. Il y a certes une nécessité de marquer l'idée de restitution parce que des œuvres ont été spoliées, mais si ce projet de loi peut encourager une meilleure circulation d'œuvres d'art entre la France et l'Afrique, ce sera évidemment une étape importante dans les relations culturelles entre la France et les pays africains. De plus, je crois qu'il faut que la recherche ait plus de moyens notamment pour lever le doute sur l'origine des œuvres. En tout cas, ces restitutions participent fortement du renouvellement de nos relations avec le continent africain, que nous appelons tous de nos vœux, et je suis très heureux que nous ayons à débattre, aujourd'hui et dans les prochaines semaines, de ce projet de loi.
Tout d'abord, félicitations à la rapporteure pour ce travail très intéressant. Dans son discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron a prôné une restitution des œuvres d'art africaines conservées par les musées français. Déjà par le passé, la France a permis la restitution d'un certain nombre d'œuvres, comme par exemple la résolution du don consenti au musée Guimet pour restitution à la Chine en 2015, en raison des fouilles illégales. La France a conclu des accords intergouvernementaux spécifiques comme celui signé en 1968 avec l'Algérie organisant un échange de biens culturels et le retour de plus de 300 œuvres sur le territoire algérien. La loi a quelques fois permis ces restitutions, comme par exemple la restitution des têtes maoris à la Nouvelle-Zélande par une loi du 18 mai 2010.
Mais concrètement, lorsqu'on regarde les moments où la France a fait le choix de restituer des œuvres culturelles aux pays d'origine, je constate indéniablement qu'elle l'a bien souvent fait de manière plutôt timide. Là encore, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui, qui se cantonne à la restitution de biens à deux pays, le Sénégal et le Bénin, quand bien même je le salue évidemment, et l'encourage car il va dans la bonne direction en rendant une partie de leur histoire à ces pays, je m'interroge toujours sur la portée limitée de ce texte. Sans vouloir avoir un discours culpabilisateur, je pense que la culture et l'histoire d'un pays sont indispensables à son peuple dans la construction de son avenir.
Ma question est donc la suivante : pourrait-on prévoir un cadre général en listant un certain nombre de critères qui permettraient plus de célérité dans les restitutions et qui permettrait en même temps d'étudier un nombre plus important d'œuvres dont la restitution pourrait être discutée ?
Le prince a parlé à Ouagadougou et a dit qu'il fallait restituer les œuvres d'art aux pays africains. Je parle du prince alors que j'aurais dû dire Sa Majesté. Voilà, cela ne peut pas être l'avenir, nous ne pouvons pas faire la politique de la France seulement à partir des déclarations d'un président de la République. Et même si telle devait être l'impulsion, admettons, nous n'avons eu que trois semaines pour effectuer des auditions, avoir des discussions, ceci dans le but de passer très rapidement au vote, comme si ce débat, soit n'avait pas d'importance parce que le prince avait parlé, soit pouvait poser une multitude de questions que l'on ne veut pas aborder, et dans ce cas-là on va très vite, de manière à éviter le débat dans l'opinion publique. En tout cas, la forme soulève des questions importantes et j'espère que cela ne sera pas toujours comme ça à l'avenir. Tout à l'heure, nous parlions de la liberté guidant le peuple, il faut s'en rappeler, et rappeler que ceux qui agissent au nom du peuple sont les parlementaires et non pas le président de la République, qui fait partie de l'exécutif et doit mettre en œuvre ce que nous décidons ici, et non pas l'inverse. Je referme la parenthèse mais, députés nous sommes et députés nous devons toujours nous souvenir.
Quant au fond, la question de la restitution est évidemment très importante, dans le cadre de la reconnaissance par les anciens pays colonisateurs des pillages qu'ils ont menés sur les sites historiques. Il faut appeler un chat un chat : il y a eu des pillages. La France a accumulé un très grand nombre d'objets de ce type lors de ses expéditions coloniales entre le XIXème et le XXème siècle, en Afrique comme en Asie du Sud-Est. Les musées qui exposent ces objets en France ont des réserves pleines de ces objets, qui ne sont donc jamais exposés. La restitution d'objets culturels est également une question de partage entre des pays qui en sont privés et d'autres qui en ont trop. Vu l'importance des collections muséales en réserve, il est faux de dire que la restitution va vider les musées.
Toutefois, la question de la restitution porte sur la notion de propriété, qui vient en complément de tous les autres sujets qui ont été abordés par mes collègues. Une fois que la France transfèrera ces objets, elle n'aura plus la main sur eux. Or, plusieurs inquiétudes existent et ont fait l'objet de débats à la commission des affaires culturelles et ailleurs. La question notamment de la conservation de ces œuvres dans des conditions optimales – qu'elles soient matérielles ou autres – se pose. Je dis ça pour les pays africains, mais nous ne sommes pas à l'abri. Rappelez-vous l'Arc de Triomphe : même des œuvres chez nous devraient être mieux protégées, il peut se passer n'importe quoi dans n'importe quel pays du monde qui fasse que les œuvres d'art soient des objets à protéger.
Je vais le dire avec mes mots, cela va peut-être vous choquer. Il y a eu une période où dans notre pays on considérait qu'il fallait faire de l'ingérence humanitaire. On s'autorisait même à envoyer l'armée pour effectuer cette ingérence humanitaire, rappelez-vous la Lybie et ses résultats. Je ne voudrais pas que, prétextant l'universalité des œuvres d'art et la propriété du patrimoine mondial, quelqu'un ose user de l'ingérence culturelle pour protéger ces œuvres d'art. Chaque pays est souverain, et lorsque l'on rend une œuvre d'art à un pays, nous devons lui faire confiance. Je ne souhaite pas que l'on insère des clauses directes. Par contre, que la France porte à l'échelle internationale l'idée véhiculée par les différentes conventions internationales sur le trafic d'œuvres d'art, alors qu'elle n'a pas été très bonne en 2002, et accompagne tous les pays en faisant en sorte que les conventions internationales, qu'elle-même n'a pas ratifiées, puissent être ratifiées dans la continuité de notre commission et que l'on franchisse ainsi un pas, alors que les marchands d'art n'ont pas forcément intérêt à ce que la France ratifie ce type de textes.
Les députés communistes vont donc voter ce projet de loi avec toutes ces réserves et cette volonté que notre commission puisse peser à l'avenir sur la ratification de toutes ces conventions sur le trafic d'art.
Je vais donner la parole à notre rapporteure pour répondre à ce premier groupe de questions.
Je vais revenir sur la coopération générale, cela a été le sujet de beaucoup de vos questions puis je reviendrai ensuite sur le choix du véhicule législatif. S'agissant de la coopération patrimoniale, la France est reconnue pour son expertise dans la conservation muséale. Dès lors, la demande de coopération est adressée par les États souverains. Le processus c'est d'abord restituer, accompagner puis former à la demande des États, et pour cela nous mobilisons des fonds de solidarité (FSPI), des bourses délivrées par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour former les étudiants, mais également des modules numériques, car la culture est aussi la grande victime du covid-19 et que le numérique a permis de maintenir la culture dans notre monde.
Dès lors, le processus est réfléchi, abouti, de manière partenariale. S'agissant des chiffres, pour le Bénin et les musées pour le développement des territoires, le FSPI prévoit 780 000 euros. C'est un accompagnement des professionnels en termes de savoir-faire pour préparer au mieux les conditions d'accueil des biens culturels. Cela se fait également en lien avec l'AFD qui été mobilisée par le gouvernement du Bénin sur le musée d'Abomey, dans le cadre de son programme sur les industries culturelles et créatives. Au Sénégal, dans le cadre d'un séminaire intergouvernemental, un volet culturel et un volet muséal, qui s'élève à 260 000 euros, ont été mis sur pied pour la formation des professionnels, des demandes d'expertises, etc. C'est vraiment un ensemble, une expertise reconnue à travers le monde, ce sont des demandes des États, et j'insiste donc sur l'aspect partenarial.
Pour répondre aux questions de mes collègues, je souhaiterais insister sur le fait que nous refondons nos rapports, nous répondons aux demandes des États. La réflexion sur la loi-cadre est en cours, mais l'outil semble trop global. Il est compliqué de calquer un modèle pour des histoires, des civilisations extrêmement différentes, je pense à Madagascar comme au Sénégal. Il y a une volonté partagée de faire du cas par cas. Un cadre global ne répondrait pas à l'approche souhaitée du cas par cas. Ce projet de loi constitue une doctrine du fait de la dérogation qu'il prévoit. Voilà pour ces explications législatives.
Je répondrai à Hubert Julien-Laferrière, en reprenant les termes de l'ambassadeur du Bénin à Paris avec lequel j'ai déjeuné ce midi et qui me disait au cours d'une conversation sur les spoliations : « qu'importe, pourvu que le serpent soit mort ». Certes, il dit aussi qu'il fallait des formations sur l'histoire, des études sur les provenances, pour autant aujourd'hui nous sommes dans un cadre apaisé de relations partenariales de coopération.
Pour répondre à Aina Kuric, aujourd'hui nous avons cinq demandes de restitution, au-delà du Sénégal et du Bénin, qui sont en cours d'instruction. En temps en en heure, le même véhicule législatif sera, ou pas, utilisé, mais cela reste le cadre pour l'instant retenu.
Merci madame la rapporteure pour cette première salve de réponses. Je donne la parole maintenant à M. M'jid El Guerrab.
Merci à la rapporteure pour le travail qui a été fait ainsi qu'à l'ensemble des personnes qui ont travaillé sur ce texte parce qu'il y avait besoin d'apaisement. À chaque fois que l'on parle du passé colonial de la France et de ses survivances, il y a toujours de la passion, de la crispation et de l'instrumentalisation politicienne qui peuvent être faites ci et là. Je remercie vraiment du fond du cœur mon collègue Didier Quentin qui a tenu des propos responsables et je pense que l'on va pouvoir aborder ce texte avec toute la responsabilité qui est la nôtre, celle de parlementaires que nous sommes.
En France, plusieurs musées sont concernés par les restitutions et en premier lieu celui du Quai Branly. Ses collections comptent plus de 300 000 œuvres dont 80 000 en provenance d'Afrique subsaharienne, ma circonscription. Au terme d'une enquête menée auprès d'historiens, de marchands, de conservateurs, de collectionneurs, de directeurs de musées, et après un périple qui les a conduits au Bénin, au Sénégal, au Mali, au Cameroun, les auteurs rapporteurs Sarr et Savoy ont estimé que 46 000 œuvres du musée du Quai Branly relevaient d'un vice de consentement. Autrement dit, ces œuvres ont rejoint les collections françaises par des chemins inavoués, conséquences de vols, de pillages ou encore d'achats injustement rétribués. Pour la période 1865-1960, ces appropriations sont la conséquence du fait colonial. En tant que tel, la situation de ces œuvres doit être réexaminée, en ouvrant la porte à des restitutions aux gouvernements africains de manière équilibrée sans jamais tomber dans l'excès inverse, je crois d'ailleurs qu'il y a dans notre commission un consensus autour de cette question. Et dans cette perspective, ne faudrait-il avoir une réflexion sur les restitutions des objets symboliques, comme le burnous d'Abdelkader qui se trouve au musée des Invalides, et le restituer à l'Algérie ?
C'est effectivement important qu'au-delà de ce cas précis du projet de loi, on puisse avoir un débat et porter un regard de parlementaire sur ces questions qui ne sont pas seulement culturelles mais sont aussi un élément constitutif de la politique française à l'international. Nous avons parlé de symboles, d'accessibilité du patrimoine, de définition même de l'œuvre d'art. J'ai même entendu dire de « fait du prince ». Nous pourrions en parler longtemps mais je voudrais plutôt évoquer la question de la coopération muséale avec les pays concernés. La question se pose pour tout pays qui dispose d'œuvres d'art, telles que les statues et les trônes du Bénin. Comment élargir l'accès ? Comment permettre l'appropriation ? Comment avoir une bonne médiation culturelle ? Je voudrais en venir plus spécifiquement au rôle que pourrait jouer la francophonie en tant qu'organisation internationale. Vous l'évoquez très vite dans votre rapport en disant qu'elle n'a pas de rôle de médiation culturelle aujourd'hui mais pourrait-elle l'avoir un jour ? Enfin, la médiation qui va se faire autour de ces œuvres se fera sans conditionnalité. Dès lors peut-elle servir de support à la diffusion de la langue française ?
Je voudrais d'abord insister sur la qualité du débat de part et d'autre des différents courants politiques. Au fond, il s'agit d'un sujet vraiment consensuel car il touche à la capacité que nous avons collectivement de permettre à des jeunesses, à des pays d'accéder le plus librement et le plus facilement à des œuvres qui constituent pour eux un des piliers de leur histoire culturelle et de leur histoire politique. Au-delà même de la restitution de vingt-sept biens identifiés à nos partenaires béninois et sénégalais, cette démarche s'inscrit plus largement dans la nouvelle relation que nous voulons et que nous appelons de nos vœux avec les 54 pays africains, dans le respect de leur diversité et de leur identité. Comme vous l'avez dit, ce projet de loi concrétise au fond la volonté du président de la République. En effet, nous sommes sous la Ve République où existe une impulsion présidentielle émanant elle-même d'un vote, en général suivi, et faisant l'objet d'une participation active définissant des lignes directrices. Au fond, notre volonté est que les jeunesses africaines puissent accéder à leur patrimoine culturel. Cette question se situe au cœur de cette dialectique d'apaisement et de réconciliation historique, culturelle et mémorielle, que nous souhaitons insuffler dans notre relation. Ce projet de loi en est la concrétisation, il revêt une réalité tangible qui trouvera, j'en suis certain, un écho dans les jeunesses africaines et dans les diasporas qui nous écoutent, nous regardent et attendent aussi ce projet de loi. Cette question est bien sûr sensible en France et dans d'autres pays eu égard à notre relation complexe, longue et douloureuse avec des pays africains, mais aussi parce que la culture, au fond, occupe une place majeure chez nous et dans tous ces pays. Au passage, je voudrais dire que la restitution des biens n'est pas l'apanage de la France, c'est une dynamique que l'on observe à l'échelle du monde. Je pense aux États-Unis, à la Corée du Sud, en passant par l'Allemagne et le Mexique. Cette dynamique est aussi largement soutenue par la communauté internationale et l'UNESCO en particulier. Au fond ma question est assez simple, en ce jour où l'on célèbre le dialogue des civilisations et l'un de nos plus illustres collègues Jacques Chirac à qui l'on a rendu hommage ce matin, comment ce projet de loi est-il perçu par nos partenaires africains ? Considèrent-ils que ce projet ne va pas assez loin ou pas assez vite ? Nous parlons de ce projet depuis 2017. Au fond, comment concevez-vous le fait de pouvoir à la fois systématiser et rendre plus simple ce processus ?
Je ne suis pas très satisfait de la réponse de madame la rapporteure. Que l'Élysée veuille faire du cas par cas je peux le comprendre car quelque part il peut y avoir de nombreuses considérations de gouvernance qui fassent que l'on veuille faire ainsi, mais que des parlementaires veuillent faire du cas par cas, je ne peux pas le comprendre. Au moment où l'on s'est posé la question de la déclaration universelle des droits de l'Homme, imaginez que l'on ait voulu faire du cas par cas, parce que tous les hommes suivant les pays, suivant les cultures, suivant les traditions, ne sont pas à égalité. Nous avons tout de même fait une déclaration universelle, puis malheureusement cela fait des décennies que nous ne disposons pas des mêmes droits et cela n'empêche pas que cette déclaration soit universelle. Donc, nous pouvons proposer une loi-cadre permettant de donner notre philosophie française sur ce sujet. Ensuite, derrière cette loi-cadre, on examine les choses mais le débat autour de celle-ci, sur son contenu, la protection, les structures internationales qui l'accompagnent, me semble être de bon augure car cela oblige à la tenue d'un débat. Ici le débat est très restreint, très court. Les auditions sont aussi très réduites, les auteurs du rapport demandé par l'Élysée en 2018 n'ont d'ailleurs pas pu être auditionnés. Ainsi, je trouve que même si la philosophie est bonne, nous n'avons pas associé tous ceux qui méritaient d'être associés à ce projet. Puis, nous n'avons pas eu l'avis des pays. Il y a eu peu de demandes, mais les demandes exprimées et les attentes non exprimées existent, comme vient de le dire M. Hervé Berville. Moi, je rêve qu'on écrive un jour un livre d'histoire commun entre la France et l'Algérie, pour que les gamins de CM2 français et algériens, sur la période qui a mis nos deux pays en conflit, aient la même lecture de l'histoire. À un moment donné, si on veut aussi que la paix se construise et que les relations s'améliorent, il faut que les historiens travaillent dessus. Pour les œuvres d'art, c'est pareil ; il faut travailler à considérer que les unes appartiennent aux autres et permettre leur dépôt ailleurs évidemment. On peut avoir des œuvres d'art béninoises en dépôt en France car cela contribue à la paix. En cela, la culture et les œuvres d'art – je partage ici des passages du discours du président de la République – contribuent aussi à la paix parce qu'elles contribuent à améliorer les relations entre les êtres humains. Vraiment je ne vois pas ce qui perturbe le fait d'avoir une loi-cadre et de voir ensuite comment on inscrit les demandes au sein de cette loi-cadre.
Monsieur El Guerrab, la réflexion est à faire et elle se fait. C'est tout un cheminement car dans cette réflexion il faut intégrer les directeurs de musées, les marchands... Cette réflexion doit être menée en créant du consensus. Il faut avancer ensemble sur ces sujets-là. Je dirai à madame Clapot, sur la francophonie, que je suis convaincue que l'organisation internationale de la francophonie a un rôle à jouer. Actuellement, elle ne travaille pas sur le domaine de la coopération muséale et patrimoniale. C'est un niveau d'action sur lequel il serait pertinent et possible qu'elle travaille. Pour donner cette impulsion il faut un vote de ses États membres. Puis, pour aller au-delà de la francophonie, si l'on prend l'exemple du musée historique d'Abomey, la colonisation a établi des frontières qui n'étaient pas forcément celles des royaumes. Je crois qu'il faut donc aller bien au-delà de la francophonie, s'en servir pour également travailler la polyphonie. Les Nigériens parlent aussi avec des Ivoiriens dans des dialectes partagés, sans forcément passer par le français. Cela permet de créer un véhicule dépassant la francophonie et d'aller ainsi vers la polyphonie. Je répondrai à monsieur Hervé Berville que la perception que nous avons eu des États est plutôt positive, ils sont plutôt enthousiastes du retour de ces œuvres. Les œuvres sont attendues, des cérémonies sont d'ailleurs en phase de conception. L'ambassadeur du Bénin en France nous l'a rappelé encore aujourd'hui. Enfin, comment simplifier ou aller plus vite ? C'est par ce fameux projet de loi qui amène à une dérogation et qui pourra devenir la doctrine appliquée ensuite lorsque les autres demandes seront instruites. Monsieur Lecoq, je reviens sur le fait que la loi-cadre est trop globale et qu'il faut bien sûr faire du cas par cas pour répondre aux demandes de chaque État. Vous avez une fois de plus évoqué, monsieur Sarre et madame Savoy qui en réalité ont déjà été auditionnés par le groupe d'études « Patrimoine », dont le président est parmi nous aujourd'hui. Ils n'ont pas souhaité de redondance de l'audition. Tout s'est fait dans les règles de l'art.
Tout a été dit, mais les derniers échanges que nous avons eus par rapport au multilatéral apportent quand même un peu plus de débat. Pour ma part, j'ai une remarque et une proposition. Premièrement, il est vrai que l'on ne peut pas prôner le multilatéral sur tout et qu'à un certain moment nous y sommes confrontés. Ainsi, notre assemblée ne pourrait-elle pas créer une mission de nos deux commissions des affaires culturelles et des affaires étrangères au sujet de cette loi-cadre. On ne peut pas avoir une loi-cadre généraliste quand nous sommes face à des pays qui n'ont pas la même capacité à recevoir ces biens culturels. Je connais bien le Moyen-Orient et l'Afrique du nord, et nous n'avons pas toujours des pays capables de recevoir dans de bonnes conditions toutes ces œuvres. Il faudrait ainsi établir une loi-cadre capable de voir les subtilités, les spécificités de chaque pays, nous donnant ainsi une certaine marge de manœuvre. Nous pouvons également réfléchir à mettre en place une mission pour réfléchir sur ce sujet.
Je vous propose madame Krimi d'en faire la suggestion au bureau de la commission afin de voir comment nous pouvons réfléchir à cela ensemble.
La commission adopte, à l'unanimité, l'article 1er sans modification puis l'article 2 sans modification.
Elle adopte ensuite le projet de loi, à l'unanimité, sans modification.
Pour ma part, je voudrais remercier madame Marion Lenne pour son excellent rapport sur ce projet de loi qui, vu la richesse de nos débats, montre bien l'importance de ce sujet. Je pense que nous pouvons nous satisfaire de l'avoir adopté à l'unanimité.
La séance est levée à 15 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Hervé Berville, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, Mme Frédérique Dumas, M. M'jid El Guerrab, Mme Anne Genetet, Mme Olga Givernet, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, M. Jean François Mbaye, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse
Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Moetai Brotherson, M. Éric Girardin, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier, M. Sylvain Waserman
Assistaient également à la réunion. - M. Bruno Fuchs, M. Yannick Kerlogot, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Victory