La réunion

Source

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 6 octobre 2021

L'audition est ouverte à 16 heures 05.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament procède à l'audition de M. Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France – anciennement Syndicat professionnel des industriels sous-traitants de la santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous poursuivons nos auditions en entendant l'association CDMO France – anciennement « Syndicat professionnel des industriels sous-traitants de la santé » – qui regroupe les principaux sous-traitants pharmaceutiques ayant des sites de production localisés en France. Ces façonniers sont désignés en anglais sous le nom de « Contract development manufacturing organizations ».

Je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France.

Je vous remercierai également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé qui serait de nature à influencer vos déclarations.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Stéphane Lepeu prête serment.

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

L'association CDMO France regroupe tous les fabricants ayant au moins un site sur le sol français. Delpharm en possède 12. Les entreprises de CDMO France sont des sous-traitants dont l'activité consiste à fabriquer et à conditionner des médicaments pour le compte de laboratoires pharmaceutiques.

Concrètement, les laboratoires pharmaceutiques nous livrent du principe actif de fabricants regroupés au sein du syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (Sicos Biochimie). Nous achetons les autres matières nécessaires à la fabrication du médicament. Nous effectuons la fabrication selon un procédé très strict avec un cahier des charges que nous donne le client. La forme finale pharmaceutique peut être entre autres un comprimé, un sirop, des ampoules. Nous achetons ensuite auprès de sous-traitants le nécessaire pour le conditionnement comme des flacons en verre, des étuis en carton, de l'aluminium pour sceller les blisters. Enfin, nous procédons au conditionnement : à la sortie de nos lignes de fabrication, les boîtes de médicaments sont prêtes à être livrées, telles que les patients les retrouveront dans les pharmacies.

Nous ne nous occupons pas de la distribution, prise en charge par nos clients. Le rôle des usines de CDMO France consiste uniquement à produire les médicaments.

CDMO France génère 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur plus de 80 sites industriels localisés en France. Ce sont plus de 16 000 collaborateurs qui permettent la fabrication de 3,4 milliards de boîtes de médicaments.

Les fabricants français sont principalement orientés sur les principes actifs chimiques. Il existe une exception qui est aussi sur le biologique.

Nos entreprises ont connu une grande croissance sur ces dernières années. Aujourd'hui, en France comme en Europe, une boîte de médicament sur trois est fabriquée par des sous-traitants. C'était une boîte sur cinq au début des années 2000 et les laboratoires fabriquaient encore 95 % des boîtes au début des années 1990. D'ici 10 à 15 ans, nous estimons que nous devrions dépasser les 50 % de fabrication chez les CDMO. Cette croissance est donc une tendance lourde, mais qui s'explique simplement. Nous proposons à nos clients plus de qualité pour un meilleur prix.

Plus de qualité, pourquoi ? Une usine de laboratoire pharmaceutique est confrontée aux audits des autorités réglementaires et de sa maison-mère. Une usine de sous-traitance est soumise à ces mêmes audits, mais également à ceux de tous ses clients, soit entre 10 et 30 clients par site. L'éventail de conseils et de recommandations est donc beaucoup plus large et améliore la qualité.

Un meilleur prix, pourquoi ? D'un point de vue économique, la compétitivité d'une usine réside dans l'optimisation des capacités de production. Plus les lignes tournent, plus les coûts fixes seront diminués. Une usine qui appartient à un laboratoire pharmaceutique ne pourra pas toujours optimiser ses capacités de production en fonction de l'évolution de ses propres produits, au contraire des sous-traitants qui peuvent proposer leurs capacités disponibles à l'ensemble des laboratoires et sont donc à même d'optimiser leurs lignes de production.

Au niveau des rapports entre les laboratoires et les CDMO, les relations sont classiques. Le choix d'un laboratoire s'effectue sur un équilibre entre la qualité, le service et le prix. Par rapport à d'autres industries, notre spécificité est que 12 à 18 mois sont nécessaires pour transférer un médicament d'un site à l'autre. Les partenariats s'inscrivent donc davantage dans la durée. Pour gagner un appel d'offres, il faut néanmoins bien se positionner en ce qui concerne le prix et avoir une bonne réputation sur le service ou la qualité.

Le métier, mieux connu depuis un an ou deux, a été mis en lumière aux yeux du grand public par la Covid-19 et a permis une prise de conscience de son importance puisque trois CDMO français fabriquent des vaccins.

En matière de compétitivité, nous sommes sur un triptyque qualité, service, prix. En tant qu'industrie, nous subissons les mêmes concurrences que les pays d'Europe de l'Est ou des pays d'Asie du Sud-Est, ce qui a conduit à des délocalisations, à l'image d'autres industries. Si la production de médicaments en France est considérée comme stratégique, il convient d'avoir une politique volontariste pour diminuer l'écart envers nos concurrents, européens d'une part, et asiatiques pour qui les contraintes environnementales et sociales sont moins strictes d'autre part.

En ce qui concerne nos concurrents européens, deux éléments principaux sont pénalisants pour les CDMO français. Nous pouvons tout d'abord citer les impôts de production, que la France est un des seuls pays européens à mettre en place, et qui sont dus même si l'entreprise ne fait aucun bénéfice. Ces impôts ont diminué d'un tiers cette année, ce qui va dans le bon sens et nous donne les moyens d'investir. Nous souhaitons que cette tendance continue afin d'aboutir à la suppression totale de ces impôts de production. Ensuite, il s'agit d'éviter la « surtransposition » des règles européennes qui sont rendues plus contraignantes pour les industriels français, dans une volonté pourtant louable de faire mieux que les autres. Tout ce qui va dans le sens d'une simplification et d'une stabilisation des normes fiscales et sociétales françaises pour les aligner avec la règlementation européenne nous permet d'avoir une concurrence plus saine.

La valorisation de la production française, ou du moins européenne, est importante pour concurrencer l'Asie. Un premier pas a été franchi avec l'accord-cadre du 5 mars 2021 entre le comité économique des produits de santé (CEPS) et Les Entreprises du médicament (LEEM) dont l'article 27 mentionne la prise en compte des investissements réalisés dans l'Union européenne, notamment en France. Il convient d'aller plus loin et de fixer des « prix planchers » pour les médicaments dont la fabrication n'est plus assurée en Europe pour des raisons économiques. Toutes les mesures qui permettent de favoriser l'investissement, par exemple les options de suramortissement, vont dans le bon sens en nous permettant d'investir et d'augmenter les productions de médicaments en France.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour répondre à votre interpellation sur la cohérence et la continuité de la baisse des impôts de production, la majorité a bien l'intention de poursuivre dans cette voie.

Pouvez-vous rappeler la complexité de la fabrication des médicaments et de la mise sous flacon, et répondre à l'un des membres de l'Assemblée nationale qui avait affirmé lors de la visite du Président de la République sur votre site à Saint-Rémy-sur-Avre : « On (la France) est tout juste bon à faire de la mise en flacon. Pas de quoi frimer » ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Quand il s'agit de fabriquer un médicament, nous avons des délais de transferts qui vont de 12 à 18 mois. Dans le cadre du vaccin BioNTech, nous l'avons fait en quelques mois, ce qui est un véritable exploit. Ce n'est pas que de l'embouteillage, il y a aussi du remplissage stérile avec filtration : le processus est extrêmement complexe et les paramètres à mettre en œuvre sont nombreux, notamment celui du froid pour un produit qui doit sortir à – 70 °C. L'expertise du personnel de Saint-Rémy-sur-Avre a été mise à rude épreuve et ils ont pu répondre avec succès à ce défi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez-vous nous rappeler les dispositifs de soutien de l'État et nous redonner le montant des aides qui vous ont été accordées pour le développement du site et son expansion dans le cadre de la production des vaccins ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Une aide de 10 millions d'euros nous a été allouée sur le site de Saint-Rémy-sur-Avre pour nous aider à l'accélération de la mise en œuvre de ce vaccin et la création d'une ligne supplémentaire de fabrication de flacons stériles. Le site de Tours a perçu une aide de 15 millions d'euros, qui peut même monter jusqu'à 20 millions d'euros dont 5 millions d'euros sont remboursables, pour l'installation, courant 2022, d'une ligne supplémentaire de seringues pré-remplies.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sur les perspectives de productions futures, en lien avec la vaccination, comment vos usines se situent-elles par rapport à la demande mondiale ? Quels sont les objectifs de production que vous vous êtes fixés sur le vaccin ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

À Saint-Rémy-sur-Avre, toutes les capacités disponibles sont utilisées pour la fabrication de ce vaccin. Nous n'avons pas sorti d'autres productions de médicaments et nous avons optimisé les productions en augmentant le temps d'ouverture de nos lignes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez parlé de « surtranspositions » européennes. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Une discussion a actuellement lieu sur la possibilité d'avoir une pénalisation des CDMO français et de leurs fournisseurs, hors fournisseurs de principes actifs, à la suite d'audits effectués par les autorités françaises. Cette disposition uniquement française pose problème puisqu'un de nos donneurs d'ordre, ayant à choisir, préfèrera un autre pays européen où ce risque n'existe pas.

Autre exemple, le délit en cas d'atteinte à l'environnement est propre à la France. Si cette loi était votée, ce serait un problème pour nous. Une loi votée au niveau national doit l'être également au niveau européen sous peine de pénaliser les entreprises françaises.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment contribuez-vous au conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de 2021 ? En quoi cette édition aurait été plus productive que les années précédentes ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Nous avons mené deux actions. La première, auprès du LEEM, dont nous sommes adhérents, qui a une influence et des moyens plus importants que CDMO France. La seconde est l'audition avec Mme Lyse Santoro, une des cinq rapporteurs du CSIS 2021, pour donner notre point de vue sur l'évolution de la situation en France. Le but est de nous permettre de tirer les leçons de cette pandémie et d'assurer une autonomie sanitaire plus forte. Les recommandations qui ont été faites se retrouvent largement dans mon introduction.

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

L'ensemble des CDMO français a travaillé par groupes de travail pour définir ces recommandations. Par la suite, je les ai rédigées et transmises.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les 80 sites que vous avez mentionnés font-ils référence à 80 entreprises différentes ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Ces 80 sites représentent 35 entreprises dont 21 sont adhérentes de notre association. Les dix plus grosses couvrent 80 % des chiffres cités dans mon propos liminaire. La petite quinzaine de fabricants non membres de CDMO France reflète un chiffre d'affaires relativement limité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les 35 entreprises évoquées sont-elles majoritairement françaises ou plurielles ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

En ce qui concerne les sites en France, voici les 10 premières entreprises :

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelles sont les propositions que vous auriez souhaité voir retenues et qui ne l'ont pas été ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Les deux principales sont la disparition des impôts de production et la valorisation de la production française, ou européenne, qui apparaît dans l'accord-cadre entre le CEPS et le LEEM, mais dont l'application reste à confirmer. Une reconnaissance plus forte de la fabrication, au moins en Europe et idéalement en France, est importante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au regard des premiers mois de fonctionnement du CSIS, quel avantage voyez-vous par rapport au Comité stratégique de filière des industries et technologies de santé (CSF-ITS) ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Président de CDMO France depuis moins d'un an, je n'ai pas la profondeur d'expérience pour répondre à votre question.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

800 millions d'euros devraient être dégagés pour soutenir le développement des biothérapies et accompagner le développement du tissu industriel afin de ne plus dépendre de l'étranger dans ce domaine. Pourquoi cette filière ne s'est-elle pas développée en France selon vous ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Tout d'abord en raison de questionnements éthiques sur les biotechnologies. Les autorités françaises n'ont pas fait preuve de volontarisme dans ce domaine, au contraire de la Belgique avec l'université de Louvain qui est devenu un pôle important de cette technologie.

Sur les CDMO français, seule Fareva a une petite activité en biotechnologie sur les anticorps monoclonaux. Le coût est un véritable obstacle. À titre de comparaison, un atelier de fabrication de comprimés revient à 5 millions d'euros, un atelier pour du remplissage stérile coûte 25 millions d'euros, et un atelier pour fabriquer des anticorps monoclonaux au niveau industriel représente 150 millions d'euros. Les CDMO français n'ont pas la possibilité aujourd'hui d'investir de telles sommes. En outre, il sera difficile d'être suffisamment crédibles auprès de clients majeurs avec le retard que nous avons pris dans ce domaine. Une entreprise comme Lonza qui peut annoncer investir l'année prochaine à elle seule 950 millions d'euros dans les biotechnologies joue dans une autre catégorie que nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À quoi attribuez-vous ce retard trop important ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

La France n'a pas cru dans ces biotechnologies et les CDMO ne se sont pas développés en ce sens. Nous n'avons pas connu de pôles avec un écosystème fort en biotechnologies comme à Boston, à Cambridge ou en Suisse. Avoir un intervenant français en la matière et efficace d'ici trois à quatre ans est un défi difficile.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Est-ce lié à une capacité de recherche biomédicale insuffisante ou à la mobilisation de capitaux pour des unités de production ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Ce n'est pas un problème de recherche car la recherche sur le sujet existe en France.

Au niveau de la fabrication, nous n'avons pas eu d'écosystème favorable à la création d'entreprises en charge de la fabrication.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pensez-vous que la politique d'achat des établissements et des groupements hospitaliers doit évoluer ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui beaucoup de biotechnologies fabriquées en France. Si la production française était suffisante et en concurrence, avoir une incitation pour nos fabrications serait tout à fait positif.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette remarque vaut-elle plus globalement pour le médicament ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Il est important qu'une partie de la notation, dans les appels d'offres, tienne compte du fait de la fabrication en France ou en Europe. L'idée est d'obtenir une indépendance sanitaire de l'Europe par rapport au reste du monde.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous réfléchi à des mécanismes particuliers qui pourraient faciliter la prise en compte de cette dimension de l'empreinte industrielle nationale ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

La relation s'établit davantage entre nos clients et l'État français. Nous n'avons pas de prise directe sur ces négociations. Le mécanisme est simple et nécessite, tout d'abord, d'avoir la transparence du lieu de fabrication du principe actif, de la fabrication du médicament et de son conditionnement. Il s'agit, ensuite, de mettre en place un système au niveau du CEPS pour la fixation du prix qui valorise le plus possible la fabrication en France et en Europe. Ainsi, nos clients seront incités à rapatrier leurs productions sur le sol européen et français, parce qu'ils y trouveront un intérêt. Un médicament produit en Allemagne ou Inde bénéficie du même remboursement. Pourtant, nos dépenses d'investissements pour respecter les normes environnementales représentent un coût bien plus élevé que nos concurrents asiatiques, provoquant une distorsion de concurrence. Avant même de fixer des prix, il serait judicieux de dépêcher des auditeurs de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) auprès de ces concurrents afin de vérifier que les règles de qualité y sont appliquées avec le même soin qu'en Europe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quel jugement peut-on porter sur l'action du CEPS et de l'ANSM, notamment depuis ces derniers mois ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Je n'ai aucun contact direct avec le CEPS. L'accord-cadre entre le CEPS et le LEEM, qui devrait permettre d'aider nos clients à argumenter leur demande de prise en compte de la fabrication en France, est très récent et nous n'avons pas encore été confrontés à des décisions du CEPS sur ce point.

L'ANSM a pris des décisions intelligentes face à des risques de pénuries. L'ANSM a ainsi été en soutien pour la production de cisatracurium sur notre site Delpharm à Dijon afin d'assurer la sécurité des patients, suffisamment tôt pour que ces produits fortement attendus dans les hôpitaux arrivent à temps.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La majorité des principes actifs, 70 % en volume, ne sont pas issus de l'Europe. Pour quelles raisons achetez-vous ces principes actifs hors de l'Europe ? Que pouvons-nous faire, en tant que législateurs, pour vous encourager, ou vous imposer, à acheter des productions françaises ou européennes ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

En effet, 70% voire 75 % de nos principes actifs viennent de l'Asie du Sud-Est, de la Chine et de l'Inde principalement.

Nos clients, dans 70 % des cas, nous approvisionnent avec des principes actifs qu'ils achètent eux-mêmes. Nous le transformons mais nous ne sommes pas à l'origine de la fabrication.

Les achats en Asie s'expliquent pour des raisons de coûts. À niveau équivalent de qualité et de délais pour un prix 30 à 40 % inférieur, nous n'avons pas le choix. Les contraintes d'installation ont été telles en Europe pour les usines chimiques que l'Asie a pu proposer des tarifs beaucoup moins élevés et s'imposer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Plusieurs mesures ont récemment été prises, notamment pour favoriser les investissements sur le territoire national, les investissements en matière de croissance d'entreprises, de souveraineté dans le secteur de la santé. Des efforts sont incontestablement faits, mais pensez-vous que cela soit suffisant ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Je ne vais pas revenir sur la suppression des impôts de production, mais je souligne que c'est la première fois que nous sentons un soutien des autorités pour de l'investissement sur le sol français sur ce sujet. Il est trop tôt pour savoir si les aides perçues au cours de la crise sanitaire pour la production des vaccins seront suffisantes. Notre objectif est de pouvoir fabriquer le plus de médicaments possible pour redonner une indépendance sanitaire à la France. Si nous pouvons croître avec des moyens d'investir supplémentaires, ce sera bénéfique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Outre la baisse voire la suppression des impôts de production, y aurait-il des investissements spécifiques à flécher vers vos entreprises pour vous accompagner, au travers du plan France 2030 sur lequel travaille la majorité ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Comme toutes les entreprises, nous nous mobilisons sur les questions d'environnement, notamment sur la prise en compte de l'empreinte carbone, même si en France nous avons un avantage puisque notre électricité est nucléaire, donc décarbonée. Tous les clients des CDMO ont des préoccupations environnementales. Dans ce cadre, l'État pourrait nous aider et nous accompagner pour ces investissements importants.

Je souhaiterais ajouter qu'il y a un enjeu de formation et d'apprentissage. Aujourd'hui, les usines françaises ont des difficultés de recrutement malgré des besoins importants. Des postes de pharmaciens, d'assurance qualité, d'ingénieurs projets, de techniciens de maintenance ou de conducteurs de lignes de conditionnement, ne sont pas pourvus, peut-être en raison de l'image du travail à l'usine insuffisamment valorisé en France alors qu'on y trouve des métiers passionnants où l'on travaille en équipe. Il est nécessaire de revaloriser cette image pour redonner envie aux gens de travailler dans les usines.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qu'avez-vous mis en œuvre pour former les jeunes à vos métiers ? Que pensez-vous du plan « 1 jeune, 1 solution » qui a pour vocation de vous accompagner dans la formation des jeunes qui pourraient répondre à vos besoins en termes d'effectifs ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

L'apprentissage est pour nous extrêmement positif. Nous faisons beaucoup appel à l'apprentissage car c'est une passerelle extraordinaire entre le monde de l'éducation et du travail. Malheureusement, ce n'est pas suffisant car nous avons encore de nombreux postes non pourvus : sur le site internet de CDMO France, il y a en permanence une centaine de postes non pourvus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La problématique des emplois non pourvus est récurrente. Tous les acteurs que nous interrogeons nous en font part. Les apprentis sont passés de 400 000 en 2017 à 500 000 en 2020. En outre, certains territoires ont un faible taux de chômage et le sujet est alors d'y attirer les travailleurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons évoqué les différents soutiens de l'État au secteur, mais je souhaiterais évoquer aussi les autres acteurs économiques comme les agglomérations ou les régions. La synergie avec ces acteurs fonctionne-t-elle que ce soit dans vos projets de développement ou de relocalisation ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Concrètement, sur le site de Saint-Rémy-sur-Avre, où nous produisons le vaccin pour BioNTech et avons recruté une soixantaine de personnes et continuons de recruter, nous avons reçu un soutien exceptionnel tant de l'État que du local.

La difficulté réside dans le fait de former durablement des employés. À titre d'exemple, un technicien sur ligne, en environnement stérile, doit être formé pendant six à sept mois. Il convient que les organismes de formation soient prêts et que les Français aient envie de s'investir dans ces métiers. La médiatisation récente des CDMO français a engendré la découverte de ses métiers et de son industrie, et vont peut-être devenir plus attractifs pour l'emploi. En collaboration avec l'État, nous participons au projet de Campus biotech digital sur lequel nous fondons beaucoup d'espoir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En 2019, les CDMO étaient absents du contrat stratégique de filière des industries et technologies de santé. L'avenant de juin 2021 les évoque onze fois. D'où vient cette prise de conscience ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

La pandémie est passée par là. C'est une industrie qui apporte une flexibilité et une capacité de production pour d'autres laboratoires. Avant la pandémie, les laboratoires les plus visibles sur la Covid-19, BioNTech et Moderna, n'avaient pas d'usines. BioNTech, soutenu par Pfizer, s'est appuyé sur un réseau de CDMO en Allemagne, en France, en Italie. Moderna a collaboré avec des CDMO en France et en Espagne. Cette mise en lumière de notre industrie n'a pas été voulue, mais elle traduit une reconnaissance d'avoir des façonniers forts en France et en Europe, pour répondre aux pandémies.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment développer et renforcer le recours aux sous-traitants français ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Un client qui souhaite attribuer un projet à un CDMO, quelle que soit sa nationalité, va regarder le niveau de qualité, de service, sa réputation, et quelle est sa capacité à proposer un prix compétitif. Avoir un tel prix signifie de bons équipements, donc de l'investissement. Nous n'attendons pas les aides de l'État pour investir, mais son intervention est importante pour soutenir la compétitivité des CDMO français. Comme précisé auparavant, nous avons besoin d'aides ponctuelles, de mesures de baisse des impôts de production, ainsi que d'éviter la surtransposition pour une concurrence saine entre acteurs européens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des engagements de filières peuvent-ils être mis en place en France ? Des synergies européennes sont-elles envisageables ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

La réponse est clairement affirmative sur les engagements de filières. C'est une force en France de posséder des pôles avec CDMO, des universités et un réseau de sous-traitants de conditionnement. En effet, la majorité de nos emballages sont achetés en France. Plus la filière médicaments sera forte, plus les CDMO français en tireront bénéfice et seront renforcés par rapport à leurs principaux concurrents.

Du point de vue européen, il y a des décisions sur un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) avec des investissements, et cette initiative va dans le bon sens. La coordination européenne est nécessaire, il n'est ni envisageable ni faisable que chaque pays fabrique la totalité de ses médicaments stratégiques. Nous sommes plus forts avec nos partenaires européens si les produits sont répartis afin d'assurer un maillage. Dans cette optique de renforcement, il est important que chaque pays investisse pour rapatrier les principes actifs et la fabrication au niveau des CDMO. L'un des objectifs est, en cas de pandémie, que les produits soient couverts.

Durant la crise de la Covid-19, les Américains ont fortement soutenu leurs « jeunes pousses » (start-ups) dont sont issus BioNTech et Moderna. En Europe, je vois d'un bon œil la création de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire – Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA) pour prévenir et mobiliser rapidement en cas d'urgence sanitaire. HERA devrait permettre de repérer, dans la chaîne du médicament, des maillons manquants qui, en cas de pandémie, pourraient poser problème. Nous connaissons à l'heure actuelle des tensions sur les filtres auprès de fournisseurs américains qui alimentent en priorité leur territoire national. Il est donc essentiel de s'assurer que lors de crises sanitaires, l'Europe aura une autonomie stratégique sanitaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait aller plus loin avec des « prix planchers » pour relocaliser. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Nous avons des produits que nous fabriquons ou que nous ne fabriquons plus parce qu'ils ont été délocalisés. C'est le cas pour des anesthésiants et des produits stériles qui nécessitent une extrême attention, un cahier des charges, de nombreux contrôles, et qui sont vendus en sortie de nos usines entre 1 euro et 1,50 euro. Le prix auquel les hôpitaux français achètent ces produits ne laisse pas le choix aux laboratoires pharmaceutiques qui doivent les faire fabriquer en Inde. Un « prix plancher » permettrait aux fabricants français de réaliser ces produits sur notre territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez-vous nous donner des indications sur les parts de marché que l'ensemble des CDMO français peuvent avoir sur la commercialisation en France, en Europe et dans le monde ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Il me semble que CDMO France exporte les deux tiers de sa production, soit un milliard de boîtes de médicaments. La consommation française est comprise entre 3 et 3,5 milliards. Nous représentons donc, en volume, un tiers de la consommation en France.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Parmi les deux tiers que vous exportez, est-ce à destination de l'Europe, du monde ou indifférencié ?

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

Nos exportations sont principalement dirigées vers l'Europe.

Pour résumer, nous vendons 30 % de notre production en France, 50 % sont exportés en Europe et 20 % vers le reste du monde.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous faire parvenir au secrétariat de la commission d'enquête des chiffres plus précis sur la ventilation de votre production, ainsi que sur votre contribution à l'apprentissage ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous indiquez qu'il serait souhaitable de mettre en place des « prix planchers », mais ils doivent, selon moi, être corrélés avec une obligation d'approvisionnement et de fabrication sur le territoire européen ou national.

Permalien
Stéphane Lepeu, directeur général délégué de Delpharm, président de CDMO France

C'est tout à fait cohérent. Il est évident que pour bénéficier de ce « prix plancher », la production doit être rapatriée en France ou en Europe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour vos réponses. Je vous propose éventuellement de compléter nos échanges, si vous le souhaitez, à travers des documents que vous pouvez adresser à notre secrétariat.

L'audition s'achève à dix-sept heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 16 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, M. Denis Masséglia

Excusés. - Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Éric Girardin, M. Jacques Marilossian