Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • guyane
  • illégal
  • légal
  • orpaillage
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 19 mai 2021

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Rémi Girault, président et Mme Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

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Je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionnés dans le cadre de notre commission sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane. Nous sommes heureux de pouvoir écouter vos préconisations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Girault et Mme Lecocq prêtent serment.)

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

Bonjour. Nous ne sommes pas d'accord avec le fait que la lutte contre l'orpaillage illégal serait un combat perdu d'avance et que l'augmentation du cours de l'or conduirait nécessairement à la hausse de l'orpaillage illégal. En 2016, alors que le cours de l'or était élevé, l'activité illégale d'orpaillage a baissé en raison d'une coopération franco-brésilienne. Les efforts diplomatiques sont absolument nécessaires pour rendre efficace la lutte contre l'orpaillage illégal. Dans les États d'où proviennent les orpailleurs, les populations n'ont jamais entendu parler de l'opération Harpie. Une communication serait donc aidante.

Sur le terrain, nous pourrions contrôler les bases arrière. Ainsi, PK6 est un lieu connu pour être une base arrière de l'orpaillage clandestin. De même, le contrôle du carburant peut être pertinent. Sur l'Oyapock, une seule station-service existe du côté brésilien : elle alimente une grande partie des activités illégales. Un contrôle de cette seule station-service permettrait de limiter l'orpaillage illégal. Du côté du Suriname, ce serait certainement plus compliqué. Une coopération a été récemment initiée avec le Suriname, mais elle mériterait d'être approfondie.

L'orpaillage légal et l'orpaillage illégal n'entretiennent pas de corrélation directe, comme le souligne le rapport 2018 du WWF. Ainsi, pour la crique Nelson, un permis a été accordé il y a deux ans. Il s'agissait d'un site intact dans le bassin du Kourou. Depuis l'ouverture du site légal, trois sites illégaux se sont installés à moins de 5 km. L'observatoire des activités minières montre que 10 % à 20 % des surfaces exploitées par les opérateurs illégaux se trouvent dans un rayon de 5 km des sites légaux. L'activité légale ne fait donc pas fuir l'activité illégale. Le contraire est même plutôt vrai. Les impacts des orpailleurs légaux et illégaux sont davantage cumulatifs que substitutifs. Quand nous installons des légaux à la place des illégaux, ces derniers s'éloignent un peu.

Il y a quelques années, nous exprimions des doutes sur la proximité entre l'orpaillage légal et l'orpaillage illégal. Au début des années 2010, un commandant de gendarmerie de Kourou expliquait que la distinction entre les deux était difficile. À cette époque, Gauthier Horth, président de la fédération des opérateurs miniers de Guyane, avait prospecté illégalement sur d'anciens sites illégaux du secteur de grande usine. Il a été mis en examen pour exploitation minière illégale, blanchiment d'argent, exécution de travail dissimulé, blanchiment de fraudes fiscales et abus de biens sociaux.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

Il a été mis en examen en 2015 et depuis, nous n'avons reçu aucune nouvelle du jugement.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

Il semble que les illégaux se sont autonomisés. Ils dépendent beaucoup moins des opérateurs légaux pour prospérer qu'avant. Les légaux et les illégaux continuent de se côtoyer en forêt. Leurs relations sont parfois difficiles. De récentes attaques de camps par des bandes armées ont eu lieu. Les illégaux sont souvent les premières victimes de ces bandes. Les illégaux bénéficient en revanche des infrastructures mises en place pour l'orpaillage légal, comme l'ouverture des pistes.

Nous avons constaté que la présence des opérateurs illégaux est utilisée comme argument commercial par les orpailleurs légaux auprès de leurs actionnaires ; elle garantirait la richesse du gisement. Nous en voulons pour preuve le permis exclusif de recherche déposé sur la commune de Roura par la compagnie minière de Boulanger et la multinationale Reunion Gold, pour un projet similaire à celui de la montagne d'or. Dans leur communication, les industriels instrumentalisent la présence d'illégaux comme une garantie de richesse du gisement.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La présence des illégaux est souvent mentionnée dans les dossiers qui sont soumis à la commission des mines. Comme le site est déjà dégradé, l'installation d'un opérateur légal serait justifiée. L'installation d'opérateurs légaux sur des sites non perturbés existe tout autant.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

S'agissant de la transparence, la population n'est plus vraiment informée de l'état actuel de l'orpaillage illégal. François Hollande s'était pourtant engagé, en 2013, à fournir des informations régulières sur le sujet. Or, le dernier rapport date de juillet 2018. Le Parc amazonien communique régulièrement sur sa situation, mais en dehors du territoire du Parc, nous manquons de visibilité.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La transparence vis-à-vis du public est extrêmement importante. Comme le souligne le WWF dans son rapport, 90 % de la population du haut Maroni présentait, en 2015, des contaminations au mercure, supérieures aux normes légales. L'information sur l'activité d'orpaillage est un moyen d'informer la population des risques sanitaires. La transparence bénéficierait à tous les groupes de la société.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

S'agissant des impacts, l'office de l'eau, en 2019, a rappelé que le déclassement de la qualité des cours d'eau était lié pour moitié à l'orpaillage légal et pour moitié à l'orpaillage illégal. Les activités légales et illégales entraînent à peu près les mêmes impacts sur la qualité des cours d'eau. Nous pouvons citer le récent cas de l'entreprise Gold'or, qui a réalisé des déversements volontaires de barranques dans les cours d'eau. Les normes sur les matières en suspension ont été dépassées 4 800 fois alors que la norme légale n'est déjà pas pertinente. La norme est de 35 mg/L alors que d'après le BRGM, des impacts sont ressentis dès 20 mg/L. En l'espèce, l'entreprise a été condamnée en première instance au titre du préjudice écologique. Il s'agit d'une première en Guyane.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

L'entreprise a été condamnée en première instance. Elle a fait appel. Nous citons cet exemple pour montrer que l'activité légale n'est pas sans risque pour l'environnement. Plus nous multiplions les sites d'exploitation, plus nous augmentons les risques de pollution, accidentels ou volontaires. Ceci est d'autant plus vrai lorsque les sites d'exploitation sont installés sur d'anciens sites illégaux, déjà pollués en mercure.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

S'agissant des impacts liés aux activités d'orpaillage, nous souhaitions rappeler le cas de M. Abango Adam, récemment cité par Guyaweb, pour occupation illégale ayant entraîné la destruction de bois ou de forêt de 2014 à 2019. M. Adam avait fait l'objet de nombreux rappels à l'ordre sur la manière d'exploiter l'or alluvionnaire, sur l'impact environnemental (déchets abandonnés) et sur la manière dont ses ouvriers sont traités. M. Adam a également été rappelé à l'ordre sur ses obligations fiscales et sociales.

Le syndicat des miniers guyanais avait rédigé en 2005 une charte de bonne conduite, non contraignante. Il s'avère qu'elle n'est souvent pas respectée.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La réglementation minière française contient peu d'exigences environnementales d'une manière générale. La Guyane est déjà soumise à un régime dérogatoire puisqu'il est possible d'octroyer des autorisations d'exploiter sur des surfaces de 1 km2 pendant quatre ans. Or, le droit de l'Union européenne requiert des autorisations environnementales pour des surfaces exploitées supérieures à 25 hectares. En commission des mines, nous constatons néanmoins que les dossiers sont souvent exemptés de la réalisation d'une étude d'impacts. Nous ne disposons alors pas d'informations sur l'état initial du milieu. Nous ignorons par ailleurs si la revégétalisation menée par la suite est correcte ou non.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

L'activité légale favorise la libération de mercure, car le sol guyanais en est riche, nativement. Même si nous n'en ajoutons pas, l'activité légale est génératrice de mercure. S'agissant la déforestation, nous nous rendons compte que l'activité illégale est moins impactante que l'activité légale, car depuis que des observations aériennes sont réalisées, les illégaux réduisent les surfaces déforestées pour être moins visibles. L'activité illégale est en revanche beaucoup plus polluante pour l'eau que l'activité légale.

Il existe un manque de visibilité sur les efforts menés par les légaux pour réhabiliter et revégétaliser les sites. Nous ne mesurons ces efforts qu'après les mises en demeure.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La réhabilitation des sites n'est pas menée de manière suffisante. Les impacts ne peuvent de toute façon pas être résorbés complètement puisqu'il faudrait 500 ans à la forêt ancienne pour se régénérer. Des mises en demeure sont publiées vis-à-vis de certains exploitants, mais elles arrivent parfois trop tard.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

Comme nous ne savons pas recréer de la forêt ancienne, il serait nécessaire de mener des études en écologie de grande ampleur pour approfondir nos connaissances sur les effets des mines sur le long terme ainsi que sur les processus de cicatrisation de la végétation. L'activité minière existe depuis 150 ans en Guyane. Aucune étude ne retrace les impacts de ces activités sur les sols, la structure forestière et sa composition. Il est dommage que les études d'impacts ne soient pas obligatoires.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

Généralement, les autorisations d'exploiter passent par la procédure d'examen au cas par cas. Nous constatons que la majorité des demandes d'autorisations d'exploiter sont exemptées de l'exigence d'études d'impacts.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

Nous estimons que les impacts des activités légales sont sous-estimés et que les mesures compensatoires sont donc insuffisantes. La politique « éviter/réduire/compenser » n'est pas appliquée au secteur minier. Les illégaux se passent bien évidemment de toutes les obligations.

Pour conclure, nous souhaitions rappeler la place de l'or dans l'économie guyanais. Selon le schéma départemental d'orientation minière de Guyane, le secteur minier serait le deuxième employeur de Guyane. Je n'ai toutefois trouvé aucune donnée chiffrée sur le secteur minier dans les récentes synthèses et bilans économiques annuels de la Guyane réalisés par l'INSEE. Ce secteur ne doit donc pas être structurant dans les faits. Le rapport du cabinet Deloitte, paru en 2018, indique d'ailleurs que l'orpaillage n'est pas un secteur prometteur en termes de création d'emplois et de développement économique durable.

Dans le monde, seulement 8 % de l'or est utilisé pour les technologies, l'électronique et la médecine. Le reste est utilisé pour les produits financiers, les pièces, les lingots et la bijouterie. L'utilité de l'orpaillage est donc questionnable au regard de ses impacts environnementaux.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La lutte contre l'orpaillage illégal est fondamentale pour l'avenir de la Guyane sur le plan environnemental, sanitaire et économique. D'autres filières comme l'agriculture et le tourisme seraient beaucoup plus durables et pourvoyeuses d'emplois. L'orpaillage légal ne permettra pas d'éradiquer les problèmes provoqués par l'orpaillage illégal.

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Je vous remercie de vos propos. Certains interlocuteurs nous ont signalé que la distinction entre l'orpaillage légal et l'orpaillage illégal était tenue. Une dynamique de solidarité existe parfois. D'autres jurent qu'il n'existe aucun lien.

Nous rédigerons un rapport et des préconisations. Il nous faut obtenir des éléments d'appréciation tangibles et vérifiables. Disposez-vous d'éléments écrits à verser au dossier pour étayer vos propos et confirmer la relation entre les deux natures de l'orpaillage ?

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

La meilleure source d'information est le chercheur du CNRS que vous avez déjà auditionné. Les liens entre les légaux et les illégaux sont complexes et ont évolué avec le temps. D'après plusieurs témoignages, l'implantation des illégaux dépendait des légaux il y a quelques années. Le lien entre les deux se serait amoindri récemment. Les illégaux se seraient autonomisés.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

Comme le souligne le WWF, la filière d'orpaillage illégal s'est beaucoup professionnalisée et mécanisée. La dépendance est moindre entre les opérateurs légaux et illégaux. Ces informations ne sont toutefois pas accessibles au grand public. Nous avons peu accès aux rapports écrits de la police.

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Guyane Nature Environnement pourrait-elle ester en justice contre l'État pour non-assistance à personne en danger ? En plus du crime d'écocide, je pense à toutes ces personnes empoisonnées par le méthylmercure, aux jeunes qui naissent avec des malformations et aux comportements à tendance suicidaire, dont certains médecins ont établi la corrélation avec une forte imprégnation au méthylmercure.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

Les populations autochtones commencent à se mobiliser en ce sens. Nous serions prêts à être leurs côtés dans ce type de démarche. Il ne nous est pas facile de prendre l'initiative à la place des populations. Nous serions légitimes à les accompagner et à les soutenir. Nous n'initierons peut-être pas la démarche.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

L'intérêt à agir pour ester en justice serait beaucoup plus caractérisé pour les associations d'habitants contaminés. Nous pourrions les appuyer.

Par ailleurs, l'objet social de Guyane Nature Environnement est la protection de l'environnement. Nous pourrions donc les appuyer sur les conséquences environnementales et les conséquences sanitaires. Ce contentieux pourrait tout à fait exister.

Nous avons récemment discuté de la pénalisation des atteintes à l'environnement avec la commission des lois du Sénat. Celle-ci avait organisé une table ronde sur le traitement judiciaire des atteintes à l'environnement. Nous pensons que le crime d'écocide serait difficile à caractériser. En revanche, le délit de mise en danger de l'environnement, qui fonctionne comme le délit de mise en danger de la vie d'autrui, serait pertinent. Nous sommes tout à fait favorables à ce que des actions soient intentées. Il reste à déterminer l'acteur le mieux positionné pour intenter le recours et les fondements juridiques.

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Guyane Nature Environnement s'attache à une meilleure prise en compte de l'environnement dans les politiques publiques. L'homme est un élément essentiel au sein du biotope dont il faut assurer la protection et la préservation.

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Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement

La mobilisation du monde associatif est importante.

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Garance Lecocq, coordinatrice de Guyane Nature Environnement

La reconnaissance du dommage sanitaire pourrait permettre d'accélérer la lutte contre diverses dégradations de l'environnement.

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Je reprendrai contact avec les organisations des populations autochtones, notamment amérindiennes. Je proposerai à M. Lénaïck Adam que nous nous rapprochions du grand conseil coutumier. Une piste est à creuser s'agissant du préjudice subi par ces populations en termes de santé publique. Nous pourrons insérer, dans le rapport, un paragraphe sur ce que vivent les populations. Nos gouvernants comprendront alors pourquoi il faut se préoccuper de la situation de la Guyane. Nous y réfléchirons.

La réunion se termine à dix-sept heures dix.